La culture à l`hôpital - AP-HM
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La culture à l`hôpital - AP-HM
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE NUMÉRO SPÉCIAL La culture à l'hôpital FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE - FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES HÔPITAUX NUMÉRO SPÉCIAL 140 - JUIN 2011 Société française d’Histoire des Hôpitaux Adresse de gestion 1, résidence Sus-Auze - 84110 Vaison-la-Romaine Tél. : 06 19 79 55 17 - Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh - Courriel : [email protected] Siège social Fédération Hospitalière de France - 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS CEDEX 14 - CCP PARIS 1556-69 L Président fondateur Jean IMBERT Présidents d'honneur Maurice ROCHAIX Professeur de l'université de droit de Paris émérite. Membre de l'Institut Membre fondateur Inspecteur général des affaires sociales honoraire Jean FAVIER Historien. Membre de l'Institut Marie-José IMBAULT-HUART Professeur d'histoire de la médecine honoraire CONSEIL D'ADMINISTRATION Bureau Président Jean-Paul SÉGADE Vices-Présidents Yves BAILLE Directeur général de CHU Conservatoire du patrimoine médical de Marseille René TOURNIER Directeur d'hôpital honoraire Secrétaire général-Trésorier Jacques BRUNIER membres du bureau Cédric ARCOS Directeur d'hôpital honoraire Directeur d'hôpital, représentant la Fédération hospitalière de France Yann BUBIEN Conseiller auprès du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé Daniel GERMAIN Professeur de médecine honoraire Administrateurs Bernard BELAIGUES Directeur d'hôpital Jean-Louis BLANC Professeur de médecine Lucile GRAND Conservatrice en chef du patrimoine. Service interministériel des Archives de France. Ministère de la culture et de la communication Gérard DESBORDE Patrick KEMP Jacques DESCHAMPS Pierre-Louis LAGET Conseiller de chambre régionale des comptes Directeur d'hôpital honoraire Olivier FAURE Professeur d'histoire. Université Jean-Moulin Lyon 3 Bruno FRANÇOIS Chargé de mission pour le patrimoine hospitalier. Agence régionale de santé Bourgogne Jacques FREXINOS Professeur de médecine honoraire Chargé du Patrimoine. CHU de Lille Chercheur. Service du patrimoine culturel. Conseil régional Nord-Pas-de-Calais Anne-Marie LÉGER Inspecteur des affaires sociales honoraire Marie-Thérèse LEPRÊTRE Directrice des soins. CH de Vendôme Anne-Marie LIQUIER Cadre infirmier hospitalier honoraire Dominique LOISON Directeur d'hôpital, directeur général adjoint CGOS Conception, réalisation, impression : de Bussac à Clermont-Ferrand - 04 73 42 31 00 - www.gdebussac.fr Alexandre LUNEL Maître de conférences en droit. Université de Paris VIII Yves MAMIE Directeur d'hôpital Daniel MOINARD Directeur général de CHU Guy NICOLAS Professeur de médecine. Conseiller au ministère. Jacques POISAT Maître de conférences. Université Jean-Monnet de St-Étienne Philippe RITTER Président de l'ANAP (Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) Jean-Jacques ROMATET Directeur général de CHU REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE PRÉFACE L es affinités électives de la culture et de la santé ne sont (…) pas nouvelles, si l’on veut bien y songer : dans l’Antiquité, déjà, Apollon était à la fois le dieu des arts et le dieu guérisseur ! Et l’histoire de la médecine est traversée de recherches, de thérapies qui ne sont pas uniquement centrées sur la seule question organique, mais qui, plus largement, prennent en compte la dimension psychologique, spirituelle et culturelle du patient – au moyen, notamment, de la musique, du dessin, de l’écriture. Tel PROUST découvrant avec émerveillement le fameux « théâtrophone » et son pouvoir de faire entrer les opéras de WAGNER et de DEBUSSY dans sa chambre de malade, le patient doit avoir la possibilité de transformer ce temps de la traversée de la maladie en un temps de réflexion sur soi et sur le monde. Pour les publics empêchés, éloignés de la culture du fait d’un handicap, d’une maladie, la culture sous toutes ses formes doit demeurer accessible. Apporter à chacun, dans son individualité, dans sa singularité, dans son humanité aussi, la diversité des productions artistiques, telle est l’ambition que je porte, dans la continuité de l’action engagée par mes prédécesseurs au service de la belle idée de démocratisation culturelle. Ainsi, après être devenus des lieux d’enseignement et de recherche, les hôpitaux sont devenus des lieux ouverts aux arts et aux artistes. Par étapes, les ministères de la Santé et de la Culture se sont rapprochés, d’abord avec la création de bibliothèques en milieu hospitalier, puis avec la signature d’une première convention en 1999. La convention « Culture et Santé » propose une action interministérielle et interdisciplinaire. Elle contribue à placer la personne au centre du dispositif, dans toute sa plénitude et surtout dans toute sa dignité (1). Lorsque © Didier Plowy/MCC nous avons signé la convention « Culture et Santé » le 6 mai 2010, la ministre de la Santé et moi-même avons voulu rendre compte de deux ans d’une politique commune entre nos deux Ministères, mais aussi encourager et remercier tous ceux qui depuis 1999 se sont engagés dans l’intégration d’un volet culturel dans leur Projet d’Etablissement. La Société française d’Histoire des Hôpitaux, par son regard sur l’Histoire et par sa « volonté de savoir », est l’un des supports de cette action culturelle à même de donner du sens à l’action des hospitaliers. Je souhaite les encourager dans cette double démarche et remercier la Société française d’Histoire des Hôpitaux de m’avoir donné l’occasion d’apporter, dans sa revue, mon soutien à ses projets culturels, avec l’ambition de faire de l’hôpital un lieu qui sauve et un lieu qui libère. La présence de la culture en son sein peut y contribuer grandement. Frédéric Mitterrand Ministre de la Culture et de la Communication (1) Extrait du Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé le 6 mai 2010 à l’occasion de la signature de la convention Culture et Santé avec Roselyne BachelotNarquin, ministre de la Santé et des Sports. SOMMAIRE n° 140 - JUIN 2011 Préface de Frédéric Mitterrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction - Une nouvelle commission nationale : la commission Culture et Santé à l’hôpital public : organe d’échange, de réflexion, de mutualisation et de valorisation Sophie Bellon-Cristofol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 - Dix ans de politique culturelle dans les établissements de santé Yann Bubien, Laëtitia Buffet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 - La culture introduit du sens dans nos existences Pierre Le Coz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 L’hôpital, des héritages et des reconversions Numéro spécial coordonné par Julien Rodier, attaché culturel à la Direction des Affaires Culturelles de l’AP-HM (Michèle Ségade, Carine Delanoë-Vieux) - La lumière, grâce hospitalière pour l’homme malade, architecture et spiritualité envers l’espace du soin Jean-Louis Bouchard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 - Fermeture d’hôpitaux, quelles clefs ? Marie-Christine Pouchelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 - Transmission par la conservation. Les Hospices civils de Beaune et leur musée de l’Hôtel-Dieu, Bruno François . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 - Concept d’humanisme à travers les programmes de formation des infirmiers Frédérique Tomasini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 - De l’hospice de la Charité au centre culturel Pr Yves Baille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 - Onomastique, symbolique et mémoire dans les hôpitaux parisiens Jacqueline Lalouette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Le projet culturel et l’hôpital Comité de lecture Pr Yves Baille Jacques Brunier Pr Jacques Frexinos Pr Daniel Germain Pierre-Louis Laget Direction de la publication Bernard Belaigues Secrétariat de rédaction Benjamin Heraut Service Communication & Culture, CHU de Clermont-Ferrand - « Culture et hôpital » 2002-2009. Du militantisme à l’institutionnalisation Gilles Herreros, Bruno Milly . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 - Culture à l’hôpital, culture de l’hôpital Yann Bubien, Rachel Even, Bernard Glorion, Olivier Galaverna .............................................................. 61 - Comment concevoir un hôpital en intégrant la dimension culturelle : héritages et reformulations Anne Nardin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 - Patrimoine et mémoire, anamnèse d’un hôpital psychiatrique Carine Delanoë-Vieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 La création contemporaine et l’hôpital - Physalis partitura, une commande publique de Katsuhito Nishikawa pour l’hôpital Claude-Huriez, CHRU de Lille Michèle Dard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 - La commande artistique aux hôpitaux universitaires de Strasbourg Barbara Bay, Christelle Carrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 - Lieu de recueillement et de prière pluriconfessionnel de l’Institut Paoli-Calmettes, Action Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France, 1997-2000, Marseille Michelangelo Pistoletto, Nicole Bellemin-Noël, Dominique Maraninchi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Cahier d’expériences ...................................................................................................... 4 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 88 IN T R OD U C T ION Une nouvelle commission nationale : la Commission Culture et Santé à l’hôpital public : organe d’échange, de réflexion, de mutualisation et de valorisation Sophie Bellon-Cristofol Attachée culturelle, Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille A vec la nouvelle convention cadre signée en mai 2010 entre le ministère de la Santé et le ministère de la Culture, le thème de la culture a désormais sa place pleine et entière dans les projets des établissements comme des stratégies de territoire. Les projets culturels sont d’ailleurs intégrés à la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital « Hôpital, Patient, Santé, Territoires ». La politique hospitalière « Culture et Santé » s’appuie notamment sur les travaux de la commission nationale « Culture et Santé à l’hôpital public » rassemblant des professionnels hospitaliers en responsabilité des programmes culturels. Celle-ci est présidée par Jean-Paul Ségade, Directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille et se compose de deux entités : - des membres de la commission Culture de la Conférence des directeurs généraux de CHU, - des membres de la communauté hors CHU au titre de la Fédération hospitalière de France (depuis mars 2011). Les Agences régionales de santé avaient été sollicitées pour désigner un établissement de santé de leur territoire respectif ayant une politique culturelle significative. Elle s’est fixée un double objectif : - être un lieu de débat et d’échanges entre les différents établissements hospitaliers qui mettent en œuvre des politiques culturelles, - être un organe référent et force de proposition auprès des ministères de la Santé et de la Culture et autres organismes et institutions nationales. Chaque année, la Commission organise deux séances de travail et une séance ouverte à un public plus large. Les séances de travail de la Commission sont structurées en deux temps : le partage d’expériences et l’exploration des thématiques avec des invités extérieurs. Les thématiques suivantes ont été récemment abordées : les actions culturelles et artistiques dans le cadre du code des marchés publics, la convention « Culture et Santé »… À partir de 2011, des séances publiques seront également organisées sur les thématiques suivantes : REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 5 I NTRODUC TION 2011 : approche comparative du développement culturel à l’hôpital au Québec et en France. Lieu : CHU de Montréal, octobre 2011. 2012 : le dispositif culture à l’hôpital et l’Europe. Les perspectives de coopération des CHU transfrontaliers. Lieu : Strasbourg. 2013 : l’ouverture sur le bassin maritime de la Méditerranée et le rôle d’un CHU dans la dynamique de la capitale européenne de la culture. Lieu : Marseille. 2014 : Culture, hôpital et territoire. Lieu : Normandie. La Commission travaille également à la mise en œuvre d’outils permettant de communiquer et de valoriser, sur le plan national, les actions culturelles et artistiques mises en œuvre par les établissements de santé dans le cadre de leurs politiques culturelles. Un projet de création centre de documentation national, spécialisé sur la thématique « Culture et Santé », est notamment en cours d’étude. Contact : Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille Direction des Affaires Culturelles Tél. : 04 91 38 97 45 [email protected] Culture àà l’hôpital. l’hôpital. Bref Bref historique historique Culture • 1800/1810 : le marquis de Sade, hospitalisé à la maison de Charenton, organise avec les malades, à la demande du directeur de l’époque, des représentations “thérapeutiques” auxquelles le Tout-Paris est invité. • 1er février 1993 : signature d’un protocole d’accord entre les ministres chargés de la santé et de la culture1, et circulaire d’application du 16 mars 1993 adressée aux directeurs régionaux des affaires culturelles par le directeur du patrimoine du ministère de l’éducation nationale et de la culture. Ces deux textes resteront plus ou moins un vœu pieux. • 1930/1940 : construction de salles de spectacles dans l’enceinte des hôpitaux pour des malades de la tuberculose en long séjour. • 1996 : mission confiée par le ministre de la culture au Dr Lapras, pour approfondir l’inventaire du patrimoine hospitalier et envisager des mesures de protection. • 1634 : la lecture à l’hôpital apparaît sous le vocable “distraction des malades”. • 1934 : création de la bibliothèque centrale à l’hôpital de la Pitié-Sâlpétrière à Paris. • 1950/1960 : des circulaires adressées aux directeurs d’établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris insistent sur les critères de qualité et la satisfaction des malades dans le choix des spectacles proposés. • 1985 : publication du rapport de M. ChemillerGendreau « Culture et Santé » qui se conclut par « la santé n’est pas une donnée objective, mais un fait en grande partie culturel. » • 4 mai 1999 : signature de la convention sur la mise en place de projets culturels dans les hôpitaux, entre les ministres chargés de la santé et de la culture2. • Février 2001 : premières rencontres européennes de la culture à l’hôpital, à Strasbourg. • Juin 2004 : rencontres internationales de la culture à l’hôpital, à Dublin. • 6 mai 2010 : convention « Culture et santé » entre les ministres chargés de la santé et de la culture3 pour la mise en œuvre d’une politique commune entre les deux ministères. 1 - Ce protocole trouve son origine dans une initiative de Maurice Rochaix, alors président de la Société française d’histoire des hôpitaux (SFHH), auprès de Gérard Vincent, directeur des hôpitaux au ministère de la santé, et de Christian Dupavillon, directeur du patrimoine au ministère de la culture. M. Rochaix fit valoir l’intérêt de resserrer les liens entre les ministères de la santé et de la culture par une convention et proposa à G. Vincent que le dossier fût confié à sa direction En liaison avec la direction du patrimoine, un bref protocole fut signé par Bernard Kouchner et Jack Lang. 2 - Bernard Kouchner et Catherine Trautmann. 3 - Roselyne Bachelot-Narquin et Frédéric Mitterrand. 6 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 IN T R OD U C T ION Dix ans de politique culturelle dans les établissements de santé Yann Bubien Directeur de cabinet adjoint de la ministre de la Santé et des Sports Laëtitia Buffet Étudiante Sciences Po Paris L e chirurgien JacquesRené Tenon 1 écrivait au XVIII e siècle que les hôpitaux étaient « en quelque sorte la mesure de la civilisation d’un peuple ». Mesure de nos choix de société, en tant que manifestation de l’Étatprovidence qui ne cesse d’en subir les crises et les contradictions, manifestation de l’état de nos connaissances scientifiques, l’hôpital est aussi nécessairement le reflet des évolutions de la culture – ne serait-ce que par la richesse à la fois quantitative et qualitative du patrimoine architectural et mobilier que son histoire riche et mouvementée lui a légué. Ce patrimoine nous prouve à quel point, depuis le IXe siècle et la création des hôpitaux par le concile d’Aix-laChapelle, l’art est présent au cœur de l’hôpital : les tableaux exposés dans les salles des malades, par exemple, tel le retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, encourageaient ces derniers à supporter la souffrance et à envisager leur mort, à une époque où la médecine se réduisait aux soins basiques du corps. S’il est bien ainsi le reflet et la mesure de notre civilisation, l’hôpital ne s’en est pas moins développé largement en dehors des murs de la cité, au sens propre parfois comme au sens figuré. À certains moments de son histoire, il sera même le lieu du « grand enfermement » de ceux dont la rue ne veut pas – un isoloir au cœur de la ville. La personne malade y vit un temps « entre parenthèses », les professionnels évoluent dans un espace essentiellement technique, sans continuité avec la vie de la cité. Paradoxe de l’hôpital, qui reflète et révèle un contexte dont il est tenu à l’écart. La redécouverte d’une culture présente de tout temps dans les murs de l’hôpital, sa promotion active sous toutes ses formes, apparaît comme un axe majeur d’humanisation du cadre de vie des malades et du cadre de travail des soignants, lorsqu’au cours des années 1990 la nécessité d’ouvrir l’hôpital à la vie de la cité et d’y créer les conditions d’un échange réciproque est reconnue comme une priorité par les professionnels des établissements de santé. En 1999, est ainsi signée entre le secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale et le ministère de la Culture et de la Communication une convention qui leur fixe l’objectif commun de promouvoir la culture à l’hôpital. En dix ans, une vingtaine de conventions régionales a été signée entre agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et directions régionales des REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 7 I NTRODUC TION affaires culturelles (DRAC). Près de 400 projets ont été portés par les établissements, et de nombreuses journées d’échange thématiques ont été organisées entre acteurs hospitaliers et culturels. La signature en 2010 d’une nouvelle convention, qui prolonge et complète la première, s’appuie ainsi sur le constat d’un développement formidable des initiatives culturelles dans les établissements de santé ; celui-ci redessine les contours d’un hôpital qui, de lieu de soin exclusivement technique, devient progressivement un lieu de vie, d’échange, d’apprentissage. Le nouveau visage de l’hôpital La dynamique induite par le programme national « Culture à l’hôpital », placé au niveau régional sous l’égide de la direction régionale des affaires culturelles et de l’Agence régionale de l’hospitalisation, a encouragé ou donné lieu à un grand nombre de projets de promotion de la culture en milieu hospitalier au cours de la décennie 2000. Leur richesse tient à la fois à leur quantité et à leur diversité, tant en termes de public que de discipline artistique, de lieu ou de durée. L’hôpital ouvert Tous les projets culturels mis en œuvre ces dix dernières années ont pourtant en commun la volonté de créer une véritable continuité spatiale entre l’établissement et la cité, et, partant, entre le temps du soin et la « vie normale » des patients hospitalisés. Cette continuité est rendue d’autant plus nécessaire par la récurrence des séjours des patients, toujours plus nombreux, atteints de maladies chroniques. Artistes et œuvres circulent de l’un à l’autre, parfois à rebours des idées reçues, comme à Tours, où les patients ont créé collectivement une œuvre dans la gare de la ville 2. Tous ont en commun de vouloir dessiner un hôpital ouvert à d’autres logiques que la logique technique : le patient peut exprimer sa personnalité tout entière, avec, au-delà de sa seule condition physique, sa sensibilité, son intellect, sa créativité. L’hôpital lieu de vie, cadre de travail L’hôpital se doit d’être un lieu de vie d’autant plus chaleureux qu’il est un lieu de soin, dans lequel les patients s’installent avec leurs doutes et leurs appréhensions. La culture visible, présente, manifeste cette volonté d’adoucissement du cadre de vie des malades et du cadre de travail des soignants : les œuvres d’art sont installées dans les espaces d’accueil et d’attente des bâtiments hospitaliers, comme dans les CHU de Nice, Dijon et Poitiers, et comme avant elles au centre hospitalier Georges-Pompidou à Paris. Lieu de vie pour les patients hospitalisés, l’hôpital est également un lieu de travail pour son personnel, qu’il soit ou non médical. Vecteur d’une amélioration du cadre du travail quotidien par l’aménagement concret des bâtiments et l’introduction d’œuvres d’art, la culture constitue également un élément fort du management social d’un établissement de santé. Les travaux de la commission culture des directeurs de CHU et de la Fédération hospitalière de France (FHF) font état de projets innovants permettant de décloisonner, de rapprocher les différents métiers de l’hôpital, et de réunir les personnes autour de valeurs partagées. L’hôpital, lieu d’apprentissage Faire de l’hôpital un lieu de vie, c’est aussi permettre au patient de vivre dans 8 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 ses murs un moment positif, plein, et non uniquement fait d’attente, de creux entre deux examens et deux résultats. Bien que la recherche en médecine s’intéresse de plus en plus à des thérapies qui intègrent les dimensions psychologique, culturelle et spirituelle du patient, la culture a ici pour but, très humblement, et au-delà de tout objectif thérapeutique, de permettre au temps de la maladie d’être un temps de découverte, un temps dans lequel l’apprentissage trouve autant voire plus de place que dans la vie quotidienne. La musique s’invite ainsi dans les murs de l’hôpital, comme au CHR de Metz, de même que le cinéma le fait dans les CHU de Nantes, de Bordeaux, de Marseille. Des espaces spécifiquement dédiés à la culture, permanents ou temporaires, apparaissent dans l’enceinte des hôpitaux : ainsi de la médiathèque de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris ou du chapiteau dédié aux arts de la rue au CHU de Nantes. Depuis 1996, l’association « Art dans la cité » permet à des artistes de s’installer en résidence dans les établissements de santé à travers l’Europe. Des artistes reconnus viennent échanger et travailler avec des patients pour réaliser une œuvre in situ qui appartiendra au patrimoine de l’hôpital. Outre l’installation d’une œuvre d’art au sein de l’hôpital, cette action permet la rencontre directe avec un créateur. La résidence permet aussi aux artistes de sortir de l’atelier et leur création est stimulée au contact du lieu et de l’environnement pour lequel ils réalisent une œuvre. Culture à l’hôpital, culture de l’hôpital L’art à l’hôpital est également un art de l’hôpital – un art qui souvent permet un travail réflexif sur le corps, le corps du patient aussi bien que celui du soignant, sur la santé et la maladie. La IN T R OD U C T ION représentation du corps se trouve ainsi, par exemple, au cœur de créations sur le thème du « Corps transparent » et de l’imagerie médicale à l’Assistance Publique- Hôpitaux de Marseille, ou de spectacles de danse intégrant les gestes quotidiens des soignants au CHU de Rouen. Quel avenir pour la culture à l’hôpital ? La signature d’une nouvelle convention entre le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Santé et des Sports offre de nouveaux outils, de nouvelles perspectives de développement aux acteurs de la culture à l’hôpital. La convention s’inscrit dans le cadre de la réforme en cours des territoires de santé : en région, sa déclinaison opérationnelle associera donc les nouvelles agences régionales de santé (ARS) aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Elle s’appuie sur les dispositions de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), qui prévoient l’intégration dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des établissements de santé (CPOM) un volet social et culturel. Elle ouvre notamment la voie à une promotion de la culture qui dépasse le seul cadre des établissements sanitaires pour pénétrer celui des établissements médico-sociaux. Les lieux de vie des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées seront ainsi les nouveaux espaces de déploiement du programme « Culture et santé », à travers, dans un premier temps, la conduite d’une expérimentation dans quatre régions pilotes. Signe de l’importance du sujet pour la pratique professionnelle des personnels soignants, les cadres hospitaliers verront intégrer des modules de formation et de sensibilisation à la promotion culturelle dans leur formation initiale, et des ateliers annuels thématiques autour de représentants du secteur culturel seront organisés. Enfin, la nouvelle convention encourage la création d’une fondation ayant pour objet de réunir, d’administrer et de distribuer les contributions des donateurs privés, afin que les initiatives culturelles dans le système de santé puissent disposer des ressources nécessaires à un travail d’une qualité irréprochable. L’introduction de la culture à l’hôpital n’est pas le fait de la fin des années 1990. La chapelle en croix grecque de la Pitié-Salpêtrière ou les hospices de Beaune sont les témoins silencieux d’une présence ancienne de l’art au cœur de l’hôpital. Les dix dernières années ont, pourtant, marqué une rupture dans les rapports des mondes de la culture et de la santé, en leur donnant les moyens d’un véritable échange. Car, si la culture intéresse les acteurs de l’hôpital, l’hôpital intéresse les acteurs de la culture, dans la mesure où il réunit des publics potentiels très divers, de tous âges, de toutes origines. Culture et santé se nourrissent mutuellement d’un mouvement dialectique sans cesse renouvelé : car de la confrontation de deux logiques, de deux mondes a priori si différents, naissent tous les jours des œuvres d’une humanité et d’une générosité rares. NOTES 1 - Jacques René Tenon, Mémoire sur les hôpitaux de Paris, Royez, Paris, 1788. 2 - Humanités, dix ans d’art et de culture dans les CHU, 2010. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 9 I NTRODUC TION La culture introduit du sens dans nos existences Pierre Le Coz Professeur agrégé de philosophie à la Faculté de médecine de Marseille Membre du comité de pilotage de l’espace Éthique méditerranéen, AP-HM D u terme « culture », on peut schématiquement extraire trois significations. Un sens conceptuel et général (la « culture » opposée à la « nature »), un sens anthropologique (« les cultures » plutôt que « la » Culture), un sens littéraire (la culture comme voie d’accès aux « Humanités »). Ces trois sens peuvent se recouper et s’harmoniser mais aussi se télescoper. On le voit, quelque fois au sein d’un hôpital, lorsque notre culture des soins et les valeurs universelles des acteurs de santé se heurtent aux références culturelles de certains patients immigrés. Ainsi, la notion de « Culture » peut tantôt souligner ce qui nous sépare (les particularismes), tantôt mettre l’accent sur ce que nous avons en commun (sens universaliste). Source d’incompréhension, la culture peut devenir source de divisions et parfois d’oppositions : j’ai « ma » culture, l’autre a « sa » culture. Pour échapper à ces impasses, il semble essentiel de promouvoir le sens humaniste de la culture qui consiste à privilégier la dimension universaliste des génétique, les composantes physiques et organiques de son être. Relève du registre de la nature ce qui pourrait s’observer scientifiquement (décodage du génome etc.), en droit, sinon en fait. Au sens premier, la « culture » est ce qui s’oppose à la « nature » À cette dimension objectivement observable de la nature biologique de l’homme, on peut ajouter un élément plus subjectif, qui relève du vécu spontané (l’« animalité ») et que l’on a coutume de qualifier par les concepts de « besoins », « instincts », ou plus spécifiquement, s’agissant de l’homme, les « pulsions » libidinales, suivant la terminologie de Freud 2. À la différence des gènes, les pulsions sont ressenties ; elles peuvent susciter un état de manque, de frustration, déréguler nos conduites à travers des expressions corporelles envahissantes. Au sens premier et général du terme, la culture est ce qui s’oppose à la nature. Est naturel ce qui est inné (littéralement « né avec moi »), ce qui a un fondement biologique. La nature s’exprime en l’homme à travers son patrimoine Tout ce qui s’ajoute à la nature, tout ce qui nous hisse au-dessus de notre condition primitive et animale se range sous la catégorie de « culture ». La culture, c’est ce qui nous permet de devenir autre chose que ce que nous arts et des lettres. De ce point de vue, nous respectons les différences mais sans les accuser. La fréquentation des œuvres de toutes les cultures nous permet de dégager leur noyau universel. La culture donne sens à notre existence en nous faisant accéder au rang de « citoyen du monde » 1. 10 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 IN T R OD U C T ION sommes. Nous ne sommes pas totalement pilotés par notre équipement instinctif. L’homme est l’animal qui a cette chance de pouvoir se préférer autre qu’il n’est. Même le plus intelligent des singes n’a pas besoin d’être autre chose que ce qu’il est pour être tout ce qu’il est. Le trait caractéristique de l’homme c’est d’être inachevé. Nous avons besoin de devenir ce que nous sommes (« Deviens ce que tu es » 3), c’est là le paradoxe de notre condition. Nous naissons humains et nous avons besoin de nous humaniser. À l’état de nature, nous ne sommes rien de plus que des échantillons d’une espèce biologique. C’est la culture qui permet de nous singulariser au sein du règne animal. Cet affranchissement de l’homme à l’égard de son environnement naturel d’origine n’est pas un luxe mais une nécessité. En effet, nous ne pourrions pas même survivre à l’état de nature. Le bon sauvage insouciant qui vit frugalement à l’état de nature, qui cueille les fruits à l’arbre et boit l’eau au creux de sa main est un mythe. Pour survivre, l’homme a dû fabriquer des outils, construire des règles de vie en société. En ce sens, on peut dire que l’homme est, par nature, un être contrenature. L’artifice est le milieu naturel de l’homme. Le mythe de « Prométhée » que nous a légué l’Antiquité grecque évoque la condition de l’homme comme un être désavantagé par rapport aux autres animaux, privé de bec, de crocs, de griffes, de pinces qui lui permettraient de se défendre contre les bêtes sauvages. Platon met en scène un dialogue au cours duquel Protagoras, l’interlocuteur de Socrate 4, définit la condition humaine initiale : « l’homme est nu, sans chaussures, ni couverture, ni armes » 5. Le trait distinctif de l’homme c’est d’être le plus démuni de tous les animaux. Il est livré à luimême au sein d’une nature sauvage où tous les animaux ont été équipés pour se protéger et se nourrir, à l’exception de luimême. Prométhée est le dieu qui a pris les hommes en pitié. Il leur a prodigué « l’art de manier le feu » 6. Grâce à ce don divin, l’homme devient l’homo faber, l’animal capable de fabriquer des outils, des armes, des abris, et de couvrir sa nudité. C’est la culture qui va lui permettre de poursuivre son aventure pour la survie. On remarque que paradoxalement, le développement exponentiel de la technique au cours des siècles peut aboutir à ramener l’homme à sa condition d’être biologique. Parfois, il nous arrive de voir des hommes très âgés et inconscients, allongés sur leur lit d’hôpital, maintenus par des machines et des appareils sophistiqués. Nous éprouvons trouble et malaise car nous avons le sentiment que l’homme est menacé d’être déshumanisé, réduit à ses fonctions végétatives et nourricières par une médecine « high-tech » qui paraît avoir échappé à nos prises. Sens anthropologique : la création de civilisations Le mot culture est parfois employé au sens de la civilisation. Une culture est constituée d’une langue, d’un système de parenté, d’un corpus de techniques et de manières de faire (cuisine, arts, pratiques de soin, de maternage, manière de porter les bébés…). La civilisation se décline au pluriel : il existe des mœurs, des coutumes, des traditions, des savoir-faire empiriques. Ce que la pluralité des civilisations nous donne à voir c’est que l’homme est un créateur d’institutions. Il crée des écoles, des musées, des bibliothèques, des hôpitaux, etc. Ses formes sont multiples à l’échelle de la planète (on parle de la culture occidentale, de la culture orientale, etc.). La civilisation désigne une forme de vie qui n’est pas statique et homogène. Par exemple, la fourmilière illustre une vie en société fascinante par sa complexité mais elle n’est pas une civilisation. C’est une société qui existait déjà sous cette forme il y a 3 000 ans. Une civilisation est évolutive (même les sociétés dites « primitives » ont une histoire) dans le temps et diversifiée dans l’espace. La variété infinie de civilisations nous conforte dans l’idée selon laquelle l’homme est un animal à part, un être qui est capable de transcender sa condition immédiate par la puissance d’inventivité de son esprit 7. En effet, s’il n’était que le résultat de ses gènes (« biologisme »), pourquoi y aurait-il une aussi grande diversité de mœurs et de coutumes ? S’il était le simple produit de la société (« sociologisme »), comment pourrait-il la transformer en permanence, voire parfois se révolter contre elle ? Même si sous un certain aspect, la société humaine est une société animale, enracinée dans l’élément biologique, par un autre côté elle est le fruit de la créativité de l’esprit, ce qui fait de la société humaine une réalité essentiellement spirituelle. Le propre de la société humaine est d’exister et de se transformer sans cesse dans le temps sous l’impulsion de la créativité de l’esprit. On note que ce deuxième sens du mot « culture » prolonge le premier. Au sens n° 1, la culture est l’ensemble des artifices au moyen desquels l’homme peut s’affranchir du joug de la nature, éloigner le spectre de sa disparition. Ensuite, au sens n° 2 (les « civilisations »), à l’échelle de la planète, nous voyons la culture se différencier à l’infini, les sociétés ayant leurs manières d’agencer des règles et des conventions pour assurer la vie en commun. Une fois que sa survie a été assurée, l’homme peut envisager d’autres possibilités, s’instruire, se cultiver uniquement par loisir, créer de nouveaux outils linguistiques. La culture, en ce sens, ne signifie plus seulement ce qui permet à l’homme de survivre (la technique) mais ce qui lui permet de donner du sens à sa vie en lui donnant des centres d’intérêts diversifiés. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 11 I NTRODUC TION Quelle que soit sa configuration, une culture s’oppose à la nature comme l’institution s’oppose à l’instinct. Être « civilisé » c’est être initié à la civilité et à la citoyenneté. On nomme « incivilité » le fait de rejeter les règles de civilité pour retourner à la brutalité de la spontanéité naturelle, par l’injure ou par le geste. Le propre de l’humain c’est d’être un animal institué. Un commandement du droit romain énonce : « Il ne suffit pas de produire de la chair humaine, encore faut-il l’instituer » 8. L’école est l’institution par excellence. On a, du reste, longtemps parlé d’« instituteur » et plus encore d’« institutrice » pour désigner le vecteur qui assure le passage de l’instinct à l’institution, de la nature à la culture. L’élève est celui qu’on élève ; il est l’humain en devenir que l’école a la charge de faire passer de sa condition de « barbare » à celle de « civilisé », de, son rang initial d’individu biologique au statut de personne civique 9. L’histoire atteste cependant que l’utilisation des moyens de la culture au service des appétits naturels peut donner lieu à des formes de violence qui n’existaient pas à l’état primitif. Les cultures se percutent, s’affrontent, les guerres rendent les civilisations « mortelles » 10. Il suffit à l’homme de prononcer un simple mot pour déclencher des luttes féroces et sanglantes : « feu ! ». C’est parce que l’homme est l’animal qui parle que notre espèce est la plus cruelle d’entre toutes. Nous n’avons ni griffes ni crocs mais nous pouvons faire surgir de nos lèvres des mots capables de sauter à la gorge de nos semblables. Parce qu’il ne vit pas dans l’élément de la culture, l’animal ne peut pas devenir in-animal. Mais l’humain lui, peut devenir inhumain. Les Humanités Par le biais de l’école, les arts et les lettres nous permettent de découvrir le monde des autres, les récits de leurs expériences, de comprendre la complexité du monde dans lequel nous vivons. Nous ne nous humanisons pas seuls. C’est l’humanité des autres qui nous humanise. De même que l’agriculture consiste à défricher un sol pour le rendre fertile, la culture est un travail d’éclosion des germes de l’individu. Voltaire disait bien « il faut cultiver notre jardin » 11. L’homme doit faire fructifier ses heureuses dispositions, ne pas les laisser en friche. Il nous incombe de développer ce qui gît enveloppé, de porter à l’expression ce qui n’existe en nous qu’à l’état latent. Ce processus d’acquisition est sans fin. Nous avons sans cesse à nous réapproprier les règles de l’orthographe et de la grammaire, par exemple. L’acquis de la culture n’est jamais définitif. Mais l’éducation ne se réduit pas à l’instruction. Nous avons aussi à intérioriser des règles de civilité. Dialoguer est un art qui prend du temps. Il nous faut apprendre à respecter son temps de parole, ne pas interrompre celui qui parle, accepter d’être contesté, contredit. La culture, à l’école mais aussi à l’hôpital, et dans toutes les institutions en général, se traduit par un travail quotidien de soi sur soi. La culture selon une formule attribuée à Herriot « c’est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié ». Manière de dire que la culture ne se limite pas à l’érudition. Elle est une quintessence qui s’exprime dans la délicatesse des gestes et le raffinement du jugement. Culture et hôpital Quel sens du concept de culture convient le mieux à l’hôpital ? Tous, à des degrés divers. Il existe, à l’état diffus, au sein des hôpitaux, un devoir de respecter la langue maternelle qui conjugue les trois sens du mot « culture ». On ne peut pas, décemment, dans un lieu dévolu à l’apaisement de la souffrance, 12 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 se laisser aller à la vulgarité. La puissance désarmante du visage d’un malade assiégé par la douleur nous enjoint à prononcer une parole d’authenticité 12 . L’information du patient elle-même relève de la culture. Informer signifie « mettre en forme ». Aristote – à qui revient la première formalisation de ce concept 13 – évoque en ce sens « l’information » du matériau brut par l’artisan. Ainsi, l’airain est dit « informé » par le sculpteur qui en a fait une statue d’Hermès. L’art d’informer ressemble à celui du sculpteur. On peut dire de l’information médicale qu’elle doit « sculpter » dans une matière d’idées et de souvenirs, d’attentes et d’appréhensions, qui sont déjà là, présents à l’esprit du patient et opposent au médecin l’épaisseur de son opacité. L’information ne peut survenir comme un orage dans un ciel bleu. Elle relève d’une démiurgie, nullement d’un créationnisme. Elle doit « faire avec » la présence d’une matière qu’elle se propose d’épouser, d’éprouver et d’explorer. Ici, la culture ne fait qu’un avec le questionnement éthique 14 : qu’est-ce que le patient désire savoir au sujet de sa maladie et dans quelle perspective ? Un patient qui manifestement cherche à être rassuré désire-t-il réellement savoir ? Les interrogations du soignant explorent également les matériaux du savoir que le patient a pu éventuellement récolter, çà et là, à partir de ce qu’on lui a déjà dit ou de ce qu’il a lui-même pressenti en fonction de certains signes (une « petite boule » par exemple). Il faut trouver les mots et le ton juste dans un climat émotionnel propice à l’interaction, poser des questions aux patients. Plus généralement, l’hôpital participe de la culture dans son opposition aux lois impitoyables de la nature. La nature est aveugle, elle impose la loi du plus fort. Dans la nature, chacun vit au détriment IN T R OD U C T ION des autres. Les prédateurs enfoncent leurs crocs dans la chair de leurs proies, en vertu d’un « vouloir-vivre affamé » 15 qui fuse à travers eux et les poussent à se conserver à n’importe quel prix. La nature crée des inégalités et l’hôpital incarne les valeurs portées par la culture : la protection des plus vulnérables et l’hospitalité. Hôpital signifie : « espace d’hospitalité ». L’hôpital a pour finalité de corriger les inégalités entre celui qui est en bonne santé et celui qui ne l’est pas. Le handicap, la maladie génétique, les défaillances de l’organisme, et toutes les inégalités que la nature nous jette à la face, la culture de l’hospitalité s’emploie à les corriger sinon à les estomper. Elle traite comme des semblables ceux qui ne sont pas identiques. Conclusion Nous pouvons conclure notre propos en dégageant quatre points : - Vivre, pour l’homme, c’est développer des possibilités. C’est exister, c’est-àdire à la lettre « sortir hors de soi » pour participer à l’aventure intellectuelle de l’humanité. Les facultés de notre esprit ne sont pas faites pour rester engourdies. La participation aux affaires de la Cité permet de développer les germes que la nature a déposés en nous et les faire fructifier au service de la collectivité 16. Tout homme doit pouvoir éprouver du plaisir à mettre en mouvement les puissances de son entendement, ses capacités à créer, sentir, imaginer, à assembler et mettre en forme des matériaux. Aristote écrit au début de son ouvrage La Métaphysique que « tous les hommes désirent savoir, le signe en est le plaisir des sens » 17. Il y a un plaisir à accéder à de nouvelles connaissances, à piquer l’esprit de curiosité des autres, à leur transmettre le savoir dont nous avons hérité. - Nul ne peut se satisfaire de savoir que des malades hospitalisés passent leur journée entière les yeux rivés au plafond de leur chambre. Nous ne pouvons considérer comme une fatalité qu’un patient vive dans l’ennui la majeure partie de sa journée alors que la maladie n’a pas entamé ses capacités intellectuelles. C’est pourquoi, dans la mesure de ses possibilités, l’hôpital de demain est appelé à faire une plus grande place à la culture entendue au sens des Humanités, des arts et des lettres. - À l’état de nature, la force réside dans la corpulence, la robustesse, la tonicité des organismes. Mais chez l’homme, la culture transcende la nature ; elle fait émerger des forces invisibles, subjectives, des forces en sommeil qui demandent à être éveillées : la sensibilité, la volonté, la mémoire, l’imagination, la pensée. Derrière la fragilité des patients se cachent des forces intérieures, des forces morales et intellectuelles. Il y a des forces dans la faiblesse. - Pascal faisait de l’homme un mélange de misère et de grandeur : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant » 18. L’humanisme consiste à ne jamais désespérer de l’humanité. Certes, l’homme est le plus souffrant des animaux et chaque vie humaine reflète la tragédie de notre espèce. Mais, il y a aussi de la grandeur en l’homme, ne serait-ce que parce que la conscience de sa misère participe de sa grandeur (« un arbre ne se sait pas misérable » 19). Donner du sens à sa vie, c’est donner aux autres la possibilité de montrer de quoi ils sont capables, de prouver leur valeur au monde, de s’estimer eux-mêmes à travers l’estime de leurs semblables. L’humanisme consiste à défendre une image gratifiante de l’être humain qui n’est pas uniquement destiné à survivre et assurer sa descendance. NOTES 1 - Cf. ÉPICTÈTE. Les Entretiens Livre II, Ch. X, Comment de nos différents titres on peut déduire nos différents devoirs : « En plus, tu es citoyen du monde, dont tu es une partie ». 