changement de métier est un

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changement de métier est un
REGARDS CROISÉS CADRES, ENTREPRISES ET PROFESSIONNELS
DE L’ACCOMPAGNEMENT AU CHANGEMENT
les études de l’emploi cadre - Juillet 2010
LE CHANGEMENT DE MÉTIER
CHEZ LES CADRES
LE CHANGEMENT DE METIER CHEZ LES CADRES
L'Apec a été créée en 1966 et est administrée par les partenaires sociaux (MEDEF, CFE-CGC, CFDT CADRES, UGICA-CFTC, UCI-FO,
UGICT-CGT).
Cet ouvrage est créé à l'initiative de l'Apec, Association Pour l'Emploi des Cadres, régie par la loi du 1er juillet 1901 et publié
sous sa direction et en son nom. Il s'agit d'une œuvre collective, l'Apec en a la qualité d'auteur.
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La conception, l’analyse et l’élaboration de ce document ont été réalisées par le Pôle Études du Département Études et Recherche
de l’APEC :
Karen Bernard (Chargée d’études),
Daniel Le Henry (Maquettiste),
Valérie Bazin (Responsable Études Entreprises),
Brigitte Bos (Manager du pôle Études),
et par Sociovision
Juillet 2010
SOMMAIRE
PRÉAMBULE ■
Objectifs
— p. 3
Méthodologie
— p. 3
Deux logiques de changement distinctes : l’interne et l’externe
— p. 5
SYNTHÈSE ■
DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES ■
La vie professionnelle n’est plus un long fleuve tranquille
— p. 11
« Le changement, c’est la sécurité »
— p. 11
Un changement de métier qui peut être porté par des aspirations
plus profondes
— p. 12
DEUX GRANDS TYPES DE CHANGEMENT
QUI ONT LEURS SPÉCIFICITÉS ■
Les facteurs déclencheurs : plus nets dans les cas de changements
externes
— p. 17
Un processus facilité pour le cadre changeant de métier en interne
— p. 19
LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR
LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES ■
Un discours prosélyte du changement de métier
— p. 21
Un changement difficile en externe
— p. 22
La prévalence du clonage des profils
— p. 24
Un changement en interne davantage usité
— p. 25
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE
DU CHANGEMENT DE MÉTIER ■
Le nécessaire travail sur le projet de changement de métier
— p. 27
Les moyens du changement de métier
— p. 30
Les nécessaires ajustements du projet de changement de métier
— p. 33
L’accompagnement par l’entreprise d’accueil
— p. 34
La reconstruction d’une identité professionnelle
— p. 35
CONCLUSION ■
PORTRAITS DE CADRES ■
PRÉAMBULE
« Changer de métier va-t-il devenir un passage obligé dans la vie professionnelle des cadres ? Est-ce un indice de l’évolution de leur rapport au travail ? »
En parallèle d’une série d’événements organisés sur le sujet (Rencontres « les
Informels »), l’Apec a souhaité alimenter sa réflexion sur le changement de
métier des cadres par un dispositif d’enquête spécifique. Cette étude se veut
une contribution au positionnement de l’Apec vis-à-vis des cadres en emploi
ou en recherche d’emploi et des entreprises.
■ OBJECTIFS
L’objectif de cette enquête est double :
Comprendre :
- comment se définit le changement de métier ;
- où se situe la frontière entre évolution professionnelle naturelle et changement de métier ;
- quels sont les différents types de changement de métier (interne/externe à
l’entreprise, choix/contrainte, reconversion…).
Dégager des outils pour l’action :
- identifier des éléments que l’Apec pourra utiliser pour informer les cadres en
emploi ou en recherche d’emploi, et les entreprises ;
- recueillir des éléments d’information sur les parcours possibles pour les cadres,
les conditions de réussite, les moyens à utiliser ;
- évaluer la position des entreprises sur l’intérêt de prendre en compte ce type
de parcours dans leurs recrutements et leur gestion RH à long terme.
■ MÉTHODOLOGIE
Afin d’appréhender le changement de métier sous toutes ses facettes, l’étude
a été conduite auprès des trois acteurs du changement de métier : les cadres,
les professionnels de l’accompagnement au changement et les entreprises.
L’enquête a permis d’appréhender une palette très large d’exemples de changements de métier : des reconversions vers des métiers indépendants, des créations d’entreprise, des changements vers un métier de cadre salarié dans une
autre entreprise et des changements de métier en interne.
Il est à noter que certains parmi les cadres rencontrés ont connu plusieurs types
de situations, changeant plusieurs fois de métier en interne avant d’opter pour
la création d’entreprise ou le passage en indépendant.
En revanche, des situations de changement contraint de métier, organisé au sein
de l’entreprise dans le cas par exemple de disparition de métiers, n’ont pas été
rencontrées ni étudiées.
• Les cadres
Afin d’avoir l’image la plus complète possible du changement de métier, plusieurs cas de figure ont été couverts :
- des changements de métier en mobilité interne ou externe,
- des projets diversifiés de mobilité externe afin de ne pas uniquement mettre
l’accent sur la création d’entreprise,
- des projets aboutis et non aboutis, ces derniers permettant de mieux percevoir et d’analyser les difficultés rencontrées par les cadres entreprenant un
changement de métier.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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PRÉAMBULE
Les hypothèses de départ sur les types de changement de métier ont conduit
à rechercher trois profils de cadres :
- Profil 1 : des cadres ayant changé de métier au sein de leur entreprise,
- Profil 2 : des cadres ayant changé de métier et d’entreprise, que cette
situation soit volontaire ou subie, initiée par une démarche personnelle
du cadre ou accompagnée dans le cadre d’un outplacement, avec ou sans
période de chômage, et que la démarche de changement soit encore en
cours ou aboutie,
- Profil 3 : des cadres ayant eu un projet de changement de métier qui n’a
pas abouti et qui sont restés dans leur entreprise ou qui ont changé d’entreprise sans changer de métier.
Cette enquête étant essentiellement exploratoire, l’échantillon a été construit
au fil de l’eau, de sorte à présenter cette variété de situations. Il importait
que le changement de métier ait été identifié comme tel par ses acteurs
principaux.
Il a également été choisi de privilégier la tranche d’âge de 35 à 50 ans afin
d’éviter le début et la fin de la vie professionnelle, qui ont leurs spécificités
propres (changement de découverte pour les juniors, changement de métier
contraint des seniors.
Pour refléter au mieux la période actuelle, les changements de métier
devaient avoir eu lieu dans les cinq dernières années. A l’issue de l’étude,
il apparaît que le changement de métier est un processus bien plus long qu’il
ne l’avait été envisagé ; un processus de maturation du projet et d’identification à un nouveau métier qui se poursuit après la prise de poste dans le nouveau métier. Paradoxe de la constitution de l’échantillon, il aurait fallu pour un
regard rétrospectif plus arrêté rencontrer des cadres ayant changé de métier il
y a dix ou quinze ans, mais l’étude n’aurait pas pu alors rendre compte de la
période actuelle.
Des entretiens individuels d’une durée d’environ 1h30 ont été menés en faceà-face ou par téléphone avec seize cadres. Ces entretiens ont principalement
abordé :
- le parcours professionnel du cadre,
- le contexte du changement de métier,
- les motivations et les freins,
- les moyens utilisés,
- et les facteurs identifiés de réussite ou d’échec.
• Les professionnels de l’accompagnement au changement
Plusieurs types de professionnels de l’accompagnement au changement ont été
rencontrés. Des entretiens par téléphone, d’une durée d’une heure environ, ont
été menés avec quatre interlocuteurs, intervenant dans des structures diverses.
Un entretien de groupe a également été conduit auprès de cette cible.
Ces entretiens ont principalement abordé :
- les parcours des cadres qu’ils rencontrent dans leur activité ;
- leur définition du changement de métier ;
- les conditions de sa réussite, les facteurs d’échec ;
- le positionnement des entreprises qu’ils sont éventuellement amenés à
conseiller et à accompagner.
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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PRÉAMBULE
Ont notamment accepté de collaborer à cette étude :
• OASYS, professionnel de l’accompagnement au changement spécialisé
dans les réorganisations et les changements collectifs,
• SELDELESPRIT, cabinet d’outplacement spécialisé dans le changement de
métier des cadres,
• AEVA, cabinet de bilan de compétences,
• L’Association AVARAP.
• Les entreprises
Non seulement les entreprises recrutent mais elles peuvent aussi jouer un rôle
dans la gestion de l’évolution professionnelle des cadres. Leur perception du
changement de métier est donc essentielle dans la faisabilité, le cas échéant,
de ces changements. Des entreprises ayant recruté des cadres ayant changé
de métier ou ayant dans leurs effectifs des cadres qui ont changé de métier
en interne ont été particulièrement ciblées pour cette enquête.
Sept entretiens téléphoniques ont été conduits auprès d’entreprises de caractéristiques diverses (grandes entreprises, PME, dans les services ou l’industrie)
en ciblant des manageurs, DRH ou DG.
Ces entretiens ont principalement abordé :
- des cas concrets de changement de métier (interne/externe) ;
- la manière dont les entreprises gèrent et accompagnent les cadres lors du
changement de métier ;
- les bénéfices qu’elles estiment tirer de ces changements ;
- et les facteurs de succès ou d’échec qui ont pu être identifiés à partir de
ces expériences.
■ DEUX LOGIQUES DE CHANGEMENT DISTINCTES :
L’INTERNE ET L’EXTERNE
L’analyse des parcours de changement des cadres rencontrés a visé à mettre en
lumière différents types de changement de métier. Certaines démarches qui
auraient pu paraître radicalement distinctes sont apparues extrêmement proches,
tant en termes de motivations, d’éléments déclencheurs du changement, que
de processus de mise en œuvre. Ainsi la création d’entreprise est-elle relativement proche, jusque dans sa dimension de risque, d’un changement
concurrent de métier et d’entreprise.
Il ressort de l’enquête que le facteur le plus nettement différenciant réside
dans les circonstances du changement : s’est-il fait en interne, au sein de
l’entreprise, ou au contraire s’est-il fait en externe, passant nécessairement par
une rupture avec son précédent employeur ?
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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SYNTHÈSE
• Le premier objectif de cette étude était exploratoire. Il s’agissait de comprendre comment se définit le changement de métier et d’en déterminer les différents types
(interne/externe à l’entreprise, choisi/contraint, la reconversion, etc.).
Le principal enseignement de l’étude est que le changement de métier est un processus
long et identitaire.
Rarement balisé, le parcours qui mène le cadre à son nouveau métier est incertain et sujet
à des ajustements successifs. La question de l’identité professionnelle est d’autant plus
présente que les cadres rencontrés ne conçoivent pas une vie professionnelle sans lui donner du sens. Ce n’est qu’au terme du processus d’identification au nouveau métier que
l’on peut juger abouti le changement de métier. Tout comme le projet de changement, ce
processus d’identification nécessite une certaine maturation.
D’ailleurs, un changement de métier ne se décide pas du jour au lendemain. Pour les cadres,
il s’inscrit dans un questionnement plus global qui est celui d’envisager un changement
de situation professionnelle. Le recours quasi systématique des cadres interviewés au bilan
de compétences à un moment de leur parcours professionnel en est l’illustration. Mais ce
questionnement ne conduit pas forcément à changer de métier. Le changement de métier n’est
que l’une des options possibles parmi d’autres qui seraient des projets davantage en continuité avec le métier antérieur, comme par exemple un changement d’entreprise dans le même
métier.
C’est aussi ce qui en fait le plus souvent une démarche volontaire. Aucun des cadres rencontrés n’a changé de métier sous la contrainte.
Deux grands types de changement de métier ont été identifiés, chacun ayant ses spécificités : le changement par mobilité interne au sein de son entreprise et le changement par mobilité externe en quittant son entreprise.
De manière générale, mais de façon beaucoup plus accentuée quand il s’effectue en externe,
le changement de métier est le fruit d’un parcours long, difficile, qui se fait par petits pas,
par approximations, et ce n’est qu’une fois bien installé dans un nouveau métier que le cadre
se dit de manière rétrospective qu’il a changé de métier.
En cela, un grand clivage dans la définition du changement de métier des cadres est lié au
fait qu’ils ont changé en externe ou en interne au sein de leur entreprise. Les motivations
sont proches dans les deux circonstances, mais la facilité de réalisation diffère.
Les cadres ayant changé de métier par mobilité externe l’ont pour la plupart fait suite à une
rupture ou à une longue pause professionnelle (chômage, congé parental, avoir suivi son
conjoint) - ce qui peut être une contrainte en soi si elle n’a pas été provoquée mais une
contrainte transformée en opportunité de s’orienter vers un métier qui leur ressemblait davantage, plus conforme à leurs goûts et à leurs motivations.
Les difficultés inhérentes au changement de métier en externe sont d’abord liées au fait qu’il
est aujourd’hui quasiment impossible pour un cadre de réaliser ce que les professionnels de l’accompagnement appellent « la diagonale » : changer à la fois de métier et
d’entreprise.
En effet, la prévalence du « clonage » des profils par les recruteurs limite considérablement les opportunités. La conjoncture économique actuelle, très défavorable, accentue la
frilosité des entreprises qui souhaitent recruter avant tout des personnes rapidement opérationnelles pour limiter les risques d’erreurs de recrutement.
Cela vient contredire le discours très positif des entreprises interrogées sur le sujet. Elles
reconnaissent les difficultés soulevées par le changement de métier et valorisent unanimement les atouts de « dynamisme », « d’adaptabilité », « d’enrichissement par la diversité »
de tels parcours. Elles tiennent ainsi un discours très prosélyte sur le changement de métier,
sur lequel elles sont rejointes par les professionnels de l’accompagnement, voire même des
cadres qui ont exercé des fonctions RH. Le changement de métier deviendrait un incontournable des parcours professionnels aujourd’hui, du fait de la diffusion des restructurations, et
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SYNTHÈSE
du fait des difficultés à rester en emploi jusqu’à la retraite. Changer de métier permettrait
de garantir son employabilité.
Pourtant, cette vision se heurte à la réalité du faible nombre aujourd’hui de recrutements de cadres ayant ce type de parcours.
Certaines catégories de métiers sont néanmoins plus ouvertes. Il s’agit de métiers qui mobilisent des compétences comportementales ou transverses (gestion de projet, management…)
davantage que des compétences techniques ; plusieurs responsables d’entreprise et professionnels de l’accompagnement interrogés les ont appelés « méta-métiers ». Dans la mesure où ils ne nécessitent pas une connaissance technique pointue, dont l’acquisition serait
longue, ces métiers d’arrivée (manageur, consultant, commercial, communicant…) sont plus
facilement accessibles en reconversion.
De même, certains métiers d’origine facilite l’accès à de nouveaux métiers. C’est le cas par
exemple des ingénieurs qui, davantage que des savoirs techniques souvent pointus, mettent
en œuvre dans leur nouveau métier des compétences transverses du type gestion de projet.
D’autres situations rencontrées semblent présenter des marges de manœuvre pour des recrutements de cadres ayant changé de métier. D’une part, les PME ayant des difficultés à recruter sont plus accessibles à des profils, des parcours sortant du cadre habituel. D’autre part,
un recruteur qui lui-même a changé de métier ou se trouve dans une entreprise qui a déjà
embauché avec succès un tel profil, est plus ouvert à ce type de candidatures.
En écho à ces obstacles immanents au fonctionnement du marché, les aspirations actuelles
de certains cadres du secteur privé les conduisent à quitter le salariat, soit par rejet,
soit par lassitude. Plusieurs cadres rencontrés sont devenus indépendants, par choix d’un métier
libéral et/ou par envie d’être leur propre chef. Les aspirations éthiques poussent également
parfois à fuir un monde de l’entreprise jugé en contradiction avec des valeurs humaines.
Le changement de métier en interne, en restant dans la même entreprise, est un processus beaucoup plus souple et opportuniste.
Les cadres engagés dans cette démarche mobilisent moins d’efforts. Ils ont un accès direct
aux recruteurs et aux futurs manageurs qu’ils peuvent rencontrer de manière informelle avant
de passer à un processus RH plus formel.
De plus, de nombreuses entreprises (notamment les plus grandes) encouragent cette mobilité. C’est un moyen de fidéliser des collaborateurs, de les maintenir dans l’emploi, de sécuriser un recrutement avec des personnes qu’elles connaissent et qui connaissent l’entreprise.
Des changements de métier peuvent donc se faire en interne sans que le projet ne soit extrêmement construit. De plus, le cadre engagé dans cette démarche bénéficie de la stabilité de
certains aspects de son quotidien professionnel. C’est d’ailleurs un type de changement qui
autorise plus facilement le retour en arrière.
Si le changement de métier en externe est un processus à l’issue incertaine et de longue
haleine, le changement de métier en interne au sein d’une entreprise est sans doute
plus aisé et moins risqué.
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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SYNTHÈSE
• Le deuxième objectif de cette étude était opérationnel. Il s’agissait d’identifier des
éléments d’information utiles pour les cadres et les entreprises sur les conditions de
réussite d’un changement de métier.
