La culture à l`hôpital - AP-HM

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La culture à l`hôpital - AP-HM
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
NUMÉRO SPÉCIAL
La culture à l'hôpital
FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE - FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES HÔPITAUX
NUMÉRO SPÉCIAL 140 - JUIN 2011
Société française
d’Histoire des Hôpitaux
Adresse de gestion
1, résidence Sus-Auze - 84110 Vaison-la-Romaine
Tél. : 06 19 79 55 17 - Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh - Courriel : [email protected]
Siège social
Fédération Hospitalière de France - 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS CEDEX 14 - CCP PARIS 1556-69 L
Président fondateur
Jean IMBERT
Présidents d'honneur
Maurice ROCHAIX
Professeur de l'université de droit de Paris émérite. Membre de l'Institut
Membre fondateur
Inspecteur général des affaires sociales honoraire
Jean FAVIER
Historien. Membre de l'Institut
Marie-José IMBAULT-HUART
Professeur d'histoire de la médecine honoraire
CONSEIL D'ADMINISTRATION
Bureau
Président
Jean-Paul SÉGADE
Vices-Présidents
Yves BAILLE
Directeur général de CHU
Conservatoire du patrimoine médical de Marseille
René TOURNIER
Directeur d'hôpital honoraire
Secrétaire général-Trésorier
Jacques BRUNIER
membres du bureau
Cédric ARCOS
Directeur d'hôpital honoraire
Directeur d'hôpital, représentant la Fédération hospitalière de France
Yann BUBIEN
Conseiller auprès du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé
Daniel GERMAIN
Professeur de médecine honoraire
Administrateurs
Bernard BELAIGUES
Directeur d'hôpital
Jean-Louis BLANC
Professeur de médecine
Lucile GRAND
Conservatrice en chef du patrimoine. Service
interministériel des Archives de France.
Ministère de la culture et de la communication
Gérard DESBORDE
Patrick KEMP
Jacques DESCHAMPS
Pierre-Louis LAGET
Conseiller de chambre régionale des comptes
Directeur d'hôpital honoraire
Olivier FAURE
Professeur d'histoire.
Université Jean-Moulin Lyon 3
Bruno FRANÇOIS
Chargé de mission pour le patrimoine
hospitalier. Agence régionale de santé
Bourgogne
Jacques FREXINOS
Professeur de médecine honoraire
Chargé du Patrimoine. CHU de Lille
Chercheur. Service du patrimoine culturel.
Conseil régional Nord-Pas-de-Calais
Anne-Marie LÉGER
Inspecteur des affaires sociales honoraire
Marie-Thérèse LEPRÊTRE
Directrice des soins. CH de Vendôme
Anne-Marie LIQUIER
Cadre infirmier hospitalier honoraire
Dominique LOISON
Directeur d'hôpital,
directeur général adjoint CGOS
Conception, réalisation, impression : de Bussac à Clermont-Ferrand - 04 73 42 31 00 - www.gdebussac.fr
Alexandre LUNEL
Maître de conférences en droit. Université de
Paris VIII
Yves MAMIE
Directeur d'hôpital
Daniel MOINARD
Directeur général de CHU
Guy NICOLAS
Professeur de médecine. Conseiller au ministère.
Jacques POISAT
Maître de conférences. Université Jean-Monnet
de St-Étienne
Philippe RITTER
Président de l'ANAP
(Agence nationale d'appui à la performance des
établissements de santé et médico-sociaux)
Jean-Jacques ROMATET
Directeur général de CHU
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
PRÉFACE
L
es affinités électives de la culture
et de la santé ne sont (…) pas
nouvelles, si l’on veut bien y songer :
dans l’Antiquité, déjà, Apollon était
à la fois le dieu des arts et le dieu
guérisseur ! Et l’histoire de la médecine
est traversée de recherches, de thérapies
qui ne sont pas uniquement centrées sur
la seule question organique, mais qui,
plus largement, prennent en compte la
dimension psychologique, spirituelle
et culturelle du patient – au moyen,
notamment, de la musique, du dessin,
de l’écriture. Tel PROUST découvrant
avec émerveillement le fameux « théâtrophone » et
son pouvoir de faire entrer les opéras de WAGNER
et de DEBUSSY dans sa chambre de malade, le
patient doit avoir la possibilité de transformer ce
temps de la traversée de la maladie en un temps de
réflexion sur soi et sur le monde. Pour les publics
empêchés, éloignés de la culture du fait d’un handicap,
d’une maladie, la culture sous toutes ses formes doit
demeurer accessible. Apporter à chacun, dans son
individualité, dans sa singularité, dans son humanité
aussi, la diversité des productions artistiques, telle est
l’ambition que je porte, dans la continuité de l’action
engagée par mes prédécesseurs au service de la belle
idée de démocratisation culturelle.
Ainsi, après être devenus des lieux d’enseignement
et de recherche, les hôpitaux sont devenus des
lieux ouverts aux arts et aux artistes. Par étapes,
les ministères de la Santé et de la Culture se sont
rapprochés, d’abord avec la création de bibliothèques
en milieu hospitalier, puis avec la signature d’une
première convention en 1999.
La convention « Culture et Santé » propose une action
interministérielle et interdisciplinaire. Elle contribue à
placer la personne au centre du dispositif, dans toute sa
plénitude et surtout dans toute sa dignité (1). Lorsque
© Didier Plowy/MCC
nous avons signé la convention « Culture et Santé »
le 6 mai 2010, la ministre de la Santé et moi-même
avons voulu rendre compte de deux ans d’une politique
commune entre nos deux Ministères, mais aussi
encourager et remercier tous ceux qui depuis 1999
se sont engagés dans l’intégration d’un volet culturel
dans leur Projet d’Etablissement.
La Société française d’Histoire des Hôpitaux, par son
regard sur l’Histoire et par sa « volonté de savoir », est
l’un des supports de cette action culturelle à même
de donner du sens à l’action des hospitaliers. Je
souhaite les encourager dans cette double démarche et
remercier la Société française d’Histoire des Hôpitaux
de m’avoir donné l’occasion d’apporter, dans sa revue,
mon soutien à ses projets culturels, avec l’ambition
de faire de l’hôpital un lieu qui sauve et un lieu qui
libère. La présence de la culture en son sein peut y
contribuer grandement.
Frédéric Mitterrand
Ministre de la Culture et de la Communication
(1) Extrait du Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture
et de la Communication, prononcé le 6 mai 2010 à l’occasion de la
signature de la convention Culture et Santé avec Roselyne BachelotNarquin, ministre de la Santé et des Sports.
SOMMAIRE
n° 140 - JUIN 2011
Préface de Frédéric Mitterrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Introduction
- Une nouvelle commission nationale : la commission Culture et Santé à l’hôpital public :
organe d’échange, de réflexion, de mutualisation et de valorisation
Sophie Bellon-Cristofol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
- Dix ans de politique culturelle dans les établissements de santé
Yann Bubien, Laëtitia Buffet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
- La culture introduit du sens dans nos existences
Pierre Le Coz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
L’hôpital, des héritages et des reconversions
Numéro spécial
coordonné par
Julien Rodier,
attaché culturel
à la Direction des Affaires
Culturelles de l’AP-HM
(Michèle Ségade, Carine
Delanoë-Vieux)
- La lumière, grâce hospitalière pour l’homme malade, architecture et spiritualité envers l’espace du soin
Jean-Louis Bouchard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
- Fermeture d’hôpitaux, quelles clefs ?
Marie-Christine Pouchelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
- Transmission par la conservation. Les Hospices civils de Beaune et leur musée de l’Hôtel-Dieu,
Bruno François . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
- Concept d’humanisme à travers les programmes de formation des infirmiers
Frédérique Tomasini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
- De l’hospice de la Charité au centre culturel
Pr Yves Baille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
- Onomastique, symbolique et mémoire dans les hôpitaux parisiens
Jacqueline Lalouette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Le projet culturel et l’hôpital
Comité de lecture
Pr Yves Baille
Jacques Brunier
Pr Jacques Frexinos
Pr Daniel Germain
Pierre-Louis Laget
Direction
de la publication
Bernard Belaigues
Secrétariat de rédaction
Benjamin Heraut
Service
Communication & Culture,
CHU de Clermont-Ferrand
- « Culture et hôpital » 2002-2009. Du militantisme à l’institutionnalisation
Gilles Herreros, Bruno Milly . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
- Culture à l’hôpital, culture de l’hôpital
Yann Bubien, Rachel Even, Bernard Glorion, Olivier Galaverna
..............................................................
61
- Comment concevoir un hôpital en intégrant la dimension culturelle : héritages et reformulations
Anne Nardin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
- Patrimoine et mémoire, anamnèse d’un hôpital psychiatrique
Carine Delanoë-Vieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
La création contemporaine et l’hôpital
- Physalis partitura, une commande publique de Katsuhito Nishikawa pour l’hôpital Claude-Huriez,
CHRU de Lille
Michèle Dard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
- La commande artistique aux hôpitaux universitaires de Strasbourg
Barbara Bay, Christelle Carrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
- Lieu de recueillement et de prière pluriconfessionnel de l’Institut Paoli-Calmettes, Action Nouveaux
Commanditaires de la Fondation de France, 1997-2000, Marseille
Michelangelo Pistoletto, Nicole Bellemin-Noël, Dominique Maraninchi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Cahier d’expériences
......................................................................................................
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IN T R OD U C T ION
Une nouvelle commission nationale :
la Commission Culture et Santé à
l’hôpital public :
organe d’échange, de réflexion,
de mutualisation et de valorisation
Sophie Bellon-Cristofol
Attachée culturelle,
Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille
A
vec la nouvelle convention cadre signée en mai 2010 entre le ministère de la Santé et le ministère
de la Culture, le thème de la culture a désormais sa place pleine et entière dans les projets des
établissements comme des stratégies de territoire. Les projets culturels sont d’ailleurs intégrés
à la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital « Hôpital, Patient, Santé, Territoires ».
La politique hospitalière « Culture et
Santé » s’appuie notamment sur les
travaux de la commission nationale
« Culture et Santé à l’hôpital public »
rassemblant des professionnels
hospitaliers en responsabilité des
programmes culturels.
Celle-ci est présidée par Jean-Paul
Ségade, Directeur général de l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Marseille et se
compose de deux entités :
- des membres de la commission Culture
de la Conférence des directeurs
généraux de CHU,
- des membres de la communauté
hors CHU au titre de la Fédération
hospitalière de France (depuis
mars 2011). Les Agences régionales
de santé avaient été sollicitées pour
désigner un établissement de santé
de leur territoire respectif ayant une
politique culturelle significative.
Elle s’est fixée un double objectif :
- être un lieu de débat et d’échanges
entre les différents établissements
hospitaliers qui mettent en œuvre
des politiques culturelles,
- être un organe référent et force de
proposition auprès des ministères
de la Santé et de la Culture et autres
organismes et institutions nationales.
Chaque année, la Commission organise
deux séances de travail et une séance
ouverte à un public plus large.
Les séances de travail de la Commission
sont structurées en deux temps : le
partage d’expériences et l’exploration
des thématiques avec des invités
extérieurs. Les thématiques suivantes
ont été récemment abordées : les actions
culturelles et artistiques dans le cadre du
code des marchés publics, la convention
« Culture et Santé »…
À partir de 2011, des séances publiques
seront également organisées sur les
thématiques suivantes :
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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I NTRODUC TION
2011 : approche comparative du
développement culturel à l’hôpital
au Québec et en France.
Lieu : CHU de Montréal, octobre 2011.
2012 : le dispositif culture à l’hôpital
et l’Europe. Les perspectives de
coopération des CHU transfrontaliers.
Lieu : Strasbourg.
2013 : l’ouverture sur le bassin
maritime de la Méditerranée et le
rôle d’un CHU dans la dynamique de
la capitale européenne de la culture.
Lieu : Marseille.
2014 : Culture, hôpital et territoire.
Lieu : Normandie.
La Commission travaille également à
la mise en œuvre d’outils permettant
de communiquer et de valoriser, sur le
plan national, les actions culturelles
et artistiques mises en œuvre par les
établissements de santé dans le cadre
de leurs politiques culturelles. Un projet
de création centre de documentation
national, spécialisé sur la thématique
« Culture et Santé », est notamment en
cours d’étude.
Contact :
Assistance Publique-Hôpitaux de
Marseille
Direction des Affaires Culturelles
Tél. : 04 91 38 97 45
[email protected]
Culture àà l’hôpital.
l’hôpital. Bref
Bref historique
historique
Culture
• 1800/1810 : le marquis de Sade, hospitalisé à la
maison de Charenton, organise avec les malades, à la
demande du directeur de l’époque, des représentations
“thérapeutiques” auxquelles le Tout-Paris est invité.
• 1er février 1993 : signature d’un protocole d’accord
entre les ministres chargés de la santé et de la culture1,
et circulaire d’application du 16 mars 1993 adressée
aux directeurs régionaux des affaires culturelles par le
directeur du patrimoine du ministère de l’éducation
nationale et de la culture. Ces deux textes resteront
plus ou moins un vœu pieux.
• 1930/1940 : construction de salles de spectacles
dans l’enceinte des hôpitaux pour des malades de
la tuberculose en long séjour.
• 1996 : mission confiée par le ministre de la culture au
Dr Lapras, pour approfondir l’inventaire du patrimoine
hospitalier et envisager des mesures de protection.
• 1634 : la lecture à l’hôpital apparaît sous le vocable
“distraction des malades”.
• 1934 : création de la bibliothèque centrale à l’hôpital
de la Pitié-Sâlpétrière à Paris.
• 1950/1960 : des circulaires adressées aux directeurs
d’établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux
de Paris insistent sur les critères de qualité et la
satisfaction des malades dans le choix des spectacles
proposés.
• 1985 : publication du rapport de M. ChemillerGendreau « Culture et Santé » qui se conclut par « la
santé n’est pas une donnée objective, mais un fait en
grande partie culturel. »
• 4 mai 1999 : signature de la convention sur la mise
en place de projets culturels dans les hôpitaux, entre
les ministres chargés de la santé et de la culture2.
• Février 2001 : premières rencontres européennes de
la culture à l’hôpital, à Strasbourg.
• Juin 2004 : rencontres internationales de la culture
à l’hôpital, à Dublin.
• 6 mai 2010 : convention « Culture et santé » entre les
ministres chargés de la santé et de la culture3 pour la
mise en œuvre d’une politique commune entre les
deux ministères.
1 - Ce protocole trouve son origine dans une initiative de Maurice Rochaix, alors président de la Société française d’histoire des hôpitaux (SFHH),
auprès de Gérard Vincent, directeur des hôpitaux au ministère de la santé, et de Christian Dupavillon, directeur du patrimoine au ministère de la
culture. M. Rochaix fit valoir l’intérêt de resserrer les liens entre les ministères de la santé et de la culture par une convention et proposa à G. Vincent
que le dossier fût confié à sa direction En liaison avec la direction du patrimoine, un bref protocole fut signé par Bernard Kouchner et Jack Lang.
2 - Bernard Kouchner et Catherine Trautmann.
3 - Roselyne Bachelot-Narquin et Frédéric Mitterrand.
6 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
IN T R OD U C T ION
Dix ans de politique culturelle dans
les établissements de santé
Yann Bubien
Directeur de cabinet adjoint de la ministre de la Santé et des Sports
Laëtitia Buffet
Étudiante Sciences Po Paris
L
e chirurgien JacquesRené Tenon 1 écrivait
au XVIII e siècle que les
hôpitaux étaient « en quelque
sorte la mesure de la civilisation
d’un peuple ». Mesure de nos
choix de société, en tant
que manifestation de l’Étatprovidence qui ne cesse
d’en subir les crises et les
contradictions, manifestation
de l’état de nos connaissances
scientifiques, l’hôpital est aussi
nécessairement le reflet des
évolutions de la culture – ne
serait-ce que par la richesse à la
fois quantitative et qualitative
du patrimoine architectural et
mobilier que son histoire riche
et mouvementée lui a légué.
Ce patrimoine nous prouve à quel
point, depuis le IXe siècle et la création
des hôpitaux par le concile d’Aix-laChapelle, l’art est présent au cœur de
l’hôpital : les tableaux exposés dans
les salles des malades, par exemple,
tel le retable d’Issenheim de Matthias
Grünewald, encourageaient ces derniers
à supporter la souffrance et à envisager
leur mort, à une époque où la médecine
se réduisait aux soins basiques du corps.
S’il est bien ainsi le reflet et la mesure
de notre civilisation, l’hôpital ne s’en
est pas moins développé largement en
dehors des murs de la cité, au sens propre
parfois comme au sens figuré. À certains
moments de son histoire, il sera même le
lieu du « grand enfermement » de ceux
dont la rue ne veut pas – un isoloir au
cœur de la ville. La personne malade
y vit un temps « entre parenthèses »,
les professionnels évoluent dans un
espace essentiellement technique,
sans continuité avec la vie de la cité.
Paradoxe de l’hôpital, qui reflète et révèle
un contexte dont il est tenu à l’écart.
La redécouverte d’une culture présente
de tout temps dans les murs de l’hôpital,
sa promotion active sous toutes ses
formes, apparaît comme un axe majeur
d’humanisation du cadre de vie des
malades et du cadre de travail des
soignants, lorsqu’au cours des années
1990 la nécessité d’ouvrir l’hôpital à la
vie de la cité et d’y créer les conditions
d’un échange réciproque est reconnue
comme une priorité par les professionnels
des établissements de santé.
En 1999, est ainsi signée entre le
secrétariat d’État à la Santé et à
l’Action sociale et le ministère de la
Culture et de la Communication une
convention qui leur fixe l’objectif
commun de promouvoir la culture à
l’hôpital. En dix ans, une vingtaine de
conventions régionales a été signée entre
agences régionales de l’hospitalisation
(ARH) et directions régionales des
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
7
I NTRODUC TION
affaires culturelles (DRAC). Près
de 400 projets ont été portés par les
établissements, et de nombreuses
journées d’échange thématiques ont
été organisées entre acteurs hospitaliers
et culturels. La signature en 2010 d’une
nouvelle convention, qui prolonge et
complète la première, s’appuie ainsi
sur le constat d’un développement
formidable des initiatives culturelles
dans les établissements de santé ; celui-ci
redessine les contours d’un hôpital qui,
de lieu de soin exclusivement technique,
devient progressivement un lieu de vie,
d’échange, d’apprentissage.
Le nouveau visage de
l’hôpital
La dynamique induite par le programme
national « Culture à l’hôpital », placé
au niveau régional sous l’égide de
la direction régionale des affaires
culturelles et de l’Agence régionale de
l’hospitalisation, a encouragé ou donné
lieu à un grand nombre de projets de
promotion de la culture en milieu
hospitalier au cours de la décennie
2000. Leur richesse tient à la fois à
leur quantité et à leur diversité, tant
en termes de public que de discipline
artistique, de lieu ou de durée.
L’hôpital ouvert
Tous les projets culturels mis en œuvre
ces dix dernières années ont pourtant
en commun la volonté de créer une
véritable continuité spatiale entre
l’établissement et la cité, et, partant,
entre le temps du soin et la « vie
normale » des patients hospitalisés.
Cette continuité est rendue d’autant plus
nécessaire par la récurrence des séjours
des patients, toujours plus nombreux,
atteints de maladies chroniques. Artistes
et œuvres circulent de l’un à l’autre,
parfois à rebours des idées reçues,
comme à Tours, où les patients ont créé
collectivement une œuvre dans la gare
de la ville 2.
Tous ont en commun de vouloir dessiner
un hôpital ouvert à d’autres logiques que
la logique technique : le patient peut
exprimer sa personnalité tout entière,
avec, au-delà de sa seule condition
physique, sa sensibilité, son intellect,
sa créativité.
L’hôpital lieu de vie,
cadre de travail
L’hôpital se doit d’être un lieu de vie
d’autant plus chaleureux qu’il est un
lieu de soin, dans lequel les patients
s’installent avec leurs doutes et leurs
appréhensions. La culture visible,
présente, manifeste cette volonté
d’adoucissement du cadre de vie des
malades et du cadre de travail des
soignants : les œuvres d’art sont installées
dans les espaces d’accueil et d’attente
des bâtiments hospitaliers, comme dans
les CHU de Nice, Dijon et Poitiers, et
comme avant elles au centre hospitalier
Georges-Pompidou à Paris.
Lieu de vie pour les patients hospitalisés,
l’hôpital est également un lieu de travail
pour son personnel, qu’il soit ou non
médical. Vecteur d’une amélioration
du cadre du travail quotidien par
l’aménagement concret des bâtiments et
l’introduction d’œuvres d’art, la culture
constitue également un élément fort du
management social d’un établissement
de santé. Les travaux de la commission
culture des directeurs de CHU et de la
Fédération hospitalière de France (FHF)
font état de projets innovants permettant
de décloisonner, de rapprocher les
différents métiers de l’hôpital, et de
réunir les personnes autour de valeurs
partagées.
L’hôpital, lieu d’apprentissage
Faire de l’hôpital un lieu de vie, c’est
aussi permettre au patient de vivre dans
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ses murs un moment positif, plein, et non
uniquement fait d’attente, de creux entre
deux examens et deux résultats. Bien que
la recherche en médecine s’intéresse de
plus en plus à des thérapies qui intègrent
les dimensions psychologique, culturelle
et spirituelle du patient, la culture a ici
pour but, très humblement, et au-delà de
tout objectif thérapeutique, de permettre
au temps de la maladie d’être un temps
de découverte, un temps dans lequel
l’apprentissage trouve autant voire plus
de place que dans la vie quotidienne.
La musique s’invite ainsi dans les murs
de l’hôpital, comme au CHR de Metz,
de même que le cinéma le fait dans
les CHU de Nantes, de Bordeaux, de
Marseille. Des espaces spécifiquement
dédiés à la culture, permanents ou
temporaires, apparaissent dans l’enceinte
des hôpitaux : ainsi de la médiathèque
de l’Assistance Publique - Hôpitaux de
Paris ou du chapiteau dédié aux arts
de la rue au CHU de Nantes. Depuis
1996, l’association « Art dans la cité »
permet à des artistes de s’installer en
résidence dans les établissements de santé
à travers l’Europe. Des artistes reconnus
viennent échanger et travailler avec
des patients pour réaliser une œuvre
in situ qui appartiendra au patrimoine
de l’hôpital. Outre l’installation d’une
œuvre d’art au sein de l’hôpital, cette
action permet la rencontre directe avec
un créateur. La résidence permet aussi
aux artistes de sortir de l’atelier et leur
création est stimulée au contact du lieu
et de l’environnement pour lequel ils
réalisent une œuvre.
Culture à l’hôpital,
culture de l’hôpital
L’art à l’hôpital est également un art de
l’hôpital – un art qui souvent permet
un travail réflexif sur le corps, le corps
du patient aussi bien que celui du
soignant, sur la santé et la maladie. La
IN T R OD U C T ION
représentation du corps se trouve ainsi,
par exemple, au cœur de créations sur
le thème du « Corps transparent » et
de l’imagerie médicale à l’Assistance
Publique- Hôpitaux de Marseille, ou de
spectacles de danse intégrant les gestes
quotidiens des soignants au CHU de
Rouen.
Quel avenir pour la
culture à l’hôpital ?
La signature d’une nouvelle convention
entre le ministère de la Culture et de la
Communication et le ministère de la
Santé et des Sports offre de nouveaux
outils, de nouvelles perspectives de
développement aux acteurs de la culture
à l’hôpital. La convention s’inscrit
dans le cadre de la réforme en cours
des territoires de santé : en région, sa
déclinaison opérationnelle associera
donc les nouvelles agences régionales
de santé (ARS) aux directions régionales
des affaires culturelles (DRAC). Elle
s’appuie sur les dispositions de la loi
« Hôpital, patients, santé et territoires »
(HPST), qui prévoient l’intégration dans
les contrats pluriannuels d’objectifs et
de moyens des établissements de santé
(CPOM) un volet social et culturel.
Elle ouvre notamment la voie à une
promotion de la culture qui dépasse le
seul cadre des établissements sanitaires
pour pénétrer celui des établissements
médico-sociaux. Les lieux de vie des
personnes âgées dépendantes et des
personnes handicapées seront ainsi
les nouveaux espaces de déploiement
du programme « Culture et santé »,
à travers, dans un premier temps, la
conduite d’une expérimentation dans
quatre régions pilotes.
Signe de l’importance du sujet pour la
pratique professionnelle des personnels
soignants, les cadres hospitaliers verront
intégrer des modules de formation et de
sensibilisation à la promotion culturelle
dans leur formation initiale, et des
ateliers annuels thématiques autour de
représentants du secteur culturel seront
organisés.
Enfin, la nouvelle convention encourage
la création d’une fondation ayant pour
objet de réunir, d’administrer et de
distribuer les contributions des donateurs
privés, afin que les initiatives culturelles
dans le système de santé puissent disposer
des ressources nécessaires à un travail
d’une qualité irréprochable.
L’introduction de la culture à l’hôpital
n’est pas le fait de la fin des années
1990. La chapelle en croix grecque
de la Pitié-Salpêtrière ou les hospices
de Beaune sont les témoins silencieux
d’une présence ancienne de l’art au cœur
de l’hôpital. Les dix dernières années
ont, pourtant, marqué une rupture dans
les rapports des mondes de la culture
et de la santé, en leur donnant les
moyens d’un véritable échange. Car,
si la culture intéresse les acteurs de
l’hôpital, l’hôpital intéresse les acteurs
de la culture, dans la mesure où il réunit
des publics potentiels très divers, de
tous âges, de toutes origines. Culture
et santé se nourrissent mutuellement
d’un mouvement dialectique sans cesse
renouvelé : car de la confrontation de
deux logiques, de deux mondes a priori
si différents, naissent tous les jours
des œuvres d’une humanité et d’une
générosité rares.
NOTES
1 - Jacques René Tenon, Mémoire sur les
hôpitaux de Paris, Royez, Paris, 1788.
2 - Humanités, dix ans d’art et de culture dans
les CHU, 2010.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
9
I NTRODUC TION
La culture introduit du sens
dans nos existences
Pierre Le Coz
Professeur agrégé de philosophie à la Faculté de médecine de Marseille
Membre du comité de pilotage de l’espace Éthique méditerranéen, AP-HM
D
u terme « culture », on peut schématiquement extraire trois
significations. Un sens conceptuel et général (la « culture »
opposée à la « nature »), un sens anthropologique (« les
cultures » plutôt que « la » Culture), un sens littéraire (la culture
comme voie d’accès aux « Humanités »).
Ces trois sens peuvent se recouper et
s’harmoniser mais aussi se télescoper. On
le voit, quelque fois au sein d’un hôpital,
lorsque notre culture des soins et les
valeurs universelles des acteurs de santé
se heurtent aux références culturelles de
certains patients immigrés.
Ainsi, la notion de « Culture » peut
tantôt souligner ce qui nous sépare (les
particularismes), tantôt mettre l’accent
sur ce que nous avons en commun (sens
universaliste). Source d’incompréhension,
la culture peut devenir source de
divisions et parfois d’oppositions : j’ai
« ma » culture, l’autre a « sa » culture.
Pour échapper à ces impasses, il
semble essentiel de promouvoir le sens
humaniste de la culture qui consiste à
privilégier la dimension universaliste des
génétique, les composantes physiques et
organiques de son être. Relève du registre
de la nature ce qui pourrait s’observer
scientifiquement (décodage du génome
etc.), en droit, sinon en fait.
Au sens premier, la
« culture » est ce qui
s’oppose à la « nature »
À cette dimension objectivement
observable de la nature biologique de
l’homme, on peut ajouter un élément
plus subjectif, qui relève du vécu
spontané (l’« animalité ») et que l’on
a coutume de qualifier par les concepts
de « besoins », « instincts », ou plus
spécifiquement, s’agissant de l’homme,
les « pulsions » libidinales, suivant la
terminologie de Freud 2. À la différence
des gènes, les pulsions sont ressenties ;
elles peuvent susciter un état de manque,
de frustration, déréguler nos conduites
à travers des expressions corporelles
envahissantes.
Au sens premier et général du terme, la
culture est ce qui s’oppose à la nature.
Est naturel ce qui est inné (littéralement
« né avec moi »), ce qui a un fondement
biologique. La nature s’exprime en
l’homme à travers son patrimoine
Tout ce qui s’ajoute à la nature, tout
ce qui nous hisse au-dessus de notre
condition primitive et animale se
range sous la catégorie de « culture ».
La culture, c’est ce qui nous permet de
devenir autre chose que ce que nous
arts et des lettres. De ce point de vue,
nous respectons les différences mais sans
les accuser. La fréquentation des œuvres
de toutes les cultures nous permet de
dégager leur noyau universel. La culture
donne sens à notre existence en nous
faisant accéder au rang de « citoyen du
monde » 1.
10 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
IN T R OD U C T ION
sommes. Nous ne sommes pas totalement
pilotés par notre équipement instinctif.
L’homme est l’animal qui a cette chance
de pouvoir se préférer autre qu’il n’est.
Même le plus intelligent des singes n’a
pas besoin d’être autre chose que ce qu’il
est pour être tout ce qu’il est. Le trait
caractéristique de l’homme c’est d’être
inachevé. Nous avons besoin de devenir
ce que nous sommes (« Deviens ce que
tu es » 3), c’est là le paradoxe de notre
condition. Nous naissons humains et
nous avons besoin de nous humaniser. À
l’état de nature, nous ne sommes rien de
plus que des échantillons d’une espèce
biologique. C’est la culture qui permet de
nous singulariser au sein du règne animal.
Cet affranchissement de l’homme à l’égard
de son environnement naturel d’origine
n’est pas un luxe mais une nécessité.
En effet, nous ne pourrions pas même
survivre à l’état de nature. Le bon sauvage
insouciant qui vit frugalement à l’état de
nature, qui cueille les fruits à l’arbre et boit
l’eau au creux de sa main est un mythe.
Pour survivre, l’homme a dû fabriquer
des outils, construire des règles de vie
en société. En ce sens, on peut dire que
l’homme est, par nature, un être contrenature. L’artifice est le milieu naturel de
l’homme. Le mythe de « Prométhée »
que nous a légué l’Antiquité grecque
évoque la condition de l’homme comme
un être désavantagé par rapport aux autres
animaux, privé de bec, de crocs, de griffes,
de pinces qui lui permettraient de se
défendre contre les bêtes sauvages. Platon
met en scène un dialogue au cours duquel
Protagoras, l’interlocuteur de Socrate 4,
définit la condition humaine initiale :
« l’homme est nu, sans chaussures, ni
couverture, ni armes » 5. Le trait distinctif
de l’homme c’est d’être le plus démuni
de tous les animaux. Il est livré à luimême au sein d’une nature sauvage où
tous les animaux ont été équipés pour se
protéger et se nourrir, à l’exception de luimême. Prométhée est le dieu qui a pris les
hommes en pitié. Il leur a prodigué « l’art
de manier le feu » 6. Grâce à ce don divin,
l’homme devient l’homo faber, l’animal
capable de fabriquer des outils, des armes,
des abris, et de couvrir sa nudité. C’est la
culture qui va lui permettre de poursuivre
son aventure pour la survie.
On remarque que paradoxalement,
le développement exponentiel de la
technique au cours des siècles peut aboutir
à ramener l’homme à sa condition d’être
biologique. Parfois, il nous arrive de voir des
hommes très âgés et inconscients, allongés
sur leur lit d’hôpital, maintenus par des
machines et des appareils sophistiqués.
Nous éprouvons trouble et malaise car
nous avons le sentiment que l’homme est
menacé d’être déshumanisé, réduit à ses
fonctions végétatives et nourricières par
une médecine « high-tech » qui paraît avoir
échappé à nos prises.
Sens anthropologique : la
création de civilisations
Le mot culture est parfois employé au
sens de la civilisation. Une culture est
constituée d’une langue, d’un système
de parenté, d’un corpus de techniques
et de manières de faire (cuisine, arts,
pratiques de soin, de maternage, manière
de porter les bébés…). La civilisation
se décline au pluriel : il existe des
mœurs, des coutumes, des traditions,
des savoir-faire empiriques. Ce que la
pluralité des civilisations nous donne à
voir c’est que l’homme est un créateur
d’institutions. Il crée des écoles, des
musées, des bibliothèques, des hôpitaux,
etc. Ses formes sont multiples à l’échelle
de la planète (on parle de la culture
occidentale, de la culture orientale, etc.).
La civilisation désigne une forme de vie
qui n’est pas statique et homogène. Par
exemple, la fourmilière illustre une vie
en société fascinante par sa complexité
mais elle n’est pas une civilisation. C’est
une société qui existait déjà sous cette
forme il y a 3 000 ans. Une civilisation
est évolutive (même les sociétés dites
« primitives » ont une histoire) dans
le temps et diversifiée dans l’espace.