2 - FREUD, S. La vie sexuelle. Paris : PUF, 1969. 3 - Citation attribuée au poète Pindare (dans Pythique) et reprise plusieurs fois dans l’œuvre de Nietzsche, cf. Le gai savoir, § 270 : « Que dit ta conscience ? Tu dois devenir celui que tu es » (Du sollst der werden, der du bist). 4 - PLATON. Protagoras, 329 a, trad. De CHAMBRY, E. Paris : Garnier Flammarion, 1967. 5 - Ibid., 321 c. 6 - Ibid. 7 - HEGEL, G.W.F. La raison dans l’histoire. Éd. 10/18, Paris, 2003. 8 - LEGENDRE, P. L’Inestimable objet de la transmission. Paris : Fayard, 1985. 9 - Sur la différence entre « individu » et « personne » cf. MOUNIER, E. Le Personnalisme. Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », 1949. 10 - VALÉRY, P. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». La crise de l’esprit - première lettre, 1919. 11 - VOLTAIRE. Candide ou l’optimisme, Paris : Garnier, chapitre XXX. 12 - LÉVINAS, E. Éthique et infini. Paris : Livre de Poche, 1984. 13 - Cf. Physique, (Trad. de PELLEGRIN, P.), Paris : Flammarion, GF, 1999, 191a -192b. 14 - LE COZ, P. Petit traité de la décision médicale. Paris : Seuil, 2007. 15 - SCHOPENHAUER, A. Du néant de la vie. Mille et une nuits, pp. 56-57, 2004. 16 - KANT, E. 1957 [1783]. Fondements de la métaphysique des mœurs, (trad. V. Delbos), Paris : Delagrave. 17 - ARISTOTE. Métaphysique, trad. Marie-Paul Duminil et Annick Jaulin, Paris : GF, Flammarion, 2008. 18 - PASCAL. Œuvres complètes. Éd. Michel Le Guern, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris : Gallimard, 1999. 19 - Ibid. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 13 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS L ’hôpital se pose nécessairement la question de la transmission, de la reconversion ou de l’abandon de son patrimoine. À travers l’analyse de sa valeur historique et artistique et du témoignage qu’il pose sur le passé, ce patrimoine fait l’objet de différents traitements où la mémoire joue un rôle essentiel. L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS La lumière, grâce hospitalière pour l’homme malade, architecture et spiritualité envers l’espace du soin Jean-Louis Bouchard Architecte et artiste Intervention aux Conversations de Salerne, Beyrouth le 27 novembre 2010 Forme, histoire, spirituel À l’origine est l’hospice. Il est religieux, en pensée comme en pratique et la forme conve nue du contenant est celle du cloître. Au-delà du simple bénéfice fonctionnel de celui-ci, il est une forme idéale en soi, car il est le carré. Forme élémentaire ou primitive, chère à Malevitch comme à Kandinsky ou au Bauhaus, le carré n’est pas orienté, à la différence de l’église ou de la chapelle. Aussi, plus tard, ce carré dans le cas de l’occident chrétien, pourra entrer dans l’espace laïc sans grande difficulté. Mais, le carré vide ainsi créé pour les cloîtres, et les hôpitaux qui subsistent sur ce modèle, – et je vais ici en citer un comme exemple où il reste à ce jour encore, trois sœurs Augustines –, est l’essence je crois de ce qu’est l’espace spirituel dédié à l’hôpital. Mon exemple se situe à Seclin, près de Lille, au nord de la France, où Marguerite de Flandres fonda en 1246, ce qui est l’hospice Notre-Dame de Seclin, et servira de modèle ultérieurement aux hospices de Beaune. 750 ans de soins en ce lieu qu’une des trois sœurs justement, MarieLætitia pour la nommer, me décrivait sur place encore récemment, ce lieu pour moi indicible dit « de la cour carrée », frontière entre les lieux de soin et la salle des malades, contiguë, et axée spatialement, sur la chapelle ; lieu décrit je la cite, « comme propice à la méditation et la contemplation ». Ces deux termes sont essentiels. Contemplation et méditation, termes également qui perdurent, sont vifs, sont philosophie. Hormis la seule question de la foi, le beau et le génie des lieux restent d’actualité, tant ils outrepassent le simple religieux. Nous sommes dans l’espace spirituel et dans l’espace humaniste à la fois. Espace forme et conscience. Essence majeure de l’espace, bâti, vécu et perçu. Aujourd’hui, nous perdons cela, au-delà même des simples chapelles ou des petits lieux de cultes accompagnant les hôpitaux républicains en France. Les hôpitaux actuels n’ont plus ces lieux forts et fragiles à la fois, car ils se pensent sur le fond en entreprises, ce qui fait polémique, et en plateaux techniques pour l’espace ou la forme et soit disant rationnels, en cité, et où les toits-terrasses les plus beaux ou quelques murs d’artistes, je le crains n’y changeront rien. Plus précisément, ces espaces de transition tels ces cours ou galeries étaient donc passés sans heurt du religieux au laïc, ils étaient garants d’un rapport au ciel et au sol, passage du plein au vide, avec l’homme au centre, REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 15 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS avec le soin comme compagnon dans toute la noblesse d’un prétexte majeur. Monument de lumière En marge du spirituel, il y avait pour le moins un esprit des lieux. L’hôpital, morceau de ville, à l’égal des institutions que sont la prison, la mairie ou l’école, fut plus que chacune de celle-ci, porté par le monde religieux. Aussi, au siècle des Lumières, l’aspect majestueux du Dôme de l’Hôtel-Dieu à Lyon, par l’architecte Jacques Germain Soufflot, constitue selon moi, le meilleur achèvement urbain, architectural et humaniste de l’hôpital. Et, encore aujourd’hui, j’ose l’affirmer. Le bâtiment accompagne la ville, sans rupture, sans isolement. Il s’affiche, définit l’entrée de la ville, car il fédère par ses 375 mètres de façade créée ex nihilo au XVIIIe siècle, un nouveau quai du Rhône, à l’angle d’un pont central et stratégique de la ville de Lyon. On peut évoquer ici évidemment, l’Italie, Saint-Pétersbourg, voir même Brunelleschi, où ici le Dôme a une raison et une fonction supérieure incroyable et émouvante : « Il doit ventiler les salles des malades et chasser par le haut les miasmes et les virus, les maladies ». Au-delà même de la simple étymologie, au XVIIIe siècle, ce dôme est justement celui de « la lumière ». Lug, Lugdunum, lumière, Renaissance, et sous le dôme exactement, un autel. Et, bien sûr, magnificence du jeu des volumes sous la lumière. Plus tard, nous le verrons et l’entendrons avec Le Corbusier. Cette lumière, intérieure, romane, puis gothique et moderne, est celle qui vient du haut. Elle est zénithale, aérienne, guidée, travaillée, modulée, filtrée, dirigée, réfléchie parfois, et dans l’épaisseur massive de la façade, médiévale, moderne, ou classique. Dans les salles des malades de Seclin ou de Beaune, ou de cet Hôtel-Dieu justement que je cite, on trouve dans ces espaces laïcs, une lumière typique de nef basilicale ; ce « entre le dehors », comme l’extrapolation ou image d’un narthex, et un dedans ou cœur, qui resterait, lui, la réelle chapelle en intérieur propre. Mais, là où tout bascule, c’est le fait que les lits-meubles avec leurs rideaux, et mobilier accompagnant, en rangs alignés dans la logique de la rationalité du soin, ces lits, sont baignés d’une lumière à la David ou Hubert Robert. Ainsi, nous sommes devant le lit comme devant ce L’Hôtel-dieu, Soufflot, Lyon. 16 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS malade, tel en un ensemble se retrouvant dans une position littéralement « muséale », dans l’ampleur de l’espace, sous la lumière du haut nimbée de grâce, dans la pré-forme même du musée du XIXe siècle. Le malade est comme au Louvre, sous verrière, sous « scialytique naturel ». Ainsi, je parlerais de « Monument de Lumière », deuxième acte fondamental et spirituel pour l’espace hospitalier selon moi. Oui, sous le dôme de l’Hôtel-Dieu, majestueux avec un vide de 24 mètres de haut, se dresse une haute croix, sous ce dôme se trouve un autel. À l’instar de mes hospices à chapelles d’extrémité, ici la chapelle est dans une position centrée. Mais on peut suivre la messe de même, de gauche ou de droite, et depuis son lit. Peut-on guérir par la prière ? En tous cas, le malade est intercalé entre hôpital en cloître ou lieu de soin d’une part, et la chapelle d’autre part, malade comme mis en cimaise horizontale au cœur d’une invention typologique et laïque majeure. On suit la messe avec la même lumière que celle de la chapelle ou son prolongement, et dans un espace qui devient indubitablement spirituel. Imaginons simplement un instant des lits dans la nef de Tournus ou Vézelay, ou de Notre-Dame de Paris ! Agnostique, croyant ou athée, cette lumière qui vient du haut est noble, douce, compagne de l’intimité, et c’est celle justement des musées depuis le XIXe siècle, et encore à l’œuvre de nos jours. Modernité curviligne Dans les années 1930 en Finlande, à Paimio, sous le trait et le génie du maître et architecte Alvar Aalto, naissait un vaisseau blanc magnifique et serein posé forme blanche épurée, la baie filante moderne, et un design global de l’espace, du mobilier, de la lampe, de la poignée de porte adaptée à la main, une œuvre paysagère et sensible. Sensitive. Alvar Aalto, Sanatorim-Paimio. dans l’image même de la forêt de Carélie. Ce sanatorium dont il est question est-il un hôpital ? Peut-être non. Mais, en tous cas, il est du plus riche intérêt, tant il met l’homme moderne, de celui que nous sommes encore aujourd’hui, au cœur du système de soin, voir d’accompagnement, tel ces lieux que nous vivons de nos jours. Soins palliatifs, Alzheimer, gérontologie, cancérologie, pour n’en citer que quelques-uns. À une maladie spécifique répondait le style qui allait se nommer comme s’exporter, et dit sous le nom d’International. Bâtiment-icône en tous cas du mouvement moderne et d’une pensée tant fonctionnaliste qu’hygiéniste. La desserte en automobile à l’hôpital comme à l’hôtel, ou les circuits propres et sales, comme on les connaît maintenant sont à l’œuvre. Mais le spirituel, alors, direz-vous ? Je considère qu’il est dans le détail comme dans le global, tel que je viens d’évoquer, ou quand on parle de la voiture, de l’ambulance, comme de l’ascenseur monte-malades. Aalto accompagne l’homme usager, le place en véritable récepteur de sensibilité. Artiste complet, il offre en plus une œuvre plastique, une D’Aalto d’une part je dirais, qu’il « takes care » à l’anglosaxonne, il « prend soin », oui littéralement. Il pense la main en pensant la porte ou la poignée, pour la terrasse et les balcons, inédit dans un hôpital à ce moment-là, il pratique la courbe libre en lien étroit avec la nature, il place l’homme dans la nature. De plus, il lui dessine une véritable chaise « en forme », tubulaire et de série, mais à la mesure et au confort du corps en repos. Toit terrasse habité, espace « moderno », espace curviligne, ondes, auvents, arrondis, courbes, espace meublé, habité, Heideggérien, là où l’œil comme le corps allongé est dehors, sur ce toit à 25 mètres, à hauteur exacte de la canopée des conifères de Carélie finlandaise. Espace spirituel, élévation de l’homme, au-delà de l’espace blanc, monochrome et sans ostentation. Par tant d’élans, Aalto accompagne le soin dans un humanisme XXe siècle, à mon sens rare et sans égal. Lumière du Nord magnifiée, design scandinave inégalé, paysage, contemplation et repos par l’air et la lumière pour le corps et l’âme, en un mot l’esprit. Enfin, espace curviligne moderne, modernité curviligne car Aalto reste et restera à l’exception peut-être du brésilien Niemeyer, le roi de la courbe, et usant dans sa douceur, souvent même dans l’absolue tendresse de celle du bois cintré, plié ou thermoformé pour rompre ou accompagner la ligne droite, et la transformer en une formule majestueuse. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 17 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Il me resterait deux exemples contemporains proches pour conclure et compléter ce qui n’est pas un catalogue mais d’avantage un chemin de pensée. Quelques mots donc pour l’hôpital de Tony Garnier, architecte lyonnais du début du XX e siècle. Celui-ci, issu d’une formation culturelle italianisante, donc méditerranéenne, depuis la Villa Médicis en 1901 propose déjà dans son envoi ou projet « une cité industrielle », en architecte et en urbaniste, des établissements hospitaliers, et ce particulièrement dessinés. « Quatre Portes-vitrail » Chapelle du Vinatier, Bron. 18 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 En humaniste et visionnaire, il offre presque une « Villa Médicis du soin ». Et je citerai inévitablement son passage à l’acte en son œuvre construite et qui reste une œuvre majeure je pense : l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon, où l’if, la glycine, ou le rosier, pérennes depuis 70 ans, partent à l’assaut, au printemps comme à l’automne, des pergolas de ciment qui ornent les entrées des pavillons, comme celles des portesfenêtres des chambres d’un, quatre, neuf, ou 14 lits. Hôpital paysager, hôpital pavillonnaire dans l’excellence, vision certes contestée, mais inscrite dans le durable ou l’évidence criante d’une humanité. Spiritualité collective dans ce cas-là, et d’un groupe à taille moyenne et maîtrisée, avec un sens du soin. Hôpital-parc enfin, à l’image des cités-jardins européennes, et comme l’on pourrait le noter avec son voisin régional du CHS Le Vinatier, toujours près de Lyon, et où, comme chez Garnier d’ailleurs, il faut noter qu’une chapelle L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Hôpital de Venise, Le Corbusier prend place dans l’organisation générale du plan, tantôt latérale dans l’hôpital Herriot, tantôt épicentre pour l’hôpital psychiatrique. Et, chapelle positionnée en véritable « point de croix » central et organisationnel du dispositif panoptique propre à l’asile lui au XIXe siècle, et ce, bien sûr, sous l’ère de l’obédience républicaine. Chapelle et spiritualité également en ouverture au monde extérieur. Lumière toujours. Lumière conclusive. Je finirai par Le Corbusier, sans choquer je l’espère tant l’homme est nimbé d’ombres, je pense à Alexis Carrel, mais pour choquer également, non susciter « interpeller » pour moi cette question essentielle de l’architecture chère au célèbre architecte américain Louis Kahn encore, comme à tous ceux que j’ai déjà évoqués : la lumière. Pour la ville de Venise en effet, Le Corbusier, dans un projet de 1965, peu avant sa mort, et qui ne sera pas construit, propose un hôpital en nappe horizontale dans le continuum de la ville « unique au monde ». Ainsi, une sorte d’hôpital flottant se répand sur la lagune, et avec un concept inédit, je cite les œuvres complètes de 1957-1965 : « Une solution toute nouvelle a été donnée aux chambres des malades : chaque malade reçoit une cellule sans fenêtre à vue directe. La lumière pénètre par des hauts jours latéraux qui régularisent les effets du soleil. Le jour est régulier. Il en est de même pour la température ambiante. Ainsi les malades ont le sentiment d’être agréablement isolés. » J’ajouterai qu’alors une lumière muséale individuelle et à taille humaine, était ainsi garantie. Nous sommes passés depuis Soufflot, en trois siècles donc, de la lumière divine religieuse et collective, à une lumière monacale individuelle et sacrée. Recentrage sur l’homme, lumière essence et conscience. Hospitalité, modernité. Lumière outil majeur de spiritualité. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 19 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Déménager oui, mais emporter les murs avec soi. Dessin et montage d’Henri Leduc, cadre infirmier à l’hôpital Laennec, 1998. Façade centrale de l’hôpital Laennec, vue de la cour d’honneur. Cliché MNATP Fermeture d’hôpitaux, quelles clefs ? Marie-Christine Pouchelle CNRS, Centre Édgar-Morin Publié dans Ethnologie Française, 2005 L es hôpitaux font traditionnellement corps, corps peut-être d’autant plus clos sur eux-mêmes, qu’en ce qui concerne celui des patients, les gestes thérapeutiques les plus invasifs y ont été pendant très longtemps et jusqu’à tout récemment les plus valorisés. Est tentée ici une phénoménologie de l’emprise territoriale et du contrôle de l’espace (ouvrir/fermer) dans des lieux où, au plan de l’imaginaire, corps biologique, corps professionnel et corps architectural interfèrent puissamment les uns avec les autres. Explorer quelques-unes des connotations ambivalentes attachées aux nœuds, aux clefs, aux portes, aux pratiques de fermeture et de verrouillage, c’est déboucher sur l’angoisse de mort contre laquelle bataillent les professionnels et se bâtissent bien souvent les nouveaux hôpitaux. Une ethnologue rêve-t-elle jamais assez son terrain ? Ne lui faut-il pas se risquer à être attentive aux harmoniques éveillées en elle et hors d’elle par tel ou tel trait, en s’inspirant, par exemple, des perspectives ouvertes par Gaston Bachelard et Michel Leiris, et en mettant à contribution les aspects mineurs et les plus contingents, repérés au fil de l’attention flottante [Pétonnet, 1982] et d’une longue familiarité ? La rigueur consiste alors en aller et retour constants entre les matériaux et l’analyse, l’implication et la distance, ainsi que dans la mise à l’épreuve des interprétations auprès des « indigènes », comme auprès de la communauté scientifique [Favret-Saada, 1990 ; Barley, 1995 et 1997 ; Caratini, 2004]. Ces interactions sont d’autant plus nécessaires que le terrain est plus 20 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 sensible. Ainsi en va-t-il de l’hôpital, parfois tout écorché vif. Avant d’aller plus loin, comment ne pas rappeler en effet que l’hôpital est, comme un corps, « une maison qui exhale des plaintes humaines » 1, même lorsqu’on y guérit ? Notre carte sanitaire, qu’il s’agisse des cliniques privées ou des hôpitaux publics, se présente depuis une dizaine d’années L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS comme un tissu de plus en plus mouvant, tout agité de flux, de dilatations et de rétractations, respirations et expirations, ouvertures et fermetures, fusions, transferts [Claveranne et al., 2002, 2003]. Certes, un tel frémissement n’est pas spécifique aux établissements hospitaliers. Il obéit parfois à des logiques analogues à celles qu’on voit à l’œuvre depuis plus longtemps, dans les industries ou les entreprises. Mais, à l’hôpital, même lorsque les restructurations en cause ne sont pas synonymes de perte d’emploi, elles engagent des affects violents dont la coloration particulière tient en partie à la singularité des métiers hospitaliers, c’est-à-dire à leur rapport spécifique aux corps et aux personnes. C’est ainsi, du moins, que j’interprète ce qui s’est passé au fil des années quatre-vingtdix, au sein de l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris (AP-HP), lors de la recomposition qui a abouti à la fermeture des hôpitaux Boucicaut, Broussais et Laennec (BBL), et à l’ouverture de l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEPG) à la fin de l’année 2000. L’opération avait été décrite par les porteurs du projet comme « l’une des plus importantes réorganisations jamais conduites dans les hôpitaux publics en France » 2. Alors que je travaillais depuis 1992 sur le terrain hospitalier, principalement en Île-de-France, je fus appelée en 1997 par certaines des directions concernées par cette restructuration – dont une équipe de la Direction générale de l’ AP-HP. Elles étaient désireuses de préserver la mémoire des établissements destinés à fermer entièrement (Laennec et Boucicaut) ou pour partie (celle de Broussais, la plus prestigieuse). Il s’agissait aussi d’aider les personnels à faire le deuil de leur établissement d’origine pour fusionner plus aisément dans le nouveau. Ces directions n’étaient pas forcément en phase avec les préoccupations des chefs de projet du futur hôpital. Ce fut l’origine d’une série d’ambiguïtés. Quoi qu’il en ait été, une convention fut signée en 1998 entre le Directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et celui du Musée national des arts et traditions populaires (ATP). J’eus à constituer une équipe d’ethnologues qu’Anne Monjaret, qui avait déjà travaillé sur les cultures d’entreprises et les déménagements, m’aida à diriger [Desjeux et al., 1998]. Cette dernière a évoqué dans un numéro précédent d’Ethnologie Française, consacré aux « Terrains minés », le rôle d’« accompagnateur social » que nous, les cinq chercheurs de l’équipe, avons finalement tenu pour les personnels [Monjaret, 2001]. Trois plaquettes, autant d’objetsmémoire, furent réalisées à destination des personnels de l’AP-HP [Véga et al., 1999 ; Pouchelle et al., 1999, 2000]. Corps et lieux : une coalescence particulière à l’hôpital Il n’est pas sûr que les décideurs, en matière de délocalisation hospitalière, mesurent toujours la nature et la profon- deur de l’attachement que les personnels portent à un lieu de travail, peut-être plus fortement investi que d’autres, entreprises ou usines, parce qu’y sont directement en question la vie et la mort 3 . Non seulement l’hôpital tire sa raison d’être et sa légitimité sociale du soin donné aux personnes, mais les corps y sont dans tous leurs états, en même temps que la parole des patients comme celle des professionnels y a été longtemps et y est encore souvent cadenassée. Dans des situations émotionnelles intenses et parfois conflictuelles, – telles qu’en ont connu par exemple les infirmières au contact de la douleur chez les patients lorsqu’il n’était pas question de la soulager efficacement –, les regards se sont accrochés aux murs, témoins silencieux, mais obstinés, où se sont déposées souffrances, comme à d’autres moments réjouissances, en un invisible palimpseste qui rappelle les couches superposées des peintures, bien visibles, elles, sur les murs des salles de garde. Entre les patients, les hospitaliers et les corps de bâtiment se produit parfois, au fil du temps, une sorte d’osmose, nonobstant Traces de patients. Hôpital Boucicaut, octobre 1999 : à la veille de la fermeture de la maternité, le dernier accouchement programmé. Cliché Marie-Christine Pouchelle REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 21 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Soignants : « la peau collée à celle de l’hôpital ». Hôpital Laennec, panneau « souvenir » réalisé par le personnel pour le Dr Antoinette Salem, médecin responsable des Explorations Fonctionnelles Respiratoires. Cliché Marie-Christine Pouchelle, 1999. blindages et blouses blanches, osmose peut-être proportionnelle à la violence des situations vécues, qui fait dire à certains – médecins, infirmières, aidessoignantes, techniciens, agents de service voire administratifs – qu’ils ont « la peau collée à celle de l’hôpital » [Pouchelle et al., 2000 : 12]. De là, à l’heure du déchirement où certains « laissaient leur peau », les tatouages que furent les graffitis projetés sur les murs des Urgences de Boucicaut, lorsque le grand départ eut dénoué les interdits. Et d’ailleurs, dans bien des esprits à Boucicaut, les puissants qui présidaient de loin aux destinées de l’établissement avaient bel et bien eu pour de bon « la peau de l’hôpital », puisque la recomposition des sites se faisait finalement aux dépens de celui qui en avait été le lointain initiateur. Corps humain, corps social et corps de bâtiment sont, en anthropologie, trois modèles de totalité qui s’entrecroisent dans la plupart des cultures au point d’être bien souvent métaphoriquement interchangeables [Douglas, 1971 : 130, 131 ; Pouchelle, 1983 : 207 et sq, 1986 : 322-325]. À cet égard, l’hôpital est un lieu d’observation privilégié. Alors que la dimension psychique et symbolique de la maladie et de la guérison y reste largement sous-évaluée, quand elle n’est pas déniée, le « purement » organique y tient généralement le devant de la scène. Du coup, dans l’esprit de nombre de professionnels, le geste chirurgical continue à représenter le modèle par excellence de l’action efficace 4. Et ce geste engage les opérateurs dans des pratiques de l’espace où l’intériorité corporelle la plus exiguë prend des allures tantôt architecturales, tantôt paysagères et même cosmiques [Lévi-Strauss, 1958 ; Pouchelle, 1995]. Comme l’avait noté Gaston Bachelard : « Dès qu’on va rêver ou penser dans le monde de la petitesse, tout s’agrandit. Les phénomènes de l’infiniment petit prennent une tournure cosmique » [Bachelard, 1977 : 13]. Sur un autre plan – où corps propre et corps de l’autre, corps individuel et corps social sont entremêlés –, le théâtre hospitalier offre de nombreux spectacles de dissociation, éminemment contagieux, aux yeux des personnels [Véga, 1999, 2000] : distension, voire rupture du lien social et familial sanctionnant toute hospitalisation de patients, corps 22 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 entamés par la maladie et la mort, mais aussi parfois par des actes diagnostiques ou thérapeutiques. Il faut compter aussi avec le « saucissonnage » bien connu des corps et des personnes en domaines attribués à des spécialités distinctes. Tout cela constitue autant de menaces symboliques. D’où, chez les professionnels, le développement de rituels d’agrégation identitaires, destinés à restaurer leur unité personnelle et communautaire 5, rituels justement mis en question par les réorganisations humaines qu’entraînent les déménagements. Enfin, la surface socioprofessionnelle des chefs de service s’est jusqu’ici mesurée en nombre de lits et en territoires géographiques bien défendus auxquels le corps des patrons est quasiment coextensif. Cette emprise médicale mérite qu’on s’y arrête, puisqu’elle est une donnée majeure dans les jeux de pouvoir qui se déploient à l’occasion des restructurations hospitalières, et qu’elle contribue à rendre problématiques les fermetures d’établissements. La prise de possession de l’espace hospitalier par le corps médical a commencé au XIXe siècle, après que les hôpitaux ont été attribués aux médecins comme espaces privilégiés de la recherche et de l’enseignement anatomo-cliniques, mais pour des raisons qui ne tenaient pas nécessairement à l’excellence thérapeutique [Faure, 1981 ; Borsa et al., 1985]. Au fil du temps se constituèrent des féodalités profondément ancrées au sein des établissements, phénomène accentué à partir de 1958 par la loi Debré instituant le plein-temps hospitalier. Les patrons ont jusqu’ici fait traditionnellement souvent l’essentiel (quand ce L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS n’est pas la totalité) de leur carrière sur le même site, les surveillantes épousant généralement leur cause, au sens propre comme au sens figuré. Se sont produits des cloisonnements farouches, concrets et symboliques, entre des services plus souvent rivaux qu’alliés. Des « services » ? Des « maisons » bien plutôt, et, naturellement, des maisonnées familiales fortement hiérarchisées, où le patron et la surveillante occupent des positions analogues à celles du Père et de la Mère chez les Compagnons. La ressemblance n’est pas fortuite : le compagnonnage est une référence identitaire forte chez les médecins, et plus encore chez les chirurgiens. L’étonnement d’un historien de la médecine espagnole, récemment, sur l’appropriation des espaces hospitaliers par les médecins français 6 fait penser qu’il y aurait là-dessus des études comparatives à mener d’un pays à l’autre. Peut-être y trouverait-on aussi du même coup la raison de la spécificité des hôpitaux français en matière de salles de garde, creusets emblématiques de notre corps médical, chaudrons de son embryogenèse. Ce qu’on appelle aussi l’internat, aujourd’hui menacé, donne à voir le triomphe de la présence médicale dans des hôpitaux. S’y est affirmée de manière parfois fracassante la spécificité du regard anatomo-clinique en rupture, au XIXe siècle, avec l’univers religieux où baignaient les établissements 7. Mariant allègrement Eros et Thanatos, le folklore carabin s’est développé bruyamment jusqu’à nos jours dans ces lieux en principe interdits aux non-initiés, les murs des salles de garde regorgeant de « bidoche », c’est-à-dire de scènes érotiques peintes les plus crues possibles, comme aussi de débris alimentaires de plus concrets [Godeau, 2002] 8, et présentant nombre de portraits, plus ou moins caricaturés, de morticoles bien reconnaissables. Autant dire que ces murs sont bel et bien vivants. Les salles de garde furent et sont traditionnellement hostiles aux directions hospitalières. Aujourd’hui, les administratifs ne sont pas fâchés, par exemple, d’arguer de nécessités économiques pour en supprimer la cuisine, fondement de rituels conviviaux où se fabrique l’identité médicale. « Ils n’ont qu’à manger au self, comme tout le monde ». Dans l’hôpital Pompidou en construction, la salle de garde n’avait pas été prévue, et il fallut la mobilisation des patrons pour qu’on lui trouve un lieu. « Je la mettrai près de la morgue ! » aurait lancé le directeur de l’hôpital. Ce contexte menaçant explique que certaines des fresques de la salle de garde de l’hôpital Boucicaut, qui avaient été peintes sur des panneaux de contreplaqué, furent finalement confiées au musée des ATP. Une telle donation, faite par l’entremise d’un jeune médecin, va à l’encontre du secret caractéristique de la culture des salles de garde. Elle a parfois été diversement commentée au sein du corps médical (« Rien ne doit sortir de la salle de garde »), comme chez le personnel des ATP, surpris par le caractère obscène des fresques en question. Cependant, c’est avec une jubilation manifeste que tout récemment, en cours d’opération, un chirurgien auquel je confirmais que les panneaux se trouvaient bien désormais dans les réserves du musée m’a indiqué comment retrouver son propre portrait sur la fresque en question. Franchir et verrouiller Avant même la création de l’Internat, les chirurgiens furent traditionnellement de garde dans les hôpitaux. À cause de cela, mais aussi probablement en raison du caractère d’abord particulièrement éprouvant de leur activité (se souvenir des débuts tardifs et incertains de l’anesthésie au milieu du XIXe siècle) et de la violence qu’il leur faut exercer de toutes manières pour entamer les limites du corps d’autrui, les chirurgiens ont classiquement fourni aux salles de garde beaucoup de leurs leaders, de leurs piliers pour ainsi dire. Leur volonté de maîtriser lieux et groupes se manifeste clairement au bloc opératoire, et aboutit parfois à des conflits brutaux entre confrères, pour l’occupation des salles d’opération. Ce goût pour l’emprise territoriale pourrait bien aller de pair avec le contrôle de l’espace corporel qu’implique leur activité, et qui définit en tout premier lieu leur identité professionnelle : il s’agit de maîtriser la plaie opératoire, les vaisseaux et les « no man’s lands » où ils se sont hardiment aventurés. Ce n’est donc pas un hasard si le premier de tous les apprentissages, chez ceux qui se destinent à la chirurgie, consiste à « faire des nœuds » chaque jour pendant plusieurs mois, comme je l’ai entendu tout récemment recommander en salle d’opération par un praticien à un interne débutant 9. « D’ailleurs, ce sont des demiclefs, et pas des nœuds. Comme ça on peut les empiler. Il faut d’abord descendre [le nœud sur le fil] et verrouiller… ». On notera en passant qu’au contrôle vital de l’espace par des professionnels dont le métier consiste à ouvrir et fermer des frontières, correspond, pour ceux qui travaillent avec eux, de très grandes difficultés à leur fixer des limites. Infirmières de salle d’opération, cadres infirmiers du bloc opératoire et médecins-anesthésistes en savent quelque chose. Quant aux directeurs administratifs, ils estiment souvent que plus un hôpital est « chirurgical » plus il est difficile à manier. Si j’ai choisi beaucoup de mes exemples dans le pré carré des chirurgiens, c’est donc justement parce que les enjeux territoriaux y sont le plus clairement posés, qu’il s’agisse du corps biologique, du corps social, ou du corps de bâtiment. En fin d’opération, les seniors laissent aux juniors le soin de refermer l’inci- REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 23 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS sion opératoire. En dehors de l’intention pédagogique des aînés, il faut bien dire que fermer ou refermer n’a pas pour les chirurgiens confirmés l’attrait qu’a, après l’ouverture – après « la volupté d’entailler » 10 – l’exploration de territoires vierges ou, plus difficile, de tissus remaniés par une opération précédente. Sans parler du plaisir, ensuite, du « geste ». Cet élan à investir les espaces les plus reculés du corps fait tout le prestige des équipes de chirurgie cardiaque, parce qu’elles interviennent sur un organe vital particulièrement bien défendu. Est-ce un élan du même genre qui a poussé les équipes de Broussais, fortement organisées autour du pôle cardio-vasculaire mené par les chirurgiens, à accepter d’emménager les premières, et plus vite que prévu initialement, dans les terres d’emblée inquiétantes du nouvel hôpital, contrairement à ce qui avait été convenu (Laennec aurait dû emménager en premier) ? Dans cette restructuration, être celui qui ferme pour de bon les sites n’était pas plus valorisant que, au plan des patients, être celui qui referme une plaie opératoire ou, pire encore, celui qui s’occupe des mourants. « Faire la peau » lorsqu’on referme une incision opératoire, c’est n’avoir qu’une responsabilité de surface, celle de la cicatrice, et l’attention qu’y portent les patients n’éveille bien souvent chez les chirurgiens qu’un sourire amusé. Fermer un hôpital ou veiller sur une fin de vie : dans les deux cas, collègues et confrères y voient avec une certaine condescendance une activité qui n’aboutit à « rien ». « Mais qu’est-ce que tu peux bien faire ? », demandent ses collègues à tel administratif, en charge de la clôture de l’un des sites après le départ des personnels. Car ceux qui assistent les corps et les personnes en fin de vie font-ils quoi que ce soit 11 ? L’attrait du « faire » n’est pas spécifique du milieu hospitalier, mais il y est très déterminant. N’appartient pas non plus en propre à l’hôpital la culture de projet qui fut celle de l’HEGP pendant près de vingt-cinq ans avant son ouverture et qui imprègne aujourd’hui notre vie sociale. En tout cas, la conjonction des deux dans la dynamique du futur hôpital n’a guère laissé de place à ceux qui, en fin de course, ont semblé rester en arrière. Après l’éloignement des équipes et leur arrivée sur le nouveau site, ces derniers sont apparus comme englués dans les locaux désinvestis, n’ayant plus qu’à finir d’évacuer l’établissement. Il s’agissait de vider les lieux dans tous les sens du terme, en essayant de ne pas disparaître avec le flot. « N’ayant plus qu’à évacuer… » À la fin janvier 2001, à Boucicaut par exemple, la tâche était multiforme et supposait une capacité d’invention certaine pour résoudre des situations qui n’avaient pas de précédent, avec des moyens réduits, la perspective d’avoir la ligne téléphonique coupée très prochainement, un bureau désormais privé de son mobilier principal et même de sa porte. La machine à café, machine à fabriquer de la convivialité au moins autant qu’à soutenir l’énergie des acteurs, n’était plus là. Gérer les départs d’équipements n’était pas de tout repos, le gardiennage du site par des sociétés extérieures ne l’était pas non plus. Tout incident devenait difficile à traiter, comme la fuite d’eau importante que provoquèrent, en testant un bâtiment, des experts envoyés par la Ville de Paris, acquéreur du site, en testant un bâtiment. Il s’avéra malaisé de réglementer les allées et venues, et par exemple d’interdire le site à d’anciens personnels de Boucicaut qui, habitant à proximité de l’hôpital et travaillant désormais à l’HEGP assez proche avaient 24 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 toujours considéré l’hôpital comme leur parking. Ils entendaient bien y conserver le droit d’y garer leur voiture, pour des raisons aussi pratiques que symboliques : « Moi je me suis toujours garé à Boucicaut, pourquoi je n’ai plus à m’y garer ? Je vais faire intervenir l’avenue Victoria [siège de l’AP-HP]. Moi, je travaille à l’HEGP, j’ai le droit de me garer à Boucicaut ! ». Conclusion du responsable : « Il faut qu’on ferme quoi !… Donc, faut être ferme ». Le jeu de mots involontaire témoigne de la poigne qu’il fallut montrer à certains moments. Fermer ce n’était pas lâcher mollement prise. C’était agir efficacement pour remplir la mission de l’hôpital jusqu’au bout, contre vents et marées quelquefois et le rendre provisoirement « étanche » jusqu’à ce que le site, devenu propriété de la Ville de Paris, soit remis à ses prochains, et divers, occupants. Verrouiller est une activité courante à l’hôpital, même aujourd’hui, où il est beaucoup question de « l’ouverture » des établissements sur la ville. Pour l’ethnologue, les verrouillages matériels entrent en consonance avec les blindages émotionnels qui appartiennent en propre à une culture hospitalière fortement contrastée puisque, comme nous l’avons vu plus haut, il s’y produit également des osmoses tout aussi fortes. Les cuirasses revêtues par certains, en particulier en réanimation, sont parfois impressionnantes : fermeture du visage, attitudes involuées, comportements de fuite. Certains professionnels exclusivement investis dans la technique et probablement en proie à un burn out à peine conscient deviennent ainsi, aux yeux de malades physiquement et psychologiquement fragilisés, des personnages inquiétants, quasi robotisés, à l’opposé du stéréotype facilement accolé aux infirmières supposées souriantes et bienveillantes, ouvertes. L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Sur le plan concret, blocs opératoires et réanimation sont des espaces évidemment clos et clôturés par excellence au sein des hôpitaux, à l’opposé des effractions corporelles qui y sont justement pratiquées sur des patients soigneusement immobilisés, fussent-ils conscients, pour des raisons qui ne sont pas toujours seulement de sécurité. En réanimation, les infirmières et les aides-soignantes font des nœuds pour attacher les patients au cadre de leur lit [Pouchelle, 2003 : 65-98], mais cette pratique déborde très largement de ces services hautement techniques : c’est une pratique habituelle dans bien d’autres secteurs hospitaliers, en gériatrie par exemple. Ces nœuds concrets et symboliques manifestent un verrouillage beaucoup plus général des « machines à guérir », où l’on a longtemps surveillé et puni 12, où l’on a beaucoup fermé de portes à clef dans un contexte de méfiance vis-à-vis du monde extérieur (et donc aussi des patients) comme vis-à-vis du personnel qu’on disait ancillaire, ainsi que dans une situation de pénurie quasi chronique en ce qui concerne le matériel [Véga, 2000]. Contrôle de l’espace, des corps et des personnes, contrôle des flux, avec la crainte perpétuelle d’être débordé caractérise ainsi nos cultures hospitalières 13. D’où, sans doute, le rôle emblématique qu’y tiennent les porches d’entrée, surtout lorsqu’ils sont anciens. Comme l’a montré Anne Monjaret [2001] en renvoyant aux analyses de Maurice Halbwachs, la mémoire collective, dans les trois hôpitaux BBL, s’est fortement ancrée dans les lieux, et c’est avec raison qu’elle a rappelé l’importance des porches (celui de Laennec ayant même fait dans un passé relativement proche, l’objet d’une campagne de défense à laquelle participèrent activement les médecins de l’hôpital 14). J’ajouterai que clefs et portes jouent en tout cas dans les mémoires un rôle considérable 15, qui dépasse les anecdotes relatives au bruit que faisaient les clefs à la ceinture des religieuses de l’hôpital Boucicaut, du temps où celles-ci faisaient fonction de surveillantes, avec une autorité de fer 16. Ainsi, fait sens la manière dont le musée de l’Assistance Publique a récemment accueilli dans ses collections une épaisse vieille porte à judas grillagé, relique de l’ancien hôpital Saint-Lazare, dont il lui a été fait don en 2004. Les surveillantes laïques – on dit maintenant les cadres infirmiers – lorsqu’elles prennent en main un nouveau service n’échappent pas aujourd’hui à la passation du trousseau de clefs, et j’ai pu constater, il y a quelques mois auprès d’une infirmière, que la possession de telle clef valait pour celle d’un trésor (en l’occurrence l’assurance d’avoir à disposition les moyens matériels nécessaires à sa tâche). saveur particulière, la manière dont il y a quelques années, au sein de l’hôpital Pompidou inachevé – où les services de soins et médico-techniques n’étaient pas encore installés, mais où la direction avait délibérément pris place plus d’un an avant l’ouverture –, tel administratif d’importance a brandi pour rire devant les ethnologues, l’équivalent d’une prise de guerre : l’imposante clef de l’ancien hôpital de la Charité (sur l’emplacement duquel a ouvert, dans les années cinquante, la nouvelle faculté de médecine de la rue des Saint-Pères, dans le 6e arrondissement), grosse clef ancienne valant pour un sceptre antique et vénérable, et, à ce titre, garante de légitimité historique – même « pour rire ». Cette Clef, mémoire, pouvoir Les précurseurs des directeurs actuels ne furent jusqu’en 1941 que des « économes », et aux yeux des chefs de service, ils ont gardé longtemps le stigmate de leur servitude. Ils se distinguaient cependant par la possession des clefs, emblèmes de leur maîtrise, toute relative à l’époque, de l’espace hospitalier. Prend alors une En attendant la benne. Hôpital Broussais, 2000. Cliché Marie-Christine Pouchelle REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 25 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS clef appartenait au mobilier de l’hôpital Laennec, où l’intéressé, porteur du projet du futur hôpital, avait œuvré auparavant. Lorsqu’en 1999, la conservatrice du musée de l’Assistance Publique la rechercha dans l’hôpital pour l’exposer à l’occasion du Cent-cinquantenaire de l’Assistance Publique, elle devait s’étonner de ne pas l’y trouver, alors que l’Inventaire de l’hôpital en faisait mention. Emporter cette clef dans le nouvel hôpital, c’était obéir à un mouvement en partie analogue à celui qui a animé certains membres du personnel hospitalier à l’approche de la fermeture de BBL. Ont été par exemple transférés dans le nouvel hôpital, à l’initiative d’individus ou d’équipes des anciens sites, quelques éléments de mobilier ou de décor puissamment identitaires (chaises caractéristiques d’un service de Boucicaut, tableau figurant dans la salle d’attente de radiographie du même hôpital, vitrine « historique » d’objets de soins réalisée par un cadre infirmier de Laennec, panneaux d’une grande fresque ornant les murs du service d’imagerie de Laennec…). Curieusement d’ailleurs, cette fresque, faute de place, est en morceaux à l’HEGP, à l’image peut-être du sentiment de dissociation éprouvé par certaines équipes. musée des ATP, avait-il disparu lorsque le camion de la Réunion des Musées Nationaux est venu en prendre livraison. À Boucicaut, un respirateur artificiel (non destiné aux Musées) fut subtilisé lors d’un week-end, dans le service de réanimation. À Laennec, tel médecin souhaitait récupérer pour lui-même un banc ancien de grandes dimensions en profitant des transports destinés au musée des ATP… Les motifs de ces captations furent divers : depuis la récupération à des fins de revente jusqu’à une destination « humanitaire » (prévue d’autre part par l’AP-HP pour certains matériels déclassés) imputée à tort ou à raison aux médecins étrangers originaires de pays du Tiers-Monde, en passant par l’appropriation symbolique du lieu prochainement abandonné. Mais on n’emporte pas n’importe quel souvenir. La grande clef ancienne de la Charité pouvait fonctionner comme une référence symbolique puissante, pour Se sont aussi produites dans ce contexte des appropriations plus ou moins sauvages de matériels divers, appropriations qui sont parfois entrées en contradiction avec la volonté patrimoniale de l’institution ou la collecte d’objets, entreprise par le musée des ATP à l’occasion de la convention passée avec l’AP-HP. Ainsi, l’ensemble des objets relatifs à la morgue de Broussais, soigneusement mis sous clef pourtant à l’intention du 26 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 un administratif qui tout en redoutant l’ancrage des équipes BBL dans le passé, n’avait pas la légitimité historique que donne aux médecins un serment vieux de quelque 2 500 ans. Brandir en plaisantant aux yeux des observatrices que nous étions un objet aussi emblématique et très manifestement ancien au cœur d’un nouvel hôpital présenté comme celui du futur, c’était se présenter comme le maître du temps aussi bien que des lieux, sur le modèle des chefs de service qu’il s’agissait depuis des années de séduire et/ou de dompter pour les faire adhérer au projet HEGP. C’est peut-être pour des raisons analogues (et parfaitement inconscientes dans l’institution comme chez le maquettiste en cause) que le projet « Ressources Humaines de l’HEGP » fut, en 1998, présenté dans Relais (La Lettre des Cadres de l’HEGP) assorti d’une vignette aux allures « médiévales » (?) portant l’inscription « Charte de l’HEGP »…17 Mettre le passé à la porte ? Dans le film Les Hôpitaux meurent aussi (déjà cité en note et tourné en 1998 à Laennec), la directrice de l’hôpital fait état de son malaise devant la fermeture prochaine de l’établissement : « Il va falloir fermer une porte […] La représentation mentale de la fermeture m’a fait de la peine […] Je ne me voyais pas […] ». Certes, la fermeture de Laennec, comme celle des deux autres hôpitaux, n’était pas censée impliquer de cessation d’activité et, du reste, le discours officiel véhiculé par les chargées de communication par- « Transférable à l’HEGP ». Hôpital Boucicaut, 2000. Cliché Marie-Christine Pouchelle L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS lait plus de transfert que de fermeture : les équipes intégreraient pour la plupart le nouvel hôpital, et l’opération n’entraînerait pas en principe de perte d’emploi pour les personnels de l’Assistance Publique (mais ceux qui avaient été embauchés sur des contrats à durée déterminée et certains des personnels les moins qualifiés se sont toutefois retrouvés en difficulté). Les nombreux sites de l’institution devaient permettre de redéployer les personnels qui n’iraient pas dans le nouvel hôpital. Mais se représenter spontanément la fermeture de l’hôpital comme une fermeture de porte signifiait malgré tout qu’était bien en cause la fin de quelque chose, à peu près aussi radicalement que, lors d’un prélèvement d’organes à des fins de transplantation, le clampage de l’aorte (interruption de son flux à l’aide d’un clamp) semble « tuer » le patient pourtant déjà cérébralement mort. La transposition organique est ici mienne. Mais elle s’appuie sur des constantes de l’imaginaire qui transparaissent par exemple dans le discours de tel chirurgien, ex-Broussais, appliquant l’image de la porte aux valves cardiaques 18, ou encore dans le film de Mark Kidel, où l’image des gros « vaisseaux » souterrains de l’hôpital Laennec (tuyaux et conduites en sous-sol) est scandée par de sourds battements de cœur. Et déjà Rilke n’avait-il pas ressenti que monter en songe d’obscurs escaliers en spirale, ce pouvait être y avancer « comme du sang dans les veines » ? 