Le changement de métier est un processus individuel de maturation. Il ne saurait être
réduit à une démarche idéale dont les cadres pourraient omettre des étapes. Cependant, certains éléments sont communs aux différents parcours des cadres rencontrés :
– au préalable, une réflexion sur leurs motivations et sur leurs compétences (identification de compétences transférables, tant professionnelles que personnelles,
aussi bien techniques que comportementales) ;
– une confrontation du projet à la réalité du marché amenant des ajustements et
des compromis, afin de mieux adapter le projet aux besoins identifiés. La conséquence en est souvent l’abandon de ses illusions de départ ;
– des ressources financières pour assurer une transition professionnelle qui prend
du temps et qui demande souvent le recours à une formation. Soutien du conjoint,
indemnités de licenciement et allocations chômage en sont les formes les plus
courantes ;
– une formation pour acquérir de nouvelles compétences mais aussi faire la preuve objective d’une qualification dans le nouveau métier ;
– un travail de communication sur le projet pour convaincre et créer la confiance. Ce travail passe par une approche informelle des recruteurs potentiels (réseau
personnel et professionnel) de manière à atteindre une certaine légitimité et
contourner des politiques de recrutement parfois peu ouvertes au changement de
métier ;
– un processus d’identification au nouveau métier, la construction d’une nouvelle identité professionnelle. Cette légitimation finale prend du temps aussi.
Tout au long de ce parcours de changement, le soutien de l’entourage personnel est apparu déterminant, en particulier pour les changements de métier en externe. S’il est d’abord
attendu dans sa dimension financière, il est aussi essentiel dans une dimension identitaire en ce qu’il légitime le changement. Entamer un processus de changement de métier
sans l’approbation du conjoint expose à des turbulences personnelles parfois lourdes de
conséquences.
Les entreprises ont également un rôle important à jouer dans l’accueil et l’accompagnement des cadres pour leur intégration dans leur nouveau métier. Cela vaut tant pour
les changements de métier en externe qu’en interne. Se sentir à l’aise et légitime prend du
temps et les cadres sont fragilisés pendant quelques mois. Ils se retrouvent débutants et doivent donc prendre leurs marques et faire leurs preuves. C’est tout l’environnement de travail immédiat (manageur, équipe accueillante…) qui doit être pris en considération,
motivé et accompagné également. La bonne appropriation par le cadre de son nouveau métier
et son acceptation par l’équipe en dépendent. Acceptation, et donc légitimation, qui est un
autre déterminant de l’identification au nouveau métier, preuve de la réussite du changement.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES
■ LA VIE PROFESSIONNELLE N’EST PLUS UN LONG FLEUVE
TRANQUILLE
Le contexte économique et social de ces dernières
années est un élément commun aux différentes cibles.
Et l’accélération des changements au cœur même des
entreprises a des répercussions sur les trajectoires professionnelles des cadres. Un nombre croissant d’entre eux
sont donc amenés à se poser la question du changement
de métier.
• Le changement au cœur des entreprises
Le changement est aujourd’hui à tel point omniprésent
dans la vie des entreprises qu’il fait l’objet d’une spécialisation chez certains acteurs de la sphère économique. Par exemple, les réorganisations font aujourd’hui partie du quotidien des entreprises et ont un
impact direct sur les parcours professionnels des cadres.
Nombreux sont ceux parmi les cadres rencontrés occupant des postes à responsabilités qui ont été remerciés
à la suite d’un changement organisationnel. La conjoncture actuelle, accentuant les raisons de recourir à de tels
changements, tend également à accroître les risques
pour les cadres : des accompagnateurs au changement
nous ont signalé « de plus en plus de ruptures professionnelles, plus ou moins brutales ».
Outre cette dimension d’organisation du travail et de
remise en cause régulière des structures régissant le travail au sein des entreprises, les métiers eux-mêmes ou
leur exercice évoluent. L’intégration des nouvelles technologies est un exemple caractéristique du renouvellement des contenus et des techniques propres à un grand
nombre de métiers. Pour autant, ces évolutions ne sont
pas assimilées à de réels changements : elles ne remettent pas en cause l’identification à un métier.
« Quand on change de technologie, la façon de répondre
à un impératif est différente. On essaie de faire glisser
les compétences, et c’est presque de la reconversion
au vu des craintes des collaborateurs. Il y a beaucoup
de résistances : peur d’affronter une nouvelle technologie, moins obsolète, maîtrise de son temps dans un environnement normé et contraignant… Et pourtant la transformation est souvent sous-estimée : elle est vécue
comme l’acquisition d’une polyvalence dans l’exercice d’un même métier. » Entreprise - DRH
Tout ceci contribue néanmoins à poser un contexte où
la vie professionnelle n’est pas perçue comme statique, un contexte qui favorise la projection individuelle dans un changement plus radical de métier.
• Des parcours professionnels moins linéaires
L’époque où l’on parlait de sa trajectoire professionnelle comme d’une longue carrière linéaire, souvent pour
un employeur unique, est derrière nous depuis longtemps. Les cadres nous parlent de ruptures, de virages,
et dessinent les contours d’une vie professionnelle plus
fragmentée.
« J’ai toujours évolué au cours de ma vie professionnelle. J’ai plusieurs fois changé de métier tout en restant
cadre, parce que je suivais mon mari en mobilité géographique. Mon dernier changement s’est fait en mobilité
interne. A 45 ans, j’ai souhaité prendre un poste à responsabilité managériale, et là encore cela a été un changement de métier » - Cadre – projet abouti en mobilité
interne
Dans ce contexte d’une vie professionnelle devenue
moins linéaire, le bilan de compétences s’est imposé
comme une évidence. Extrêmement diffusé, il est un
moyen pour les cadres, à différents moments de leur parcours, de mettre à plat leur expérience et leurs motivations et d’envisager des évolutions professionnelles
de continuité ou de rupture.
■ « LE CHANGEMENT, C’EST LA SÉCURITÉ »
En dépit du contexte actuel de crise, les cadres refusent
de renoncer à leur capacité d’agir sur leur parcours professionnel.
« On n’est pas maître de tout, il y a un facteur chance,
mais quand on est prêt on saisit les opportunités et on
monte dans le train. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
• Rester en mouvement
Les cadres rencontrés se sont montrés convaincus de la
nécessité de faire évoluer leur activité professionnelle.
Le changement de métier est largement présenté
comme bénéfique, notamment pour ne pas sombrer
dans une routine perçue peu favorablement. Ils rejoignent en cela le discours des entreprises et des professionnels de l’accompagnement au changement.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES
« Il faut changer de métier, s’astreindre à le faire. Quand
je vois certaines étapes parfois subies de ma carrière, je vois
combien cela a été important d’avoir fait preuve de mobilité dans la tête : c’est une pompe qui s’alimente. » Cadre
– projet abouti en mobilité interne
« C’est positif de bouger, c’est le garant de l’employabilité. En reclassement, plus l’ancienneté est forte, plus c’est
difficile. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Il ne s’agit pas là seulement d’épanouissement personnel,
quoique cette composante ne soit pas négligeable, mais
également de survie. Pour certains, comme cette ancienne responsable RH devenue consultante, ce choix prend
un tour quasi darwinien : il faut s’adapter pour survivre.
« Quand on est statique, je pense qu’on est condamné.
Je pense que le fait d’être immobile, c’est un énorme
risque.» Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
• Préparer sa fin de vie professionnelle
S’adapter, c’est également prévoir le coup d’après. La fin
de vie professionnelle est une préoccupation pour les
cadres rencontrés, et ce dans un contexte où les questions
de l’emploi des seniors et de l’âge de départ à la retraite
sont au premier plan. L’objectif est pour ces cadres de rester en emploi le plus longtemps possible. Changer de
métier et s’affranchir le plus possible de l’entreprise
apparaissent comme des moyens sûrs d’y parvenir.
Le risque identifié, il devient un critère d’évaluation des
opportunités professionnelles. Ainsi ce jeune pharmacien
cherchant à se reconvertir dans la finance, projette-t-il à
37 ans une trajectoire professionnelle qui lui permettra,
pense-t-il, de travailler jusqu’à 80 ans, en commençant à
enseigner une fois faite son expérience du secteur.
« J’ai l’ambition d’enseigner la finance dans une université, mais pour cela tout est basé sur la compétence et la
pratique, pour pouvoir mieux véhiculer mes connaissances
théoriques. L’enseignement, ça peut se faire à 50 ans.
En pharmacie, j’avais un prof de 70 ans, il se sentait très
bien et c’est la fac qui a dû le virer parce qu’il voulait toujours travailler. Vous avez des chercheurs qui travaillent jusqu’à 80 ans… pour moi, l’enseignement est vraiment un
objectif à long terme. » Cadre – projet en cours
Les métiers libéraux représentent pour cette autre cadre,
en formation pour devenir orthophoniste après une quinzaine d’années au marketing d’une multinationale, cette
même opportunité de se prémunir contre les problèmes
d’emploi des seniors. Une préoccupation aiguillonnée
d’une part, par son choix d’une formation longue (4 ans),
qui plus est après 3 ans de congé parental, retardant d’autant ses trimestres de cotisation aux caisses de retraite ;
d’autre part, par un contexte professionnel antérieur caractérisé par la relative jeunesse des équipes.
« L’une de mes motivations qui n’est pas négligeable, c’est
que je peux travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Alors que
dans l’entreprise, après 50 ans, les gens sont poussés dehors.
Donc le fait d’avoir quelque chose qui me permettra de
travailler vraiment jusqu’à la fin facilement, je trouve ça
super aussi.» Cadre – projet en cours
■ UN CHANGEMENT DE MÉTIER QUI PEUT ÊTRE PORTÉ PAR DES
ASPIRATIONS PLUS PROFONDES
• Une recherche de cohérence entre intérêts personnel et professionnel…
Chez les cadres rencontrés, l’envie de changer de métier
est souvent associée à un besoin de réduire la dissonance entre quotidien professionnel et goûts personnels.
« Je trouve un épanouissement dans mes activités extra
professionnelles et ce que j’aimerais, c’est arriver à trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie privée pour ne pas avoir cette espèce de besoin de faire
beaucoup de choses en dehors de mon travail pour avoir
l’impression de m’épanouir. » Cadre – projet inabouti
L’envie d’apprendre, de se développer
« J’adore apprendre, c’est mon moteur. » Cadre – projet
abouti en mobilité interne
Une forte motivation à ne pas rester dans son poste est
l’envie d’apprendre, de se développer et de développer ses
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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capacités. Ce moteur ne joue pas uniquement en faveur
d’un changement de métier ; il alimente également la
recherche d’évolutions au sein d’un même métier.
« C’est quelque chose qui est motivant au sens où on
découvre de nouvelles choses. C’est satisfaisant quand
même, même si en soi, ce n’est pas forcément le métier
qu’on a envie de faire. » Cadre – projet inabouti
De la passion pour son métier
La démarche du changement de métier peut être l’occasion de reprendre le fil de projets inaboutis, de passions
mises en veilleuse. Ré-émergent ainsi, à un moment de
la vie des cadres où leur trajectoire professionnelle pourrait paraître assurée, des envies sacrifiées un temps sur
l’autel de l’insertion professionnelle.
« A mon âge, on est pas mal à se dire : mais qu’est ce qu’on
va faire du reste de notre vie ? C’est marrant parce que cha-
DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES
cun revient à son fond de vocation. » Cadre – projet en
cours
« J’ai fait de la psycho pendant ma formation initiale :
j’ai fait la fac en parallèle de mon école de commerce. Mais
après, il y a eu un moment où je ne pouvais plus parce que
c’était trop dur. J’ai choisi plutôt l’école de commerce parce que je voulais avoir un emploi. » Cadre – projet
abouti en mobilité externe (profession libérale)
« J’ai l’impression que je suis arrivée là de par mes
études, et mes études, je ne les ai pas vraiment choisies. » Cadre – projet inabouti
« Après cette difficile rupture professionnelle, j’ai envisagé de devenir graveur, même si je savais que ce n’était
pas réaliste… J’ai plus sérieusement envisagé le design
industriel. En fin de Maths Sup, j'avais eu envie de faire une école de photographe mais j'ai intégré une école d'ingénieur. L’intérêt pour le design en était une forme de résurgence. » Cadre – projet inabouti
Ce qui transparaît en creux chez ces cadres, c’est une
aspiration forte à mieux se réaliser dans leur travail. L’idée
semble acquise qu’ils ne peuvent tout sacrifier (leurs
convictions, leur personnalité… leur âme !) à leur travail.
Mais on verrait là à tort les symptômes d’un désengagement de la vie professionnelle : tenter de rapprocher son
activité d’intérêts personnels, c’est au contraire trouver matière à renouveler son investissement dans le
travail.
Les cadres engagés dans une démarche de changement de
métier, que celle-ci les éloigne ou non de l’entreprise, sont
unanimes dans leur rejet d’un travail qui ne serait plus
qu’alimentaire. Au point que c’en est une douleur pour
ceux qui ont échoué dans leur tentative de changement
de métier.
« Je ne me projette pas dans l’avenir. Je ne me vois pas
là : ça ne me nourrit pas. C’est une activité très alimentaire qui me permet de faire d’autres choses. » Cadre – projet inabouti
« Mon besoin, c'est que je ne m'embête pas pendant le boulot. Si je devais avoir un boulot alimentaire où l'on
accepte de s'embêter profondément et durablement, je
pense que je ne le supporterais pas. » Cadre – projet
inabouti
L’attractivité des métiers éthiques
Donner du sens à sa vie professionnelle, y réinjecter de
la passion, passent pour un grand nombre de cadres par
un questionnement sur les enjeux éthiques du travail. Le
secteur, la nature des produits commercialisés, et les responsabilités afférentes à certaines fonctions sont pas-
sées au crible. Par exemple, les alcools et l’armement sont
cités comme des secteurs peu attractifs pour les cadres.
« Un cadre architecte designer dans les télécoms m’a dit
qu’il en avait assez de travailler sur les missiles et qu’il
voulait travailler sur le photovoltaïque. » Professionnel de
l’accompagnement au changement
« Après avoir travaillé dans un domaine éthiquement
critiquable, je voulais choisir le domaine d’activité dans
lequel j’allais me lancer, je voulais profiter du licenciement pour donner du sens à ma vie professionnelle. »
Cadre – projet abouti en mobilité externe (création d’entreprise)
Certaines fonctions sont également remises en cause,
comme par cet ancien DRH d’un grand groupe passé directeur de formation dans une fondation car « il en avait marre d’être un tueur » (professionnel de l’accompagnement
au changement).
Les métiers jugés éthiques le sont largement en fonction
de leur époque. L’enseignement, le journalisme, l’action
sociale ont été des parangons de métiers éthiques. Il
apparaît clairement aujourd’hui que les métiers du développement durable, qu’il s’agisse de politiques environnementales ou de commerce équitable, sont leur incarnation la plus contemporaine.
« Avant c’était le secteur social, aujourd’hui c’est le
développement durable, et toujours la même recherche de
valeurs collectives, humaines, de solidarité, contre la performance et l’individualisme…» Professionnel de l’accompagnement au changement
« La dimension éthique, le développement durable est
une notion présente, avec le rejet de la société de
consommation et de performance. Les individus préfèrent privilégier la vie familiale, des valeurs défendables,
et non plus des valeurs à cautionner dans le monde professionnel. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Ces métiers sont suffisamment nouveaux pour autoriser une certaine souplesse dans leur définition et dans
celle des voies permettant d’y prétendre. En plus d’être
portés par des valeurs montantes dans la société, ils sont
vraisemblablement moins fermés aux reconversions
que ne pourraient l’être d’autres fonctions plus
anciennes. Ces deux facteurs concurrents contribuent à
expliquer l’engouement considérable que suscitent par
exemple les métiers du développement durable et du commerce équitable.
« Je vise des entreprises spécialisées dans les énergies
renouvelables, les éoliennes, le commerce équitable, et
pourquoi pas l’assurance solidaire. Et puis il y a des entreprises classiques mais qui ont une volonté affichée de reverser à la société une partie de ce qu’elles lui prennent. »
Cadre – projet en cours
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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13
DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES
« Je me suis dit que j’allais me lancer dans le développement durable, j’ai cherché à droite et à gauche et j’avais
une forte sensibilité au commerce équitable parce que je
suis une grande voyageuse […]. » Cadre – projet abouti
en mobilité externe (création d’entreprise)
L’envie d’ « être son propre chef »
La création d’entreprise, le passage en indépendant,
est une autre modalité de gestion d’une dissonance entre
ce que l’on souhaiterait faire personnellement et ce que
l’on est contraint de faire professionnellement. « Faire ce
que l’on veut », « décider de tout », « être son propre
chef », sont des aspirations assez généralisées chez les
cadres, phénomène assez logique pour cette population
qui s’auto-définit aujourd’hui davantage par son autonomie dans ses fonctions que par sa position d’encadrement.
« Créer son entreprise, c’est faire ce que l’on veut, c’est décider de tout, c’est une grande aventure, mais très risquée
et très incertaine d’un point de vue professionnel et financier. La motivation, c’était de faire ce que j’avais envie de
faire, c’était être ma propre chef et c’était créer quelque
chose. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (création d’entreprise)
« J’avais envie d’être maître de ce que je faisais, de ne
dépendre de personne. J’avais appris à mener ma barque
et j’avais envie de la mener complètement toute seule. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
L’entreprenariat attire un grand nombre de cadres en
reconversion. Parmi les cadres rencontrés, les projets sont
aussi variés que nombreux : boutique de produits de décoration issus du commerce équitable, crèche biologique et
écologique, centre de formation, conseil en communication responsable, coaching de dirigeants... Cet attrait est
vraisemblablement renforcé par un contexte politique et
social qui tend à valoriser la création d’entreprise et
à lui adjoindre une image d’accessibilité. Le statut
d’auto-entrepreneur, quoique son plafond de revenus ne
permette généralement pas d’assurer des revenus équivalents à ceux des cadres, semble avoir contribué à rendre
plus visibles les formes de travail non salarié.