La variété infinie de civilisations nous
conforte dans l’idée selon laquelle
l’homme est un animal à part, un être qui
est capable de transcender sa condition
immédiate par la puissance d’inventivité
de son esprit 7. En effet, s’il n’était que
le résultat de ses gènes (« biologisme »),
pourquoi y aurait-il une aussi grande
diversité de mœurs et de coutumes ?
S’il était le simple produit de la société
(« sociologisme »), comment pourrait-il la
transformer en permanence, voire parfois
se révolter contre elle ? Même si sous un
certain aspect, la société humaine est une
société animale, enracinée dans l’élément
biologique, par un autre côté elle est le
fruit de la créativité de l’esprit, ce qui
fait de la société humaine une réalité
essentiellement spirituelle. Le propre de
la société humaine est d’exister et de se
transformer sans cesse dans le temps sous
l’impulsion de la créativité de l’esprit.
On note que ce deuxième sens du mot
« culture » prolonge le premier. Au
sens n° 1, la culture est l’ensemble des
artifices au moyen desquels l’homme
peut s’affranchir du joug de la nature,
éloigner le spectre de sa disparition.
Ensuite, au sens n° 2 (les « civilisations »),
à l’échelle de la planète, nous voyons
la culture se différencier à l’infini, les
sociétés ayant leurs manières d’agencer
des règles et des conventions pour assurer
la vie en commun. Une fois que sa survie
a été assurée, l’homme peut envisager
d’autres possibilités, s’instruire, se cultiver
uniquement par loisir, créer de nouveaux
outils linguistiques. La culture, en ce sens,
ne signifie plus seulement ce qui permet à
l’homme de survivre (la technique) mais
ce qui lui permet de donner du sens à sa
vie en lui donnant des centres d’intérêts
diversifiés.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
11
I NTRODUC TION
Quelle que soit sa configuration, une
culture s’oppose à la nature comme
l’institution s’oppose à l’instinct. Être
« civilisé » c’est être initié à la civilité et
à la citoyenneté. On nomme « incivilité »
le fait de rejeter les règles de civilité pour
retourner à la brutalité de la spontanéité
naturelle, par l’injure ou par le geste.
Le propre de l’humain c’est d’être un
animal institué. Un commandement
du droit romain énonce : « Il ne suffit
pas de produire de la chair humaine,
encore faut-il l’instituer » 8. L’école est
l’institution par excellence. On a, du
reste, longtemps parlé d’« instituteur »
et plus encore d’« institutrice » pour
désigner le vecteur qui assure le passage
de l’instinct à l’institution, de la nature
à la culture. L’élève est celui qu’on élève ;
il est l’humain en devenir que l’école a la
charge de faire passer de sa condition de
« barbare » à celle de « civilisé », de, son
rang initial d’individu biologique au statut
de personne civique 9.
L’histoire atteste cependant que
l’utilisation des moyens de la culture
au service des appétits naturels peut
donner lieu à des formes de violence
qui n’existaient pas à l’état primitif.
Les cultures se percutent, s’affrontent,
les guerres rendent les civilisations
« mortelles » 10. Il suffit à l’homme de
prononcer un simple mot pour déclencher
des luttes féroces et sanglantes : « feu ! ».
C’est parce que l’homme est l’animal qui
parle que notre espèce est la plus cruelle
d’entre toutes. Nous n’avons ni griffes ni
crocs mais nous pouvons faire surgir de
nos lèvres des mots capables de sauter
à la gorge de nos semblables. Parce qu’il
ne vit pas dans l’élément de la culture,
l’animal ne peut pas devenir in-animal.
Mais l’humain lui, peut devenir inhumain.
Les Humanités
Par le biais de l’école, les arts et les lettres
nous permettent de découvrir le monde
des autres, les récits de leurs expériences,
de comprendre la complexité du monde
dans lequel nous vivons. Nous ne nous
humanisons pas seuls. C’est l’humanité
des autres qui nous humanise. De même
que l’agriculture consiste à défricher
un sol pour le rendre fertile, la culture
est un travail d’éclosion des germes de
l’individu. Voltaire disait bien « il faut
cultiver notre jardin » 11. L’homme doit
faire fructifier ses heureuses dispositions,
ne pas les laisser en friche. Il nous
incombe de développer ce qui gît
enveloppé, de porter à l’expression ce
qui n’existe en nous qu’à l’état latent. Ce
processus d’acquisition est sans fin. Nous
avons sans cesse à nous réapproprier
les règles de l’orthographe et de la
grammaire, par exemple. L’acquis de la
culture n’est jamais définitif.
Mais l’éducation ne se réduit pas
à l’instruction. Nous avons aussi à
intérioriser des règles de civilité.
Dialoguer est un art qui prend du temps.
Il nous faut apprendre à respecter son
temps de parole, ne pas interrompre
celui qui parle, accepter d’être contesté,
contredit. La culture, à l’école mais aussi
à l’hôpital, et dans toutes les institutions
en général, se traduit par un travail
quotidien de soi sur soi. La culture selon
une formule attribuée à Herriot « c’est ce
qui reste lorsqu’on a tout oublié ». Manière
de dire que la culture ne se limite pas à
l’érudition. Elle est une quintessence qui
s’exprime dans la délicatesse des gestes
et le raffinement du jugement.
Culture et hôpital
Quel sens du concept de culture convient
le mieux à l’hôpital ? Tous, à des degrés
divers. Il existe, à l’état diffus, au sein
des hôpitaux, un devoir de respecter
la langue maternelle qui conjugue les
trois sens du mot « culture ». On ne
peut pas, décemment, dans un lieu
dévolu à l’apaisement de la souffrance,
12 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
se laisser aller à la vulgarité. La puissance
désarmante du visage d’un malade
assiégé par la douleur nous enjoint à
prononcer une parole d’authenticité
12
. L’information du patient elle-même
relève de la culture. Informer signifie
« mettre en forme ». Aristote – à
qui revient la première formalisation
de ce concept 13 – évoque en ce sens
« l’information » du matériau brut
par l’artisan. Ainsi, l’airain est dit
« informé » par le sculpteur qui en a
fait une statue d’Hermès. L’art d’informer
ressemble à celui du sculpteur. On peut
dire de l’information médicale qu’elle
doit « sculpter » dans une matière
d’idées et de souvenirs, d’attentes
et d’appréhensions, qui sont déjà là,
présents à l’esprit du patient et opposent
au médecin l’épaisseur de son opacité.
L’information ne peut survenir comme
un orage dans un ciel bleu. Elle relève
d’une démiurgie, nullement d’un
créationnisme. Elle doit « faire avec » la
présence d’une matière qu’elle se propose
d’épouser, d’éprouver et d’explorer.
Ici, la culture ne fait qu’un avec le
questionnement éthique 14 : qu’est-ce
que le patient désire savoir au sujet de
sa maladie et dans quelle perspective ?
Un patient qui manifestement cherche à
être rassuré désire-t-il réellement savoir ?
Les interrogations du soignant explorent
également les matériaux du savoir que le
patient a pu éventuellement récolter, çà
et là, à partir de ce qu’on lui a déjà dit
ou de ce qu’il a lui-même pressenti en
fonction de certains signes (une « petite
boule » par exemple). Il faut trouver
les mots et le ton juste dans un climat
émotionnel propice à l’interaction, poser
des questions aux patients.
Plus généralement, l’hôpital participe de
la culture dans son opposition aux lois
impitoyables de la nature. La nature est
aveugle, elle impose la loi du plus fort.
Dans la nature, chacun vit au détriment
IN T R OD U C T ION
des autres. Les prédateurs enfoncent leurs
crocs dans la chair de leurs proies, en
vertu d’un « vouloir-vivre affamé » 15
qui fuse à travers eux et les poussent à
se conserver à n’importe quel prix. La
nature crée des inégalités et l’hôpital
incarne les valeurs portées par la culture :
la protection des plus vulnérables et
l’hospitalité. Hôpital signifie : « espace
d’hospitalité ». L’hôpital a pour finalité
de corriger les inégalités entre celui qui
est en bonne santé et celui qui ne l’est
pas. Le handicap, la maladie génétique,
les défaillances de l’organisme, et toutes
les inégalités que la nature nous jette à la
face, la culture de l’hospitalité s’emploie
à les corriger sinon à les estomper. Elle
traite comme des semblables ceux qui
ne sont pas identiques.
Conclusion
Nous pouvons conclure notre propos en
dégageant quatre points :
- Vivre, pour l’homme, c’est développer
des possibilités. C’est exister, c’est-àdire à la lettre « sortir hors de soi » pour
participer à l’aventure intellectuelle
de l’humanité. Les facultés de
notre esprit ne sont pas faites pour
rester engourdies. La participation
aux affaires de la Cité permet de
développer les germes que la nature a
déposés en nous et les faire fructifier
au service de la collectivité 16. Tout
homme doit pouvoir éprouver du
plaisir à mettre en mouvement les
puissances de son entendement, ses
capacités à créer, sentir, imaginer,
à assembler et mettre en forme des
matériaux. Aristote écrit au début de
son ouvrage La Métaphysique que « tous
les hommes désirent savoir, le signe en est
le plaisir des sens » 17. Il y a un plaisir à
accéder à de nouvelles connaissances,
à piquer l’esprit de curiosité des autres,
à leur transmettre le savoir dont nous
avons hérité.
- Nul ne peut se satisfaire de savoir
que des malades hospitalisés passent
leur journée entière les yeux rivés au
plafond de leur chambre. Nous ne
pouvons considérer comme une fatalité
qu’un patient vive dans l’ennui la
majeure partie de sa journée alors que
la maladie n’a pas entamé ses capacités
intellectuelles. C’est pourquoi, dans
la mesure de ses possibilités, l’hôpital
de demain est appelé à faire une plus
grande place à la culture entendue au
sens des Humanités, des arts et des
lettres.
- À l’état de nature, la force réside dans
la corpulence, la robustesse, la tonicité
des organismes. Mais chez l’homme,
la culture transcende la nature ; elle
fait émerger des forces invisibles,
subjectives, des forces en sommeil
qui demandent à être éveillées : la
sensibilité, la volonté, la mémoire,
l’imagination, la pensée. Derrière la
fragilité des patients se cachent des
forces intérieures, des forces morales
et intellectuelles. Il y a des forces dans
la faiblesse.
- Pascal faisait de l’homme un
mélange de misère et de grandeur :
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus
faible de la nature, mais c’est un roseau
pensant » 18. L’humanisme consiste à
ne jamais désespérer de l’humanité.
Certes, l’homme est le plus souffrant
des animaux et chaque vie humaine
reflète la tragédie de notre espèce.
Mais, il y a aussi de la grandeur en
l’homme, ne serait-ce que parce que
la conscience de sa misère participe
de sa grandeur (« un arbre ne se sait
pas misérable » 19). Donner du sens
à sa vie, c’est donner aux autres la
possibilité de montrer de quoi ils
sont capables, de prouver leur valeur
au monde, de s’estimer eux-mêmes à
travers l’estime de leurs semblables.
L’humanisme consiste à défendre une
image gratifiante de l’être humain qui
n’est pas uniquement destiné à survivre
et assurer sa descendance.
NOTES
1 - Cf. ÉPICTÈTE. Les Entretiens Livre II,
Ch. X, Comment de nos différents titres on peut
déduire nos différents devoirs : « En plus, tu es
citoyen du monde, dont tu es une partie ».
2 - FREUD, S. La vie sexuelle. Paris : PUF,
1969.
3 - Citation attribuée au poète Pindare (dans
Pythique) et reprise plusieurs fois dans l’œuvre
de Nietzsche, cf. Le gai savoir, § 270 : « Que dit
ta conscience ? Tu dois devenir celui que tu es »
(Du sollst der werden, der du bist).
4 - PLATON. Protagoras, 329 a, trad. De
CHAMBRY, E. Paris : Garnier Flammarion,
1967.
5 - Ibid., 321 c.
6 - Ibid.
7 - HEGEL, G.W.F. La raison dans l’histoire.
Éd. 10/18, Paris, 2003.
8 - LEGENDRE, P. L’Inestimable objet de la
transmission. Paris : Fayard, 1985.
9 - Sur la différence entre « individu »
et « personne » cf. MOUNIER, E. Le
Personnalisme. Paris : PUF, coll.
« Que sais-je ? », 1949.
10 - VALÉRY, P. « Nous autres,
civilisations, nous savons maintenant que
nous sommes mortelles ». La crise de l’esprit
- première lettre, 1919.
11 - VOLTAIRE. Candide ou l’optimisme,
Paris : Garnier, chapitre XXX.
12 - LÉVINAS, E. Éthique et infini. Paris :
Livre de Poche, 1984.
13 - Cf. Physique, (Trad. de PELLEGRIN, P.),
Paris : Flammarion, GF, 1999, 191a -192b.
14 - LE COZ, P. Petit traité de la décision
médicale. Paris : Seuil, 2007.
15 - SCHOPENHAUER, A. Du néant de la
vie. Mille et une nuits, pp. 56-57, 2004.
16 - KANT, E. 1957 [1783]. Fondements de
la métaphysique des mœurs, (trad. V. Delbos),
Paris : Delagrave.
17 - ARISTOTE. Métaphysique, trad.
Marie-Paul Duminil et Annick Jaulin,
Paris : GF, Flammarion, 2008.
18 - PASCAL. Œuvres complètes. Éd. Michel
Le Guern, coll. Bibliothèque de la Pléiade,
Paris : Gallimard, 1999.
19 - Ibid.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
13
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES
ET DES RECONVERSIONS
L
’hôpital se pose nécessairement la question de la transmission, de la reconversion ou de
l’abandon de son patrimoine. À travers l’analyse de sa valeur historique et artistique et
du témoignage qu’il pose sur le passé, ce patrimoine fait l’objet de différents traitements
où la mémoire joue un rôle essentiel.
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
La lumière,
grâce hospitalière
pour l’homme malade,
architecture et spiritualité
envers l’espace du soin
Jean-Louis Bouchard
Architecte et artiste
Intervention aux Conversations de Salerne, Beyrouth le 27 novembre 2010
Forme, histoire, spirituel
À l’origine est l’hospice. Il est religieux,
en pensée comme en pratique et la forme
conve nue du contenant est celle du
cloître. Au-delà du simple bénéfice
fonctionnel de celui-ci, il est une
forme idéale en soi, car il est le carré.
Forme élémentaire ou primitive, chère
à Malevitch comme à Kandinsky ou au
Bauhaus, le carré n’est pas orienté, à la
différence de l’église ou de la chapelle.
Aussi, plus tard, ce carré dans le cas
de l’occident chrétien, pourra entrer
dans l’espace laïc sans grande difficulté.
Mais, le carré vide ainsi créé pour les
cloîtres, et les hôpitaux qui subsistent
sur ce modèle, – et je vais ici en citer
un comme exemple où il reste à ce jour
encore, trois sœurs Augustines –, est
l’essence je crois de ce qu’est l’espace
spirituel dédié à l’hôpital. Mon exemple
se situe à Seclin, près de Lille, au nord
de la France, où Marguerite de Flandres
fonda en 1246, ce qui est l’hospice
Notre-Dame de Seclin, et servira de
modèle ultérieurement aux hospices
de Beaune. 750 ans de soins en ce lieu
qu’une des trois sœurs justement, MarieLætitia pour la nommer, me décrivait
sur place encore récemment, ce lieu
pour moi indicible dit « de la cour
carrée », frontière entre les lieux de
soin et la salle des malades, contiguë,
et axée spatialement, sur la chapelle ;
lieu décrit je la cite, « comme propice à la
méditation et la contemplation ». Ces deux
termes sont essentiels. Contemplation
et méditation, termes également qui
perdurent, sont vifs, sont philosophie.
Hormis la seule question de la foi, le beau
et le génie des lieux restent d’actualité,
tant ils outrepassent le simple religieux.
Nous sommes dans l’espace spirituel et
dans l’espace humaniste à la fois. Espace
forme et conscience. Essence majeure de
l’espace, bâti, vécu et perçu.
Aujourd’hui, nous perdons cela, au-delà
même des simples chapelles ou des
petits lieux de cultes accompagnant
les hôpitaux républicains en France.
Les hôpitaux actuels n’ont plus ces
lieux forts et fragiles à la fois, car ils
se pensent sur le fond en entreprises,
ce qui fait polémique, et en plateaux
techniques pour l’espace ou la forme
et soit disant rationnels, en cité, et
où les toits-terrasses les plus beaux ou
quelques murs d’artistes, je le crains n’y
changeront rien. Plus précisément, ces
espaces de transition tels ces cours ou
galeries étaient donc passés sans heurt
du religieux au laïc, ils étaient garants
d’un rapport au ciel et au sol, passage du
plein au vide, avec l’homme au centre,
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
avec le soin comme compagnon dans
toute la noblesse d’un prétexte majeur.
Monument de lumière
En marge du spirituel, il y avait pour
le moins un esprit des lieux. L’hôpital,
morceau de ville, à l’égal des institutions
que sont la prison, la mairie ou l’école,
fut plus que chacune de celle-ci, porté
par le monde religieux.
Aussi, au siècle des Lumières, l’aspect
majestueux du Dôme de l’Hôtel-Dieu à
Lyon, par l’architecte Jacques Germain
Soufflot, constitue selon moi, le meilleur
achèvement urbain, architectural et
humaniste de l’hôpital. Et, encore
aujourd’hui, j’ose l’affirmer. Le bâtiment
accompagne la ville, sans rupture, sans
isolement. Il s’affiche, définit l’entrée de
la ville, car il fédère par ses 375 mètres
de façade créée ex nihilo au XVIIIe siècle,
un nouveau quai du Rhône, à l’angle
d’un pont central et stratégique de
la ville de Lyon. On peut évoquer ici
évidemment, l’Italie, Saint-Pétersbourg,
voir même Brunelleschi, où ici le Dôme
a une raison et une fonction supérieure
incroyable et émouvante : « Il doit
ventiler les salles des malades et chasser
par le haut les miasmes et les virus, les
maladies ». Au-delà même de la simple
étymologie, au XVIIIe siècle, ce dôme est
justement celui de « la lumière ». Lug,
Lugdunum, lumière, Renaissance, et sous
le dôme exactement, un autel. Et, bien
sûr, magnificence du jeu des volumes
sous la lumière. Plus tard, nous le verrons
et l’entendrons avec Le Corbusier.
Cette lumière, intérieure, romane,
puis gothique et moderne, est celle
qui vient du haut. Elle est zénithale,
aérienne, guidée, travaillée, modulée,
filtrée, dirigée, réfléchie parfois, et
dans l’épaisseur massive de la façade,
médiévale, moderne, ou classique.
Dans les salles des malades de Seclin
ou de Beaune, ou de cet Hôtel-Dieu
justement que je cite, on trouve dans ces
espaces laïcs, une lumière typique de nef
basilicale ; ce « entre le dehors », comme
l’extrapolation ou image d’un narthex,
et un dedans ou cœur, qui resterait, lui,
la réelle chapelle en intérieur propre.
Mais, là où tout bascule, c’est le fait que
les lits-meubles avec leurs rideaux, et
mobilier accompagnant, en rangs alignés
dans la logique de la rationalité du soin,
ces lits, sont baignés d’une lumière à la
David ou Hubert Robert. Ainsi, nous
sommes devant le lit comme devant ce
L’Hôtel-dieu, Soufflot, Lyon.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
malade, tel en un ensemble se
retrouvant dans une position
littéralement « muséale », dans
l’ampleur de l’espace, sous la
lumière du haut nimbée de
grâce, dans la pré-forme même
du musée du XIXe siècle. Le
malade est comme au Louvre,
sous verrière, sous « scialytique
naturel ». Ainsi, je parlerais de
« Monument de Lumière »,
deuxième acte fondamental
et spirituel pour l’espace
hospitalier selon moi. Oui,
sous le dôme de l’Hôtel-Dieu,
majestueux avec un vide de
24 mètres de haut, se dresse une
haute croix, sous ce dôme se trouve
un autel. À l’instar de mes hospices à
chapelles d’extrémité, ici la chapelle
est dans une position centrée. Mais
on peut suivre la messe de même, de
gauche ou de droite, et depuis son lit.
Peut-on guérir par la prière ? En tous
cas, le malade est intercalé entre hôpital
en cloître ou lieu de soin d’une part,
et la chapelle d’autre part, malade
comme mis en cimaise horizontale au
cœur d’une invention typologique et
laïque majeure. On suit la messe avec la
même lumière que celle de la chapelle
ou son prolongement, et dans un espace
qui devient indubitablement spirituel.
Imaginons simplement un instant des
lits dans la nef de Tournus ou Vézelay, ou
de Notre-Dame de Paris ! Agnostique,
croyant ou athée, cette lumière qui vient
du haut est noble, douce, compagne de
l’intimité, et c’est celle justement des
musées depuis le XIXe siècle, et encore
à l’œuvre de nos jours.
Modernité curviligne
Dans les années 1930 en Finlande, à
Paimio, sous le trait et le génie du maître
et architecte Alvar Aalto, naissait un
vaisseau blanc magnifique et serein posé
forme blanche épurée, la baie
filante moderne, et un design
global de l’espace, du mobilier,
de la lampe, de la poignée de
porte adaptée à la main, une
œuvre paysagère et sensible.
Sensitive.
Alvar Aalto, Sanatorim-Paimio.
dans l’image même de la forêt de Carélie.
Ce sanatorium dont il est question est-il
un hôpital ? Peut-être non. Mais, en tous
cas, il est du plus riche intérêt, tant il
met l’homme moderne, de celui que
nous sommes encore aujourd’hui, au
cœur du système de soin, voir d’accompagnement, tel ces lieux que nous vivons
de nos jours. Soins palliatifs, Alzheimer,
gérontologie, cancérologie, pour n’en
citer que quelques-uns. À une maladie
spécifique répondait le style qui allait se
nommer comme s’exporter, et dit sous
le nom d’International. Bâtiment-icône
en tous cas du mouvement moderne
et d’une pensée tant fonctionnaliste
qu’hygiéniste. La desserte en automobile à l’hôpital comme à l’hôtel, ou les
circuits propres et sales, comme on les
connaît maintenant sont à l’œuvre.
Mais le spirituel, alors, direz-vous ? Je
considère qu’il est dans le détail comme
dans le global, tel que je viens d’évoquer, ou quand on parle de la voiture,
de l’ambulance, comme de l’ascenseur
monte-malades. Aalto accompagne
l’homme usager, le place en véritable
récepteur de sensibilité. Artiste complet,
il offre en plus une œuvre plastique, une
D’Aalto d’une part je dirais,
qu’il « takes care » à l’anglosaxonne, il « prend soin »,
oui littéralement. Il pense la
main en pensant la porte ou
la poignée, pour la terrasse
et les balcons, inédit dans
un hôpital à ce moment-là,
il pratique la courbe libre en
lien étroit avec la nature, il place
l’homme dans la nature. De plus, il
lui dessine une véritable chaise « en
forme », tubulaire et de série, mais à
la mesure et au confort du corps en
repos. Toit terrasse habité, espace
« moderno », espace curviligne, ondes,
auvents, arrondis, courbes, espace meublé, habité, Heideggérien, là où l’œil
comme le corps allongé est dehors, sur
ce toit à 25 mètres, à hauteur exacte
de la canopée des conifères de Carélie
finlandaise. Espace spirituel, élévation
de l’homme, au-delà de l’espace blanc,
monochrome et sans ostentation. Par
tant d’élans, Aalto accompagne le soin
dans un humanisme XXe siècle, à mon
sens rare et sans égal. Lumière du Nord
magnifiée, design scandinave inégalé,
paysage, contemplation et repos par
l’air et la lumière pour le corps et l’âme,
en un mot l’esprit. Enfin, espace curviligne moderne, modernité curviligne
car Aalto reste et restera à l’exception
peut-être du brésilien Niemeyer, le roi
de la courbe, et usant dans sa douceur,
souvent même dans l’absolue tendresse
de celle du bois cintré, plié ou thermoformé pour rompre ou accompagner la
ligne droite, et la transformer en une
formule majestueuse.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Il me resterait deux exemples
contemporains proches pour
conclure et compléter ce qui n’est
pas un catalogue mais d’avantage
un chemin de pensée. Quelques
mots donc pour l’hôpital de Tony
Garnier, architecte lyonnais du
début du XX e siècle. Celui-ci,
issu d’une formation culturelle
italianisante, donc méditerranéenne,
depuis la Villa Médicis en 1901
propose déjà dans son envoi ou
projet « une cité industrielle »,
en architecte et en urbaniste,
des établissements hospitaliers,
et ce particulièrement dessinés.
« Quatre Portes-vitrail »
Chapelle du Vinatier, Bron.
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En humaniste et visionnaire, il offre
presque une « Villa Médicis du soin ».
Et je citerai inévitablement son passage
à l’acte en son œuvre construite et qui
reste une œuvre majeure je pense :
l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon, où
l’if, la glycine, ou le rosier, pérennes
depuis 70 ans, partent à l’assaut, au
printemps comme à l’automne, des
pergolas de ciment qui ornent les entrées
des pavillons, comme celles des portesfenêtres des chambres d’un, quatre, neuf,
ou 14 lits. Hôpital paysager, hôpital
pavillonnaire dans l’excellence, vision
certes contestée, mais inscrite dans le
durable ou l’évidence criante d’une
humanité. Spiritualité collective dans ce
cas-là, et d’un groupe à taille moyenne
et maîtrisée, avec un sens du soin.
Hôpital-parc enfin, à l’image des
cités-jardins européennes, et comme
l’on pourrait le noter avec son voisin
régional du CHS Le Vinatier, toujours
près de Lyon, et où, comme chez Garnier
d’ailleurs, il faut noter qu’une chapelle
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Hôpital de Venise,
Le Corbusier
prend place dans l’organisation générale
du plan, tantôt latérale dans l’hôpital
Herriot, tantôt épicentre pour l’hôpital
psychiatrique. Et, chapelle positionnée
en véritable « point de croix » central et
organisationnel du dispositif panoptique
propre à l’asile lui au XIXe siècle, et
ce, bien sûr, sous l’ère de l’obédience
républicaine. Chapelle et spiritualité
également en ouverture au monde
extérieur.
Lumière toujours. Lumière conclusive.
Je finirai par Le Corbusier, sans choquer
je l’espère tant l’homme est nimbé
d’ombres, je pense à Alexis Carrel, mais
pour choquer également, non susciter
« interpeller » pour moi cette question
essentielle de l’architecture chère au
célèbre architecte américain Louis Kahn
encore, comme à tous ceux que j’ai déjà
évoqués : la lumière. Pour la ville de
Venise en effet, Le Corbusier, dans un
projet de 1965, peu avant sa mort, et qui
ne sera pas construit, propose un hôpital
en nappe horizontale dans le continuum
de la ville « unique au monde ». Ainsi,
une sorte d’hôpital flottant se répand sur
la lagune, et avec un concept inédit, je
cite les œuvres complètes de 1957-1965 :
« Une solution toute nouvelle a été donnée
aux chambres des malades : chaque malade
reçoit une cellule sans fenêtre à vue directe.
La lumière pénètre par des hauts jours
latéraux qui régularisent les effets du soleil.
Le jour est régulier. Il en est de même pour
la température ambiante. Ainsi les malades
ont le sentiment d’être agréablement
isolés. » J’ajouterai qu’alors une lumière
muséale individuelle et à taille humaine,
était ainsi garantie.
Nous sommes passés depuis Soufflot,
en trois siècles donc, de la lumière
divine religieuse et collective, à une
lumière monacale individuelle et sacrée.
Recentrage sur l’homme, lumière essence
et conscience. Hospitalité, modernité.
Lumière outil majeur de spiritualité.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Déménager oui, mais emporter les murs avec soi.
Dessin et montage d’Henri Leduc, cadre infirmier à l’hôpital Laennec, 1998.
Façade centrale de l’hôpital Laennec, vue de la cour d’honneur. Cliché MNATP
Fermeture
d’hôpitaux,
quelles clefs ?
Marie-Christine Pouchelle
CNRS, Centre Édgar-Morin
Publié dans Ethnologie Française, 2005
L
es hôpitaux font traditionnellement corps, corps peut-être d’autant plus clos sur eux-mêmes, qu’en
ce qui concerne celui des patients, les gestes thérapeutiques les plus invasifs y ont été pendant
très longtemps et jusqu’à tout récemment les plus valorisés. Est tentée ici une phénoménologie de
l’emprise territoriale et du contrôle de l’espace (ouvrir/fermer) dans des lieux où, au plan de l’imaginaire,
corps biologique, corps professionnel et corps architectural interfèrent puissamment les uns avec les
autres. Explorer quelques-unes des connotations ambivalentes attachées aux nœuds, aux clefs, aux
portes, aux pratiques de fermeture et de verrouillage, c’est déboucher sur l’angoisse de mort contre
laquelle bataillent les professionnels et se bâtissent bien souvent les nouveaux hôpitaux.
Une ethnologue rêve-t-elle jamais assez
son terrain ? Ne lui faut-il pas se risquer à être attentive aux harmoniques
éveillées en elle et hors d’elle par tel ou
tel trait, en s’inspirant, par exemple,
des perspectives ouvertes par Gaston
Bachelard et Michel Leiris, et en mettant
à contribution les aspects mineurs et les
plus contingents, repérés au fil de l’attention flottante [Pétonnet, 1982] et d’une
longue familiarité ? La rigueur consiste
alors en aller et retour constants entre
les matériaux et l’analyse, l’implication
et la distance, ainsi que dans la mise
à l’épreuve des interprétations auprès
des « indigènes », comme auprès de la
communauté scientifique [Favret-Saada,
1990 ; Barley, 1995 et 1997 ; Caratini,
2004]. Ces interactions sont d’autant
plus nécessaires que le terrain est plus
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sensible. Ainsi en va-t-il de l’hôpital,
parfois tout écorché vif. Avant d’aller
plus loin, comment ne pas rappeler
en effet que l’hôpital est, comme un
corps, « une maison qui exhale des plaintes
humaines » 1, même lorsqu’on y guérit ?
Notre carte sanitaire, qu’il s’agisse des
cliniques privées ou des hôpitaux publics,
se présente depuis une dizaine d’années
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
comme un tissu de plus en plus mouvant,
tout agité de flux, de dilatations et de
rétractations, respirations et expirations,
ouvertures et fermetures, fusions, transferts
[Claveranne et al., 2002, 2003]. Certes, un
tel frémissement n’est pas spécifique aux
établissements hospitaliers. Il obéit parfois
à des logiques analogues à celles qu’on
voit à l’œuvre depuis plus longtemps, dans
les industries ou les entreprises. Mais, à
l’hôpital, même lorsque les restructurations en cause ne sont pas synonymes de
perte d’emploi, elles engagent des affects
violents dont la coloration particulière
tient en partie à la singularité des métiers
hospitaliers, c’est-à-dire à leur rapport spécifique aux corps et aux personnes. C’est
ainsi, du moins, que j’interprète ce qui
s’est passé au fil des années quatre-vingtdix, au sein de l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris (AP-HP), lors de la
recomposition qui a abouti à la fermeture des hôpitaux Boucicaut, Broussais et
Laennec (BBL), et à l’ouverture de l’hôpital
européen Georges-Pompidou (HEPG) à la
fin de l’année 2000. L’opération avait été
décrite par les porteurs du projet comme
« l’une des plus importantes réorganisations
jamais conduites dans les hôpitaux publics
en France » 2.
Alors que je travaillais depuis 1992 sur
le terrain hospitalier, principalement en
Île-de-France, je fus appelée en 1997 par
certaines des directions concernées par
cette restructuration – dont une équipe
de la Direction générale de l’ AP-HP.
Elles étaient désireuses de préserver la
mémoire des établissements destinés à
fermer entièrement (Laennec et Boucicaut) ou pour partie (celle de Broussais,
la plus prestigieuse). Il s’agissait aussi
d’aider les personnels à faire le deuil de
leur établissement d’origine pour fusionner plus aisément dans le nouveau. Ces
directions n’étaient pas forcément en
phase avec les préoccupations des chefs
de projet du futur hôpital. Ce fut l’origine d’une série d’ambiguïtés. Quoi qu’il
en ait été, une convention fut signée
en 1998 entre le Directeur général de
l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
et celui du Musée national des arts et
traditions populaires (ATP). J’eus à constituer une équipe d’ethnologues qu’Anne
Monjaret, qui avait déjà travaillé sur les
cultures d’entreprises et les déménagements, m’aida à diriger [Desjeux et al.,
1998]. Cette dernière a évoqué dans un
numéro précédent d’Ethnologie Française,
consacré aux « Terrains minés », le rôle
d’« accompagnateur social » que nous, les
cinq chercheurs de l’équipe, avons finalement tenu pour les personnels [Monjaret,
2001]. Trois plaquettes, autant d’objetsmémoire, furent réalisées à destination
des personnels de l’AP-HP [Véga et al.,
1999 ; Pouchelle et al., 1999, 2000].