19. Le clampage de l’aorte reste symboliquement décisif lors des prélèvements d’organes, car il consacre l’irréversibilité du passage de la vie à la mort. Dans le transfert de l’hôpital ancien à un nouvel hôpital présenté depuis longtemps comme la Terre Promise – transfert parfois qualifié d’ailleurs de transplantation – la fermeture imaginaire d’une porte venait signifier un « jamais plus », qui est celui de la mort d’une communauté, mort contestée par les autorités mais couramment évoquée sur chaque site par les personnels des trois hôpitaux. Fermer l’hôpital, c’était ouvrir la porte à l’angoisse de mort. Angoisse d’autant plus forte que la mort, précisément, est la mauvaise fée redoutée, contre laquelle ont été établies par les hospitaliers toutes sortes de chicanes et de dénégations défensives. Or était en question un changement culturel qui se voulait radical. L’HEGP, hôpital du XXIe siècle, devait être celui des nouvelles technologies tous azimuts. Il serait par exemple « zéro-papiers », avait-il été annoncé, grâce au tout informatique. Dans son architecture transparente et lumineuse, où le confort hôtelier et la simplification des formalités concourraient au bien-être des patients, devait s’établir une nouvelle gouvernance : accent mis sur la transversalité, disparition des chefferies de services au profit de pôles fonctionnels… 20. Passage d’une organisation artisanale et considérée comme tribale à la fonctionnalité de l’ère post-industrielle, axée sur l’inter-activité, la complémentarité et les échanges, la fluidité des ressources humaines (horaires variables – « grande équipe – polyvalence des agents, externalisation des fonctions annexes telles que le ménage ou la restauration). Tout cela aboutissant, comme l’accent mis désormais sur les plateaux techniques, à une spécialisation accrue de la fonction hospitalière réduite au traitement de la maladie dans ce qu’il a de plus médicoscientifique. Ainsi, les visées de l’administration correspondaient à un courant bien présent chez certains médecins dès leur formation, et reconnaissable à de multiples signes dans notre système de santé, en dépit des efforts de ceux qui luttent pour l’humanisation de ce dernier et pour une définition plus adéquate et donc plus large de la prise en charge thérapeutique. Se profilait une sorte de Meilleur des Mondes, propre et net [Huxley, 1994 : 129-130] 21, qui laisserait bien loin en arrière de lui la vétusté, la saleté et « l’irrationalité » de Boucicaut et Laennec (pour Broussais, il en allait différemment en ce qui concerne en tout cas le bâtiment Leriche). Quant à ceux pour qui « la chaumière [avait] un sens humain beaucoup plus profond que tous les châteaux en Espagne » [Bachelard, 1977 : 101], ils faisaient sans doute avec l’auteur de cette formule figure de dégénérés et d’attardés. À l’horizon imaginaire du nouvel hôpital miroitait une nouvelle organisation, témoignant de la victoire de la raison gestionnaire sur les féodalités médicales évoquées au début de cet article, au sein d’un espace éternel – pas d’horloge publique dans la rue hospitalière de l’hôpital, et une végétation exotique ne marquant pas clairement les saisons – où la maladie, la décrépitude et la mort seraient pour de bon vaincues [Marin et alii, 2002]. Dans le déménagement imposé, il ne s’agissait donc pas seulement de quitter des lieux, mais d’abandonner un style de vie professionnelle. Puisqu’il n’était pas possible, sauf à accepter de passer pour un arriéré, d’émettre des doutes sur le Paradis d’abord proposé et finalement obligatoire, la nostalgie des lieux a tenu une place métaphorique : ces hôpitaux pavillonnaires ont été d’autant plus regrettés qu’à travers l’attachement qu’on affirmait leur porter, quelque chose d’autre pouvait s’énoncer d’une résistance, en effet, au nouvel ordre des choses. Aujourd’hui, quatre ans après l’ouverture de l’HEPG, le fonctionnement en pôles laisse à désirer. Malgré les efforts de la direction de l’hôpital et de certains médecins, les anciennes féodalités ont REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 27 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Un déménagement contesté. Hôpital Laennec, affichage syndical, 1999. Cliché Marie-Christine Pouchelle eu la vie plus dure que prévu, en dépit des départs à la retraite de quelques chefs de service, départs sur lesquels comptait bien l’administration. Ainsi, à la fin de l’année 2004, un nouveau bastion, chirurgical, s’est reconstitué, avec colonisation de bureaux dans une partie officiellement non utilisée de l’hôpital. L’endroit qui, d’après l’un des intéressés, était auparavant un « espace de non-droit », fait maintenant figure de forteresse. Aussi dans cette restructuration, s’il y a eu des points de non-retour franchis – les trois hôpitaux ont bien fermé – la transparence et la fluidité annoncées comme caractéristiques du nouvel hôpital restent problématiques. Ce n’est peutêtre pas un hasard si les portes y font question. La légèreté et l’automatisme de certaines donnant directement sur l’extérieur contraste avec la densité des portes intérieures à ouverture manuelle, dont la pesanteur est pénible pour certains patients âgés ou affaiblis par la maladie. Cette lourdeur est devenue quasi proverbiale dans l’un au moins des blocs opératoires, labyrinthe lourdement cloisonné à l’intérieur, bien que parfois 28 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 perçus comme poreux d’autre part sur certaines de ses frontières extérieures. Ces inconséquences architecturales dénotent-elles une certaine rigidité conceptuelle et administrative ? Serait-ce que la propension au verrouillage, remarquée dans les hôpitaux anciens, subsiste sous d’autres formes dans le nouveau ? Ce serait alors le retour du refoulé, comme le fut aussi, concrètement et symboliquement dès l’ouverture du nouvel hôpital, la prolifération de la légionellose, stagnant dans les bras morts des canalisations, en contradiction avec L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS l’image si propre et si dynamique que l’hôpital voulait donner de lui-même. Se seraient-elles vengées les mauvaises fées, non-invitées à la naissance de ce nouvel hôpital où la morgue avait été d’emblée sous-dimensionnée ? Ceux qui avaient à fermer les hôpitaux ont eu affaire aux affres de notre finitude, esquivées par les porteurs du projet de l’hôpital futur. À quoi d’ailleurs ces derniers voulaient-ils donc fermer la porte en ouvrant le nouvel établissement, si ce n’est à la mort couleur de passé ? Mais la camarde a plus d’un tour dans son sac. Au nez et à la barbe des nouvelles technologies et des transformations de l’espace hospitalier, indéfectible sentinelle postée au détour des couloirs, indifférente aux portes, aux clefs, aux nœuds et aux blindages, elle continue de poser sans relâche aux hospitaliers comme aux patients, la question du sens. Face aux menaces de dissociation qu’elle représente, les personnels reconstruisent patiemment, au fil des jours, le maillage relationnel informel indispensable au fonctionnement de l’hôpital, leur appartenance aux anciens réseaux des sites fermés depuis 2000 venant tantôt faciliter tantôt freiner l’invisible tissage par lequel prend corps, lentement, le nouvel établissement. NOTES 1 - LEIRIS, Michel (Aurora), cité par Gaston Bachelard [1977 : 126] (sur « l’isomorphisme » corps/maison voir aussi Bachelard [1977 : 97, 98, 173,174]). 2 - Un Avenir Commun, brochure réalisée par l’équipe de projet HEGP, octobre 1997 (2e édition) : 5. 3 - Sur l’appropriation des bureaux dans les entreprises ou les institutions, cf. Anne Monjaret [1996]. 4 - Sur l’action et la guerre en médecine et en chirurgie Pouchelle [2004]. Gaston Bachelard [1976 : 40] ne manque pas de citer la chirurgie lorsqu’il examine « la volonté incisive et les matières dures ». 5 - C’est particulièrement net dans le cas des rituels carabins permettant aux futurs médecins d’affronter la dissection des cadavres. Emmanuelle Godeau [1994]. 6 - Entretien avec Luis Montiel (Universidad Complutense), Paris, octobre 2004. 7 - Sur le climat des salles de garde fin XIXe siècle, on trouvera des éléments intéressants dans Léon Daudet, Les Morticoles [1894]. Curieusement, ni Olivier Faure, ni S. Borsa et C.-R. Michel n’attachent d’attention aux salles de garde. Voir en revanche l’ouvrage édité par l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris lors de la célébration du bicentenaire de l’internat (2002). 8 - Voir aussi la thèse de doctorat en Ethnologie d’Emmanuelle Godeau [EHESS, 2004], La Coutume des carabins. Ethnologie de l’internat. 9 - Paris, 2004, observation dans un bloc opératoire (CHU). 10 - Georges Blin, Poésie 45, n° 28 : 44, cité par Gaston Bachelard [1976 : 41]. 11 - Sur les soins palliatifs en tant qu’« espace » de « décision », cf. Isabelle Marin [2004]. Sur l’imaginaire de la mort en maison de retraite, voir Arnaud Hédouin [2004]. 12 - Aux analyses de Michel Foucault, et d’Ervin Goffman on ajoutera par exemple le témoignage très significatif d’Alphonse Boudard [1972] sur les hôpitaux publics dans les années cinquante. 13 - Sur le contrôle de l’espace en hôpital psychiatrique et le vécu d’un changement de lieu, voir le rapport d’Evelyne Lasserre et Axel Guioux [2001]. 14 - Témoignage du Pr Haas dans le film Les Hôpitaux meurent aussi… Mark Kidel, 1999, Arte/Les Films d’Ici. Voir aussi plus généralement Communications (2000). 15 - Voir la place qu’elles tiennent dans la vie domestique [Kaufmann, 1996]. Référence. Soseki supprimée. 16 - Il y eut des religieuses à Boucicaut jusqu’en 1975 [Pouchelle, 2000]. 17 - Relais. La Lettre des Cadres de l’HEGP, n° 7, 1er trimestre 1988 : 5. 18 - Pr. Alain Carpentier, Club Mitral, Colloque international de chirurgie cardiaque, HEGP, 9 décembre 2004 : « I always use metaphore of the door : surface of the door is very important to decide the proper size of the ring to be selected ». 19 - Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge : 33, cité par Gaston Bachelard [1977 : 97]. 20 - Voir par exemple ce qui était annoncé dans la brochure Un avenir en commun [HEGP, 1997]. 21 - Ce n’est pas par hasard que l’ouvrage est également cité par Victor Scardigli [2003] à propos de la fascination qu’exercent les nouvelles techno-sciences (ici il s’agit du clonage des embryons humains). REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 29 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Cour d’honneur de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Bruno François) Transmission par la conservation Les hospices civils de Beaune et leur musée de l’Hôtel-Dieu Bruno François Chargé de mission patrimoine hospitalier et culture à l’hôpital Agence Régionale de Santé de Bourgogne Chargé des collections des Hospices civils de Beaune Conservateur délégué des antiquités et objets d’art de la Côte-d’Or C ’est pendant la période révolutionnaire, en l’an V (1797) que fut constituée l’institution des Hospices civils de Beaune, par le rattachement à l’Hôtel-Dieu – hôpital fondé au XVe siècle par le chancelier du duc de Bourgogne – de l’hospice de la Charité – orphelinat créé au XVIIe siècle par un couple beaunois. Depuis cette date, la destinée des deux fondations est dirigée par une même commission administrative. 30 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Les Hospices civils de Beaune sont aujourd’hui composés de quatre établissements de soins : le centre hospitalier Philippe-le-Bon (ill. 2), d’une capacité de 207 lits, a ouvert le 21 avril 1971, il regroupe l’ensemble des services actifs et médico-techniques ainsi que les services administratifs et logistiques ; le centre Nicolas-Rolin comprend 90 lits de long séjour et 30 lits de moyen séjour, convalescence et rééducation ; les maisons de retraites de la Charité et de l’Hôtel-Dieu sur deux sites d’une capacité de 174 lits ; enfin le centre de guidance infantile, situé dans l’hospice de la Charité, accueille de jeunes enfants suivis pour des handicaps divers. Les Hospices gèrent aussi un domaine privé très important composé d’un parc immobilier dans la ville de Beaune, de terres agricoles et de forêts, d’un prestigieux vignoble – dont la vente annuelle des vins est célèbre dans le monde entier (ill. 3) – et du musée de l’Hôtel-Dieu. Ce domaine privé fournit aux Hospices civils de Beaune une dotation qu’ils utilisent pour les investissements hospitaliers ainsi que pour l’entretien du domaine. Le musée, au même titre que les autres biens, constitue une source de revenus très importante pour la survie de cet établissement de soins, situé à égale distance de deux gros centres hospitaliers, Dijon et Chalon-sur-Saône. Sans cette manne financière issue du domaine et une activité soutenue par des praticiens de qualité, les services hospitaliers de chirurgie et de maternité seraient fermés. Le musée est installé dans les anciens bâtiments de l’hôpital, constituant à la fois une dotation importante, mais aussi un conservatoire du patrimoine hospitalier, témoin de l’activité passée. Ce monument est intimement lié à la Bourgogne ducale. 2. Centre Hospitalier Philippe-le-Bon. (Photo Bruno François) 3. Vente des vins des Hospices de Beaune sous les halles de la ville le 16 novembre 2008. (Photo Bruno François) Historique de l’Hôtel-Dieu L’Hôtel-Dieu a été fondé en 1443 par Nicolas Rolin (ill. 4), chancelier de Philippe le Bon, duc de Bourgogne 1. Il est alors âgé de 67 ans. Après avoir été avocat au parlement de Paris, il fut nommé chancelier ducal à partir de 1422. Philippe le Bon l’éleva au rang de chevalier en 1424. Son action diplomatique fut déterminante lors du traité d’Arras en 1435 qui mit fin à la guerre de Cent ans. À partir de 1426, il fut aussi le chef de la justice et des finances ducales, gardien du « grand sceau » qui authentifie les actes du duc de Bourgogne. Pour la construction de son hôpital, la Ville de Beaune lui cède une importante 4. Portrait de Nicolas Rolin, volet extérieur du polyptyque du jugement dernier de Rogier van der Weyden, vers 1450, musée de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban) REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 31 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 5. L’Hôtel-Dieu porte la lettre F dans cette reproduction d’une partie du plan de Beaune de François Belleforest, dans Cosmographie universelle de tout le Monde, Paris, 1575. Bibliothèque municipale de Beaune (Photo Bruno François) particulièrement, la salle des pauvres (ill. 6) « qu’il soit établi et installé, dans le principal bâtiment et près de la chapelle dudit hôpital, trente lits, savoir quinze d’un côté dudit bâtiment et quinze de l’autre » 5. Ce bâtiment principal résume à lui seul tout le sens que Rolin voulait donner à sa fondation. Il est l’hôpital proprement dit, celui qui, sous un même toit, rassemble les malades, images du Christ souffrant et les hospitalières qui en ont la charge. La salle des pauvres se termine par la chapelle, car prières et soins sont étroitement associés. Pour les seigneurs de cette époque, l’exercice des œuvres de miséricorde, expression de la charité, intercédera en leur faveur au moment du jugement dernier. Ainsi, pour le maîtreautel de la chapelle, Nicolas Rolin commande-t-il au grand peintre de la ville de Bruxelles, Roger de le Pasture ou Rogier van der Weyden, le polyptyque du jugement dernier (ill. 7). Il se fait représenter en donateur avec son épouse Guigone de Salins sur les volets extérieurs du retable (ill. 8). parcelle de terre située derrière les halles ducales, avec le droit de voûter la rivière la Bouzaise 2 (ill. 5). Nicolas Rolin fonde ainsi, le 4 août 1443 « un hôpital pour la réception, l’usage et la demeure des pauvres malades, avec une chapelle, en l’honneur de Dieu tout-puissant et de sa glorieuse mère la Vierge Marie » 3. Conformément à la tradition médiévale, le chancelier justifie, dans cet acte, sa fondation comme un moyen d’assurer son propre salut : « désirant par une heureuse transaction échanger contre les biens célestes les biens temporels » 4 . Il dote sa fondation de mille livres de rentes annuelles sur les salines de Salins qu’il avait acquises dès 1436. Dans la charte, il décrit assez précisément l’organisation de son hôpital et, plus 32 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Il est indéniable que Rolin s’est inspiré des grandes fondations hospitalières, notamment, de l’insigne hôpital Notre-Dame des Fontenilles de Tonnerre fondé en 1294 par Marguerite de Bourgogne, belle sœur de saint Louis. Mais son inspiration ne se limite pas aux constructions hospitalières, la salle des pauvres de Beaune fait aussi référence à l’architecture des grandes salles seigneuriales qui étaient à la fois salle d’apparat où se déroulaient de grandes fêtes (en témoignent les figures sculptées sur les poutres de la charpente) mais aussi le lieu où le seigneur rendait la justice (tel le Christ juge du polyptyque du jugement dernier). Ainsi, comme le L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 6. Salle des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban) 7. Polyptyque du jugement dernier, Rogier van der Weyden, vers 1450, musée de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban) souligne très justement Didier Sécula 6, « cette fondation ne s’explique pas seulement par l’espoir de Rolin d’accéder à la vie éternelle, mais, en tant que chancelier, chef de la justice ducale, il donne à la population beaunoise durement touchée par les guerres et les épidémies et qui s’étaient soulevées contre Philippe le Bon et Rolin lui-même, le signe de la sollicitude du duc. » 7 C’est un vaste chantier qui s’ouvre à Beaune et fournit du travail aux populations très appauvries par des années de famines et de guerre. Il débute au lendemain de la lecture de l’acte de fondation et le premier malade est admis dans la salle des pauvres huit ans et demi plus tard, le 1er janvier 1452. Cet hôpital fut dirigé par Rolin, puis ses successeurs qui défendirent cette fondation jusqu’à la Révolution française, en l’adaptant en permanence aux nouvelles exigences des soins, de la médecine, de la pharmacie et des mœurs. Des travaux importants de réaménagement des salles furent entrepris, notamment par la création de grandes salles communes, là où Rolin avait réservé des espaces plus individualisés pour des malades fortunés. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 33 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 8. Portrait de Guigone de Salins, volet extérieur du polyptyque du jugement dernier de Rogier van der Weyden, vers 1450, musée de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban) d’Eugène Viollet-le-Duc, la rénovation de la grande salle dite « salle des pôvres » qui avait été dénaturée par des siècles d’activité et les destructions révolutionnaires. Les travaux vont, non seulement redonner à cette salle son lustre d’antan, mais aussi en faire une salle d’hôpital avec tout le confort contemporain, dans un cadre médiéval. Les Hospices confient aussi aux ateliers du Louvre la restauration du retable du jugement dernier. Celle-ci achevée, il fallut trouver un lieu de présentation pour le polyptyque. C’est ainsi qu’une première exposition permanente fut installée à l’étage d’un bâtiment donnant sur la seconde cour. Là, étaient exposés les objets d’art et les antiquités que possédait l’Hôtel-Dieu. Des collectionneurs donnèrent des objets pour enrichir ce premier ensemble. Naissance et développement du musée L’Hôtel-Dieu de Beaune a été parmi les premiers monuments historiques de France à être classé sur la liste de 1862. La redécouverte, dans les combles, du retable du jugement dernier, l’organisation des festivités du quatrième cente- naire de la fondation en 1843 montrent tout l’intérêt de l’institution pour la grande valeur historique, archéologique et artistique du monument. C’est à cette époque que les premiers travaux de restaurations furent engagés. En 1872, la commission administrative des Hospices commande à l’architecte Maurice Ouradou, collaborateur et gendre 34 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Sous l’impulsion de Jacques Dupont, Inspecteur des Monuments historiques et dans le cadre des festivités du 500e anniversaire de la création de l’Hôtel-Dieu le 4 août 1943, une nouvelle présentation du retable du jugement dernier et des tapisseries fut aménagée dans la chambre du roi, située au premier étage du bâtiment couvert de tuiles polychromes. Jacques Dupont, dans un article paru cette même année 8, justifie son parti de présentation en ne retenant que les œuvres d’art les plus remarquables de cette collection, contemporaines de la fondation. En 1971, les services de soins quittent l’Hôtel-Dieu pour un nouvel établissement au nord du centre-ville. Les bâtiments du XVe siècle s’ouvrent plus largement au public dans le cadre de visites guidées. La salle des pauvres n’accueillait déjà plus de malades depuis L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 9. La salle Saint-Louis présente des tentures et des coffres à vêtements du XVe siècle. (Photo Francis Vauban) les années 1960. La cuisine, encore en activité, laisse passer les touristes dans un couloir spécialement aménagé, la pharmacie est ouverte à la visite et la salle Saint-Louis (ill. 9) présente une partie de la collection de tapisseries et de tentures. Une salle est spécialement construite pour la présentation du polyptyque. Ces aménagements sont réalisés avec l’aide de l’État par le service des Monuments historiques et les Hospices. S’ouvre alors une période de développement touristique : les visiteurs affluent et la fréquentation est en constante augmentation. En 1984, les deux dernières salles communes – Saint-Hugues et Saint-Nicolas – encore occupées par des 10. Aménagement scénographique de la cuisine. (Photo Francis Vauban) personnes âgées de la maison de retraite, sont désaffectées et la cuisine cesse aussi son activité. Les Hospices font alors appel à une société de muséographiescénographie et la charge d’aménager en visite libre ces deux salles, la cuisine, la salle des pauvres et la chapelle, les autres salles étant encore sous la conduite d’un guide. Des mises à distance et des vitrines sont installées dans les salles 9, tandis qu’une synthèse de l’histoire de l’HôtelDieu est présentée dans des vitrines et sur des panneaux dans la salle Saint-Nicolas. La cuisine (ill. 10), quant à elle, offre une REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 35 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 11. Pharmacie garnie de ses placards et de ses pots du XVIIIe siècle, cette salle a été en activité jusqu’en 1971. (Photo Francis Vauban) animation sur la base d’un commentaire aux visiteurs uniquement en langue française. Les aménagements de ces deux dernières salles offrent aux visiteurs de quoi patienter en attendant le guide pour la seconde partie de la visite. Depuis 1991, la visite est entièrement libre, mais cette muséographie demeure. Les visiteurs reçoivent un dépliant décrivant les différentes salles et les œuvres les plus remarquables, dans l’une des neuf langues disponibles. Des cartels et des panneaux sont disposés dans les salles essentiellement en français. Ainsi, l’aménagement du musée s’est-il fait au fur et à mesure de la fermeture des salles aux soins et de la désaffectation progressive des objets mobiliers (ill. 11). Les collections Elles sont le fruit de l’histoire très riche de l’Hôtel-Dieu, fondation du chancelier ducal qui a doté son hôpital de tout le mobilier nécessaire 10 et l’a aussi pourvu d’œuvres d’art religieux pour l’exercice des prières. Des donations importantes sont venues enrichir l’établissement, le dotant de nouvelles salles 11 et de nouvelles œuvres d’art 12. C’est cette collection exceptionnelle constituée in situ, au fil des siècles, qui est présentée au public. Les objets mobiliers appartiennent à l’établissement public hospitalier et ont ainsi le statut d’objets publics. Cependant, les Hospices ont dispersé au cours 36 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 de deux ventes aux enchères publiques – la première en 1998 et la seconde en 2004 – près de 1 000 meubles. Les collections ne sont pas inaliénables comme le sont celles des musées possédant le label Musée de France. Néanmoins, la protection au titre objet des Monuments historiques a permis la conservation des meubles inscrits ou classés. Une partie des objets est présentée dans l’exposition permanente, l’autre partie constituée de meubles, d’objets de la vie quotidienne, de textiles et d’objets mobiliers, est conservée dans des réserves disséminées dans les bâtiments. En 2007, sur la recommandation de la commission de sécurité, une réserve de meubles a été aménagée dans l’ancienne cuverie 13 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 12. Détail de la charte de fondation. (Photo Francis Vauban) permettant de regrouper dans un même lieu, ces ensembles qui, jusque-là, étaient dispersés dans de multiples salles et combles plus ou moins insalubres. En 2010, une nouvelle réserve est en cours d’aménagement pour recevoir les objets mobiliers et les tableaux de petites dimensions. Les collections ont été inventoriées de 1989 à 1994 par le service régional de l’Inventaire général 14 en collaboration avec les Hospices qui avaient recruté un chargé de mission contractuel. Il s’agit d’un inventaire d’étude qui ne peut pas être immédiatement utilisé pour la gestion des objets mobiliers comme peut l’être l’inventaire administratif des musées. Néanmoins, ce travail a permis de recenser environ 5 000 objets. Les fiches d’inventaire sont consultables dans la base de données Palissy sur le site Internet du ministère de la Culture. En 2010, les Hospices ont acquis 15 un système informatisé de gestion des collections qui est en cours d’installation. Les archives historiques sont accessibles aux chercheurs et ont ainsi permis à des étudiants de produire des travaux universitaires de qualité. Des pièces remarquables sont conservées comme les documents de la fondation (ill. 12) ou encore un inventaire très détaillé de 1501. Les archives des hospices ont fait l’objet d’un récolement et d’un reconditionnement sous le contrôle scientifique du directeur des Archives départementales. En effet, les archives des hôpitaux sont des archives publiques dont la conservation est régie par des textes de loi. La communauté des sœurs de l’Hôtel-Dieu a choisi en 2009, de déposer son fonds aux Archives municipales de Beaune le dissociant ainsi de celui des Hospices. Jusqu’à présent, le patrimoine immatériel n’a pas été vraiment pris en compte par les Hospices. Néanmoins, sous l’impulsion d’un médecin honoraire de l’HôtelDieu, un groupe d’anciens personnels de l’hôpital s’est réuni pour témoigner de leur activité passée, lorsque l’Hôtel-Dieu était encore un hôpital en activité. Cette collecte est intéressante, mais demanderait à être poursuivie dans le cadre REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 37 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS d’interviews individuelles pour recueillir des récits plus personnels. Cette année, dans le cadre de l’entretien annuel des mannequins de sœurs (ill. 13) disposés dans le musée, une collecte d’informations a été effectuée. Les sœurs ont transmis au personnel du musée, la manière dont elles s’habillaient chaque matin, à l’époque où elles portaient encore ce costume empesé, constitué de nombreuses pièces qui s’assemblaient tel un puzzle à l’aide d’épingles. Là aussi, il serait urgent de recueillir le témoignage des sœurs hospitalières de l’HôtelDieu dont la disparition est inéluctable, en l’absence de nouvelle vocation. Cette communauté, qui a été créée par Nicolas Rolin, est le dernier témoin de l’esprit de charité de son fondateur. Une page se tourne : la dernière sœur a pris sa retraite en 2008. La collecte de ces témoignages permettrait de redonner du sens aux objets mobiliers en les replaçant dans leur contexte d’utilisation. La priorité des Hospices étant leur mission de soins, la conservation du patrimoine ne se justifie que par les revenus qui sont générés par les entrées du musée. Ainsi, l’équipe de l’Hôtel-Dieu qui dépend du directeur des Hospices, s’organise-t-elle de manière à accueillir un maximum de touristes. Elle est composée d’un cadre administratif qui est chargé de la régie de recette du musée, du personnel et des locations de salles de séminaires, d’un responsable de la boutique et d’un chargé des collections, seul personnel scientifique, à temps partiel. C’est donc 3 % des effectifs du musée qui sont affectés à la conservation des collections. Néanmoins, les Hospices 13. Mannequin de sœur hospitalière. (Photo Francis Vauban) consacrent une partie de leurs revenus à l’entretien du monument, notamment, de 2007 à 2009, pour le grand chantier de restauration de la toiture de la salle des pauvres. Il reste aujourd’hui à renouveler la muséographie-scénographie du musée de l’Hôtel-Dieu afin de mieux répondre aux attentes des visiteurs qui se pressent toujours nombreux pour visiter ce haut lieu de la Bourgogne ducal et de leur permettre d’appréhender toute l’étendue des collections conservées. NOTES 1 - Voir SÉCULA, D. L’Hôtel-Dieu de Beaune : étude architecturale et approche iconologique d’un monument emblématique, thèse de docteur de l’Université Paris IV en Histoire de l’Art médiéval, Paris, 2004, p. 27-28 2 - On connaît l’importance des cours d’eau dans les institutions hospitalières, car ils permettent l’évacuation des déchets. 3 - STEIN, H. L’Hôtel-Dieu de Beaune. Paris : Henri Laurens éditeur, 1933 (Petites monographies des grands édifices de la France) p. 8. 4 - Ibid., p. 7. 38 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 5 - STEIN, H. op. cit., p. 11. 6 - SÉCULA, D. Docteur en histoire de l’art qui a soutenu sa thèse sur l’Hôtel-dieu de Beaune. 7 - SÉCULA, D. Texte d’un panneau de l’exposition l’Ardoise et le Chancelier (non publié). 8 - Journal de Beaune du 25 septembre 1943. 9 - La salle des Pauvres, la Chapelle, la salle Saint-Hugues. 10 - L’Hôtel-Dieu conserve un ensemble de 35 coffres du XVe siècle, voir FRANÇOIS, B. Le Mobilier de l’Hôtel-Dieu, Le Faste des Rolin au temps des ducs de Bourgogne, Dossiers de l’Art, Dijon : Éditions Faton, 1998, n° 49, juillet, p. 70-77. 11 - HUGONNET-BERGER, C. « L’Édifice du XVe siècle et son évolution, L’Hôtel-Dieu de Beaune », Paris : Somogy éditions d’art, 2005, p. 30-63. 12 - Voir RÉVEILLON, E. FROMAGET, B. « De l’Hôpital au musée », L’Hôtel-Dieu de Beaune, Paris : Somogy éditions d’art, 2005, p. 106-119. 13 - Désigne un chai en Bourgogne. 14 - Ce service de l’État a été créé par André Malraux en 1967. En 2007, les services régionaux d’inventaire ont été décentralisés aux Conseils régionaux. 15 - Avec le soutien financier de l’ARS. L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Concept d’humanisme à travers les programmes de formation des infirmiers Frédérique Tomasini Directrice de l’IFSI des Hôpitaux Sud Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille D epuis la création du premier brevet de capacité professionnelle, en 1922, les programmes de formation ont été soumis à une remise en question plus ou moins régulière, visant à l’actualisation des savoirs exigés par les progrès de la science et des évolutions professionnelles, notamment dans le cadre des accords européens. L’histoire des professions de santé retient souvent la représentation de l’infirmière parce qu’elle correspond à ces images de compassion ou d’accompagnement qui sont véhiculées dans l’inconscient collectif. De tout temps, on demanda aux infirmières d’être réconfortantes et compatissantes. Depuis toujours, on a attendu des infirmières qu’elles prennent soin des personnes avec bonté, avec humanité. Ce terme d’humanité traduit une attention bienveillante, empathique, accordée à la personne et à ses proches. À l’origine, chacun s’accordait à considérer l’infirmière comme naturellement dévouée, pourvue de qualités, d’attitudes, de sentiments qui ne demandent pas de compétence particulière, elles ont un don inné, donc nul besoin de formation. Aussi, la première actualisation du programme, en 1961, se calque sur la discipline médicale. L’essor des connaissances médicales requiert des auxiliaires de plus en plus compétentes et c’est cet aspect REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 39 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS de la formation qui est développé, centré sur la maladie et les pathologies. La formation doit rester axée sur la pratique et les premiers manuels de soins infirmiers contenaient surtout des descriptions de techniques de soins. C’est un enseignement médical, fait par des médecins afin qu’elles transforment le savoir qu’elles possèdent d’instinct, en un savoir qui complète et qui prolonge les gestes médicaux 1. Si ce programme prévoit, dans son introduction, que cette tâche technique se double d’un rôle psychologique, moral, parfois même pédagogique, quelques heures seulement abordent les aspects psychologiques de la maladie, les notions d’aide ou de respect de la personne. Après l’année 1968, le début des années soixante-dix est marqué par le regroupement des professionnelles en associations qui réclament une réforme des études et préconisent de transformer l’esprit de cette formation, elles affirment : Une formation vraie en psychologie favorise une compréhension de l’autre et de soi, la capacité de dépasser l’intuition et les bons sentiments qui sont tout aussi fragiles chez les infirmières que dans le reste de l’humanité, sinon plus parce que plus exposées 2. Leurs revendications aboutissent et deux nouveaux programmes de formation se succèdent rapidement en 1972 (en 1973 pour les infirmiers de secteur psychiatrique) puis en 1979. Ce programme de 1979 3 découle en toute logique de la loi de 1978 qui confirme pour l’infirmière un rôle sur prescription médicale et surtout lui reconnaît l’initiative de dispenser des activités de soins sur la base d’un savoir spécifique garanti par sa formation. C’est un renversement. L’orientation de la formation est claire : le programme d’études est centré sur la personne humaine et les contenus en témoignent : anthropologie culturelle, étude des conduites et des comportements, dimensions du soin… Il s’agit avant tout de soigner des personnes et non des maladies. C’est la reconnaissance d’un savoir infirmier lié à la connaissance que l’infirmière acquiert de la personne par la démarche de soins. Le savoir infirmier cherche à se définir : il est scientifique, il prend ses sources dans la médecine, la biologie, la pharmacologie et à présent dans les sciences humaines. C’est un savoir humanitaire, dit Béatrice Walter. Mais le savoir infirmier et le savoir médical ne s’opposent pas, ils sont complémentaires : le savoir médical traite de la maladie de l’homme, le savoir infirmier traite de l’homme dans la maladie. Pour mettre en œuvre ce programme, il appartient à chaque école d’établir son propre projet pédagogique. Les équipes pédagogiques se forment et expriment leur volonté d’établir un cadre conceptuel clair pour les soins infirmiers. Les professionnelles s’emparent alors des théories anglo-saxonnes et américaines diffusées par les écrits de Rosette Poletti ; il a fallu près d’un siècle pour que les infirmières reprennent le flambeau de la pionnière Florence Nightingale (18201910). C’est elle, en effet, qui donna le premier modèle en soins infirmiers, en 1859, dont leur but est de mettre le patient dans les meilleures conditions possibles afin que la nature puisse faire son œuvre en lui. Ces modèles et théories conduisent à considérer les soins infirmiers comme une science humaniste : l’homme est un tout unifié, l’humanité de l’homme ne peut être réduite à des systèmes, des organes ou des cellules 4. Dans cette démarche holistique, l’infirmière ne doit pas être seulement une tech- 40 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 nicienne de premier ordre, elle doit être aussi une experte au niveau des relations humaines 5. Ces théories se sont influencées les unes les autres. Le modèle conceptuel de l’Américaine Virginia Henderson est sans doute le plus connu et majoritairement choisi. Celui de Marjory Gordon est la référence dans notre dispositif. Dans ce contexte, l’approche humaniste des travaux de deux célèbres psychologues américains Carl Rogers (19021987), et Abraham Maslow (1908-1970) ont un impact majeur dans les projets de formation. Dans l’apprentissage des soins infirmiers, nos outils pédagogiques se dotent d’un nouveau lexique : authenticité, écoute empathique, considération positive, congruence, reformulation, verbalisation, non directivité, entretien d’aide, pyramide des besoins… La personne est acceptée telle qu’elle est, dans l’ici et maintenant, avec le cadre de référence qui lui est propre. Une attitude humaine, chaleureuse et encourageante est le point clé de cette dimension du soin 6. On parle alors de vision globale et de soins individualisés, car chaque être humain est unique ; des empreintes digitales aux émotions, nul n’est semblable 7… Il ne peut exister de soin unique, de techniques identiques. Les protocoles ne sont que des cadres de référence et non des fins en soi. C’est en 1992 8 qu’une nouvelle réforme des études met fin à la séparation historique des deux filières professionnelles : la formation en soins généraux et la formation en soins psychiatriques 9. Les longs débats qui ont conduit à ce programme confirment l’approche globale de l’homme en ne dissociant plus le mental du physique, le psycho-social du bio-physique, et considèrent enfin la personne soignée L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS comme un être qui ne peut plus être réduit à sa seule maladie […] les problèmes de santé ne sont pas uniquement médicaux, ils sont aussi culturels 10. C’est l’émergence d’un nouveau profil infirmier dit polyvalent. La formation passe à 38 mois, en alternance avec les stages, les enseignements théoriques sont organisés en modules. Ce programme place les sciences humaines suivant une logique transversale, elles doivent imprégner la totalité des enseignements dispensés. C’est ce programme de 1992 qui ose le terme de diagnostic infirmier ! Les travaux de professionnelles reconnues comme Marie Françoise Colliere contribuent à cultiver l’approche anthropologique du soin qui consiste à se rendre proche des gens en laissant venir à soi ce que l’on peut saisir et apprendre d’eux à partir de ce qu’ils révèlent d’eux-mêmes 11. Ces enseignements associés au module Législation, Éthique, Déontologie doivent permettre à l’étudiant d’appréhender la dimension éthique du soin. Le questionnement éthique renvoie à celui des valeurs, dès lors qu’il existe une activité sur l’humain. Les orientations données à la formation, dans les projets et les dispositifs pédagogiques de chaque équipe, vont s’appuyer sur un système de valeurs réfléchi qui soutient que l’exercice de la profession d’infirmier vise la promotion de l’être humain. Il est indispensable qu’un projet de formation soit en mesure d’expliciter le système philosophique dont il se réclame puisque ces valeurs vont sous-tendre les options et les pratique pédagogiques. Les valeurs sont constitutives de la démarche soignante car elles servent de références incontournables dans le comportement professionnel : […] la valeur naît dans le rapport à l’autre et vit dans cet alter ego que représente l’humain 12. Ce programme va s’appliquer pendant 17 ans ! La déclaration de Bologne, en 1999, portant sur l’enseignement supérieur européen, puis les travaux entrepris par le ministère de la Santé sur la réingénierie des diplômes en France (2007-2009), va rénover le diplôme d’État infirmier associé maintenant à un grade de licence. C’est le référentiel de formation de juillet 2009 13, articulé autour de l’acquisition de dix compétences requises pour l’exercice du métier d’infirmier, avec la possibilité de poursuivre un parcours universitaire. Pendant les six semestres de formation, dans une progression pédagogique cohérente, la participation des professionnels en stage est fortement sollicitée, en alternance avec les unités d’enseignement théorique. Ces unités d’enseignement, coordonnées conjointement par l’Institut de formation et l’Université, sont en lien les unes avec les autres et contribuent à l’acquisition des compétences. Elles couvrent six champs de connaissance : - sciences humaines, sociales et droit, - sciences biologiques et médicales, - sciences et techniques infirmières, fondements et méthodes, - sciences et techniques infirmières, interventions, - intégration des savoirs et posture professionnelle infirmière, - méthodes de travail. Aujourd’hui, ce référentiel renforce les savoirs scientifiques des infirmiers tant dans le domaine des sciences humaines et sociales que dans celui des sciences médicales. Dans un parcours de professionnalisation, la formation est structurée autour d’études de situations professionnelles. Les étudiants sont placés devant des situations qui les obligent à porter un regard croisé sur les différents problèmes de santé en lien avec les pathologies et les contextes. Ils développent des pratiques pour prendre soin des personnes 14. Quant aux projets pédagogiques, ils reposent sur la même philosophie des soins. Depuis 2008, le Projet pédagogique de l’Institut de formation des Hôpitaux Sud ancre ses valeurs dans le prendre soin se référant au concept d’humanitude. Ce néologisme, surtout connu grâce au philosophe Albert Jacquard, a été développé depuis 1995 par Rosette Marescotti et Yves Gineste dans leur Philosophie de soin de l’humanitude. Basée sur les concepts de bientraitance, l’humanitude est l’ensemble des particularités qui permet à l’homme de se reconnaître dans son espèce, l’humanité, […] et de reconnaître un autre homme comme faisant partie de l’Humanité. Concepts d’humanisme et d’humanitude sont intimement liés dans notre projet et sous-tendent les enseignements que nous organisons. Nous travaillons avec les étudiants, nul n’est semblable, chaque être humain est unique dans ses dimensions biologique, psychologique, sociale ou culturelle ; et, dans le même temps, il est mon semblable, quand nous disons que nous sommes des êtres humains qui soignons d’autres humains, nous sommes bien dans l’humanitude. L’évolution des besoins et des demandes des patients, l’évolution des risques et des pathologies, des sciences et des techniques médicales, des modalités de prise en charge, ont fait évoluer le contenu des REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 41 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS métiers de la santé et les programmes de formation ont suivi ces évolutions. Nous voulons toujours des infirmières bienveillantes et attentionnées, si les étudiants arrivent en formation avec ce don inné, c’est tant mieux… Plus les valeurs personnelles sont proches des valeurs professionnelles attendues, plus un individu a de chance de s’y retrouver 15… Nous attendons aussi, comme hier, des infirmières compétentes, performantes ; si les savoirs scientifiques et techniques sont aujourd’hui valorisés, ils restent développés dans une perspective humaniste qui incite et participe à la progression d’une personne malade vers l’équilibre psychologique, vers la conservation de ses capacités humaines, vers un plus grand bien-être et même, lorsque cela est possible, vers un retour à la santé 16. NOTES 1 - WALTER, Béatrice. Le savoir infirmier, Lamarre, 1988. 