« La facilité d’accès au statut d’auto-entrepreneur a créé
des vocations. » Professionnel de l’accompagnement au
changement
Ne plus être salarié implique aussi de nouvelles modalités de valorisation du travail, davantage axées sur la
satisfaction et le plaisir comme le remarque une ancienne cadre passée consultante indépendante :
« Quand je vois mes anciens employeurs, je suis dans une
relation de prestataire dans laquelle je me sens en adhé-
14
Apec - Le changement de métier chez les cadres
©
sion. Je pense que la relation est plus qualitative pour
moi, c’est plus intéressant que d’être dans une relation
hiérarchique. Je trouve ça beaucoup plus agréable. »
Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
Sortir du salariat présente enfin un attrait fort en termes
de maîtrise de son quotidien. Gérer ses horaires ou son
lieu de travail peut permettre un meilleur équilibre entre
vie privée et vie professionnelle, sans pour autant que les
cadres souhaitant changer de métier n’anticipent nécessairement une diminution de leurs horaires travaillés.
« Orthophoniste : il y a la motivation du côté libéral et
le fait de pouvoir s’organiser. Je peux exercer de différentes façons, je peux être à 100% libéral, je peux être en
libéral ou en mixte, et en tout cas, c’est moi qui vais décider. Je me vois assez bien ouvrir mon appartement au 1er
étage pour faire un cabinet. Je me vois bien me dire que
je suis tous les après midi à partir de 4 heures à la maison
et 3 matinées par semaine à l’hôpital pour m’occuper d’enfants autistes… » Cadre – projet en cours
« Par exemple un cadre a tout plaqué pour s’installer en
famille en Nouvelle Calédonie et créer son entreprise de
transport et de voyage en bateau à voile, il a même suivi une formation de skipper. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Parfois, enfin, l’entreprenariat représente la seule opportunité, la seule façon de créer sa « valeur ajoutée » ou
de continuer à évoluer.
« La création d’entreprise est la seule voie pour certains,
notamment les seniors. » Professionnel de l’accompagnement au changement
« J’ai toujours créé mes postes, proposé ma valeur ajoutée, parce que je n’avais jamais le bon profil. J’ai repris
des études et j’ai fini par quitter mon entreprise pour devenir consultante. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
• … alimentée par une insatisfaction vis-à-vis de
l’existant
Ce que l’on recherche dans le nouveau métier que l’on vise
est certes tributaire d’aspirations profondes, mais aussi
orienté par le métier et le contexte professionnel d’où l’on
vient. On cherchera à pallier dans le nouveau métier les
manques et les déficits apparus dans le métier d’origine,
à l’instar de ces cadres qui quittent leur secteur d’activité pour rejoindre des secteurs plus éthiques.
Il arrive que les cadres ayant vécu des ruptures professionnelles, ou ayant eu le temps de se lasser, s’inscrivent
dans un rejet du monde de l’entreprise. Plus généralement,
on sent poindre chez les cadres rencontrés une mise en
cause des termes de l’échange : très nettement, le salaire seul ne suffit pas à motiver l’engagement dans le
DES MOTIVATIONS TRÈS LARGEMENT PARTAGÉES PAR LES CADRES
travail et les attentes des cadres expérimentés se portent davantage sur d’autres éléments de rétribution.
Un rejet du monde de l’entreprise
Un cadre ayant tenté, sans succès, de changer de métier
suite à un refus de promotion très mal vécu, estime que
son rapport au travail et à l’entreprise en général s’en trouve durablement altéré :
« Quitter la banque a été un point de rupture très fort
dans ma relation à l’entreprise. J’ai levé le nez du guidon. Je pense limites à l’investissement, contreparties.
Ce qui était affectif a disparu de manière profonde. Je
suis apprécié, bien noté, mais il y a eu rupture du
contrat moral entre l’entreprise et moi. » Cadre – projet inabouti
La recherche d’autres formes de rétribution
Si chez les cadres expérimentés rencontrés, le salaire n’est
pas moteur de changement de métier, il est une motivation forte pour les cadres plus jeunes :
« Après quelques années dans mon premier emploi, j’ai décidé de chercher du travail dans l’informatique. J'étais motivé par la perspective d’un gros salaire. C’est après avoir
regardé une émission de télé sur la bulle Internet que j’ai
décidé de changer de métier. » Cadre – projet abouti en
mobilité externe (salarié)
« Très franchement, ma première motivation à travailler
dans la communication a été financière. Je faisais partie des 80% ou 90% de journalistes qui crèvent la dalle,
pour le dire franchement, et qui sont dans une situation
très précaire. » Cadre – projet en cours
Plus généralement, le vécu des cadres dans leur entreprise est repéré par leurs accompagnateurs comme un élément initiateur du projet de changement de métier :
« Aujourd’hui de plus en plus de violences en entreprise
incitent à une envie de changement de métier de manière réactionnelle. » Professionnel de l’accompagnement au
changement
« Beaucoup de cadres veulent changer sous le coup d’une
déception de l’entreprise. » Professionnel de l’accompagnement au changement
« Avoir fait le tour de sa fonction, se projeter hors de la
structure, passer le cap à cause d’un climat tendu par
rapport à l’entreprise et au management… » Professionnel de l’accompagnement au changement
On s’explique assez bien la différence entre jeunes cadres
et cadres expérimentés par les attentes propres à chaque
phase de la vie, personnelle et professionnelle. Les cadres
plus expérimentés sont davantage installés, ils ont déjà
fait leurs preuves professionnellement, et ils cherchent au
moment du changement un mieux-être qui ne peut plus
leur être fourni par un surcroît de salaire. Ce désinvestissement du salaire se constate même lorsqu’il n’est pas
question de changer de métier :
« Le temps moyen sur un poste est de 3-4 ans, ensuite la
motivation de bouger est liée à l’apprentissage, élargissement de son champ de compétences. Le salaire ne
vient qu’en 3e ou 4e position. » Professionnel de l’accompagnement au changement
La lassitude de ce qui a fait longtemps leur quotidien professionnel peut également déboucher sur une forme de
rejet du monde de l’entreprise. Comme chez cette future
orthophoniste libérale, anciennement cadre au marketing
d’une multinationale, qui explique avoir atteint un seuil
de saturation dans son précédent poste, tant en termes
de métier que de type d’entreprise :
« Je suis restée 14 ans dans la même boîte et dans le
même métier alors forcément, j’avais un gros gros gros
ras-le-bol et du coup, une envie des choses qui sont un
peu à l’opposé. J’en avais fait trop dans la même entreprise et j’avais vraiment un rejet de tout ça. J’avais envie
de quelque chose qui ait vraiment du sens, qui soit
proche des gens et qui soit vraiment utile. Le secteur
médical ou paramédical répond à ça. » Cadre – projet
en cours
Il est très clair chez les cadres rencontrés que leurs
attentes sont davantage orientées vers d’autres formes
de rétribution du travail : intérêt, réalisation de soi,
adéquation avec des valeurs personnelles… Pour y
accéder, nombreux sont les cadres rencontrés qui sont
prêts à accepter des réductions de salaire. Une attitude
que confirment les professionnels de l’accompagnement,
au gré des exemples de cadres qu’ils ont suivis :
« Un designer de meuble contemporain est devenu ébéniste, après toute une réflexion menée ensemble. […] car
ce métier condense toutes ses valeurs. Il s’est autorisé ce plaisir. » Professionnel de l’accompagnement au
changement.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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DEUX GRANDS TYPES DE CHANGEMENT QUI ONT LEURS SPÉCIFICITÉS
Le critère le plus fortement différenciant a trait aux circonstances (éléments déclencheurs et contexte général)
dans lesquelles se fait le changement de métier, en
interne au sein d’une même entreprise, ou en externe par une séparation d’avec l’employeur précédent.
Si les ruptures professionnelles sont propres aux changements en externe, les changements opportunistes
caractérisent mieux les changements en interne.
La réalité est bien sûr plus complexe : un projet de
changement de métier en interne peut trouver sa concrétisation en externe, et inversement.
■ LES FACTEURS DÉCLENCHEURS : PLUS NETS DANS LES CAS DE
CHANGEMENTS EXTERNES
Dans le discours des cadres sur leur expérience du changement de métier, les déclencheurs sont plus nets et plus
facilement décrits lorsqu’il s’agit d’un changement de
métier en externe.
En interne, en revanche, le projet de changement de
métier est porté par des envies plus diffuses, et souvent enclenché sous le coup d’une opportunité.
• Un catalyseur du changement de métier en externe : les ruptures professionnelles
Les ruptures professionnelles sont souvent un catalyseur
du changement de métier. On entend par rupture professionnelle les cas de licenciements bien sûr, mais également des pauses induites par des changements familiaux (congé parental) ou des démissions pour suivre son
conjoint. Dans tous ces cas, la question du retour à l’emploi se pose au cadre à court ou moyen terme, avec un
choix à opérer entre la poursuite de son activité dans
son métier ou une bifurcation professionnelle.
Une occasion de faire le point
Quelles qu’aient été les causes de la rupture, il s’agit pour
le cadre d’une période d’interrogation, sinon de remise
en cause.
La traduction pratique la plus courante de ces efforts
d’introspection est le bilan de compétences. Devenu
un incontournable de la vie des cadres, il est aussi systématiquement proposé à ceux qui bénéficient d’un outplacement. Il permet de mieux comprendre les causes
de la rupture d’avec l’entreprise et de mieux cerner ses
aspirations profondes.
« J’ai eu besoin de comprendre pourquoi j’avais été
latéralisé, de me resituer : est-ce que j’étais en cause ? Le premier niveau de conclusion du cabinet de bilan
de compétences a été de me dire que j’avais un métier
que je savais réaliser, qu’il n’y avait pas incompatibilité. Ça m’a sécurisé de savoir que cela avait été un
accident. » Cadre – projet inabouti
« Pour moi, c’était forcément un peu long parce qu’il
a d’abord fallu que je me rende compte à quel point
je ne voulais plus retourner dans la grande entreprise. J’avais quand même été licenciée, donc il y avait la
partie de deuil à faire. » Cadre – projet en cours
En lui-même, le bilan de compétences est un élément
de plus qui, durant cette période de transition professionnelle, permet d’envisager un changement de métier.
C’est l’occasion pour les cadres d’explorer plusieurs projets, de continuité, de rupture, de cour :
« Changement de métier : une question qui se pose au
moment de faire le point. On questionne l’envie de continuer dans son métier, son secteur ; d’infléchir dans un
secteur différent ou un poste différent ; de rompre totalement. » Professionnel de l’accompagnement au changement
D’après les professionnels de l’accompagnement, nombreux sont les cadres qui envisagent un tel changement
lors du bilan sans pour autant le mettre en œuvre par
la suite :
« 80% des cadres en bilan de compétences envisagent de
changer de métier ; peu passent en réalité à l’acte, peutêtre 20%. » Professionnel de l’accompagnement au
changement
Saisir une opportunité
La période de chômage donne à certains le temps et
les moyens de mener à bien des projets latents de formation ou de reconversion. Elle est identifiée comme
un moment opportun pour lancer un projet de changement de métier ; une occasion que certains, qu’ils soient
prêts ou non, peuvent craindre de laisser passer faute
de savoir quand elle se présentera de nouveau.
« Toute l’équipe de direction a été licenciée, dont moi.
C’est comme ça qu’en 2007, je me suis retrouvée au chômage avec un petit pactole et un peu de temps devant
moi. Là je me suis dit que j’allais faire ce qui me trottait dans la tête depuis fort longtemps, à savoir créer
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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DEUX GRANDS TYPES DE CHANGEMENT QUI ONT LEURS SPÉCIFICITÉS
mon entreprise. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (création d’entreprise)
En tirant cette logique à l’extrême, certains peuvent voir
un avantage à provoquer cette situation :
« Ca se prépare à l’avance, ce n’est pas un coup de tête.
Ce qui a fait que je n’ai pas fait de changement violent,
c’est que ça s’est fait sur du long terme, j’ai anticipé. Il
faut savoir attendre le bon moment. Il y a eu un plan
de départ volontaire, je me suis mise dedans, ça tombait
bien. Mais 6 mois avant, ça ne serait peut-être pas bien
tombé. Il faut anticiper et être prêt à saisir une opportunité. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
« Il faut être prêt personnellement, être en phase avec ses
valeurs, faire un travail de prise de conscience de ce qui
sous-tend nos choix. On n’est pas maître de tout, il y a
un facteur chance, mais quand on est prêt on saisit les
opportunités et on monte dans le train. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
Cependant, il importe ici de noter que si l’allocation chômage et les éventuelles indemnités de départ peuvent permettre de mener à bien certains projets, les droits à la
formation peuvent être moindres pour le cadre au chômage qu’en activité. L’aspect financier, incontournable,
peut peser lourdement sur la mise en œuvre d’un projet de changement de métier.
• En interne, des choix plus opportunistes
Par définition, les changements en interne sont le fait de
cadres en poste, ce qui implique une moindre urgence à
définir et mettre en œuvre ce changement que pour les
cadres en recherche d’emploi.
Contrairement aux cadres ayant mené un projet de changement de métier en externe, la situation professionnelle des cadres rencontrés entreprenant un changement de
métier en interne était suffisamment stable pour leur
accorder le loisir d’attendre que la bonne opportunité se
présente.
Une envie plus diffuse de changer
Dans les cas de changement de métier en interne, l’envie
de changer est plus diffuse et moins clairement exprimée,
faute sans doute d’une urgence à convaincre. De fait, et
même si certaines pratiques en interne s’apparentent à des
processus de recrutement externe, des changements de
métier peuvent se faire en interne sans que le projet
soit extrêmement construit. Ainsi cette cadre qui s’est
déclarée presque incompétente lors de sa candidature au
poste qu’elle occupe actuellement :
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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« J’ai envoyé mon CV en précisant dans la lettre d’accompagnement que je n’avais en aucun cas les qualifications pour tenir ce poste, mais que la motivation et l’implication que je pouvais y mettre méritaient peut-être que
l’on se rencontre. » Cadre – projet abouti en mobilité
interne
Autre facteur explicatif du caractère moins construit des
projets de changement de métier en interne : le cadre souhaitant changer de métier sans changer d’entreprise
est tributaire des besoins de son employeur.
Parfois même, ce sont des éléments externes au nouveau métier qui deviennent déclencheurs du changement de métier en interne : le choix d’une équipe pour
ses qualités personnelles et professionnelles, le désir de
s’auto-évaluer…
« En fait, j’ai choisi les niveaux de poste et les hiérarchiques, plutôt qu’un contenu de poste. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
« Je voulais savoir si j’étais vendable pour un autre patron
que le mien. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
Des contextes d’entreprises qui encouragent à changer
Pour un changement en externe, l’action des entreprises
d’origine et d’accueil est limitée, dans le meilleur des cas,
à l’accompagnement de l’entrée dans le nouveau poste et,
lors d’un licenciement, au financement d’un outplacement.
Au contraire, le changement de métier en interne est
davantage accompagné par l’entreprise, et de façon
plus qualitative.
Le contexte de l’entreprise joue donc un rôle considérable
dans les changements de métier des cadres en interne.
Certaines entreprises incitent au changement, qu’elles
l’imposent ou qu’elles en véhiculent une image positive,
par exemple en encourageant les déclarations d’intention
au moment des entretiens annuels. Les entreprises qui ont
mis en place un processus de détection des envies, d’évaluation des candidats au changement, de formation et
d’accompagnement dans le nouveau poste, créent des
aspirations au changement.
Certains cadres peuvent même être directement sollicités
par leur entreprise. Une cadre bien installée dans son
poste après un premier changement de métier, et qui souhaite à nouveau changer, se voit proposer un poste par
sa responsable :
« Ma responsable m’a parlé d’un poste éventuel, mais
c’est quelque chose d’assez différent de ce que je fais et
je n’aurais plus ce contact avec l’extérieur. Il faut que je
demande plus de détails sur ce poste. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
DEUX GRANDS TYPES DE CHANGEMENT QUI ONT LEURS SPÉCIFICITÉS
■ UN PROCESSUS FACILITÉ POUR LE CADRE CHANGEANT DE
MÉTIER EN INTERNE
Le changement de métier en interne est caractérisé par
une démarche qui lui est propre et qui, à bien des égards,
peut paraître moins lourde qu’un changement de métier
en externe.
Que le changement se fasse en interne ou en externe, il
faut changer de poste pour changer de métier. Mais là où
les cadres en mobilité externe recherchent des opportunités auprès d’un grand nombre d’employeurs potentiels,
les cadres qui ne souhaitent pas quitter leur entreprise
ont comme enjeu majeur de trouver, au sein de leur
structure, un poste ouvert correspondant au nouveau
métier qu’ils souhaitent exercer. Dans leur expression, le
nouveau « poste » est omniprésent, y compris quand le
fait de rejoindre ce poste a impliqué pour eux de changer de « métier ».
• Un accès informel aux recruteurs internes
Le réseau informel joue un rôle particulier dans les changements de métier en interne. Il est également possible,
et recommandé par les cadres rencontrés, de prendre
contact directement avec son futur responsable ou avec
les équipes que l’on souhaite rejoindre, afin d’en savoir
plus sur les métiers et de se faire connaître.