Corps et lieux : une
coalescence particulière à
l’hôpital
Il n’est pas sûr que les décideurs, en
matière de délocalisation hospitalière,
mesurent toujours la nature et la profon-
deur de l’attachement que les personnels
portent à un lieu de travail, peut-être
plus fortement investi que d’autres,
entreprises ou usines, parce qu’y sont
directement en question la vie et la mort
3
. Non seulement l’hôpital tire sa raison
d’être et sa légitimité sociale du soin
donné aux personnes, mais les corps
y sont dans tous leurs états, en même
temps que la parole des patients comme
celle des professionnels y a été longtemps
et y est encore souvent cadenassée. Dans
des situations émotionnelles intenses et
parfois conflictuelles, – telles qu’en ont
connu par exemple les infirmières au
contact de la douleur chez les patients
lorsqu’il n’était pas question de la soulager efficacement –, les regards se sont
accrochés aux murs, témoins silencieux,
mais obstinés, où se sont déposées souffrances, comme à d’autres moments
réjouissances, en un invisible palimpseste qui rappelle les couches superposées
des peintures, bien visibles, elles, sur
les murs des salles de garde. Entre les
patients, les hospitaliers et les corps de
bâtiment se produit parfois, au fil du
temps, une sorte d’osmose, nonobstant
Traces de patients.
Hôpital Boucicaut, octobre 1999 : à la veille de la fermeture de la maternité, le dernier accouchement programmé.
Cliché Marie-Christine Pouchelle
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Soignants : « la peau collée à celle de l’hôpital ».
Hôpital Laennec, panneau « souvenir » réalisé par le personnel pour le Dr Antoinette Salem,
médecin responsable des Explorations Fonctionnelles Respiratoires.
Cliché Marie-Christine Pouchelle, 1999.
blindages et blouses blanches, osmose
peut-être proportionnelle à la violence
des situations vécues, qui fait dire à
certains – médecins, infirmières, aidessoignantes, techniciens, agents de service voire administratifs – qu’ils ont « la
peau collée à celle de l’hôpital » [Pouchelle
et al., 2000 : 12]. De là, à l’heure du
déchirement où certains « laissaient leur
peau », les tatouages que furent les graffitis projetés sur les murs des Urgences
de Boucicaut, lorsque le grand départ eut
dénoué les interdits. Et d’ailleurs, dans
bien des esprits à Boucicaut, les puissants
qui présidaient de loin aux destinées
de l’établissement avaient bel et bien
eu pour de bon « la peau de l’hôpital »,
puisque la recomposition des sites se
faisait finalement aux dépens de celui
qui en avait été le lointain initiateur.
Corps humain, corps social et corps
de bâtiment sont, en anthropologie,
trois modèles de totalité qui s’entrecroisent dans la plupart des cultures
au point d’être bien souvent métaphoriquement
interchangeables [Douglas, 1971 : 130, 131 ;
Pouchelle, 1983 : 207 et
sq, 1986 : 322-325]. À cet
égard, l’hôpital est un lieu
d’observation privilégié.
Alors que la dimension
psychique et symbolique
de la maladie et de la
guérison y reste largement
sous-évaluée, quand elle
n’est pas déniée, le « purement » organique y tient
généralement le devant
de la scène. Du coup,
dans l’esprit de nombre
de professionnels, le geste
chirurgical continue à représenter le
modèle par excellence de l’action efficace 4. Et ce geste engage les opérateurs dans des pratiques de l’espace où
l’intériorité corporelle la plus exiguë
prend des allures tantôt architecturales,
tantôt paysagères et même cosmiques
[Lévi-Strauss, 1958 ; Pouchelle, 1995].
Comme l’avait noté Gaston Bachelard :
« Dès qu’on va rêver ou penser dans le
monde de la petitesse, tout s’agrandit. Les
phénomènes de l’infiniment petit prennent
une tournure cosmique » [Bachelard,
1977 : 13].
Sur un autre plan – où corps propre et
corps de l’autre, corps individuel et corps
social sont entremêlés –, le théâtre hospitalier offre de nombreux spectacles
de dissociation, éminemment contagieux, aux yeux des personnels [Véga,
1999, 2000] : distension, voire rupture
du lien social et familial sanctionnant
toute hospitalisation de patients, corps
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entamés par la maladie et la mort, mais
aussi parfois par des actes diagnostiques
ou thérapeutiques. Il faut compter aussi
avec le « saucissonnage » bien connu
des corps et des personnes en domaines
attribués à des spécialités distinctes. Tout
cela constitue autant de menaces symboliques. D’où, chez les professionnels,
le développement de rituels d’agrégation
identitaires, destinés à restaurer leur
unité personnelle et communautaire 5,
rituels justement mis en question par les
réorganisations humaines qu’entraînent
les déménagements.
Enfin, la surface socioprofessionnelle des
chefs de service s’est jusqu’ici mesurée en
nombre de lits et en territoires géographiques bien défendus auxquels le corps
des patrons est quasiment coextensif.
Cette emprise médicale mérite qu’on
s’y arrête, puisqu’elle est une donnée
majeure dans les jeux de pouvoir qui se
déploient à l’occasion des restructurations hospitalières, et qu’elle contribue
à rendre problématiques les fermetures
d’établissements.
La prise de possession de l’espace hospitalier par le corps médical a commencé
au XIXe siècle, après que les hôpitaux
ont été attribués aux médecins comme
espaces privilégiés de la recherche et
de l’enseignement anatomo-cliniques,
mais pour des raisons qui ne tenaient
pas nécessairement à l’excellence thérapeutique [Faure, 1981 ; Borsa et al.,
1985]. Au fil du temps se constituèrent
des féodalités profondément ancrées au
sein des établissements, phénomène
accentué à partir de 1958 par la loi Debré
instituant le plein-temps hospitalier. Les
patrons ont jusqu’ici fait traditionnellement souvent l’essentiel (quand ce
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
n’est pas la totalité) de leur carrière sur
le même site, les surveillantes épousant
généralement leur cause, au sens propre
comme au sens figuré. Se sont produits
des cloisonnements farouches, concrets
et symboliques, entre des services plus
souvent rivaux qu’alliés. Des « services » ? Des « maisons » bien plutôt, et,
naturellement, des maisonnées familiales
fortement hiérarchisées, où le patron et
la surveillante occupent des positions
analogues à celles du Père et de la Mère
chez les Compagnons. La ressemblance
n’est pas fortuite : le compagnonnage
est une référence identitaire forte chez
les médecins, et plus encore chez les
chirurgiens.
L’étonnement d’un historien de la médecine espagnole, récemment, sur l’appropriation des espaces hospitaliers par les
médecins français 6 fait penser qu’il y
aurait là-dessus des études comparatives
à mener d’un pays à l’autre. Peut-être y
trouverait-on aussi du même coup la raison de la spécificité des hôpitaux français
en matière de salles de garde, creusets
emblématiques de notre corps médical,
chaudrons de son embryogenèse. Ce
qu’on appelle aussi l’internat, aujourd’hui
menacé, donne à voir le triomphe de la
présence médicale dans des hôpitaux.
S’y est affirmée de manière parfois fracassante la spécificité du regard anatomo-clinique en rupture, au XIXe siècle,
avec l’univers religieux où baignaient les
établissements 7. Mariant allègrement
Eros et Thanatos, le folklore carabin s’est
développé bruyamment jusqu’à nos jours
dans ces lieux en principe interdits aux
non-initiés, les murs des salles de garde
regorgeant de « bidoche », c’est-à-dire
de scènes érotiques peintes les plus crues
possibles, comme aussi de débris alimentaires de plus concrets [Godeau, 2002] 8,
et présentant nombre de portraits, plus
ou moins caricaturés, de morticoles bien
reconnaissables. Autant dire que ces
murs sont bel et bien vivants.
Les salles de garde furent et sont traditionnellement hostiles aux directions
hospitalières. Aujourd’hui, les administratifs ne sont pas fâchés, par exemple,
d’arguer de nécessités économiques pour
en supprimer la cuisine, fondement de
rituels conviviaux où se fabrique l’identité médicale. « Ils n’ont qu’à manger
au self, comme tout le monde ». Dans
l’hôpital Pompidou en construction, la
salle de garde n’avait pas été prévue,
et il fallut la mobilisation des patrons
pour qu’on lui trouve un lieu. « Je la
mettrai près de la morgue ! » aurait lancé
le directeur de l’hôpital. Ce contexte
menaçant explique que certaines des
fresques de la salle de garde de l’hôpital
Boucicaut, qui avaient été peintes sur
des panneaux de contreplaqué, furent
finalement confiées au musée des ATP.
Une telle donation, faite par l’entremise
d’un jeune médecin, va à l’encontre du
secret caractéristique de la culture des
salles de garde. Elle a parfois été diversement commentée au sein du corps
médical (« Rien ne doit sortir de la salle
de garde »), comme chez le personnel des
ATP, surpris par le caractère obscène des
fresques en question. Cependant, c’est
avec une jubilation manifeste que tout
récemment, en cours d’opération, un
chirurgien auquel je confirmais que les
panneaux se trouvaient bien désormais
dans les réserves du musée m’a indiqué
comment retrouver son propre portrait
sur la fresque en question.
Franchir et verrouiller
Avant même la création de l’Internat,
les chirurgiens furent traditionnellement
de garde dans les hôpitaux. À cause de
cela, mais aussi probablement en raison
du caractère d’abord particulièrement
éprouvant de leur activité (se souvenir des débuts tardifs et incertains de
l’anesthésie au milieu du XIXe siècle) et
de la violence qu’il leur faut exercer de
toutes manières pour entamer les limites
du corps d’autrui, les chirurgiens ont
classiquement fourni aux salles de garde
beaucoup de leurs leaders, de leurs piliers
pour ainsi dire. Leur volonté de maîtriser
lieux et groupes se manifeste clairement
au bloc opératoire, et aboutit parfois à
des conflits brutaux entre confrères, pour
l’occupation des salles d’opération. Ce
goût pour l’emprise territoriale pourrait bien aller de pair avec le contrôle
de l’espace corporel qu’implique leur
activité, et qui définit en tout premier
lieu leur identité professionnelle : il
s’agit de maîtriser la plaie opératoire,
les vaisseaux et les « no man’s lands »
où ils se sont hardiment aventurés. Ce
n’est donc pas un hasard si le premier
de tous les apprentissages, chez ceux qui
se destinent à la chirurgie, consiste à
« faire des nœuds » chaque jour pendant
plusieurs mois, comme je l’ai entendu
tout récemment recommander en salle
d’opération par un praticien à un interne
débutant 9. « D’ailleurs, ce sont des demiclefs, et pas des nœuds. Comme ça on
peut les empiler. Il faut d’abord descendre
[le nœud sur le fil] et verrouiller… ». On
notera en passant qu’au contrôle vital
de l’espace par des professionnels dont
le métier consiste à ouvrir et fermer des
frontières, correspond, pour ceux qui
travaillent avec eux, de très grandes difficultés à leur fixer des limites. Infirmières
de salle d’opération, cadres infirmiers du
bloc opératoire et médecins-anesthésistes
en savent quelque chose. Quant aux
directeurs administratifs, ils estiment
souvent que plus un hôpital est « chirurgical » plus il est difficile à manier. Si
j’ai choisi beaucoup de mes exemples
dans le pré carré des chirurgiens, c’est
donc justement parce que les enjeux
territoriaux y sont le plus clairement
posés, qu’il s’agisse du corps biologique,
du corps social, ou du corps de bâtiment.
En fin d’opération, les seniors laissent
aux juniors le soin de refermer l’inci-
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
sion opératoire. En dehors de l’intention
pédagogique des aînés, il faut bien dire
que fermer ou refermer n’a pas pour les
chirurgiens confirmés l’attrait qu’a, après
l’ouverture – après « la volupté d’entailler »
10
– l’exploration de territoires vierges
ou, plus difficile, de tissus remaniés par
une opération précédente. Sans parler
du plaisir, ensuite, du « geste ». Cet élan
à investir les espaces les plus reculés du
corps fait tout le prestige des équipes
de chirurgie cardiaque, parce qu’elles
interviennent sur un organe vital particulièrement bien défendu. Est-ce un élan
du même genre qui a poussé les équipes
de Broussais, fortement organisées autour
du pôle cardio-vasculaire mené par les
chirurgiens, à accepter d’emménager les
premières, et plus vite que prévu initialement, dans les terres d’emblée inquiétantes du nouvel hôpital, contrairement
à ce qui avait été convenu (Laennec
aurait dû emménager en premier) ?
Dans cette restructuration, être celui qui
ferme pour de bon les sites n’était pas plus
valorisant que, au plan des patients, être
celui qui referme une plaie opératoire
ou, pire encore, celui qui s’occupe des
mourants. « Faire la peau » lorsqu’on
referme une incision opératoire, c’est
n’avoir qu’une responsabilité de surface,
celle de la cicatrice, et l’attention qu’y
portent les patients n’éveille bien
souvent chez les chirurgiens qu’un sourire
amusé. Fermer un hôpital ou veiller
sur une fin de vie : dans les deux cas,
collègues et confrères y voient avec une
certaine condescendance une activité
qui n’aboutit à « rien ». « Mais qu’est-ce
que tu peux bien faire ? », demandent ses
collègues à tel administratif, en charge de
la clôture de l’un des sites après le départ
des personnels. Car ceux qui assistent
les corps et les personnes en fin de vie
font-ils quoi que ce soit 11 ?
L’attrait du « faire » n’est pas spécifique
du milieu hospitalier, mais il y est très
déterminant. N’appartient pas non plus
en propre à l’hôpital la culture de projet
qui fut celle de l’HEGP pendant près de
vingt-cinq ans avant son ouverture et qui
imprègne aujourd’hui notre vie sociale.
En tout cas, la conjonction des deux
dans la dynamique du futur hôpital n’a
guère laissé de place à ceux qui, en fin
de course, ont semblé rester en arrière.
Après l’éloignement des équipes et leur
arrivée sur le nouveau site, ces derniers
sont apparus comme englués dans les
locaux désinvestis, n’ayant plus qu’à finir
d’évacuer l’établissement. Il s’agissait
de vider les lieux dans tous les sens du
terme, en essayant de ne pas disparaître
avec le flot.
« N’ayant plus qu’à
évacuer… »
À la fin janvier 2001, à Boucicaut par
exemple, la tâche était multiforme et
supposait une capacité d’invention
certaine pour résoudre des situations
qui n’avaient pas de précédent, avec
des moyens réduits, la perspective
d’avoir la ligne téléphonique coupée
très prochainement, un bureau désormais privé de son mobilier principal et
même de sa porte. La machine à café,
machine à fabriquer de la convivialité
au moins autant qu’à soutenir l’énergie des acteurs, n’était plus là. Gérer
les départs d’équipements n’était pas
de tout repos, le gardiennage du site
par des sociétés extérieures ne l’était
pas non plus. Tout incident devenait
difficile à traiter, comme la fuite d’eau
importante que provoquèrent, en testant
un bâtiment, des experts envoyés par
la Ville de Paris, acquéreur du site, en
testant un bâtiment. Il s’avéra malaisé de
réglementer les allées et venues, et par
exemple d’interdire le site à d’anciens
personnels de Boucicaut qui, habitant
à proximité de l’hôpital et travaillant
désormais à l’HEGP assez proche avaient
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toujours considéré l’hôpital comme leur
parking. Ils entendaient bien y conserver
le droit d’y garer leur voiture, pour des
raisons aussi pratiques que symboliques :
« Moi je me suis toujours garé à Boucicaut,
pourquoi je n’ai plus à m’y garer ? Je vais
faire intervenir l’avenue Victoria [siège de
l’AP-HP]. Moi, je travaille à l’HEGP, j’ai le
droit de me garer à Boucicaut ! ». Conclusion du responsable : « Il faut qu’on ferme
quoi !… Donc, faut être ferme ». Le jeu de
mots involontaire témoigne de la poigne
qu’il fallut montrer à certains moments.
Fermer ce n’était pas lâcher mollement
prise. C’était agir efficacement pour remplir la mission de l’hôpital jusqu’au bout,
contre vents et marées quelquefois et le
rendre provisoirement « étanche » jusqu’à
ce que le site, devenu propriété de la
Ville de Paris, soit remis à ses prochains,
et divers, occupants.
Verrouiller est une activité courante à
l’hôpital, même aujourd’hui, où il est
beaucoup question de « l’ouverture »
des établissements sur la ville. Pour
l’ethnologue, les verrouillages matériels
entrent en consonance avec les blindages émotionnels qui appartiennent
en propre à une culture hospitalière
fortement contrastée puisque, comme
nous l’avons vu plus haut, il s’y produit
également des osmoses tout aussi fortes.
Les cuirasses revêtues par certains, en
particulier en réanimation, sont parfois
impressionnantes : fermeture du visage,
attitudes involuées, comportements de
fuite. Certains professionnels exclusivement investis dans la technique et
probablement en proie à un burn out
à peine conscient deviennent ainsi,
aux yeux de malades physiquement et
psychologiquement fragilisés, des personnages inquiétants, quasi robotisés, à
l’opposé du stéréotype facilement accolé
aux infirmières supposées souriantes et
bienveillantes, ouvertes.
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Sur le plan concret, blocs opératoires et
réanimation sont des espaces évidemment clos et clôturés par excellence au
sein des hôpitaux, à l’opposé des effractions corporelles qui y sont justement
pratiquées sur des patients soigneusement
immobilisés, fussent-ils conscients, pour
des raisons qui ne sont pas toujours seulement de sécurité. En réanimation, les
infirmières et les aides-soignantes font
des nœuds pour attacher les patients
au cadre de leur lit [Pouchelle, 2003 :
65-98], mais cette pratique déborde très
largement de ces services hautement
techniques : c’est une pratique habituelle
dans bien d’autres secteurs hospitaliers,
en gériatrie par exemple.
Ces nœuds concrets et symboliques
manifestent un verrouillage beaucoup
plus général des « machines à guérir »,
où l’on a longtemps surveillé et puni 12,
où l’on a beaucoup fermé de portes à clef
dans un contexte de méfiance vis-à-vis
du monde extérieur (et donc aussi des
patients) comme vis-à-vis du personnel
qu’on disait ancillaire, ainsi que dans une
situation de pénurie quasi chronique en
ce qui concerne le matériel [Véga, 2000].
Contrôle de l’espace, des corps et des personnes, contrôle des flux, avec la crainte
perpétuelle d’être débordé caractérise
ainsi nos cultures hospitalières 13. D’où,
sans doute, le rôle emblématique qu’y
tiennent les porches d’entrée, surtout
lorsqu’ils sont anciens. Comme l’a montré Anne Monjaret [2001] en renvoyant
aux analyses de Maurice Halbwachs, la
mémoire collective, dans les trois hôpitaux BBL, s’est fortement ancrée dans
les lieux, et c’est avec raison qu’elle a
rappelé l’importance des porches (celui
de Laennec ayant même fait dans un
passé relativement proche, l’objet d’une
campagne de défense à laquelle participèrent activement les médecins de
l’hôpital 14). J’ajouterai que clefs et portes
jouent en tout cas dans les mémoires
un rôle considérable 15, qui dépasse les
anecdotes relatives au bruit que faisaient
les clefs à la ceinture des religieuses de
l’hôpital Boucicaut, du temps où celles-ci
faisaient fonction de surveillantes, avec
une autorité de fer 16. Ainsi, fait sens la
manière dont le musée de l’Assistance
Publique a récemment accueilli dans ses
collections une épaisse vieille porte à
judas grillagé, relique de l’ancien hôpital
Saint-Lazare, dont il lui a été fait don
en 2004. Les surveillantes laïques – on
dit maintenant les cadres infirmiers –
lorsqu’elles prennent en main un nouveau service n’échappent pas aujourd’hui
à la passation du trousseau de clefs, et j’ai
pu constater, il y a quelques mois auprès
d’une infirmière, que la possession de
telle clef valait pour celle
d’un trésor (en l’occurrence l’assurance d’avoir
à disposition les moyens
matériels nécessaires à sa
tâche).
saveur particulière, la manière dont il y
a quelques années, au sein de l’hôpital
Pompidou inachevé – où les services de
soins et médico-techniques n’étaient
pas encore installés, mais où la direction
avait délibérément pris place plus d’un
an avant l’ouverture –, tel administratif
d’importance a brandi pour rire devant
les ethnologues, l’équivalent d’une prise
de guerre : l’imposante clef de l’ancien
hôpital de la Charité (sur l’emplacement duquel a ouvert, dans les années
cinquante, la nouvelle faculté de médecine de la rue des Saint-Pères, dans le 6e
arrondissement), grosse clef ancienne
valant pour un sceptre antique et vénérable, et, à ce titre, garante de légitimité
historique – même « pour rire ». Cette
Clef, mémoire,
pouvoir
Les précurseurs des
directeurs actuels ne
furent jusqu’en 1941
que des « économes »,
et aux yeux des chefs
de service, ils ont gardé
longtemps le stigmate
de leur servitude. Ils se
distinguaient cependant
par la possession des
clefs, emblèmes de leur
maîtrise, toute relative à
l’époque, de l’espace hospitalier. Prend alors une
En attendant la benne.
Hôpital Broussais, 2000. Cliché
Marie-Christine Pouchelle
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
clef appartenait au mobilier de l’hôpital
Laennec, où l’intéressé, porteur du projet
du futur hôpital, avait œuvré auparavant. Lorsqu’en 1999, la conservatrice
du musée de l’Assistance Publique la
rechercha dans l’hôpital pour l’exposer
à l’occasion du Cent-cinquantenaire
de l’Assistance Publique, elle devait
s’étonner de ne pas l’y trouver, alors
que l’Inventaire de l’hôpital en faisait
mention.
Emporter cette clef dans le nouvel
hôpital, c’était obéir à un mouvement
en partie analogue à celui qui a animé
certains membres du personnel hospitalier à l’approche de la fermeture de BBL.
Ont été par exemple transférés dans le
nouvel hôpital, à l’initiative d’individus
ou d’équipes des anciens sites, quelques
éléments de mobilier ou de décor puissamment identitaires (chaises caractéristiques d’un service de Boucicaut,
tableau figurant dans la salle d’attente de
radiographie du même hôpital, vitrine
« historique » d’objets de soins
réalisée par un cadre infirmier de
Laennec, panneaux d’une grande
fresque ornant les murs du service
d’imagerie de Laennec…). Curieusement d’ailleurs, cette fresque,
faute de place, est en morceaux à
l’HEGP, à l’image peut-être du sentiment de dissociation éprouvé par
certaines équipes.
musée des ATP, avait-il disparu lorsque
le camion de la Réunion des Musées
Nationaux est venu en prendre livraison.
À Boucicaut, un respirateur artificiel
(non destiné aux Musées) fut subtilisé
lors d’un week-end, dans le service de
réanimation. À Laennec, tel médecin
souhaitait récupérer pour lui-même un
banc ancien de grandes dimensions en
profitant des transports destinés au musée
des ATP… Les motifs de ces captations
furent divers : depuis la récupération à
des fins de revente jusqu’à une destination « humanitaire » (prévue d’autre
part par l’AP-HP pour certains matériels
déclassés) imputée à tort ou à raison aux
médecins étrangers originaires de pays du
Tiers-Monde, en passant par l’appropriation symbolique du lieu prochainement
abandonné.
Mais on n’emporte pas n’importe quel
souvenir. La grande clef ancienne de
la Charité pouvait fonctionner comme
une référence symbolique puissante, pour
Se sont aussi produites dans ce
contexte des appropriations plus
ou moins sauvages de matériels
divers, appropriations qui sont
parfois entrées en contradiction
avec la volonté patrimoniale de
l’institution ou la collecte d’objets,
entreprise par le musée des ATP à
l’occasion de la convention passée avec l’AP-HP. Ainsi, l’ensemble
des objets relatifs à la morgue de
Broussais, soigneusement mis
sous clef pourtant à l’intention du
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un administratif qui tout en redoutant
l’ancrage des équipes BBL dans le passé,
n’avait pas la légitimité historique que
donne aux médecins un serment vieux
de quelque 2 500 ans. Brandir en plaisantant aux yeux des observatrices que
nous étions un objet aussi emblématique
et très manifestement ancien au cœur
d’un nouvel hôpital présenté comme
celui du futur, c’était se présenter comme
le maître du temps aussi bien que des
lieux, sur le modèle des chefs de service qu’il s’agissait depuis des années de
séduire et/ou de dompter pour les faire
adhérer au projet HEGP. C’est peut-être
pour des raisons analogues (et parfaitement inconscientes dans l’institution
comme chez le maquettiste en cause)
que le projet « Ressources Humaines de
l’HEGP » fut, en 1998, présenté dans Relais
(La Lettre des Cadres de l’HEGP) assorti
d’une vignette aux allures « médiévales »
(?) portant l’inscription « Charte de
l’HEGP »…17
Mettre le passé
à la porte ?
Dans le film Les Hôpitaux meurent
aussi (déjà cité en note et tourné
en 1998 à Laennec), la directrice
de l’hôpital fait état de son malaise
devant la fermeture prochaine de
l’établissement : « Il va falloir fermer une porte […] La représentation
mentale de la fermeture m’a fait de la
peine […] Je ne me voyais pas […] ».
Certes, la fermeture de Laennec,
comme celle des deux autres hôpitaux, n’était pas censée impliquer
de cessation d’activité et, du reste,
le discours officiel véhiculé par les
chargées de communication par-
« Transférable à l’HEGP ».
Hôpital Boucicaut, 2000.
Cliché Marie-Christine Pouchelle
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
lait plus de transfert que de fermeture :
les équipes intégreraient pour la plupart le nouvel hôpital, et l’opération
n’entraînerait pas en principe de perte
d’emploi pour les personnels de l’Assistance Publique (mais ceux qui avaient
été embauchés sur des contrats à durée
déterminée et certains des personnels les
moins qualifiés se sont toutefois retrouvés en difficulté). Les nombreux sites
de l’institution devaient permettre de
redéployer les personnels qui n’iraient
pas dans le nouvel hôpital.
Mais se représenter spontanément la
fermeture de l’hôpital comme une fermeture de porte signifiait malgré tout
qu’était bien en cause la fin de quelque
chose, à peu près aussi radicalement que,
lors d’un prélèvement d’organes à des
fins de transplantation, le clampage de
l’aorte (interruption de son flux à l’aide
d’un clamp) semble « tuer » le patient
pourtant déjà cérébralement mort. La
transposition organique est ici mienne.
Mais elle s’appuie sur des constantes
de l’imaginaire qui transparaissent par
exemple dans le discours de tel chirurgien, ex-Broussais, appliquant l’image
de la porte aux valves cardiaques 18, ou
encore dans le film de Mark Kidel, où
l’image des gros « vaisseaux » souterrains de l’hôpital Laennec (tuyaux et
conduites en sous-sol) est scandée par
de sourds battements de cœur. Et déjà
Rilke n’avait-il pas ressenti que monter
en songe d’obscurs escaliers en spirale,
ce pouvait être y avancer « comme du
sang dans les veines » ? 19.
Le clampage de l’aorte reste symboliquement décisif lors des prélèvements
d’organes, car il consacre l’irréversibilité
du passage de la vie à la mort. Dans le
transfert de l’hôpital ancien à un nouvel hôpital présenté depuis longtemps
comme la Terre Promise – transfert parfois qualifié d’ailleurs de transplantation
– la fermeture imaginaire d’une porte
venait signifier un « jamais plus », qui
est celui de la mort d’une communauté,
mort contestée par les autorités mais
couramment évoquée sur chaque site
par les personnels des trois hôpitaux.
Fermer l’hôpital, c’était ouvrir la porte
à l’angoisse de mort. Angoisse d’autant
plus forte que la mort, précisément, est
la mauvaise fée redoutée, contre laquelle
ont été établies par les hospitaliers toutes
sortes de chicanes et de dénégations
défensives.
Or était en question un changement
culturel qui se voulait radical. L’HEGP,
hôpital du XXIe siècle, devait être celui
des nouvelles technologies tous azimuts.
Il serait par exemple « zéro-papiers »,
avait-il été annoncé, grâce au tout
informatique. Dans son architecture
transparente et lumineuse, où le confort
hôtelier et la simplification des formalités
concourraient au bien-être des patients,
devait s’établir une nouvelle gouvernance : accent mis sur la transversalité,
disparition des chefferies de services au
profit de pôles fonctionnels… 20. Passage
d’une organisation artisanale et considérée comme tribale à la fonctionnalité de l’ère post-industrielle, axée sur
l’inter-activité, la complémentarité et
les échanges, la fluidité des ressources
humaines (horaires variables – « grande
équipe – polyvalence des agents, externalisation des fonctions annexes telles
que le ménage ou la restauration). Tout
cela aboutissant, comme l’accent mis
désormais sur les plateaux techniques, à
une spécialisation accrue de la fonction
hospitalière réduite au traitement de la
maladie dans ce qu’il a de plus médicoscientifique. Ainsi, les visées de l’administration correspondaient à un courant
bien présent chez certains médecins dès
leur formation, et reconnaissable à de
multiples signes dans notre système de
santé, en dépit des efforts de ceux qui
luttent pour l’humanisation de ce dernier
et pour une définition plus adéquate et
donc plus large de la prise en charge
thérapeutique.
Se profilait une sorte de Meilleur des
Mondes, propre et net [Huxley, 1994 :
129-130] 21, qui laisserait bien loin en
arrière de lui la vétusté, la saleté et
« l’irrationalité » de Boucicaut et Laennec (pour Broussais, il en allait différemment en ce qui concerne en tout
cas le bâtiment Leriche). Quant à ceux
pour qui « la chaumière [avait] un sens
humain beaucoup plus profond que tous les
châteaux en Espagne » [Bachelard, 1977 :
101], ils faisaient sans doute avec l’auteur
de cette formule figure de dégénérés et
d’attardés. À l’horizon imaginaire du
nouvel hôpital miroitait une nouvelle
organisation, témoignant de la victoire
de la raison gestionnaire sur les féodalités médicales évoquées au début de cet
article, au sein d’un espace éternel – pas
d’horloge publique dans la rue hospitalière de l’hôpital, et une végétation
exotique ne marquant pas clairement les
saisons – où la maladie, la décrépitude
et la mort seraient pour de bon vaincues
[Marin et alii, 2002].
Dans le déménagement imposé, il ne
s’agissait donc pas seulement de quitter
des lieux, mais d’abandonner un style de
vie professionnelle. Puisqu’il n’était pas
possible, sauf à accepter de passer pour
un arriéré, d’émettre des doutes sur le
Paradis d’abord proposé et finalement
obligatoire, la nostalgie des lieux a tenu
une place métaphorique : ces hôpitaux
pavillonnaires ont été d’autant plus
regrettés qu’à travers l’attachement
qu’on affirmait leur porter, quelque
chose d’autre pouvait s’énoncer d’une
résistance, en effet, au nouvel ordre des
choses.
Aujourd’hui, quatre ans après l’ouverture de l’HEPG, le fonctionnement en
pôles laisse à désirer. Malgré les efforts
de la direction de l’hôpital et de certains
médecins, les anciennes féodalités ont
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Un déménagement contesté.
Hôpital Laennec, affichage syndical,
1999. Cliché Marie-Christine Pouchelle
eu la vie plus dure que prévu, en dépit
des départs à la retraite de quelques
chefs de service, départs sur lesquels
comptait bien l’administration. Ainsi,
à la fin de l’année 2004, un nouveau
bastion, chirurgical, s’est reconstitué,
avec colonisation de bureaux dans une
partie officiellement non utilisée de
l’hôpital. L’endroit qui, d’après l’un des
intéressés, était auparavant un « espace
de non-droit », fait maintenant figure
de forteresse.
Aussi dans cette restructuration, s’il y
a eu des points de non-retour franchis
– les trois hôpitaux ont bien fermé – la
transparence et la fluidité annoncées
comme caractéristiques du nouvel hôpital restent problématiques. Ce n’est peutêtre pas un hasard si les portes y font
question. La légèreté et l’automatisme
de certaines donnant directement sur
l’extérieur contraste avec la densité des
portes intérieures à ouverture manuelle,
dont la pesanteur est pénible pour certains patients âgés ou affaiblis par la
maladie. Cette lourdeur est devenue
quasi proverbiale dans l’un au moins des
blocs opératoires, labyrinthe lourdement
cloisonné à l’intérieur, bien que parfois
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perçus comme poreux d’autre part sur
certaines de ses frontières extérieures.
Ces inconséquences architecturales
dénotent-elles une certaine rigidité
conceptuelle et administrative ? Serait-ce
que la propension au verrouillage, remarquée dans les hôpitaux anciens, subsiste
sous d’autres formes dans le nouveau ?