2 - 2 ANFIIDE, CEEIEC, UCSS, UNCASH. Le service infirmier doit-il rester sous-développé ? Mai 1970. 3 - Arrêté du 12 avril 1979 relatif au programme d’études préparatoires au Diplôme d’État d’infirmier. 4 - POLETTI, Rosette. Théories et concepts, Martha Rogers. Le Centurion, 1978. 5 - POLETTI, Rosette. L’enrichissement des interventions en soins infirmiers. Le Centurion, 1980. 6 - ROGERS, Carl. Les trois dimensions rogériennes. http://fr.wikipedia.org/wiki 7 - GINESTE-MARESCOTTI. Philosophie de soin de l’Humanitude et Méthodologie de soin. www.igm-formation.net 8 - Arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au programme d’études conduisant au Diplôme d’État d’infirmier. 42 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 9 - ABDELMALEK, Ali Aît, GERARD, Jean-Louis. Sciences humaines et soins, InterÉditions, 1995. 10 - Idem 11 - COLLIÈRE, Marie-Françoise. Apport de l’anthropologie aux soins infirmier. Culture et clinique. Université Laval, Canada. 1990. 12 - DURAND Charlaine, Le rôle des valeurs dans l’activité de soins, octobre 2007. www. cadredesante.com/spip/spip.php 13 - Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’infirmier et ses annexes. 14 - COUDRAY, Marie-Ange, GAY Catherine, Le défi des compétences. Masson, 2009. 15 - DURAND, Charlaine. Le rôle des valeurs dans l’activité de soins. Octobre 2007. www. cadredesante.com/spip/spip.php 16 - PHANEUF, Margot. Le concept d’humanitude : une application aux soins infirmiers généraux www.pagesperso-orange. fr/cec-formation.net/phaneuf.pdf L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Dôme de la chapelle de la Charité. De l’hospice de la Charité au centre culturel Pr Yves Baille Conservatoire du patrimoine médical de Marseille (AP-HM) S i Marseille peut s’enorgueillir, avec la Vieille Charité, d’avoir pu conserver un bâtiment prestigieux, dessiné par Pierre Puget au XVIIe siècle, et d’avoir su en faire un centre culturel de qualité, cela n’a pas été sans mal. L’hôpital Notre-Dame-Mère-de-Charité a été successivement un lieu d’assistance et de bienfaisance, puis un hospice prison sous Louis XIV. Au XIXe siècle, l’hospice reprend son activité d’accueil des pauvres, invalides, vieillards et enfants abandonnés. À la fin du XIXe siècle, l’hospice est transféré à Sainte-Marguerite, et les bâtiments laissés à l’abandon. Il héberge des familles de travailleurs pauvres, avant d’être squatté. Sa dégradation est telle que le chargé du patrimoine au Conseil général préconise sa démolition. Grâce à la détermination de deux associations, le bâtiment ne sera pas détruit. Il sera restauré et accueille maintenant un centre remarquable par ses activités culturelles, ses musées, ses expositions temporaires et ses laboratoires de recherche. L’histoire de ce sauvetage mérite d’être connue et peut alimenter la réflexion des élus qui sont confrontés, ici ou là, à des problèmes identiques. Conserver et restaurer le patrimoine coûte cher financièrement à la communauté, mais lui confère une identité et une âme. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 43 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Les origines de l’hospice de la Charité Au XVe siècle, se pose à Marseille, comme dans le reste du royaume, le problème des pauvres, vagabonds et mendiants. « Pour rendre tolérable la coexistence entre puissants et démunis », le Conseil de ville en 1546, 1577, 1592 et 1602 avait pris, sans succès, des mesures d’éloignement des vagabonds et indésirables. En 1622, le Conseil suggère de « renfermer dans un lieu propre et choisi par les consuls les pauvres natifs de Marseille afin que les estrangers fainéans et vagabons ne s’introduisent plus parmi eux pour estre dans le dit lieu nourris et entretenus de leur travail que des aumosnes suivant la queste qui en serait faite ». En 1640, Emmanuel Pachier, chanoine théologal de la major et membre de la puissante compagnie du Saint sacrement réunit 72 fondateurs et leur fait acheter les maisons situées place de l’Observance dans le quartier du Panier, au cœur du vieux Marseille. Ce sont les premiers pas de cette œuvre charitable, hospice qui accueille les pauvres, les vieillards, les indigents et les invalides dans des locaux de fortune. En 1641, le Conseil de ville ordonne aux mendiants marseillais de se rendre dans l’hospice pour y demeurer et aux mendiants étrangers de quitter la ville dans les 48 heures. En 1644, le texte devient plus précis et enjoint « aux pauvres mendiants estrangers, hommes et femmes, valides et invalides, et aux bohémiens de vider la ville et son terroir dans le dit jour à peine de fouet. Défense à tous bateliers de passer aucun pauvre ni bohémien avec leurs bateaux pour venir à la ville, à peine de brulement de leurs dits bateaux. » Charité plans de Pierre Puget AD 13 En 1671, l’œuvre hospitalière de la Charité, qui est logée dans un ensemble de maisons disparates, décide de construire un bâtiment neuf. Les plans de Pierre Puget sont retenus. Pierre Puget, sculpteur, peintre, architecte, a travaillé en Italie et à Toulon, c’est le « MichelAnge marseillais », selon Joseph Billioud, architecte qui sera particulièrement actif pour la rénovation du bâtiment dans les années 1950. C’est un hôpital imposant à cour fermée, quadrilatère dont les dimensions externes 44 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 sont de 112 m de long, 96 m pour la façade sud où se trouve l’entrée, et 63 m pour la façade nord. La surface au sol est de 9 630 m2. Les façades extérieures sont celles d’un bâtiment d’allure carcérale avec quelques rares ouvertures irrégulières. L’aspect austère lui a valu le qualificatif « d’Escurial de la misère » (A. Bouyala d’Arnaud). La cour de 82 m de long, sur 49 m de large au sud et 45 m au nord, a une superficie de 3 850 m2. Elle est bordée par une galerie ouverte supportée par L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS 62 piliers. Le bâtiment a deux étages. Le rez-de-chaussée a une hauteur de 5 m, le premier étage 4,80 m et le deuxième 4,5 m. Chaque étage est desservi par une galerie à arcades avec plafond voûté d’arêtes. Le style est classique, Louis XIV, en pierre des carrières de la Couronne, de teinte rosée et jaune. Au centre, « insérée dans la cour, comme un bijou dans son écrin » (Joseph Billioud, architecte en chef de la ville), se trouve la célèbre chapelle au dôme ovoïde. La chapelle, dans l’axe de l’entrée, a 37 m de long et 24 de large ; son dôme atteint 28 m. Pour Joseph Billioud, cette chapelle est « le vrai, l’unique témoin encore debout du génie architectural de Puget. » C’est un exemple magnifique du baroque provençal. Pierre Puget a eu plusieurs sources d’inspiration, il connaissait la tendance architecturale du moment, présente en Italie où il séjournait et travaillait régulièrement, mais aussi en Allemagne et en Autriche, ainsi qu’à Paris. La construction de l’ensemble, commencée en 1671 n’est achevée qu’en 1745, les travaux étant régulièrement arrêtés par manque d’argent. Et il faudra trois loteries, en 1700, 1702 et 1727 pour financer l’ensemble de la construction. Pierre Puget meurt en 1694, alors que la chapelle n’est pas terminée. Son fils François surveille les travaux en suivant les plans du maître. La vie quotidienne à la Charité Dès 1641, les premiers mendiants sont reçus dans l’hospice Notre-Dame-Mèrede-Charité, dont le blason représente un pélican qui nourrit ses petits avec ses entrailles. En 1662, les statuts changent car débute le « Grand renfermement » Puget qui a travaillé à Gêne et à Florence introduit dans cette cour à l’aspect très classique, une note baroque et italienne. Les contraintes sont nombreuses. Il faut que les recteurs, échevins et bienfaiteurs puissent assister aux offices sans jamais côtoyer les pensionnaires. De plus, les pensionnaires doivent être séparés, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, les garçons et les filles ont également leur place à distance. Ceci entraîne un système de circulation complexe, avec des escaliers, des grilles et des couloirs à l’intérieur de l’église qui comporte une galerie. Le dôme est ovale, en pierre de taille, et chaque pierre a été taillée en fonction de la place qu’elle doit occuper. Cette construction tranche sur l’habitude de l’époque, qui était d’avoir recours à de fausses coupoles en bois, enduites de plâtre. Sous la coupole, le tambour est percé de vastes fenêtres, des pilastres doriques encadrent les ouvertures. Edit du roi 1689 REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 45 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS La chapelle au centre de la cour. Galeries avec ordre de Louis XIV de créer dans tout le royaume des hôpitaux généraux pour l’internement des mendiants et autres asociaux. En 1689, Louis XIV « prend sous sa protection » l’hospice de la Charité, qui devient une espèce de prison, avec une organisation administrative dont la direction est assurée par 31 recteurs, assistés de 10 gardes armés, portant habit rouge avec « la bandolière Intérieur de la chapelle aux armes du Roy », sous l’ordre d’un brigadier. Les « chasse gueux » parcourent la ville à la recherche des mendiants et vagabonds, gitans, déserteurs, galériens libérés et femmes de forçat. Des récompenses sont promises aux Marseillais qui dénonceront les mendiants et les délinquants. 46 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Le dôme ovoïde de la chapelle En fait, la tâche des chasse gueux sera compliquée par l’opposition des Marseillais qui, loin d’aider les chasse gueux, les agresseront, prenant la défense des mendiants et des clochards. Au sein de l’hospice, la vie est réglée avec une discipline sévère. Les punitions corporelles sont appliquées au « nerf de bœuf », exposition au carcan, marquage au fer rouge pour les évadés repris. L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Les « pensionnaires » sont soumis au travail forcé, l’objectif est de leur apprendre un métier. Il y a des ateliers de cordonniers, calfats, charpentiers, maçons et des ateliers de couture pour les filles. Les apprentis tisserands disposent de métiers, à rubans, à galons et à bonnets. Pour les enfants, il y a une maîtrise de musique avec un maître de musique, ainsi que des cours d’hydrographie et de pilotage pour les préparer au métier de marin. Des cours d’écriture et de lecture sont dispensés par un maître d’école. Un aumônier est en permanence dans la maison. Le médecin et le chirurgien font visite quotidienne à l’infirmerie. Les malades avérés sont transférés à l’HôtelDieu, tout proche. Le Jeudi saint, les recteurs procèdent, symboliquement, à la cérémonie du lavement des pieds. À Noël, on distribue du nougat et les jours de fête publique, les échevins régalent la « famille » aux frais de la Ville. La surpopulation reste un problème avec en 1846, 1 200 pensionnaires. De plus, les locaux sont devenus insalubres et, en 1890, les bâtiments de la Charité sont abandonnés et la « famille » transférée à Sainte-Marguerite, que les Marseillais appelleront longtemps, « la Nouvelle Charité ». En 1907, l’hospice est vendu à la Ville, qui le met à la disposition de l’État qui en fait une caserne pour les troupes coloniales. Puis à nouveau un hospice pour les soldats revenant affaiblis du service des colonies. Enfin, la chapelle est désaffectée et la Charité servira de dépôt et de magasin. À partir de 1922, la Charité est transformée en complexe d’habitation pour familles pauvres. On y relogera les habitants du quartier « derrière la bourse » qui vient d’être rasé. Après 1945, on y héberge les habitants des vieux quartiers du Port dynamités en 1943 par les Allemands ainsi que les Marseillais dont les maisons ont été détruites lors du bombardement de mai 1945. En 1950, on décrit la Vieille Charité, comme « une cour des miracles », comme un « caravansérail ». Édmonde CharlesRoux-Defferre tente une visite avec Robert Doisneau qui voulait photographier la chapelle. Elle rapporte qu’ils ont du s’enfuir tous les deux sous les quolibets, les menaces et les projectiles des occupants qui ne veulent pas être dérangés et ont peur d’être évacués. Ceux qui habitent la Charité sont jaloux de leur domaine où ils ont organisé leur vie. Il y a dans les années 1950, 146 familles de travailleurs pauvres qui vivent en bonne entente à la Vieille Charité. En 1952, alors que des travaux de restauration de la chapelle sont programmés, les ouvriers sont empêchés d’ouvrir le chantier. Ces enfants de la famille suivaient les convois funèbres, des recteurs, des bienfaiteurs, et des particuliers qui en faisaient la demande contre rétribution. La Charité et ses arcades Selon les décennies, le nombre de pensionnaires dépassa 1 000, ce qui les obligeait à certaines périodes à coucher à quatre par lit. En 1796, l’hospice de la Charité, est rebaptisée « l’hospice de la Vieillesse et de l’Enfance ». Les mendiants et vagabonds sont remplacés par les vieillards indigents et les orphelins. La Charité revient à la mission d’assistance et de bienfaisance de ses origines. Le travail forcé est aboli. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 47 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Il y a aussi la communauté des sœurs de Charles-Foucault et même une murisserie de bananes, une conserverie d’anchois et le siège d’une compagnie de transport. En 1962, les habitants de la Charité sont relogés et l’ensemble est totalement vidé. La Charité gravure 1900 C’est alors que les squatteurs arrivent et vont créer des dégradations irréversibles. Il faudra trois ans pour que la force publique les déloge et libère la Charité qui est dans un bien triste état. La Renaissance La volonté de sauver la Charité et d’en faire un lieu de mémoire et de culture est ancienne. La Charité, années 1950 En 1914, l’association « Art et charité » fondée par des artistes et quelques notables prend la « défense morale, matérielle et artistique du vieux quartier de Marseille ». Ils écrivent : « Aujourd’hui l’hospice sert de caserne et la chapelle de magasin d’habillement, mais bientôt peut-être elle deviendra un magnifique Panthéon à nos morts et sur les vieilles pierres vénérables, débarrassées de leur plâtras séculaire seront gravés les noms des héros de la grande guerre ». En 1922, le panthéon des gloires marseillaises accueillera, transitoirement les bustes de Puget, Daviel et Rostand. La Charité années 2000 48 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 En 1940, le Corbusier dénonce l’état d’abandon du bâtiment. En 1944, Jean Cherpin crée une association culturelle « Arts et livres de Provence » et milite pour installer à la Charité « une maison de la pensée et des arts, un foyer de la culture méridionale, un centre où viendraient se rencontrer, se confronter et finalement s’harmoniser les tendances provençales et méditerranéennes de la pensée. » Mais le bâtiment, dans son ensemble est très dégradé, les façades extérieures sont décrépies, les arcades intérieures sont érodées, la chapelle se lézarde. Fin des années 1950, c’est « un taudis au cœur de Marseille » pour Régis Bertrand, « un grand clochard au cœur du vieux Marseille », pour André Bouyala d’Arnaud. En 1951, des plans très précis sont levés sur les trois niveaux et sur la chapelle ; cela se fera malgré l’hostilité des occupants. Finalement, l’ensemble est classé Monument historique, malgré son état très précaire. Michel Carlini, Maire, plaide la cause et Jean Vernier, Inspecteur général des Monuments historiques juge que « Marseille n’est pas tellement riche en monuments anciens qu’on puisse négliger ceux qui lui restent. » Mais Marseille est alors en pleine reconstruction des dommages de la guerre et il faut, avant de commencer la restauration, reloger les occupants dont les protestations confinent à l’émeute. En 1959, un élu responsable déclare au Conseil général des Bouches-du-Rhône : « J’exprime le souhait que très bientôt cette caserne de la Charité, lèpre qui déshonore à la fois notre ville et notre société disparaisse sous la pioche des démolisseurs. » Il faut dire que des promoteurs immobiliers présentent, chiffres à l’appui, un L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS projet de construction d’habitations à l’emplacement de l’hospice dont on ne conserverait que la chapelle. Une demande est adressée au préfet pour qu’on déclasse la Charité. Elle est rejetée. En 1965, Jean Saunier, architecte en chef des Monuments historiques vient à Marseille avec une délégation d’experts parisiens et la cause est entendue : on conservera et rénovera la Charité. En 1968, se crée l’Association des amis de la Vieille Charité qui regroupe autour de son président, l’industriel André Cordesse, nombre de notables marseillais. Ils plaident pour la conservation et la rénovation de ce « monument exceptionnel qui n’a pas de correspondant en France et même en Europe. » Le maire, Gaston Defferre, juge que dès lors que la rénovation est portée par la Ville, par l’État et par les collectivités départementales et régionales, le monument doit être voué à un usage culturel de prestige, destiné à attirer les touristes, avec des retombées économiques. Il veut en faire l’élément majeur de l’image culturelle de Marseille. La restauration représente le plus important chantier des Monuments historiques de France pour une somme de 100 000 000 francs. pierres de carrière de la Couronne, en utilisant la technique en tiroir, avec injection de chaux à l’intérieur de la maçonnerie. La restauration commencée en 1968 sera achevée en 1986. La Vieille Charité va revivre et les souhaits de Gaston Defferre vont se réaliser avec la création d’un centre culturel de prestige. Un tiers de la surface est affecté aux musées de Marseille et à la Direction générale des musées de Marseille. Parmi les musées municipaux regroupés, il y a le musée d’archéologie méditerranéenne, le musée des arts africains, le musée des arts océaniens, et le musée des arts amérindiens, (MAAOA). en économie quantitative (CREQAM) et le centre Norbert-Elias, unité à caractère multidisciplinaire (anthropologie, communication, histoire, sociologie). L’Office municipal de la culture et des loisirs, ainsi que l’université du temps disponible y sont implantés. Le cinéma « Le Miroir » privilégie les films d’art et d’essai avec conférences et débats, une librairie « Regards » et un café-restaurant accueillent les visiteurs. En 1972, Pierre Blaive, Directeur général de l’AP-HM, projette de créer à la Charité, un musée de la médecine, qui ne verra jamais le jour. Des expositions temporaires de grande qualité sont régulièrement organisées, dans les salles du rez-de-chaussée, la dernière étant consacrée à « Van Gogh et Monticelli » avec présentation, en parallèle, de 60 œuvres de ces maîtres. Dans la chapelle, des expositions et des performances artistiques sont réalisées et dans la cour des concerts et spectacles sont donnés. La transformation de l’hospice de la Charité en centre culturel a été longue, difficile, parfois jugée impossible. Le résultat est là, la Ville de Marseille a su conserver, restaurer un magnifique monument du XVIIe siècle que l’on vient voir pour sa beauté architecturale, mais qui est aussi devenu un lieu de vie, apprécié par les Marseillais, les chercheurs, les étudiants et les touristes. La deuxième loi programme du ministre de la Culture, André Malraux, prévoit un financement de 40 % par l’État, 30 % par le Département et 30 % par la Ville. Ce que l’on appelle maintenant « La Charité » héberge de prestigieuses structures : le fonds régional de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), l’école doctorale de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le centre international de poésie de Marseille (cipM). Les pierres sont délitées, pulvérulentes, éclatées. Il faudra les remplacer par des Le CNRS est présent dans 2 laboratoires mixtes : le groupe de recherche La Charité est devenue un pôle majeur de la culture à Marseille, où les activités sont multiples et permanentes, ouvertes à tous. BIBLIOGRAPHIE BERTRAND, Régis. « Hospice, caserne, taudis, musée : la promotion patrimoniale de la Charité de Marseille ». Rives nord, méditerranéen n° 16 -2003 p. 11/25 PAIRE, Alain. « La Vieille Charité de Marseille, histoire d’un monument ». Édisud 1986 - 47 p. « La vieille Charité de Marseille ». Arts et livres de Provence - N° 75-1970-199 p. BOUYALA D’ARNAUD, André. Évocation du Vieux Marseille. Paris : Éditions de minuit, 1959. FABRE, Augustin. Les rues de Marseille. FABRE, Augustin. Histoire des hôpitaux et des institutions de bienfaisance de Marseille. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 49 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Marianne sculptée au fronton de la façade principale de l’hôpital Saint-Antoine (184 rue du faubourg Saint-Antoine. 75012 Paris). Remarquer le bonnet phrygien, les rayons solaires derrière la tête, les paupières baissées (comme si Marianne veillait sur son peuple et la position des mains). Cette façade, comme d’autres parties de l’hôpital, a été inscrite aux Monuments historiques le 4 juin 1962. Photographie Gabriel Bouyé. Onomastique, symbolique et mémoire dans les hôpitaux parisiens * Jacqueline Lalouette Université de Lille 3 Institut universitaire de France L es hôpitaux sont des lieux riches en éléments symboliques et mémoriels. Leur nom rappelle la religion, l’histoire politique ou encore les grandes heures de la médecine et de la philanthropie. L’onomastique concerne aussi tous les parties de l’hôpital, qu’il s’agisse des cours, places et allées ou des pavillons et des salles. L’architecture elle-même est parlante et quelques éléments de sculpture – bas-reliefs, hauts-reliefs et statues –, des plaques commémoratives, des inscriptions donnent aux hôpitaux une dimension historique, politique et artistique. 1 * Article édité dans Les maux et les soins. Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle par Claire Barillé, Francis Démier. 50 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Onomastique Malgré la laïcisation engagée par les républicains à la fin des années 1870, les hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris portant un nom d’origine catholique, parfois lié au souvenir de la monarchie, n’ont pas changé de dénomination, contrairement à ce qui s’était passé sous la Révolution. L’Hôtel-Dieu a conservé sa très ancienne appellation, qui est une référence indirecte à la troisième vertu théologale, la Charité, laquelle, d’ailleurs, désignait explicitement un autre hôpital, l’hôpital de la Charité 2. Un terme proche, celui de « Pitié », continue de désigner un hôpital fondé au XVIIe siècle, sous le patronage de Notre-Dame de la Pitié. Plusieurs hôpitaux demeurent sous la garde d’un saint (Saint-Antoine, Saint-Louis 3 ; Sainte-Périne, Sainte-Anne), dont le nom avait été choisi pour des raisons diverses. Ainsi, l’hôpital Saint-Antoine se rattache directement à l’abbaye Saint-Antoine-desChamps, qui fut primitivement une communauté de pénitentes fondée par Foulques de Neuilly, en 1198, avant de devenir une abbaye de moniales cisterciennes en 1204, puis d’être élevée à la dignité d’abbaye royale en 1209 4. Si l’hôpital Saint-Louis se trouve placé sous la protection d’un roi que l’Église a porté sur ses autels, c’est qu’Henri IV le conçut comme un hôpital destiné aux temps d’épidémie : Saint Louis étant mort lors de la peste, à Tunis, en 1270, le nom du nouvel établissement s’imposa très logiquement 5. L’hôpital Sainte-Anne s’appelle ainsi parce qu’il se trouve à l’endroit choisi par la reine Anne d’Autriche, durant sa régence, pour construire l’hôpital destiné à remplacer une dépendance de l’HôtelDieu, le Sanitat Saint-Marcel, qui avait lui-même succédé en 1606 à la Maison de Marguerite de Provence ; pour la mère de Louis XIV, ce Sanitat, qui recevait des pestiférés, était situé trop près de l’abbaye du Val-de-Grâce où elle résidait souvent. En vertu du contrat passé le 7 juillet 1651 entre les gouverneurs de l’Hôtel-Dieu et les fondés de pouvoir d’Anne d’Autriche, l’Hôtel-Dieu céda les bâtiments et les terrains du Sanitat et la reine donna en contrepartie 21 arpents de terrain pour édifier le nouvel hôpital, qui devrait prendre le nom de Sainte-Anne 6, auquel succéda, longtemps après, l’établissement qui existe actuellement. Un autre hôpital encore dut son nom au désir d’une souveraine d’honorer sa sainte patronne (et, sans doute, de mettre en avant sa propre personne) : le 16 mars 1854, Napoléon III et l’impératrice Eugénie inaugurèrent un second établissement pour enfants malades, l’hôpital Sainte-Eugénie, installé dans le faubourg Saint-Antoine, dans les locaux de l’hôpital qui s’appelait alors SainteMarguerite 7. Le prénom de la sainte et de l’impératrice disparut en même temps que le Second Empire, en 1870. D’autres établissements étaient désignés par un mot qualifiant les personnes qu’ils abritaient : les Enfants-Trouvés, ou Assistés, les Enfants-Malades, les Incurables. Buste d’Henri IV, fondateur de l’hôpital Saint-Louis (Paris). Façade du pavillon situé au chevet de la chapelle de l’hôpital. Photographie Gabriel Bouyé. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 51 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Statue de Dupuytren, grimé en Michaël Jackson. Cloître de l’Hôtel-Dieu de Paris. Cliché pris le 10 février 2011. Photographie Gabriel Bouyé. L’activité principalement déployée dans un établissement servait aussi à sa désignation, par exemple dans le cas de l’hôpital de la Clinique (ou des Cliniques), devenu Maison d’Accouchement, puis hôpital Tarnier, actuellement intégré à l’hôpital Cochin. Il faut encore penser à des appellations inspirées par la situation dans l’espace, par exemple hôpital du Midi 8, par le nom d’un quartier ou d’un lieu-dit, comme dans le cas de l’hôpital de Ménilmontant (hôpital Tenon) ou celui de Lourcine (hôpital Broca), installé en 1836 dans un ancien couvent de cordelières 9. Le nom de l’hôpital de la Salpêtrière obéit encore à une autre logique, puisque « Salpêtrière » dérive du mot « salpêtre », à savoir la poudre qui était fabriquée dans l’arsenal auquel succéda un hôpital, en 1656 10. Une autre origine possible est celle des noms de bienfaiteurs. Le nom de JeanDenis Cochin, curé de Saint-Jacques du Haut-Pas, qui, en 1780, donna 37 000 livres pour créer un hôpital, servit à désigner celui-ci, dès 1802. Lorsque l’hôpital pour adultes de la rue de Sèvres prit le nom de Necker, ce ne fut pas pour honorer la mémoire du ministre de Louis XVI, mais celle de son épouse, qui contribua à la fondation de cet établissement, en 1778 ; de même, le patronyme de Lariboisière donné à un hôpital inauguré dans le nord de Paris en 1854, ne désigne pas le comte Charles de Lariboisière, sénateur et fils d’un célèbre général d’Empire, mais son épouse, Élisa Roy (1794-1851), qui légua tous ses biens à la Ville de Paris pour que fût créé « un hospice pour les malades » portant son nom 11. Un autre philanthrope est encore honoré par l’onomastique hospitalière : Nicolas Beaujon (c. 1722-1799) 12, fermier général, banquier de la Cour, fondateur, en 1784, dans le faubourg du Roule, d’un hôpital qui prit son nom. Le nom de l’hôpital Boucicaut est celui d’Aristide Boucicaut, fondateur et propriétaire du Bon Marché, dont l’épouse, Marguerite Guérin (1816-1887), avait légué une grande partie de sa fortune à l’Assistance Publique de Paris. Il faut encore citer l’hospice de La Rochefoucauld et les fondations Boulard, Brézin, Devillas et Lambrechts. D’autres noms donnés aux hôpitaux parisiens au XIXe siècle, notamment dans les dernières décennies, correspondent à des patronymes de médecins. En 1878, Laennec (1781-1826), que son fervent catholicisme ne fit pas chasser du panthéon médical républicain, devint le « patron » de l’hospice des femmes incurables, qui fut d’ailleurs transformé en hôpital généraliste à cette date 13. L’année suivante, le nouvel hôpital de Ménilmontant fut appelé Tenon, du nom de Jacques Tenon (1724-1816), chirurgien et auteur du célèbre Mémoire sur les hôpitaux de Paris, publié en 1788. En 1880, alors que l’ancien hôpital Sainte-Eugénie était devenu « anonyme » depuis une dizaine d’années, le nom de Trousseau lui fut attribué, ce qui se conçoit tout à fait pour un hôpital d’enfants, puisque Armand Trousseau (1801-1867) avait publié d’importants travaux se rapportant à l’enfance et, surtout, avait été pionnier dans les recherches sur le croup et dans la pratique de la trachéotomie 14. En 1901, le « vieux Trousseau », c’est-à-dire l’ancien hôpital des Enfants-Malades du faubourg Saint-Antoine, fut détruit et remplacé par trois hôpitaux, le nouveau Trousseau, dans le XIIe arrondissement, et dans le nord, les hôpitaux Bretonneau et Hérold. Pierre Bretonneau (1778-1862), avait été le maître de Trousseau et l’avait initié à la trachéotomie, qu’il avait lui-même pratiquée, beaucoup moins souvent, et avec un 52 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 moindre succès. Quant à Hérold, il s’agit de Ferdinand Hérold (1828-1882), préfet de la Seine de 1879 à 1882. Par ailleurs, pour rester dans le domaine de l’enfance, signalons le cas de la clinique d’Accouchement qui s’appela hôpital Tarnier à partir de 1897, du nom de l’obstétricien Stéphane Tarnier (1828-1897). Au début des années 1880, quelques nouveaux hôpitaux reçurent aussi le nom de sommités médicales. Le nom de Bichat (1771-1802) désigna un établissement établi dans le nord de Paris en 1882 ; dans le sud, l’hôpital des Mariniers, édifié, en 1883, pour recevoir les victimes d’épidémies, fut nommé Broussais dès 1885, du nom du célèbre père de la doctrine antiphlogistique (1772-1838). Sur la suggestion du chirurgien Samuel Pozzi (18461918), le nom de Broca – à l’inverse de Laennec, Paul Broca (1824-1880), né et élevé dans la religion réformée, était connu pour ses convictions libres penseuses et anticléricales – remplaça la vieille appellation de Lourcine en 1892. À peu près à la même époque, en 1893, l’hôpital du Midi ne fut plus désigné par sa position géographique dans la capitale, mais par le patronyme d’un médecin qui y avait été chirurgien de 1832 à 1861, L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Philippe Ricord (1800-1889), que ses travaux sur les maladies vénériennes avaient rendu célèbre. Il est impossible de présenter dans le détail l’onomastique relative aux différentes parties extérieures ou intérieures des hôpitaux, car il faudrait passer au crible des centaines de dénominations et souligner le nombre des modifications survenues sous la Troisième République. En effet, la laïcisation fit attribuer assez systématiquement des noms de médecins aux pavillons et aux salles de malades aux dépens des noms de saints et de saintes. Ainsi, à la Charité, à Saint Louis, saint Félix et saint Charles succédèrent Vulpian (1826-1887), Laennec (17811826) et Bouillaud (1796-1881) ; la Sainte Vierge, sainte Madeleine et sainte Catherine s’effacèrent devant Velpeau (1795-1867), Cruveilhier (1791-1874) et Gosselin (1815-1887) 15. À Lourcine, Sainte Marie, Saint Louis et Saint Clément durent céder la place à Fracastor (1478-1553), Cullerier et Astruc (16841766) 16. Avant même que l’ancien hôpital Sainte-Eugénie n’eût pris le nom de Trousseau, des salles avaient reçu les noms de Bretonneau, Giraldès (18081875), etc. 17. Ce ne sont là que quelques exemples. Mais tous les noms de saints n’ont pas complètement disparu ; ainsi, à la Salpêtrière, subsistent un quartier Saint-Louis, une cour Sainte-Claire, une rue Saint-Vincent de Paul 18. L’architecture et le décor Les hôpitaux fondés au temps de la laïcisation, ou postérieurement à celle-ci, possèdent un espace intercultuel, qui ne se remarque pas de l’extérieur, où les malades peuvent venir prier et participer à des célébrations religieuses 19. En revanche, dans certains des établissements plus anciens, subsiste la chapelle, comme à l’Hôtel-Dieu, SainteAnne, le Val-de-Grâce, la Salpêtrière, Saint-Louis, Lariboisière ; des messes sont encore célébrées, au moins dans ces quatre derniers hôpitaux. Ouvert en 1878, l’hôpital Tenon est probablement le dernier hôpital de l’Assistance Publique de Paris dont la construction incluait une chapelle, la chapelle Saint-Louis. Les sculptures ou les inscriptions des façades de ces édifices religieux soulignent la place que la religion tenait autrefois dans la vie de l’hôpital. Ainsi, à l’Hôtel-Dieu, la tête du Christ surplombe un verset de l’évangile de saint Jean (Ego sum resurrectio et vita. Qui credit in me etiam si mortuus fuerit vivet) 20. L’église du Val-de-Grâce, dont la première pierre fut posée en 1645, rappelle le vœu de la reine Anne d’Autriche et la naissance du dauphin Louis, en 1638 ; sur l’autel, Michel Anguier plaça une nativité monumentale, à laquelle correspond l’inscription portée sur le linteau de la façade : Jesu nascenti Virginiq. Matri ; sur les portes, demeurent des fleurs de lys et des couronnes royales. À la Salpêtrière, une croix rayonnante est sculptée sur la partie supérieure du portique précédant la chapelle ; sur le porche de l’entrée de la division Mazarin – sur lequel sont sculptées les armes du cardinal – deux statues monumentales représentent l’Espérance, avec la traditionnelle ancre du salut, et la Charité, allégorie féminine accompagnée de deux enfants, dont l’un est à la mamelle. Dans l’espace situé entre le portique et la chapelle, une sorte de narthex, sont conservées trois plâtres monumentaux ; un seul est identifié : il s’agit d’une œuvre d’Etex de 1832, représentant « Caïn frappé du courroux divin ». À Saint-Antoine, une fois franchie la cour abritant le pavillon Foulques de Neuilly, on peut lire, sur une façade du pavillon de l’horloge, cette inscription « Benedic & sanctifica domum istam in sempiternum Deus Israel. Anno Domine 1767 » 22, qui tranche sur la symbolique républicaine du porche de la rue du faubourg Saint-Antoine : celle-ci porte le ternaire républicain – il en va de même pour tous les autres hôpitaux, du moins ceux de l’Assistance Publique –, et une belle tête de Marianne à bonnet phrygien ; placée, au sommet du fronton, celle-ci n’est d’ailleurs probablement vue que par une minorité de gens. Cette allégorie de la République ne figure pas, Monument élevé en hommage aux internes des hôpitaux de Paris morts pendant la Première Guerre mondiale. Galerie gauche du cloître de l’Hôtel-Dieu. Photographie Gabriel Bouyé. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 53 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS Stèle érigée dans les jardins de l’hôpital de la Salpêtrière (côté boulevard de l’Hôpital). Remarquer la distinction soigneusement établie entre les trois types de personnel. Photographie Gabriel Bouyé. croyons-nous, sur d’autres façades d’hôpitaux. Par ailleurs, à la Salpêtrière, une couronne royale figure encore sur le porche d’entrée de la division Lassay. La plupart des éléments du décor hospitalier se rapportent aux praticiens et aux personnels qui y exercèrent. Si Paris possède plusieurs statues de médecins 23, nous en avons vu seulement deux à l’intérieur d’une enceinte hospitalière, les effigies de Dupuytren, en pierre, et de Larrey, en bronze. La statue de Dupuytren (1777-1835), représenté en pied, est érigée dans la cour intérieure de l’Hôtel-Dieu, au bas de l’escalier menant à la chapelle. Les internes travestissent constamment cette effigie, la transformant en Mickey, en Batman, en Marsupulami, en Ninja, en Astérix, en Dark Vador, etc. 24 ; le 11 avril 2007, avec de grosses lunettes à monture blanche et une perruque rousse, Dupuytren se présentait sous les traits de Michel Polnareff ; le 10 février 2011, il était grimé en Michael Jackson ; d’après une personne de la Direction de l’HôtelDieu, un changement intervient tous les six mois. Quant à la statue de Larrey (1766-1842), œuvre de David d’Angers, elle fut réalisée grâce à une souscription nationale ; en pied également, elle figure dans la cour d’honneur du Val-de-Grâce, où elle fut inaugurée en 1850. L’inscription principale énumère les titres et fonctions du baron Larrey, dont la main droite, ramenée sur la poitrine, tient un rouleau de papier, tandis que la gauche est posée sur une sorte de fût supportant des livres et des instruments de chirurgie ; sur les quatre faces du piédestal, sous le nom de quatre batailles (Bérésina, Austerlitz, Somo-Sierra, Pyramides) sont apposés quatre bas-reliefs de bronze représentant un champ de bataille. Dans d’autres hôpitaux existent des bustes. Dans la cour d’entrée de la Salpêtrière, se trouvent ceux de Trélat (17951879) et de Baillarger (1809-1890), ce dernier ayant été offert par « la Société médico-psychologique. Ses amis. Ses admirateurs », comme le dit une inscription gravée sur le piédestal ; un troisième buste, très dégradé, représente un homme qui ne peut être identifié, car, de l’inscription du piédestal, ne subsistent que les deux premiers chiffres de la date de mort, « 18 ». La mémoire de Tarnier est célébrée par un haut-relief de pierre sur le mur extérieur de l’hôpital du même nom, à l’angle de la rue d’Assas et de l’avenue de l’Observatoire : enveloppé dans un grand tablier noué sur le ventre, Tarnier se tient devant un lit occupé par une femme et son nourrisson ; sous 54 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 la sculpture, une inscription précise que l’œuvre a été dédiée « au Maître qui consacra sa vie aux mères et aux enfants », par « ses collègues, ses élèves, ses amis, ses admirateurs ». À Sainte-Anne, sur la façade du pavillon Magnan est apposé un basrelief de bronze rappelant le souvenir de Valentin Magnan, « médecin en chef de l’Admission. MDCCCLXVII-MDCCCCXIII » ; la pratique du « Maître de Sainte-Anne », ainsi qu’était désigné Magnan, est évoquée par une inscription latine : « Maluit lenitatem quam vim adhibere » 25. Les figures des fondateurs et bienfaiteurs sont elles aussi présentes. À l’hôpital Saint-Louis, dans une niche creusée dans le mur d’un petit bâtiment situé au chevet de la chapelle se trouve un buste d’Henri IV et, à Lariboisière, dans la chapelle, la statue de Madame de Lariboisière figure sur un monument funéraire. À Sainte-Anne – où les allées et les places portent le nom d’écrivains –, c’est une statue en grès de Victor Hugo qui occupe un parterre circulaire 26. À l’hôpital Saint-Joseph, une galerie est consacrée au souvenir du principal instigateur de la fondation, Mgr d’Hulst, et de toutes les personnes qui, par leurs dons, contribuèrent à la construction de pavillons et à l’accroissement du nombre de lits. Diverses plaques commémoratives célèbrent la mémoire de défunts, médecins, étudiants en médecine – internes et externes –, infirmiers ou agents de service ; elles appartiennent à deux catégories. Celles de la première portent les noms de personnes victimes de leur dévouement à la médecine et aux malades ; c’est le cas, à l’Hôtel-Dieu, où, en 1902, année du centenaire de l’Internat, furent apposés dans une galerie du cloître un haut-relief de marbre – représentant un chirurgien, deux internes et L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS une Augustine – et deux listes de noms d’internes « victimes de leur devoir pendant leur internat ». À Saint-Antoine, est perpétué le souvenir de cinq personnes (un infirmier, une suppléante et trois agents des services hospitaliers [ASH]) décédées lors de l’épidémie de choléra de 1892 ou d’une épidémie de typhoïde (1907, 1914, 1931) 27. Outre le choléra de 1892, qui fit une victime dans le personnel infirmier, la fièvre typhoïde causa aussi la mort de deux internes à Tenon, en 1898 et 1899, et un agent des services hospitaliers succomba à une septicémie en 1933. À Trousseau, où la Ville de Paris fit apposer plusieurs plaques à la mémoire d’internes, d’externes et d’agents des services hospitaliers, les maladies les plus mortifères furent la diphtérie et la scarlatine, suivies par la fièvre typhoïde et la septicémie 28. Plus banales, en quelque sorte, et présentes dans tous les hôpitaux, comme dans de nombreux autres établissements publics (lycées, écoles normales d’instituteurs, universités, gares, etc.), les autres plaques célèbrent tous les combattants morts pour la France durant les deux guerres mondiales, notamment la Première ; y figurent quelques noms d’internes et d’externes, une majorité de noms d’infirmiers ou de personnes travaillant dans les différents services hospitaliers, mais l’on est frappé par l’absence de noms de professeurs 29. À l’Hôtel-Dieu, figure un bas-relief de Landowski, dont les sculptures se rapportant à la Grande Guerre sont célèbres. Au Val-de-Grâce, dans la cour d’honneur, se trouve une grande plaque de marbre qui ne présente pas une liste de noms, mais la seule inscription « In memoriam. Aux membres du service de Santé militaire morts glorieusement pour la France. Pro Patria et Humanitate ». Ces quelques exemples présentés ici sont loin de correspondre à l’ensemble des éléments symboliques et mémoriels qui Plaque commémorative en hommage aux personnes mortes de leur dévouement. Hôpital Saint-Antoine. Pavillon située au fond de la cour Foulques de Neuilly. Photographie Gabriel Bouyé. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 55 L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS doivent exister dans les établissements hospitaliers, leur conférant une dimension idéologique et historique certaine, que, vraisemblablement, peu de patients ou de visiteurs perçoivent : en général, on ne va pas à l’hôpital pour effectuer un repérage des statues, bustes et inscriptions et toutes ces traces du passé doivent retenir l’attention et aiguiser la curiosité encore moins que dans le reste de la ville. Comme l’on a pu le constater, la part du religieux, qui reste forte, a survécu aux entreprises de laïcisation et les souvenirs de la monarchie sont eux aussi présents ; ainsi, dans les enceintes hospitalières, voisinent les symboles ou les allégories se rapportant à l’Église catholique, à la Royauté et à la République, soit aux trois institutions qui ont joué un rôle fondamental dans l’histoire des hôpitaux. NOTES 1 - Il est impossible de considérer ici tous les hôpitaux parisiens ; nous ne donnons donc que quelques exemples, que nous espérons représentatifs ; pour l’essentiel, nous les avons relevés dans les hôpitaux de l’Assistance Publique, mais nous citons aussi des établissements publics ou privés ne relevant pas de cette administration (Sainte-Anne, le Val-de-Grâce, Saint-Joseph). 2 - Construit au XVIIe siècle, cet hôpital fut détruit durant les années 1930 ; à sa place, fut édifiée la nouvelle Faculté de médecine de la rue des Saints-Pères. 3 - Durant la période qui nous intéresse ici, l’hospice destiné à recevoir les enfants délaissés s’appelait hospice des Enfants Trouvés, puis hospice des Enfants Trouvés et Orphelins à partir de 1836 ; en 1859, il prit le nom d’hospice des Enfants Assistés ; il ne passa sous le patronage de Saint-Vincent-de-Paul qu’en 1942, http://europaphe.aphp.fr/fr/f_idf_par_stvin. html 4 - Déclarée bien national en 1791, l’abbaye fut transformée en hospice, puis en hôpital, voir Sylvie Sarzana, « D’où vient l’hôpital Saint-Antoine », numéro spécial Patrimoine de la faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, http://www.chusa.jussieu.fr/ presentation/historique.html et site Internet institutionnel de l’AP-HP http://www.aphp. fr/index.php?module=histoire&action=affich er_histoire&vue=histoire_. 5 - SABOURAUD, R. Histoire de l’hôpital Saint-Louis, Lyon : Laboratoires Ciba, 1937, mis en ligne sur http://www.hopitalsaintlouis.org/ Histoire/sabouraud/sabouraud_web.htm. 6 - Voir CAIRE, Michel. Contribution à l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (Paris) : des origines au début du XX° siècle. Thèse médecine, Paris V, Cochin-Port-Royal, 1981, n° 20. Mis en ligne sur http://psychiatrie.histoire.free.fr/ hp/stanne.htm. p. 7-8. 7 - Il avait succédé au vieil hospice des EnfantsTrouvés, fondé en 1674, qui fut transféré rue d’Enfer en 1838. 8 - Ouvert en 1792, cet hôpital destiné aux hommes atteints de maladies d’origine sexuelle s’appelait primitivement hôpital des vénériens ; il prit le nom d’hôpital du Midi en 1836, puis adopta le nom de Ricord en 1893. Il se trouvait dans le XIVe arrondissement actuel de Paris, à proximité de l’hôpital Cochin. 9 - Voir PERCHAUX, Ernest. Histoire de l’hôpital de Lourcine. Thèse pour le doctorat en médecine, 6 février 1890. Paris : Imprimerie de la Faculté de Médecine-Henri-Jouve, 1890. Le nom de Lourcine pourrait venir de l’expression latine de loco cinerum (p. 24-25) et se rapporter à l’emplacement d’un ancien cimetière. 10 - Voir Gérard Tilles, « 1849-1999 : 150 ans de dermatologie à l’AP-HP », en ligne, http:// www.bium.univ-paris5.fr/sfhd/ecrits/aphp.htm. 11 - Voir l’inscription du monument élevé dans la chapelle de l’hôpital Lariboisière à la mémoire de la comtesse. 12 - BOUILLET, M.-N. Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, refondu sous la direction de L.-G. Gourraigne, 31e édition. Paris : Librairie hachette et Cie, 1895, p. 196. L’hôpital Beaujon se trouvait dans le VIIIe arrondissement de Paris ; il a été désaffecté en 1935 et transféré à Clichy. 13 - Voir Patrice Fernand Paul Marie Bourée, L’hôpital Laennec des origines à nos jours. Thèse pour le doctorat en médecine, DactyloSorbonne, 1970. 14 - Voir LEGENT, François. « Armand Trousseau, créateur de la laryngologie », BIUM, édition électronique, http://www.bium. univ-paris5.fr/histmed/medica/orle.htm 15 - GILLET, Fernand. L’hôpital de la Charité. Étude historique depuis sa fondation jusqu’en 1900. Montévrain, imprimerie typographique de l’école d’Alembert, 1900, p. 79. 16 - PERCHAUX, Ernest. Histoire de l’hôpital de Lourcine…, op. cit., p. 72. 56 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 17 - Voir LAMBEAU, Lucien. L’hôpital des Enfants-Trouvés du faubourg Saint-Antoine. Ville de Paris, Commission du Vieux Paris, annexé au procès-verbal de la séance du 10 décembre 1903, p. 375. 18 - Les plaques signalétiques les plus récentes indiquent d’ailleurs « rue Vincent de Paul ». 19 - Voir Isabelle Saint-Martin, « La pluralité religieuse à l’hôpital : espaces cultuels et lieux de recueillement », Jacqueline Lalouette et Christian Sorrel (dir.), Les lieux de culte en France. 1905-2005, Paris, Letouzey et Ané, 2005, p. 243-256. 20 - Saint Jean, 11, 25 : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. ». 21 - « À Jésus nouveau-né et à la ViergeMère ». 22 - « Bénis et sanctifie cette maison pour l’éternité, Dieu d’Israël ». 23 - Par exemple, Bichat, par David d’Angers, dans la cour de la vieille faculté de médecine ; Vulpian, par Paul Richer, rue Antoine Dubois ; Pinel, par Ludovic Durand, devant la Salpêtrière. Voir N. Mcintyre, « The medical statues of Paris », Vesalius, 1998, 4 (2), p. 79-89. 24 - Voir le site http://www.leplaisirdesdieux. com/LePlaisirDesDieux/LesSallesDeGarde/ FresqueSDG/dupuytren.htm 25 - « Il préféra la douceur à l’emploi de la force. » 26 - Dans le secteur du laboratoire central et du pavillon réservé au don du sang. 27 - Est venu s’y ajouter celui d’une laborantine morte d’un « ictère grave » en 1971. 28 - La diphtérie y fit mourir cinq membres du personnel soignant en 1875, 1879, 1880, 1888, 1892, la scarlatine, quatre en 1922, 1927, 1928 et 1929. Il y eut un décès provoqué par la fièvre typhoïde, en 1882 et une mort par septicémie, en 1933. Les plaques se trouvent dans un petit hall du pavillon Jacqueline Pallez (porte 4). 29 - Ainsi, à l’hôpital Tenon, sur la plaque érigée en l’honneur de vingt hommes morts de 1914 à 1919, figurent les noms d’un interne et de deux externes, de quatre préposés, d’un plombier, d’un journalier et de onze garçons de service. À la Salpêtrière, est rappelé le souvenir de deux membres du « personnel médical », de quinze du « personnel hospitalier » et de seize du « personnel ouvrier ». Par ailleurs, près du n° 15 de la rue de l’École de médecine, est apposé un bas-relief commémorant le souvenir des 1 800 médecins morts pour la France durant la Première Guerre mondiale. LE PROJET CULTUREL ET L’HÔPITAL C omment est-on passé d’une culture hospitalière fondée sur la conservation et la transmission des savoirs et des œuvres du passé à un projet culturel conçu comme une ressource de développement de l’hôpital ? LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L Hall principal du CHU Estaing. © Service Communication & Culture – CHU de Clermont-Ferrand. « Culture et hôpital » 2002-2009 Du militantisme à l’institutionnalisation* ! Gilles Herreros et Bruno Milly Sociologues, enseignants-chercheurs à l’Université Lumière-Lyon II Chargés de l’évaluation du dispositif « Culture et Hôpital » en Rhône-Alpes Les choses sont entendues, n’est-ce pas ? L’hôpital n’est pas une scène artistique, ni un lieu de création esthétique et encore moins un espace d’apprentissages et de divertissements autour des pratiques culturelles. À l’hôpital, on soigne monsieur ! Les malades y sont en souffrance, éloignés de chez eux, aspirant à y retourner au plus vite ; perturbés toujours, inquiets souvent, comment pourraientils songer à autre chose qu’à leur santé ? Quant aux personnels, tout est au moins aussi clair de leur côté : une activité débordante, un manque de moyens et de temps récurrent, une charge physique et mentale considérable… Comment, dans ces conditions, imaginer qu’ils puissent consacrer de l’énergie à une activité aussi périphérique aux soins que celle représentée par une activité culturelle ? Quant aux financements d’une telle opération, en une période de pénurie et de recherche permanente d’économie… à un moment où presque tous les CHU et CH de France affichent un déficit… ils restent hautement improbables. Des initiatives culturelles à l’hôpital ? Mieux vaut oublier… rience conduite depuis la fin des années quatre-vingt-dix en Rhône-Alpes. Chargés d’évaluer à deux reprises (de 2002 à 2004 et de 2007 à 2009 1) le programme « Culture et Hôpital » mis en œuvre par l’ARH et la DRAC d’abord, rejointes ensuite par la Région, nous avons accumulé un matériau qui contredit en tous points l’idée selon laquelle penser le soin et l’action culturelle en un même lieu, en un même mouvement, serait une incongruité. Les quelques lignes qui suivent visent à rendre compte de ce constat. Ces évidences, lapidairement énoncées, ont toutes été mises à mal par l’expé- Factuellement, les déclinaisons de culture à l’hôpital ont concerné une * Article paru dans Aventure en terres hospitalières, culture, hôpital et territoires - 2010. 58 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L cinquantaine d’établissements et ont donné lieu à des projets très différents portant sur la danse, le théâtre, le chant, l’écriture, l’art plastique, la photographie, la mémoire, le patrimoine, les sciences… À chaque fois, c’est sous la forme d’expositions, de représentations, ou bien de travaux d’ateliers – rassemblant personnels et patients – que se sont déroulées ces initiatives. Ici, sur la question de la mémoire, des récits sont recueillis, des objets collectés, des témoignages enregistrés, des productions photographiques ou cinématographiques réalisées, des recherches initiées, des ouvrages publiés. Là, dans un tout autre registre, ce sont des enfants hospitalisés qui produisent un disque, un recueil de textes, ou bien des malades qui réalisent des peintures. Ailleurs encore, c’est un spectacle qui est monté avec les personnels de l’hôpital, les malades et des artistes professionnels. Si la diversité des projets est patente, au commencement de l’action, on trouve toujours un même point de départ : la coopération entre une structure culturelle et un établissement de santé sur la base d’une problématisation commune de la situation spécifique dans laquelle se trouve ledit établissement (son histoire, ses projets, son territoire…). À chaque fois, les effets des projets sont profonds ; adaptation, déplacements, détournements, réordonnancement, ces quelques qualificatifs nous y renvoient. L’adaptation des projets au lieu est un impératif. N’importe quelle action culturelle ne peut se dérouler dans n’importe quel établissement. Les projets se profilent et s’ajustent selon les caractéristiques des lieux, dans une entre-définition permanente entre le contenu et le contenant (le projet et le contexte) qui se modèlent l’un l’autre. Ainsi, responsables culturels, artistes, professionnels de l’hôpital, patients, riverains se retrouvent dans une interaction continue qui exclut les « allant de soi ». Cette adaptation entraîne l’ajustement des pratiques de chacun : « Doit-on aller danser dans la chambre du patient ? Moi j’ai du mal avec cela… et si oui comment faire ? » nous dit un artiste ; un soignant exprime le même genre d’interrogations : « pour la fête de la musique, un concert avait lieu sur la terrasse. Fallait voir ! C’était étonnant. Les malades avec leurs bouteilles de sérum en train d’assister au spectacle. Les soignants étaient là, gênés, côte à côte avec les patients… ils ne savaient pas quelle attitude adopter… les malades ne semblaient plus dépendants d’eux ». Les déplacements provoqués par les projets culturels sont inattendus. Citons quelques exemples. Un réfectoire devient, sans perdre sa fonction première, le lieu d’une « expo photo ». Une salle de kinésithérapie se transforme, l’espace de quelques heures par semaine, en atelier danse. Un hall d’entrée, une terrasse, un jardin, des salles d’attente se mutent en salles de spectacles et de concerts, les couloirs et les étages d’un établissement prêtent leurs murs à des parcours muséographiques, un local technique désaffecté devient un endroit de répétition… « L’autre jour (nous explique un responsable culturel), j’ai eu une personne au bout du fil qui voulait venir voir le spectacle que nous donnions dans l’hôpital dans la grande salle. Elle me demandait des informations sur cette salle de spectacle locale qu’elle était surprise de ne pas connaître ; elle avait transformé, l’espace d’un instant, l’hôpital en un équipement culturel ». Transformation de l’espace, réaffectation symbolique, l’hôpital devient, pour un temps, une infrastructure culturelle. Les détournements d’images et de sens sont également légions : « J’ai dû négocier avec les kinés pour utiliser la salle ; au début, j’ai senti qu’ils ne voyaient pas ça d’un bon œil. Maintenant, c’est bon, ils ont vu que je faisais attention à leur matériel » nous explique un artiste animant un atelier danse. « Au début, quatre personnes venaient ici dans ce local technique transformé en lieu de répétition de spectacle. Puis, petit à petit, les malades se sont approchés doucement tournant autour. Aujourd’hui, plus de quarante personnes fréquentent régulièrement ce lieu. Il est devenu un point de ralliement ». Les lieux, les fonctions, les statuts sont objets de transformations ; un malade peut devenir un cinéphile controversant sur le film à l’issue d’une projection dans l’établissement, un soignant peut donner la réplique à un de ses collègues ou à un patient au cours d’une représentation théâtrale, des gestes de l’activité quotidienne au sein d’un établissement peuvent devenir les objets d’une exposition photographique. Un tel brassage peut dérouter ; il n’est pas désordre mais réordonnancement. Le réordonné n’induit pas la préexistence du désordre mais la création d’un autre ordre. La thématique du désordonnéréordonné a une résonance particulière à l’hôpital, confronté depuis plusieurs années déjà aux démarches qualités et à la « mise en ordre » que celles-ci supposent. Lorsque prime le registre du « faites ce qui est écrit et écrivez ce que vous faites », quand les personnels sont conviés à donner une image d’ordre (le classement des documents, l’inventaire des procédures, la traçabilité des pratiques…), les initiatives bouillonnantes de la « culture à l’hôpital » qui introduisent de l’incertain, de l’aléatoire, peuvent être perçues comme incongrues. « Notre lieu, je l’appelle le gourbi. La première année, c’était un joyeux bordel… ! » nous dit un artiste intervenant dans un hôpital peu soucieux de renvoyer une image d’ordre. Avec le programme « culture et hôpital » nous sommes invités à sortir de la binarité ordre/ désordre ; ordre, travail et qualité d’un côté, désordre, divertissement et improvisation de l’autre. « Culture à l’hôpital » relève du réordonné, c’est-à-dire d’un REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 59 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L déplacement des pratiques habituelles, d’une réaffectation des lieux, d’un réagencement des relations entre soignants, patients, familles… Par-là, c’est toute l’institution soignante qui se trouve interrogée, jusqu’au soin lui-même ; peut-il se résumer à de la technique et du nursing ? La profondeur de l’interrogation que les actions culturelles posent à l’hôpital et aux institutions de santé ne suscite évidemment pas une position de soutien unanime. Loin s’en faut. Des résistances, même si elles vont en s’amenuisant, s’expriment haut et fort chez nombre de personnels. « Ton rêve, c’est le cauchemar du plus grand nombre ! ». « Tu nous fais chier avec ta culture ». « Ah oui ! Des danseuses à l’hôpital ? Il y a peutêtre mieux à faire, non ? ». « On manque de personnel et de matériel et on dépense de l’argent pour ces conneries ! ». Ce type de propos, pas nécessairement majoritaires, mais fréquents tout de même, tranche par sa radicalité, avec l’enthousiasme de ceux qui pilotent les projets et avec la satisfaction quasi-unanime des patients qui se déclarent largement acquis (comme en atteste l’enquête par questionnaires que nous avons réalisée). Lorsque parfois le sentiment des patients est plus mesuré, c’est toujours avec beaucoup de nuances que celui-ci s’exprime : « Tu sais : ce que tu fais ici, c’est bien, c’est super même », dit à un danseur une jeune femme clouée depuis des mois sur son fauteuil roulant suite à un accident, « mais moi, ce que je veux d’abord, c’est partir d’ici ! ». C’est la même exclamation que formule, ailleurs, une vieille dame, hospitalisée pour des problèmes neurologiques et qui, depuis des semaines, ne rate pas un seul atelier écriture, si ce n’est pour lui préférer, de temps en temps un atelier chant, « C’est dommage, ils ont lieu en même temps, dit-elle, mais mon plus grand désir est de rentrer chez moi ». Le militantisme a largement présidé à l’instauration des premières expériences culturelles au sein de l’hôpital dans le cou- rant des années 90 et au début des années 2000. Quelques passionnés de la culture se sont mobilisés isolément, puis rassemblés dans le cadre d’une convention régionale, pour multiplier les initiatives. Prenant sur leur temps, devant dépenser une énergie folle au sein de leurs établissements respectifs pour convaincre, les directions, les médecins, les soignants, ne disposant que très rarement d’une formation de médiateur culturel, manquant souvent de légitimité et de crédibilité pour faire valoir leurs projets, les premiers responsables culturels des établissements hospitaliers étaient à la fois des pionniers et des militants. À la fin de la première décennie des années 2000, si des difficultés persistent pour que les démarches culturelles obtiennent droit de cité dans les établissements de santé, le contexte s’est fortement transformé, au point, pensons-nous, de laisser entrevoir un début d’institutionnalisation des démarches en cours. L’institutionnalisation qui s’amorce de « culture à l’hôpital » passe par plusieurs canaux. En premier lieu, il convient de souligner l’existence d’une incitation, inscrite au SROS Rhône-Alpes et adressée aux établissements de santé, à inclure dans leurs projets d’établissement respectifs un volet culture. Cette institutionnalisation s’exprime aussi au travers de la constitution, sur chaque bassin de santé, d’un comité local rassemblant les animateurs des projets sur différents établissements et ayant vocation à fournir à d’éventuels promoteurs d’actions, les conseils leur permettant le développement d’initiatives. Lieux ressources, ces comités locaux fournissent en outre la base à la constitution d’un réseau régional qui, désormais, dépasse largement la seule commission régionale qui assurait, au début de la mise en place de la convention, l’animation du disposi- 60 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 tif. Ce réseau, composé des médiateurs culturels hospitaliers, de représentants de structures artistiques, s’est substitué aux énergies militantes isolées et constituent désormais un socle pouvant favoriser le développement des initiatives culturelles en région. Enfin, sans que la reconnaissance de la fonction de médiateurs culturels d’établissement hospitalier n’existe encore de façon formelle, se dessine progressivement, grâce à l’activité réflexive desdits médiateurs, ce que pourraient être les attendus d’une activité culturelle hospitalière. Bien sûr, l’institutionnalisation n’est pas acquise, mais le processus est en marche et la consolidation des différents canaux que nous venons d’évoquer devrait pouvoir permettre d’installer cette idée que l’administration d’un soin, le fonctionnement d’une organisation de santé, ne passe pas nécessairement par l’oubli de ce qui représente un des éléments non négligeables de l’existence : la confrontation aux formes multiples de l’art et de la culture. NOTES 1 - Cf. : G. Herreros, 2004, “Variations sur le vital ; les petites liaisons culture-hôpital”, Recherche Drac/ARHRA/IRCO, consultable en ligne sur www.culture.gouv.fr/rhonealpes/hopital/ressourc.htm et Herreros G., Milly B., 2009, Culture-Hôpital, de l’expérimentation à l’institutionnalisation, Rapport de Recherche, ARH, DRAC, Région Rhône-Alpes (site ARH/Drac). L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L Culture à l’hôpital, culture de l’hôpital* Hôtel-Dieu de Dôle. Yann Bubien Directeur d’hôpital et Directeur de cabinet à la FHF Rachel Even Déléguée générale et Directrice artistique d’« Art dans la Cité » Bernard Glorion, Président du conseil national de l’ordre des médecins et président d’« Art dans la Cité » Olivier Galaverna Docteur en neurosciences de l’université Paris-VI, consultant auprès des industries alimentaire et pharmaceutique S i, comme l’affirmait le chirurgien Tenon, « les hôpitaux sont en quelque sorte la mesure de la civilisation d’un peuple » 1, que faudrait-il penser d’une société dont les établissements de santé n’assureraient pas l’accès de tous à des soins de qualité ? Si nous y parvenons aujourd’hui en France, bon gré mal gré, il n’en fut pas toujours ainsi et il suffit de regarder ailleurs pour constater des inégalités manifestes. Notre système de santé en général, et notre hôpital en particulier, sont en effet les fruits d’un long processus historique et culturel que la modernité actuelle préférerait bien souvent oublier, si elle n’était rattrapée par son passé. Depuis la création des hôpitaux (nommés « hôtels-Dieu », « hospices », « maisonsDieu ») par le concile d’Aix-la-Chapelle en 806 2, l’art a animé les établissements de soins par la beauté de l’architecture, de la sculpture et de la peinture. Les tableaux, tel le retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, exposés dans les salles des malades, encourageaient ces derniers à supporter la souffrance et les aidaient à l’approche de la mort à une époque où la médecine se réduisait à des soins basiques du corps. Si, de tout temps, les artistes sont entrés à l’hôpital pour y créer, l’hôpital a lui-même créé ses propres valeurs qui rejaillissent sur la cité. Comme le cœur humain, au terme d’un double mouvement systole-diastole, la culture irrigue et anime le corps hospitalier. La valorisation du patrimoine culturel hospitalier : les lieux de mémoire « Il est impossible, écrit Jean Imbert 3, de comprendre la situation actuelle du système hospitalier français sans en retracer l’évolution au cours des siècles précédents. » Les établissements de soins, REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 61 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L de l’hôtel-Dieu, expression de la piété médiévale, aux centres hospitaliers, symboles de la haute technicité médicale, sont le produit d’une histoire riche et mouvementée. Cette histoire nous a légué un patrimoine considérable, à la fois mobilier (tableaux, statues, apothicaireries, instruments chirurgicaux, etc.) et immobilier (hôtels-Dieu, chapelles, sanatoriums, etc.). Témoins de l’histoire de l’architecture comme de celle de la médecine, les bâtiments hospitaliers traduisent les diverses fonctions de l’hôpital. De l’infirmerie monastique, lieu spirituel, à l’hôpital-rue, espace citoyen, de l’hôpital général, symbole du pouvoir royal, à l’hôpital pavillonnaire, espace savant des hygiénistes, de la clinique privée au centre hospitalier universitaire public, ils illustrent clairement l’articulation du monde technique et scientifique et du monde politique et social. À travers l’Europe, la diffusion des modèles architecturaux suit donc les relations géopolitiques de la société. La valeur de ce patrimoine tient, tout d’abord, à son importance quantitative. Un croisement de la base de données Mérimée des Monuments historiques avec des informations provenant de documentalistes, de conservateurs et d’architectes a permis d’identifier huit cents notices relatives au patrimoine historique hospitalier 4. La direction des hôpitaux du ministère de la santé a par ailleurs lancé, le 11 mai 1998, une très importante enquête qui a permis de dresser, en 1999, un inventaire exhaustif. Sur le plan européen, le Conseil de l’Europe a appelé ses membres à effectuer un inventaire général des leurs établissements de soins présentant un intérêt historique ou architectural et les a invités à prévoir des mesures de préservation. La valeur de ce patrimoine provient, ensuite, de sa diversité : éléments d’archi- tecture, objets d’art, mobilier religieux, objets de culte, mobilier domestique, objets à caractère médical, etc. 5 Ce patrimoine, déjà partiellement détruit, est toujours menacé, par le vieillissement naturel et les dégâts du temps bien sûr mais surtout par l’activité des hôpitaux dont les contraintes budgétaires et organisationnelles s’accordent mal avec la rénovation des bâtiments historiques comme avec les créations artistiques. La maîtrise des dépenses de santé impose des arbitrages qui vont rarement dans le sens des activités culturelles. Concernant les bâtiments dont l’intérêt historique ou architectural est avéré, c’est aux difficultés de la reconversion que sont confrontées les directions d’établissement, la direction des monuments historiques, les municipalités. Inadaptés aux nouveaux impératifs médicaux, au confort moderne et aux changements organisationnels, les bâtiments historiques ont été reconvertis, traditionnellement, en siège administratif de l’hôpital (Hôtel-Dieu Saint-Jacques à Toulouse), en maison de repos (hôpital Pacheo de Bruxelles) ou de retraite (hôpital Amstelhof d’Amsterdam). Certains se sont transformés en équipement public culturel, musée, médiathèque ou salle de spectacle. Le plus ancien hôpital d’Angers, qui date du XIe siècle, abrite ainsi aujourd’hui le musée Jean-Lurçat. Aux Pays-Bas, l’hôpital Sainte-Élisabeth, à Haarlem, est devenu un centre culturel, ainsi que l’hôpital Vecchio à Parme en Italie. L’une des plus belles reconversions est sans doute l’Hôtel-Dieu de Dôle, aménagé en médiathèque, un modèle du genre qui allie habilement esthétique, technique et pratique dans un magnifique bâtiment Renaissance. Une école internationale du cinéma a quant à elle pris place au sein de l’ancien hôpital militaire de Cherbourg. 62 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 D’autres ont trouvé une nouvelle vie en se transformant en équipement scolaire (hôpital Boucicaut à Paris) ou universitaire (à Avignon et Colmar, mais également l’hôpital Binnengasthuis d’Amsterdam). D’autres encore ont été reconvertis en équipement administratif, à l’image des hôpitaux Saint-Louis et Saint-Roch de Rouen réinterprétés en préfecture par Jean-Michel Wilmotte. Plus rares sont les reconversions en hôtel de luxe (hospice Gantois de Lille), en logement social (hôpital abbatial d’Aurillac) ou en siège social d’entreprise (Institut Latourde-Freins de Bruxelles). Si certaines reconversions font honneur à la valorisation de notre patrimoine, nombre d’anciens hôpitaux dignes d’intérêt sont aujourd’hui en attente d’une deuxième vie, comme l’hôpital Laënnec de Paris ou l’hôpital général de SaintOmer. D’autres connaîtront bientôt les mêmes interrogations comme l’hôpital général de Dijon ou l’Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand. Il suffit de constater l’émotion suscitée par la simple évocation de la reconversion des hôtels-Dieu les plus emblématiques, à Lyon et à Paris par exemple, pour comprendre que ces établissements représentent davantage que des lieux de soins. Ce sont des lieux de mémoire pour les hospitaliers comme pour les citoyens, en France comme en Europe. La culture et l’art à l’hôpital Dès la Grèce antique, les guérisons miraculeuses attiraient des foules de pèlerins aux temples d’Esculape, comme celui d’Épidaure, où des milliers de malades accouraient pour remercier le dieu de ses miracles et lui offrir des ex-voto représentant les parties du corps guéries. L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L Pourquoi la culture à l’hôpital ? Aujourd’hui, la culture s’installe à l’hôpital. Ce sont l’école, les ateliers d’éveil, les clowns, les saltimbanques, les musiciens. La culture ne prétend pas ici guérir, mais plus humblement calmer la douleur, repousser l’isolement, faire reculer l’anormal en gardant un lien avec la société civile et en maintenant l’espoir. La culture joue un rôle essentiel en ce sens qu’elle participe à l’amélioration de l’environnement tant du malade que du personnel soignant. Le séjour forcé à l’hôpital n’est plus une parenthèse hors du monde, les patients restent en contact avec l’extérieur et peuvent en profiter pour développer leur créativité. Les artistes viennent apporter de l’imaginaire, de l’insouciance, du rire, les professeurs du savoir. La culture permet au patient de poser un autre regard sur lui-même et sur le monde alentour. Elle améliore le rapport patientsoignant et l’ambiance de travail dans les services. Elle peut motiver les équipes qui souhaitent des relations plus humaines et moins techniques avec les patients. Elle ouvre la possibilité de rencontres, d’échanges entre divers services autour d’un même projet. Grâce à la culture, l’hôpital peut s’ouvrir sur l’extérieur, sur la cité. Et celle-ci peut s’inviter à l’hôpital. L’hôpital de demain, grand ouvert sur la cité, se doit de développer des activités qui rendront le séjour hospitalier plus humain et peut-être même plus efficace. Comment faire entrer la culture à l’hôpital ? De tout temps, nous l’avons vu, des œuvres d’art ont été placées dans les hôpitaux. Les plus récentes ont été achetées pour l’hôpital européen Georges Pompidou de Paris. En Belgique, aux Pays-Bas ou encore en Grande-Bretagne, nombre d’œuvres d’art sont installées dans les espaces d’accueil des établissements hospitaliers. Plus rares, et ils méritent d’être remarqués, des projets artistiques ont été pensés et conçus entièrement pour l’hôpital, dans un contexte spécifique et avec les contraintes que cela suppose. Il s’agit par exemple de l’œuvre créée par l’artiste italien Ettore Spaletti pour la Salle des départs de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches en 1996. Réalisé dans le cadre du programme des nouveaux commanditaires (Fondation de France, Assistance publique- Hôpitaux de Paris, ministère de la culture et de la communication, Drac Île-de-France), l’espace se veut à la fois « accueillant et enveloppant », et, selon l’artiste, « un endroit ouvert à tous, comme autrefois, quand se bâtissaient les grandes cathédrales, ces espaces où l’art s’offrait et se présentait généreusement et durablement à chacun ». Par l’emploi du bleu azur quasi monochrome, Ettore Spaletti a parfaitement intégré sa création dans l’architecture du lieu. En France, le programme national « Culture à l’hôpital », mis en place à l’initiative des ministères de la santé et de la culture par une convention du 4 mai 1999, consiste à favoriser des jumelages entre les hôpitaux et les équipements culturels. Il permet de développer la culture auprès des malades à l’hôpital et des personnes hébergées dans les centres d’accueil et les maisons de retraite. Au niveau régional, il est placé sous l’égide de la direction régionale des affaires culturelles et de l’Agence régionale de l’hospitalisation. Le but de ce programme est de permettre la venue d’artistes, de musiciens, de danseurs, afin d’améliorer la qualité de vie des patients hospitalisés et de faciliter le travail des équipes soignantes. Des concerts, des spectacles, des expositions destinés aux personnes hospitalisées, aux visiteurs et au personnel, sont organisés. Ce programme a aussi permis le développement de la lecture à l’hôpital par la création de bibliothèques. Depuis 1996, l’association Art dans la cité organise des « résidences d’artiste » dans les hôpitaux à travers l’Europe. Des artistes reconnus viennent échanger et travailler avec des patients pour réaliser une œuvre in situ qui appartiendra au patrimoine de l’hôpital. Outre l’installation d’une œuvre d’art au sein de l’hôpital, cette action permet la rencontre directe avec un créateur. La résidence permet aussi aux artistes de sortir de l’atelier et leur création est stimulée au contact du lieu et de l’environnement pour lequel ils réalisent une œuvre. Cependant, convoquer l’art à l’hôpital n’est pas chose facile car l’hôpital n’a pas par essence vocation à l’accueillir. L’espace de l’hôpital n’est pas neutre, il peut surprendre, ébranler, perturber. Il demande attention et réflexion. Cette complicité entre médecine et art ne peut s’établir qu’à partir d’une grande exigence de qualité. La culture à l’hôpital doit se placer bien au-delà du simple divertissement, face à la maladie et aux angoisses existentielles qui en découlent. Décidées pour un lieu de vie dans l’hôpital (hall d’entrée, jardin, salle d’attente, attente des urgences, etc.) selon un cahier des charges défini en amont avec les équipes soignantes, les œuvres créées dans le cadre des projets menés par Art dans la cité sont le fruit de la rencontre entre un artiste et des patients, entre un univers imaginaire riche de sensibilités et une sensibilité nourrie par l’attente, la douleur, la peur, l’angoisse. De ce dialogue résultent des œuvres singulières, élaborées au sein de l’hôpital, témoignage croisé de cette rencontre. Ainsi, dans le cadre du programme « Culture 2000 » de l’Union européenne, REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 63 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L Art dans la cité tente de développer le concept d’« atelier d’artiste en résidence à l’hôpital », à travers l’Europe, en associant à des hôpitaux français d’autres établissements hospitaliers européens, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Pologne, en Espagne, en Italie, au Portugal, et bientôt dans d’autres pays. Qu’il s’agisse du réaménagement du palier d’attente du service de réanimation du pavillon Gaston Cordier (PitiéSalpêtrière, Paris) par l’artiste Olivier Debré en 1998, entièrement repensé, au-delà des six œuvres créées, du mobilier à l’éclairage en passant par la couleur des murs, du sol et du plafond, ou bien des Bâtons de pouvoir accrochés aux chênes centenaires du parc CPR de Bullion (Yvelines) par l’artiste argentine Julieta Hanono, des images vidéo d’animaux sauvages du Polonais Dominik Lejman, projetées en permanence sur les murs de l’hôpital pédiatrique de Varsovie, de la Sculpture diamant d’Annie Ratti, dans la salle des consultations de l’hôpital Bambino Gésù de Rome, de la sculpture arbre Zapal de Peppa Rueda à l’hôpital La Paz de Madrid, ces projets ont en commun d’avoir été réalisés après une longue réflexion menée par l’artiste, les patients et les équipes hospitalières. Ils répondent à un équilibre subtil, tout en nuances, empreint de patiente concertation. Dans ce contexte, les patients, et notamment les enfants hospitalisés dont la réceptivité est souvent exacerbée, trouvent dans le contact avec l’art et avec l’artiste une manière extrêmement féconde de développer à la fois leur créativité et leur sens de la contemplation. De l’évidente nécessité de l’art à l’hôpital La valeur thérapeutique de l’art trouve son premier cadre scientifique avec l’essor de la psychanalyse et de la psychologie. L’art permet d’explorer un monde nouveau, l’inconscient et l’art thérapie font leur apparition à l’hôpital psychiatrique 6. L’hôpital généraliste va aussi utiliser ce support psychologique que sont la culture en général et l’expression artistique en particulier. L’art permet de dire – avec d’autres moyens que la parole – la souffrance, l’angoisse, les appréhensions et les questionnements, les espoirs. Il peut aider à dédramatiser l’hospitalisation, à se considérer comme une personne et non seulement comme un soigné. Grâce à la culture, le patient est considéré dans sa globalité, elle peut l’aider dans sa démarche de guérison. Plus récemment, les neurosciences nous éclairent un peu plus sur les interactions réciproques entre l’esprit et le corps. Organe récepteur et effecteur situé à l’interface du corps et de son environnement naturel et socioculturel, le cerveau intègre en permanence les informations sensorielles (intéroceptives et extéroceptives) et « émotionnelles » et orchestre les réponses physiologiques et comportementales. Les neurosciences suggèrent que le cerveau pourrait bien faire le lien entre psyché et soma. Les effets bénéfiques de l’art sur la maladie, suggérés depuis toujours par nos aînés, pourraient très prochainement trouver des réponses neurobiologiques objectives. L’hôpital créateur de valeurs : le patrimoine immatériel Il est difficile pour la société actuelle d’appréhender l’hôpital contemporain, devenu en quelques décennies l’un des principaux rouages de la vie du pays, à la fois cœur d’une démocratie sanitaire, géant économique et vitrine de la science médicale, autrement qu’en termes de rupture avec un passé tombé dans l’histoire 7. 