« J’avais été voir une personne des achats pour discuter
avec elle et voir quel était son métier. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
« J’en ai parlé à droite et à gauche, et le bouche à
oreille fonctionnant très bien, j’ai su qu’il y avait un
poste ici ou un poste là. Et à partir de là, j’ai envoyé un
CV… Je disais que je n’étais absolument pas la personne
qu’ils cherchaient a priori mais néanmoins, il fallait qu’on
se rencontre. J’ai envoyé 2 mails et j’ai eu un rendezvous. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
« Il y avait un poste disponible, je l’ai appris un peu
par hasard et quand j’ai vu le chef de service, il a été très
enthousiaste par rapport à mon profil. » Cadre – projet
abouti en mobilité interne
« Dans les deux cas, je connaissais les gens qui étaient
les futurs supérieurs hiérarchiques. De près ou de loin,
mais je les connaissais et je me disais que c’était des gens
avec qui je pouvais avoir envie de travailler. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
Cet accès direct au futur responsable hiérarchique permet
de créer des postes sur mesure, à partir des compétences que le cadre peut apporter et des besoins de l’unité qu’il rejoindra. Ces ajustements de postes permettent
de tirer le meilleur parti de l’expérience antérieure de
cadres qui débutent dans leur nouveau métier :
«A ce moment-là, il n’y avait pas de poste ouvert et le poste que j’occupe maintenant est entre les achats et la technique. C’est un poste d’ingénieur approvisionneur qui a
été créé pour moi. Ils cherchaient quelqu’un qui s’occupe
des approvisionnements de systèmes assez complexes, en
provenance de l’étranger. Donc il fallait quelqu’un de
bilingue, avec une bonne base technique. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
«J’ai souvent créé mon poste. Je ne sais pas si j’aurais
été prise sur des offres de postes, mais j’ai toujours proposé quelque chose. Quand je suis arrivée sur mon dernier job,
c’est moi qui ai proposé de développer un dossier. Il n’y
avait pas de poste, et j’ai créé la structure. Je n’ai jamais
attendu un poste. Si j’avais attendu un poste, je n’aurais jamais fait le travail. » Cadre – projet abouti en
mobilité interne
On crée d’autant plus volontiers un poste sur mesure que
l’on connaît, que l’on apprécie et que l’on a confiance dans
le collaborateur qui propose de changer de métier. Pour
l’une de nos interlocutrices, il ne fait aucun doute qu’elle a pu accéder en interne à des postes qui lui auraient
été inaccessibles dans le cadre d’un changement de métier
en externe :
« Il se trouve que j’ai postulé et j’ai été prise parce qu’on
me connaissait sur un autre poste, je n’ai pas été prise de façon anonyme. Mais je pense que si j’étais venue
de l’extérieur, je n’aurais pas été prise. J’ai pu faire en
interne ce que je n’aurais pas pu faire en externe. Je
pense que j’ai profité au maximum de toutes les possibilités du groupe. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale) après des mobilités internes
« Dans la pratique, quand on connaît les gens, il y a de la
confiance et on y va. » Cadre – projet abouti en mobilité
externe (profession libérale) après des mobilités internes
• Des mouvements qui s’inscrivent dans un processus
RH formalisé
Après ces rencontres informelles, il faut toujours en passer par une phase plus formelle de recrutement. Certaines
entreprises ont formalisé un processus de changement de
métier : détection des aspirations au changement, évaluation des candidats, formation ciblée et accompagnement dans le nouveau poste.
« On a des entretiens annuels, voire biannuels, et lors de
ces entretiens, on peut parler de nos aspirations pour le
futur. Donc mon chef de service était au courant que s’il y
avait une opportunité vers les achats, c’était quelque chose qui m’intéressait. » Cadre – projet abouti en mobilité
interne
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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DEUX GRANDS TYPES DE CHANGEMENT QUI ONT LEURS SPÉCIFICITÉS
• Le confort d’une semi-rupture : la stabilité de certaines composantes du nouveau poste
Le cadre qui change de métier en interne bénéficie de la
stabilité de certains aspects de son quotidien professionnel. Sa connaissance préalable de l’entreprise, de ses
méthodes, sa culture et de son secteur limite les éléments
nouveaux à assimiler au moment de la prise de poste et
lui permet de concentrer son attention sur la structure
d’accueil (équipe, département) et son nouveau métier.
De même, il peut arriver que le changement de métier en
interne n’ait pas de répercussion sur le lieu de travail et
par conséquent sur l’organisation des déplacements quotidiens et de sa vie privée.
Enfin, le changement peut se faire sans répercussion négative sur le salaire quand un maintien du salaire est prévu par l’entreprise. Cet élément est loin d’être négligeable
car il est fréquent que, dans le contexte d’un changement
en externe, des cadres expérimentés redeviennent juniors
dans leur nouveau métier, ce qui implique une perte de
salaire.
« Nous avons comme politique de maintenir le niveau de
rémunération, même si le coefficient du nouveau poste est
inférieur. Cela nécessite une certaine pédagogie au sein des
équipes accueillante, mais nous, nous y tenons. » Entreprise - DG
• La sécurité d’un retour en arrière possible
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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Il arrive que le changement de métier ne soit pas d’emblée jugé définitif et qu’un retour en arrière soit possible.
Quand c’est le cas, c’est une sécurité supplémentaire pour
le cadre changeant de métier.
« Nous mettons la personne en situation de comprendre l’environnement où elle se trouve et nous testons sa perception, sa capacité à exercer un métier différent que celui
exercé. Nous avons un système de mobilité temporaire,
avec possibilité de retour pendant trois à six mois. »
Entreprise – DRH
Dans tous les cas, la période de transition entre les deux
métiers permet un changement progressif, davantage propice à une bonne appropriation du nouveau métier.
« Au début, j’ai eu un mois pendant lequel je faisais un
peu les deux métiers. Je terminais ce que j’avais fait
avant et je commençais dans l’autre poste. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT
DE MÉTIER DES CADRES
Les entreprises qui en ont fait l’expérience, par recrutement externe ou par changement en interne, tiennent
un discours paradoxal s’agissant du changement de
métier chez les cadres. Alors qu’elles privilégient lors
de leurs recrutements des profils proches, presque clo-
nés, elles tiennent un discours qui valorise le changement de métier.
■ UN DISCOURS PROSÉLYTE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
Extrêmement positif, ce discours met en avant les
bénéfices pour l’entreprise d’intégrer des cadres ayant
changé de métier et montre une valorisation certaine
des traits de caractère qui ont conduit le cadre à mener
ce changement.
Ce discours est relayé par les professionnels de l’accompagnement et partagé par certains cadres.
• Le changement de métier : un signe de dynamisme chez les cadres
Avoir changé de métier, c’est pour les recruteurs faire
montre de qualités particulièrement recherchées :
proactivité, dynamisme, adaptabilité… Autant d’indices d’une aptitude à l’innovation et au leadership :
« Ce que je trouve d’intéressant chez quelqu’un qui fait
ça, c’est qu’il a un esprit de changement, il sait changer. Donc par définition, c’est quelqu’un de plus adaptable, de plus flexible et de plus créatif. Il peut faire partie des manageurs plus innovants. Si dans ce
recrutement, je recherche quelqu’un qui a un profil de
manageur, si je recherche du leadership, je suis intéressée par quelqu’un comme ça parce que c’est quelqu’un qui s’est remis en cause et qui a bougé. C’est quelqu’un qui est apte à être réactif. » Professionnel de
l’accompagnement au changement
La démarche même de changer de métier est perçue
comme lourde et impliquante ; ce n’est pas quelque chose qu’on entreprend à la légère. En cela, c’est une véritable garantie de la motivation du cadre pour le métier
qu’il vise : il l’a choisi et il s’y est investi. Le cadre ayant
changé de métier nous est présenté comme une force
vive pour l’entreprise :
« Bien sûr que l’expertise de quelqu’un sur un secteur,
c’est important, mais ce qui compte le plus, c’est
quand même l’envie et l’investissement que la personne va mettre pour intégrer un poste. L’entreprise
a quelque chose à gagner dans le sens où elle aura recruté des personnes qui se seront prises en main et qui
auront pris le risque d’essayer de changer de métier et
de faire une remise en question pour s’investir pleinement dans un nouveau domaine. Elle sera assurée
d’avoir quelqu’un qui aura la motivation, l’envie de
travailler et qui va s’investir complètement. Aujour-
d’hui, les entreprises ont tout à gagner en recrutant des
personnes comme ça. » Cabinet de recrutement
Des cadres dynamiques, motivés, impliqués, telle
semble être la promesse du changement de métier pour
de potentiels employeurs. Outre cette dimension, qui
reste essentiellement individuelle, le changement de
métier est perçu comme bénéfique pour le groupe, pour
les équipes accueillant des cadres en ayant fait l’expérience.
• Un enrichissement par la diversité pour l’entreprise
Ces cadres ayant changé de métier apportent du renouveau aux équipes en place, du sang neuf en quelque
sorte. Leur expérience antérieure, leur connaissance
d’autres métiers ou d’autres secteurs, en somme d’autres
contextes professionnels, leur regard frais sur leur nouveau métier, tout concourt chez eux à mettre en perspective les habitudes des équipes en place.
Les recruteurs rencontrés, en cabinet de recrutement
ou en entreprise, s’accordent pour reconnaître aux
cadres ayant changé de métier une capacité à donner
« des vues un peu plus larges », à faire « respirer l’entreprise » :
« Ce sont des gens beaucoup plus riches par rapport à
des gens qui seront « mono compétence ». C’est quelqu’un qui aura l’expérience d’autres fonctions, éventuellement d’autres secteurs et ça, c’est quand même une
expérience qui va donner aux gens des vues un peu
plus larges. C’est comme celui qui a voyagé par rapport
à celui qui n’a pas voyagé, si on veut trouver des métaphores. » Cabinet de recrutement
« Les changements de métier, ça fait respirer l’entreprise, respirer les individus. Il y a des bénéfices pour
l’équipe accueillante : quand ça marche bien, c’est très
vertueux » Entreprise - manageur
Il faut voir là peu ou prou la reconnaissance de l’apport de la diversité au sein de l’entreprise, en termes
de renouvellement des façons de faire et penser. Les
cadres ayant changé de métier représentent également
pour l’entreprise une promesse d’enrichissement par la
différence.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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21
LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES
■ UN CHANGEMENT DIFFICILE EN EXTERNE
Le discours sur le changement de métier est certes positif, et les cadres ayant changé de métier sont présentés
par leurs recruteurs potentiels sous un jour favorable,
mais force est de constater que cette perception générale positive n’est pas suivie d’effets.
• Dans les faits, des recrutements externes qui restent
rares
Les professionnels de l’accompagnement du changement
de métier sont formels : la « diagonale » qui consiste à
changer concurremment de métier et d’entreprise est
extrêmement rare chez les cadres. Certains la présentent
même comme quasi impossible, un clonage des profils
étant souvent privilégié.
• Des blocages moindres pour certains méta-métiers
Pour certaines catégories de métiers, la « diagonale »
semble davantage accessible. Ces métiers ont la particularité de mobiliser des compétences génériques, qui vont
au-delà des connaissances techniques ou propres à un secteur.
Les fonctions transverses inhérentes à certains métiers de
départ permettent de développer des compétences qui
pourront être mobilisées dans le métier d’arrivée. Les
ingénieurs, rompus entre autres choses à la gestion de
projet, sont nombreux à choisir d’utiliser ces compétences transverses - on peut parler comme pour les
métiers de méta-compétences - dans un nouveau métier.
Certains métiers d’arrivée sont plus accessibles car ils
mobilisent des méta-compétences, notamment comportementales, qui ont pu être développées dans d’autres
contextes. Commercial, consultant, manageur, communicant ou responsable RH sont au nombre de ces métamétiers.
« Par exemple quelqu’un qui serait commercial dans un certain domaine et qui voudrait avoir une fonction de chargé
d’affaires dans une entreprise générale ou une entreprise
d’installation. Certes, il faudrait qu’il soit accompagné
au départ pour connaître les spécificités techniques du
métier. Mais du fait qu’il a été commercial auparavant,
il a une facilité d’élocution et une expérience au niveau
relationnel, ce qui est très important pour les postes de
chargé d’affaires. Il faut un bon relationnel, suivre le client
et les affaires jusqu’au bout, donc on peut s’appuyer sur
des compétences qui ont pu être développées en transverse et qui permettent de pouvoir s’adapter à un autre
poste. » Cabinet de recrutement
« Pour les personnes qui ne produisent plus et qui ne
font qu’encadrer, les parallèles se font plus facilement. »
Cabinet de recrutement
22
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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« Certains métiers sont plus accessibles. Par exemple DRH
versus un ingénieur qui construit des ponts. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Un consultant en recrutement explique que son expérience dans l’événementiel sportif, alors qu’il n’a pas de formation initiale en RH, a convaincu son employeur qu’il
avait les compétences comportementales nécessaires à
l’exercice de son nouveau métier :
« Moi-même, je suis un bon exemple puisque je travaillais
avant dans l’événementiel sportif. J’ai intégré cette agence de recrutement parce qu’ils sont allés sur d’autres qualités, justement. Ils ont pensé que j’étais quelqu’un qui
avait un bon relationnel, le secteur m’intéressait, donc
ils m’ont donné ma chance et ils m’ont fait confiance.»
Cabinet de recrutement
Même quand elles mobilisent des compétences transverses, ces évolutions professionnelles sont perçues par
les cadres comme un véritable changement de métier :
il leur faut développer une nouvelle culture professionnelle, propre à leur nouveau métier.
« Ça a été pour moi un grand changement : du management et du pilotage. J’ai dû m’acculturer, m’approprier les
mots de l’opérationnel. Une intensité de stress qui n’a rien
de commun avec ce que j’avais vécu. Il fallait intégrer les
automatismes du pilotage opérationnel. » Cadre – projet
abouti en mobilité interne
• Des réticences accentuées par la crise économique
actuelle
La conjoncture économique actuelle a conduit à un
accroissement de la demande de performance au sein des
entreprises, ce qui a pu accentuer leur frilosité face au
recrutement et aux investissements qu’il implique, en
temps, en argent et en énergie, toutes ressources qu’il
convient aujourd’hui de gérer avec parcimonie.
A besoins immédiats, opérationnalité immédiate (temps)
Le temps requis avant qu’une nouvelle recrue ne soit complètement opérationnelle est présenté comme rédhibitoire. Il importe aux recruteurs de réduire au strict minimum
le temps entre l’émergence d’un besoin et sa satisfaction.
Le temps de formation dans le nouveau métier, que sa
nécessité soit réelle ou supposée, est un frein majeur
au recrutement de cadres ayant changé de métier :
« Quand on propose quelqu’un de différent, les entreprises
nous disent : « non, non, on n’aura pas le temps de le former ». Elles s’imaginent qu’il va falloir 8 mois à 1 an
pour que la personne soit opérationnelle, et ce n’est pas
LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES
forcément vrai. Ça peut se faire rapidement à condition de
débloquer un minimum de temps pour s’en occuper… mais
malheureusement, ça n’est pas le cas aujourd’hui. » Cabinet de recrutement
« On n’a pas le temps de former quelqu’un pour ce
métier : la démarche commerciale est relativement longue,
le cycle de vente est d’un an. » Entreprise - DG
« L’équipe et le manageur d’arrivée vont accueillir une personne qui n’est pas 100% opérationnelle. La personne en
réorientation qui prend le poste est forcément en décalage. » Entreprise - DG
Des réticences à investir dans la formation et l’accompagnement
des nouveaux entrants (coûts)
La formation a un coût en temps ; elle a également un
coût financier, qu’il s’agisse précisément du temps dégagé pour assurer cette formation ou d’un investissement
dans des modules de formation professionnelle en externe. Le contexte, durci par la crise, n’y est pas favorable :
« Le marché est dur actuellement, c’est la crise, il y a une
pénurie d’emplois compensée peut être par le papy boom.
Les entreprises sont frileuses et regardent d’abord la promotion interne.» Professionnel de l’accompagnement au
changement
« Sincèrement, on y est ouvert. Mais dans les faits, en 4 ans,
on n’a pas recruté de cadre en changement de métier : l’intendance est lourde, l’investissement aussi. Cela ne pose
aucun problème pour les gens qu’on connaît, mais sinon c’est
difficile. » Entreprise - DRH
• Des conséquences jugées lourdes en cas d’échec
Le risque d’un échec pèse considérablement sur la perception initiale plutôt favorable des entreprises. Les recrutements tendent globalement à être perçus comme des
risques. Dans le cas du cadre changeant de métier, le
risque est accru dans la mesure où l’opérationnalité du
cadre sur le nouveau métier n’a jamais été éprouvée. Les
arguments avancés en défaveur d’un tel recrutement ne
sont pas purement objectifs ; par crainte d’un échec, les
recruteurs potentiels choisissent l’autocensure.
Un responsable RH souligne le risque d’un certain découragement des équipes accueillantes et du management à
qui on a demandé des efforts particuliers, notamment en
termes d’aménagement de la charge de travail, afin de faciliter l’insertion de la nouvelle recrue :
« L’équipe et le manageur d’arrivée vont accueillir une personne qui n’est pas 100% opérationnelle. La personne en
réorientation qui prend le poste est forcément en décalage. D’où des difficultés pour l’équipe et des tensions possibles car on déroule le tapis rouge pour une personne
qui leur apporte une surcharge de travail. » Entreprise
- DRH
La crainte que tous les efforts d’insertion, que toute l’énergie mise dans ce recrutement seraient vains semble être
un frein récurrent chez les manageurs. Le temps inhérent
à ce type de recrutement et la surcharge de travail qu’il
induit pour les équipes concernées sont également présentés comme un mauvais investissement, sinon comme
un échec personnel du manageur, quand le recrutement
s’avère un échec :
« Il y a beaucoup de réussites, mais quand il y a un échec
c’est dur : c’est une remise en cause personnelle. Ca m’est
arrivé une fois. C’est peu agréable ce temps perdu. Ca coûte 8 mois car il faut lancer un autre recrutement. L’organisation est chamboulée, avec une prise en charge par
moi-même et l’équipe. D’où une réticence aujourd’hui ».