Ce serait alors le retour du refoulé,
comme le fut aussi, concrètement et
symboliquement dès l’ouverture du
nouvel hôpital, la prolifération de la
légionellose, stagnant dans les bras morts
des canalisations, en contradiction avec
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
l’image si propre et si dynamique que
l’hôpital voulait donner de lui-même.
Se seraient-elles vengées les mauvaises
fées, non-invitées à la naissance de ce
nouvel hôpital où la morgue avait été
d’emblée sous-dimensionnée ?
Ceux qui avaient à fermer les hôpitaux
ont eu affaire aux affres de notre finitude,
esquivées par les porteurs du projet de
l’hôpital futur. À quoi d’ailleurs ces derniers voulaient-ils donc fermer la porte
en ouvrant le nouvel établissement, si
ce n’est à la mort couleur de passé ? Mais
la camarde a plus d’un tour dans son
sac. Au nez et à la barbe des nouvelles
technologies et des transformations de
l’espace hospitalier, indéfectible sentinelle postée au détour des couloirs,
indifférente aux portes, aux clefs, aux
nœuds et aux blindages, elle continue
de poser sans relâche aux hospitaliers
comme aux patients, la question du sens.
Face aux menaces de dissociation qu’elle
représente, les personnels reconstruisent
patiemment, au fil des jours, le maillage
relationnel informel indispensable
au fonctionnement de l’hôpital, leur
appartenance aux anciens réseaux des
sites fermés depuis 2000 venant tantôt
faciliter tantôt freiner l’invisible tissage
par lequel prend corps, lentement, le
nouvel établissement.
NOTES
1 - LEIRIS, Michel (Aurora), cité par Gaston
Bachelard [1977 : 126] (sur « l’isomorphisme »
corps/maison voir aussi Bachelard [1977 : 97,
98, 173,174]).
2 - Un Avenir Commun, brochure réalisée
par l’équipe de projet HEGP, octobre 1997 (2e
édition) : 5.
3 - Sur l’appropriation des bureaux dans
les entreprises ou les institutions, cf. Anne
Monjaret [1996].
4 - Sur l’action et la guerre en médecine et en
chirurgie Pouchelle [2004]. Gaston Bachelard
[1976 : 40] ne manque pas de citer la chirurgie
lorsqu’il examine « la volonté incisive et les
matières dures ».
5 - C’est particulièrement net dans le cas
des rituels carabins permettant aux futurs
médecins d’affronter la dissection des
cadavres. Emmanuelle Godeau [1994].
6 - Entretien avec Luis Montiel (Universidad
Complutense), Paris, octobre 2004.
7 - Sur le climat des salles de garde fin
XIXe siècle, on trouvera des éléments
intéressants dans Léon Daudet, Les Morticoles
[1894]. Curieusement, ni Olivier Faure, ni S.
Borsa et C.-R. Michel n’attachent d’attention
aux salles de garde. Voir en revanche
l’ouvrage édité par l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris lors de la célébration du
bicentenaire de l’internat (2002).
8 - Voir aussi la thèse de doctorat en
Ethnologie d’Emmanuelle Godeau [EHESS,
2004], La Coutume des carabins. Ethnologie de
l’internat.
9 - Paris, 2004, observation dans un bloc
opératoire (CHU).
10 - Georges Blin, Poésie 45, n° 28 : 44, cité
par Gaston Bachelard [1976 : 41].
11 - Sur les soins palliatifs en tant
qu’« espace » de « décision », cf. Isabelle Marin
[2004]. Sur l’imaginaire de la mort en maison
de retraite, voir Arnaud Hédouin [2004].
12 - Aux analyses de Michel Foucault, et
d’Ervin Goffman on ajoutera par exemple
le témoignage très significatif d’Alphonse
Boudard [1972] sur les hôpitaux publics dans
les années cinquante.
13 - Sur le contrôle de l’espace en hôpital
psychiatrique et le vécu d’un changement de
lieu, voir le rapport d’Evelyne Lasserre et Axel
Guioux [2001].
14 - Témoignage du Pr Haas dans le film
Les Hôpitaux meurent aussi… Mark Kidel,
1999, Arte/Les Films d’Ici. Voir aussi plus
généralement Communications (2000).
15 - Voir la place qu’elles tiennent dans la vie
domestique [Kaufmann, 1996]. Référence.
Soseki supprimée.
16 - Il y eut des religieuses à Boucicaut
jusqu’en 1975 [Pouchelle, 2000].
17 - Relais. La Lettre des Cadres de l’HEGP, n° 7,
1er trimestre 1988 : 5.
18 - Pr. Alain Carpentier, Club Mitral,
Colloque international de chirurgie
cardiaque, HEGP, 9 décembre 2004 : « I always
use metaphore of the door : surface of the door is
very important to decide the proper size of the ring
to be selected ».
19 - Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge :
33, cité par Gaston Bachelard [1977 : 97].
20 - Voir par exemple ce qui était annoncé
dans la brochure Un avenir en commun [HEGP,
1997].
21 - Ce n’est pas par hasard que l’ouvrage est
également cité par Victor Scardigli [2003]
à propos de la fascination qu’exercent les
nouvelles techno-sciences (ici il s’agit du
clonage des embryons humains).
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Cour d’honneur de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Bruno François)
Transmission par la conservation
Les hospices civils de Beaune et leur musée de l’Hôtel-Dieu
Bruno François
Chargé de mission patrimoine hospitalier et culture à l’hôpital
Agence Régionale de Santé de Bourgogne
Chargé des collections des Hospices civils de Beaune
Conservateur délégué des antiquités et objets d’art de la Côte-d’Or
C
’est pendant la période révolutionnaire, en l’an V (1797) que fut constituée l’institution des
Hospices civils de Beaune, par le rattachement à l’Hôtel-Dieu – hôpital fondé au XVe siècle par
le chancelier du duc de Bourgogne – de l’hospice de la Charité – orphelinat créé au XVIIe siècle
par un couple beaunois. Depuis cette date, la destinée des deux fondations est dirigée par une même
commission administrative.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Les Hospices civils de Beaune sont
aujourd’hui composés de quatre établissements de soins : le centre hospitalier
Philippe-le-Bon (ill. 2), d’une capacité
de 207 lits, a ouvert le 21 avril 1971, il
regroupe l’ensemble des services actifs et
médico-techniques ainsi que les services
administratifs et logistiques ; le centre
Nicolas-Rolin comprend 90 lits de long
séjour et 30 lits de moyen séjour, convalescence et rééducation ; les maisons de
retraites de la Charité et de l’Hôtel-Dieu
sur deux sites d’une capacité de 174 lits ;
enfin le centre de guidance infantile,
situé dans l’hospice de la Charité,
accueille de jeunes enfants suivis pour
des handicaps divers.
Les Hospices gèrent aussi un domaine
privé très important composé d’un parc
immobilier dans la ville de Beaune, de
terres agricoles et de forêts, d’un prestigieux vignoble – dont la vente annuelle
des vins est célèbre dans le monde entier
(ill. 3) – et du musée de l’Hôtel-Dieu. Ce
domaine privé fournit aux Hospices civils
de Beaune une dotation qu’ils utilisent
pour les investissements hospitaliers ainsi
que pour l’entretien du domaine.
Le musée, au même titre que les autres
biens, constitue une source de revenus
très importante pour la survie de cet
établissement de soins, situé à égale distance de deux gros centres hospitaliers,
Dijon et Chalon-sur-Saône. Sans cette
manne financière issue du domaine et
une activité soutenue par des praticiens
de qualité, les services hospitaliers de
chirurgie et de maternité seraient fermés.
Le musée est installé dans les anciens
bâtiments de l’hôpital, constituant à
la fois une dotation importante, mais
aussi un conservatoire du patrimoine
hospitalier, témoin de l’activité passée.
Ce monument est intimement lié à la
Bourgogne ducale.
2. Centre Hospitalier Philippe-le-Bon. (Photo Bruno François)
3. Vente des vins des Hospices de Beaune sous les halles de la ville le 16 novembre 2008.
(Photo Bruno François)
Historique
de l’Hôtel-Dieu
L’Hôtel-Dieu a été fondé en 1443 par
Nicolas Rolin (ill. 4), chancelier de
Philippe le Bon, duc de Bourgogne 1.
Il est alors âgé de 67 ans. Après avoir
été avocat au parlement de Paris, il fut
nommé chancelier ducal à partir de 1422.
Philippe le Bon l’éleva au rang de chevalier en 1424. Son action diplomatique
fut déterminante lors du traité d’Arras en
1435 qui mit fin à la guerre de Cent ans.
À partir de 1426, il fut aussi le chef de la
justice et des finances ducales, gardien du
« grand sceau » qui authentifie les actes
du duc de Bourgogne.
Pour la construction de son hôpital, la
Ville de Beaune lui cède une importante
4. Portrait de Nicolas Rolin, volet extérieur
du polyptyque du jugement dernier de Rogier
van der Weyden, vers 1450, musée de
l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban)
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
5. L’Hôtel-Dieu porte la lettre F dans cette
reproduction d’une partie du plan de Beaune de
François Belleforest, dans Cosmographie universelle
de tout le Monde, Paris, 1575. Bibliothèque
municipale de Beaune (Photo Bruno François)
particulièrement, la salle des pauvres
(ill. 6) « qu’il soit établi et installé, dans
le principal bâtiment et près de la chapelle
dudit hôpital, trente lits, savoir quinze d’un
côté dudit bâtiment et quinze de l’autre » 5.
Ce bâtiment principal résume à lui seul
tout le sens que Rolin voulait donner
à sa fondation. Il est l’hôpital proprement dit, celui qui, sous un même toit,
rassemble les malades, images du Christ
souffrant et les hospitalières qui en ont
la charge. La salle des pauvres se termine
par la chapelle, car prières et soins sont
étroitement associés. Pour les seigneurs
de cette époque, l’exercice des œuvres
de miséricorde, expression de la charité,
intercédera en leur faveur au moment du
jugement dernier. Ainsi, pour le maîtreautel de la chapelle, Nicolas Rolin commande-t-il au grand peintre de la ville de
Bruxelles, Roger de le Pasture ou Rogier
van der Weyden, le polyptyque du jugement dernier (ill. 7). Il se fait représenter
en donateur avec son épouse Guigone
de Salins sur les volets extérieurs du
retable (ill. 8).
parcelle de terre située derrière les halles
ducales, avec le droit de voûter la rivière
la Bouzaise 2 (ill. 5). Nicolas Rolin fonde
ainsi, le 4 août 1443 « un hôpital pour la
réception, l’usage et la demeure des pauvres
malades, avec une chapelle, en l’honneur de
Dieu tout-puissant et de sa glorieuse mère
la Vierge Marie » 3. Conformément à la
tradition médiévale, le chancelier justifie,
dans cet acte, sa fondation comme un
moyen d’assurer son propre salut : « désirant par une heureuse transaction échanger
contre les biens célestes les biens temporels »
4
. Il dote sa fondation de mille livres de
rentes annuelles sur les salines de Salins
qu’il avait acquises dès 1436.
Dans la charte, il décrit assez précisément
l’organisation de son hôpital et, plus
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Il est indéniable que Rolin s’est inspiré des
grandes fondations hospitalières, notamment, de l’insigne hôpital Notre-Dame
des Fontenilles de Tonnerre fondé en
1294 par Marguerite de Bourgogne, belle
sœur de saint Louis. Mais son inspiration
ne se limite pas aux constructions hospitalières, la salle des pauvres de Beaune
fait aussi référence à l’architecture des
grandes salles seigneuriales qui étaient à
la fois salle d’apparat où se déroulaient de
grandes fêtes (en témoignent les figures
sculptées sur les poutres de la charpente)
mais aussi le lieu où le seigneur rendait la
justice (tel le Christ juge du polyptyque
du jugement dernier). Ainsi, comme le
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
6. Salle des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban)
7. Polyptyque du jugement
dernier, Rogier van der
Weyden, vers 1450, musée de
l’Hôtel-Dieu de Beaune.
(Photo Francis Vauban)
souligne très justement Didier Sécula 6,
« cette fondation ne s’explique pas seulement par l’espoir de Rolin d’accéder à la vie
éternelle, mais, en tant que chancelier, chef
de la justice ducale, il donne à la population
beaunoise durement touchée par les guerres et
les épidémies et qui s’étaient soulevées contre
Philippe le Bon et Rolin lui-même, le signe
de la sollicitude du duc. » 7
C’est un vaste chantier qui s’ouvre à
Beaune et fournit du travail aux populations très appauvries par des années de
famines et de guerre. Il débute au lendemain de la lecture de l’acte de fondation
et le premier malade est admis dans la salle
des pauvres huit ans et demi plus tard, le
1er janvier 1452. Cet hôpital fut dirigé par
Rolin, puis ses successeurs qui défendirent
cette fondation jusqu’à la Révolution
française, en l’adaptant en permanence
aux nouvelles exigences des soins, de la
médecine, de la pharmacie et des mœurs.
Des travaux importants de réaménagement
des salles furent entrepris, notamment par
la création de grandes salles communes,
là où Rolin avait réservé des espaces plus
individualisés pour des malades fortunés.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
8. Portrait de Guigone de Salins, volet
extérieur du polyptyque du jugement dernier de
Rogier van der Weyden, vers 1450, musée de
l’Hôtel-Dieu de Beaune. (Photo Francis Vauban)
d’Eugène Viollet-le-Duc, la rénovation
de la grande salle dite « salle des pôvres »
qui avait été dénaturée par des siècles
d’activité et les destructions révolutionnaires. Les travaux vont, non seulement
redonner à cette salle son lustre d’antan,
mais aussi en faire une salle d’hôpital
avec tout le confort contemporain, dans
un cadre médiéval. Les Hospices confient
aussi aux ateliers du Louvre la restauration du retable du jugement dernier.
Celle-ci achevée, il fallut trouver un
lieu de présentation pour le polyptyque.
C’est ainsi qu’une première exposition
permanente fut installée à l’étage d’un
bâtiment donnant sur la seconde cour.
Là, étaient exposés les objets d’art et les
antiquités que possédait l’Hôtel-Dieu. Des
collectionneurs donnèrent des objets pour
enrichir ce premier ensemble.
Naissance et
développement du musée
L’Hôtel-Dieu de Beaune a été parmi
les premiers monuments historiques de
France à être classé sur la liste de 1862.
La redécouverte, dans les combles, du
retable du jugement dernier, l’organisation des festivités du quatrième cente-
naire de la fondation en 1843 montrent
tout l’intérêt de l’institution pour la
grande valeur historique, archéologique
et artistique du monument. C’est à cette
époque que les premiers travaux de restaurations furent engagés.
En 1872, la commission administrative
des Hospices commande à l’architecte
Maurice Ouradou, collaborateur et gendre
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Sous l’impulsion de Jacques Dupont,
Inspecteur des Monuments historiques
et dans le cadre des festivités du 500e anniversaire de la création de l’Hôtel-Dieu le
4 août 1943, une nouvelle présentation du
retable du jugement dernier et des tapisseries fut aménagée dans la chambre du
roi, située au premier étage du bâtiment
couvert de tuiles polychromes. Jacques
Dupont, dans un article paru cette même
année 8, justifie son parti de présentation
en ne retenant que les œuvres d’art les
plus remarquables de cette collection,
contemporaines de la fondation.
En 1971, les services de soins quittent
l’Hôtel-Dieu pour un nouvel établissement au nord du centre-ville. Les
bâtiments du XVe siècle s’ouvrent plus
largement au public dans le cadre de
visites guidées. La salle des pauvres
n’accueillait déjà plus de malades depuis
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
9. La salle Saint-Louis présente des tentures
et des coffres à vêtements du XVe siècle.
(Photo Francis Vauban)
les années 1960. La cuisine, encore en
activité, laisse passer les touristes dans
un couloir spécialement aménagé, la
pharmacie est ouverte à la visite et la
salle Saint-Louis (ill. 9) présente une
partie de la collection de tapisseries et
de tentures. Une salle est spécialement
construite pour la présentation du polyptyque. Ces aménagements sont réalisés
avec l’aide de l’État par le service des
Monuments historiques et les Hospices.
S’ouvre alors une période de développement touristique : les visiteurs affluent et
la fréquentation est en constante augmentation. En 1984, les deux dernières
salles communes – Saint-Hugues et
Saint-Nicolas – encore occupées par des
10. Aménagement scénographique de la cuisine. (Photo Francis Vauban)
personnes âgées de la maison de retraite,
sont désaffectées et la cuisine cesse aussi
son activité. Les Hospices font alors
appel à une société de muséographiescénographie et la charge d’aménager en
visite libre ces deux salles, la cuisine, la
salle des pauvres et la chapelle, les autres
salles étant encore sous la conduite d’un
guide. Des mises à distance et des vitrines
sont installées dans les salles 9, tandis
qu’une synthèse de l’histoire de l’HôtelDieu est présentée dans des vitrines et sur
des panneaux dans la salle Saint-Nicolas.
La cuisine (ill. 10), quant à elle, offre une
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
11. Pharmacie garnie de ses placards et de ses pots du XVIIIe siècle, cette salle a été en activité jusqu’en 1971. (Photo Francis Vauban)
animation sur la base d’un commentaire
aux visiteurs uniquement en langue française. Les aménagements de ces deux
dernières salles offrent aux visiteurs de
quoi patienter en attendant le guide pour
la seconde partie de la visite.
Depuis 1991, la visite est entièrement
libre, mais cette muséographie demeure.
Les visiteurs reçoivent un dépliant décrivant les différentes salles et les œuvres
les plus remarquables, dans l’une des neuf
langues disponibles. Des cartels et des
panneaux sont disposés dans les salles
essentiellement en français. Ainsi, l’aménagement du musée s’est-il fait au fur et
à mesure de la fermeture des salles aux
soins et de la désaffectation progressive
des objets mobiliers (ill. 11).
Les collections
Elles sont le fruit de l’histoire très riche
de l’Hôtel-Dieu, fondation du chancelier
ducal qui a doté son hôpital de tout le
mobilier nécessaire 10 et l’a aussi pourvu
d’œuvres d’art religieux pour l’exercice
des prières. Des donations importantes
sont venues enrichir l’établissement,
le dotant de nouvelles salles 11 et de
nouvelles œuvres d’art 12. C’est cette
collection exceptionnelle constituée in
situ, au fil des siècles, qui est présentée
au public.
Les objets mobiliers appartiennent à
l’établissement public hospitalier et ont
ainsi le statut d’objets publics. Cependant, les Hospices ont dispersé au cours
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de deux ventes aux enchères publiques
– la première en 1998 et la seconde en
2004 – près de 1 000 meubles. Les collections ne sont pas inaliénables comme
le sont celles des musées possédant le
label Musée de France. Néanmoins, la
protection au titre objet des Monuments
historiques a permis la conservation des
meubles inscrits ou classés.
Une partie des objets est présentée dans
l’exposition permanente, l’autre partie
constituée de meubles, d’objets de la
vie quotidienne, de textiles et d’objets
mobiliers, est conservée dans des réserves
disséminées dans les bâtiments. En 2007,
sur la recommandation de la commission
de sécurité, une réserve de meubles a
été aménagée dans l’ancienne cuverie 13
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
12. Détail de la charte de fondation. (Photo Francis Vauban)
permettant de regrouper dans un même
lieu, ces ensembles qui, jusque-là,
étaient dispersés dans de multiples salles
et combles plus ou moins insalubres.
En 2010, une nouvelle réserve est en
cours d’aménagement pour recevoir les
objets mobiliers et les tableaux de petites
dimensions.
Les collections ont été inventoriées de
1989 à 1994 par le service régional de
l’Inventaire général 14 en collaboration
avec les Hospices qui avaient recruté un
chargé de mission contractuel. Il s’agit
d’un inventaire d’étude qui ne peut
pas être immédiatement utilisé pour
la gestion des objets mobiliers comme
peut l’être l’inventaire administratif des
musées. Néanmoins, ce travail a permis
de recenser environ 5 000 objets. Les
fiches d’inventaire sont consultables
dans la base de données Palissy sur le
site Internet du ministère de la Culture.
En 2010, les Hospices ont acquis 15 un
système informatisé de gestion des collections qui est en cours d’installation.
Les archives historiques sont accessibles
aux chercheurs et ont ainsi permis à
des étudiants de produire des travaux
universitaires de qualité. Des pièces
remarquables sont conservées comme
les documents de la fondation (ill. 12)
ou encore un inventaire très détaillé
de 1501. Les archives des hospices ont
fait l’objet d’un récolement et d’un
reconditionnement sous le contrôle
scientifique du directeur des Archives
départementales. En effet, les archives
des hôpitaux sont des archives publiques
dont la conservation est régie par des
textes de loi. La communauté des sœurs
de l’Hôtel-Dieu a choisi en 2009, de
déposer son fonds aux Archives municipales de Beaune le dissociant ainsi de
celui des Hospices.
Jusqu’à présent, le patrimoine immatériel
n’a pas été vraiment pris en compte par
les Hospices. Néanmoins, sous l’impulsion d’un médecin honoraire de l’HôtelDieu, un groupe d’anciens personnels de
l’hôpital s’est réuni pour témoigner de
leur activité passée, lorsque l’Hôtel-Dieu
était encore un hôpital en activité. Cette
collecte est intéressante, mais demanderait à être poursuivie dans le cadre
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
d’interviews individuelles
pour recueillir des récits plus
personnels.
Cette année, dans le cadre
de l’entretien annuel des
mannequins de sœurs (ill.
13) disposés dans le musée,
une collecte d’informations
a été effectuée. Les sœurs
ont transmis au personnel du
musée, la manière dont elles
s’habillaient chaque matin,
à l’époque où elles portaient
encore ce costume empesé,
constitué de nombreuses
pièces qui s’assemblaient tel
un puzzle à l’aide d’épingles.
Là aussi, il serait urgent de
recueillir le témoignage des
sœurs hospitalières de l’HôtelDieu dont la disparition est inéluctable,
en l’absence de nouvelle vocation. Cette
communauté, qui a été créée par Nicolas
Rolin, est le dernier témoin de l’esprit
de charité de son fondateur. Une page se
tourne : la dernière sœur a pris sa retraite
en 2008. La collecte de ces témoignages
permettrait de redonner du sens aux
objets mobiliers en les replaçant dans
leur contexte d’utilisation.
La priorité des Hospices étant leur
mission de soins, la conservation du
patrimoine ne se justifie que par les revenus qui sont générés par les entrées du
musée. Ainsi, l’équipe de l’Hôtel-Dieu
qui dépend du directeur des Hospices,
s’organise-t-elle de manière à accueillir
un maximum de touristes. Elle est composée d’un cadre administratif qui est
chargé de la régie de recette du musée,
du personnel et des locations de salles de
séminaires, d’un responsable de la boutique et d’un chargé des collections, seul
personnel scientifique, à temps partiel.
C’est donc 3 % des effectifs du musée
qui sont affectés à la conservation des
collections. Néanmoins, les Hospices
13. Mannequin de sœur hospitalière. (Photo Francis Vauban)
consacrent une partie de leurs revenus
à l’entretien du monument, notamment,
de 2007 à 2009, pour le grand chantier de
restauration de la toiture de la salle des
pauvres. Il reste aujourd’hui à renouveler
la muséographie-scénographie du musée
de l’Hôtel-Dieu afin de mieux répondre
aux attentes des visiteurs qui se pressent
toujours nombreux pour visiter ce haut
lieu de la Bourgogne ducal et de leur
permettre d’appréhender toute l’étendue
des collections conservées.
NOTES
1 - Voir SÉCULA, D. L’Hôtel-Dieu de Beaune :
étude architecturale et approche iconologique d’un
monument emblématique, thèse de docteur
de l’Université Paris IV en Histoire de l’Art
médiéval, Paris, 2004, p. 27-28
2 - On connaît l’importance des cours d’eau
dans les institutions hospitalières, car ils
permettent l’évacuation des déchets.
3 - STEIN, H. L’Hôtel-Dieu de Beaune.
Paris : Henri Laurens éditeur, 1933 (Petites
monographies des grands édifices de la
France) p. 8.
4 - Ibid., p. 7.
38 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
5 - STEIN, H. op. cit., p. 11.
6 - SÉCULA, D. Docteur en histoire de l’art
qui a soutenu sa thèse sur l’Hôtel-dieu de
Beaune.
7 - SÉCULA, D. Texte d’un panneau de
l’exposition l’Ardoise et le Chancelier (non
publié).
8 - Journal de Beaune du 25 septembre 1943.
9 - La salle des Pauvres, la Chapelle, la salle
Saint-Hugues.
10 - L’Hôtel-Dieu conserve un ensemble de
35 coffres du XVe siècle, voir FRANÇOIS,
B. Le Mobilier de l’Hôtel-Dieu, Le Faste des
Rolin au temps des ducs de Bourgogne, Dossiers
de l’Art, Dijon : Éditions Faton, 1998, n° 49,
juillet, p. 70-77.
11 - HUGONNET-BERGER, C. « L’Édifice
du XVe siècle et son évolution, L’Hôtel-Dieu de
Beaune », Paris : Somogy éditions d’art, 2005,
p. 30-63.
12 - Voir RÉVEILLON, E. FROMAGET, B.
« De l’Hôpital au musée », L’Hôtel-Dieu de
Beaune, Paris : Somogy éditions d’art, 2005,
p. 106-119.
13 - Désigne un chai en Bourgogne.
14 - Ce service de l’État a été créé par André
Malraux en 1967. En 2007, les services
régionaux d’inventaire ont été décentralisés
aux Conseils régionaux.
15 - Avec le soutien financier de l’ARS.
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Concept
d’humanisme
à travers les
programmes de
formation des
infirmiers
Frédérique Tomasini
Directrice de l’IFSI des Hôpitaux Sud
Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille
D
epuis la création du
premier brevet de capacité professionnelle, en
1922, les programmes de formation ont été soumis à une remise
en question plus ou moins régulière, visant à l’actualisation des
savoirs exigés par les progrès de
la science et des évolutions professionnelles, notamment dans
le cadre des accords européens.
L’histoire des professions de santé retient
souvent la représentation de l’infirmière
parce qu’elle correspond à ces images
de compassion ou d’accompagnement
qui sont véhiculées dans l’inconscient
collectif.
De tout temps, on demanda aux
infirmières d’être réconfortantes et
compatissantes.
Depuis toujours, on a attendu des infirmières qu’elles prennent soin des personnes avec bonté, avec humanité. Ce
terme d’humanité traduit une attention
bienveillante, empathique, accordée à la
personne et à ses proches.
À l’origine, chacun s’accordait à considérer l’infirmière comme naturellement
dévouée, pourvue de qualités, d’attitudes,
de sentiments qui ne demandent pas de
compétence particulière, elles ont un
don inné, donc nul besoin de formation.
Aussi, la première actualisation du programme, en 1961, se calque sur la discipline médicale. L’essor des connaissances
médicales requiert des auxiliaires de plus
en plus compétentes et c’est cet aspect
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
de la formation qui est développé, centré
sur la maladie et les pathologies.
La formation doit rester axée sur la pratique et les premiers manuels de soins
infirmiers contenaient surtout des descriptions de techniques de soins.
C’est un enseignement médical, fait par
des médecins afin qu’elles transforment le
savoir qu’elles possèdent d’instinct, en un
savoir qui complète et qui prolonge les gestes
médicaux 1.
Si ce programme prévoit, dans son introduction, que cette tâche technique se
double d’un rôle psychologique, moral,
parfois même pédagogique, quelques
heures seulement abordent les aspects
psychologiques de la maladie, les notions
d’aide ou de respect de la personne.
Après l’année 1968, le début des années
soixante-dix est marqué par le regroupement des professionnelles en associations
qui réclament une réforme des études
et préconisent de transformer l’esprit
de cette formation, elles affirment : Une
formation vraie en psychologie favorise
une compréhension de l’autre et de soi, la
capacité de dépasser l’intuition et les bons
sentiments qui sont tout aussi fragiles chez
les infirmières que dans le reste de l’humanité, sinon plus parce que plus exposées 2.
Leurs revendications aboutissent et deux
nouveaux programmes de formation se
succèdent rapidement en 1972 (en 1973
pour les infirmiers de secteur psychiatrique) puis en 1979.
Ce programme de 1979 3 découle en toute
logique de la loi de 1978 qui confirme
pour l’infirmière un rôle sur prescription
médicale et surtout lui reconnaît l’initiative de dispenser des activités de soins
sur la base d’un savoir spécifique garanti
par sa formation.
C’est un renversement. L’orientation de
la formation est claire : le programme
d’études est centré sur la personne
humaine et les contenus en témoignent :
anthropologie culturelle, étude des
conduites et des comportements, dimensions du soin…
Il s’agit avant tout de soigner des personnes et non des maladies.
C’est la reconnaissance d’un savoir infirmier lié à la connaissance que l’infirmière
acquiert de la personne par la démarche
de soins. Le savoir infirmier cherche à se
définir : il est scientifique, il prend ses
sources dans la médecine, la biologie,
la pharmacologie et à présent dans les
sciences humaines.
C’est un savoir humanitaire, dit Béatrice
Walter. Mais le savoir infirmier et le
savoir médical ne s’opposent pas, ils sont
complémentaires : le savoir médical traite
de la maladie de l’homme, le savoir infirmier traite de l’homme dans la maladie.
Pour mettre en œuvre ce programme,
il appartient à chaque école d’établir son
propre projet pédagogique. Les équipes
pédagogiques se forment et expriment
leur volonté d’établir un cadre conceptuel clair pour les soins infirmiers.
Les professionnelles s’emparent alors des
théories anglo-saxonnes et américaines
diffusées par les écrits de Rosette Poletti ;
il a fallu près d’un siècle pour que les
infirmières reprennent le flambeau de la
pionnière Florence Nightingale (18201910). C’est elle, en effet, qui donna le
premier modèle en soins infirmiers, en
1859, dont leur but est de mettre le patient
dans les meilleures conditions possibles afin
que la nature puisse faire son œuvre en lui.
Ces modèles et théories conduisent à
considérer les soins infirmiers comme
une science humaniste : l’homme est un
tout unifié, l’humanité de l’homme ne peut
être réduite à des systèmes, des organes ou
des cellules 4.
Dans cette démarche holistique, l’infirmière ne doit pas être seulement une tech-
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nicienne de premier ordre, elle doit être
aussi une experte au niveau des relations
humaines 5.
Ces théories se sont influencées les unes
les autres. Le modèle conceptuel de
l’Américaine Virginia Henderson est sans
doute le plus connu et majoritairement
choisi. Celui de Marjory Gordon est la
référence dans notre dispositif.
Dans ce contexte, l’approche humaniste
des travaux de deux célèbres psychologues américains Carl Rogers (19021987), et Abraham Maslow (1908-1970)
ont un impact majeur dans les projets
de formation.
Dans l’apprentissage des soins infirmiers,
nos outils pédagogiques se dotent d’un
nouveau lexique : authenticité, écoute
empathique, considération positive,
congruence, reformulation, verbalisation, non directivité, entretien d’aide,
pyramide des besoins…
La personne est acceptée telle qu’elle est,
dans l’ici et maintenant, avec le cadre de
référence qui lui est propre. Une attitude
humaine, chaleureuse et encourageante est
le point clé de cette dimension du soin 6.
On parle alors de vision globale et de
soins individualisés, car chaque être
humain est unique ; des empreintes digitales
aux émotions, nul n’est semblable 7…
Il ne peut exister de soin unique, de
techniques identiques. Les protocoles
ne sont que des cadres de référence et
non des fins en soi.
C’est en 1992 8 qu’une nouvelle réforme
des études met fin à la séparation historique
des deux filières professionnelles : la formation en soins généraux et la formation en
soins psychiatriques 9.
Les longs débats qui ont conduit à ce programme confirment l’approche globale de
l’homme en ne dissociant plus le mental du
physique, le psycho-social du bio-physique,
et considèrent enfin la personne soignée
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
comme un être qui ne peut plus être réduit à
sa seule maladie […] les problèmes de santé
ne sont pas uniquement médicaux, ils sont
aussi culturels 10.
C’est l’émergence d’un nouveau profil
infirmier dit polyvalent. La formation
passe à 38 mois, en alternance avec les
stages, les enseignements théoriques sont
organisés en modules. Ce programme
place les sciences humaines suivant
une logique transversale, elles doivent
imprégner la totalité des enseignements
dispensés. C’est ce programme de 1992
qui ose le terme de diagnostic infirmier !
Les travaux de professionnelles reconnues comme Marie Françoise Colliere
contribuent à cultiver l’approche anthropologique du soin qui consiste à se rendre
proche des gens en laissant venir à soi ce que
l’on peut saisir et apprendre d’eux à partir
de ce qu’ils révèlent d’eux-mêmes 11.
Ces enseignements associés au module
Législation, Éthique, Déontologie doivent
permettre à l’étudiant d’appréhender
la dimension éthique du soin. Le questionnement éthique renvoie à celui des
valeurs, dès lors qu’il existe une activité
sur l’humain.