64 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L’hôpital moderne, si neuf qu’il se veuille, est pourtant en proie à de multiples héritages : un héritage millénaire touchant sa mission d’accueil, un héritage deux fois centenaire s’agissant de sa tradition médicale et de son organisation administrative. Mais, plus près de nous, il est également l’héritier de l’État-providence 8 dont il subit la crise et les contradictions. Traditionnellement, les valeurs hospitalières sont celles du dévouement, de la vocation, de l’esprit de sacrifice. À ces valeurs d’origine religieuse s’est substituée la valeur plus laïque de solidarité, à mesure que l’hospice se transformait en hôpital, que l’on passait de l’hébergement (sans soins) aux soins (sans hébergement). Nous n’aborderons que deux valeurs essentielles de l’hôpital. La première valeur hospitalière est l’accueil de tous. Dans nos sociétés occidentales volontiers individualistes, l’hôpital demeure d’ailleurs la dernière lumière allumée, 24 h/24, 365 jours par an, et ce depuis des siècles. Cette mission de service public s’ouvre en Europe au IXe siècle avec la création de l’hôpital. Tradition institutionnelle du principe de charité chrétienne, l’hôpital naît à l’ombre des cathédrales, destiné non pas à soigner mais à recueillir et à secourir le pauvre qui incarne les souffrances du Christ. À la fin du XIXe siècle apparaît la couverture maladie, introduite en 1851 en Prusse, qui se généralise au cours du XXe siècle en Europe avec l’avènement de l’État-providence. D’assisté, le citoyen devient peu à peu assuré, jusqu’à l’aboutissement de la couverture maladie universelle. Parallèlement, et progressivement, au malade objet de droits se substitue le malade sujet de droits, jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. L’hôpital d’aujourd’hui est rattrapé par son passé lorsque l’on voit l’augmentation incessante du nombre de passages aux urgences. Les services des urgences L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L des centres hospitaliers universitaires, pourtant symboles de la haute technicité médicale, sont victimes de leur succès avec l’arrivée de nombreux démunis et de tous ceux qui nécessitent des soins pas toujours urgents. Il convient dès lors de se poser la question de savoir s’il n’est pas temps, en France, de distinguer l’hôpital de premiers soins du CHU hyperspécialisé, à l’image de ce qui se fait au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, au Portugal et dans les pays nordiques, avec les centres de santé, en amont de l’hôpital. La seconde valeur est l’égalité des soins. Elle est partagée par les pays européens mais de manière diverse en fonction de leur propre histoire. Elle pose essentiellement la question de la place accordée au secteur hospitalier privé. Si l’Allemagne et l’Angleterre ont un secteur privé marginal, la France lui accorde 40 % environ de l’activité hospitalière. C’est une exception sanitaire qui remonte à la Révolution. La Convention consacre dans un premier temps la nationalisation des hôpitaux (propriété de congrégations religieuses) par un décret du 23 Messidor An II (11 juillet 1794) et vend les bâtiments. Mais le nombre de pauvres ne cesse de croître. Échaudés par cette désastreuse nationalisation, les pouvoirs publics se désengagent de la gestion des hôpitaux qui sont dès lors « municipalisés » par la loi du 16 Vendémiaire An V (7 octobre 1796). Depuis, l’État ne s’est intéressé à l’hôpital public que de très mauvaise grâce et a laissé le secteur privé soigner les classes sociales les plus riches jusqu’à l’avènement de l’Étatprovidence. Aujourd’hui, les cliniques privées conservent une place importante dans le système de santé au point d’être des concurrentes redoutables pour le secteur public. Le libre choix, le développement des mutuelles ainsi que les lois sur la couverture maladie universelle et la couverture maladie universelle com- plémentaire permettent heureusement de rendre l’égalité des soins effective. Le génie humain ne peut se nourrir d’uniformité. Tissu vivant sur lequel se construit notre histoire, le patrimoine immatériel hospitalier n’est pas simplement le lieu de mémoire de la culture d’hier, mais le laboratoire où s’invente l’hôpital de demain 9. L’hôpital est avant tout un fait social, une réalité vivante. Comment saisir cette réalité sociale en constante mutation ? Si le patrimoine culturel hospitalier revêt une importante dimension historique, il s’agit également d’un patrimoine en formation au contact de la vie culturelle de la cité. Les anciens avaient intuitivement compris que l’environnement (physique et esthétique) avait une importance majeure dans le développement de l’individu. Avec le développement des techniques et d’une médecine de plus en plus pointue, on a oublié cette composante psychologique affective et culturelle. Aujourd’hui, on redécouvre le lien fort entre le corps et l’esprit. Il y a fort à parier que le travail de création au cours duquel l’individu projette ses émotions, utilise ses facultés sensitives (la vision ou l’audition mais aussi la douleur ou la nausée), cognitives (apprentissage et maîtrise de données conceptuelles et pratiques) et physiques (gestes) pour atteindre un but esthétique qui le motive et mobilise son attention, modifie nécessairement le décours de sa maladie. De même la contemplation d’œuvres d’art, visuelles ou auditives, en provoquant des émotions doit aussi agir sur la maladie. Il peut paraître futile de parler de culture à l’hôpital alors que ce dernier subit depuis quelques années des restrictions budgétaires. Trop souvent, culture et hôpital sont envisagés de manière parcellaire, voire antinomique, ce qui empêche toute vision globale. Créer une véritable politique culturelle hospitalière suppose de réconcilier l’art, le patrimoine et les cultures professionnelles. À l’heure où l’hôpital et l’assurance maladie s’engagent dans de grandes réformes en France, et que des questions analogues se posent dans l’Union européenne (le NHS est entré dans une réforme profonde), il n’est sans doute pas vain de s’interroger sur les fondements mêmes de ces institutions. À moins que nos hôpitaux ne deviennent la mesure d’une civilisation égoïste. NOTES 1. TENON, Jacques-René. Mémoire sur les hôpitaux de Paris, Royez, Paris, 1788. 2. IMBERT, Jean. « L’évolution de l’architecture hospitalière : piété, salubrité, bien-être », Bulletin de la Société française d’histoire des hôpitaux, n° 48, 1984, pp. 25-38. BUBIEN Yann, EVEN Rachel, GLORION Bernard, GALAVERNA Olivier. 3. IMBERT, Jean. Les Hôpitaux en France, PUF, Coll. Que sais-je ? Paris, 1996. 4. Étude de Judith Kagan, conservateur des monuments historiques, Conservation régionale des monuments historiques de Bourgogne. 5. Classification établie par Isabelle Balandre, « Les patrimoines hospitaliers, état des lieux et perspectives », École nationale du patrimoine, 1997. 6. GÜNTHER M. « Art therapy in the psychiatric clinic. A historical analysis of the development of art studios », Psychiatr. Prax., 17, 5, 163-171, 1990. 7. IMBAULT-HUART, M.-J. « L’hôpital et l’éclairage de l’histoire », Revue fondamentale des questions hospitalières, Les études hospitalières, juin 2000. 8. BOURDELAIS, P., GAULLIER, X., IMBAULT-HUART, M.-J. État-providence, arguments pour une réforme, Gallimard, Coll. Folio actuel, 1996. 9. MATSUURA, K. directeur général de l’Unesco, article paru dans Le Monde, mercredi 11 septembre 2002. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 65 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L “Comment concevoir un hôpital en intégrant la dimension culturelle” : héritages et reformulations Anne Nardin Conservatrice en chef, Musée de l’AP-HP L a présence à l’hôpital de la dimension culturelle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses réflexions et de débats. Elle semble surtout avoir acquis un statut de légitimité, auquel la convention culture à l’hôpital n’est évidemment pas étrangère sans pour autant en constituer l’unique ressort. 66 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Pour les générations de professionnels hospitaliers marqués, voire modelés par l’emprise croissante d’une technologie médicale toujours plus sophistiquée, et acquis aux logiques ou aux contraintes qu’elle induit, le surgissement de cette question est d’abord apparu comme L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L incongru, déplacé, d’ailleurs souvent lié aux passions de quelque brillant collègue lui-même collectionneur, et bénéficiant à ce titre d’une certaine indulgence – parfois traduite par un “laisser-faire”. Depuis environ trente ans que le monde hospitalier se perçoit et se pense à partir du registre du vital et de celui de l’urgence, cette question a longtemps souffert de ne pouvoir être véritablement prise au sérieux. A l’opposé, l’image à peu près omniprésente des hospices de Beaune dans la représentation commune de l’hôpital d’autrefois, avait pourtant maintenu vivant – jusqu’à lui donner la force du stéréotype – le souvenir d’une articulation étroite entre le lieu et les manifestations artistiques qui s’y déploient, parfois non sans faste. Entre les deux, quels mouvements se sont additionnés pour engager le recul puis le retrait – jusqu’à l’exclusion – de la présence artistique ? Il peut paraître utile, en ouverture de la réflexion engagée sur ces deux journées, de rappeler très brièvement ici l’épaisseur historique de cette question au sein de l’hôpital et les strates successives qu’elle y a déposées. L’art au cœur du dispositif Dans la période médiévale et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le programme d’accueil et de soins de l’hospice ou hôtel-Dieu est porté par une inspiration charitable qui puise à la source du message évangélique. Dans sa formulation, l’institution hospitalière représente ici-bas l’une des plus fortes traductions de l’appel reçu (voir Matthieu 25, 45). Les vocations qui portent sa réalisation et l’organisation qui s’y déploie dans ses murs entendent exprimer “au pied de la lettre” la réponse à l’exhortation : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’étais malade et vous m’avez visité… » (Matthieu 25, 35), que l’Église convertit en injonction avec le programme des “Sept Œuvres de miséricorde”. Si celui-ci concerne a priori tout chrétien, il représente presque une totalité mise en œuvre entre les murs de l’hôtel-Dieu, à travers et par laquelle se découvre, telle une promesse, la dimension mystique de ce programme charitable. ambitieux et qui intéresse l’ici et maintenant. L’hôpital est désormais dédié à la médecine, une médecine entièrement à construire puisque fondée sur l’observation, en même temps qu’il assure des missions d’assistance au nom cette fois de la philanthropie mais aussi de principes d’équité entre les citoyens, garantis par l’État. Placé sous l’autorité de l’évêque et animé par une congrégation religieuse, l’hôtelDieu est un lieu consacré. Et sur un plan architectural, la fonctionnalité à laquelle répond l’organisation de la salle des malades est celle de l’église. La place et la fonction que l’art y occupe sont en partie comparable à ceux qui lui sont dévolus dans une église. Figures médiatrices du sacré, les œuvres d’art disent le lieu, son projet, les modèles qui l’ont inspiré (le saint patron de l’établissement ou le père fondateur de la communauté religieuse), la piété et la dévotion auxquelles il doit sa fondation (les portraits des donateurs). L’art image l’acte sanctifiant (le don, le secours, la consolation) pour mieux le reproduire. À la fois présence et rappel, il s’inscrit dans une permanence au-delà ou malgré les aléas de l’action quotidienne – c’est-à-dire ses nombreux et inévitables dérapages. La fonctionnalité qui organise à présent les espaces – presque inchangés jusqu’à l’introduction de l’architecture pavillonnaire dans le dernier tiers du XIXe siècle – est celle que réclame le programme scientifique de la médecine (l’observation à grande échelle, du lit à la salle d’autopsie). La raison gouverne en quête d’efficience et de rendement – et pour le plus grand bien de la Nation. Ce qui ne relève pas de ce programme est relégué à la périphérie du dispositif. En dehors de la chapelle où il est et reste à sa place, l’art est devenu un ornement qui apporte une touche d’honorabilité dans les lieux de représentation (la salle du conseil, le bureau du directeur). Peutêtre même serait-il subitement chargé de signifier la distinction de l’institution et de son projet, alors que la pauvreté et la maladie additionnent partout ailleurs leurs pénibles spectacles. En dehors de ces espaces bien délimités, les œuvres disparaissent, mouvement que le pastorisme et l’hygiène hospitalière précipitent à la fin du siècle. Du centre à la périphérie Les compromissions de l’Église avec “les affaires du monde”, le clientélisme de certaines congrégations hospitalières (car il y a bien des bons et des mauvais pauvres), les corruptions ou trafics repérés dans la gestion de certains établissements, les limites voire la perversion du système charitable qui finalement encourage la mendicité et par là reproduit la pauvreté…, le dispositif est progressivement discrédité et tombe avec la monarchie au moment de la Révolution. De nouveaux acteurs investissent la place au nom d’un programme doublement Un lieu pourtant, dans les hôpitaux universitaires, fonctionne comme une sorte de réservoir de la production artistique, dans une explosion féroce et jubilatoire : la salle de garde. Une question hors sujet À partir de 1930, l’évolution des techniques de construction permet de dresser le bâtiment à la verticale. L’hôpital trouve ainsi l’une des meilleures REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 67 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L expressions – ou la plus visible – de sa conversion à la modernité, celle dictée par le rythme du progrès et des évolutions de la technologie. La période d’aprèsguerre, mobilisée par une reconstruction à grande échelle avec des moyens cependant limités, aboutit à la mise au point de « procédures industrialisées », fondées sur les notions de standardisation et de module. Le fonctionnalisme le plus poussé peut prendre possession des lieux. À de très rares exceptions près (comme l’Hôpital Mémorial de Saint-Lô (1956), financé en partie par des dons américains et où Fernand Léger est intervenu), l’organisation et le fonctionnement de l’institution hospitalière font de la présence artistique une question littéralement hors sujet, et cela – paradoxalement à nos yeux – en plein contexte d’humanisation. Celle-ci s’attache d’abord à faire disparaître tout ce qui maintient vivant le souvenir de l’hôpital-hospice – autrement dit compromis avec des missions sociales –, dont l’image, dix ans après l’institution de “l’hôpital toutes-classes” (1941), se révèle tenace dans les esprits. La disparition des salles communes s’accompagne ainsi de la mise à disposition des équipements à présent reconnus comme les éléments de base du confort moderne (sanitaires dans les chambres – généralement à deux ou à quatre lits –, téléphone, poste de télévision…), mutation que vient confirmer, sur un autre plan, le nouveau mobilier hôtelier aux lignes pures et fonctionnelles, représentatif des tendances des années soixante. Depuis quelques décennies pourtant, de nombreux artistes avaient réinvesti avec de nouveaux moyens le projet de « réconcilier l’art et la vie » ; mais les mutations dans lesquelles s’engagent les hospitaliers, la confiance et les certitudes qui les habitent semblent devoir exclure l’hôpital de ce champ d’expérimentations. Le tableau de l’hôpital d’aujourd’hui (son fonctionnement, le regard porté sur lui et les débats dont il est l’objet) nous dépeint un monde profondément affecté par les tensions d’une société que des chercheurs ont qualifié d’hypermoderne 68 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 (Max Pagès) ou de surmoderne (Marc Augé). Parallèlement, les limites ou les écueils des grandes transformations engagées au cours des “Trente glorieuses” se sont progressivement révélés : la conversion radicale de l’hôpital à la modernité portait en elle les conditions de nouvelles formes de déshumanisation, que le “joli” et le “confortable” n’ont pas été et ne sont toujours pas en mesure de compenser lorsque ces formes imprègnent – et par là expriment – la culture hospitalière. Des convictions, des mythes se sont fissurés, le doute s’est installé. Dès lors, la « dimension culturelle » (justement comprise dans toutes ses formulations) peut s’installer dans les vides – nombreux – de cet hôpital hypertechnologique, comme dans l’attente d’un rééquilibrage, voire d’une réparation. C’est ce qu’un artiste comme Ettore Spaletti a voulu tenter à Garches en 1996 dans la Salle des départs de l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP) : « L’azur soulage la matière de son poids et lui restitue une profondeur inestimable ». L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L Patrimoine et mémoire : anamnèse d’un hôpital psychiatrique* Carine Delanoë-Vieux Chef de projet, Affaires culturelles, Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille L e 2 janvier 1997, je me rends pour la première fois sur mon lieu de travail situé dans les ateliers techniques de l’hôpital du Vinatier. Je traverse à pied la centaine d’hectares qui constituent cet immense établissement implanté dans la périphérie de Lyon. Immaculé sous son manteau de neige, ses artères désertes en raison de la trêve des confiseurs, l’hôpital semble débarrassé de toute contingence temporelle. Je longe avec ravissement les architectures d’origine et, les indices du monde contemporain ayant été effacés, je me sens transportée à la fin du dix-neuvième siècle. Cette première émotion m’a fait comprendre, mieux que toute lecture, l’importance et le poids de l’histoire dans cet hôpital. Le centre hospitalier Le Vinatier est un établissement psychiatrique né de la loi du 5 août 1838 déléguant aux Départements la responsabilité de prendre en charge et de soigner les aliénés de leur territoire. En 1876, l’asile départemental du Rhône ouvre ses portes sur la commune de Bron. Les aliénés y sont transférés depuis l’hôpital * Article paru dans Patrimoine et communautés savantes, Presses Universitaires de Renne - 2009. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 69 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L La Ferme, 1998. de l’Antiquaille où ils vivaient dans la promiscuité et l’insalubrité. L’asile de Bron, modèle d’architecture utopiste, offre alors 110 hectares de nature, des bâtiments spacieux organisés symétriquement de part et d’autre de la chapelle, une organisation rationnelle de répartition des malades dans les espaces selon la gravité et la nature des pathologies, une ferme agricole, des vergers, du bétail… un hôpital moderne et humaniste. Ces origines ancrées dans la philosophie des Lumières, puis dans l’idéologie politique républicaine et laïque, imprègnent encore fortement les identités professionnelles à l’œuvre au Vinatier. Les épisodes qui ont ponctué l’histoire de l’institution psychiatrique au cours du XXe siècle (l’hécatombe des fous sous l’Occupation, la psychothérapie institutionnelle, l’antipsychiatrie, la psychiatrie communautaire, la sectorisation…) ont à leur tour marqué profondément la culture locale. C’est peut-être à la prégnance exceptionnelle de l’Histoire que je dois ma rencontre avec l’hôpital Le Vinatier. En effet, j’ai été recrutée en 1997 par le directeur pour procéder à un inventaire du patrimoine. Conscient du poids de l’histoire et de la complexité du tissu mémoriel, il décide de réhabiliter l’ancienne ferme agricole de l’hôpital à une fonction patrimoniale. Mais le patrimoine en question se révèle essentiellement constitué de roues de charrette, de fourches et autres outils agricoles. Point de camisole, point d’appareil à électrochoc. Rien qui évoque les connaissances produites depuis plus d’un siècle par la communauté médicale. Si ce n’est le lien ténu qui unit le patrimoine agricole avec cette ergothérapie avant l’heure qui consistait à employer un certain nombre de malades au travail des champs. Précisons que mon recrutement est lié à la question du devenir de l’ancienne ferme de l’hôpital, laissée à l’abandon et qu’on envisage de transformer en musée. Cette entrée dans l’univers psychiatrique par le patrimoine champêtre ne laisse pas d’étonner. Et pourtant. L’extinction de l’activité agricole ne symbolise-t-elle pas la fin du modèle asilaire autarcique et l’ouverture de l’hôpital sur l’extérieur ? Ne résume-t-elle pas la profonde mutation qu’a connue l’institution psychiatrique depuis le milieu du XXe siècle ? À défaut d’inventaire, je procède à une série d’entretiens formels et informels avec les personnels de l’hôpital dans le but de bâtir le projet culturel qui deviendra la « Ferme du Vinatier ». De cette première confrontation il ressort que les salariés de l’établissement, structurés en communautés très segmentées, ont une relation complexe au passé de l’institution qui pèse de tout son poids et semble hypothéquer l’avenir. La mémoire collective apparaît d’autant plus éclatée – chaque groupe se présentant comme seul dépositaire de l’histoire de l’institution - qu’aucun travail d’élaboration n’a été mené. Ces entretiens avec les personnels permettent de faire émerger quelques constats forts autour desquelles se structure le projet de la Ferme du Vinatier. Le choix d’avoir conservé le nom de la fonction initiale du lieu n’est pas fortuit. Il traduit les relations de continuité et de rupture entre la ferme agricole et la Ferme culturelle. La ferme était autrefois l’un des symptômes de la volonté d’autarcie et d’enfermement de l’hôpital psychiatrique. Le village hospitalier aspirant à produire et à consommer ses propres produits. Or, la Ferme (Fondation pour l’étude et la recherche sur 70 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 les mémoires et l’expression) est devenue au contraire le seul espace public, ouvert à tous, de l’hôpital. Cependant, la ferme était également à l’époque le premier espace de liberté pour les “malades travailleurs” autorisés à participer aux travaux agricoles. Cette main-d’œuvre peu coûteuse relevait d’objectifs économiques autant que thérapeutiques. Néanmoins, le parfum de liberté pour ceux qui avaient là la seule possibilité d’échapper à l’enfermement des services embaume encore la Ferme d’aujourd’hui. De la nature à la culture, peut-on interpréter ce déplacement des fonctions comme une évolution des enjeux de la maladie mentale de l’isolement à l’intégration dans la société ? Le projet culturel émergeant s’est donc bâti sur les fondations identitaires de l’établissement que l’on peut résumer en quatre dimensions.- L’ambivalence du rapport des personnels à l’histoire et au passé oscille entre culpabilité et nostalgie. Sans minimiser les problèmes objectifs qui se posent aujourd’hui dans l’ensemble du secteur de la santé, on peut faire l’hypothèse que cette ambivalence induit une difficulté à se projeter dans l’avenir. Car, dans un contexte où le projet est partout revendiqué, l’hôpital psychiatrique peine à s’inscrire dans une vision prospective. - L’ambivalence du rapport des personnels au territoire oscille entre autonomie des structures extra-muros et unité de l’entité hospitalière. L’hôpital est en effet marqué par une tension entre une représentation héritée de « l’île aux fous » et un vécu au quotidien qui s’organise en archipel. Il existe un véritable fossé, en terme de culture professionnelle, entre les équipes qui travaillent en « intra » et celles qui travaillent « en extra ». En outre, alors que l’essentiel des activités de prise en charge se concentre actuellement en ville, la population continue d’identifier la psychiatrie au territoire « fermé ». - L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L L’évolution du rapport de la société à la santé mentale dictée par l’émergence du concept de « souffrance psychique » et par le succès de celui de « dépression » a considérablement décadré la mission du service public de psychiatrie. Il est désormais possible d’intéresser la population à la santé mentale au-delà des réactions de fascination et de stigmatisation que les « grands fous » ont toujours suscitées. Mais il est aussi nécessaire pour l’hôpital de redéfinir les contours de son domaine d’intervention.- La convergence entre la demande des usagers à être mieux pris en compte dans leur intégrité physique, psychologique et culturelle et l’aspiration des soignants à restaurer la qualité de la relation avec les patients, menacée par la technicisation du contrat thérapeutique constitue une plate-forme pour l’action culturelle et artistique. Autant de paradoxes et de problématiques que le projet culturel de la Ferme du Vinatier - et l’action culturelle en général - ne peut en aucun cas délier, encore moins résoudre. Mais en contribuant à les identifier et à les élaborer, elle peut accompagner les transformations de l’organisation. C’est pourquoi, le premier questionnement du projet culturel a porté sur les conditions de son intégration dans le corps organique de l’institution. Il s’agissait de l’installer sur le modèle de l’enzyme et non de la greffe pour éviter tout rejet. Le travail culturel s’est alors donné comme mode de fonctionnement de toujours intégrer les pro- blématiques de l’hôpital. Il ne s’agissait en aucun cas d’apporter les lumières de l’art et de la culture à l’hôpital, ni même de promouvoir la production du génie nécessairement ignoré de la psychose auprès des élites cultivées, mais bien de comprendre ce qui travaille l’Organisation. L’enjeu était de construire des espaces de médiation et de controverse pour mettre à distance et interroger la culture déjà là. Le patrimoine comme la mémoire constituent dans ce contexte des vecteurs de compréhension et de pénétration des cultures constitutives de l’hôpital. À ce titre, ils sont la première lettre de l’alphabet du projet développé, ils sont les éléments de décor indispensables à la compréhension des scènes qui vont être jouées. Pour explorer la complexité de cette réalité culturelle, pour en prolonger les segments en autant de figures imaginées pour demain, il y fallait une intelligence collective aux compétences complémentaires. Le conseil scientifique est l’incarnation de ce regard critique et multiple porté sur l’institution. Fort de ce constat, le Centre Hospitalier Le Vinatier a fait du volet culturel un des axes importants de sa politique d’établissement. La préoccupation patrimoniale se révèle dès le commencement comme prioritaire. La démarche d’inventaire et de recueil des mémoires est en effet considérée alors comme un des moyens de mettre l’ensemble des professionnels en mouvement quant à la nécessaire transformation d’une identité très marquée. Il n’a jamais été question de définir ce que serait la “nouvelle identité” du Vinatier pour y conduire les professionnels mais bien de mettre en œuvre les conditions d’une anamnèse et d’une controverse collectives ayant pour seule vertu d’ébranler les certitudes au profit de la réflexion. Ces condiFestival « Au cœur de tes oreilles », 2005. tions pouvaient être réunies par le projet culturel dès lors que celui-ci était en capacité d’animer une méta-communication de l’institution sur elle-même. L’action culturelle conduite par la Ferme depuis 1997 au travers de réalisations très diverses a été définie en fonction de trois objectifs principaux : ouvrir l’hôpital sur l’extérieur, accompagner l’évolution des cultures institutionnelles et lutter contre la stigmatisation des malades mentaux. De la définition de ces objectifs a découlé le principe mis en œuvre dans le cadre de chaque opération : faire se rencontrer des univers et des publics différents (patients, amateurs d’art, chercheurs…). Afin d’impliquer des acteurs extérieurs au monde de la psychiatrie (Ministère de la culture, Région Rhône-Alpes, Conseil général du Rhône, Ville de Lyon, Ville de Bron) une série de partenariats ont été mis sur pied. Des synergies ont également été développées avec le monde de la culture et avec l’université. Le travail mené dans le cadre de la Ferme s’est articulé autour de trois dimensions, toute partie prenante d’une démarche d’action culturelle : le patrimoine, les sciences sociales et humaines et la création et la diffusion artistiques. La camisole et le récit À partir du diagnostic et des propositions élaborés par le chef de projet que je suis devenue au terme de cette étape, le principe de mener à bien une politique patrimoniale est adopté par le Directeur de l’hôpital et validé par les instances officielles. Pour mener à bien cette mission délicate, la Ferme s’est dotée dès le départ d’un conseil scientifique pluridisciplinaire rassemblant, outre des psychiatres, des historiens, des ethnologues et des sociologues. Ce collectif met son intelligence au service de la définition et de la déclinaison de cette politique patrimoniale souhaitée par REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 71 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L l’hôpital. Il apporte ses connaissances et ses compétences sous différentes formes (communications, articles, réflexion, enquêtes…) à l’institution. Il est surtout le garant de la qualité scientifique des productions cognitives présentées dans le cadre de l’action culturelle. Ses membres encadrent différents programmes de recherche et participent à la production des contenus d’exposition. C’est ainsi que deux enjeux majeurs se sont dégagés pour conduire la politique patrimoniale. Le premier a été de recomposer avec les acteurs de l’hôpital une histoire confite par fragments dans des légendes et des figures locales. Le second a été de construire les conditions de transmission de cette histoire pour qu’elle soit réappropriée au-delà du cercle de la psychiatrie. Il s’agissait donc d’une part de mettre en œuvre un processus d’anamnèse à l’échelle de l’institution en mobilisant archives, patrimoine et mémoires, et d’autre part de poursuivre une démarche culturelle susceptible de partager ces éléments avec une communauté élargie. Il était dès lors évident que le travail de patrimonialisation porterait sur l’ensemble des dimensions de la vie institutionnelle et pas seulement sur les savoirs élaborés par la communauté psychiatrique. La première étape de ce travail a été de procéder à l’identification d’éléments tangibles tels que les archives et le patrimoine matériel. La question des archives est apparue très vite comme insurmontable pour nos modestes forces : dissémination des dossiers dans les différents pavillons, déménagements successifs, conditions de conservation problématiques, non-respect du protocole de consultation. Seules les archives administratives étaient en partie classées et accessibles. C’est donc bien plus tard, nécessité faisant loi, que l’hôpital a versé ses documents aux archives départementales dans le contexte d’une recherche historique sur l’hécatombe des malades mentaux sous l’Occupation. Le travail d’inventaire du patrimoine mobilier s’est avéré tout aussi ardu mais nous avons réussi à le mener à bien : identifier, inventorier, rassembler dans des réserves les objets du patrimoine de l’hôpital. Il a fallu faire le constat qu’il existait très peu d’objets pouvant témoigner du passé de l’hôpital. Nous avions plus de matériau pour faire une exposition sur le domaine agricole ou sur les transformations de la flotte automobile de l’hôpital (de la charrette à la Clio) que sur l’évolution des théories et des pratiques médicales et soignantes. Or, nul au sein du conseil scientifique ne cultivait une fascination de l’objet pour l’objet et le projet était bien de rendre compte d’une vie institutionnelle dans sa complexité. Aussi avons-nous cherché à comprendre cette indigence patrimoniale. Interrogés sur la question, les personnels nous ont livré plusieurs récits dont deux reviennent de façon récurrente. Premier récit : l’épouse d’un des directeurs, qui avait une activité d’antiquaire, aurait « prélevé » par camions entiers le mobilier ancien de l’hôpital. Second récit : un autodafé mémorable de ces meubles aurait été organisé à l’arrivée dans les services du mobilier en formica, plus hygiénique et plus moderne. Nous n’avons pas cherché à vérifier ces récits qui s’apparentent peut-être d’avantage à des mythes qu’à la réalité. Notons simplement qu’ils sont intéressants par ce qu’ils nous révèlent sur le climat de défiance qui a longtemps régné entre la direction et les personnels pour le premier et sur l’empressement avec lequel a été accueillie la modernisation tardive des services de soins (à une époque où la sensibilité au patrimoine est il est vrai encore peu marquée) pour le second. Il était plus constructif d’interpréter ce phénomène en le reliant à la spécifi- 72 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 cité de la psychiatrie. Si dans les hôpitaux généraux, on trouve toujours de nombreux instruments pouvant rendre compte de l’évolution des progrès de la médecine, en psychiatrie, hormis la camisole, l’électrochoc et l’injection médicamenteuse, l’instrument principal est, depuis Pinel, la relation immatérielle qu’établit le thérapeute avec son malade. C’est pourquoi, nous avons réorienté notre travail patrimonial vers ce qui constitue le cœur du soin psychiatrique : la relation humaine. Le patrimoine du soin psychiatrique résidait essentiellement dans le vécu des personnels c’està-dire dans leurs témoignages. Ce parti pris répondait en outre à notre volonté d’initier un processus d’anamnèse. L’anamnèse et le kaléidoscope Nous avons donc entrepris de recueillir les témoignages des personnels. À cette fin, nous avons mis en place un dispositif groupal mobilisant largement les personnels volontaires et les retraités. Celui-ci a été complété par une étude ethnologique centrée sur des entretiens individuels. Le dispositif a consisté à créer six groupes – mémoires thématiques couvrant les différentes dimensions de la vie à l’hôpital, co-animés par un professionnel en activité et un professionnel retraité. Le médiateur du patrimoine de la Ferme recueillait les témoignages et les échanges du groupe. Ce matériau faisait immédiatement l’objet d’une réécriture grâce à un support de communication intitulé « Brèves de mémoire », diffusé à tout le personnel de l’hôpital et aux étudiants de soins infirmiers et de médecine. Pendant les 6 mois qu’a duré cette opération, ce document a eu un certain succès, sur le mode du feuilleton. Ambiance dans les services, modalités de travail, anecdotes plus ou moins cocasses, événements marquants, L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L évolution des conditions matérielles du travail, figures honnies ou vénérées ont été évoqués et… sont entrés dans le patrimoine immatériel de l’hôpital. Pour la majorité des personnes retraitées, cette mobilisation en vue d’une transmission de leur expérience a été vécue comme une marque de reconnaissance de la part de l’institution. Leur départ à la retraite et le silence absolu de l’hôpital à leur égard après cette date ayant été vécus comme un abandon. Peu à peu, les retraités participant aux groupes sont arrivés avec des albums photographiques des équipes de soin, des cartes postales anciennes, parfois des objets. Chacun ayant préféré emporter avec lui ce qui lui était cher plutôt que « de le voir partir à la Benne ». Ils sont désormais tenus informés et invités à toutes les manifestations de la Ferme. La participation ayant été conçue sur le mode du volontariat, nous avons pu constater que le corps médical était le moins représenté dans ces groupes, à l’exception de quelques passionnés d’histoire, le plus souvent membres du conseil scientifique. Comment fallait-il l’interpréter ? Une charge de travail plus importante ? Une posture de distinction de la communauté savante de l’hôpital à l’égard d’un cheminement collectif relatif à l’histoire et la mémoire ? Une réserve quant à la légitimité de celui qui produit l’histoire de la psychiatrie ? À la question, qui est compétent pour transmettre la culture psychiatrique, la réponse a souvent été : « nous, les psychiatres ». Mon profil mal identifié de « porteur de projet » prêtaitil à caution ? Les historiens, malgré leur légitimité scientifique, étaient-ils vécus comme des rivaux ? L’objet de l’anamnèse était-il trop large pour mobiliser un corps professionnel spécialisé ? Nous nous sommes posés ces questions sans faire de procès d’intention aux psychiatres car il est naturel que la confiance entre ceux qui détiennent le savoir et ceux qui ont le savoir-faire du faire-savoir se construise dans le temps. Et nous savons désormais que le travail mémoriel et la transmission culturelle impliquent nécessairement l’engagement coordonné des acteurs, des scientifiques et des médiateurs. Parallèlement, nous avons initié une étude ethnologique qui s’intéressait aux rapports que les personnels intra-muros entretiennent avec l’histoire et l’espace de l’hôpital. Il ressort de cette étude que les personnels ont élaboré un schéma à deux étapes de l’histoire de la psychiatrie : l’asile lié à la psychothérapie institutionnelle et le secteur lié à la psychiatrie communautaire. Dans les deux cas, la relation est ambivalente 1. Chacune renvoyant à une génération différente : les pionniers de la psychothérapie institutionnelle et les antipsychiatres des années 70. Si l’asile concentre des représentations négatives, la psychothérapie institutionnelle est en revanche parée des vertus dont le monde contemporain serait privé : une vie sociale intense, des relations interpersonnelles de proximité, des repères immuables. Néanmoins, cette image d’Épinal ne résiste pas aux récits de ceux qui ont vécu cette période. En ce qui concerne les années 70, la nostalgie se cristallise sur la capacité d’invention, d’innovation et de réflexion intellectuelle dans une période où le désordre paraissait encore relever des individus et non d’un macro-système. Cette ébullition, politique et théorique, apparaît depuis le poste d’observation d’une actualité dominée par les restrictions économiques et la normalisation des soins comme un paradis perdu. Même si ceux qui regrettent un temps de désordre créatif ont hérité des postes de pouvoir dans l’institution, le sentiment de perte est insurmontable. La méthode ethnologique nous a paru répondre de manière précise à la question d’une reconstruction symbolique du fonctionnement quotidien d’un service de soin. Aussi, avons-nous poursuivi la recherche par l’immersion de deux ethnologues au sein d’une unité d’hospitalisation. Le fruit de cette observation au quotidien s’est avéré extrêmement révélateur quant aux valeurs conscientes et implicites qui président à l’organisation du soin psychiatrique. mais le plus intéressant réside encore dans les effets et les limites de restitution 2. Effets intéressants dès lors que les conclusions de l’étude peuvent être reconnues et reprises par les “indigènes” pour mouvoir leurs us et coutumes. Limites de l’exercice quand la violence de l’image renvoyée rend impossible une réappropriation de ce nouveau savoir par les acteurs concernés. La difficulté de la collaboration entre les porteurs de projet et les chercheurs réside principalement dans la question de la restitution et de ses effets sur la dynamique du collectif “étudié”. Il arrive souvent que le chercheur considère que cette étape ne relève pas de son champ de compétence ou qu’il considère tout aménagement dans la manière d’exprimer ses conclusions comme une atteinte insupportable à sa liberté intellectuelle. Or, le porteur de projet culturel considère pour sa part que la production de toute nouvelle connaissance sur l’organisation doit être mise au service des acteurs qui la composent. La réelle difficulté de la construction d’un double âge d’or dans les représentations des personnels réside dans ce qu’il implique de négation des potentiels d’aujourd’hui. La révolution psychiatrique a déjà eu lieu et la communauté psychiatrique est démunie face à l’évidente nécessité de construire un nouveau projet. Cette génération a adopté une posture défensive, tournée vers le passé, qui décrédibilise toute nouvelle initiative. En conséquence, nous avons été très attentifs à ne pas redoubler cette tentation nostalgique par le travail de patrimonialisation. Ce dernier étant peut-être une condition pour s’en libérer REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 73 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L et s’ouvrir à une logique prospective. Dès lors, la démarche patrimoniale a été accompagnée par des projets d’art contemporain. Ce choix traduisait notre détermination à éviter toute tentation nostalgique en germe dans les actions de valorisation du patrimoine. Nous avons donc décidé de donner forme aux transformations de l’hôpital et d’impliquer les acteurs hospitaliers dans un jeu de projection imaginaire. À titre d’exemple, nous avons commandé une intervention artistique, co-financé par la Fondation Gaz de France et la Drac Rhône-Alpes, qui a consisté à remplacer quatre portes latérales condamnées de la chapelle par quatre « Portes-vitrail ». Celles-ci traduisant le mouvement, la couleur, la lumière et la visibilité. Des patients et des soignants ont parallèlement été associés à la création de vitraux légers, installés dans les espaces de soins. L’ange et l’espace public L’année suivante, entretiens, travaux de groupe, inventaire mobilier, documents, iconographie et même chanson écrite par une patiente ont constitué les matériaux d’une exposition grand public installée dans les locaux de la Ferme et intitulée « Sept propos sur le septième ange, une histoire du Vinatier » 3. Pour la première fois, l’institution mettait en scène son histoire avec des moyens de monstration professionnels. Le fil rouge de l’exposition était de montrer comment chaque grande époque identifiable de l’histoire de l’institution faisait écho à un contexte et une problématique sociétale qui la dépassaient. Pour les professionnels de l’hôpital, il s’agissait d’objectiver et de rendre compréhensible l’histoire de l’hôpital dans sa globalité. Cette cohésion rendue à des récits fragmentés et figés était homothétique d’une unité retrouvée de l’hôpital, éclaté en de multiples sites et de multiples métiers. Pour les Lyonnais, cette exposition faisait figure d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Cette institution stigmatisée nourrissant les fantasmes les plus fous, pouvait partager avec les habitants son histoire chaotique. On pouvait entrer au Vinatier pour voir une exposition, se sentir concerné et en ressortir. Le soin apporté à la scénographie, le professionnalisme de la communication, la qualité et la diversité disciplinaire des membres du conseil scientifique qui ont contribué à en définir les contenus, la participation active des personnels sont autant de facteurs de la réussite de l’exposition. L’indicateur de cette réussite « en interne » a été l’acceptation de ce récit problématisé par les personnels et « en externe », l’intérêt porté par les visiteurs. Une première phase de l’anamnèse étaitelle réalisée ? Si la communauté savante s’est, somme toute, assez peu investie dans l’exposition, elle a en revanche volontiers participé aux échanges et aux conférences organisées dans le cadre du programme culturel qui accompagnait l’exposition. Du « café – mémoire » au colloque transdisciplinaire, les médecins étaient davantage présents. Pourquoi ? Peut-être ont-ils reconnu à la Ferme la capacité de mobiliser un public dont une part assez large n’était pas directement concernée par la psychiatrie. Les entrées scientifiques, culturelles et artistiques ont en effet déplacé nombre de personnes s’intéressant aussi bien à l’architecture, à l’anthropologie, à l’art contemporain, à la littérature ou au cinéma. Le travail de pédagogie sur leur métier et sur la maladie mentale trouvait à s’exprimer auprès de publics qu’ils avaient peu l’occasion de rencontrer. Les retombées médiatiques et le niveau d’exigence de l’exposition ont probablement également contribué à surmonter les réticences du corps médical à l’égard de la Ferme. Cette exposition fut aussi l’occasion pour l’institution d’évoquer publiquement pour la première fois l’épisode dramatique des 2000 74 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Extérieur de la Ferme, janvier 2009. Coline Rogé malades mentaux internés au Vinatier morts de faim et de froid sous l’Occupation. Lorsque les personnels avaient eu connaissance du travail de mémoire dont j’étais chargée, nombre d’entre eux avaient évoqué cet événement en spécifiant de « surtout ne pas en parler dans le futur musée » (à l’époque tout le monde croyait qu’il s’agissait de faire un musée). Rien de tel, bien entendu, pour aiguiser l’intérêt et pressentir que le sujet allait nécessairement réapparaître. L’exposition offrit une première occasion d’inscrire cette période et ses conséquences dramatiques dans une succession de séquences historiques constitutive de l’identité de l’hôpital sans pour autant mener sur ce thème une étude approfondie, qui se révélera plus tard indispensable. Mais le travail préparatoire à l’exposition a aussi révélé une anecdote méconnue et plus « glorieuse » concernant une figure héroïque, celle de la résistante du mouvement Combat, Berty Albrecht. Cette dernière s’était fait interner au Vinatier pour quitter la prison Saint-Luc et a pu, grâce à l’aide d’un jeune médecin, organiser son évasion. La présence à l’inauguration de la famille dudit médecin, lui-même décédé, a suscité l’émotion, mêlée d’une L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L certaine fierté, des personnels présents. Pourtant, l’évocation