Entreprise - manageur
En somme, en dépit de ses attraits reconnus par l’entreprise en termes de respiration des équipes en place et de
dynamisme du cadre nouvellement recruté, le changement
de métier pèche principalement par son relatif manque
de garanties. Par contraste, un grand conservatisme dans
les profils recrutés semble privilégié.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES
■ LA PRÉVALENCE DU CLONAGE DES PROFILS
Le poids accordé au diplôme, à des parcours types, et une
tendance à rechercher des profils déjà connus et éprouvés sont présentés par les personnes rencontrées comme
des traits typiquement français :
« En France, quand on recherche un emploi on nous demande d’avoir telle expérience, tel diplôme. On aime bien les
cases. » Cadre – projet inabouti
« De toute façon, quand il y a blocage, ça résulte souvent d’un état d’esprit propre aux employeurs en France. En France, il y a les personnes à diplômes et les personnes spécialisées dans un domaine particulier, et c’est
tout. » Cabinet de recrutement
Le caractère parfois indépassable de ces « cases » a un
nom : on parle de clonage des profils, signe d’une difficulté à gérer l’individualité, la particularité de chaque
situation professionnelle. La recherche de clones tend à
gommer les spécificités de chacun et par là même à décupler le nombre de candidats équivalents :
« Il est plus difficile de changer de métier que de secteur,
d’où la recommandation de changer de métier dans la
même entreprise. Dans une entreprise il existe des points
de repère, des réseaux, des situations de confort. Il est difficile de changer de métier et d’entreprise qui cherche
un clone, et où il y aura de la concurrence. En interne,
c’est différent. » Professionnel de l’accompagnement au
changement
Le clonage des profils est globalement perçu comme
une minimisation des risques de recrutement.
• Le recours à des processus de recrutement qui laissent peu de marge de manœuvre
Le cahier des charges imposé aux cabinets de recrutement, qui détermine notamment la rareté des profils et
les coûts qui peuvent être associés à une chasse plutôt
qu’à une autre, est présenté comme producteur d’effets
pervers. Il exclut souvent des profils de cadres ayant changé de métier :
« Le coût financier pour l’entreprise que représente un
recrutement par un cabinet justifie souvent le fait qu’on
soit obligé de trouver les personnes qui sont déjà expérimentées dans un domaine particulier. Il est très difficile de présenter quelqu’un qui aurait travaillé pendant 15
ans dans la grande distribution et qui tout d’un coup voudrait travailler dans le domaine du bâtiment. Vous imaginez bien que, par rapport à la facture qui est envoyée au
client, ce peut être assez compliqué. » Cabinet de recrutement
Un manque d’ouverture des entreprises à la diversité des
profils est également pointé du doigt par les spécialistes
du recrutement :
« Quand il y a blocage dans un recrutement, cela résulte
souvent d’un état d’esprit propre aux employeurs français :
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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ils ne veulent voir que les personnes à diplôme et les
personnes spécialisées dans un domaine particulier. »
Cabinet de recrutement
L’industrialisation des processus de recrutement,
notamment dans les grandes entreprises, laisse peu de place au sur mesure, à ce qui sort de l’ordinaire, en somme
à la diversité :
« Nous avons un recrutement standardisé, pas de grande diversité, et pas de recrutements de reconversions.»
Entreprise - DRH
• Vers l’émergence d’un clonage de parcours entre
cadres ayant changé de métier ?
Il a été observé un assouplissement des réticences et des
procédures de recrutement dans des cas où le recruteur
lui-même avait changé de métier, ou dans des entreprises
où l’intégration de cadres ayant changé de métier avait
été réussie précédemment.
« Là aussi il y a d’autres facteurs qui rentrent en jeu, comme l’interlocuteur qu’on a en face de nous. Ça peut être
plus facile si cet interlocuteur a déjà eu sa propre expérience de changement de métier. Je me souviens d’un cas
où le responsable de l’agence de maîtrise d’œuvre venait
lui-même de l’exécution. Comme le candidat, il avait travaillé 5 ans dans une entreprise d’installation comme
chargés d’affaires avant d’accéder à la maîtrise d’œuvre
comme ingénieur de bureau d’études. Comme il avait
déjà vécu ça, il a été prêt à recevoir le candidat. » Cabinet de recrutement
« Il y a 3-4 ans j’aurais eu plus de réticences. Maintenant que j’en ai fait l’expérience, je me dis pourquoi
pas ? Cela évite l’endogamie des filières. La lettre de
motivation, l’appétence importent. Et les compétences de
rigueur et d’animation de réseau sont les mêmes
qu’ailleurs. C’est une posture à acquérir plus qu’une technique. Le savoir être est le plus dur à acquérir. Apprendre
une chaîne graphique ce n’est pas la mer à boire, ça prend
3 jours. » Entreprise - manageur
Ce type d’exemples suscite une interrogation : avec l’accroissement, pressenti par certains professionnels de l’accompagnement, des changements de métier dans un
contexte où les parcours professionnels se font de moins
en moins linéaires, les cadres ayant changé vont-ils coopter à leur tour des cadres ayant fait la même expérience
du changement ? En d’autres termes, le recrutement des
cadres ayant changé de métier peut-il se développer par
capillarité ? Plusieurs fois, des professionnels de l’accompagnement et des cadres RH ont expliqué avoir eux-mêmes
changé de métier.
LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES
■ UN CHANGEMENT EN INTERNE DAVANTAGE USITÉ
Dans la pratique, le recrutement des cadres ayant changé de métier semble plus courant en interne. Pour les responsables RH ou les manageurs rencontrés, il présente
des avantages certains dans un contexte relativement
contraint.
• Des risques limités
Le changement de métier est associé pour des interlocuteurs côté entreprise à un fort investissement. Il est
également perçu comme présentant des risques. Les
bénéfices de ces changements sont cependant acquis,
tant en termes de diversité que de dynamisme des candidats. Le changement de métier en interne est un compromis, préservant les avantages liés au changement de
métier tout en en limitant les coûts et les risques : elle
concerne des collaborateurs que l’on connaît, et qui
connaissent l’entreprise.
Capital confiance
Cette connaissance mutuelle alimente un capital de
confiance, accordé à un candidat au recrutement interne, qu’on le connaisse directement ou indirectement.
L’ancien responsable hiérarchique d’un collaborateur peut
faire un retour. Les projets sur lesquels il est intervenu
par le passé peuvent être connus dans l’entreprise. Globalement, son parcours est plus facile à saisir et à interpréter.
« Dans la pratique, quand on connaît les gens, il y a de
la confiance et on y va. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale) après des mobilités
internes
Capitalisation sur la connaissance de l’entreprise
La connaissance de l’entreprise par les candidats internes
joue également en leur faveur. La compréhension du secteur, des produits et des marchés de l’entreprise réduit
le temps d’intégration dans le nouveau poste :
« Pendant l’entretien, ils m’ont posé des questions sur ma
connaissance de l’entreprise, les projets que j’avais pu
mener, la connaissance des circuits et la façon dont j’avais
pu me débrouiller dans mon boulot précédent. » Cadre –
projet abouti en mobilité interne
Les candidats qui changent de métier en interne ont en
outre prouvé qu’ils maîtrisaient, suffisamment pour opérer ce changement, le fonctionnement de leur entreprise, qu’ils savaient y faire jouer leur réseau.
• Un moyen de fidéliser les cadres en recherche de
changement, d’évolution
Les changements de métiers en interne ont un intérêt
du point de vue de la gestion des ressources humaines.
Ils sont présentés comme un facteur de fidélisation de
collaborateurs en recherche d’évolution ou de changement : la possibilité de répondre en interne à ces aspirations permet de limiter le turn-over et d’entretenir la
motivation des équipes.
« La période actuelle de contraintes budgétaires est favorable aux mobilités internes plutôt qu’externes. Pour fidéliser ses équipes, l’entreprise a intérêt à les motiver
en proposant des parcours variés. En plus elle connaît
ses collaborateurs et sait quelle confiance leur accorder.
C’est gagnant-gagnant. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Dans la période actuelle de restriction budgétaire des
entreprises, le spectre des marques de reconnaissance et
de gratification des collaborateurs s’est considérablement rétréci. Assurer ces « parcours variés » peut être
une façon de valoriser les collaborateurs, et ce indépendamment des enveloppes budgétaires allouées aux augmentations.
La possibilité d’y exercer différents métiers au cours de
sa carrière fait partie de la promesse employeur des
grandes entreprises, et contribue vraisemblablement à
leur attractivité.
• Un moyen de se maintenir dans l’emploi
Autre avantage perçu du changement de métier en interne : il améliore l’adaptabilité des collaborateurs, ce qui
permet d’anticiper leur maintien dans l’emploi.
« Dans changement de métier, le mot le plus important
c’est changement, à un moment où on parle de gestions
des risques, risques psychosociaux, risques liés à la
contrainte de performance. C’est de l’ordre de la responsabilité sociétale de l’entreprise. L’employabilité est plus
modeste quand on reste dans un processus de travail
sans mobilité. Le changement de métier est de nature à
créer une capacité d’adaptation.
Ce qui est dramatique chez les seniors, c’est d’être un
quinqua qui est resté plus de 10 ans sur son poste, plus
que le fait d’être quinqua. C’est un processus psychologique d’accommodation à son environnement. Il y a une
vraie difficulté à voir comment on pourrait aborder cela
en terme de mobilité, d’accompagnement. C’est la 2e partie de carrière qui est en jeu, à l’heure où on est senior à
50 ans.» Entreprise - DRH
« Chacun y trouve son compte : en contrepartie d’une
certaine garantie d’emploi, et de la possibilité de varier
dans ses activités, l’entreprise a l’assurance de pouvoir faire coïncider son vivier et ses besoins. C’est une richesse
de l’entreprise de proposer de rester 30 à 40 ans avec
des métiers différents. » Entreprise - manageur
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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LE REGARD DE L’ENTREPRISE SUR LE CHANGEMENT DE MÉTIER DES CADRES
Dans les cas de suppression de postes liés à des métiers
qui disparaissent, le changement de métier en interne
est la seule voie possible de maintien dans les effectifs
de l’entreprise :
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
©
« Le recrutement se fait essentiellement par mobilité interne : c’est une politique délibérée de l’entreprise pour
maintenir dans l’emploi des métiers en réduction.»
Entreprise - manageur
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
La diagonale qui voit le cadre changer dans le même
temps de métier et d’employeur est relativement rare.
Au-delà de cet écueil, les difficultés rencontrées par les
cadres aux différentes étapes de leur changement de
métier sont nombreuses. Elles sont ici abordées sous
l’angle des conditions permettant de les surmonter.
Le changement de métier est un projet de longue haleine, particulièrement impliquant. La temporalité globale de ce changement, de la première idée à une relative aisance dans le nouveau métier, se compte en années.
Par exemple, une ancienne cadre marketing qui souhaite devenir orthophoniste aura mené son projet sur une
période de sept ans : de la prise de conscience d’une
lassitude de son métier premier au bilan de compétences - lequel fait émerger des pistes encore très
proches de son métier antérieur, à l’idée de devenir
orthophoniste, qui s’impose à elle comme une révélation et l’amène à entreprendre des études qui dureront
quatre ans.
Les contours du projet de départ sont souvent flous ;
plusieurs projets sont parfois menés en parallèle. Certaines pistes retenues s’avèrent mauvaises, décevantes,
inadaptées en somme.
Par exemple, un ancien journaliste en cours de reconversion vers la communication « responsable » a eu précédemment pour projet de monter une crèche biologique et écologique, conforme à ses convictions
profondes. Bien avancé, le projet n’aboutit cependant
pas, bloqué suite à des problèmes personnels de ses
associés.
Il faut alors reprendre le fil d’un projet de long terme.
Savoir également saisir des opportunités parce qu’elles
font progresser dans la bonne direction, quitte à écorner quelque peu le projet idéal.
Par contraste, le bilan de compétences, qui peut apparaître comme une première étape du processus de changement de métier, est relativement bref. Ce bilan, qui
peut donner l’illusion d’être une solution clef en
main, n’est qu’une étape d’un long processus. On ne
change pas de métier sur décret, du jour au lendemain.
■ LE NÉCESSAIRE TRAVAIL SUR LE PROJET DE CHANGEMENT DE
MÉTIER
« Le changement ne se décrète pas : il se prépare. Un
travail sur les compétences, le projet, la communication
du projet, le CV, l’argumentaire pour les entretiens, les
approches réseaux plus que des réponses aux annonces.
» Professionnel de l’accompagnement au changement
La principale recommandation des professionnels de
l’accompagnement aux cadres dans leur changement de
métier est de construire et de consolider leur projet de
changement. D’après leurs recommandations, assez
proches des recommandations classiques en matière de
recherche d’emploi, ce projet doit inclure :
– une phase de détermination des envies et de travail
sur les compétences qui sont le mieux transférables au
projet ciblé ;
– une phase d’étude de marché qui viendra infléchir
éventuellement l’orientation du projet ;
– suivie le cas échéant d’une phase d’acquisition de
nouvelles compétences, par exemple par la formation ;
– et d’une phase de marketing et de communication de
son projet. La formation, qui peut être perçue comme
une garantie, un nouveau label métier, peut également
être mobilisée dans la phase de marketing du projet.
« Un changement réussi avec garantie de pérennité,
c’est une stratégie, une méthodologie, des outils :
bilans, tests, supports de développement personnel,
stages, analyse de ses valeurs, etc. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Ces préconisations des professionnels de l’accompagnement au changement doivent s’entendre comme
un déroulé idéal. Mais de fait, les cadres rencontrés
concernés par un changement de métier en externe ont
suivi ces grandes étapes, sans qu’ils aient nécessairement conscience de se conformer au schéma idéal prescrit et sans qu’ils soient nécessairement accompagnés
dans toutes les phases. Ces étapes leur paraissent assez
logiques et nécessaires à la bonne conduite de leur projet : plus qu’un parcours idéal, ce déroulé correspond
chez les cadres à une méthode de questionnement,
dont les différentes étapes alimentent le processus
de maturation du projet.
On retrouve également ces différentes phases dans les
cas de changements de métier en interne mais elles
sont davantage survolées par les cadres rencontrés et
correspondent à des pratiques moins formelles que dans
les cas de changements en externe.
Pour autant, le respect de ces étapes n’est pas suffisant
à assurer le succès d’un projet de changement de métier.
Ce n’est pas aussi simple que la mise en pratique d’une
méthodologie. D’autres éléments conditionnent la réussite du changement de métier, et notamment des questions de temps et d’argent.
• Le travail sur les compétences
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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27
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
Mettre des compétences en face du métier choisi, voilà
une étape cruciale du processus recommandé par les spécialistes de l’accompagnement aux cadres dans leur changement de métier.
L’alignement sur ses motivations
Le choix du métier résulte d’un questionnement sur les
motivations profondes des cadres ; il n’est donc pas rare
qu’ils aient développé, à côté de leur vie professionnelle,
des activités en lien avec les centres d’intérêt qu’ils chercheront à mobiliser dans leur nouveau métier. Ainsi ce
cadre s’oriente-t-il vers les métiers du développement
durable alors que sa maison est un modèle d’efficience
énergétique :
« J’ai eu l’exemple d’un développeur commercial qui avait
envie de changer. Il savait ce qu’il ne voulait plus faire :
développer des franchises sans valeurs. Il avait des valeurs
fortes en lien avec le développement durable. Mon travail
a été de le faire s’aligner avec vigueur sur ses valeurs :
trouver toute l’énergie pour entamer ce nouveau cap. Il a
entrepris un Master Développement Durable via le Fongecif. Puis il a réactivé son réseau et il a trouvé un joli poste de Directeur du développement durable dans une
enseigne : un virage à 90°. (…) Je l’ai fait travailler sur
ses motivations profondes, (…). Et prendre confiance
dans sa façon de fonctionner, dans son envie de s’orienter dans cette direction. Puis il s’est agi de recouper avec
ses compétences acquises et transférables. Ces compétences sont parfois liées à des activités extraprofessionnelles. C’est un grand révélateur de cohérence. Il avait
déjà une maison avec des pompes partout, des diodes, il
était très branché AMAP. Je lui ai dit : à 40 ans la vie n’est
pas une répétition générale, il faut se brancher sur ses
motivations profondes. » Professionnel de l’accompagnement au changement
L’alignement du projet professionnel sur des valeurs
ou des intérêts est pour les professionnels de l’accompagnement du changement la meilleure garantie d’être
convaincant dans la défense de son projet et de se réaliser pleinement dans son nouveau métier.
« Quand la personne est en ligne avec son projet, elle
a une énergie que rien n’arrête, un pouvoir de conviction qui décuple le pouvoir de réussir. Ca transforme les
gens. » Professionnel de l’accompagnement au changement.
L’identification de compétences transférables et des fondamentaux
Une fois déterminé le métier cible, il incombe au cadre
de recenser les compétences mobilisées dans son métier
actuel, dans ses postes passés ou dans ses activités
externes à l’entreprise, qui peuvent être utiles au métier
28
Apec - Le changement de métier chez les cadres
©
visé. Il s’agira ensuite de pallier des manques sur certaines
compétences nécessaires au nouveau métier.
« Il faut vraiment se poser la question de son socle de compétences de base. Soit on a un vrai projet de faire autre
chose : c’est très réfléchi, pensé, cela a du sens : créer une
entreprise, se reconvertir, changer de secteur : il faut l’encourager. Soit on en a juste marre de faire ce que l’on fait,
mais personne ne nous accueillera à bras ouverts. On
n’échappe pas à sa plateforme : on a des fondamentaux
à ne pas lâcher. Il faut se méfier des envies de changement de la quarantaine : cela peut être contreproductif de
saborder ses fondamentaux. » Entreprise - manageur.
L’atout de compétences comportementales
Des compétences plus diffuses, moins aisément identifiables, peuvent également contribuer au succès dans son
nouveau métier. Certaines compétences relationnelles,
interpersonnelles, sont transverses à plusieurs métiers.