Les orientations données à la formation,
dans les projets et les dispositifs pédagogiques de chaque équipe, vont s’appuyer
sur un système de valeurs réfléchi qui
soutient que l’exercice de la profession
d’infirmier vise la promotion de l’être
humain.
Il est indispensable qu’un projet de formation soit en mesure d’expliciter le
système philosophique dont il se réclame
puisque ces valeurs vont sous-tendre les
options et les pratique pédagogiques.
Les valeurs sont constitutives de la démarche
soignante car elles servent de références
incontournables dans le comportement
professionnel : […] la valeur naît dans le
rapport à l’autre et vit dans cet alter ego
que représente l’humain 12.
Ce programme va s’appliquer pendant
17 ans !
La déclaration de Bologne, en 1999,
portant sur l’enseignement supérieur
européen, puis les travaux entrepris par le
ministère de la Santé sur la réingénierie
des diplômes en France (2007-2009),
va rénover le diplôme d’État infirmier
associé maintenant à un grade de licence.
C’est le référentiel de formation de juillet 2009 13, articulé autour de l’acquisition de dix compétences requises pour
l’exercice du métier d’infirmier, avec la
possibilité de poursuivre un parcours
universitaire.
Pendant les six semestres de formation,
dans une progression pédagogique cohérente, la participation des professionnels
en stage est fortement sollicitée, en alternance avec les unités d’enseignement
théorique.
Ces unités d’enseignement, coordonnées
conjointement par l’Institut de formation
et l’Université, sont en lien les unes avec
les autres et contribuent à l’acquisition
des compétences.
Elles couvrent six champs de
connaissance :
- sciences humaines, sociales et droit,
- sciences biologiques et médicales,
- sciences et techniques infirmières,
fondements et méthodes,
- sciences et techniques infirmières,
interventions,
- intégration des savoirs et posture
professionnelle infirmière,
- méthodes de travail.
Aujourd’hui, ce référentiel renforce les
savoirs scientifiques des infirmiers tant
dans le domaine des sciences humaines
et sociales que dans celui des sciences
médicales.
Dans un parcours de professionnalisation, la formation est structurée autour
d’études de situations professionnelles.
Les étudiants sont placés devant des situations qui les obligent à porter un regard
croisé sur les différents problèmes de santé
en lien avec les pathologies et les contextes.
Ils développent des pratiques pour prendre
soin des personnes 14.
Quant aux projets pédagogiques, ils
reposent sur la même philosophie des
soins.
Depuis 2008, le Projet pédagogique de
l’Institut de formation des Hôpitaux Sud
ancre ses valeurs dans le prendre soin se
référant au concept d’humanitude.
Ce néologisme, surtout connu grâce au
philosophe Albert Jacquard, a été développé depuis 1995 par Rosette Marescotti
et Yves Gineste dans leur Philosophie de
soin de l’humanitude.
Basée sur les concepts de bientraitance,
l’humanitude est l’ensemble des particularités qui permet à l’homme de se reconnaître
dans son espèce, l’humanité, […] et de
reconnaître un autre homme comme faisant
partie de l’Humanité.
Concepts d’humanisme et d’humanitude
sont intimement liés dans notre projet
et sous-tendent les enseignements que
nous organisons.
Nous travaillons avec les étudiants, nul
n’est semblable, chaque être humain est
unique dans ses dimensions biologique,
psychologique, sociale ou culturelle ;
et, dans le même temps, il est mon
semblable, quand nous disons que nous
sommes des êtres humains qui soignons
d’autres humains, nous sommes bien dans
l’humanitude.
L’évolution des besoins et des demandes
des patients, l’évolution des risques et
des pathologies, des sciences et des techniques médicales, des modalités de prise
en charge, ont fait évoluer le contenu des
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
41
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
métiers de la santé et les programmes de
formation ont suivi ces évolutions.
Nous voulons toujours des infirmières
bienveillantes et attentionnées, si les
étudiants arrivent en formation avec ce
don inné, c’est tant mieux…
Plus les valeurs personnelles sont proches des
valeurs professionnelles attendues, plus un
individu a de chance de s’y retrouver 15…
Nous attendons aussi, comme hier, des
infirmières compétentes, performantes ;
si les savoirs scientifiques et techniques
sont aujourd’hui valorisés, ils restent
développés dans une perspective humaniste
qui incite et participe à la progression d’une
personne malade vers l’équilibre psychologique, vers la conservation de ses capacités
humaines, vers un plus grand bien-être et
même, lorsque cela est possible, vers un
retour à la santé 16.
NOTES
1 - WALTER, Béatrice. Le savoir infirmier,
Lamarre, 1988.
2 - 2 ANFIIDE, CEEIEC, UCSS, UNCASH.
Le service infirmier doit-il rester sous-développé ?
Mai 1970.
3 - Arrêté du 12 avril 1979 relatif au
programme d’études préparatoires au Diplôme
d’État d’infirmier.
4 - POLETTI, Rosette. Théories et concepts,
Martha Rogers. Le Centurion, 1978.
5 - POLETTI, Rosette. L’enrichissement
des interventions en soins infirmiers. Le
Centurion, 1980.
6 - ROGERS, Carl. Les trois dimensions
rogériennes. http://fr.wikipedia.org/wiki
7 - GINESTE-MARESCOTTI. Philosophie de
soin de l’Humanitude et Méthodologie de soin.
www.igm-formation.net
8 - Arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au
programme d’études conduisant au Diplôme
d’État d’infirmier.
42 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
9 - ABDELMALEK, Ali Aît, GERARD,
Jean-Louis. Sciences humaines et soins,
InterÉditions, 1995.
10 - Idem
11 - COLLIÈRE, Marie-Françoise. Apport de
l’anthropologie aux soins infirmier. Culture et
clinique. Université Laval, Canada. 1990.
12 - DURAND Charlaine, Le rôle des valeurs
dans l’activité de soins, octobre 2007. www.
cadredesante.com/spip/spip.php
13 - Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au
Diplôme d’État d’infirmier et ses annexes.
14 - COUDRAY, Marie-Ange, GAY
Catherine, Le défi des compétences. Masson,
2009.
15 - DURAND, Charlaine. Le rôle des valeurs
dans l’activité de soins. Octobre 2007. www.
cadredesante.com/spip/spip.php
16 - PHANEUF, Margot. Le concept
d’humanitude : une application aux soins
infirmiers généraux www.pagesperso-orange.
fr/cec-formation.net/phaneuf.pdf
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Dôme de la chapelle de la Charité.
De l’hospice de la Charité au centre culturel
Pr Yves Baille
Conservatoire du patrimoine médical de Marseille (AP-HM)
S
i Marseille peut s’enorgueillir, avec la Vieille
Charité, d’avoir pu
conserver un bâtiment prestigieux, dessiné par Pierre Puget au
XVIIe siècle, et d’avoir su en faire
un centre culturel de qualité,
cela n’a pas été sans mal.
L’hôpital Notre-Dame-Mère-de-Charité
a été successivement un lieu d’assistance
et de bienfaisance, puis un hospice prison
sous Louis XIV.
Au XIXe siècle, l’hospice reprend son
activité d’accueil des pauvres, invalides,
vieillards et enfants abandonnés. À la fin
du XIXe siècle, l’hospice est transféré à
Sainte-Marguerite, et les bâtiments laissés à l’abandon. Il héberge des familles de
travailleurs pauvres, avant d’être squatté.
Sa dégradation est telle que le chargé du
patrimoine au Conseil général préconise
sa démolition. Grâce à la détermination
de deux associations, le bâtiment ne sera
pas détruit. Il sera restauré et accueille
maintenant un centre remarquable par
ses activités culturelles, ses musées, ses
expositions temporaires et ses laboratoires de recherche. L’histoire de ce
sauvetage mérite d’être connue et peut
alimenter la réflexion des élus qui sont
confrontés, ici ou là, à des problèmes
identiques. Conserver et restaurer le
patrimoine coûte cher financièrement
à la communauté, mais lui confère une
identité et une âme.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
43
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Les origines de l’hospice
de la Charité
Au XVe siècle, se pose à Marseille,
comme dans le reste du royaume, le
problème des pauvres, vagabonds et
mendiants.
« Pour rendre tolérable la coexistence entre
puissants et démunis », le Conseil de ville
en 1546, 1577, 1592 et 1602 avait pris,
sans succès, des mesures d’éloignement
des vagabonds et indésirables.
En 1622, le Conseil suggère de « renfermer dans un lieu propre et choisi par les
consuls les pauvres natifs de Marseille afin
que les estrangers fainéans et vagabons ne
s’introduisent plus parmi eux pour estre
dans le dit lieu nourris et entretenus de leur
travail que des aumosnes suivant la queste
qui en serait faite ».
En 1640, Emmanuel Pachier, chanoine
théologal de la major et membre de la
puissante compagnie du Saint sacrement
réunit 72 fondateurs et leur fait acheter
les maisons situées place de l’Observance
dans le quartier du Panier, au cœur du
vieux Marseille.
Ce sont les premiers pas de cette œuvre
charitable, hospice qui accueille les
pauvres, les vieillards, les indigents et
les invalides dans des locaux de fortune.
En 1641, le Conseil de ville ordonne
aux mendiants marseillais de se rendre
dans l’hospice pour y demeurer et aux
mendiants étrangers de quitter la ville
dans les 48 heures.
En 1644, le texte devient plus précis et
enjoint « aux pauvres mendiants estrangers, hommes et femmes, valides et invalides, et aux bohémiens de vider la ville et
son terroir dans le dit jour à peine de fouet.
Défense à tous bateliers de passer aucun
pauvre ni bohémien avec leurs bateaux pour
venir à la ville, à peine de brulement de leurs
dits bateaux. »
Charité plans de Pierre Puget AD 13
En 1671, l’œuvre hospitalière de la Charité, qui est logée dans un ensemble de
maisons disparates, décide de construire
un bâtiment neuf. Les plans de Pierre
Puget sont retenus. Pierre Puget, sculpteur, peintre, architecte, a travaillé en
Italie et à Toulon, c’est le « MichelAnge marseillais », selon Joseph Billioud,
architecte qui sera particulièrement actif
pour la rénovation du bâtiment dans les
années 1950.
C’est un hôpital imposant à cour fermée,
quadrilatère dont les dimensions externes
44 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
sont de 112 m de long, 96 m pour la
façade sud où se trouve l’entrée, et 63 m
pour la façade nord.
La surface au sol est de 9 630 m2.
Les façades extérieures sont celles d’un
bâtiment d’allure carcérale avec quelques
rares ouvertures irrégulières. L’aspect austère lui a valu le qualificatif « d’Escurial
de la misère » (A. Bouyala d’Arnaud).
La cour de 82 m de long, sur 49 m de
large au sud et 45 m au nord, a une
superficie de 3 850 m2. Elle est bordée
par une galerie ouverte supportée par
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
62 piliers. Le bâtiment a deux étages. Le
rez-de-chaussée a une hauteur de 5 m,
le premier étage 4,80 m et le deuxième
4,5 m. Chaque étage est desservi par
une galerie à arcades avec plafond voûté
d’arêtes. Le style est classique, Louis XIV,
en pierre des carrières de la Couronne,
de teinte rosée et jaune.
Au centre, « insérée dans la cour, comme
un bijou dans son écrin » (Joseph Billioud,
architecte en chef de la ville), se trouve
la célèbre chapelle au dôme ovoïde.
La chapelle, dans l’axe de l’entrée, a
37 m de long et 24 de large ; son dôme
atteint 28 m.
Pour Joseph Billioud, cette chapelle est « le
vrai, l’unique témoin encore debout du génie
architectural de Puget. » C’est un exemple
magnifique du baroque provençal.
Pierre Puget a eu plusieurs sources
d’inspiration, il connaissait la tendance
architecturale du moment, présente en
Italie où il séjournait et travaillait régulièrement, mais aussi en Allemagne et
en Autriche, ainsi qu’à Paris.
La construction de l’ensemble, commencée
en 1671 n’est achevée qu’en 1745, les
travaux étant régulièrement arrêtés par
manque d’argent. Et il faudra trois loteries, en 1700, 1702 et 1727 pour financer
l’ensemble de la construction. Pierre Puget
meurt en 1694, alors que la chapelle n’est
pas terminée. Son fils François surveille
les travaux en suivant les plans du maître.
La vie quotidienne
à la Charité
Dès 1641, les premiers mendiants sont
reçus dans l’hospice Notre-Dame-Mèrede-Charité, dont le blason représente
un pélican qui nourrit ses petits avec
ses entrailles.
En 1662, les statuts changent car
débute le « Grand renfermement »
Puget qui a travaillé à Gêne et à Florence
introduit dans cette cour à l’aspect très
classique, une note baroque et italienne.
Les contraintes sont nombreuses. Il faut
que les recteurs, échevins et bienfaiteurs
puissent assister aux offices sans jamais
côtoyer les pensionnaires.
De plus, les pensionnaires doivent
être séparés, les femmes d’un côté, les
hommes de l’autre, les garçons et les
filles ont également leur place à distance.
Ceci entraîne un système de circulation
complexe, avec des escaliers, des grilles
et des couloirs à l’intérieur de l’église qui
comporte une galerie.
Le dôme est ovale, en pierre de taille, et
chaque pierre a été taillée en fonction
de la place qu’elle doit occuper. Cette
construction tranche sur l’habitude de
l’époque, qui était d’avoir recours à de
fausses coupoles en bois, enduites de
plâtre.
Sous la coupole, le tambour est percé
de vastes fenêtres, des pilastres doriques
encadrent les ouvertures.
Edit du roi 1689
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
45
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
La chapelle au centre de la cour.
Galeries
avec ordre de Louis XIV de créer dans
tout le royaume des hôpitaux généraux
pour l’internement des mendiants et
autres asociaux. En 1689, Louis XIV
« prend sous sa protection » l’hospice
de la Charité, qui devient une espèce de
prison, avec une organisation administrative dont la direction est assurée par
31 recteurs, assistés de 10 gardes armés,
portant habit rouge avec « la bandolière
Intérieur de la chapelle
aux armes du Roy », sous l’ordre d’un
brigadier.
Les « chasse gueux » parcourent la ville à
la recherche des mendiants et vagabonds,
gitans, déserteurs, galériens libérés et
femmes de forçat. Des récompenses sont
promises aux Marseillais qui dénonceront
les mendiants et les délinquants.
46 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
Le dôme ovoïde de la chapelle
En fait, la tâche des chasse gueux sera
compliquée par l’opposition des Marseillais qui, loin d’aider les chasse gueux,
les agresseront, prenant la défense des
mendiants et des clochards.
Au sein de l’hospice, la vie est réglée
avec une discipline sévère. Les punitions
corporelles sont appliquées au « nerf de
bœuf », exposition au carcan, marquage
au fer rouge pour les évadés repris.
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Les « pensionnaires » sont soumis au travail forcé, l’objectif est de leur apprendre
un métier. Il y a des ateliers de cordonniers, calfats, charpentiers, maçons et
des ateliers de couture pour les filles. Les
apprentis tisserands disposent de métiers,
à rubans, à galons et à bonnets.
Pour les enfants, il y a une maîtrise de
musique avec un maître de musique,
ainsi que des cours d’hydrographie et de
pilotage pour les préparer au métier de
marin. Des cours d’écriture et de lecture
sont dispensés par un maître d’école.
Un aumônier est en permanence dans
la maison. Le médecin et le chirurgien
font visite quotidienne à l’infirmerie. Les
malades avérés sont transférés à l’HôtelDieu, tout proche.
Le Jeudi saint, les recteurs procèdent,
symboliquement, à la cérémonie du
lavement des pieds.
À Noël, on distribue du nougat et les
jours de fête publique, les échevins
régalent la « famille » aux frais de la
Ville.
La surpopulation reste un problème avec
en 1846, 1 200 pensionnaires. De plus,
les locaux sont devenus insalubres et, en
1890, les bâtiments de la Charité sont
abandonnés et la « famille » transférée
à Sainte-Marguerite, que les Marseillais
appelleront longtemps, « la Nouvelle
Charité ».
En 1907, l’hospice est vendu à la Ville,
qui le met à la disposition de l’État qui
en fait une caserne pour les troupes coloniales. Puis à nouveau un hospice pour
les soldats revenant affaiblis du service
des colonies.
Enfin, la chapelle est désaffectée et la
Charité servira de dépôt et de magasin.
À partir de 1922, la Charité est transformée en complexe d’habitation pour
familles pauvres.
On y relogera les habitants du quartier
« derrière la bourse » qui vient d’être rasé.
Après 1945, on y héberge les habitants
des vieux quartiers du Port dynamités
en 1943 par les Allemands ainsi que
les Marseillais dont les maisons ont
été détruites lors du bombardement de
mai 1945.
En 1950, on décrit la Vieille Charité,
comme « une cour des miracles », comme
un « caravansérail ». Édmonde CharlesRoux-Defferre tente une visite avec
Robert Doisneau qui voulait photographier la chapelle. Elle rapporte qu’ils
ont du s’enfuir tous les deux sous les
quolibets, les menaces et les projectiles
des occupants qui ne veulent pas être
dérangés et ont peur d’être évacués.
Ceux qui habitent la Charité sont jaloux
de leur domaine où ils ont organisé leur
vie.
Il y a dans les années 1950, 146 familles
de travailleurs pauvres qui vivent en
bonne entente à la Vieille Charité.
En 1952, alors que des travaux de restauration de la chapelle sont programmés,
les ouvriers sont empêchés d’ouvrir le
chantier.
Ces enfants de la famille suivaient les
convois funèbres, des recteurs, des
bienfaiteurs, et des particuliers qui
en faisaient la demande contre
rétribution.
La Charité et ses arcades
Selon les décennies, le nombre de
pensionnaires dépassa 1 000, ce qui
les obligeait à certaines périodes à
coucher à quatre par lit.
En 1796, l’hospice de la Charité, est
rebaptisée « l’hospice de la Vieillesse
et de l’Enfance ».
Les mendiants et vagabonds sont
remplacés par les vieillards indigents
et les orphelins.
La Charité revient à la mission
d’assistance et de bienfaisance de
ses origines. Le travail forcé est aboli.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
47
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Il y a aussi la communauté
des sœurs de Charles-Foucault et même une murisserie
de bananes, une conserverie
d’anchois et le siège d’une
compagnie de transport.
En 1962, les habitants de
la Charité sont relogés et
l’ensemble est totalement
vidé.
La Charité gravure 1900
C’est alors que les squatteurs
arrivent et vont créer des
dégradations irréversibles.
Il faudra trois ans pour que la
force publique les déloge et
libère la Charité qui est dans
un bien triste état.
La Renaissance
La volonté de sauver la Charité et d’en faire un lieu de
mémoire et de culture est
ancienne.
La Charité, années 1950
En 1914, l’association « Art
et charité » fondée par des
artistes et quelques notables
prend la « défense morale,
matérielle et artistique du vieux
quartier de Marseille ».
Ils écrivent : « Aujourd’hui
l’hospice sert de caserne et la
chapelle de magasin d’habillement, mais bientôt peut-être
elle deviendra un magnifique
Panthéon à nos morts et sur
les vieilles pierres vénérables,
débarrassées de leur plâtras
séculaire seront gravés les noms
des héros de la grande guerre ».
En 1922, le panthéon des
gloires marseillaises accueillera, transitoirement les
bustes de Puget, Daviel et
Rostand.
La Charité années 2000
48 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
En 1940, le Corbusier dénonce l’état
d’abandon du bâtiment. En 1944, Jean
Cherpin crée une association culturelle
« Arts et livres de Provence » et milite
pour installer à la Charité « une maison de
la pensée et des arts, un foyer de la culture
méridionale, un centre où viendraient se
rencontrer, se confronter et finalement
s’harmoniser les tendances provençales et
méditerranéennes de la pensée. »
Mais le bâtiment, dans son ensemble est
très dégradé, les façades extérieures sont
décrépies, les arcades intérieures sont
érodées, la chapelle se lézarde. Fin des
années 1950, c’est « un taudis au cœur
de Marseille » pour Régis Bertrand, « un
grand clochard au cœur du vieux Marseille », pour André Bouyala d’Arnaud.
En 1951, des plans très précis sont
levés sur les trois niveaux et sur la chapelle ; cela se fera malgré l’hostilité des
occupants.
Finalement, l’ensemble est classé Monument historique, malgré son état très
précaire.
Michel Carlini, Maire, plaide la cause
et Jean Vernier, Inspecteur général des
Monuments historiques juge que « Marseille n’est pas tellement riche en monuments
anciens qu’on puisse négliger ceux qui lui
restent. »
Mais Marseille est alors en pleine reconstruction des dommages de la guerre et
il faut, avant de commencer la restauration, reloger les occupants dont les
protestations confinent à l’émeute.
En 1959, un élu responsable déclare au
Conseil général des Bouches-du-Rhône :
« J’exprime le souhait que très bientôt cette
caserne de la Charité, lèpre qui déshonore à
la fois notre ville et notre société disparaisse
sous la pioche des démolisseurs. »
Il faut dire que des promoteurs immobiliers présentent, chiffres à l’appui, un
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
projet de construction d’habitations à
l’emplacement de l’hospice dont on ne
conserverait que la chapelle.
Une demande est adressée au préfet pour
qu’on déclasse la Charité. Elle est rejetée.
En 1965, Jean Saunier, architecte en
chef des Monuments historiques vient à
Marseille avec une délégation d’experts
parisiens et la cause est entendue : on
conservera et rénovera la Charité.
En 1968, se crée l’Association des amis
de la Vieille Charité qui regroupe autour
de son président, l’industriel André Cordesse, nombre de notables marseillais.
Ils plaident pour la conservation et la
rénovation de ce « monument exceptionnel
qui n’a pas de correspondant en France et
même en Europe. »
Le maire, Gaston Defferre, juge que dès
lors que la rénovation est portée par la
Ville, par l’État et par les collectivités
départementales et régionales, le monument doit être voué à un usage culturel
de prestige, destiné à attirer les touristes,
avec des retombées économiques.
Il veut en faire l’élément majeur de
l’image culturelle de Marseille.
La restauration représente le plus important chantier des Monuments historiques de France pour une somme de
100 000 000 francs.
pierres de carrière de la Couronne, en
utilisant la technique en tiroir, avec
injection de chaux à l’intérieur de la
maçonnerie. La restauration commencée
en 1968 sera achevée en 1986. La Vieille
Charité va revivre et les souhaits de
Gaston Defferre vont se réaliser avec la
création d’un centre culturel de prestige.
Un tiers de la surface est affecté aux
musées de Marseille et à la Direction
générale des musées de Marseille. Parmi
les musées municipaux regroupés, il y a
le musée d’archéologie méditerranéenne,
le musée des arts africains, le musée des
arts océaniens, et le musée des arts amérindiens, (MAAOA).
en économie quantitative (CREQAM)
et le centre Norbert-Elias, unité à caractère multidisciplinaire (anthropologie,
communication, histoire, sociologie).
L’Office municipal de la culture et des
loisirs, ainsi que l’université du temps
disponible y sont implantés. Le cinéma
« Le Miroir » privilégie les films d’art et
d’essai avec conférences et débats, une
librairie « Regards » et un café-restaurant
accueillent les visiteurs.
En 1972, Pierre Blaive, Directeur général de l’AP-HM, projette de créer à la
Charité, un musée de la médecine, qui
ne verra jamais le jour. Des expositions
temporaires de grande qualité sont régulièrement organisées, dans les salles du
rez-de-chaussée, la dernière étant consacrée à « Van Gogh et Monticelli » avec
présentation, en parallèle, de 60 œuvres
de ces maîtres. Dans la chapelle, des
expositions et des performances artistiques sont réalisées et dans la cour des
concerts et spectacles sont donnés.
La transformation de l’hospice de la Charité en centre culturel a été longue, difficile, parfois jugée impossible. Le résultat
est là, la Ville de Marseille a su conserver,
restaurer un magnifique monument du
XVIIe siècle que l’on vient voir pour sa
beauté architecturale, mais qui est aussi
devenu un lieu de vie, apprécié par les
Marseillais, les chercheurs, les étudiants
et les touristes.
La deuxième loi programme du ministre
de la Culture, André Malraux, prévoit
un financement de 40 % par l’État, 30 %
par le Département et 30 % par la Ville.
Ce que l’on appelle maintenant « La
Charité » héberge de prestigieuses
structures : le fonds régional de l’Institut national de l’audiovisuel (INA),
l’école doctorale de l’École des hautes
études en sciences sociales (EHESS), le
centre international de poésie de Marseille (cipM).
Les pierres sont délitées, pulvérulentes,
éclatées. Il faudra les remplacer par des
Le CNRS est présent dans 2 laboratoires mixtes : le groupe de recherche
La Charité est devenue un pôle majeur
de la culture à Marseille, où les activités
sont multiples et permanentes, ouvertes
à tous.
BIBLIOGRAPHIE
BERTRAND, Régis. « Hospice, caserne, taudis, musée : la
promotion patrimoniale de la Charité de Marseille ». Rives
nord, méditerranéen n° 16 -2003 p. 11/25
PAIRE, Alain. « La Vieille Charité de Marseille, histoire
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BOUYALA D’ARNAUD, André. Évocation du Vieux
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bienfaisance de Marseille.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Marianne sculptée au fronton de la façade principale de l’hôpital Saint-Antoine (184 rue du faubourg Saint-Antoine. 75012 Paris). Remarquer le
bonnet phrygien, les rayons solaires derrière la tête, les paupières baissées (comme si Marianne veillait sur son peuple et la position des mains). Cette
façade, comme d’autres parties de l’hôpital, a été inscrite aux Monuments historiques le 4 juin 1962. Photographie Gabriel Bouyé.
Onomastique, symbolique et mémoire
dans les hôpitaux parisiens *
Jacqueline Lalouette
Université de Lille 3
Institut universitaire de France
L
es hôpitaux sont des lieux riches en éléments symboliques et mémoriels. Leur nom rappelle la
religion, l’histoire politique ou encore les grandes heures de la médecine et de la philanthropie.
L’onomastique concerne aussi tous les parties de l’hôpital, qu’il s’agisse des cours, places et allées
ou des pavillons et des salles. L’architecture elle-même est parlante et quelques éléments de sculpture
– bas-reliefs, hauts-reliefs et statues –, des plaques commémoratives, des inscriptions donnent aux
hôpitaux une dimension historique, politique et artistique. 1
* Article édité dans Les maux et les soins. Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle par Claire Barillé, Francis Démier.
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Onomastique
Malgré la laïcisation engagée par les
républicains à la fin des années 1870,
les hôpitaux de l’Assistance Publique
de Paris portant un nom d’origine
catholique, parfois lié au souvenir de la
monarchie, n’ont pas changé de dénomination, contrairement à ce qui s’était
passé sous la Révolution. L’Hôtel-Dieu
a conservé sa très ancienne appellation, qui est une référence indirecte à
la troisième vertu théologale, la Charité,
laquelle, d’ailleurs, désignait explicitement un autre hôpital, l’hôpital de la
Charité 2. Un terme proche, celui de
« Pitié », continue de désigner un hôpital
fondé au XVIIe siècle, sous le patronage
de Notre-Dame de la Pitié.
Plusieurs hôpitaux demeurent sous la garde
d’un saint (Saint-Antoine, Saint-Louis 3 ;
Sainte-Périne, Sainte-Anne), dont le nom
avait été choisi pour des raisons diverses.
Ainsi, l’hôpital Saint-Antoine se rattache
directement à l’abbaye Saint-Antoine-desChamps, qui fut primitivement une communauté de pénitentes fondée par Foulques
de Neuilly, en 1198, avant de devenir une
abbaye de moniales cisterciennes en 1204,
puis d’être élevée à la dignité d’abbaye
royale en 1209 4. Si l’hôpital Saint-Louis se
trouve placé sous la protection d’un roi que
l’Église a porté sur ses autels, c’est qu’Henri
IV le conçut comme un hôpital destiné aux
temps d’épidémie : Saint Louis étant mort
lors de la peste, à Tunis, en 1270, le nom
du nouvel établissement s’imposa très logiquement 5. L’hôpital Sainte-Anne s’appelle
ainsi parce qu’il se trouve à l’endroit choisi
par la reine Anne d’Autriche, durant sa
régence, pour construire l’hôpital destiné
à remplacer une dépendance de l’HôtelDieu, le Sanitat Saint-Marcel, qui avait
lui-même succédé en 1606 à la Maison
de Marguerite de Provence ; pour la mère
de Louis XIV, ce Sanitat, qui recevait des
pestiférés, était situé trop près de l’abbaye
du Val-de-Grâce où elle résidait souvent.
En vertu du contrat passé le 7 juillet 1651
entre les gouverneurs de l’Hôtel-Dieu et
les fondés de pouvoir d’Anne d’Autriche,
l’Hôtel-Dieu céda les bâtiments et les
terrains du Sanitat et la reine donna en
contrepartie 21 arpents de terrain pour
édifier le nouvel hôpital, qui devrait
prendre le nom de Sainte-Anne 6, auquel
succéda, longtemps après, l’établissement
qui existe actuellement. Un autre hôpital
encore dut son nom au désir d’une souveraine d’honorer sa sainte patronne (et,
sans doute, de mettre en avant sa propre
personne) : le 16 mars 1854, Napoléon III
et l’impératrice Eugénie inaugurèrent un
second établissement pour enfants malades,
l’hôpital Sainte-Eugénie, installé dans le
faubourg Saint-Antoine, dans les locaux
de l’hôpital qui s’appelait alors SainteMarguerite 7. Le prénom de la sainte et
de l’impératrice disparut en même temps
que le Second Empire, en 1870.
D’autres établissements étaient désignés
par un mot qualifiant les personnes qu’ils
abritaient : les Enfants-Trouvés, ou Assistés, les Enfants-Malades, les Incurables.
Buste d’Henri IV, fondateur de l’hôpital Saint-Louis (Paris). Façade du pavillon situé
au chevet de la chapelle de l’hôpital. Photographie Gabriel Bouyé.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Statue de Dupuytren, grimé en Michaël Jackson. Cloître de l’Hôtel-Dieu de Paris. Cliché pris
le 10 février 2011. Photographie Gabriel Bouyé.
L’activité principalement déployée dans
un établissement servait aussi à sa désignation, par exemple dans le cas de l’hôpital de la Clinique (ou des Cliniques),
devenu Maison d’Accouchement, puis
hôpital Tarnier, actuellement intégré à
l’hôpital Cochin. Il faut encore penser à
des appellations inspirées par la situation
dans l’espace, par exemple hôpital du
Midi 8, par le nom d’un quartier ou d’un
lieu-dit, comme dans le cas de l’hôpital
de Ménilmontant (hôpital Tenon) ou
celui de Lourcine (hôpital Broca), installé en 1836 dans un ancien couvent
de cordelières 9. Le nom de l’hôpital de
la Salpêtrière obéit encore à une autre
logique, puisque « Salpêtrière » dérive
du mot « salpêtre », à savoir la poudre
qui était fabriquée dans l’arsenal auquel
succéda un hôpital, en 1656 10.
Une autre origine possible est celle des
noms de bienfaiteurs. Le nom de JeanDenis Cochin, curé de Saint-Jacques
du Haut-Pas, qui, en 1780, donna
37 000 livres pour créer un hôpital,
servit à désigner celui-ci, dès 1802.
Lorsque l’hôpital pour adultes de la
rue de Sèvres prit le nom de Necker,
ce ne fut pas pour honorer la mémoire
du ministre de Louis XVI, mais celle de
son épouse, qui contribua à la fondation
de cet établissement, en 1778 ; de même,
le patronyme de Lariboisière donné à
un hôpital inauguré dans le nord de
Paris en 1854, ne désigne pas le comte
Charles de Lariboisière, sénateur et fils
d’un célèbre général d’Empire, mais son
épouse, Élisa Roy (1794-1851), qui légua
tous ses biens à la Ville de Paris pour que
fût créé « un hospice pour les malades »
portant son nom 11. Un autre philanthrope est encore honoré par l’onomastique hospitalière : Nicolas Beaujon (c.
1722-1799) 12, fermier général, banquier
de la Cour, fondateur, en 1784, dans
le faubourg du Roule, d’un hôpital qui
prit son nom. Le nom de l’hôpital
Boucicaut est celui d’Aristide Boucicaut, fondateur et propriétaire
du Bon Marché, dont l’épouse,
Marguerite Guérin (1816-1887),
avait légué une grande partie de sa
fortune à l’Assistance Publique de
Paris. Il faut encore citer l’hospice
de La Rochefoucauld et les fondations Boulard, Brézin, Devillas et
Lambrechts.
D’autres noms donnés aux hôpitaux parisiens au XIXe siècle, notamment dans
les dernières décennies, correspondent
à des patronymes de médecins. En
1878, Laennec (1781-1826), que son
fervent catholicisme ne fit pas chasser
du panthéon médical républicain, devint
le « patron » de l’hospice des femmes
incurables, qui fut d’ailleurs transformé
en hôpital généraliste à cette date 13.