sans tabou de cette tragédie dans une exposition publique n’a pas empêché que le sujet, déjà polémique, rejaillisse violemment au sein de l’hôpital à l’occasion de la parution en 1998 du roman du Dr Patrick Lemoine « Droit d’asile ». L’intime et le miroir Je qualifierais la deuxième exposition publique que nous avons organisée « … avez-vous donc une âme ? Objets privés et hôpital psychiatrique au XXe siècle » d’exposition émotionnelle. L’objectif était désormais de nous centrer sur la catégorie la plus silencieuse de l’institution : les malades. Nous sommes bien loin de la question de la transmission des savoirs de la communauté savante. Ceux qui nous intéressent sont les bénéficiaires de ces savoirs. Notre questionnement s’est ancré sur un patrimoine banal et singulier à la fois : 800 objets privés ayant appartenu à des malades hospitalisés. Ces objets couvrent une période allant de 1920 à 1980. Ils sont soigneusement rangés dans des enveloppes en tissu réalisées autrefois dans l’atelier d’ergothérapie de la lingerie, puis empilés dans des tiroirs en bois (une cinquantaine) numérotés à la peinture rouge. On doit d’avoir pu intégrer au patrimoine cet ensemble saisissant et signifiant à la négligence de l’administration qui l’avait sagement laissé dormir dans une cave 4. À l’occasion d’un déménagement, un fonctionnaire de la direction de la logistique a eu la présence d’esprit de nous adresser ces boîtes plutôt que de les détruire. D’où l’importance pour la direction d’afficher son volontarisme à l’égard du patrimoine et de l’histoire de son institution. À partir de ces objets bouleversants, nous avons construit un propos qui visait à rendre perceptible l’humanité irréduc- tible et ordinaire des malades mentaux. En effet, ces objets de la vie quotidienne, dans leur boîte et dans leur sachet, rendus pathétiques par l’absence de leurs propriétaires avaient un effet miroir, suscitant une identification chez les visiteurs. Si l’émotion suscitée n’avait rien de très agréable, elle générait une vague d’empathie à l’égard des malades, plus efficace que les slogans de lutte contre la stigmatisation. Le deuxième objectif de l’exposition consistait à interpeller les professionnels sur la gestion de l’objet privé dans l’espace de soin. De nombreux témoignage de professionnels sur diverses époques ont nourri cette problématique ainsi que la reconstitution chronologique de l’évolution de la loi à cet égard 5. Cependant, n’étant pas dans la perspective d’une installation d’art contemporain à la Boltanski, nous avons mobilisé les ressources et les méthodes scientifiques d’un ethnologue 6 et d’une historienne 7 pour étayer notre propos. L’ethnologue en a reconstitué des « mondes » constitutifs de notre identité à partir d’un classement de ces 800 objets (le « monde » du corps, le « monde » du travail, le « monde » du social…). La scénographie a organisé l’espace autour de ces « mondes ». L’historienne a, pour sa part, rédigé des biographies à partir de dossiers médicaux et administratifs des malades rendant compte non plus d’un état mais d’un parcours. Ces deux démarches de contextualisation d’un ensemble d’objets ayant comme seul point commun d’avoir appartenu à des malades mentaux permettaient d’ouvrir une rêverie interrogative sur la définition de la maladie mentale, de ses limites dans le temps et l’espace d’un individu. Le livre d’or de cette exposition est particulièrement intéressant par la quasiabsence de commentaires convenus. Certains sont d’une très grande violence, la majorité d’entre eux traduisent une émotion intense. Pour ceux qui préci- saient ne pas connaître le domaine de la psychiatrie, nous avons pu constater que notre espérance de contribuer à la lutte contre les préjugés sur les malades mentaux était comblée. En revanche, nous n’avions aucun commentaire sur la question de la place des objets intimes dans l’espace de soin. Les personnels se sont davantage exprimés dans les rencontres organisées autour de l’exposition. Ces dernières ont d’ailleurs donné lieu à un ouvrage co-édité avec les éditions « chroniques sociales » . Le corps et le devenir Notre troisième exposition « Devenir, adolescences exposées » ne mobilisait plus la ressource du patrimoine. Cette « exposition de pensée » s’est attachée à cerner un phénomène de société et s’est tournée vers la production de connaissances pluridisciplinaires sur un même sujet, en l’occurrence l’adolescence. L’exposition traduisait dans sa forme finale l’oscillation de l’âge adolescent entre deux bornes, une qui serait du côté de la psychopathologie et l’autre du côté de la culture. Ce projet aspirait à identifier du sens dans les comportements transgressifs des adolescents en les mettant en correspondances avec des pratiques artistiques ou rituelles. Mais il visait aussi à mettre en lumière les pathologies ou les actes pathologiques spécifiquement liés à l’adolescence ainsi que les moyens de leur prévention. Fautil voir un sens dans cette évolution des choix d’exposition, depuis la valorisation problématisée du patrimoine jusqu’à une interrogation partagée sur l’avenir à travers la figure emblématique de l’adolescent ? Ces initiatives ont en commun de traduire la volonté de l’établissement de développer dans le champ culturel un espace de médiation entre les patients, les personnels et la population notamment à propos des questions situées à l’interface du sociétal, du culturel et du sanitaire. La REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 75 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L succession de ces thèmes n’a pas été programmée mais elle traduit l’évolution de nos préoccupations, elles-mêmes en phase avec celles de l’institution. En cela, j’ai bon espoir que le travail mémoriel de ces dix dernières années ait porté ces fruits. La recherche et la médiation Une des pierres angulaires de la démarche d’anamnèse était l’objet de toutes les polémiques, de toutes les élucubrations : l’hécatombe des malades mentaux sous l’Occupation. Ce thème ayant cristallisé, au sein de l’hôpital et au-delà, la culpabilité, la dénonciation, la controverse, il est vite apparu que toute démarche mémorielle se solderait par un échec si elle ne s’adossait pas à une recherche historique solide. Il s’agit là du meilleur exemple que nous pouvons proposer concernant la place de la recherche dans un processus d’anamnèse organisé dans le cadre d’une démarche patrimoniale, mémorielle et culturelle. L’enjeu de la recherche menée dans le cadre de la Ferme du Vinatier est de lier problématique institutionnelle, connaissance scientifique et action culturelle en direction de tous les publics. Les projets sont élaborés de manière à éviter, d’une part la configuration de la commande dans laquelle le chercheur est soumis à une attente institutionnelle exclusive des autres impératifs de la recherche, d’autre part celle du terrain dans laquelle l’institution devient un objet d’étude ne participant pas au processus de connaissance en tant que sujet. La médiation culturelle réside ici dans la capacité à élaborer les conditions d’une coopération à partir d’une double culture hospitalière et universitaire qui ne s’y prêtent pas spontanément. Des partenariats universitaires ancrés dans la durée grâce à la stabilité du conseil scientifique ont rendu possible (mais jamais évidente) la mise en œuvre de ces collaborations. La recherche « Destins de fous. Le sort tragique des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation. Le cas de l’hôpital du Vinatier », conduite par Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne, et membre du conseil scientifique de la Ferme relève d’un processus mettant en interaction la communauté savante de l’hôpital, les savoirs de l’historien et la démarche patrimoniale d’anamnèse. Les conditions locales d’émergence de la problématique sont essentielles dans la décision prise par le conseil scientifique, sur proposition de la Ferme, et par la Direction de l’Établissement d’entreprendre une recherche sur la période de l’Occupation au cours de laquelle 2000 malades mentaux sont morts de faim au Vinatier (environ 45000 dans l’ensemble des hôpitaux psychiatriques français). Trois éléments ont joué un rôle important : - Premier élément : une mémoire collective trouble qui s’est exprimée dès les premières démarches de recueil de la mémoire engagées par la Ferme. La référence à la guerre, très présente dans les récits des personnels, était pourtant désignée comme taboue. Les interprétations de l’hécatombe des malades mentaux sous l’Occupation, restituées par les personnels, étaient aussi variées que floues bien que généralement marquées par l’hypothèse du complot « exterminationniste » fomenté par le gouvernement de Vichy. Thèse inspirée par l’ouvrage « L’extermination douce », du docteur Max Lafont, ancien interne du Vinatier.- Deuxième élément : la publication en 1998 d’un roman par un autre psychiatre du Vinatier, le docteur Patrick Lemoine, intitulé « Droit d’asiles ». Bien qu’il s’agisse d’une fiction, l’introduction et les annexes du livre radicalisent la thèse du génocide. - Troisième élément : la lecture en séance par le président de la 76 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Commission médicale d’établissement d’une motion de défiance à l’égard du livre de Patrick Lemoine, traduisant un profond désaccord d’une partie du corps médical avec les propos et les procédés utilisés par l’auteur. Cet événement a précipité une polémique locale, portée ultérieurement devant les juges, autour de la question de « l’extermination » des malades mentaux sous Vichy. Le corps médical est alors entré en crise. La Direction de l’établissement s’est portée partie civile pour le président de la CME. La proposition d’entreprendre une recherche, dont le sérieux serait garanti par des historiens confirmés et des méthodes scientifiques avérées, est apparue comme une issue possible à cette crise. Grâce à l’engagement de l’historienne dans un processus institutionnel, la Ferme a pu alors jouer le rôle de tiers qui rend possible le décadrage d’une question sclérosée par le conflit. Les instances de l’hôpital (CA et CME) l’ont confirmé dans cette mission. L’intervention de l’historienne a immédiatement situé la problématique locale dans un contexte national qui constituait un premier pas vers une relativité de la crispation propre au Vinatier. La problématique a été formulée de la manière suivante (extrait du projet soumis au conseil scientifique de la recherche de l’établissement par Isabelle von Bueltzingsloewen) : « Ce projet de recherche collective, qui répond à une volonté de clarification qui s’est exprimée à de multiples reprises au sein de l’institution, poursuit un double objectif : - sortir du contexte polémique, voire passionnel, qui a conduit à focaliser le débat sur la question de l’extermination pour tenter de comprendre, en croisant plusieurs niveaux d’analyse, comment, dans le contexte très particulier de l’Occupation, des milliers de malades mentaux internés dans les asiles sont morts L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L causes. Les psychiatres de l’après-guerre notamment se sont appuyés sur l’horreur du drame de la famine dans les hôpitaux psychiatriques sous l’Occupation pour exiger les moyens d’humaniser ces établissements. L’argument a été souvent mobilisé par les pères de la psychothérapie institutionnelle comme répulsif à tout retour au fonctionnement asilaire du début du siècle. Plus tardivement, dans les années 70, les tenants de l’antipsychiatrie ont à leur tour mobilisé cet épisode de l’histoire comme Boite à bijoux. Photo Maurice confirmation du nécessaire rejet radical de l’institution psychiatrique. Ainsi, l’hécade faim en France. Car démontrer que tombe des aliénés pendant la guerre ces malades n’ont pas été victimes d’une aura servi aussi bien la cause de la psypolitique génocidaire ne signifie pas que chothérapie institutionnelle que celle leur destin ait été soumis à une sorte de la psychiatrie communautaire. On de fatalité qui rendrait toute démarche peut voir que la mémoire est plastique interprétative inopérante. - montrer au regard des enjeux contemporains. comment, selon quelle chronologie et Jusqu’à la résurgence plus récente du autour de quels enjeux la mémoire de drame dans la mémoire des psychiatres cet épisode tragique s’est progressivement à travers la dénonciation d’un génocide construite depuis 1945. La question du économique des malades mentaux qui ne rôle qu’a joué la référence à la période serait que la réplique de celui que l’on sombre de la guerre, fréquemment mobiattribue alors au gouvernement de Vichy, lisée par les pionniers de la “révolution point de départ de la polémique locale psychiatrique”, dans les mutations produ Vinatier. En raison de l’intrication fondes qu’a connues l’institution psydu scientifique et de l’institutionnel, chiatrique depuis les années 1950 mérite la question de la communication des en particulier d’être posée. » Ces deux résultats de la recherche était essentielle. objectifs ont été validés par les instances C’est pourquoi, le sacro-saint « rapport de l’hôpital. Il s’agissait de comprendre de recherche », dont les destinataires dans un même mouvement les conditions se limitent en général à deux ou trois de l’hécatombe et ses effets durables sur personnes motivées, paraissait totaleles transformations de la psychiatrie et ment inadapté à la situation. Aussi, sur l’identité de ses professionnels. En un dispositif conjointement pensé en effet, cet épisode tragique de l’histoire amont de l’enquête par l’historienne de la psychiatrie française a été repris et la responsable de projet a défini les à plusieurs reprises par la communauté modalités les plus susceptibles d’élargir psychiatrique pour soutenir d’autres les publics en diversifiant les supports et en échelonnant les manifestations. Ce dispositif s’est organisé en cercles concentriques. Une première rencontre à la Commission médicale d’établissement a permis le débat au sein du cénacle médical, porteur du conflit originel. La restitution des résultats a eu pour effet immédiat l’apaisement de la tension dans le corps médical. Selon les propres termes de plusieurs médecins, l’enquête a permis au corps médical de « s’en sortir par le haut ». Une seconde rencontre précédée par une conférence de presse était programmée à l’adresse de l’ensemble des professionnels de la psychiatrie. Les personnels sont venus nombreux et divers à cette soirée. La qualité de l’exposé des résultats de l’enquête a considérablement impressionné l’assistance. Pourtant les contenus allaient globalement à l’encontre des lieux communs transmis depuis plusieurs décennies. À l’occasion de la diffusion de ce travail, beaucoup de personnels, en particulier les administratifs et les directeurs, ont découvert cet épisode noir de l’histoire de l’hôpital. Se sontils interrogés dans ce cadre sur les effets dévastateurs de la rigidité administrative et gestionnaire en contexte de crise ? Cette question était d’ailleurs également nourrie par un drame plus récent, celui des personnes âgées mortes pendant la canicule de l’été 2003. La troisième étape du dispositif consistait à s’intéresser à d’autres populations reléguées ou semi-reléguées. Le colloque « Famine et exclusions en France sous l’Occupation » a permis de transférer la problématique de l’enquête dans la sphère scientifique et de la confronter à d’autres travaux d’historiens. Au cours de ce colloque, une lecture théâtralisée des correspondances des malades mentaux a été présentée en soirée. Cette incarnation de l’expérience d’une souffrance REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 77 LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L extrême a insufflé du sens et de l’émotion à la démarche scientifique. Ce colloque a donné lieu à des Actes parus en 2005 aux Presses Universitaires de Rennes 10. Enfin, un ouvrage personnel de l’historienne est paru le 22 février 2007 11, rendant compte de toute la complexité de l’enquête. La recherche a joué ici son rôle d’intelligibilité collective à l’échelle de l’institution. L’enjeu n’est pas de clarifier un point d’histoire mais d’éclairer les questions fondamentales qui sont les points d’entrée d’une culture : qui sommes-nous ? Quelles sont nos responsabilités ? Quelles épreuves avons-nous traversé ? L’intelligibilité porte aussi sur les dimensions de l’expérience humaine au-delà des constats chiffrés qui occultent la subjectivité du vécu. Le travail réalisé par Isabelle von Bueltzingsloewen vise aussi à rendre visibles et sensibles la complexité des situations et les expériences des acteurs. La recherche constitue un mode opératoire innovant pour l’hôpital. L’enjeu est de convoquer des forces extérieures validées par le pacte républicain pour changer les termes du dialogue social. Ce dernier se construit grâce à un processus d’intelligibilité fondé sur une posture compréhensive et non sur une confrontation idéologique. Conclusion : le territoire et la prospective La médiation que la Ferme a assurée entre les communautés professionnelles, les scientifiques et le public élargi pour conduire un travail concomitant sur le patrimoine, les mémoires et l’histoire influe-t-elle sur la dynamique institutionnelle de l’hôpital ? Ces neuf années consacrées à faire émerger les idées et les débats qui ont présidé à l’évolution du Vinatier ont-elles contribué à réunir les conditions pour l’inscrire dans un projet de prospective ? Peut-on y voir un élément ayant facilité l’adoption par la communauté hospitalière d’un projet d’urbanisme et de paysage engageant les problématiques présentes dans la question patrimoniale : valeur thérapeutique de l’organisation de l’espace, rapport entre le dedans et le dehors, dialectique de la fermeture et de l’ouverture, statut du patient… Car l’histoire de l’hôpital témoigne du lien indéfectible entre projet clinique et production de l’espace. Elle met en exergue l’oscillation de la psychiatrie entre deux projets cliniques régulièrement mis en tension se traduisant par deux modèles spatiaux : le village et l’archipel. Aujourd’hui, ces deux conceptions n’apparaissent plus comme des alternatives mais comme complémentaires à une prise en charge complète et continue de la personne malade. Ce continuum recherché entre la séquence d’hospitalisation complète et le suivi ambulatoire dépasse l’opposition dialectique entre fermeture et ouverture. De nouvelles logiques de production et d’organisation de l’espace vont émerger de cette vision du soin : maison des usagers, appartements thérapeutiques, foyers, nouvelles structures de transition… Accompagner ces transformations par une gestion concertée et maîtrisée du patrimoine architecturale et paysager de l’hôpital implique une conscience partagée des valeurs de l’héritage commun et un travail collectif pour les adapter aux enjeux identifiés du monde contemporain. Le projet culturel et patrimonial de la Ferme du Vinatier poursuit cet objectif depuis 10 ans. S’il peut prétendre avoir contribué à la dynamique institutionnelle dans le sens d’un partage avec les autres acteurs de la société civile et d’une maîtrise de son avenir, c’est d’abord grâce à la démarche croisée entre patrimoine, sciences sociales et action culturelle. Comme nous l’avons vu, les conditions d’une telle démarche sont 78 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 à la fois éthiques, institutionnelles et méthodologiques. Elles mobilisent un fort professionnalisme des acteurs, la légitimité scientifique et politique des initiatives et le respect réciproque des valeurs et des enjeux de chacun. NOTES 1 - De l’utopie au système d’action ou le dehors psychiatrique. Enquête réalisée en 1999 par Axel Guïoux et Evelyne Lasserre, anthropologues. 2 - L’expérience cubique : approche ethnologique du quotidien d’une unité d’entrée en soins psychiatriques. Enquête réalisée en 2001 par Axel Guïoux et Evelyne Lasserre, anthropologues. 3 - En lien avec l’exposition, un ouvrage rassemblant les articles des membres du conseil scientifique a été publié sous le titre « Le Vinatier, un hôpital en travail », éditions La Ferme du Vinatier, Lyon, 1999. 4 - Ces objets n’ont pas été réclamés par les familles après le départ de l’hôpital ou le décès du malade. La réglementation autorise l’établissement à s’en séparer au terme d’une année. 5 - Il a fallu attendre la circulaire 148 en 1952 pour que les objets chargés d’une valeur affective (les alliances…) soient laissés à leur propriétaire. 6 - Jean Paul Filiod, maître de conférence à l’IUFM de Lyon 7 - Isabelle von Bueltzingsloewen, maître de conférence à l’Université Lumière Lyon 2 8 - Jean Paul Filiod (dir), Faire avec l’objet. Signifier, appartenir, rencontrer, Lyon, Éditions Chroniques sociales, 2003 9 - Expression utilisée par Bruno Latour dans une émission radiophonique à propos de son exposition « La chose publique. Atmosphère de la démocratie » présentée à Karlsruhe en 2005. 10 - Isabelle von Bueltzingslewen (dir), Famine et exclusion en France sous l’Occupation, Rennes, PUR, 2005. 11 - L’Hécatombe des fous. Isabelle von Bueltzingslewen, Aubier, 2007 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L LA CRÉATION CONTEMPORAINE ET L’HÔPITAL L oin d’être une tendance nouvelle, l’art a de tout temps animé les établissements de soins à travers l’architecture, la sculpture, la peinture qui ont longtemps été influencés par la religion, mais aussi et encore, par les grands courants artistiques. La présence de la création contemporaine au sein des territoires hospitaliers est polymorphe et vise à questionner l’hôpital et ses usages au fil de ses innovations techniques et scientifiques. Elle participe à l’intégration de l’hôpital dans son environnement urbain en favorisant la qualité d’accueil des usagers. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 79 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L Physalis partitura, une commande publique de Katsuhito Nishikawa pour l’hôpital Claude-Huriez, CHRU de Lille Michèle Dard Déléguée culturelle, CHRU de Lille D ans le cadre de la modernisation de son établissement emblématique l’hôpital Claude-Huriez, le CHRU de Lille a initié en lien avec le ministère de la Culture et de la Communication et avec le concours du FEDER, une commande publique innovante pour renforcer la qualité du cadre de vie et proposer des espaces propices à l’apaisement et à l’hospitalité. 80 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L’œuvre inédite Physalis partitura a été conçue par l’artiste japonais Katsuhito Nishikawa pour les lieux. Ce créateur a un champ d’intervention large qui touche aussi bien l’architecture, l’environnement, le mobilier, la sculpture, le dessin. Le projet consiste en l’aménagement des espaces d’accueil extérieurs et intérieurs de l’hôpital, soit près de 5 000 m². Il inaugure une nouvelle forme de présence de l’art à l’hôpital. Ni monumentale, ni décorative, l’œuvre constitue un espace à vivre conçu pour améliorer l’environnement des personnes. Katsuhito Nishikawa propose une séquence en trois temps qui vise à qualifier le parcours effectué par les usagers depuis la traversée de la cour L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L d’honneur, l’accès au hall d’accueil et la déambulation dans les ailes latérales. La cour d’honneur devient une vaste esplanade homogène qui accueille en son sein un programme végétal composé de magnolia kobus. Cette trame boisée fait écho à la volumétrie du bâtiment. Le sol est scandé d’un balisage de spots lumineux, deux bancs de pierre marquent le centre de la composition. Cet ordonnancement est complété de sculptures physalis qui animent le parcours. À son extrémité, ascenseur et escaliers mènent l’usager à l’intérieur de l’hôpital. Le hall d’accueil est traité dans un souci de lisibilité, un parquet délimite la superficie. Son centre est marqué d’un damier en minéral qui reprend la figure inversée des bancs extérieurs. Les murs sont couverts de peinture mate couleur blanc chaud. L’éclairage privilégie la hauteur comme la profondeur. Un ensemble de mobilier en bois donne une impression de netteté, d’accessibilité, de douceur. Cette réalisation constitue l’un des projets phare de la délégation aux affaires culturelles du CHRU de Lille, qui participe à la construction de l’hôpital contemporain en travaillant à l’amélioration de la qualité de vie à l’hôpital. Publication disponible sur demande : [email protected] REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 81 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L La commande artistique aux hôpitaux universitaires de Strasbourg Christelle Carrier et Barbara Bay Déléguées culturelles au CHU de Strasbourg E n 1999, à l’occasion de la signature de la première convention inter-ministérielle « Culture à l’hôpital » par Catherine Trautmann et Bernard Kouchner, les hôpitaux universitaires de Strasbourg, dirigés par Paul Castel, créaient un poste d’attachée culturelle. Christelle Carrier, diplômée en histoire de l’art et en gestion, fit l’état des lieux de ce qui existait au sein de l’établissement en matière culturelle et proposa à la Direction générale de décliner le projet culturel selon les trois piliers d’un CHU : le soin, la recherche et la formation. C’est ainsi qu’un projet musique prit place dans le service de néonatalogie de l’hôpital de Hautepierre avec des musiciens intervenant dans le service auprès des enfants prématurés, en lien 82 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 avec un volet recherche et un volet formation. L’évolution générale du système hospitalier, et en particulier la diminution constante de la durée moyenne de séjour, interrogeait la pertinence de la notion d’intervention artistique au chevet du patient. Les hôpitaux universitaires de Strasbourg ont alors fait le choix d’inscrire leur projet culturel dans une politique plus « durable » à même de laisser une trace dans l’institution. L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L C’est ainsi qu’en 2005, la Délégation à la culture intervenait auprès du Pr Nisand pour repenser l’aménagement de la maternité de l’hôpital de Hautepierre en appui au projet médical et soignant. Cette maternité de niveau 3, installée dans un hôpital mono-bloc des années 1970 était composée historiquement de deux services répartis sur deux étages. Il s’agissait de les réunir autour d’un projet commun. Les locaux, organisés pour répondre aux besoins de la puériculture d’il y a 30 ans, accueillaient à la fois les grossesses à risque et une maison de naissance démédicalisée ainsi qu’une quinzaine de nationalités d’origine différentes. La restructuration des espaces communs du service a été l’occasion de prendre en compte toutes ces données et a permis l’écriture d’un cahier des charges extrêmement précis par la Délégation à la culture avec les équipes soignantes, médicales et techniques. En effet, après le grand événement de la naissance, les premiers jours de vie commune du nouveau-né et de ses parents se vivent à la maternité. Ces moments de joies, de questionnement et d’apprentissage sont partagés avec les professionnels et les autres jeunes parents dans des espaces communs tels que les pouponnières. L’artiste plasticienne Ilana Isehayek et la designer Edith Wildy, sensibles à la façon dont l’aménagement d’un lieu influe sur les déplacements, la position des corps dans l’espace et les gestes du quotidien, décident de réorganiser globalement les pouponnières, les salles d’allaitement et les salles à manger. Elles travaillent aussi bien sur la structure d’ensemble, que sur le mobilier – créée pour l’occasion – l’éclairage, la couleur et les œuvres qui vont venir naturellement s’y inscrire. À partir de leurs échanges avec l’équipe médicale et soignante, les deux artistes décident d’articuler leur projet autour de la notion de transmission, qu’elles déclinent à travers un ensemble de thèmes (l’eau, l’arbre, l’anneau) qui en signent l’identité artistique. le bain, le change, l’allaitement, la consultation, les soins spécifiques et la surveillance des bébés confiés aux équipes. Les parents ont l’assurance de trouver sur place, nuit et jour, les conseils d’un professionnel, grâce au poste de travail aménagé dans l’élément central. De forme ovoïde, il rappelle un œuf éclos. Il contient les baignoires et les tables à langer réalisées d’une pièce dans une résine synthétique, douce à l’œil et au toucher et qui offre une excellente hygiène. Donner un bain à son bébé ne se fait plus face à un mur mais en relation directe avec les professionnels et les autres parents. La convivialité du lieu engage les mères à rester sur place pour allaiter dans des sièges en forme de cocon qui permettent d’être à la fois protégées et en contact visuel avec l’intérieur de la pièce et l’extérieur par les grandes baies vitrées. Libre alors à chacun de se laisser aller à La pouponnière permet désormais de réunir toutes les activités qui ponctuent la journée : REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 83 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L rêver en contemplant l’œuvre qui vient animer tout un mur de la pouponnière. Au 4e étage, un réseau de cours d’eau, représenté tout en transparence et en opacité laiteuse, décline des noms de fleuves et de rivières du monde, familiers aux oreilles des uns et exotiques aux oreilles des autres. Au 5e étage, c’est un arbre dont les branches portent les diminutifs affectueux du vocabulaire familial, « mémé », « pépé », « daddy », « mum », écrits en plusieurs langues en échos aux différentes cultures des personnes accueillies dans le service. La mise en œuvre de ce projet qui révolutionne l’accueil des mères et de leurs enfants ainsi que l’ergonomie de travail des professionnels a bénéficié du soutien de nombreux partenaires aux côtés de notre établissement : le ministère de la Culture, au titre de la commande publique, l’ensemble des collectivités publiques ainsi que des partenaires privés. Nous mesurons aujourd’hui, après deux ans de fonctionnement, l’amélioration apportée à la prise en charge des mères et de leur bébé mais nous observons tout particulièrement l’impact positif de l’aménagement réfléchi de ces espaces sur l’organisation des équipes, l’intégration de nouveaux professionnels et la formation des futurs étudiants. Ce premier projet de taille a été l’occasion pour les hôpitaux universitaires de Strasbourg, de tester d’autres modes de gestion de projet et d’envisager différemment la collaboration entre les différentes directions fonctionnelles concernées. L’impact en terme d’amélioration de la qualité de l’accueil est également valorisé par un large projet de communication en direction du grand public et du public professionnel par des reportages publiés dans des revues destinées aux parents, la presse locale, des revues d’art et d’architec84 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L ture, des revues hospitalières, etc. Un film suivant le chantier et rythmé d’interviews ainsi qu’une publication servent également de supports pour de nombreuses formations. Suite à cette expérience réussie, la Direction des hôpitaux universitaires de Strasbourg, décide de mettre en place ponctuellement des commandes artistiques dans le cadre de projets de restructuration ou de construction. C’est le cas pour le nouvel hôpital civil (hôpital civil) avec une commande sur l’ensemble du bâtiment aux V8 designers (2010-2011), pour les futurs services de neurologie de l’hôpital de Hautepierre avec le collectif Pil (20102011), pour l’ouverture d’une unité de soins palliatifs avec l’artiste Cécile Holveck et le cabinet d’architecture Fou du roi (2010-2011) et pour le futur canceropôle qui prendra place sur le site de Hautepierre dans quelques années. Chacun de ces projets est une occasion de repenser les modes de travail, tant au niveau du soin, de l’accueil du patient et de ses proches qu’au niveau des directions techniques. C’est aussi l’occasion de nouer d’autres relations avec les partenaires que sont l’ARS, les collectivités et les entreprises avec lesquels notre établissement travaille. Nous avons eu le plaisir lors de la signature de la nouvelle convention Culture à l’hôpital ce printemps de voir combien cette dimension de qualité architecturale au service d’un projet médical et soignant entrait désormais dans les missions de ce programme qui fête cette année ces 10 ans. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 85 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L Lieu de recueillement et de prière pluriconfessionnel de l’Institut Paoli-Calmettes Action Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France - 1997-2000, Marseille* Michelangelo Pistoletto Dominique Maraninchi Artiste peintre et sculpteur Directeur de l’Institut Paoli-Calmettes Nicole Bellemin-Noël Aumônier de l’Institut Paoli-Calmettes L e premier feu autour duquel se sont réunis les êtres humains était le centre de la société. La première pierre qui a rassemblé les hommes autour d’elle était à la fois sculpture et autel. La première personne qui a posé cette pierre au centre du groupe et qui a gravé les parois de la caverne était artiste et prophète. Cet espace de recueillement se veut aujourd’hui un lieu prophétique de l’art. Michelangelo Pistoletto, 2000 À l’origine de cet espace ? Le désir. Désir que Monsieur Maraninchi, directeur de l’Institut, de faire que la chapelle (catholique) devienne l’espace où tous pourraient se retrouver sans que se distinguent les appartenances confessionnelles (ou la non-appartenance). Désir de créer un espace où chacun pourrait trouver silence et sérénité, ressourcement et paix intérieure. L’aumônier catholique que je suis ne pouvait être qu’en accord avec ce désir d’ouverture et de partage. Pour passer de conviction au projet, la réflexion a été ouverte à des amis porteurs de sensibilité différente. Petit à petit, la réflexion a porté son fruit, et le fruit est aujourd’hui devenu une fleur, grâce à Michelangelo Pistoletto. L’accueil qu’il a réservé à l’esprit du projet et à ses exigences a été un atout décisif dans la réalisation du lieu. Ce que quelques-uns ont réussi à mettre ensemble en forme est, pour tous, invitation à une fraternité renouvelée : celle que je découvre *Article paru dans « (à) partir de Marseille. 65 projets d’art contemporain », Bureau des compétences et désirs. 86 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L comme réalité intérieure au cours de nombre de mes rencontres auprès de patients de traditions différentes. Ici, l’homme est au centre des combats de chacun. Au cœur de sa souffrance, dans son rapport à l’essentiel, dans sa quête, l’individu rejoint encore et toujours le cri de l’humanité entière en recherche de sens. Ici, même si tout est fait pour préserver de l’isolement, le chemin est escarpé, difficile. Il est important que chacun puisse trouver les signes qui le mettent en communion avec sa tradition, avec ce que chacune d’elle comporte de richesse, de sens apporté sur le chemin de vérité et de vie ; tout aussi important, à mes yeux, que s’effectue en même temps une relation entre tous, entre tous ceux qui partagent les mêmes expériences d’humanité, partagent les mêmes interrogations. sein de ce groupe prennent une part active à l’animation spirituelle du lieu, en lien avec les responsables des églises locales. Les religions, ici, peuvent se dire comme accueil d’un mystère de l’existence, ce mystère dont la réponse est propre à chacun(e), et en même temps commune à tous. Si l’histoire de l’homme en quête de son humanité prend place dans un temps linéraire (où chaque tradition prend une place selon un ordre chronologique), c’est bien en son centre, d’où vient symboliquement la Lumière, qu’elle prendra son sens plénière, et que le temps prendra sa dimension d’éternité. Ce combat difficile invite à la rencontre avec soimême, à une réflexion spirituelle, spécialement dans les moments douloureux. Croyants et agnostiques, engagés ou non dans une pratique confessionnelle, tous vivent ces moments de tension, d’incertitude, de révolte parfois. Le besoin de se retrouver, de se recueillir, de méditer, de prier pour certains, est un recours naturel dans ces moments de rencontre avec les incertitudes de la vie et de la mort. Mon espoir est qu’en ce lieu que nous avons conçu ensemble, chacun(e) puisse trouver au cœur de l’espace qui est le sien la porte qui le fera déboucher sur un nouvel horizon. Mon espoir est qu’en ce lieu, les religions, dans leur diversité, poursuivent leur œuvre au service de l’amour et de la fraternité. À Marseille, ce désir a pris forme au sein d’un mouvement, Marseille-Espérance, qui les réunit pour une démarche commune. Consulté pour ce projet, il assurera le parrainage du lieu. Je désire vivement que les dignitaires religieux présents au Nicole Bellemin-Noël, 2000 Le lieu de la rencontre C e projet et cette réalisation sont issus de la nécessité « naturelle » de considérer de façon globale et multidimensionnelle la maladie cancéreuse. Un Institut de lutte contre le cancer est un lieu où on lutte au quotidien pour comprendre, soigner et soulager : malades, familles et amis sont engagés avec les soignants et chercheurs dans ce même combat. Ce combat est parsemé d’étapes faites d’interrogations, d’espoirs, de succès, mais aussi de périodes d’abattement et de tristesse. L’Institut est un hôpital : cet hôpital devait reconstruire sa chapelle. Dès ce moment, la rencontre de la direction avec un aumônier catholique hors du commun – une femme, de plus – suscitait une réflexion sur la création d’un espace, d’un lieu dont l’organisation symbolique inviterait à la médiation et autorise- rait l’exercice des cultes des différentes confessions. Ce lieu devait inviter à la rencontre. Rencontre autour d’un engagement éthique, celui de ne pas exclure, comme une nécessité d’entendre toutes les formes de recueillement. Rencontre autour d’un engagement déontologique, celui d’intégrer, au-delà de la nécessaire information du patient, son besoin de réflexion autour de la maladie. L’aumônier mobilisa un groupe de travail qui conçut un avant-projet audacieux et généreux dans sa démarche : il manquait un « cristalliseur ». L’appel du groupe à la Fondation de France, qui développait le programme des nouveaux commanditaires, fut immédiatement entendu : ce riche projet fut accompagné par Michelangelo Pistoletto qui, associé à la Fondation, à son médiateur, Sylvie Amar, et au groupe de commanditaires, a permis l’émergence d’un projet architectural résumant et sublimant nos attentes, répondant à leur besoin d’organisation et de représentation symbolique. Aujourd’hui, nous ouvrons à l’Institut un lieu appelé « de recueillement et de prière », pour moi, espace de silence et de réflexion. Dominique Maraninchi, 2000 REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 87 CAHIER D’EXPÉRIENCES Rap la vie Une résidence musicale à l’hôpital Lieu d’être Pâquerettes et Cie Soigner les soignants La mémoire des patients, l’image des soignants Le Musée se découvre à l’hôpital La découverte. Instantané, instants chorégraphiés Devenir. Adolescences exposées Contosa L’art dans l’hôpital Le Corps Transparent CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Rap la vie Centre médical de rééducation pédiatrique Romans-Ferrari, Miribel 2000-2006 Musique « Rap la Vie » est un projet autour de la musique rap, mené par AS’N Merzouki, fondateur du collectif Rap NATI.K, au centre médical de rééducation pédiatrique de Romans-Ferrari dans l’Ain. Ce centre est agréé pour recevoir en soins de réadaptation fonctionnelle des enfants et adolescents de 0 à 18 ans. Ces patients, pour la plupart, ont été victimes d’accidents graves de la voie publique, de circulation ou domestiques. Le projet « Rap la vie » avait pour but de fournir aux adolescents volontaires une première approche de l’écriture Rap et de ce qui l’accompagne (notion de rimes, de rythme…). Organisé sous forme de séances hebdomadaires pour une résidence de sept semaines, le travail a été mené pour permettre à chaque apprentirappeur de pouvoir s’investir au gré de ses envies et de ses capacités, dans une approche artistique et pédagogique « à la carte ». En effet, si certains ont préféré l’aspect littéraire, d’autres ont pu opter pour la forme chantée de l’expression Rap. Organisés de façon récurrente dans le cadre du Romans d’Orphée, les ateliers « Rap la Vie » ont ainsi été proposés à plus de 50 jeunes hospitalisés à Romans entre 2000 et 2006. Au cours des six années du projet, tous, le personnel du centre, les patients participants et les artistes, ont caressé l’envie de sortir un CD de facture totalement professionnelle, pressé par une maison sérieuse, avec un digipack n’ayant rien à envier aux productions Rap nationales. En 2007, ce projet se concrétise avec la sortie nationale en avril 2007 au théâtre de l’Allegro du CD « dé-Rap la Vie », fruit d’un énorme travail réunissant les jeunes ayant participé aux ateliers « Rap la vie » de 2000 à 2005, le compositeur Ahcène Merzouki et le graphiste lyonnais Patrick Lefebvre. Le CD est bien plus qu’un disque audio, il est une véritable mémoire de l’établissement, par son illustration : photographies de l’Atelier Camera Obscura, mais aussi et surtout par ces textes, témoins d’une époque. Par ailleurs, cette réalisation aura permis la mise en place de projets de suite, impliquant d’anciens patients de Romans. Il est en effet particulièrement précieux de pouvoir garder des liens avec les anciens patients. Ainsi, plus de 25 jeunes adultes, anciens patients du centre, sont revenus pour chanter, se souvenir, passer leur message… ce lien existe toujours, il a donné vie à un nouveau projet initié en 2007 : « dé-Rap la Vie », et qui continue encore en 2010. Il s’agit de valoriser le travail des patients après leur séjour à l’hôpital et surtout de tenir là le prétexte à la conservation des liens. L’accompagnement des vocations initiées à Romans est aussi un enjeu capital, dans l’optique d’un travail artistique sincère. Ces anciens patients continuent pour beaucoup le travail d’écriture, certains ont même créé leur collectif Rap ! Ils sont donc désormais en contact permanent avec la saison et peuvent participer à des projets de diffusion de leurs œuvres. Contact : Centre médical de rééducation pédiatrique Romans-Ferrari Tél. : 04 74 45 77 45 - Fax : 04 74 45 77 98 Mail : [email protected] REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 89 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Une résidence musicale à l’hôpital Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc, Lyon 2008-2010 Musique acteurs du milieu hospitalier afin que la présence musicale soit pertinente au regard du travail particulier de l’hôpital et du quotidien des patients qui s’y trouvent soignés. Cette résidence propose un après-midi par mois une intervention musicale à huis clos dans les services de soins, suivie d’un concert ouvert à tous dans les espaces publics du centre hospitalier. Le thème du concours international de musique de chambre de Lyon donne chaque année le ton de la résidence : en 2008, quintette à vent, en 2009, quatuor à cordes, en 2011, trio piano, violon, violoncelle. Les