D’autres, développées en dehors ou lors d’une précédente expérience, peuvent s’avérer de la première importance pour le nouveau métier.
« J’ai pas mal voyagé, j’ai développé plusieurs langues,
j’aime le contact. Le métier que j’avais avant était
essentiellement un travail devant l’ordinateur et j’avais
peu de contacts avec l’extérieur. Alors que maintenant,
mon métier consiste vraiment à faire l’interface entre
ma société et l’extérieur. » Cadre – projet abouti en
mobilité interne
« Dans le cas des personnes qui font des virages à 380°,
il n’y a pas grand-chose qui reste au niveau des compétences… Le gars qui était contrôleur de gestion qui voulait devenir décorateur d’intérieur, il n’y avait pas grandchose ; il aimait bien bricoler, il était plutôt manuel, il avait
un passé sportif et puis voilà. Après on a plus joué des
méta-compétences et sur des compétences clef : l’ouverture à la nouveauté, l’adaptabilité, des choses comme
ça. » Professionnel de l’accompagnement au changement
• En interne comme en externe, une nécessaire mise
en adéquation du métier projeté avec la réalité
Aussi construit et aligné soit-il, un projet de changement
de métier ne saurait s’abstraire de la réalité du marché.
C’est bien un recrutement en interne ou dans une autre
entreprise, ou bien un succès dans l’activité entrepreunariale ou libérale engagée, qui doit le valider. Il importe
d’éprouver son projet, relativement en amont de la
démarche de telle sorte à ne pas se fourvoyer dans des
voies sans issue.
La confrontation au marché du projet rêvé
La confrontation du projet au marché se fait par des
démarches relationnelles proactives : aller rencontrer des
entreprises, des professionnels du nouveau métier, des
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
organismes de formation, étudier les offres d’emploi… et
recueillir, au cours de cette enquête métier, des informations sur le métier et un retour sur son projet. En interne, une immersion dans le métier projeté peut être organisée.
« Je les envoie enquêter en entreprise, faire du surfing
relationnel, viadeo, les anciens élèves… » Professionnel
de l’accompagnement au changement
Ces démarches sont nécessaires que l’on vise un changement de métier au sein de son entreprise ou en externe,
pour rejoindre une autre entreprise ou se mettre à son
compte. Elles évitent en effet des déceptions et permettent d’adapter son projet pour mieux coller à la demande existante dans son nouveau métier.
Des risques particuliers en interne
En interne, les aspirations déclarées au changement de
métier peuvent finalement déboucher sur de la frustration
quand elles ne peuvent être satisfaites.
« L’entreprise encourage moins les formations type Master
en CIF. Un exemple : un ingénieur a suivi un master de
philosophie pour intégrer la direction de l’éthique. Or
il n’y avait pas de postes ouverts et le cadre avait envie
de mettre en pratique. Son retour fut difficile. Je l’ai mis
sur des rédactions d’argumentaires pour des dirigeants, j’ai
essayé d’utiliser ses compétences de prise de hauteur au
service des top-manageurs. Mais il était frustré. » Entreprise - manageur
Dans d’autres cas, les demandes qui ne sont pas estimées
en phase avec les besoins de l’entreprise présentent le
risque d’être perçues comme un désengagement de la part
du cadre qui en est l’émetteur.
« Je suis allé voir la DRH du groupe et je lui ai dit que je
souhaitais évoluer vers des métiers de l’environnement et
que j’allais faire une demande de CIF. C’est assez compliqué quand on est arrivé à un niveau de compétences et
qu’on fait une demande de CIF pour faire autre chose.
Les RH, le patron étaient un peu outrés. J’ai fait ma
demande de CIF et on l’a acceptée à condition que je
quitte l’entreprise. Ça n’a pas été trop compliqué, parce
qu’après, il y avait des charrettes qui arrivaient et ça les
arrangeait plutôt. » Cadre – projet abouti en mobilité
externe (salarié)
• Le marketing et la communication de son projet
Une fois identifiées et complétées les compétences nécessaires au métier visé, une fois vérifiée, et le cas échéant
ajustée, l’adéquation entre le projet de changement de
métier et les attentes du marché, il reste encore au cadre
à convaincre des recruteurs, ou ses premiers clients dans
le cas d’une activité indépendante.
De fait, cette dernière phase de communication de son projet de changement de métier est loin d’être aisée. Avant
tout parce que le changement de métier, quoique globalement valorisé, est perçu par les entreprises comme risqué et lourd en investissements. Une réticence confirmée
par des spécialistes de l’accompagnement des cadres, en
même temps qu’ils fournissent la clef du succès :
« Le changement est anxiogène pour les autres, les recruteurs, il s’agit d’être crédible dans ce changement. »
Professionnel de l’accompagnement au changement
Etre crédible, c’est d’abord savoir parler de son parcours
et de son projet. C’est aussi mobiliser sa connaissance du
métier, glanée au fil de rencontres réseau, le cas échéant
consolidée par la formation. Et apporter des preuves irréfutables de sa compétence, par un discours clair sur ses
compétences transférables et éventuellement par le label
d’une formation qualifiante ou diplômante. Ce discours,
disent les accompagnateurs du changement de métier des
cadres, permet de « mâcher le travail des recruteurs ».
Rendre visible son profil et son parcours, par exemple grâce à un blog professionnel, permet de « contourner le
manque d’expérience ».
« Il y a plusieurs buts à ce blog professionnel. D’abord, me
rendre plus visible. […] L’idée du blog, c’est de mettre
en avant une personnalité incontournable, de se positionner comme une sorte d’expert. Je voulais faire la
même chose pour la communication responsable qui est un
secteur relativement peu connu. » Cadre – projet en cours
• La formation comme preuve objective du changement
La formation peut jouer un rôle d’appui au marketing et à
la communication de son projet. Les professionnels de l’accompagnement du changement de métier sont unanimes,
la formation est la preuve ultime de la motivation du cadre
et de sa capacité à assurer son nouveau métier :
« Le bras armé, c’est la formation de courte durée, les
stages, pour labelliser son changement. » Professionnel
de l’accompagnement au changement
« Si elle fait des formations en rapport avec le secteur dans
lequel elle a envie de travailler et si elle s’arrange pour faire un peu d’alternance pour avoir un pied dans l’entreprise, ce sera plus facile d’être recrutée. » Cabinet de recrutement
« Il est très difficile de changer de métier et de secteur.
Pour faire la diagonale, il faut avoir une formation qualifiante qui confirme son engagement et valorise la professionnalisation. » Professionnel de l’accompagnement
au changement.
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
■ LES MOYENS DU CHANGEMENT DE MÉTIER
Du fait de sa longueur, de sa complexité, c’est une
démarche qui peut s’avérer incertaine, difficile. Il importe lorsque l’on nourrit un tel projet de se donner les
moyens de la réussite, de s’assurer les moyens du changement de métier rêvé.
• Le bon moment
Le changement de métier est un projet de long terme,
qui implique un temps de maturation. Le cadre souhaitant changer de métier doit trouver la bonne fenêtre de
tir dans ce processus long : celle qui correspond à l’état
d’avancement de sa réflexion personnelle, mais également celle qui sera la plus favorable au vu d’éléments extérieurs (entourage, situation professionnelle).
Le bon moment pour soi, et pour son entourage
L’un des cadres rencontrés entreprend son changement de
métier suite à une rupture professionnelle et à la négociation de son départ. Il habite en province mais le projet de changement de métier qu’il construit nécessite un
déménagement à Paris, pour qu’il puisse y suivre une formation. Pour son épouse, son échec à l’entrée de cette
formation est un soulagement :
« Je n'ai pas été retenu... je pense que c'est raisonnable
et ça a été certainement une forme de soulagement pour
elle. Les choses auraient été certainement compliquées.
Soit elle restait sur place et elle faisait la navette je ne sais
pas comment. On aurait eu forcément beaucoup moins
d'argent. D'un point de vue familial, je pense que ce n'était
pas si mal que ça de n'avoir pas été retenu. Pourtant, je
l'avais bien préparé. » Cadre – projet inabouti
S’assurer de la concordance de son propre projet avec le
parcours, les projets, les contraintes de ses proches, de
son conjoint en particulier, permet de garantir un soutien
indéfectible de son entourage, qui constitue un facteur
capital de succès.
Un passage obligé pour les seniors ?
Il est difficile de déterminer un moment de la vie qui serait
le mieux adapté, ou le plus propice, aux changements de
métier. Certains âges, cependant, sont davantage concernés par ces changements. D’une part, le maintien dans
l’emploi des seniors est au cour des débats sur les retraites.
D’autre part, retrouver un emploi salarié après cinquante ans quand on est au chômage paraît de plus en plus
difficile. Le changement de métier pourrait donc devenir
un passage obligé pour les seniors. Il s’agirait plus particulièrement pour eux de recréer, hors d’une situation de
salariat, les conditions d’exercice d’un métier.
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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« Vous avez un certain nombre de personnes qui vous
disent : ‘moi, de toute façon, dans mon boulot ils ne vont
plus me reprendre, j’ai passé 50 ou 55 ans. Donc il faut
que je fasse autre chose’. Là, ils sont contraints plus ou
moins fortement. » Professionnel de l’accompagnement
au changement
Un moment et un rythme de réalisation contraints dans les
périodes de rupture
Les périodes de chômage imposent leur calendrier aux projets de changement de métier. Ce temps limité et cette
situation instable n’en favorisent pas systématiquement
la mise en ouvre qui nécessite un processus de maturation relativement long.
En l’absence d’une réflexion déjà entamée sur un éventuel changement de métier, il est très difficile pour un
cadre de réaliser un tel projet pendant sa période de chômage.
Les personnes n’ayant jamais envisagé le changement, ne
s’étant jamais projetées dans un futur hors de leur entreprise et de leur métier actuels, sont ainsi les moins bien
armées pour mener un changement de métier suite à une
rupture professionnelle, davantage vécue alors comme un
coup dur que comme une opportunité.
Au contraire, pour un cadre qui aurait déjà mûri sa
réflexion, la période de chômage peut être perçue comme une opportunité pour déclencher la mise en œuvre d’un
projet de changement de métier. Elle apporte en effet des
moyens (allocation chômage et temps disponible) qui
contribuent à la réalisation de ce projet.
Si cette rupture professionnelle peut faciliter la prise de
décision et la mise en œuvre du projet, se donner le
temps, dans une période stigmatisante où tout pousse à
la reprise la plus rapide possible d’un emploi, peut être
une gageure. Une ancienne directrice des achats aujourd’hui en création d’entreprise décrit bien cette pression,
qui peut écarter de son projet de changement de métier,
et conduire à l’abandonner ou à le travailler insuffisamment :
« Deux heures après mon licenciement, j’avais une idée de
ce que je voulais faire. Mais après, dans les mois qui suivent, le doute revient un petit peu. C’est à ce moment là
que j’ai fait un stage de leadership au féminin ; il y a eu
un moment assez fort où devant tout le monde j’ai dit :
« Oui, maintenant, je le sais, j’en suis sûre, je vais me donner le temps. Je ne trouve pas l’idée pour l’instant mais je
vais la trouver ». Et ça m’a vraiment aidée. Peut-être que
si on ne m’avait pas poussée dans mes retranchements à
ce moment là, je me serais dit : « Et si je n’y arrive pas…
il faut que je refasse un CV, et s’il y a une annonce qui tom-
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
be, il faut que j’y réponde ». C’est d’ailleurs ce que j’ai un
peu fait dans les 2 ou 3 mois qui ont suivi mon licenciement. On se dit que si on retrouve tout de suite après, il
n’y aura pas de trou dans son CV. » Cadre – projet abouti
en mobilité externe (création d’entreprise)
• Les moyens financiers
Les moyens du changement sont bien sûr également financiers. Pour un cadre en emploi, une formation longue,
outre son coût nominal, peut nécessiter de suspendre
temporairement son activité professionnelle. Une ancienne cadre dans le département marketing d’une multinationale, qui a entamé une formation longue pour devenir
orthophoniste, souligne le manque à gagner en terme de
salaire pendant sa formation :
« Je ne vais quand même rien gagner pendant 4 ans.
Comme je me suis arrêtée 3 ans et qu’il y a 4 ans d’études,
je trouve qu’au final, c’est un peu long de rester 7 ans
sans travailler. » Cadre – projet en cours
Une telle interruption de sa carrière ne serait pas envisageable sans le soutien financier de son époux ni son
adhésion au projet.
Outre le temps de formation, il faut compter avec le
temps d’insertion dans le nouveau métier, qu’il s’agisse de retrouver un emploi salarié ou d’atteindre une profitabilité suffisante dans le cas d’une création d’entreprise ou d’une activité indépendante.
« Ce changement de métier est bénéfique mais douloureux.
Douloureux parce que ça n’a jamais été des décisions faciles
à prendre. Et en ce moment, je suis au RSA. C’est assez
lourd, mais quand on est dans une perspective à long terme… et puis comme j’ai été journaliste, j’ai appris à vivre
avec pas grand-chose. » Cadre – projet en cours
Une bonne estimation des moyens financiers liés à la
conduite à son terme de son projet, laquelle peut être différée, apparaît ainsi comme un autre facteur de succès.
« Quand on envisage de changer de métier, il faut voir tout
ce que ça engendre, et il faut voir aussi l’aspect financier. Il ne fallait pas avoir trop de problèmes financiers pour
pouvoir tenir pendant 2 ou 3 ans. J’avais suffisamment
bien négocié mon départ pour pouvoir tenir financièrement pendant 2 ou 3 ans quoi qu’il arrive. » Cadre –
projet inabouti
• Le soutien de l’entourage
Les moyens financiers sont liés à un autre facteur de succès : le soutien de l’entourage. Car outre les départs négociés et les périodes de chômage indemnisé, c’est souvent
dans les faits l’entourage proche du cadre en changement
de métier qui fournit un essentiel soutien matériel.
De plus, les cadres rencontrés ont fait état de l’importance du soutien moral de leur entourage, personnel comme professionnel, dans leur parcours.
Un soutien mitigé de l’entourage peut mettre en danger
certains projets. Dans d’autres cas, il peut au contraire
pousser à persévérer, à mieux travailler son projet pour
être convaincant. En tout cas, se sentir légitime et accepté dans son envie de changer de métier apparaît comme
un facteur important de succès, au regard de certains
échecs.
« Dans mon entourage, j’ai rencontré beaucoup de scepticisme. Pour vous donner une idée, notre produit phare
coûte 5 , donc pour entretenir une structure et dégager
un salaire – ce qui n’était pas le cas au début, mais j’avais
une période de chômage qui me permettait de faire le test
en sécurité – il faut vendre un bon volume de produits et
ça rendait beaucoup d’interlocuteurs un peu sceptiques. Du
coup, ça me donnait envie de les convaincre. » Cadre –
projet abouti en mobilité externe (création d’entreprise)
« Je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Ce n’est pas facile d’expliquer pourquoi on veut changer de métier, surtout quand on a un métier où il y a du travail et quand on
n’est pas dans un secteur où il y a beaucoup de chômage.
Où il y a quand même de l’emploi, avec des salaires satisfaisants et des possibilités de progresser. C’est vrai que parfois, ça soulève un peu d’incompréhension. » Cadre – projet inabouti
Un choix de couple
Le changement de métier présente des risques particuliers
pour le couple. Un projet de changement de métier a forcément des conséquences sur l’organisation quotidienne
et les aspects matériels de la vie privée. L’accord, la compréhension et le soutien du conjoint apparaissent tout à
fait nécessaires dans la conduite d’un projet long, difficile, et à l’issue incertaine.
« Il est nécessaire que le conjoint soit d’accord et soutienne ce changement professionnel fort. Il faut garder un
équilibre chez soi quand on a un déséquilibre professionnel. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Le risque de rupture personnelle n’est pas à exclure.
« Au niveau personnel, il y a eu la rupture avec quelqu’un avec qui j’étais depuis très longtemps, à cause
de ce changement. Il a été mal perçu, et j’ai moi-même
beaucoup changé pendant cette période. Ça fait partie
des gros sacrifices et des grosses difficultés qu’il a fallu
surmonter. » Cadre – projet en cours
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
Le rôle des formations et des accompagnements individuels et
collectifs
Les formateurs et les accompagnateurs du changement, par
l’image qu’ils renvoient au cadre en changement de métier,
ont également un rôle de soutien à jouer. La méthode du
miroir, qui capitalise sur le soutien que peut apporter un
groupe de pairs, en est l’une des traductions :
« On va définir les attentes du cadre, c’est quelque chose d’assez classique. Ensuite on va faire quelque chose
qui s’appelle le miroir. Chaque participant du groupe se
présente et parle de lui pendant 10 minutes. Ça permet
de fédérer le groupe, de le connaître, et ça permet à la
personne de dire parfois des choses qu’il n’a jamais dites
de sa vie. Le groupe a bien intégré ce que la personne sait
faire, ce qu’elle n’a pas envie de faire, ce qu’elle a comme valeur ajoutée, ce qu’elle aime et n’aime pas, et sur
cette connaissance, le groupe va produire une centaine
d’idées, soit de métiers, soit de secteurs, avec des techniques de créativités, c’est-à-dire qu’on va vers le plus délirant possible. Ça permet éventuellement de donner des
idées que la personne en question n’a pas, et en plus ça
lui donne de l’espoir : d’un seul coup, il y a 15 personnes
qui lui disent : tu es formidable, regarde tout ce que
tu pourrais faire. » Professionnel de l’accompagnement
au changement
Dans le cas de la formation de longue durée, un accueil
hostile des enseignants, comme ce fut le cas pour cette
aspirante kiné, peut conduire droit à l’échec :
« C’était très difficile dans le sens où j’ai rencontré une certaine incompréhension de la part de certains enseignants.