L’année suivante, le nouvel hôpital de
Ménilmontant fut appelé Tenon, du nom
de Jacques Tenon (1724-1816), chirurgien et auteur du célèbre Mémoire sur les
hôpitaux de Paris, publié en 1788. En 1880,
alors que l’ancien hôpital Sainte-Eugénie
était devenu « anonyme » depuis une
dizaine d’années, le nom de Trousseau
lui fut attribué, ce qui se conçoit tout à
fait pour un hôpital d’enfants, puisque
Armand Trousseau (1801-1867) avait
publié d’importants travaux se rapportant
à l’enfance et, surtout, avait été pionnier
dans les recherches sur le croup et dans la
pratique de la trachéotomie 14. En 1901, le
« vieux Trousseau », c’est-à-dire l’ancien
hôpital des Enfants-Malades du faubourg
Saint-Antoine, fut détruit et remplacé par
trois hôpitaux, le nouveau Trousseau, dans
le XIIe arrondissement, et dans le nord, les
hôpitaux Bretonneau et Hérold. Pierre
Bretonneau (1778-1862), avait été le
maître de Trousseau et l’avait initié à la
trachéotomie, qu’il avait lui-même pratiquée, beaucoup moins souvent, et avec un
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moindre succès. Quant à Hérold, il s’agit
de Ferdinand Hérold (1828-1882), préfet
de la Seine de 1879 à 1882. Par ailleurs,
pour rester dans le domaine de l’enfance,
signalons le cas de la clinique d’Accouchement qui s’appela hôpital Tarnier à
partir de 1897, du nom de l’obstétricien
Stéphane Tarnier (1828-1897).
Au début des années 1880, quelques nouveaux hôpitaux reçurent aussi le nom de
sommités médicales. Le nom de Bichat
(1771-1802) désigna un établissement
établi dans le nord de Paris en 1882 ; dans
le sud, l’hôpital des Mariniers, édifié, en
1883, pour recevoir les victimes d’épidémies, fut nommé Broussais dès 1885, du
nom du célèbre père de la doctrine antiphlogistique (1772-1838). Sur la suggestion du chirurgien Samuel Pozzi (18461918), le nom de Broca – à l’inverse
de Laennec, Paul Broca (1824-1880),
né et élevé dans la religion réformée,
était connu pour ses convictions libres
penseuses et anticléricales – remplaça la
vieille appellation de Lourcine en 1892.
À peu près à la même époque, en 1893,
l’hôpital du Midi ne fut plus désigné par
sa position géographique dans la capitale,
mais par le patronyme d’un médecin qui
y avait été chirurgien de 1832 à 1861,
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Philippe Ricord (1800-1889), que ses
travaux sur les maladies vénériennes
avaient rendu célèbre.
Il est impossible de présenter dans le
détail l’onomastique relative aux différentes parties extérieures ou intérieures
des hôpitaux, car il faudrait passer au
crible des centaines de dénominations
et souligner le nombre des modifications
survenues sous la Troisième République.
En effet, la laïcisation fit attribuer assez
systématiquement des noms de médecins
aux pavillons et aux salles de malades
aux dépens des noms de saints et de
saintes. Ainsi, à la Charité, à Saint Louis,
saint Félix et saint Charles succédèrent
Vulpian (1826-1887), Laennec (17811826) et Bouillaud (1796-1881) ; la
Sainte Vierge, sainte Madeleine et sainte
Catherine s’effacèrent devant Velpeau
(1795-1867), Cruveilhier (1791-1874)
et Gosselin (1815-1887) 15. À Lourcine,
Sainte Marie, Saint Louis et Saint Clément durent céder la place à Fracastor
(1478-1553), Cullerier et Astruc (16841766) 16. Avant même que l’ancien hôpital Sainte-Eugénie n’eût pris le nom de
Trousseau, des salles avaient reçu les
noms de Bretonneau, Giraldès (18081875), etc. 17. Ce ne sont là que quelques
exemples. Mais tous les noms de saints
n’ont pas complètement disparu ; ainsi,
à la Salpêtrière, subsistent un quartier
Saint-Louis, une cour Sainte-Claire, une
rue Saint-Vincent de Paul 18.
L’architecture et le décor
Les hôpitaux fondés au temps de la laïcisation, ou postérieurement à celle-ci,
possèdent un espace intercultuel, qui
ne se remarque pas de l’extérieur, où les
malades peuvent venir prier et participer à des célébrations religieuses 19. En revanche,
dans certains des établissements plus anciens, subsiste la chapelle, comme
à l’Hôtel-Dieu, SainteAnne, le Val-de-Grâce, la
Salpêtrière, Saint-Louis,
Lariboisière ; des messes
sont encore célébrées, au
moins dans ces quatre derniers hôpitaux. Ouvert en
1878, l’hôpital Tenon est
probablement le dernier
hôpital de l’Assistance
Publique de Paris dont
la construction incluait
une chapelle, la chapelle
Saint-Louis. Les sculptures ou les inscriptions
des façades de ces édifices
religieux soulignent la
place que la religion tenait
autrefois dans la vie de
l’hôpital. Ainsi, à l’Hôtel-Dieu, la tête du
Christ surplombe un verset de l’évangile
de saint Jean (Ego sum resurrectio et vita.
Qui credit in me etiam si mortuus fuerit
vivet) 20. L’église du Val-de-Grâce, dont
la première pierre fut posée en 1645, rappelle le vœu de la reine Anne d’Autriche
et la naissance du dauphin Louis, en
1638 ; sur l’autel, Michel Anguier plaça
une nativité monumentale, à laquelle
correspond l’inscription portée sur le
linteau de la façade : Jesu nascenti Virginiq. Matri ; sur les portes, demeurent
des fleurs de lys et des couronnes royales.
À la Salpêtrière, une croix rayonnante
est sculptée sur la partie supérieure du
portique précédant la chapelle ; sur le
porche de l’entrée de la division Mazarin
– sur lequel sont sculptées les armes du
cardinal – deux statues monumentales
représentent l’Espérance, avec la traditionnelle ancre du salut, et la Charité,
allégorie féminine accompagnée de deux
enfants, dont l’un est à la mamelle. Dans
l’espace situé entre le portique et la chapelle, une sorte de narthex, sont conservées trois plâtres monumentaux ; un seul
est identifié : il s’agit d’une œuvre d’Etex
de 1832, représentant « Caïn frappé du
courroux divin ». À Saint-Antoine, une
fois franchie la cour abritant le pavillon
Foulques de Neuilly, on peut lire, sur une
façade du pavillon de l’horloge, cette
inscription « Benedic & sanctifica domum
istam in sempiternum Deus Israel. Anno
Domine 1767 » 22, qui tranche sur la
symbolique républicaine du porche de la
rue du faubourg Saint-Antoine : celle-ci
porte le ternaire républicain – il en va de
même pour tous les autres hôpitaux, du
moins ceux de l’Assistance Publique –,
et une belle tête de Marianne à bonnet
phrygien ; placée, au sommet du fronton,
celle-ci n’est d’ailleurs probablement
vue que par une minorité de gens. Cette
allégorie de la République ne figure pas,
Monument élevé en hommage aux internes des hôpitaux de Paris morts pendant la
Première Guerre mondiale. Galerie gauche du cloître de l’Hôtel-Dieu.
Photographie Gabriel Bouyé.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
Stèle érigée dans les jardins de l’hôpital
de la Salpêtrière (côté boulevard de
l’Hôpital). Remarquer la distinction
soigneusement établie entre les trois types
de personnel. Photographie Gabriel Bouyé.
croyons-nous, sur d’autres façades
d’hôpitaux. Par ailleurs, à la Salpêtrière, une couronne royale figure
encore sur le porche d’entrée de la
division Lassay.
La plupart des éléments du décor
hospitalier se rapportent aux praticiens et aux personnels qui y exercèrent. Si Paris possède plusieurs
statues de médecins 23, nous en
avons vu seulement deux à l’intérieur d’une enceinte hospitalière,
les effigies de Dupuytren, en pierre,
et de Larrey, en bronze. La statue de
Dupuytren (1777-1835), représenté
en pied, est érigée dans la cour intérieure de l’Hôtel-Dieu, au bas de
l’escalier menant à la chapelle. Les
internes travestissent constamment
cette effigie, la transformant en Mickey,
en Batman, en Marsupulami, en Ninja,
en Astérix, en Dark Vador, etc. 24 ; le
11 avril 2007, avec de grosses lunettes à
monture blanche et une perruque rousse,
Dupuytren se présentait sous les traits de
Michel Polnareff ; le 10 février 2011, il
était grimé en Michael Jackson ; d’après
une personne de la Direction de l’HôtelDieu, un changement intervient tous
les six mois. Quant à la statue de Larrey
(1766-1842), œuvre de David d’Angers,
elle fut réalisée grâce à une souscription
nationale ; en pied également, elle figure
dans la cour d’honneur du Val-de-Grâce,
où elle fut inaugurée en 1850. L’inscription principale énumère les titres et
fonctions du baron Larrey, dont la main
droite, ramenée sur la poitrine, tient un
rouleau de papier, tandis que la gauche
est posée sur une sorte de fût supportant
des livres et des instruments de chirurgie ;
sur les quatre faces du piédestal, sous
le nom de quatre batailles (Bérésina,
Austerlitz, Somo-Sierra, Pyramides)
sont apposés quatre bas-reliefs de bronze
représentant un champ de bataille.
Dans d’autres hôpitaux existent des
bustes. Dans la cour d’entrée de la Salpêtrière, se trouvent ceux de Trélat (17951879) et de Baillarger (1809-1890), ce
dernier ayant été offert par « la Société
médico-psychologique. Ses amis. Ses
admirateurs », comme le dit une inscription gravée sur le piédestal ; un troisième
buste, très dégradé, représente un homme
qui ne peut être identifié, car, de l’inscription du piédestal, ne subsistent que
les deux premiers chiffres de la date de
mort, « 18 ». La mémoire de Tarnier est
célébrée par un haut-relief de pierre sur
le mur extérieur de l’hôpital du même
nom, à l’angle de la rue d’Assas et de
l’avenue de l’Observatoire : enveloppé
dans un grand tablier noué sur le ventre,
Tarnier se tient devant un lit occupé
par une femme et son nourrisson ; sous
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la sculpture, une inscription précise que l’œuvre a été dédiée « au
Maître qui consacra sa vie aux mères
et aux enfants », par « ses collègues,
ses élèves, ses amis, ses admirateurs ».
À Sainte-Anne, sur la façade du
pavillon Magnan est apposé un basrelief de bronze rappelant le souvenir
de Valentin Magnan, « médecin en
chef de l’Admission. MDCCCLXVII-MDCCCCXIII » ; la pratique
du « Maître de Sainte-Anne »,
ainsi qu’était désigné Magnan,
est évoquée par une inscription
latine : « Maluit lenitatem quam vim
adhibere » 25. Les figures des fondateurs et bienfaiteurs sont elles aussi
présentes. À l’hôpital Saint-Louis,
dans une niche creusée dans le mur
d’un petit bâtiment situé au chevet
de la chapelle se trouve un buste
d’Henri IV et, à Lariboisière, dans
la chapelle, la statue de Madame de
Lariboisière figure sur un monument
funéraire. À Sainte-Anne – où les allées
et les places portent le nom d’écrivains –,
c’est une statue en grès de Victor Hugo
qui occupe un parterre circulaire 26. À
l’hôpital Saint-Joseph, une galerie est
consacrée au souvenir du principal instigateur de la fondation, Mgr d’Hulst,
et de toutes les personnes qui, par leurs
dons, contribuèrent à la construction de
pavillons et à l’accroissement du nombre
de lits.
Diverses plaques commémoratives
célèbrent la mémoire de défunts, médecins, étudiants en médecine – internes
et externes –, infirmiers ou agents de
service ; elles appartiennent à deux catégories. Celles de la première portent
les noms de personnes victimes de
leur dévouement à la médecine et aux
malades ; c’est le cas, à l’Hôtel-Dieu, où,
en 1902, année du centenaire de l’Internat, furent apposés dans une galerie du
cloître un haut-relief de marbre – représentant un chirurgien, deux internes et
L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
une Augustine – et deux listes de noms
d’internes « victimes de leur devoir pendant
leur internat ». À Saint-Antoine, est perpétué le souvenir de cinq personnes (un
infirmier, une suppléante et trois agents
des services hospitaliers [ASH]) décédées
lors de l’épidémie de choléra de 1892
ou d’une épidémie de typhoïde (1907,
1914, 1931) 27. Outre le choléra de 1892,
qui fit une victime dans le personnel
infirmier, la fièvre typhoïde causa aussi
la mort de deux internes à Tenon, en
1898 et 1899, et un agent des services
hospitaliers succomba à une septicémie
en 1933. À Trousseau, où la Ville de Paris
fit apposer plusieurs plaques à la mémoire
d’internes, d’externes et d’agents des
services hospitaliers, les maladies les
plus mortifères furent la diphtérie et la
scarlatine, suivies par la fièvre typhoïde
et la septicémie 28.
Plus banales, en quelque sorte, et présentes dans tous les hôpitaux, comme
dans de nombreux autres établissements
publics (lycées, écoles normales d’instituteurs, universités, gares, etc.), les
autres plaques célèbrent tous les combattants morts pour la France durant
les deux guerres mondiales, notamment
la Première ; y figurent quelques noms
d’internes et d’externes, une majorité
de noms d’infirmiers ou de personnes
travaillant dans les différents services
hospitaliers, mais l’on est frappé par
l’absence de noms de professeurs 29. À
l’Hôtel-Dieu, figure un bas-relief de Landowski, dont les sculptures se rapportant
à la Grande Guerre sont célèbres. Au
Val-de-Grâce, dans la cour d’honneur,
se trouve une grande plaque de marbre
qui ne présente pas une liste de noms,
mais la seule inscription « In memoriam.
Aux membres du service de Santé militaire
morts glorieusement pour la France. Pro
Patria et Humanitate ».
Ces quelques exemples présentés ici sont
loin de correspondre à l’ensemble des
éléments symboliques et mémoriels qui
Plaque commémorative en hommage aux personnes mortes de leur dévouement. Hôpital
Saint-Antoine. Pavillon située au fond de la cour Foulques de Neuilly. Photographie Gabriel Bouyé.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L’HÔPITAL, DES HÉRITAGES ET DES RECONVERSIONS
doivent exister dans les établissements
hospitaliers, leur conférant une dimension idéologique et historique certaine,
que, vraisemblablement, peu de patients
ou de visiteurs perçoivent : en général,
on ne va pas à l’hôpital pour effectuer
un repérage des statues, bustes et inscriptions et toutes ces traces du passé doivent
retenir l’attention et aiguiser la curiosité
encore moins que dans le reste de la ville.
Comme l’on a pu le constater, la part du
religieux, qui reste forte, a survécu aux
entreprises de laïcisation et les souvenirs
de la monarchie sont eux aussi présents ;
ainsi, dans les enceintes hospitalières,
voisinent les symboles ou les allégories
se rapportant à l’Église catholique, à la
Royauté et à la République, soit aux
trois institutions qui ont joué un rôle
fondamental dans l’histoire des hôpitaux.
NOTES
1 - Il est impossible de considérer ici tous
les hôpitaux parisiens ; nous ne donnons
donc que quelques exemples, que nous
espérons représentatifs ; pour l’essentiel,
nous les avons relevés dans les hôpitaux de
l’Assistance Publique, mais nous citons aussi
des établissements publics ou privés ne relevant
pas de cette administration (Sainte-Anne, le
Val-de-Grâce, Saint-Joseph).
2 - Construit au XVIIe siècle, cet hôpital fut
détruit durant les années 1930 ; à sa place, fut
édifiée la nouvelle Faculté de médecine de la
rue des Saints-Pères.
3 - Durant la période qui nous intéresse ici,
l’hospice destiné à recevoir les enfants délaissés
s’appelait hospice des Enfants Trouvés, puis
hospice des Enfants Trouvés et Orphelins
à partir de 1836 ; en 1859, il prit le nom
d’hospice des Enfants Assistés ; il ne passa sous le
patronage de Saint-Vincent-de-Paul qu’en 1942,
http://europaphe.aphp.fr/fr/f_idf_par_stvin.
html
4 - Déclarée bien national en 1791,
l’abbaye fut transformée en hospice, puis en
hôpital, voir Sylvie Sarzana, « D’où vient
l’hôpital Saint-Antoine », numéro spécial
Patrimoine de la faculté de Médecine Pierre
et Marie Curie, http://www.chusa.jussieu.fr/
presentation/historique.html et site Internet
institutionnel de l’AP-HP http://www.aphp.
fr/index.php?module=histoire&action=affich
er_histoire&vue=histoire_.
5 - SABOURAUD, R. Histoire de l’hôpital
Saint-Louis, Lyon : Laboratoires Ciba, 1937, mis
en ligne sur http://www.hopitalsaintlouis.org/
Histoire/sabouraud/sabouraud_web.htm.
6 - Voir CAIRE, Michel. Contribution à
l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (Paris) : des
origines au début du XX° siècle. Thèse médecine,
Paris V, Cochin-Port-Royal, 1981, n° 20. Mis
en ligne sur http://psychiatrie.histoire.free.fr/
hp/stanne.htm. p. 7-8.
7 - Il avait succédé au vieil hospice des EnfantsTrouvés, fondé en 1674, qui fut transféré rue
d’Enfer en 1838.
8 - Ouvert en 1792, cet hôpital destiné aux
hommes atteints de maladies d’origine sexuelle
s’appelait primitivement hôpital des vénériens ;
il prit le nom d’hôpital du Midi en 1836, puis
adopta le nom de Ricord en 1893. Il se trouvait
dans le XIVe arrondissement actuel de Paris, à
proximité de l’hôpital Cochin.
9 - Voir PERCHAUX, Ernest. Histoire de
l’hôpital de Lourcine. Thèse pour le doctorat en
médecine, 6 février 1890. Paris : Imprimerie de
la Faculté de Médecine-Henri-Jouve, 1890. Le
nom de Lourcine pourrait venir de l’expression
latine de loco cinerum (p. 24-25) et se rapporter
à l’emplacement d’un ancien cimetière.
10 - Voir Gérard Tilles, « 1849-1999 : 150 ans
de dermatologie à l’AP-HP », en ligne, http://
www.bium.univ-paris5.fr/sfhd/ecrits/aphp.htm.
11 - Voir l’inscription du monument élevé
dans la chapelle de l’hôpital Lariboisière à la
mémoire de la comtesse.
12 - BOUILLET, M.-N. Dictionnaire universel
d’histoire et de géographie, refondu sous la
direction de L.-G. Gourraigne, 31e édition.
Paris : Librairie hachette et Cie, 1895,
p. 196. L’hôpital Beaujon se trouvait dans
le VIIIe arrondissement de Paris ; il a été
désaffecté en 1935 et transféré à Clichy.
13 - Voir Patrice Fernand Paul Marie Bourée,
L’hôpital Laennec des origines à nos jours. Thèse
pour le doctorat en médecine, DactyloSorbonne, 1970.
14 - Voir LEGENT, François. « Armand
Trousseau, créateur de la laryngologie »,
BIUM, édition électronique, http://www.bium.
univ-paris5.fr/histmed/medica/orle.htm
15 - GILLET, Fernand. L’hôpital de la Charité.
Étude historique depuis sa fondation jusqu’en
1900. Montévrain, imprimerie typographique
de l’école d’Alembert, 1900, p. 79.
16 - PERCHAUX, Ernest. Histoire de l’hôpital
de Lourcine…, op. cit., p. 72.
56 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
17 - Voir LAMBEAU, Lucien. L’hôpital des
Enfants-Trouvés du faubourg Saint-Antoine. Ville
de Paris, Commission du Vieux Paris, annexé
au procès-verbal de la séance du 10 décembre
1903, p. 375.
18 - Les plaques signalétiques les plus récentes
indiquent d’ailleurs « rue Vincent de Paul ».
19 - Voir Isabelle Saint-Martin, « La pluralité
religieuse à l’hôpital : espaces cultuels et lieux
de recueillement », Jacqueline Lalouette et
Christian Sorrel (dir.), Les lieux de culte en
France. 1905-2005, Paris, Letouzey et Ané,
2005, p. 243-256.
20 - Saint Jean, 11, 25 : « Je suis la résurrection
et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il
meurt, vivra. ».
21 - « À Jésus nouveau-né et à la ViergeMère ».
22 - « Bénis et sanctifie cette maison pour
l’éternité, Dieu d’Israël ».
23 - Par exemple, Bichat, par David d’Angers,
dans la cour de la vieille faculté de médecine ;
Vulpian, par Paul Richer, rue Antoine
Dubois ; Pinel, par Ludovic Durand, devant la
Salpêtrière. Voir N. Mcintyre, « The medical
statues of Paris », Vesalius, 1998, 4 (2),
p. 79-89.
24 - Voir le site http://www.leplaisirdesdieux.
com/LePlaisirDesDieux/LesSallesDeGarde/
FresqueSDG/dupuytren.htm
25 - « Il préféra la douceur à l’emploi de la
force. »
26 - Dans le secteur du laboratoire central et du
pavillon réservé au don du sang.
27 - Est venu s’y ajouter celui d’une laborantine
morte d’un « ictère grave » en 1971.
28 - La diphtérie y fit mourir cinq membres du
personnel soignant en 1875, 1879, 1880, 1888,
1892, la scarlatine, quatre en 1922, 1927, 1928
et 1929. Il y eut un décès provoqué par la fièvre
typhoïde, en 1882 et une mort par septicémie,
en 1933. Les plaques se trouvent dans un petit
hall du pavillon Jacqueline Pallez (porte 4).
29 - Ainsi, à l’hôpital Tenon, sur la plaque
érigée en l’honneur de vingt hommes morts
de 1914 à 1919, figurent les noms d’un interne
et de deux externes, de quatre préposés, d’un
plombier, d’un journalier et de onze garçons de
service. À la Salpêtrière, est rappelé le souvenir
de deux membres du « personnel médical »,
de quinze du « personnel hospitalier » et de
seize du « personnel ouvrier ». Par ailleurs, près
du n° 15 de la rue de l’École de médecine, est
apposé un bas-relief commémorant le souvenir
des 1 800 médecins morts pour la France durant
la Première Guerre mondiale.
LE PROJET CULTUREL ET L’HÔPITAL
C
omment est-on passé d’une culture hospitalière fondée sur la conservation et la
transmission des savoirs et des œuvres du passé à un projet culturel conçu comme une
ressource de développement de l’hôpital ?
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
Hall principal du CHU Estaing.
© Service Communication & Culture – CHU de Clermont-Ferrand.
« Culture et hôpital » 2002-2009
Du militantisme à l’institutionnalisation* !
Gilles Herreros et Bruno Milly
Sociologues, enseignants-chercheurs à l’Université Lumière-Lyon II
Chargés de l’évaluation du dispositif « Culture et Hôpital » en Rhône-Alpes
Les choses sont
entendues, n’est-ce pas ?
L’hôpital n’est pas une scène artistique,
ni un lieu de création esthétique et
encore moins un espace d’apprentissages
et de divertissements autour des pratiques culturelles. À l’hôpital, on soigne
monsieur ! Les malades y sont en souffrance, éloignés de chez eux, aspirant à y
retourner au plus vite ; perturbés toujours,
inquiets souvent, comment pourraientils songer à autre chose qu’à leur santé ?
Quant aux personnels, tout est au moins
aussi clair de leur côté : une activité
débordante, un manque de moyens et de
temps récurrent, une charge physique et
mentale considérable… Comment, dans
ces conditions, imaginer qu’ils puissent
consacrer de l’énergie à une activité
aussi périphérique aux soins que celle
représentée par une activité culturelle ?
Quant aux financements d’une telle
opération, en une période de pénurie et
de recherche permanente d’économie…
à un moment où presque tous les CHU
et CH de France affichent un déficit…
ils restent hautement improbables. Des
initiatives culturelles à l’hôpital ? Mieux
vaut oublier…
rience conduite depuis la fin des années
quatre-vingt-dix en Rhône-Alpes. Chargés d’évaluer à deux reprises (de 2002 à
2004 et de 2007 à 2009 1) le programme
« Culture et Hôpital » mis en œuvre par
l’ARH et la DRAC d’abord, rejointes
ensuite par la Région, nous avons accumulé un matériau qui contredit en tous
points l’idée selon laquelle penser le
soin et l’action culturelle en un même
lieu, en un même mouvement, serait
une incongruité. Les quelques lignes
qui suivent visent à rendre compte de
ce constat.
Ces évidences, lapidairement énoncées,
ont toutes été mises à mal par l’expé-
Factuellement, les déclinaisons de
culture à l’hôpital ont concerné une
* Article paru dans Aventure en terres hospitalières, culture, hôpital et territoires - 2010.
58 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
cinquantaine d’établissements et ont
donné lieu à des projets très différents
portant sur la danse, le théâtre, le chant,
l’écriture, l’art plastique, la photographie,
la mémoire, le patrimoine, les sciences…
À chaque fois, c’est sous la forme d’expositions, de représentations, ou bien de
travaux d’ateliers – rassemblant personnels et patients – que se sont déroulées
ces initiatives. Ici, sur la question de la
mémoire, des récits sont recueillis, des
objets collectés, des témoignages enregistrés, des productions photographiques
ou cinématographiques réalisées, des
recherches initiées, des ouvrages publiés.
Là, dans un tout autre registre, ce sont
des enfants hospitalisés qui produisent
un disque, un recueil de textes, ou bien
des malades qui réalisent des peintures.
Ailleurs encore, c’est un spectacle qui est
monté avec les personnels de l’hôpital,
les malades et des artistes professionnels.
Si la diversité des projets est patente, au
commencement de l’action, on trouve
toujours un même point de départ : la
coopération entre une structure culturelle et un établissement de santé sur la
base d’une problématisation commune
de la situation spécifique dans laquelle se
trouve ledit établissement (son histoire,
ses projets, son territoire…).
À chaque fois, les effets des projets sont
profonds ; adaptation, déplacements,
détournements, réordonnancement, ces
quelques qualificatifs nous y renvoient.
L’adaptation des projets au lieu est un
impératif. N’importe quelle action
culturelle ne peut se dérouler dans
n’importe quel établissement. Les projets se profilent et s’ajustent selon les
caractéristiques des lieux, dans une
entre-définition permanente entre le
contenu et le contenant (le projet et le
contexte) qui se modèlent l’un l’autre.
Ainsi, responsables culturels, artistes,
professionnels de l’hôpital, patients, riverains se retrouvent dans une interaction
continue qui exclut les « allant de soi ».
Cette adaptation entraîne l’ajustement
des pratiques de chacun : « Doit-on aller
danser dans la chambre du patient ? Moi
j’ai du mal avec cela… et si oui comment
faire ? » nous dit un artiste ; un soignant
exprime le même genre d’interrogations :
« pour la fête de la musique, un concert
avait lieu sur la terrasse. Fallait voir ! C’était
étonnant. Les malades avec leurs bouteilles
de sérum en train d’assister au spectacle.
Les soignants étaient là, gênés, côte à côte
avec les patients… ils ne savaient pas quelle
attitude adopter… les malades ne semblaient
plus dépendants d’eux ».
Les déplacements provoqués par les projets
culturels sont inattendus. Citons quelques
exemples. Un réfectoire devient, sans
perdre sa fonction première, le lieu d’une
« expo photo ». Une salle de kinésithérapie se transforme, l’espace de quelques
heures par semaine, en atelier danse. Un
hall d’entrée, une terrasse, un jardin, des
salles d’attente se mutent en salles de
spectacles et de concerts, les couloirs et
les étages d’un établissement prêtent leurs
murs à des parcours muséographiques,
un local technique désaffecté devient
un endroit de répétition… « L’autre jour
(nous explique un responsable culturel),
j’ai eu une personne au bout du fil qui voulait
venir voir le spectacle que nous donnions
dans l’hôpital dans la grande salle. Elle me
demandait des informations sur cette salle de
spectacle locale qu’elle était surprise de ne pas
connaître ; elle avait transformé, l’espace d’un
instant, l’hôpital en un équipement culturel ».
Transformation de l’espace, réaffectation
symbolique, l’hôpital devient, pour un
temps, une infrastructure culturelle.
Les détournements d’images et de sens
sont également légions : « J’ai dû négocier
avec les kinés pour utiliser la salle ; au début,
j’ai senti qu’ils ne voyaient pas ça d’un
bon œil. Maintenant, c’est bon, ils ont vu
que je faisais attention à leur matériel »
nous explique un artiste animant un
atelier danse. « Au début, quatre personnes
venaient ici dans ce local technique transformé en lieu de répétition de spectacle. Puis,
petit à petit, les malades se sont approchés
doucement tournant autour. Aujourd’hui,
plus de quarante personnes fréquentent
régulièrement ce lieu. Il est devenu un point
de ralliement ». Les lieux, les fonctions,
les statuts sont objets de transformations ;
un malade peut devenir un cinéphile
controversant sur le film à l’issue d’une
projection dans l’établissement, un soignant peut donner la réplique à un de
ses collègues ou à un patient au cours
d’une représentation théâtrale, des gestes
de l’activité quotidienne au sein d’un
établissement peuvent devenir les objets
d’une exposition photographique. Un
tel brassage peut dérouter ; il n’est pas
désordre mais réordonnancement.
Le réordonné n’induit pas la préexistence
du désordre mais la création d’un autre
ordre. La thématique du désordonnéréordonné a une résonance particulière
à l’hôpital, confronté depuis plusieurs
années déjà aux démarches qualités
et à la « mise en ordre » que celles-ci
supposent. Lorsque prime le registre du
« faites ce qui est écrit et écrivez ce que
vous faites », quand les personnels sont
conviés à donner une image d’ordre (le
classement des documents, l’inventaire
des procédures, la traçabilité des pratiques…), les initiatives bouillonnantes
de la « culture à l’hôpital » qui introduisent de l’incertain, de l’aléatoire,
peuvent être perçues comme incongrues.
« Notre lieu, je l’appelle le gourbi. La première année, c’était un joyeux bordel… ! »
nous dit un artiste intervenant dans
un hôpital peu soucieux de renvoyer
une image d’ordre. Avec le programme
« culture et hôpital » nous sommes
invités à sortir de la binarité ordre/
désordre ; ordre, travail et qualité d’un
côté, désordre, divertissement et improvisation de l’autre. « Culture à l’hôpital »
relève du réordonné, c’est-à-dire d’un
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
59
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
déplacement des pratiques habituelles,
d’une réaffectation des lieux, d’un réagencement des relations entre soignants,
patients, familles… Par-là, c’est toute
l’institution soignante qui se trouve
interrogée, jusqu’au soin lui-même ;
peut-il se résumer à de la technique et
du nursing ? La profondeur de l’interrogation que les actions culturelles posent à
l’hôpital et aux institutions de santé ne
suscite évidemment pas une position de
soutien unanime. Loin s’en faut.
Des résistances, même si elles vont en
s’amenuisant, s’expriment haut et fort
chez nombre de personnels. « Ton rêve,
c’est le cauchemar du plus grand nombre ! ».
« Tu nous fais chier avec ta culture ». « Ah
oui ! Des danseuses à l’hôpital ? Il y a peutêtre mieux à faire, non ? ». « On manque
de personnel et de matériel et on dépense de
l’argent pour ces conneries ! ». Ce type de
propos, pas nécessairement majoritaires,
mais fréquents tout de même, tranche
par sa radicalité, avec l’enthousiasme de
ceux qui pilotent les projets et avec la
satisfaction quasi-unanime des patients
qui se déclarent largement acquis (comme
en atteste l’enquête par questionnaires
que nous avons réalisée). Lorsque parfois
le sentiment des patients est plus mesuré,
c’est toujours avec beaucoup de nuances
que celui-ci s’exprime : « Tu sais : ce que tu
fais ici, c’est bien, c’est super même », dit à
un danseur une jeune femme clouée depuis
des mois sur son fauteuil roulant suite à un
accident, « mais moi, ce que je veux d’abord,
c’est partir d’ici ! ». C’est la même exclamation que formule, ailleurs, une vieille
dame, hospitalisée pour des problèmes
neurologiques et qui, depuis des semaines,
ne rate pas un seul atelier écriture, si ce
n’est pour lui préférer, de temps en temps
un atelier chant, « C’est dommage, ils ont
lieu en même temps, dit-elle, mais mon plus
grand désir est de rentrer chez moi ».