concerts et les interventions dans les services de soins sont renforcés pendant la période du concours. Du 19 au 21 avril 2011, des étudiants chambristes (cordes et piano) de 3e cycle des conservatoires régionaux de Lyon, Saint-Etienne et Villeurbanne se produiront ainsi au Centre Hospitalier Saint-Joseph Sainte-Luce. De puis le 11 mars 2008, les organisateurs du concours international de musique de chambre de Lyon (CIMCL), l’Auditorium-Orchestre national de Lyon, le département Musique et Musicologie de l’Université Lumière Lyon 2 et l’association Papageno animent de concert une résidence musicale au centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc. L’Opéra de Lyon a rejoint le projet en octobre 2008 afin de s’engager dans cette démarche d’ouverture aux côtés des autres partenaires. L’un des enjeux de cette synergie est de développer des collaborations entre les institutions musicales, culturelles et d’établir des passerelles avec le milieu hospitalier par la pratique culturelle. Le projet répond au désir marqué de programmer des événements culturels réguliers en milieu hospitalier et d’établir un habitus de la pratique musicale à l’hôpital. Il a été développé en étroite collaboration avec les 90 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Contact : Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc, Lyon Julie Montagnon, chargée de projets culturels Tél. : 04 78 61 86 50 Mail : [email protected] CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Lieu d’être Clinique Iris/Projet Culture à l’Hôpital 2010 Danse La clinique Iris s’est inscrite en 2010 dans la démarche « culture à l’hôpital » en accueillant un projet chorégraphique, « Lieu d’être », en partenariat avec la Maison de la Danse et la compagnie Acte, menée par la chorégraphe Annick Charlot. L’enjeu était de rapprocher patients et personnels autour d’un projet artistique décliné sur plusieurs sites, tout en proposant une ouverture sensible sur l’univers de la danse contemporaine. La présence des artistes a permis à tous de les observer, de les rencontrer, de se distraire, d’échanger au fil de séances de travail à vue et de cafés-dansés. Des ateliers d’écritures ont permis aux patients une expression ludique et poétique autour de ces journées. Une artiste peintre a également présenté une série de tableaux sur le thème de la danse. Les patients ont ensuite été invités à découvrir la création qu’ils ont vu naître lors de huit représentations données pour la Biennale de la danse de Lyon en septembre 2010. Le projet a débuté en mars 2010 en accueillant les danseurs de la compagnie Acte successivement sur les trois sites de la clinique pour des incartades dansées dans les couloirs, les salles de rééducation, les chambres, le restaurant, le jardin… des moments de dialogues impromptus et de partage avec les patients, le personnel, les familles, ainsi que de vidéoconférences dans les salons des établissements. Aux mois de mai et de juin, les danseurs sont revenus en résidence sur les sites pour créer et répéter en vue de la nouvelle création de la compagnie Acte, « Lieu d’être », Manifeste chorégraphique pour les grands ensembles, les cités populaires et utopiques. À la fois œuvre chorégraphique et résidence participative in situ, « Lieu d’être » est un projet artistique singulier créé pour être adapté dans des lieux d’habitat collectif avec les personnes qui y vivent et dans le projet d’offrir à tout un chacun la possibilité d’assister et de participer à la fabrication d’un spectacle singulier en chaque lieu. Contact : Clinique Iris Corinne Klein, chargée du projet [email protected] Des images et des vidéos de Lieu d’être sur www.compagnie-acte.fr Pâquerettes et Cie Centre hospitalier spécialisé de Savoie, Bassens Octobre 2006 - juin 2007 Théâtre Le CHS de la Savoie et la Cie de théâtre les Yeux Gourmands, hébergée sur le site de l’hôpital, en lien avec de nombreux partenaires ont mis en place un projet intitulé « Pâquerettes et Cie » d’octobre 2006 à juin 2007. Il s’agissait ici de prolonger une initiative menée en 2006 par la compagnie de théâtre « Les Yeux Gourmands » sur le ramassage des pâquerettes, petites fleurs éphémères qui tapissent le parc de l’hôpital en période printanière. L’originalité de cette année culturelle a été la constitution d’une chorale intersectorielle REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 91 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S réunissant des patients au long cours, d’origine et d’horizon différents. Un temps fort d’une semaine permit, malgré la pluie, de réunir la quinzaine d’ateliers artistiques impliqués dans le projet (écriture, chants, arts plastiques…). Le personnage « ramasseuse-cueilleuse », accompagné d’instrumentistes, partit à la découverte des promeneurs, des pavillons et des flâneurs. Ce fut l’occasion de rencontres, souvent intimistes, entre ce mystérieux personnage et des patients fragilisés. L’ouverture du parc au public se fit dans le cadre des « Rendez-vous aux Jardins ». Un DVD a été réalisé par les étudiants de l’ENAAI. Il retrace cette semaine de rencontres insolites entre Ana Sansai, les patients, les scolaires et le public venant à l’hôpital. Cette expérience artistique a été riche pour les patients, les soignants et un public élargi, comme le montre le film. Contact : CHS de Bassens - Anne-Gaëlle Lassaut Déléguée communication culture BP 1126 - 73011 Chambéry Cedex Mail : [email protected] 04 79 60 51 65 Soigner les soignants CHR Metz-Thionville, acteur de la Nuit Blanche à Metz Pour sa seconde édition, le 2 octobre 2009, la Nuit BlancheMetz a proposé aux noctambules un parcours inédit de 2,2 kilomètres reliant l’ancienne à la nouvelle ville. Avenues, boulevards, places, façades, lycées, hôpital, institutions culturelles et politiques ont accueilli plus de 70 événements plastiques, musicaux, vidéos, et chorégraphiques. La Ville de Metz a offert une promenade continue où les noctambules ont pu être séduits par des événements contemporains. Découvrir Metz autrement grâce à cette immense scène dédiée à la création contemporaine. Le CHR Metz-Thionville a été un véritable acteur dans la programmation, une première pour la Ville et l’établissement. Un artiste a été accueilli en résidence à l’hôpital BonSecours d’août à septembre 2009. L’artiste, Philippe Zunino, a rencontré le personnel qui le souhaitait, a visité les services afin de réaliser huit courts métrages, création collective et originale, combinant visuel et bande sonore : « Soigner les soignants » en disposant des « placebos artistiques ». Le choix de l’artiste s’est posé sur : 92 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 - Les équipes de nuit… pour les ambiances sonores et particulières - L’onco-esthéticienne… pour l’image des corps, des visages - L’équipe de soins palliatifs… pour le ton juste, les regards, face à la fin de vie - Le personnel de bloc opératoire… pour l’image technologique et peu connue et visible du grand public - Les kinésithérapeutes et les brancardiers… pour la prise en charge du corps meurtri et pour le transport des malades - Les convoyeurs… pour l’arrivée des repas dans les chambres des malades - Les pharmaciens et préparateurs en pharmacie… pour l’effet « placebo » artistique - Les secrétaires en pédiatrie… pour les échanges, l’accueil d’un aspect administratif. Ces films ont été diffusés lors de la Nuit Blanche sur des bornes collectives et écran devant l’hôpital Bon-Secours afin d’appréhender l’hôpital sous un autre regard. Ouvrir les portes de l’hôpital sous un angle artistique montre l’importance de la culture à l’hôpital et de l’ouverture de l’hôpital vers la ville. Cette édition de la Nuit Blanche a connu un vif succès auprès de la population de l’agglomération messine. La mémoire des patients, l’image des soignants Une exposition de Stanislas Amand autour des archives photographiques et de la reconstruction de l’hôpital de Chambéry Le centre hospitalier de Chambéry s’est engagé depuis 2009 dans le projet de construction d’un nouvel hôpital pour CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S remplacer l’actuel bâtiment Jacques-Dorstter (abritant les activités de médecine chirurgie obstétrique). Le financement de ce projet s’inscrit dans le cadre du Plan Hôpital 2012. Les travaux débutent en 2011 avec, dans un premier temps, la démolition de l’ancienne maternité et de la clinique St-Joseph, et s’échelonneront jusqu’à 2015 pour la mise en service du nouvel hôpital. Les activités MCO seront regroupées sur le site principal en liaison avec les bâtiments existants (Eveillon, Tétras) pour recomposer un site homogène et fonctionnel en plein centre de Chambéry. Dans le cadre de son programme culturel, et en partenariat avec la Cité des arts, le centre hospitalier de Chambéry a mis en place une résidence d’artiste autour de la mémoire photographique de l’établissement. Nous avons demandé à Stanislas Amand de revisiter les archives photographiques dans ce contexte de démolition et de reconstruction architecturale. Les archives photographiques aident à passer d’un lieu à un autre en se souvenant collectivement de l’histoire de l’architecture détruite, en essayant de la sauvegarder dans l’architecture nouvelle. Les photographies du personnel, des patients ainsi que les photographies des lieux nous disent comment ceux qui nous ont précédés envisageaient leurs relations mutuelles, dans un contexte architectural précis. Elles révèlent aussi la fragilité de la mémoire qui n’est pas ce que l’on a vécu, qui n’est pas ce dont on se souvient, mais comment on s’en souvient au moment où on les regarde. Stanislas Amand est diplômé en urbanisme, ancien élève de l’école nationale supérieure de la photographie et ancien pensionnaire de la Villa Medicis à Rome. Il développe depuis cinq ans un travail sur les images d’archives ainsi qu’une correspondance imaginaire, associant textes et images, ayant pour destinataire une galeriste, quelquefois un urbaniste ou un politique, aujourd’hui potentiellement un médecin. Le photographeécrivain a débuté ce travail en juillet 2010, avec une première phase de recherche et de collecte d’images (de diverses origines : fonds photos de l’hôpital, archives des sœurs du Couvent de la Charité, photos d’anciens membres du personnel). Très vite, il a décidé d’ouvrir la collecte initialement photographique, aux objets de l’hôpital (en particulier certain mobilier de l’ancienne maternité). À la suite des Lettres à une galeriste, un nouveau projet intitulé Lettres à un médecin, initié aux hôpitaux universitaires de Genève s’est aussi développé lors de cette résidence à l’hôpital. Ces correspondances oscillent entre légendes, récits de ce que l’artiste a vécu à Chambéry, et réflexions tous azimuts, ouvrant sur des champs très variés. Le fruit de ce travail a été présenté en janvier 2011 au cours d’une exposition mêlant objets, photographies, et textes se déployant sur trois sites : l’hôpital, la Cité des arts et les colonnes Morris de la ville. Ce projet a permis d’initier un cycle de résidences artistiques et d’expositions à l’hôpital qui va se poursuivre jusqu’à la mise en service du nouvel établissement. Contact : Thomas Micoulet, chargé de projets culturels [email protected] 04 79 96 50 08 En partenariat avec la Cité des arts et la Ville de Chambéry. Avec le concours de JC Decaux Avec le soutien : du ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Rhône-Alpes, de l’Agence régionale de santé Rhône-Alpes et de la Région Rhône-Alpes, dans le cadre du programme régional « Culture et Hôpital » ; du Conseil général de Savoie, de Chambéry Métropole. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 93 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Le Musée se découvre à l’hôpital Anne Riou, Attachée culturelle, CHU d’Angers La découverte de la collection du musée des Beaux-Arts et du musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers par les patients du CHU d’Angers La découverte de la collection du musée des Beaux-Arts et du musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers par les patients du CHU d’Angers. Reproduction du diptyque Empreintes de pinceau n° 50 répétées à intervalles réguliers de 30 cm de Niele Toroni (Reproduction 1937), présentée dans un couloir de l’unité d’hospitalisation de semaine du département d’Endocrinologie Diabètes Nutrition © Cellule Audiovisuelle – CHU Angers personnes hospitalisées en hospitalisation conventionnelle et hospitalisation de semaine, consultants, personnel hospitalier et visiteurs et accompagnateurs, soit près de 12 000 personnes par an. Comité de sélection du département Endocrinologie Diabètes Nutrition en visite au musée des beaux-Arts © Service culturel des publics du musée d’Angers Les musées d’Angers réunissent cinq musées d’art dont la diversité des collections – peintures, sculptures, objets d’art, tapisserie, art textile, antiquités… – témoigne de la richesse artistique de la ville et participe à son rayonnement. Hébergés dans des lieux patrimoniaux uniques, les musées d’Angers accueillent tout au long de l’année des expositions temporaires qui mettent en lumière artistes contemporains et expositions patrimoniales. Une programmation culturelle riche et variée (conférences, spectacle vivant, danse, animations pour les enfants…) propose un autre regard sur le musée qui favorise la croisée des arts et facilite la rencontre avec les œuvres. Le partenariat entre les Musées et le CHU d’Angers existe depuis novembre 2007, grâce à un accrochage de reproductions d’œuvres du musée, et perdure encore aujourd’hui à l’aide de visites organisées au musée Jean-Lurçat pour les personnes hospitalisées dans le département d’endocrinologie – diabètes – nutrition (Pr Rohmer). Le public concerné est constitué de 94 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 « Le musée se découvre à l’hôpital » est une action unique en France, menée par le service culturel pour les publics des musées, le département d’endocrinologie, diabètes et Nutrition et le service des actions culturelles du CHU. Les deux établissements (CHU et Musées) se sont retrouvés autour d’objectifs convergents : « favoriser l’accès à l’art pour un large public » et « améliorer l’environnement des usagers du CHU à travers un projet culturel ». Le dénominateur commun de ce partenariat est la personne hospitalisée devenant un même jour patient et visiteur. Cette action a consisté en l’accrochage de 96 reproductions d’œuvres des musées d’Angers dans les espaces d’accueil, les couloirs des unités, les offices et les chambres des patients du département de soins. Ces installations proposent aux usagers et aux hospitaliers un parcours dans l’art, tout en restant dans un environnement de soins. Les œuvres ont été sélectionnées par des membres du département d’endocrinologie-diabètes-nutrition (médecins, infirmières, aides-soignantes, secrétaires…), qui se sont déplacés au musée des Beaux-Arts pour découvrir la collection. À l’aide d’un livret-catalogue, le patient peut découvrir de façon autonome les œuvres présentées et leur histoire. Et, quand le temps le permet, le personnel devient médiateur CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S entre le patient et l’œuvre, apportant quelques explications sur le projet et les peintures. Tous les voyages sont permis, de l’art contemporain aux natures mortes du XVIIe siècle, des paysages italiens aux bords de mer de l’Atlantique… Une fois l’hospitalisation terminée, il suffit de traverser la Maine pour découvrir les œuvres originales. Pour le service de soin, la présence de reproductions d’œuvres d’art est un déclencheur permettant la discussion et l’échange autour et sur les peintures et sculptures et de dépasser ainsi les rôles soignants/soignés. C’est une échappatoire au quotidien hospitalier permettant de s’ouvrir sur le monde et de s’évader : l’œuvre devient cette fameuse fenêtre ouverte sur le monde, un ailleurs au-delà de l’hôpital. Ce sont plus de 12 000 personnes par an qui découvrent les reproductions d’œuvres d’art présentées dans le service. Un partenariat sur la durée : Depuis l’installation des reproductions dans les services, les musées d’Angers proposent aux patients en hospitalisation de semaine dans le département de soins de suite et de soins de longue durée une visite du musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie Contemporaine. Le musée, situé à 500 m du CHU, est accessible à pied. Cette distance courte permet aux personnes atteintes de diabète de type 1 et 2 et d’obésité de réaliser une activité physique tout en découvrant des œuvres d’art originales dans un site exceptionnel. Ou comment allier plaisir et nécessité. Un tel projet invite à inventer, à créer une dynamique où chaque structure reste à sa place, dans son territoire, tout en créant de l’inédit, de la nouveauté qui, même si elle peut déstabiliser, est fédérateur. Partenaires : Ce projet a été conduit par les musées et le CHU d’Angers, grâce au précieux soutien de la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire, la Caisse d’Épargne des Pays de la Loire, l’institut Lilly et l’association Entr’Art. Témoignage concernant les visites au musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine de Jeanne B., infirmière thérapeutique La majorité des patients ne connaissent pas les œuvres présentées dans le service ni le musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine, ils se rendent compte que l’on peut aller au musée de façon très simple. L’action « le musée se découvre à l’hôpital » améliore la qualité de la relation soignant/soigné. Durant les visites au musée Jean Lurçat et de la Tapisserie contemporaine, le soignant n’est plus celui qui sait, en se disant qu’il va montrer comment il faut faire au patient. Le soignant est avec le patient, il fait avec lui et fait comme lui. C’est très riche (…) Ce projet est fédérateur de discussions. Cela crée des liens et ce sont des liens qui sont indispensables pour pouvoir soigner. C’est une expérience très riche pour moi car je fais de l’éducation thérapeutique et ici, j’apprends à connaître autrement les patients, on a alors une expérience commune. On peut en reparler pour arriver vraiment aux soins. La découverte. Instantané, instants chorégraphiés CHU de Grenoble - 2009-2010 Danse « Commencer une discussion avec François Veyrunes, c’est arriver au milieu d’une phrase en train de se construire. Assister à un spectacle du chorégraphe et de sa Compagnie 47•49, c’est avoir le sentiment d’être à bord d’un train qui suit son chemin et d’attendre une surprise différente à chaque gare… À la manière d’un cinéaste, François définit son cadre et choisit ses plans, comme pour nous dire : ce que je vous montre est un choix, le mien ; à vous spectateurs de poursuivre votre travail en imaginant ce qui se joue hors cadre, dans cet espace et dans le temps. » P. Lecarme - Janvier 2008. Visite d’un groupe de patients du département d’endocrinologie - diabètes nutrition au musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine © Mathieu Delallle À travers chacune de ses propositions chorégraphiques, François Veyrunes s’acharne à débusquer et rendre lisibles les forces de vie à l’œuvre dans les relations humaines : comment REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 95 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S au cœur du sujet ce travail ne peut laisser insensible. Chaque répétition, chaque spectacle in situ se révèle comme une formidable opportunité d’une rencontre improbable entre artistes, patients, professionnels et usagers de l’hôpital. Il suffit alors de se laissait surprendre pour partager ensemble des propositions artistiques sensibles et poétiques mettant en jeu le langage du corps. François Veyrunes interviendra une nouvelle fois en novembre 2011 dans le cadre de l’achèvement des travaux de l’Hôpital couple enfant ave l’ouverture au public d’un grand hall d’accueil faire apparaître ces énergies avec le langage du corps et les fondamentaux de la danse (temps, espace, musicalité, rythme, poids…) ? Il choisit de chorégraphier l’effet plutôt que faire la démonstration des causes. Cela le conduit à écrire une danse qui donne à voir l’être et non le paraître. Une danse radicale et directe, simple et dépouillée, sans esbroufe ni pathos ou sensiblerie, mais sensible, drôle et parfois cocasse. Depuis novembre 2009, la Compagnie 47*49 - François Veyrunes, s’est déjà installée à trois reprises pendant trois jours consécutifs dans les différents espaces publics du CHU de Grenoble (hôpital couple-enfant, Hôpital Sud, hôpital Michallon). Lieux de passage, lieux d’attentes… les espaces publics de l’hôpital connaissent une forte fréquentation. Personnels, patients, visiteurs… tous se croisent ici. En œuvrant in situ, François Veyrunes nous aide à porter un autre regard sur un espace particulier. À chaque intervention Philippes Veyrunes son frère, plasticien-éclairagiste, intervient en amont et modifie la couleur de l’éclairage de l’espace. Cette transformation permet de mieux guider le public vers l’action artistique. Éclairage transformé, espace modifié, le public est ainsi confronté directement au travail corporel accompli par les danseurs. À l’hôpital, lieu où le corps est plus que jamais Contact : Sylvie Bretagnon - Chargée des affaires culturelles CHU de Grenoble Courriel : [email protected] Devenir. Adolescences exposées CH Le Vinatier - La Ferme du Vinatier, Bron 2005-2006 Exposition de société Au cours de la saison 2005-2006, la Ferme du Vinatier a élaboré et diffusé une programmation culturelle et scientifique autour de la figure contemporaine de l’adolescence, pure construction sociale qui concerne désormais une large population (les 12-25 ans). Les comportements excessifs et les pratiques propres à cette classe d’âge suscitent des sentiments contradictoires et capte toutes les attentions, qu’elles soient médiatiques ou politiques. Dès lors, l’adolescence permet d’explorer conjointement des phénomènes de société, des pratiques culturelles et la psychiatrie. L’exposition de société « Devenir – Adolescences exposées » constituait la composante majeure de ce projet. Plus de 3 000 visiteurs ont découvert ou (re)parcouru ce chemin chaotique de l’adolescence où s’acquièrent des repères de socialisation et où s’affirme une identité encore fragile, état singulier dont le principal témoin est le corps, la relation qu’entretient l’adolescent ou la société et les médias avec celuici. Du point de vue du lieu de soins, on s’est interrogé aussi sur des menaces qui pèsent sur les adolescents et peuvent les amener à « dépasser les bornes », donc à sortir de la culture, et 96 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel Lyon 8e, Centre Romans Ferrari, CNC Images de la Culture, Télé Suisse Romande, Arrêt sur images (France 5), Association ACFDJ, musée AP-HP. Avec la participation de : Revue « Adolescence », « Sciences de l’Homme » et « Santé mentale », éditions « La maison d’à côté » Avec le soutien : Du ministère de la Culture et de la communication-Drac RhôneAlpes, de l’Agence régionale de l’hospitalisation Rhône-Alpes, de la Région Rhône-Alpes, du Département du Rhône. Contact : Isabelle Begou - Chef de projet Mail : [email protected] Contosa Orcet - Château d’Angeville - Helios (CPA), plateau d’Hauteville-Lompnes 2009 Vidéo - conte Dispositif original d’interactivité entre un conteur et des projections de films (les visages des patients) sur masques, à se retrouver seuls avec une souffrance qui n’a de sens pour personne, pas même pour eux. De fait, il convenait d’expliquer à tous les publics les pathologies ou les actes pathologiques spécifiquement liés à l’adolescence (suicide, anorexie, automutilation…), ainsi que les moyens de leur prévention. Plus stimulante que didactique, plus foisonnante que démonstrative, l’exposition « Devenir – Adolescences exposées » a rappelé que l’adolescence n’est en aucun cas une maladie mentale et a souligné les correspondances entre les rituels traditionnels, les pratiques culturelles et les manifestations psychopathologiques. « Devenir – Adolescences exposées », du 18 octobre 2005 au 13 juillet 2006, exposition conçue, réalisée et diffusée par la Ferme du Vinatier – CH Le Vinatier Avec la collaboration de : Muséum du Rhône, Centre familial de Jeunes de Vitry, Centre Jean Abadie (Bordeaux), Ville de Villeurbanne – Service hygiène et santé publique, ADES du Rhône (Association Départementale d’Éducation pour la Santé), Département d’hospitalisation pour adolescents Hubert Flavigny (CH Le Vinatier, Bron), Unité d’hospitalisation pour adolescents Ulysse (hôpital St Jean de Dieu, Lyon), Centre REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 97 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S L’art dans l’hôpital 3 bis f - Lieu d’arts contemporains, Résidences de création et de recherche Contosa est un projet culturel réparti sur trois établissements d’Hauteville Lompnes : Orcet, Angeville, Helios (CPA) et à Bourg-en-Bresse, avec le service DAT du CPA. Ce projet a été l’occasion pour plus d’une centaine d’adultes hospitalisés à Hauteville et au Centre Psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse, de participer à l’aventure d’une création culturelle. La troupe de l’Enelle (Lamine Diagne, musicien et conteur, et Éric Massua, musicien et vidéaste) a accueilli dans la salle des Fêtes d’Hauteville les patients pour créer un conte joué, filmé et projeté sur de grands masques au milieu du public, en interaction avec les acteurs sur scène. Comme au cours des 8 sessions, étalés sur 8 mois, les patients étaient presque tous différents, il y a eu un passage de « flambeau » : le conte a été joué aux nouveaux venus, et les participants, chaque jour pendant les 8 semaines, ont participé à des ateliers d’expression théâtrale, puis à des « rondes de contes » pour petit à petit continuer la trame du conte ; chaque épisode retenu a été filmé. La création a été jouée au musée du Bugey-Valromey, dans le cadre de la nuit de la Chauve-Souris et au Festival de l’Éphémère à Hauteville. Un DVD a été gravé pour chaque patient, rassemblant les trois spectacles et le making off. Contact : Pierre-François Grimal, infirmier [email protected] - 04 74 40 42 00 98 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 Petite Histoire du 3 bis f Lieu d’arts contemporains atypique, le 3 bis f est situé dans les murs de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence. Le 3 bis f était un lieu d‘hospitalisation fermé, un pavillon de force - lieu d’enfermement - pour femmes (d’où le “f”). Le 3 bis f dans sa spécificité de structure dédiée aux arts contemporains privilégie le long terme en tenant à ses choix de créations contemporaines. L’ancien pavillon de contention pour femmes, est devenu lieu de circulation, [il est parcouru d’un long couloir pan acoustique (qui permettait la surveillance auditive)] et de création en se dotant d’une résidence où peuvent séjourner plasticiens comédiens et danseurs invités à travailler pour des durées variant de quelques semaines à deux ans. Une grande part de l’originalité de ce projet naît de la confrontation et du mélange des univers d’artistes, de patients, de professionnels de l’art, de personnel médical, de travailleurs sociaux et du public. Par sa programmation singulière, le 3 bis f cherche à ouvrir de nouveaux territoires d’exploration aux arts visuels, au théâtre, à la danse, et ainsi faire se confronter des questions concernant la folie, la culture et l’art. CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Donner accès à tous afin que chacun participe à la richesse du maillage Le 3 bis f, au travers de ses résidences, ateliers, et programmation articule le couple fragile « art et société » en luttant contre les inégalités d’accès à la culture (maladie, handicap, ruptures sociales…). Il réunit des professionnels et futurs professionnels en matière d’art, des métiers de la culture, des métiers de la santé, pour poser un regard sur l’existant et imaginer de nouvelles façons de fonctionner, de nouer des relations, de développer des projets. Le 3 bis f tisse alors des chaînes de savoirs, de rencontres, par lesquelles se transmettent de nouveaux outils de pensée, de diffusion artistique et où se construisent de nouvelles circulations de l’art. Ces expériences originales mettent aussi l’accent sur l’importance du développement d’une « culture de proximité ». Il inclut ainsi en particulier, la participation, la création et l’implication personnelle de ceux souvent exclus de ce genre de dispositif. Articulation du projet avec les institutions et les structures extérieures Une convention entre l’hôpital et l’association Entr’Acte*, gestionnaire du 3 bis f, assure depuis 1983 de façon continue un soutien fort (espaces, fluides, personnel soignant mis à disposition), tout en favorisant un projet artistique spécifique, sans exigence médicale. Cette stabilité du projet a ainsi favorisé l’apport des autres collectivités territoriales par la signature de conventions avec le Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône, la Direction Régionale des Affaires Culturelles, l’Agence Régionale d’Hospitalisation, la Ville D’Aix-en-Provence, la Communauté du Pays d’Aix aussi bien en matière de création artistique, que d’actions culturelles, reconnaissant le pont tendu entre les publics, les terrains, et les démarches artistiques. Le 3 bis f est membre de l’association française de développement des centres d’art qui contribue à mettre en réseau et à fédérer les centres d’art en France avec leurs différences de statuts et de programmations http://www.dcaart.com en matière d’arts visuels. Par ailleurs, le 3 bis f reçoit des stagiaires de toutes disciplines et sert de support à des recherches universitaire que ce soit en matière de santé, d’art, de médiation… Travaillant en lien avec l’évolution des conditions de production et de recherche de la création contemporaine, il développe des partenariats avec des structures et des projets dans la région et hors région, favorisant des co-productions et la diffusion des œuvres et ainsi ouvrant l’hôpital vers l’extérieur, et vice versa. Un outil de diffusion artistique public Les projets portés par le 3 bis f proposent de faire l’expérience de la création à travers l’ouverture et l’expérience artistique, REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 99 CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Chacun trouve une place au sein du collectif qui se met en place et s’inscrit dans « une histoire » commune. L’art de notre époque a plus de possibilités pour rendre compte de la complexité de notre monde, mais aussi des recherches, tâtonnements d’écriture de l’avenir. Dans ce temps et cet espace unifié (résidences à l’année, durée d’un projet), les artistes travaillent avec des conceptions, des formalisations, des perceptions de l’espace différentes : espace social, espace individuel, espace de « transgression ». Ils forment des groupes de recherche parfois des « collectifs de création » avec tous les publics du 3 bis f. L’hôpital psychiatrique, lieu d’ancrage, nourrit et teinte ces recherches. initiée par le questionnement de l’artiste et vouée à être partagée par tous. Ses résidences de création artistique contemporaine accueillent des artistes jeunes et des artistes confirmés dans les domaines artistiques divers. Terrain de recherche et d’expérimentation artistique et culturel, il travaille à sensibiliser les publics via des ouvertures sur les projets de création, des médiations, des rencontres autour et à travers des ateliers de pratiques artistiques (workshops), des créations ouvertes, des expositions, des conférences. Ce lieu d’expérimentation artistique et de professionnalisation des artistes, nécessite la présence d’une équipe permanente, au sein d’un hôpital psychiatrique en activité, et offre la possibilité de recevoir des publics différents et d’opérer un brassage des curiosités et des recherches. Les artistes en résidence de création ont choisi un mode d’ouverture de leur démarche artistique. Ils cherchent à expérimenter, échanger, rencontrer, mais aussi apprendre des autres. L’enjeu est de faire l’art avec tous et de travailler à la disparition des champs d’exclusion, celui de la maladie mentale notamment par la médiation de la pratique artistique proposée directement par les artistes et à l’intention des personnes hospitalisées comme du public de la cité. 100 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 La création artistique s’inscrit, en effet, nécessairement en lien avec la réalité de l’hospitalisation. Celle-ci impacte directement et indirectement les conditions de la réalisation de l’œuvre et implique la possible transformation des rapports entre l’intérieur et l’extérieur de l’hôpital. Cependant chaque démarche et œuvre créée conservent son identité et son originalité. Contact : Sylvie Gerbault, Directrice 3 bis f [email protected] CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S Le Corps Transparent L’imagerie médicale ou l’obscure transparence du corps Novembre 2008 Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille Des créations artistiques Des cartes blanches données à des artistes régionaux (danse contemporaine, théâtre, musique) qui ont réalisé des créations artistiques en lien avec la thématique et diffusées sur le plateau du théâtre Le Merlan et à l’Espace Éthique Méditerranéen. Les artistes ayant proposé ces créations originales étaient : Marion Baë, François Cervantes - Compagnie l’Entreprise, Erik M. L’exploration du corps est au cœur des préoccupations médicales, scientifiques, artistiques et sociétales. Depuis quelques décennies, les techniques d’imageries médicales se sont profondément améliorées et diversifiées, révolutionnant notre rapport au corps, les pratiques de soins et la prise en charge des patients. Des organes, autrefois inaccessibles, peuvent aujourd’hui être explorés et rendus visibles par de nombreuses approches. Désormais, l’imagerie médicale permet d’avoir une démarche pronostique voire prédictive. Comment ces nouvelles images, dont la vocation première est médicale, viennent-elles bouleverser nos représentations et la perception que nous nous faisons de notre corps ? La manifestation « Le corps transparent », qui s’est déroulée en novembre 2008, a tenté de questionner cette problématique, au travers d’une programmation culturelle, artistique et scientifique en proposant une réflexion transversale et pluridisciplinaire sur l’imagerie médicale. Pour concevoir et mettre en œuvre ce projet, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille a travaillé avec un équipement culturel du territoire emblématique : Le Merlan Scène Nationale à Marseille. En interne, différents services ont été réunis autour de cette action : l’Espace Éthique Méditerranéen, le pôle imagerie médicale et le service des affaires culturelles permettant ainsi de susciter des réflexions transversales au sein de l’Institution. Des rencontres pluridisciplinaires Elles ont réuni des médecins, chercheurs, anthropologues, artistes, philosophes autour de tables rondes sur des thématiques telles que les enjeux éthiques de l’image du corps, la transparence du corps à la découverte du fœtus en gestation : réflexion sur l’échographie prénatale… Ces rencontres, ouvertes au grand public, se sont déroulées à l’Espace Éthique Méditerranéen et à la Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de Marseille. Une programmation cinématographique Le Festival International du Documentaire de Marseille a élaboré une programmation cinématographique proposée au grand public dans un cinéma d’art et d’essai de la Ville « Les Variétés ». Pour conserver une trace de cette manifestation, un numéro spécial de la revue de l’Espace Éthique Méditerranéen a été consacré à cet événement en 2009, donnant la parole aux acteurs scientifiques, médicaux, artistiques impliqués dans ce projet. Favoriser l’information et la sensibilisation du public à l’évolution des technologies de l’imagerie médicale, aux questions éthiques, médicales, sociétales, culturelles et artistiques qu’elles soulèvent et aux impacts que ces technologies sur la relation que chacun entretient avec son corps ; tels ont été les objectifs du projet. Ce projet a reçu le soutien financier de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, Le Merlan Scène nationale à Marseille, l’Association des Directeurs d’Hôpitaux, le Ministère de la Culture et de la Communication, la Direction Régionale de la Recherche et des Technologie, le Conseil Régional PACA. Contact : Sophie Bellon-Cristofol Attachée Culturelle Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille Tel : 04 91 38 97 43 [email protected] REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011 101 Société française d’Histoire des Hôpitaux Madame, Monsieur, Chers collègues, La Société Française d’Histoire des Hôpitaux a programmé la parution, dans son numéro 141, qui doit paraître en octobre 2011, d’un dossier d’une vingtaine de pages consacré à l’ébauche d’un « Musée Imaginaire Hospitalier » L’objectif de cette initiative est simple. Le monde de la santé, et celui des hôpitaux en particulier, dispose de lieux de souvenir et de conservation d’objets, qu’il s’agisse de Musées organisés mais aussi de simples dépôts dans des services hospitaliers. Ces objets sont emblématiques de la fonction soignante ou sont en lien avec l’histoire politique, sociale, économique et technologique des établissements hospitaliers ou des lieux d’hébergement. Or, l’ensemble de ces collections est dispersé sur le territoire, difficilement accessible ou insuffisamment mis en valeur. Par conséquent, ce Musée Imaginaire serait celui du rassemblement virtuel des objets les plus prestigieux ou les plus représentatifs sur le plan historique ou scientifique des collections qui sont sous votre sauvegarde. J’ai bien conscience qu’un tel dossier, modeste dans son volume, serait probablement bien insuffisant pour rendre compte de la richesse mobilière et instrumentale des hôpitaux. Il est permis de penser que ce dossier puisse constituer, ensuite, un ouvrage entièrement dédié a ce thème du Musée Imaginaire Hospitalier et dans lequel une riche iconographie côtoierait des articles de qualité sur la muséologie hospitalière ainsi que sur les évolutions qui se dessinent en la matière. Je serais donc très heureux si vous pouviez contribuer à cette initiative en me communiquant quelques photographies (trois à quatre au maximum) représentant les objets que vous retiendrez en priorité dans vos collections, aussi bien religieux que laïcs, artistiques et décoratifs ou usuels et scientifiques, anciens ou contemporains. L’idéal serait que ces clichés soient accompagnés d’une légende explicite sur l’histoire de ces objets, d’une analyse artistique ou tout simplement d’une description de leur usage. Je vous remercie infiniment pour votre collaboration Il conviendrait, si vous en êtes d’accord, que vous puissiez transmettre les documents sélectionnés avant le 31 août 2011, au Directeur de la publication de la revue, Bernard Belaigues, de manière à ce qu’il puisse, en lien avec le Comité de Rédaction, constituer et présenter a votre agrément une maquette du dossier - Adresse email : [email protected] - Adresse postale : Bernard Belaigues - AP-HM, 80, rue Brochier - 13354 Marseille cedex 05 Le Président Jean-Paul Ségade PRIX de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux Concours 2012 L a Société Française d’Histoire des Hôpitaux organise, en partenariat avec l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris, son XXVIe concours destiné à encourager la connaissance de l’histoire des hôpitaux proprement dite et plus largement de l’histoire de l’assistance – de la bienfaisance et de la charité – aux origines de l’institution hospitalière. L’attribution des prix aura lieu au cours du premier semestre 2012. Peuvent concourir les auteurs de travaux en langue française, universitaires ou non, rédigés, publiés ou soutenus après le 1er janvier 2008. Afin d’encourager la recherche, les travaux universitaires couronnés font l’objet de prix en espèces dotés par le mécénat hospitalier. Les travaux doivent être déposés en trois exemplaires auprès du service des Archives de l’AP-HP. La date limite de dépôt des candidatures est fixée au 31 octobre 2012. Les travaux sont à adresser à : Archives de l’AP-HP - Coordination du concours SFHH 7, rue des Minimes - 75003 Paris Tél. 01 40 27 50 77 - Fax : 01 40 27 50 74 - Courriel : [email protected] Site internet : www.archives.aphp.fr Toute demande de renseignements peut également être obtenue auprès de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux 1 résidence Sus-Auze 84110 Vaison-la Romaine - Tél : 06 19 79 55 17 - Courriel : [email protected] Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh NÇAISE D ’ RA HOPITAUX ES STOIRE D HI CIETE SO F REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE CONCE P TION & RÉ ALISATION : DE BUSSAC - www.gdebussac.fr - juin 2011 FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES HÔPITAUX Société Française d’Histoire des Hôpitaux Siège social : Fédération Hospitalière de France - 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS cedex 14 CCP 1 556 69 L Paris Adresse de gestion : 1, résidence Sus-Auze - 84110 Vaison-la-Romaine Tél. : 06 19 79 55 17 - Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh - Courriel : [email protected] Peuvent faire partie de la Société aussi bien les personnes physiques que les personnes morales : conseils d’administration des hôpitaux, organismes de recherches, bibliothèques, institutions, etc. REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE TARIFS ANNUELS D’ABONNEMENT au 1er janvier 2011 (Nombre de numéros de la revue publiés : 3 par an) Établissements hospitaliers : - Jusqu’à 200 lits, Centres hospitaliers. Maisons de retraite (1 exemplaire) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 € - Centres hospitaliers de 201 à 1 000 lits (2 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 € - Centres hospitaliers de plus de 1 000 lits (3 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 € - CHU-CHR (4 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 400 € - AP + HCL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600 € Autres : - Membres bienfaiteurs au-delà de . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 € Pour adhésions et abonnements : S.F.H.H. - 1, résidence Sus-Auze - 84110 Vaison-la-Romaine Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh - Courriel : [email protected] Les chèques doivent être libellés à l’ordre de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux à l’adresse ci-dessus. Centralisation de la facturation : Techniques hospitalières : service abonnement, Fédération Hospitalière de France 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS cedex 14 Tél. 01 43 13 39 00 - Fax 01 43 13 39 01 CONCE P TION & RÉ ALISATION : DE BUSSAC - www.gdebussac.fr - juin 2011 Individuels : - France métropolitaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 € - Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 € - Hors Europe et DOM-TOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 €