Ils s’interrogeaient sur ce que je faisais là. Ca se manifestait verbalement. Ils faisaient des réflexions du genre :
qu’est ce que vous venez faire ici ? Ca voulait dire : vous
n’avez rien à faire ici. » Cadre – projet inabouti
Par contraste, l’aspirante orthophoniste dont la promotion
compte un tiers de femmes en reconversion est très à l’aise dans son nouvel environnement estudiantin. Elle est
mieux assurée dans son choix de métier, comme dans sa
capacité à réussir.
• L’utilisation du réseau
Les cadres expérimentés se sont construits, au fil de leur
parcours, un réseau professionnel. Une démarche de changement de métier est une occasion d’utiliser son réseau,
de le cultiver, de l’élargir, afin de connaître et se faire
connaître, de tester son projet, d’appuyer sa création
d’entreprise.
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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Le réseau peut être mobilisé pour faciliter des changements intra-sectoriels. C’est le cas de ce cadre qui choisit stratégiquement de rester dans le secteur où il a fait
toute sa carrière afin de bénéficier de son réseau professionnel. C’est par ce biais qu’il trouve son premier poste
dans son nouveau métier :
« A un moment je suis tombé sur une société dans
laquelle j’avais un ami qui était directeur du développement. Il m’a proposé de me prendre en stage pendant 6
mois. (…) Au bout de 6 mois, je me suis retrouvé embauché en CDI avec comme directeur cet ami, et toute une
équipe. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (salarié)
« C’est souvent aussi le réseau qui fait la différence, le facteur confiance comble la crainte de l’entreprise. » Professionnel de l’accompagnement au changement
Les cadres en cours de changement de métier fréquentent
des salons professionnels, se prêtent à des rencontres
réseau. En plus de ces démarches, un ancien journaliste
s’orientant vers la communication « responsable » a exploité la piste du blog professionnel. Se rendre visible, c’est
également susciter des occasions de contacts :
« Aujourd’hui, il y a un petit groupe composé d’une quinzaine de personnes à peine avec lesquels j’ai des discussions vraiment sur la même longueur d’ondes. » Cadre –
projet en cours
Outre des compétences techniques complémentaires et la
preuve de sa détermination et de sa capacité à changer,
la formation peut apporter au cadre un nouveau réseau.
Un pharmacien en officine, qui souhaite rejoindre le monde de la banque et qui a obtenu à cette fin un master en
finance dans le cadre de la formation continue, explique
utiliser ce nouveau réseau :
« J’ai contacté des amis qui sont agents bancaires, que j’ai
rencontrés pendant mon master pro, pour essayer de voir
avec eux si ce n’était pas possible, soit par connaissances, soit par le réseau, de m’introduire auprès des
personnes qui décident. » Cadre – projet en cours
« A l’université, je me suis rendu compte que je me retrouvais avec des gens qui avaient des métiers et qui voulaient
tous en changer. Alors que dans l’entreprise, on ne rencontre
pas ce genre de personnes. Dès qu’on se retrouve en formation, on rencontre des gens qui font le même cheminement. » Cadre – projet abouti en mobilité externe (profession libérale)
Parfois, suivre une formation est donc déjà mettre un
pied dans un nouvel environnement professionnel.
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
■ LES NÉCESSAIRES AJUSTEMENTS DU PROJET DE CHANGEMENT DE
MÉTIER
Un changement de métier est un projet difficile, sans
garantie d’une issue positive. Le ciselage d’un projet de
changement de métier et la garantie des moyens de le
mener à bien ne suffisent pas à en assurer la réussite.
Encore faut-il que celui-ci corresponde à une attente côté
employeur ou à un marché. La clef de la réussite réside
le plus souvent dans une série d’ajustements mineurs permettant, éventuellement par des chemins de traverse,
d’arriver à ses fins.
• L’acceptation du compromis
Dans la conduite du projet de changement de métier, l’acceptation du compromis apparaît comme un facteur de
succès. En effet, plus le projet sera spécifique et restrictif, plus minces seront les chances qu’il réussisse.
Un premier compromis est nécessaire avec l’image
idéale du métier envisagé. L’enquête métier permet de
lever certaines illusions :
« J'ai rencontré des designers et cela m'a conforté dans mon
projet, tout en me mettant une petite zone d'alerte et en
me disant que ce n'était pas facile d'exercer, qu'il fallait faire beaucoup de compromis... » Cadre - projet inabouti
Dans plusieurs cas de figure, un compromis de la part
du cadre est indispensable à l’avancement du projet
de changement de métier. Opter pour une formation en
second choix et accepter de ne pas être complètement en
accord avec les positions éthiques d’une catégorie d’employeurs sont deux exemples de compromis auxquels les
cadres rencontrés se sont refusés, interrompant ou freinant leur projet de changement de métier.
Un cadre aspirant à rejoindre les métiers du design interrompt son projet très en amont, avant même sa formation. Il n’a pas été reçu dans l’école qu’il visait et ne
conçoit pas d’en tenter une autre :
« J'en ai rediscuté récemment avec mon épouse qui m'a dit :
« tu aurais pu faire une autre école ». Mais dans ma tête,
c'était clair, c'était celle-là ou rien. Sinon, j'avais l'impression que ça me donnait trop peu de chances de faire ce
métier-là comme j'avais envie de le faire. Donc, dès lors que
ça n'a pas été possible, je n'envisageais pas d'attendre
encore un an pour me représenter. » Cadre – projet inabouti
Un cadre souhaitant rejoindre les métiers de la communication, sous l’angle plus spécifique de la communication « responsable », a décidé d’écarter les agences de
communication de sa recherche d’emploi :
« J’ai rencontré plusieurs agences de communication et le
résultat de ça, c’est que je suis convaincu que je ne tra-
vaillerai jamais dans une agence de communication qui a
le format classique de la communication. On a des divergences de vue assez importantes sur l’éthique. » Cadre –
projet en cours
Au contraire, pour accéder à un poste dans son nouveau
métier commercial, un ancien directeur de la formation a
choisi d’accepter un périmètre de poste légèrement différent de ce qu’il avait envisagé au départ. Alors qu’il souhaitait entrer au capital, c’est comme salarié qu’il rejoint
l’entreprise où il est directeur commercial :
« A un moment donné j’ai dit aux fondateurs de cette PME
que j’aimerais bien pouvoir m’associer avec eux. Ce n’était
pas une histoire d’argent mais, du fait que je n’avais pas
pu réaliser mon projet de rachat d’entreprise, prendre des
parts dans celle-ci était une nouvelle opportunité pour moi.
Mais ça, ils ne l’ont pas souhaité, et je peux le comprendre.
Je ne me suis pas associé à eux mais j’ai pris la direction
commerciale de l’entreprise. » Cadre – projet abouti en
mobilité externe (salarié)
• Les étapes intermédiaires
Les opportunités, tant en termes de postes que de salaire, ne sont pas toujours au rendez-vous. Faute de l’opportunité idéale, des cadres optent pour des étapes intermédiaires qui pourront les rapprocher de leur objectif final.
L’une des cadres rencontrés avait pris ce parti d’un métier
à mi-parcours dans un projet de changement qu’elle
conçoit sur le long terme :
« A ce moment-là, il n’y avait pas de poste ouvert et le
poste que j’occupe maintenant est entre les achats et la
technique. » Cadre – projet abouti en mobilité interne
• Redevenir débutant
Redevenir junior, en accédant à son nouveau métier,
concerne aussi les changements de métier en interne.
Néanmoins, certains aspects plus confortables de ce type
de changement, notamment la possibilité de maintenir
plus ou moins son niveau de salaire, permettent de compenser en partie le retour à une position de débutant :
« Une personne qui avait gagné de l'expérience dans son
métier précédent aura quand même pour titre "consultant
junior", parce que ça correspond à son expérience dans ce
métier. Son coefficient va diminuer en conséquence, mais
pour la mobilité interne nous avons un système de compensation très avantageux qui maintient son niveau de
rémunération. » Entreprise - DG
Indépendamment de toute question de salaire, la perte
de la légitimité liée à la séniorité dans un métier peut
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
être vécue difficilement. Les conseils prodigués par son
entourage sont interprétés par un cadre à la recherche d’un
premier poste dans son nouveau métier comme une proposition de négation de son parcours :
« Si je veux faire de la finance, il faudrait que je mette sur
le CV uniquement ce qui concerne la finance, même si je
n’ai pas d’expérience. Et au cours de l’entretien, je peux dire
aux gens que je n’ai pas eu que ce parcours-là et que la
finance est une reconversion. Je pense que ce n'est pas un
mauvais conseil, mais comment écrire à mon âge un CV uniquement basé sur la formation ? » Cadre - projet en cours
• Un projet en perpétuel mouvement
C’est tout au long du projet qu’il convient d’en réévaluer
la pertinence, avec ses envies d’abord (celles-ci peuvent
évoluer) et ensuite avec la réalité du marché, les chances
de succès, les moyens d’atteindre son but.
« C’est toujours intéressant de discuter de son projet parce que ça peut faire évoluer vers d’autres perspectives
qu’on n’envisageait pas et qui seraient peut-être plus
accessibles. » Cadre – projet inabouti
■ L’ACCOMPAGNEMENT PAR L’ENTREPRISE D’ACCUEIL
Un autre facteur de succès du changement de métier, et
non des moindres, tient aux moyens mis en œuvre par l’entreprise d’accueil pour faciliter l’insertion dans le nouveau
métier - on se situe ici dans la perspective où le cadre
demeure salarié.
• La question de l’accompagnement du cadre dans le
nouveau poste
L’entrée dans les nouvelles fonctions est une étape en
soi : c’est le moment où s’éprouve réellement le changement de métier. Les premiers mois sont une période
assez intense d’apprentissage, où le cadre doit intégrer
une masse considérable de nouvelles informations. Or il
s’agit d’une phase qui est parfois négligée par l’entreprise. Des cadres nous ont décrit de telles situations :
« Quand je suis arrivée dans le poste, tout le monde
était bien occupé et il n’y a pas eu beaucoup de gens
qui ont eu le temps de m’expliquer les choses. J’ai dû
apprendre pas mal sur le tas. Au cours de ces 3 ans, on
m’a demandé d’être la tutrice d’une nouvelle personne
qui arrivait au même poste que moi, mais dans une autre
ligne de production. Je pense que ça aurait été bien si
j’avais eu la même chose. » Cadre – projet abouti en
mobilité interne
« Ma prise de poste : une horreur ! Les gens me parlaient
et je ne comprenais pas un mot de ce qu’ils me disaient.
Quand je suis arrivée, c’était un 1er août, il y avait beaucoup de gens en vacances et ceux qui restaient avaient évidemment des questions sur des papiers ou sur des formations. J’ai été dans l’échec permanent pendant 4 mois.
Je n’avais aucune aide possible autour de moi. » Cadre
– projet abouti en mobilité interne
Pour pallier ce manque d’accompagnement au moment de
son entrée dans de nouvelles fonctions, un cadre explique
avoir choisi de se faire accompagner par un coach, à l’insu cependant de ses équipes et de son entreprise :
« Je me suis fait accompagner personnellement par un
coach. J’avais envie de garder ma liberté, une distance, ne
pas être aliéné. Mais c’est un investissement perso et
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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caché, mon jardin secret. » Cadre – projet abouti en
mobilité interne
• Faciliter la greffe : l’importance du rôle du manageur
« Quel que soit le niveau de connaissance, un projet se
manage. Donc, la personne n'a pas été très bien suivie au
départ. En plus de la personne à former au nouveau
métier, il aurait fallu qu'il y ait une formation de management pour l’accompagner. » Entreprise - DG
Le management a un rôle à jouer dans la facilitation de
la transition professionnelle. Certaines entreprises interrogées au cours de l’étude ont fait état de dispositifs
d’accompagnement des cadres dans leur nouveau poste,
du moins pour ce qui est des changements de métier
interne à l’entreprise.
La mise en place de ces dispositifs peut être relativement
lourde. Il peut s’agir de décharger le cadre entrant dans
le poste d’une partie de ses missions le temps de son adaptation. Cela implique un travail de pédagogie auprès des
équipes accueillantes qui doivent donc absorber une surcharge de travail et peuvent mal l’accepter. Il s’agit également de mettre en place des dispositifs de formation,
et de favoriser l’apprentissage informel, l’entraide entre
collègues. Il faut enfin se rendre disponible afin d’opérer
un suivi régulier de la façon dont se passe l’entrée en poste et de revoir les éventuels points de malaise.
Pour toutes ces raisons, un responsable RH qui valorise
et favorise les changements de métier décrit l’accueil d’un
cadre ayant changé de métier comme « un acte de management difficile ».
« Accueillir une personne en mobilité est un acte de
management difficile ; la transition peut durer une année,
le dispositif est lourd. On l’a acté comme un critère d’évaluation de nos manageurs. On ne l’a pas formalisé, mais
on en tient compte dans l’évaluation. On a fait évoluer
les manageurs qui ont réussi à intégrer un cadre en
mobilité interne dans leur équipe. » Entreprise - DRH
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU CHANGEMENT DE MÉTIER
■ LA RECONSTRUCTION D’UNE IDENTITÉ PROFESSIONNELLE
La reconstruction d’une nouvelle identité professionnelle
ne va pas de soi. Il faut être reconnu légitime dans son
nouveau métier par les autres ; il importe également de
se reconnaître soi-même dans son nouveau métier, et de
s’y sentir à sa place.
• Dépasser le syndrome de l’imposteur
Certains peuvent éprouver des difficultés, en dépit d’une
formation professionnelle qualifiante spécifique, à se
reconnaître dans leur nouveau métier :
« Je me suis senti usurpateur jusqu’à récemment, j’avais
peur de mentir à moi-même et aux autres par rapport à
l’idée fantasmée du journalisme. » Cadre – projet abouti
en mobilité externe (journaliste)
Aujourd’hui plus à l’aise dans son rôle professionnel, cet
ancien statisticien devenu journaliste estime qu’il lui a fallu un temps de maturation pour entrer réellement dans la
peau de son nouveau métier.
L’entrée dans le nouveau métier ne marque donc pas la
fin du parcours du cadre en changement de métier ; le
processus d’identification au nouveau métier se poursuit bien au-delà.
• Capitaliser sur les expériences passées
La nouvelle identité professionnelle ne s’inscrit pas nécessairement en rupture par rapport à son passé professionnel. On n’est point tenu de repartir complètement de zéro.
Au contraire, une capitalisation sur les expériences passées peut contribuer à asseoir sa place dans un nouveau
métier, tant dans le regard des autres que dans le sien
propre.
« Quand vous avez bac +2 ou bac +4, vous arrivez dans un
service où vous avez des médecins qui ont bac +12, et vous
n’êtes que le paramédical. Moi, j’ai un bac +7, j’ai 14 ans
dans une grande entreprise, j’ai mon âge et, en reconversion, c’est quelque chose qui ne pose aucun problème. »
Cadre – projet en cours
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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CONCLUSION
• Comment se définit le changement de métier ? Où
se situe la frontière entre une évolution professionnelle qui semble logique et un changement de métier
qui induit davantage une notion de rupture ?
Le changement de métier est difficile à définir parce qu’il ne s’agit pas d’un état mais d’un processus
de maturation, en constante évolution.
Changer de métier est un processus qui prend du temps.
Il se fait progressivement, et il est souvent difficile de
dire où il commence et quand il s’arrête. Il y a dans le
changement de métier une part de tâtonnements, d’expérimentation, d’aspiration à l’évolution personnelle et
professionnelle, qui en fait rarement un processus simple
et figé. Si le point de départ du changement est bien
identifié – l’abandon de l’ancien métier -, le point d’arrivée est ainsi difficile à définir.
Certains parcours sont balisés, cadrés, ce qui facilite la
lecture du changement et de ses frontières. Par exemple,
décider de devenir orthophoniste après avoir été responsable marketing, et entreprendre une formation en ce
sens, est un changement de métier qui donne des repères
temporels et identitaires précis.
Dans d’autres cas, le chemin et les ajustements successifs pour parvenir au nouveau métier peuvent être moins
aisés à définir. Le temps du changement est alors plus
extensible : susceptible de se contracter quand survient
une opportunité à saisir ou bien de s’étirer, parfois
même au-delà du raisonnable quand le projet de changement semble ne jamais se conclure. Dans ce cas, il
demeure pour le cadre une frustration.
Les délais d’appropriation du nouveau métier, pour que
la « greffe » prenne, sont longs, particulièrement pour
les changements de métier en externe. Ils sont plus
courts pour les changements de métier en interne qui
offrent une plus grande sécurité.
L’échantillon de cette étude en est une bonne illustration. Seuls des cadres ayant récemment changé de métier
(depuis 3 à 5 ans maximum) ont été interviewés afin
d’aborder les atouts et les difficultés liés à l’époque
actuelle. Or, pour beaucoup, leur changement n’était
pas complètement abouti, finalisé, car ils ne s’identifiaient pas encore totalement à leur nouveau
métier. En revanche, plusieurs cadres interviewés ont
plus facilement évoqué des changements de métier bien
antérieurs dans leur parcours, 10 ou 15 ans auparavant.
L’identité professionnelle est en effet en jeu dans le
changement de métier des cadres. Pour le définir, les
cadres rencontrés ont d’abord fait part du ressenti intime de ce changement.
De plus, les parcours des cadres rencontrés montrent que
le changement de métier implique la familiarisation avec
une nouvelle culture professionnelle (environnement
de travail, produits, interlocuteurs…). Et si un socle de
compétences transférables (techniques et/ou comportementales) est indispensable, le changement de
métier demande forcément la mise en ouvre de nouvelles
compétences.