Le militantisme a largement présidé à
l’instauration des premières expériences
culturelles au sein de l’hôpital dans le cou-
rant des années 90 et au début des années
2000. Quelques passionnés de la culture se
sont mobilisés isolément, puis rassemblés
dans le cadre d’une convention régionale,
pour multiplier les initiatives. Prenant sur
leur temps, devant dépenser une énergie
folle au sein de leurs établissements respectifs pour convaincre, les directions, les
médecins, les soignants, ne disposant que
très rarement d’une formation de médiateur culturel, manquant souvent de légitimité et de crédibilité pour faire valoir leurs
projets, les premiers responsables culturels
des établissements hospitaliers étaient à
la fois des pionniers et des militants. À la
fin de la première décennie des années
2000, si des difficultés persistent pour que
les démarches culturelles obtiennent droit
de cité dans les établissements de santé,
le contexte s’est fortement transformé,
au point, pensons-nous, de laisser entrevoir un début d’institutionnalisation des
démarches en cours.
L’institutionnalisation qui s’amorce de
« culture à l’hôpital » passe par plusieurs
canaux. En premier lieu, il convient de
souligner l’existence d’une incitation, inscrite au SROS Rhône-Alpes et adressée
aux établissements de santé, à inclure dans
leurs projets d’établissement respectifs un volet
culture. Cette institutionnalisation s’exprime aussi au travers de la constitution,
sur chaque bassin de santé, d’un comité local
rassemblant les animateurs des projets sur
différents établissements et ayant vocation à fournir à d’éventuels promoteurs
d’actions, les conseils leur permettant
le développement d’initiatives.
Lieux ressources, ces comités
locaux fournissent en outre la
base à la constitution d’un
réseau régional qui, désormais, dépasse largement
la seule commission
régionale qui assurait,
au début de la mise en
place de la convention,
l’animation du disposi-
60 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
tif. Ce réseau, composé des médiateurs
culturels hospitaliers, de représentants de
structures artistiques, s’est substitué aux
énergies militantes isolées et constituent
désormais un socle pouvant favoriser le
développement des initiatives culturelles
en région. Enfin, sans que la reconnaissance de la fonction de médiateurs culturels d’établissement hospitalier n’existe
encore de façon formelle, se dessine progressivement, grâce à l’activité réflexive
desdits médiateurs, ce que pourraient être
les attendus d’une activité culturelle hospitalière. Bien sûr, l’institutionnalisation
n’est pas acquise, mais le processus est en
marche et la consolidation des différents
canaux que nous venons d’évoquer devrait
pouvoir permettre d’installer cette idée que
l’administration d’un soin, le fonctionnement d’une organisation de santé, ne
passe pas nécessairement par l’oubli de ce
qui représente un des éléments non négligeables de l’existence : la confrontation aux
formes multiples de l’art et de la culture.
NOTES
1 - Cf. : G. Herreros, 2004, “Variations sur
le vital ; les petites liaisons culture-hôpital”,
Recherche Drac/ARHRA/IRCO, consultable
en ligne sur www.culture.gouv.fr/rhonealpes/hopital/ressourc.htm et Herreros
G., Milly B., 2009, Culture-Hôpital, de
l’expérimentation à l’institutionnalisation,
Rapport de Recherche, ARH, DRAC,
Région Rhône-Alpes (site ARH/Drac).
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
Culture à
l’hôpital,
culture de
l’hôpital*
Hôtel-Dieu de Dôle.
Yann Bubien
Directeur d’hôpital et Directeur de cabinet à la FHF
Rachel Even
Déléguée générale et Directrice artistique
d’« Art dans la Cité »
Bernard Glorion,
Président du conseil national de l’ordre des médecins et
président d’« Art dans la Cité »
Olivier Galaverna
Docteur en neurosciences de l’université Paris-VI,
consultant auprès des industries alimentaire et pharmaceutique
S
i, comme l’affirmait le chirurgien Tenon, « les hôpitaux sont en quelque sorte la mesure de la civilisation
d’un peuple » 1, que faudrait-il penser d’une société dont les établissements de santé n’assureraient pas
l’accès de tous à des soins de qualité ? Si nous y parvenons aujourd’hui en France, bon gré mal gré, il
n’en fut pas toujours ainsi et il suffit de regarder ailleurs pour constater des inégalités manifestes. Notre système
de santé en général, et notre hôpital en particulier, sont en effet les fruits d’un long processus historique et
culturel que la modernité actuelle préférerait bien souvent oublier, si elle n’était rattrapée par son passé.
Depuis la création des hôpitaux (nommés
« hôtels-Dieu », « hospices », « maisonsDieu ») par le concile d’Aix-la-Chapelle
en 806 2, l’art a animé les établissements
de soins par la beauté de l’architecture,
de la sculpture et de la peinture. Les
tableaux, tel le retable d’Issenheim de
Matthias Grünewald, exposés dans les
salles des malades, encourageaient ces
derniers à supporter la souffrance et les
aidaient à l’approche de la mort à une
époque où la médecine se réduisait à des
soins basiques du corps.
Si, de tout temps, les artistes sont
entrés à l’hôpital pour y créer, l’hôpital
a lui-même créé ses propres valeurs qui
rejaillissent sur la cité. Comme le cœur
humain, au terme d’un double mouvement systole-diastole, la culture irrigue
et anime le corps hospitalier.
La valorisation du
patrimoine culturel
hospitalier : les lieux de
mémoire
« Il est impossible, écrit Jean Imbert 3,
de comprendre la situation actuelle
du système hospitalier français sans en
retracer l’évolution au cours des siècles
précédents. » Les établissements de soins,
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
61
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
de l’hôtel-Dieu, expression de la piété
médiévale, aux centres hospitaliers, symboles de la haute technicité médicale,
sont le produit d’une histoire riche et
mouvementée. Cette histoire nous a
légué un patrimoine considérable, à la
fois mobilier (tableaux, statues, apothicaireries, instruments chirurgicaux, etc.)
et immobilier (hôtels-Dieu, chapelles,
sanatoriums, etc.).
Témoins de l’histoire de l’architecture comme de celle de la médecine,
les bâtiments hospitaliers traduisent
les diverses fonctions de l’hôpital. De
l’infirmerie monastique, lieu spirituel, à
l’hôpital-rue, espace citoyen, de l’hôpital
général, symbole du pouvoir royal, à
l’hôpital pavillonnaire, espace savant
des hygiénistes, de la clinique privée au
centre hospitalier universitaire public,
ils illustrent clairement l’articulation
du monde technique et scientifique et
du monde politique et social. À travers l’Europe, la diffusion des modèles
architecturaux suit donc les relations
géopolitiques de la société.
La valeur de ce patrimoine tient, tout
d’abord, à son importance quantitative.
Un croisement de la base de données
Mérimée des Monuments historiques
avec des informations provenant de
documentalistes, de conservateurs et
d’architectes a permis d’identifier huit
cents notices relatives au patrimoine
historique hospitalier 4. La direction des
hôpitaux du ministère de la santé a par
ailleurs lancé, le 11 mai 1998, une très
importante enquête qui a permis de dresser, en 1999, un inventaire exhaustif. Sur
le plan européen, le Conseil de l’Europe a
appelé ses membres à effectuer un inventaire général des leurs établissements de
soins présentant un intérêt historique ou
architectural et les a invités à prévoir des
mesures de préservation.
La valeur de ce patrimoine provient,
ensuite, de sa diversité : éléments d’archi-
tecture, objets d’art, mobilier religieux,
objets de culte, mobilier domestique,
objets à caractère médical, etc. 5
Ce patrimoine, déjà partiellement
détruit, est toujours menacé, par le
vieillissement naturel et les dégâts du
temps bien sûr mais surtout par l’activité
des hôpitaux dont les contraintes budgétaires et organisationnelles s’accordent
mal avec la rénovation des bâtiments
historiques comme avec les créations
artistiques. La maîtrise des dépenses de
santé impose des arbitrages qui vont
rarement dans le sens des activités
culturelles.
Concernant les bâtiments dont l’intérêt
historique ou architectural est avéré,
c’est aux difficultés de la reconversion
que sont confrontées les directions d’établissement, la direction des monuments
historiques, les municipalités. Inadaptés
aux nouveaux impératifs médicaux, au
confort moderne et aux changements
organisationnels, les bâtiments historiques ont été reconvertis, traditionnellement, en siège administratif de
l’hôpital (Hôtel-Dieu Saint-Jacques à
Toulouse), en maison de repos (hôpital Pacheo de Bruxelles) ou de retraite
(hôpital Amstelhof d’Amsterdam). Certains se sont transformés en équipement
public culturel, musée, médiathèque ou
salle de spectacle. Le plus ancien hôpital
d’Angers, qui date du XIe siècle, abrite
ainsi aujourd’hui le musée Jean-Lurçat.
Aux Pays-Bas, l’hôpital Sainte-Élisabeth, à Haarlem, est devenu un centre
culturel, ainsi que l’hôpital Vecchio à
Parme en Italie. L’une des plus belles
reconversions est sans doute l’Hôtel-Dieu
de Dôle, aménagé en médiathèque, un
modèle du genre qui allie habilement
esthétique, technique et pratique dans
un magnifique bâtiment Renaissance.
Une école internationale du cinéma a
quant à elle pris place au sein de l’ancien
hôpital militaire de Cherbourg.
62 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
D’autres ont trouvé une nouvelle vie en
se transformant en équipement scolaire
(hôpital Boucicaut à Paris) ou universitaire (à Avignon et Colmar, mais également l’hôpital Binnengasthuis d’Amsterdam). D’autres encore ont été reconvertis
en équipement administratif, à l’image
des hôpitaux Saint-Louis et Saint-Roch
de Rouen réinterprétés en préfecture
par Jean-Michel Wilmotte. Plus rares
sont les reconversions en hôtel de luxe
(hospice Gantois de Lille), en logement
social (hôpital abbatial d’Aurillac) ou en
siège social d’entreprise (Institut Latourde-Freins de Bruxelles).
Si certaines reconversions font honneur
à la valorisation de notre patrimoine,
nombre d’anciens hôpitaux dignes d’intérêt sont aujourd’hui en attente d’une
deuxième vie, comme l’hôpital Laënnec
de Paris ou l’hôpital général de SaintOmer. D’autres connaîtront bientôt les
mêmes interrogations comme l’hôpital
général de Dijon ou l’Hôtel-Dieu de
Clermont-Ferrand.
Il suffit de constater l’émotion suscitée
par la simple évocation de la reconversion des hôtels-Dieu les plus emblématiques, à Lyon et à Paris par exemple,
pour comprendre que ces établissements
représentent davantage que des lieux de
soins. Ce sont des lieux de mémoire pour
les hospitaliers comme pour les citoyens,
en France comme en Europe.
La culture et l’art à
l’hôpital
Dès la Grèce antique, les guérisons miraculeuses attiraient des foules de pèlerins
aux temples d’Esculape, comme celui
d’Épidaure, où des milliers de malades
accouraient pour remercier le dieu de ses
miracles et lui offrir des ex-voto représentant les parties du corps guéries.
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
Pourquoi la culture à l’hôpital ?
Aujourd’hui, la culture s’installe à
l’hôpital. Ce sont l’école, les ateliers
d’éveil, les clowns, les saltimbanques,
les musiciens. La culture ne prétend pas
ici guérir, mais plus humblement calmer
la douleur, repousser l’isolement, faire
reculer l’anormal en gardant un lien avec
la société civile et en maintenant l’espoir.
La culture joue un rôle essentiel en ce
sens qu’elle participe à l’amélioration de
l’environnement tant du malade que du
personnel soignant.
Le séjour forcé à l’hôpital n’est plus une
parenthèse hors du monde, les patients
restent en contact avec l’extérieur et
peuvent en profiter pour développer leur
créativité. Les artistes viennent apporter
de l’imaginaire, de l’insouciance, du rire,
les professeurs du savoir.
La culture permet au patient de poser un
autre regard sur lui-même et sur le monde
alentour. Elle améliore le rapport patientsoignant et l’ambiance de travail dans les
services. Elle peut motiver les équipes qui
souhaitent des relations plus humaines
et moins techniques avec les patients.
Elle ouvre la possibilité de rencontres,
d’échanges entre divers services autour
d’un même projet. Grâce à la culture,
l’hôpital peut s’ouvrir sur l’extérieur,
sur la cité. Et celle-ci peut s’inviter à
l’hôpital.
L’hôpital de demain, grand ouvert sur la
cité, se doit de développer des activités
qui rendront le séjour hospitalier plus
humain et peut-être même plus efficace.
Comment faire entrer la culture
à l’hôpital ?
De tout temps, nous l’avons vu, des œuvres
d’art ont été placées dans les hôpitaux. Les
plus récentes ont été achetées pour l’hôpital européen Georges Pompidou de Paris.
En Belgique, aux Pays-Bas ou encore en
Grande-Bretagne, nombre d’œuvres d’art
sont installées dans les espaces d’accueil
des établissements hospitaliers.
Plus rares, et ils méritent d’être remarqués, des projets artistiques ont été
pensés et conçus entièrement pour
l’hôpital, dans un contexte spécifique
et avec les contraintes que cela suppose.
Il s’agit par exemple de l’œuvre créée par
l’artiste italien Ettore Spaletti pour la
Salle des départs de l’hôpital Raymond
Poincaré de Garches en 1996. Réalisé
dans le cadre du programme des nouveaux commanditaires (Fondation de
France, Assistance publique- Hôpitaux
de Paris, ministère de la culture et de la
communication, Drac Île-de-France),
l’espace se veut à la fois « accueillant et
enveloppant », et, selon l’artiste, « un
endroit ouvert à tous, comme autrefois,
quand se bâtissaient les grandes cathédrales, ces espaces où l’art s’offrait et se
présentait généreusement et durablement
à chacun ». Par l’emploi du bleu azur
quasi monochrome, Ettore Spaletti a
parfaitement intégré sa création dans
l’architecture du lieu.
En France, le programme national
« Culture à l’hôpital », mis en place à
l’initiative des ministères de la santé
et de la culture par une convention
du 4 mai 1999, consiste à favoriser des
jumelages entre les hôpitaux et les équipements culturels. Il permet de développer la culture auprès des malades à
l’hôpital et des personnes hébergées dans
les centres d’accueil et les maisons de
retraite. Au niveau régional, il est placé
sous l’égide de la direction régionale
des affaires culturelles et de l’Agence
régionale de l’hospitalisation. Le but de
ce programme est de permettre la venue
d’artistes, de musiciens, de danseurs, afin
d’améliorer la qualité de vie des patients
hospitalisés et de faciliter le travail des
équipes soignantes. Des concerts, des
spectacles, des expositions destinés aux
personnes hospitalisées, aux visiteurs et
au personnel, sont organisés. Ce programme a aussi permis le développement
de la lecture à l’hôpital par la création
de bibliothèques.
Depuis 1996, l’association Art dans la
cité organise des « résidences d’artiste »
dans les hôpitaux à travers l’Europe. Des
artistes reconnus viennent échanger et
travailler avec des patients pour réaliser
une œuvre in situ qui appartiendra au
patrimoine de l’hôpital. Outre l’installation d’une œuvre d’art au sein de l’hôpital, cette action permet la rencontre
directe avec un créateur. La résidence
permet aussi aux artistes de sortir de
l’atelier et leur création est stimulée au
contact du lieu et de l’environnement
pour lequel ils réalisent une œuvre.
Cependant, convoquer l’art à l’hôpital
n’est pas chose facile car l’hôpital n’a
pas par essence vocation à l’accueillir.
L’espace de l’hôpital n’est pas neutre, il
peut surprendre, ébranler, perturber. Il
demande attention et réflexion. Cette
complicité entre médecine et art ne peut
s’établir qu’à partir d’une grande exigence
de qualité. La culture à l’hôpital doit se
placer bien au-delà du simple divertissement, face à la maladie et aux angoisses
existentielles qui en découlent.
Décidées pour un lieu de vie dans l’hôpital (hall d’entrée, jardin, salle d’attente,
attente des urgences, etc.) selon un
cahier des charges défini en amont avec
les équipes soignantes, les œuvres créées
dans le cadre des projets menés par Art
dans la cité sont le fruit de la rencontre
entre un artiste et des patients, entre un
univers imaginaire riche de sensibilités
et une sensibilité nourrie par l’attente,
la douleur, la peur, l’angoisse. De ce dialogue résultent des œuvres singulières,
élaborées au sein de l’hôpital, témoignage
croisé de cette rencontre.
Ainsi, dans le cadre du programme
« Culture 2000 » de l’Union européenne,
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
Art dans la cité tente de développer le
concept d’« atelier d’artiste en résidence
à l’hôpital », à travers l’Europe, en associant à des hôpitaux français d’autres
établissements hospitaliers européens,
en Belgique, en Grande-Bretagne, en
Pologne, en Espagne, en Italie, au Portugal, et bientôt dans d’autres pays.
Qu’il s’agisse du réaménagement du
palier d’attente du service de réanimation du pavillon Gaston Cordier (PitiéSalpêtrière, Paris) par l’artiste Olivier
Debré en 1998, entièrement repensé,
au-delà des six œuvres créées, du mobilier
à l’éclairage en passant par la couleur des
murs, du sol et du plafond, ou bien des
Bâtons de pouvoir accrochés aux chênes
centenaires du parc CPR de Bullion
(Yvelines) par l’artiste argentine Julieta
Hanono, des images vidéo d’animaux
sauvages du Polonais Dominik Lejman,
projetées en permanence sur les murs de
l’hôpital pédiatrique de Varsovie, de la
Sculpture diamant d’Annie Ratti, dans
la salle des consultations de l’hôpital
Bambino Gésù de Rome, de la sculpture
arbre Zapal de Peppa Rueda à l’hôpital La
Paz de Madrid, ces projets ont en commun d’avoir été réalisés après une longue
réflexion menée par l’artiste, les patients
et les équipes hospitalières. Ils répondent
à un équilibre subtil, tout en nuances,
empreint de patiente concertation.
Dans ce contexte, les patients, et notamment les enfants hospitalisés dont la
réceptivité est souvent exacerbée,
trouvent dans le contact avec l’art et
avec l’artiste une manière extrêmement
féconde de développer à la fois leur créativité et leur sens de la contemplation.
De l’évidente nécessité de
l’art à l’hôpital
La valeur thérapeutique de l’art trouve
son premier cadre scientifique avec l’essor
de la psychanalyse et de la psychologie.
L’art permet d’explorer un monde nouveau, l’inconscient et l’art thérapie font
leur apparition à l’hôpital psychiatrique 6.
L’hôpital généraliste va aussi utiliser ce
support psychologique que sont la culture
en général et l’expression artistique en
particulier.
L’art permet de dire – avec d’autres moyens
que la parole – la souffrance, l’angoisse, les
appréhensions et les questionnements,
les espoirs. Il peut aider à dédramatiser
l’hospitalisation, à se considérer comme
une personne et non seulement comme
un soigné. Grâce à la culture, le patient est
considéré dans sa globalité, elle peut l’aider
dans sa démarche de guérison.
Plus récemment, les neurosciences nous
éclairent un peu plus sur les interactions réciproques entre l’esprit et le
corps. Organe récepteur et effecteur
situé à l’interface du corps et de son
environnement naturel et socioculturel,
le cerveau intègre en permanence les
informations sensorielles (intéroceptives
et extéroceptives) et « émotionnelles »
et orchestre les réponses physiologiques
et comportementales. Les neurosciences
suggèrent que le cerveau pourrait bien
faire le lien entre psyché et soma. Les
effets bénéfiques de l’art sur la maladie,
suggérés depuis toujours par nos aînés,
pourraient très prochainement trouver
des réponses neurobiologiques objectives.
L’hôpital créateur de
valeurs : le patrimoine
immatériel
Il est difficile pour la société actuelle
d’appréhender l’hôpital contemporain,
devenu en quelques décennies l’un des
principaux rouages de la vie du pays, à
la fois cœur d’une démocratie sanitaire,
géant économique et vitrine de la science
médicale, autrement qu’en termes de rupture avec un passé tombé dans l’histoire 7.
64 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
L’hôpital moderne, si neuf qu’il se veuille,
est pourtant en proie à de multiples héritages : un héritage millénaire touchant
sa mission d’accueil, un héritage deux
fois centenaire s’agissant de sa tradition
médicale et de son organisation administrative. Mais, plus près de nous, il est
également l’héritier de l’État-providence 8
dont il subit la crise et les contradictions.
Traditionnellement, les valeurs hospitalières sont celles du dévouement, de la
vocation, de l’esprit de sacrifice. À ces
valeurs d’origine religieuse s’est substituée la valeur plus laïque de solidarité, à
mesure que l’hospice se transformait en
hôpital, que l’on passait de l’hébergement
(sans soins) aux soins (sans hébergement). Nous n’aborderons que deux
valeurs essentielles de l’hôpital.
La première valeur hospitalière est l’accueil
de tous. Dans nos sociétés occidentales
volontiers individualistes, l’hôpital
demeure d’ailleurs la dernière lumière allumée, 24 h/24, 365 jours par an, et ce depuis
des siècles. Cette mission de service public
s’ouvre en Europe au IXe siècle avec la création de l’hôpital. Tradition institutionnelle
du principe de charité chrétienne, l’hôpital
naît à l’ombre des cathédrales, destiné non
pas à soigner mais à recueillir et à secourir
le pauvre qui incarne les souffrances du
Christ. À la fin du XIXe siècle apparaît la
couverture maladie, introduite en 1851
en Prusse, qui se généralise au cours du
XXe siècle en Europe avec l’avènement
de l’État-providence. D’assisté, le citoyen
devient peu à peu assuré, jusqu’à l’aboutissement de la couverture maladie universelle. Parallèlement, et progressivement,
au malade objet de droits se substitue le
malade sujet de droits, jusqu’à la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé.
L’hôpital d’aujourd’hui est rattrapé par
son passé lorsque l’on voit l’augmentation incessante du nombre de passages
aux urgences. Les services des urgences
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
des centres hospitaliers universitaires,
pourtant symboles de la haute technicité
médicale, sont victimes de leur succès
avec l’arrivée de nombreux démunis et
de tous ceux qui nécessitent des soins
pas toujours urgents. Il convient dès
lors de se poser la question de savoir
s’il n’est pas temps, en France, de distinguer l’hôpital de premiers soins du
CHU hyperspécialisé, à l’image de ce
qui se fait au Royaume-Uni, en Italie,
en Espagne, au Portugal et dans les pays
nordiques, avec les centres de santé, en
amont de l’hôpital.
La seconde valeur est l’égalité des soins.
Elle est partagée par les pays européens
mais de manière diverse en fonction de
leur propre histoire. Elle pose essentiellement la question de la place accordée au
secteur hospitalier privé. Si l’Allemagne
et l’Angleterre ont un secteur privé
marginal, la France lui accorde 40 %
environ de l’activité hospitalière. C’est
une exception sanitaire qui remonte à
la Révolution. La Convention consacre
dans un premier temps la nationalisation
des hôpitaux (propriété de congrégations
religieuses) par un décret du 23 Messidor An II (11 juillet 1794) et vend les
bâtiments. Mais le nombre de pauvres
ne cesse de croître. Échaudés par cette
désastreuse nationalisation, les pouvoirs
publics se désengagent de la gestion des
hôpitaux qui sont dès lors « municipalisés » par la loi du 16 Vendémiaire An
V (7 octobre 1796). Depuis, l’État ne
s’est intéressé à l’hôpital public que de
très mauvaise grâce et a laissé le secteur
privé soigner les classes sociales les plus
riches jusqu’à l’avènement de l’Étatprovidence. Aujourd’hui, les cliniques
privées conservent une place importante
dans le système de santé au point d’être
des concurrentes redoutables pour le
secteur public. Le libre choix, le développement des mutuelles ainsi que les lois
sur la couverture maladie universelle et
la couverture maladie universelle com-
plémentaire permettent heureusement
de rendre l’égalité des soins effective.
Le génie humain ne peut se nourrir
d’uniformité. Tissu vivant sur lequel se
construit notre histoire, le patrimoine
immatériel hospitalier n’est pas simplement le lieu de mémoire de la culture
d’hier, mais le laboratoire où s’invente
l’hôpital de demain 9.
L’hôpital est avant tout un fait social,
une réalité vivante. Comment saisir cette
réalité sociale en constante mutation ?
Si le patrimoine culturel hospitalier revêt
une importante dimension historique,
il s’agit également d’un patrimoine en
formation au contact de la vie culturelle
de la cité.
Les anciens avaient intuitivement
compris que l’environnement (physique et esthétique) avait une importance majeure dans le développement
de l’individu. Avec le développement
des techniques et d’une médecine de
plus en plus pointue, on a oublié cette
composante psychologique affective et
culturelle. Aujourd’hui, on redécouvre
le lien fort entre le corps et l’esprit. Il y
a fort à parier que le travail de création
au cours duquel l’individu projette ses
émotions, utilise ses facultés sensitives (la
vision ou l’audition mais aussi la douleur
ou la nausée), cognitives (apprentissage
et maîtrise de données conceptuelles et
pratiques) et physiques (gestes) pour
atteindre un but esthétique qui le motive
et mobilise son attention, modifie nécessairement le décours de sa maladie. De
même la contemplation d’œuvres d’art,
visuelles ou auditives, en provoquant des
émotions doit aussi agir sur la maladie.
Il peut paraître futile de parler de culture
à l’hôpital alors que ce dernier subit
depuis quelques années des restrictions
budgétaires. Trop souvent, culture et
hôpital sont envisagés de manière parcellaire, voire antinomique, ce qui empêche
toute vision globale. Créer une véritable
politique culturelle hospitalière suppose
de réconcilier l’art, le patrimoine et les
cultures professionnelles.
À l’heure où l’hôpital et l’assurance
maladie s’engagent dans de grandes
réformes en France, et que des questions analogues se posent dans l’Union
européenne (le NHS est entré dans une
réforme profonde), il n’est sans doute pas
vain de s’interroger sur les fondements
mêmes de ces institutions. À moins que
nos hôpitaux ne deviennent la mesure
d’une civilisation égoïste.
NOTES
1. TENON, Jacques-René. Mémoire sur les
hôpitaux de Paris, Royez, Paris, 1788.
2. IMBERT, Jean. « L’évolution de
l’architecture hospitalière : piété, salubrité,
bien-être », Bulletin de la Société française
d’histoire des hôpitaux, n° 48, 1984, pp.
25-38. BUBIEN Yann, EVEN Rachel,
GLORION Bernard, GALAVERNA Olivier.
3. IMBERT, Jean. Les Hôpitaux en France,
PUF, Coll. Que sais-je ? Paris, 1996.
4. Étude de Judith Kagan, conservateur
des monuments historiques, Conservation
régionale des monuments historiques de
Bourgogne.
5. Classification établie par Isabelle Balandre,
« Les patrimoines hospitaliers, état des
lieux et perspectives », École nationale du
patrimoine, 1997.
6. GÜNTHER M. « Art therapy in the
psychiatric clinic. A historical analysis of the
development of art studios », Psychiatr. Prax.,
17, 5, 163-171, 1990.
7. IMBAULT-HUART, M.-J. « L’hôpital et
l’éclairage de l’histoire », Revue fondamentale
des questions hospitalières, Les études
hospitalières, juin 2000.
8. BOURDELAIS, P., GAULLIER,
X., IMBAULT-HUART, M.-J. État-providence,
arguments pour une réforme, Gallimard, Coll.
Folio actuel, 1996.
9. MATSUURA, K. directeur général de
l’Unesco, article paru dans Le Monde,
mercredi 11 septembre 2002.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
“Comment concevoir un hôpital
en intégrant la dimension culturelle” :
héritages et reformulations
Anne Nardin
Conservatrice en chef, Musée de l’AP-HP
L
a présence à l’hôpital de la dimension culturelle fait aujourd’hui
l’objet de nombreuses réflexions et de débats. Elle semble
surtout avoir acquis un statut de légitimité, auquel la
convention culture à l’hôpital n’est évidemment pas étrangère sans
pour autant en constituer l’unique ressort.
66 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
Pour les générations de professionnels
hospitaliers marqués, voire modelés par
l’emprise croissante d’une technologie
médicale toujours plus sophistiquée, et
acquis aux logiques ou aux contraintes
qu’elle induit, le surgissement de cette
question est d’abord apparu comme
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
incongru, déplacé, d’ailleurs souvent lié
aux passions de quelque brillant collègue
lui-même collectionneur, et bénéficiant
à ce titre d’une certaine indulgence –
parfois traduite par un “laisser-faire”.
Depuis environ trente ans que le monde
hospitalier se perçoit et se pense à partir
du registre du vital et de celui de l’urgence,
cette question a longtemps souffert de
ne pouvoir être véritablement prise au
sérieux.
A l’opposé, l’image à peu près omniprésente des hospices de Beaune dans la
représentation commune de l’hôpital
d’autrefois, avait pourtant maintenu
vivant – jusqu’à lui donner la force du
stéréotype – le souvenir d’une articulation étroite entre le lieu et les manifestations artistiques qui s’y déploient, parfois
non sans faste.
Entre les deux, quels mouvements se
sont additionnés pour engager le recul
puis le retrait – jusqu’à l’exclusion – de la
présence artistique ? Il peut paraître utile,
en ouverture de la réflexion engagée
sur ces deux journées, de rappeler très
brièvement ici l’épaisseur historique de
cette question au sein de l’hôpital et les
strates successives qu’elle y a déposées.
L’art au cœur du dispositif
Dans la période médiévale et jusqu’à la
fin de l’Ancien Régime, le programme
d’accueil et de soins de l’hospice ou
hôtel-Dieu est porté par une inspiration charitable qui puise à la source du
message évangélique. Dans sa formulation, l’institution hospitalière représente
ici-bas l’une des plus fortes traductions
de l’appel reçu (voir Matthieu 25, 45).
Les vocations qui portent sa réalisation
et l’organisation qui s’y déploie dans
ses murs entendent exprimer “au pied
de la lettre” la réponse à l’exhortation :
« Car j’ai eu faim et vous m’avez donné
à manger, j’étais malade et vous m’avez
visité… » (Matthieu 25, 35), que l’Église
convertit en injonction avec le programme des “Sept Œuvres de miséricorde”.
Si celui-ci concerne a priori tout chrétien,
il représente presque une totalité mise en
œuvre entre les murs de l’hôtel-Dieu, à
travers et par laquelle se découvre, telle
une promesse, la dimension mystique de
ce programme charitable.
ambitieux et qui intéresse l’ici et maintenant. L’hôpital est désormais dédié à la
médecine, une médecine entièrement
à construire puisque fondée sur l’observation, en même temps qu’il assure des
missions d’assistance au nom cette fois de
la philanthropie mais aussi de principes
d’équité entre les citoyens, garantis par
l’État.
Placé sous l’autorité de l’évêque et animé
par une congrégation religieuse, l’hôtelDieu est un lieu consacré. Et sur un plan
architectural, la fonctionnalité à laquelle
répond l’organisation de la salle des
malades est celle de l’église. La place et la
fonction que l’art y occupe sont en partie
comparable à ceux qui lui sont dévolus
dans une église. Figures médiatrices du
sacré, les œuvres d’art disent le lieu, son
projet, les modèles qui l’ont inspiré (le
saint patron de l’établissement ou le père
fondateur de la communauté religieuse),
la piété et la dévotion auxquelles il doit
sa fondation (les portraits des donateurs).
L’art image l’acte sanctifiant (le don, le
secours, la consolation) pour mieux le
reproduire. À la fois présence et rappel, il
s’inscrit dans une permanence au-delà ou
malgré les aléas de l’action quotidienne
– c’est-à-dire ses nombreux et inévitables
dérapages.
La fonctionnalité qui organise à présent les espaces – presque inchangés
jusqu’à l’introduction de l’architecture
pavillonnaire dans le dernier tiers du
XIXe siècle – est celle que réclame le
programme scientifique de la médecine
(l’observation à grande échelle, du lit à la
salle d’autopsie). La raison gouverne en
quête d’efficience et de rendement – et
pour le plus grand bien de la Nation. Ce
qui ne relève pas de ce programme est
relégué à la périphérie du dispositif. En
dehors de la chapelle où il est et reste à
sa place, l’art est devenu un ornement
qui apporte une touche d’honorabilité
dans les lieux de représentation (la salle
du conseil, le bureau du directeur). Peutêtre même serait-il subitement chargé de
signifier la distinction de l’institution et
de son projet, alors que la pauvreté et la
maladie additionnent partout ailleurs
leurs pénibles spectacles. En dehors de
ces espaces bien délimités, les œuvres
disparaissent, mouvement que le pastorisme et l’hygiène hospitalière précipitent
à la fin du siècle.
Du centre à la périphérie
Les compromissions de l’Église avec “les
affaires du monde”, le clientélisme de
certaines congrégations hospitalières
(car il y a bien des bons et des mauvais
pauvres), les corruptions ou trafics repérés dans la gestion de certains établissements, les limites voire la perversion
du système charitable qui finalement
encourage la mendicité et par là reproduit la pauvreté…, le dispositif est progressivement discrédité et tombe avec la
monarchie au moment de la Révolution.