Il peut s’agir d’abord de compétences personnelles
(développées par exemple dans le cadre de ses activités extraprofessionnelles) non exploitées auparavant
dans son ancien métier, ce qui rentre encore dans le
cadre des compétences transférables. Ensuite, outre des
compétences techniques, les cadres interrogés ont fait
part de la nécessité d’acquérir des compétences comportementales. Ainsi le changement de métier des
cadres ne se réduit pas à la mobilisation de nouvelles
compétences techniques. Il implique souvent un
changement de posture et de comportement avec des
collaborateurs, des clients, des fournisseurs, etc.
Tous ces facteurs font que, par exemple, une évolution
hiérarchique à un poste de manageur dans son entreprise peut ne pas être vécue comme « naturelle et
logique », mais comme l’apprentissage de nouvelles
compétences, d’un nouvel environnement, de nouveaux
rapports aux collaborateurs.
Le curseur entre évolution professionnelle et changement de métier est donc avant tout propre à
chaque cadre, à son parcours, à ce qu’il met en jeu
dans ce changement.
Enfin, l’acquisition de nouvelles compétences appelle
fréquemment le recours à la formation, un passage qui
est souvent considéré comme une preuve opposable aux
tiers (potentiels futurs recruteurs ou réseau professionnel), ce qui en fait un marqueur fort du changement de
métier.
Ainsi, la notion de rupture est mal adaptée pour
rendre compte du changement de métier. Il ne se limite pas à une transformation miracle avec un « avant »
et un « après ».
D’ailleurs, le rapport au temps, notion essentielle dans
un projet de changement de métier, questionne la
« fenêtre de tir », l’opportunité que représente une rupture professionnelle. Intervenue trop tôt dans la
réflexion et la préparation au changement, elle ne sera
pas bien exploitée. Mûrie en amont, elle peut permettre à certains d’en profiter pour mettre en ouvre leur
changement de métier.
• Le changement de métier est-il un indice de l’évolution du rapport au travail (et à l’entreprise) des
cadres ?
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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CONCLUSION
Les professionnels de l’accompagnement rencontrés
affirment qu’aujourd’hui la sécurisation de son parcours
professionnel passe par la capacité à changer et à
s’adapter : « la sécurité, c’est le changement ».
Par ailleurs, les cadres rencontrés font état d’une lassitude ou d’un rejet de l’entreprise au bout de plusieurs
années d’expérience. On observe un phénomène de cycles
de vie au travail.
En particulier, à 35-45 ans, les cadres sont expérimentés
sans être encore menacés dans leur employabilité par leur
séniorité. Ils ont évolué, atteignent ou se rendent compte qu’ils n’atteindront pas certains objectifs professionnels qu’ils s’étaient fixés (gagner tel salaire, obtenir tel
poste…), et cherchent de nouvelles formes de rétribution. Ils s’interrogent sur le sens de leur parcours et
leurs aspirations réelles, tout en cherchant les moyens
d’assurer leur employabilité jusqu’à la retraite.
En cela, le changement de métier en externe, notamment vers d’autres postes que le salariat en entreprise privée, est un marqueur de l’époque.
• Changer de métier devient-il un passage obligé pour
évoluer à un moment donné ?
Au vu des entretiens tenus avec les cadres, le passage
obligé pour évoluer n’est pas tant aujourd’hui de changer de métier que d’envisager le changement, avec ou
sans passage à l’acte. Car changer de métier, c’est d’abord
s’être posé la question plus large de son évolution professionnelle et de son éventuel changement. La diffusion
des bilans de compétences contribue beaucoup au développement de cette démarche chez les cadres. Au cours
de cette réflexion, ils sont amenés à évaluer une palette
de possibilités : exercer un même métier dans une autre
entreprise, changer de métier au sein de leur entreprise,
changer de métier et d’entreprise ou, finalement, après
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Apec - Le changement de métier chez les cadres
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avoir pris le recul de la réflexion, décider de poursuivre
une évolution plus naturelle dans le cadre de leur métier
et de leur entreprise.
Avoir pris le temps d’envisager le changement permet
de mieux vivre une rupture professionnelle et une
« obligation de changement » (à défaut d’un « passage
obligé »). Sur ce point, les professionnels de l’accompagnement au changement comme les entreprises se rejoignent dans l’idée qu’il est nécessaire d’armer de manière
générale les salariés (et pas seulement les cadres) pour
qu’ils traversent mieux d’éventuelles périodes de rupture
professionnelle et de changement forcé de métier. Le
développement de la GPEC suppose cette capacité des salariés à s’adapter, à pouvoir changer de métier.
Verra-t-on l’augmentation du nombre de ce type de parcours de changement ? Au vu des moteurs puissants à
l’œuvre (éthique, entreprenariat, voire rejet du monde de
l’entreprise), l’envie de changer de métier pourrait continuer à se diffuser chez les cadres, et éventuellement
conduire à de plus fréquents parcours de cadres bifurquant
vers la création d’entreprise ou le passage en indépendant.
Pour ce qui est de rester au sein du secteur privé (passer
d’une entreprise privée à une autre), les recruteurs restent réservés sur ce type de profils et de tel parcours restent exceptionnels. Certains professionnels de l’accompagnement et responsables RH évoquent toutefois le
processus de « capillarité » qui peut conduire des recruteurs ou manageurs ayant eux-mêmes changé de métier
à comprendre et s’ouvrir à des profils leur ressemblant.
PORTRAITS DE CADRES
■ ARNAUD
Des systèmes d’information au design industriel :
un changement de métier inabouti
Ingénieur télécom de formation, Arnaud commence sa carrière dans la téléinformatique. Il travaille essentiellement
sur des thématiques réseaux, avant d’évoluer vers des problématiques projets. Après six ans dans sa première entreprise, il entre dans un cabinet de conseil où il intervient chez des clients sur des questions d’architecture des systèmes d’information. Il y prend progressivement des responsabilités, jusqu’à avoir en charge des équipes projet de
vingt à vingt-cinq consultants. Suite à un changement de stratégie de son employeur, qui réduit son activité conseil,
il rejoint le secteur bancaire. Pour ce nouveau poste, il déménage en province. Sa compagne prend un congé parental pour le suivre.
Après six ans, une réorganisation remet en cause son rapport à l’entreprise. Alors qu’un poste de DSI se libère, on lui
notifie un refus de le faire évoluer vers ce poste. « J'avais un peu plus de 40 ans, et je n'avais pas envie de végéter
dans un truc qui ne me convenait pas » ; Arnaud négocie un départ à l’amiable.
Se sentant désavoué, voire déprécié, Arnaud cherche dans un bilan de compétences la confirmation de son adéquation avec le poste qu’il occupait. Celle-ci établie, il s’interroge sur ses envies davantage que sur son savoir-faire. Or
il nourrit depuis longtemps un intérêt pour les arts graphiques et plastiques. A 20 ans déjà, il avait envisagé une
école de photographie plutôt qu’un cursus d’ingénieur ; en parallèle de sa carrière, il s’essaie à la gravure. Durant cette période de réflexion, il envisage un temps de devenir graveur mais ce projet implique un travail trop solitaire et
une rémunération moindre. Au fil de rencontres avec des professionnels et de visites d’écoles, il construit sur une
période de huit mois un projet qui doit le mener au design produits. Mais il doit y renoncer, n’étant pas accepté dans
l’école de design qu’il visait à Paris. Il ne tarde pas à retrouver un poste en région, dans son ancien métier ; il ne sera
resté qu’un an au chômage.
Avec le recul, Arnaud estime que son projet, impliquant une formation de trois à cinq ans et un nouveau déménagement, aurait contraint sa famille à changer de lieu et de mode de vie. Celle-ci a été déterminante dans son choix
d’employeur : sa compagne et lui-même ont choisi la ville où ils résident aujourd’hui en fonction de ses opportunités d’emploi pour tous les deux et des lignes de TGV leur permettant de rendre visite aisément à leurs familles respectives.
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PORTRAIT DE CADRES
■ BÉNÉDICTE
De la R&D à l’approvisionnement :
un changement de métier abouti en interne
Suite à des études de physique à l’étranger, Bénédicte rejoint la branche belge d’une société de conseil française. Pendant les trois ans qu’elle passe dans cette société, elle effectue des missions de longue durée dans de grandes entreprises, dans différents pays européens. Lassée de cette mobilité, elle contacte une PME du secteur, basée en France, mais
le poste sur lequel elle est recrutée n’est pas pérenne et elle est remerciée pendant sa période d’essai. Peu après, elle
entre dans la grande entreprise industrielle dans laquelle elle travaille maintenant depuis sept ans.
Pendant ses trois premières années dans l’entreprise, elle occupe un poste d’ingénieur en recherche et développement
dans le domaine de l’optique. Dans ce cadre, elle est régulièrement en contact avec des fournisseurs, ce qu’elle apprécie
et lui donne l’idée d’une mobilité vers les achats. Cette fonction lui permettrait en effet d’utiliser à nouveau ses compétences linguistiques et la mettrait en contact avec un grand nombre d’interlocuteurs, tranchant avec un poste de R&D
qu’elle décrit comme très solitaire. Dans un contexte de baisse d’activité dans son service, elle parle ouvertement de cette envie de changement avec son responsable hiérarchique, qui la soutient, et fait la démarche d’aller rencontrer des collègues acheteurs. Globalement, elle estime que la mobilité, entre filiales ou entre départements, est bien perçue, sinon
favorisée, dans son entreprise.
En l’absence d’opportunités aux achats, elle postule à une annonce publiée sur l’Intranet pour un poste d’approvisionnement en production, nécessitant un profil technique assez pointu. Bénédicte s’explique par le caractère très spécifique
du poste le fait qu’il n’ait pas été pourvu comme tant d’autres dans l’entreprise par le bouche à oreille. Elle fait une excellente impression au chef de service et passe par une série d’entretiens formels dans le service et à la DRH avant d’être
affectée à son poste actuel d’ingénieur approvisionnement.
Elle apporte des compétences linguistiques et techniques, ainsi qu’une expérience des relations avec les fournisseurs.
Son nouveau métier ayant une forte dimension logistique, elle est formée à Oracle et aux règlementations à l’exportation. Aujourd’hui bien installée dans le poste, elle estime qu’il lui aura fallu six mois pour en maîtriser les bases et avoir
énormément travaillé la première année. Un jeu qui en vaut la chandelle car elle se dit à nouveau prête, aujourd’hui, à
changer de métier.
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PORTRAIT DE CADRES
■ JULIETTE
De directrice de la formation à consultant psychologue :
un changement de métier abouti en externe
Dès sa sortie d’école de commerce, Juliette rejoint un groupe international qu’elle ne quittera qu’en 2009, après y avoir
changé plusieurs fois de métier. Entrée par choix dans la fonction RH, elle change radicalement de contexte professionnel en passant au marketing, où elle évoluera jusqu’à un poste de Directrice Marketing. Puis elle devient consultante-formatrice, dans un premier temps affectée à une zone géographique spécifique, avant d’évoluer là encore vers un poste de
Directrice de projets formation. Elle rejoint ensuite le développement des ressources humaines, à un poste de direction,
dans un premier temps pour la France puis au niveau du groupe.
Convaincue qu’il est impératif de ne pas rester statique, elle est à l’origine, par des démarches volontaristes, de tous
ces changements qu’elle vit comme des étapes analogues à un changement d’entreprise. Pourtant, s’il lui est arrivé de
postuler à l’extérieur, elle a toujours fait le choix du groupe. Celui-ci en effet, dans sa valorisation de la mobilité et
des changements de métier, lui a permis d’accéder à des postes pour lesquels, théoriquement, elle n’aurait pas eu le
profil. Très en amont d’une ouverture de poste, elle est allée proposer des projets à développer : « j’ai souvent créé
mon poste. »
Dans sa dernière fonction au sein du groupe, très fonctionnelle, elle joue un rôle de conseil externe et se sent déjà un
pied hors de l’entreprise. Le passage en indépendant lui paraît une suite logique, d’autant que la politique du groupe est
de recruter en externe aux postes clefs en RH et qu’elle ne peut donc y prétendre. Elle saisit l’opportunité d’un plan de
départs volontaires pour lancer un projet longuement mûri.
En effet, depuis 4 ans, elle a repris des études de psychologie commencées quand elle était étudiante, puis laissées de
côté et reprises au gré de ses postes et de son temps disponible. Afin de boucler son cursus à l’été 2009, elle obtient de
passer à temps partiel. Le retour à l’université s’avère difficile, tant par ses relations avec le corps enseignant que par la
rigidité de l’organisation, mais elle obtient son diplôme et son ancien employeur est aujourd’hui son premier client.
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PORTRAIT DE CADRES
■ LAURENT
D’ingénieur qualité à chef d’entreprise :
un changement de métier abouti en externe
Après des études de chimie en France (Licence) et au Royaume-Uni (Master), et un stage en production dans la branche
française d’une multinationale, Laurent part en Russie dans le cadre d’un VIE1. Il y passe seize mois au contrôle de gestion d’une PME française en plein développement sur le marché russe. Embauché sur place comme ingénieur qualité dans
un grand groupe international, il prolonge de deux ans son séjour en Russie avant d’être muté en France. Après plus de
trois ans en Russie, avec un travail qui lui plaît et des conditions de vie très avantageuses, le retour est difficile, tant
sur le plan personnel que professionnel. Son nouveau poste de pilotage de flux ne lui correspond pas : trop loin du terrain, trop peu relationnel. Après dix mois, il est licencié.
Suit un an et demi de chômage « intermittent », durant lequel il accepte différentes missions courtes dans des fonctions
plus commerciales. Il retourne deux mois en Russie afin d’aider au développement commercial d’une jeune entreprise
créée par deux amis, mène des missions dans l’immobilier. Embauché en CDI par un cabinet de recrutement, il n’est pas
confirmé à l’issue de sa période d’essai, en raison de la disparition prévue de la branche qui l’emploie et de ses prétentions salariales qu’il estime a posteriori trop élevées. En entretien d’embauche, on commence à lui reprocher d’avoir eu
des expériences trop diverses. Du bilan de compétences réalisé pendant les premiers mois de son outplacement, il ne tire
pas de directions claires.
Passionné de musique, lui-même guitariste et pianiste, auteur-compositeur et membre d’un groupe amateur, il endosse
le rôle de manageur de deux groupes de musique qu’il aide à se produire dans des petits cafés concerts et dans des festivals. Pour ses propres répétitions, il s’équipe de protections auditives et c’est de là que naît l’idée de son entreprise.
Des amis sont disposés à lui prêter main forte, même si globalement son entourage ne croit pas vraiment à son projet,
et ses allocations chômage lui donnent une certaine « sécurité ». Fondée il y a quatre ans avec un ami musicien amateur et salarié par ailleurs, vraiment « sur des rails » depuis trois ans, son entreprise commercialise dans les concerts et
les festivals des protections auditives spécialisées. Seul salarié à temps plein, Laurent recrute épisodiquement en stage
ou en CDD, et fait appel à des intérimaires pour couvrir les festivals.
Au moment de se lancer, il peut déjà compter sur une ébauche de réseau et sur une bonne connaissance des codes des
milieux musicaux. Rétrospectivement, il estime avoir développé dans ses précédents postes des compétences en matière de reporting, de développement commercial, de présentation orale et de gestion de planning, qui lui sont aujourd’hui
essentielles dans son activité. En prévision de la croissance de sa structure, il a prévu de suivre, dans les mois qui viennent, une formation au management.
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Volontariat International en Entreprise
Apec - Le changement de métier chez les cadres
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PORTRAIT DE CADRES
■ THOMAS
De responsable du développement à directeur du développement durable :
un changement de métier abouti en externe
De formation hôtelière complétée par un MBA, Thomas travaille une dizaine d’années dans le secteur de l’hôtellerie. Responsable de développement dans une chaîne hôtelière, il entreprend, à 37 ans, un bilan de compétence financé par son
entreprise afin de faire le point sur un métier dans lequel il ne se projette plus. Ce bilan l’oriente vers les métiers du
développement durable et de l’environnement, avec lesquels il a déjà de fortes affinités (éco-construction de sa maison,
engagement dans une AMAP2, etc.).
Suite à son bilan de compétences, Thomas prend contact avec la DRH de son groupe pour faire état de son souhait d’évoluer vers les métiers de l’environnement et pour demander un CIF. Cette demande débouche sur son départ de l’entreprise. Son dossier de CIF est validé par son employeur en échange de ce départ, dans un contexte où un plan social se prépare dans l’entreprise.
Son passage vers les métiers de l’environnement, Thomas ne l’envisage pas sans formation. Il multiplie les démarches
d’information, rencontrant les responsables de formation, visitant des écoles, avant de fixer son choix sur un Master en
ingénierie de l’environnement. Outre les cinq mois de cours à plein temps, cette formation prévoit un stage de six mois.
C’est en faisant appel à son réseau professionnel dans son secteur d’origine qu’il décroche un stage.
A l’origine, Thomas est recruté en stage par un ancien contact professionnel qui choisit de lui rendre service davantage
qu’en réponse à un besoin très net de l’entreprise. Pourtant, à l’issue de son stage, il a su faire la preuve de la nécessité pour l’entreprise d’une démarche environnementale et se voit proposer un CDI, avec la responsabilité d’une équipe ;
il a su créer son emploi. Mais pas sans quelques concessions : aujourd’hui, quelques années après son embauche, 50%
de son poste est lié à l’environnement et 50% à des missions de développement commercial, et malgré une progression
de salaire dans son entreprise actuelle, il est encore aujourd’hui rémunéré 10% à 20% de moins que dans son précédent
métier.
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AMAP : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne
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ISBN 978-2-7336-05929
EDOBSA0100-07.10
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