De nouveaux acteurs investissent la place
au nom d’un programme doublement
Un lieu pourtant, dans les hôpitaux universitaires, fonctionne comme une sorte
de réservoir de la production artistique,
dans une explosion féroce et jubilatoire :
la salle de garde.
Une question hors sujet
À partir de 1930, l’évolution des
techniques de construction permet
de dresser le bâtiment à la verticale.
L’hôpital trouve ainsi l’une des meilleures
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
67
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
expressions – ou la plus visible – de sa
conversion à la modernité, celle dictée
par le rythme du progrès et des évolutions
de la technologie. La période d’aprèsguerre, mobilisée par une reconstruction à grande échelle avec des moyens
cependant limités, aboutit à la mise au
point de « procédures industrialisées »,
fondées sur les notions de standardisation
et de module. Le fonctionnalisme le plus
poussé peut prendre possession des lieux.
À de très rares exceptions près (comme
l’Hôpital Mémorial de Saint-Lô (1956),
financé en partie par des dons américains
et où Fernand Léger est intervenu), l’organisation et le fonctionnement de l’institution hospitalière font de la présence
artistique une question littéralement
hors sujet, et cela – paradoxalement à
nos yeux – en plein contexte d’humanisation. Celle-ci s’attache d’abord à faire
disparaître tout ce qui maintient vivant
le souvenir de l’hôpital-hospice – autrement dit compromis avec des missions
sociales –, dont l’image, dix ans après
l’institution de “l’hôpital toutes-classes”
(1941), se révèle tenace dans les esprits.
La disparition des salles communes s’accompagne ainsi de la mise à disposition
des équipements à présent reconnus
comme les éléments de base du confort
moderne (sanitaires dans les chambres
– généralement à deux ou à quatre lits –,
téléphone, poste de télévision…), mutation que vient confirmer, sur un autre
plan, le nouveau mobilier hôtelier aux
lignes pures et fonctionnelles, représentatif des tendances des années soixante.
Depuis quelques décennies pourtant,
de nombreux artistes avaient réinvesti
avec de nouveaux moyens le projet de
« réconcilier l’art et la vie » ; mais les
mutations dans lesquelles s’engagent
les hospitaliers, la confiance et les
certitudes qui les habitent semblent
devoir exclure l’hôpital de ce champ
d’expérimentations.
Le tableau de l’hôpital d’aujourd’hui
(son fonctionnement, le regard porté sur
lui et les débats dont il est l’objet) nous
dépeint un monde profondément affecté
par les tensions d’une société que des
chercheurs ont qualifié d’hypermoderne
68 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
(Max Pagès) ou de surmoderne (Marc
Augé). Parallèlement, les limites ou les
écueils des grandes transformations engagées au cours des “Trente glorieuses” se
sont progressivement révélés : la conversion radicale de l’hôpital à la modernité
portait en elle les conditions de nouvelles
formes de déshumanisation, que le “joli”
et le “confortable” n’ont pas été et ne
sont toujours pas en mesure de compenser lorsque ces formes imprègnent – et
par là expriment – la culture hospitalière.
Des convictions, des mythes se sont fissurés, le doute s’est installé. Dès lors,
la « dimension culturelle » (justement
comprise dans toutes ses formulations)
peut s’installer dans les vides – nombreux
– de cet hôpital hypertechnologique,
comme dans l’attente d’un rééquilibrage,
voire d’une réparation. C’est ce qu’un
artiste comme Ettore Spaletti a voulu
tenter à Garches en 1996 dans la Salle des
départs de l’hôpital Raymond-Poincaré
(AP-HP) : « L’azur soulage la matière de
son poids et lui restitue une profondeur
inestimable ».
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
Patrimoine et mémoire :
anamnèse d’un hôpital psychiatrique*
Carine Delanoë-Vieux
Chef de projet, Affaires culturelles, Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille
L
e 2 janvier 1997, je me rends pour la première fois sur mon
lieu de travail situé dans les ateliers techniques de l’hôpital
du Vinatier. Je traverse à pied la centaine d’hectares qui
constituent cet immense établissement implanté dans la périphérie
de Lyon. Immaculé sous son manteau de neige, ses artères désertes en
raison de la trêve des confiseurs, l’hôpital semble débarrassé de toute
contingence temporelle. Je longe avec ravissement les architectures
d’origine et, les indices du monde contemporain ayant été effacés,
je me sens transportée à la fin du dix-neuvième siècle.
Cette première émotion m’a fait comprendre, mieux que toute lecture,
l’importance et le poids de l’histoire
dans cet hôpital. Le centre hospitalier
Le Vinatier est un établissement psychiatrique né de la loi du 5 août 1838
déléguant aux Départements la responsabilité de prendre en charge et de soigner
les aliénés de leur territoire. En 1876,
l’asile départemental du Rhône ouvre
ses portes sur la commune de Bron. Les
aliénés y sont transférés depuis l’hôpital
* Article paru dans Patrimoine et communautés savantes, Presses Universitaires de Renne - 2009.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
La Ferme, 1998.
de l’Antiquaille où ils vivaient dans la
promiscuité et l’insalubrité. L’asile de
Bron, modèle d’architecture utopiste,
offre alors 110 hectares de nature, des
bâtiments spacieux organisés symétriquement de part et d’autre de la chapelle,
une organisation rationnelle de répartition des malades dans les espaces selon la
gravité et la nature des pathologies, une
ferme agricole, des vergers, du bétail…
un hôpital moderne et humaniste. Ces
origines ancrées dans la philosophie des
Lumières, puis dans l’idéologie politique
républicaine et laïque, imprègnent
encore fortement les identités professionnelles à l’œuvre au Vinatier. Les
épisodes qui ont ponctué l’histoire de
l’institution psychiatrique au cours du
XXe siècle (l’hécatombe des fous sous
l’Occupation, la psychothérapie institutionnelle, l’antipsychiatrie, la psychiatrie communautaire, la sectorisation…)
ont à leur tour marqué profondément
la culture locale. C’est peut-être à la
prégnance exceptionnelle de l’Histoire
que je dois ma rencontre avec l’hôpital
Le Vinatier. En effet, j’ai été recrutée en
1997 par le directeur pour procéder à un
inventaire du patrimoine. Conscient du
poids de l’histoire et de la complexité du
tissu mémoriel, il décide de réhabiliter
l’ancienne ferme agricole de l’hôpital à
une fonction patrimoniale. Mais le patrimoine en question se révèle essentiellement constitué de roues de charrette, de
fourches et autres outils agricoles. Point
de camisole, point d’appareil à électrochoc. Rien qui évoque les connaissances
produites depuis plus d’un siècle par la
communauté médicale. Si ce n’est le
lien ténu qui unit le patrimoine agricole
avec cette ergothérapie avant l’heure qui
consistait à employer un certain nombre
de malades au travail des champs. Précisons que mon recrutement est lié à la
question du devenir de l’ancienne ferme
de l’hôpital, laissée à l’abandon et qu’on
envisage de transformer en musée. Cette
entrée dans l’univers psychiatrique par
le patrimoine champêtre ne laisse pas
d’étonner. Et pourtant. L’extinction de
l’activité agricole ne symbolise-t-elle pas
la fin du modèle asilaire autarcique et
l’ouverture de l’hôpital sur l’extérieur ?
Ne résume-t-elle pas la profonde mutation qu’a connue l’institution psychiatrique depuis le milieu du XXe siècle ?
À défaut d’inventaire, je procède à une
série d’entretiens formels et informels
avec les personnels de l’hôpital dans le
but de bâtir le projet culturel qui deviendra la « Ferme du Vinatier ». De cette
première confrontation il ressort que
les salariés de l’établissement, structurés en communautés très segmentées,
ont une relation complexe au passé de
l’institution qui pèse de tout son poids et
semble hypothéquer l’avenir. La mémoire
collective apparaît d’autant plus éclatée
– chaque groupe se présentant comme
seul dépositaire de l’histoire de l’institution - qu’aucun travail d’élaboration
n’a été mené. Ces entretiens avec les
personnels permettent de faire émerger
quelques constats forts autour desquelles
se structure le projet de la Ferme du
Vinatier. Le choix d’avoir conservé le
nom de la fonction initiale du lieu n’est
pas fortuit. Il traduit les relations de
continuité et de rupture entre la ferme
agricole et la Ferme culturelle. La ferme
était autrefois l’un des symptômes de la
volonté d’autarcie et d’enfermement de
l’hôpital psychiatrique. Le village hospitalier aspirant à produire et à consommer
ses propres produits. Or, la Ferme (Fondation pour l’étude et la recherche sur
70 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
les mémoires et l’expression) est devenue
au contraire le seul espace public, ouvert
à tous, de l’hôpital. Cependant, la ferme
était également à l’époque le premier
espace de liberté pour les “malades
travailleurs” autorisés à participer aux
travaux agricoles. Cette main-d’œuvre
peu coûteuse relevait d’objectifs économiques autant que thérapeutiques. Néanmoins, le parfum de liberté pour ceux qui
avaient là la seule possibilité d’échapper
à l’enfermement des services embaume
encore la Ferme d’aujourd’hui. De la
nature à la culture, peut-on interpréter
ce déplacement des fonctions comme
une évolution des enjeux de la maladie
mentale de l’isolement à l’intégration
dans la société ?
Le projet culturel émergeant s’est donc
bâti sur les fondations identitaires de
l’établissement que l’on peut résumer
en quatre dimensions.- L’ambivalence
du rapport des personnels à l’histoire
et au passé oscille entre culpabilité et
nostalgie. Sans minimiser les problèmes
objectifs qui se posent aujourd’hui dans
l’ensemble du secteur de la santé, on peut
faire l’hypothèse que cette ambivalence
induit une difficulté à se projeter dans
l’avenir. Car, dans un contexte où le
projet est partout revendiqué, l’hôpital
psychiatrique peine à s’inscrire dans une
vision prospective. - L’ambivalence du
rapport des personnels au territoire
oscille entre autonomie des structures
extra-muros et unité de l’entité hospitalière. L’hôpital est en effet marqué par
une tension entre une représentation
héritée de « l’île aux fous » et un vécu
au quotidien qui s’organise en archipel.
Il existe un véritable fossé, en terme de
culture professionnelle, entre les équipes
qui travaillent en « intra » et celles qui
travaillent « en extra ». En outre, alors
que l’essentiel des activités de prise en
charge se concentre actuellement en
ville, la population continue d’identifier
la psychiatrie au territoire « fermé ». -
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
L’évolution du rapport de la société à la
santé mentale dictée par l’émergence du
concept de « souffrance psychique » et
par le succès de celui de « dépression » a
considérablement décadré la mission du
service public de psychiatrie. Il est désormais possible d’intéresser la population
à la santé mentale au-delà des réactions
de fascination et de stigmatisation que
les « grands fous » ont toujours suscitées.
Mais il est aussi nécessaire pour l’hôpital
de redéfinir les contours de son domaine
d’intervention.- La convergence entre la
demande des usagers à être mieux pris
en compte dans leur intégrité physique,
psychologique et culturelle et l’aspiration
des soignants à restaurer la qualité de la
relation avec les patients, menacée par la
technicisation du contrat thérapeutique
constitue une plate-forme pour l’action
culturelle et artistique.
Autant de paradoxes et de problématiques que le projet culturel de la Ferme
du Vinatier - et l’action culturelle en
général - ne peut en aucun cas délier,
encore moins résoudre. Mais en contribuant à les identifier et à les élaborer,
elle peut accompagner les transformations de l’organisation. C’est pourquoi,
le premier questionnement du projet
culturel a porté sur les conditions de son
intégration dans le corps organique de
l’institution. Il s’agissait de l’installer sur
le modèle de l’enzyme et non de la greffe
pour éviter tout rejet. Le travail culturel
s’est alors donné comme mode de fonctionnement de toujours intégrer les pro-
blématiques de l’hôpital. Il ne s’agissait
en aucun cas d’apporter les lumières de
l’art et de la culture à l’hôpital, ni même
de promouvoir la production du génie
nécessairement ignoré de la psychose
auprès des élites cultivées, mais bien de
comprendre ce qui travaille l’Organisation. L’enjeu était de construire des
espaces de médiation et de controverse
pour mettre à distance et interroger la
culture déjà là. Le patrimoine comme la
mémoire constituent dans ce contexte
des vecteurs de compréhension et de
pénétration des cultures constitutives de
l’hôpital. À ce titre, ils sont la première
lettre de l’alphabet du projet développé,
ils sont les éléments de décor indispensables à la compréhension des scènes qui
vont être jouées. Pour explorer la complexité de cette réalité culturelle, pour
en prolonger les segments en autant de
figures imaginées pour demain, il y fallait
une intelligence collective aux compétences complémentaires. Le conseil
scientifique est l’incarnation de ce regard
critique et multiple porté sur l’institution. Fort de ce constat, le Centre Hospitalier Le Vinatier a fait du volet culturel
un des axes importants de sa politique
d’établissement. La préoccupation patrimoniale se révèle dès le commencement comme prioritaire. La démarche
d’inventaire et de recueil des mémoires
est en effet considérée alors comme un
des moyens de mettre l’ensemble des
professionnels en mouvement quant
à la nécessaire transformation d’une
identité très marquée. Il n’a jamais
été question de définir ce que serait
la “nouvelle identité” du Vinatier
pour y conduire les professionnels
mais bien de mettre en œuvre les
conditions d’une anamnèse et d’une
controverse collectives ayant pour
seule vertu d’ébranler les certitudes
au profit de la réflexion. Ces condiFestival « Au cœur de tes oreilles », 2005.
tions pouvaient être réunies par le projet
culturel dès lors que celui-ci était en
capacité d’animer une méta-communication de l’institution sur elle-même.
L’action culturelle conduite par la Ferme
depuis 1997 au travers de réalisations très
diverses a été définie en fonction de trois
objectifs principaux : ouvrir l’hôpital sur
l’extérieur, accompagner l’évolution des
cultures institutionnelles et lutter contre
la stigmatisation des malades mentaux.
De la définition de ces objectifs a découlé
le principe mis en œuvre dans le cadre
de chaque opération : faire se rencontrer des univers et des publics différents
(patients, amateurs d’art, chercheurs…).
Afin d’impliquer des acteurs extérieurs
au monde de la psychiatrie (Ministère de
la culture, Région Rhône-Alpes, Conseil
général du Rhône, Ville de Lyon, Ville de
Bron) une série de partenariats ont été
mis sur pied. Des synergies ont également
été développées avec le monde de la
culture et avec l’université. Le travail
mené dans le cadre de la Ferme s’est
articulé autour de trois dimensions, toute
partie prenante d’une démarche d’action
culturelle : le patrimoine, les sciences
sociales et humaines et la création et la
diffusion artistiques.
La camisole et le récit
À partir du diagnostic et des propositions élaborés par le chef de projet que
je suis devenue au terme de cette étape,
le principe de mener à bien une politique
patrimoniale est adopté par le Directeur
de l’hôpital et validé par les instances
officielles. Pour mener à bien cette
mission délicate, la Ferme s’est dotée
dès le départ d’un conseil scientifique
pluridisciplinaire rassemblant, outre des
psychiatres, des historiens, des ethnologues et des sociologues. Ce collectif
met son intelligence au service de la
définition et de la déclinaison de cette
politique patrimoniale souhaitée par
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
71
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
l’hôpital. Il apporte ses connaissances et
ses compétences sous différentes formes
(communications, articles, réflexion,
enquêtes…) à l’institution. Il est surtout
le garant de la qualité scientifique des
productions cognitives présentées dans le
cadre de l’action culturelle. Ses membres
encadrent différents programmes de
recherche et participent à la production des contenus d’exposition. C’est
ainsi que deux enjeux majeurs se sont
dégagés pour conduire la politique patrimoniale. Le premier a été de recomposer
avec les acteurs de l’hôpital une histoire
confite par fragments dans des légendes
et des figures locales. Le second a été
de construire les conditions de transmission de cette histoire pour qu’elle
soit réappropriée au-delà du cercle de
la psychiatrie. Il s’agissait donc d’une
part de mettre en œuvre un processus
d’anamnèse à l’échelle de l’institution
en mobilisant archives, patrimoine et
mémoires, et d’autre part de poursuivre
une démarche culturelle susceptible de
partager ces éléments avec une communauté élargie. Il était dès lors évident que
le travail de patrimonialisation porterait
sur l’ensemble des dimensions de la vie
institutionnelle et pas seulement sur
les savoirs élaborés par la communauté
psychiatrique. La première étape de
ce travail a été de procéder à l’identification d’éléments tangibles tels que
les archives et le patrimoine matériel.
La question des archives est apparue
très vite comme insurmontable pour
nos modestes forces : dissémination des
dossiers dans les différents pavillons,
déménagements successifs, conditions de
conservation problématiques, non-respect du protocole de consultation. Seules
les archives administratives étaient
en partie classées et accessibles. C’est
donc bien plus tard, nécessité faisant
loi, que l’hôpital a versé ses documents
aux archives départementales dans le
contexte d’une recherche historique sur
l’hécatombe des malades mentaux sous
l’Occupation. Le travail d’inventaire
du patrimoine mobilier s’est avéré tout
aussi ardu mais nous avons réussi à le
mener à bien : identifier, inventorier,
rassembler dans des réserves les objets
du patrimoine de l’hôpital. Il a fallu faire
le constat qu’il existait très peu d’objets
pouvant témoigner du passé de l’hôpital.
Nous avions plus de matériau pour faire
une exposition sur le domaine agricole
ou sur les transformations de la flotte
automobile de l’hôpital (de la charrette
à la Clio) que sur l’évolution des théories
et des pratiques médicales et soignantes.
Or, nul au sein du conseil scientifique ne
cultivait une fascination de l’objet pour
l’objet et le projet était bien de rendre
compte d’une vie institutionnelle dans
sa complexité.
Aussi avons-nous cherché à comprendre
cette indigence patrimoniale. Interrogés sur la question, les personnels nous
ont livré plusieurs récits dont deux
reviennent de façon récurrente. Premier récit : l’épouse d’un des directeurs,
qui avait une activité d’antiquaire,
aurait « prélevé » par camions entiers
le mobilier ancien de l’hôpital. Second
récit : un autodafé mémorable de ces
meubles aurait été organisé à l’arrivée
dans les services du mobilier en formica,
plus hygiénique et plus moderne. Nous
n’avons pas cherché à vérifier ces récits
qui s’apparentent peut-être d’avantage
à des mythes qu’à la réalité. Notons
simplement qu’ils sont intéressants par
ce qu’ils nous révèlent sur le climat de
défiance qui a longtemps régné entre
la direction et les personnels pour le
premier et sur l’empressement avec lequel
a été accueillie la modernisation tardive
des services de soins (à une époque où la
sensibilité au patrimoine est il est vrai
encore peu marquée) pour le second.
Il était plus constructif d’interpréter ce
phénomène en le reliant à la spécifi-
72 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
cité de la psychiatrie. Si dans les hôpitaux généraux, on trouve toujours de
nombreux instruments pouvant rendre
compte de l’évolution des progrès de
la médecine, en psychiatrie, hormis la
camisole, l’électrochoc et l’injection
médicamenteuse, l’instrument principal
est, depuis Pinel, la relation immatérielle
qu’établit le thérapeute avec son malade.
C’est pourquoi, nous avons réorienté
notre travail patrimonial vers ce qui
constitue le cœur du soin psychiatrique :
la relation humaine. Le patrimoine du
soin psychiatrique résidait essentiellement dans le vécu des personnels c’està-dire dans leurs témoignages. Ce parti
pris répondait en outre à notre volonté
d’initier un processus d’anamnèse.
L’anamnèse
et le kaléidoscope
Nous avons donc entrepris de recueillir
les témoignages des personnels. À cette
fin, nous avons mis en place un dispositif groupal mobilisant largement les
personnels volontaires et les retraités.
Celui-ci a été complété par une étude
ethnologique centrée sur des entretiens
individuels. Le dispositif a consisté à
créer six groupes – mémoires thématiques
couvrant les différentes dimensions de la
vie à l’hôpital, co-animés par un professionnel en activité et un professionnel
retraité. Le médiateur du patrimoine
de la Ferme recueillait les témoignages
et les échanges du groupe. Ce matériau
faisait immédiatement l’objet d’une réécriture grâce à un support de communication intitulé « Brèves de mémoire »,
diffusé à tout le personnel de l’hôpital
et aux étudiants de soins infirmiers et
de médecine. Pendant les 6 mois qu’a
duré cette opération, ce document a
eu un certain succès, sur le mode du
feuilleton. Ambiance dans les services,
modalités de travail, anecdotes plus ou
moins cocasses, événements marquants,
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
évolution des conditions matérielles du
travail, figures honnies ou vénérées ont
été évoqués et… sont entrés dans le
patrimoine immatériel de l’hôpital. Pour
la majorité des personnes retraitées, cette
mobilisation en vue d’une transmission
de leur expérience a été vécue comme
une marque de reconnaissance de la
part de l’institution. Leur départ à la
retraite et le silence absolu de l’hôpital
à leur égard après cette date ayant été
vécus comme un abandon. Peu à peu,
les retraités participant aux groupes sont
arrivés avec des albums photographiques
des équipes de soin, des cartes postales
anciennes, parfois des objets. Chacun
ayant préféré emporter avec lui ce qui
lui était cher plutôt que « de le voir
partir à la Benne ». Ils sont désormais
tenus informés et invités à toutes les
manifestations de la Ferme. La participation ayant été conçue sur le mode du
volontariat, nous avons pu constater que
le corps médical était le moins représenté dans ces groupes, à l’exception de
quelques passionnés d’histoire, le plus
souvent membres du conseil scientifique.
Comment fallait-il l’interpréter ? Une
charge de travail plus importante ? Une
posture de distinction de la communauté
savante de l’hôpital à l’égard d’un cheminement collectif relatif à l’histoire
et la mémoire ? Une réserve quant à la
légitimité de celui qui produit l’histoire
de la psychiatrie ? À la question, qui est
compétent pour transmettre la culture
psychiatrique, la réponse a souvent été :
« nous, les psychiatres ». Mon profil mal
identifié de « porteur de projet » prêtaitil à caution ? Les historiens, malgré leur
légitimité scientifique, étaient-ils vécus
comme des rivaux ? L’objet de l’anamnèse était-il trop large pour mobiliser un
corps professionnel spécialisé ? Nous nous
sommes posés ces questions sans faire de
procès d’intention aux psychiatres car il
est naturel que la confiance entre ceux
qui détiennent le savoir et ceux qui ont
le savoir-faire du faire-savoir se construise
dans le temps. Et nous savons désormais
que le travail mémoriel et la transmission
culturelle impliquent nécessairement
l’engagement coordonné des acteurs, des
scientifiques et des médiateurs. Parallèlement, nous avons initié une étude ethnologique qui s’intéressait aux rapports que
les personnels intra-muros entretiennent
avec l’histoire et l’espace de l’hôpital. Il
ressort de cette étude que les personnels
ont élaboré un schéma à deux étapes de
l’histoire de la psychiatrie : l’asile lié à
la psychothérapie institutionnelle et le
secteur lié à la psychiatrie communautaire. Dans les deux cas, la relation est
ambivalente 1. Chacune renvoyant à une
génération différente : les pionniers de
la psychothérapie institutionnelle et les
antipsychiatres des années 70. Si l’asile
concentre des représentations négatives,
la psychothérapie institutionnelle est
en revanche parée des vertus dont le
monde contemporain serait privé : une
vie sociale intense, des relations interpersonnelles de proximité, des repères
immuables. Néanmoins, cette image
d’Épinal ne résiste pas aux récits de ceux
qui ont vécu cette période. En ce qui
concerne les années 70, la nostalgie se
cristallise sur la capacité d’invention,
d’innovation et de réflexion intellectuelle dans une période où le désordre
paraissait encore relever des individus
et non d’un macro-système. Cette ébullition, politique et théorique, apparaît
depuis le poste d’observation d’une
actualité dominée par les restrictions
économiques et la normalisation des
soins comme un paradis perdu. Même si
ceux qui regrettent un temps de désordre
créatif ont hérité des postes de pouvoir
dans l’institution, le sentiment de perte
est insurmontable. La méthode ethnologique nous a paru répondre de manière
précise à la question d’une reconstruction symbolique du fonctionnement
quotidien d’un service de soin. Aussi,
avons-nous poursuivi la recherche par
l’immersion de deux ethnologues au sein
d’une unité d’hospitalisation. Le fruit
de cette observation au quotidien s’est
avéré extrêmement révélateur quant
aux valeurs conscientes et implicites
qui président à l’organisation du soin
psychiatrique. mais le plus intéressant
réside encore dans les effets et les limites
de restitution 2. Effets intéressants dès
lors que les conclusions de l’étude
peuvent être reconnues et reprises par
les “indigènes” pour mouvoir leurs us et
coutumes. Limites de l’exercice quand
la violence de l’image renvoyée rend
impossible une réappropriation de ce
nouveau savoir par les acteurs concernés.
La difficulté de la collaboration entre
les porteurs de projet et les chercheurs
réside principalement dans la question
de la restitution et de ses effets sur la
dynamique du collectif “étudié”. Il arrive
souvent que le chercheur considère que
cette étape ne relève pas de son champ
de compétence ou qu’il considère tout
aménagement dans la manière d’exprimer ses conclusions comme une atteinte
insupportable à sa liberté intellectuelle.
Or, le porteur de projet culturel considère
pour sa part que la production de toute
nouvelle connaissance sur l’organisation
doit être mise au service des acteurs qui
la composent. La réelle difficulté de la
construction d’un double âge d’or dans
les représentations des personnels réside
dans ce qu’il implique de négation des
potentiels d’aujourd’hui. La révolution
psychiatrique a déjà eu lieu et la communauté psychiatrique est démunie
face à l’évidente nécessité de construire
un nouveau projet. Cette génération a
adopté une posture défensive, tournée
vers le passé, qui décrédibilise toute nouvelle initiative. En conséquence, nous
avons été très attentifs à ne pas redoubler
cette tentation nostalgique par le travail
de patrimonialisation. Ce dernier étant
peut-être une condition pour s’en libérer
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
73
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
et s’ouvrir à une logique prospective.
Dès lors, la démarche patrimoniale a
été accompagnée par des projets d’art
contemporain. Ce choix traduisait notre
détermination à éviter toute tentation
nostalgique en germe dans les actions de
valorisation du patrimoine. Nous avons
donc décidé de donner forme aux transformations de l’hôpital et d’impliquer
les acteurs hospitaliers dans un jeu de
projection imaginaire. À titre d’exemple,
nous avons commandé une intervention
artistique, co-financé par la Fondation
Gaz de France et la Drac Rhône-Alpes,
qui a consisté à remplacer quatre portes
latérales condamnées de la chapelle
par quatre « Portes-vitrail ». Celles-ci
traduisant le mouvement, la couleur,
la lumière et la visibilité. Des patients
et des soignants ont parallèlement été
associés à la création de vitraux légers,
installés dans les espaces de soins.
L’ange et l’espace public
L’année suivante, entretiens, travaux
de groupe, inventaire mobilier, documents, iconographie et même chanson
écrite par une patiente ont constitué les
matériaux d’une exposition grand public
installée dans les locaux de la Ferme et
intitulée « Sept propos sur le septième
ange, une histoire du Vinatier » 3. Pour
la première fois, l’institution mettait en
scène son histoire avec des moyens de
monstration professionnels. Le fil rouge
de l’exposition était de montrer comment
chaque grande époque identifiable de
l’histoire de l’institution faisait écho à un
contexte et une problématique sociétale
qui la dépassaient. Pour les professionnels
de l’hôpital, il s’agissait d’objectiver et
de rendre compréhensible l’histoire de
l’hôpital dans sa globalité. Cette cohésion
rendue à des récits fragmentés et figés était
homothétique d’une unité retrouvée de
l’hôpital, éclaté en de multiples sites et
de multiples métiers. Pour les Lyonnais,
cette exposition faisait figure d’un coup
de tonnerre dans un ciel serein. Cette
institution stigmatisée nourrissant les fantasmes les plus fous, pouvait partager avec
les habitants son histoire chaotique. On
pouvait entrer au Vinatier pour voir une
exposition, se sentir concerné et en ressortir. Le soin apporté à la scénographie, le
professionnalisme de la communication,
la qualité et la diversité disciplinaire des
membres du conseil scientifique qui ont
contribué à en définir les contenus, la
participation active des personnels sont
autant de facteurs de la réussite de l’exposition. L’indicateur de cette réussite « en
interne » a été l’acceptation de ce récit
problématisé par les personnels et « en
externe », l’intérêt porté par les visiteurs.
Une première phase de l’anamnèse étaitelle réalisée ? Si la communauté savante
s’est, somme toute, assez peu investie
dans l’exposition, elle a en revanche
volontiers participé aux échanges et aux
conférences organisées dans le cadre du
programme culturel qui accompagnait
l’exposition. Du « café – mémoire » au
colloque transdisciplinaire, les médecins
étaient davantage présents. Pourquoi ?
Peut-être ont-ils reconnu à la Ferme la
capacité de mobiliser un public dont une
part assez large n’était pas directement
concernée par la psychiatrie. Les entrées
scientifiques, culturelles et artistiques ont
en effet déplacé nombre de personnes
s’intéressant aussi bien à l’architecture, à
l’anthropologie, à l’art contemporain, à
la littérature ou au cinéma. Le travail de
pédagogie sur leur métier et sur la maladie
mentale trouvait à s’exprimer auprès de
publics qu’ils avaient peu l’occasion de
rencontrer. Les retombées médiatiques
et le niveau d’exigence de l’exposition
ont probablement également contribué à
surmonter les réticences du corps médical
à l’égard de la Ferme. Cette exposition
fut aussi l’occasion pour l’institution
d’évoquer publiquement pour la première fois l’épisode dramatique des 2000
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Extérieur de la Ferme, janvier 2009. Coline Rogé
malades mentaux internés au Vinatier
morts de faim et de froid sous l’Occupation. Lorsque les personnels avaient
eu connaissance du travail de mémoire
dont j’étais chargée, nombre d’entre eux
avaient évoqué cet événement en spécifiant de « surtout ne pas en parler dans le
futur musée » (à l’époque tout le monde
croyait qu’il s’agissait de faire un musée).
Rien de tel, bien entendu, pour aiguiser
l’intérêt et pressentir que le sujet allait
nécessairement réapparaître. L’exposition
offrit une première occasion d’inscrire
cette période et ses conséquences dramatiques dans une succession de séquences
historiques constitutive de l’identité de
l’hôpital sans pour autant mener sur ce
thème une étude approfondie, qui se
révélera plus tard indispensable. Mais
le travail préparatoire à l’exposition a
aussi révélé une anecdote méconnue et
plus « glorieuse » concernant une figure
héroïque, celle de la résistante du mouvement Combat, Berty Albrecht. Cette dernière s’était fait interner au Vinatier pour
quitter la prison Saint-Luc et a pu, grâce
à l’aide d’un jeune médecin, organiser
son évasion. La présence à l’inauguration
de la famille dudit médecin, lui-même
décédé, a suscité l’émotion, mêlée d’une
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
certaine fierté, des personnels présents.
Pourtant, l’évocation sans tabou de cette
tragédie dans une exposition publique n’a
pas empêché que le sujet, déjà polémique,
rejaillisse violemment au sein de l’hôpital
à l’occasion de la parution en 1998 du
roman du Dr Patrick Lemoine « Droit
d’asile ».
L’intime et le miroir
Je qualifierais la deuxième exposition
publique que nous avons organisée
« … avez-vous donc une âme ? Objets
privés et hôpital psychiatrique au
XXe siècle » d’exposition émotionnelle.
L’objectif était désormais de nous centrer sur la catégorie la plus silencieuse
de l’institution : les malades. Nous
sommes bien loin de la question de la
transmission des savoirs de la communauté savante. Ceux qui nous intéressent
sont les bénéficiaires de ces savoirs.
Notre questionnement s’est ancré sur
un patrimoine banal et singulier à la
fois : 800 objets privés ayant appartenu
à des malades hospitalisés. Ces objets
couvrent une période allant de 1920
à 1980. Ils sont soigneusement rangés
dans des enveloppes en tissu réalisées
autrefois dans l’atelier d’ergothérapie de
la lingerie, puis empilés dans des tiroirs
en bois (une cinquantaine) numérotés
à la peinture rouge. On doit d’avoir pu
intégrer au patrimoine cet ensemble
saisissant et signifiant à la négligence
de l’administration qui l’avait sagement
laissé dormir dans une cave 4. À l’occasion d’un déménagement, un fonctionnaire de la direction de la logistique a eu
la présence d’esprit de nous adresser ces
boîtes plutôt que de les détruire. D’où
l’importance pour la direction d’afficher
son volontarisme à l’égard du patrimoine
et de l’histoire de son institution. À
partir de ces objets bouleversants, nous
avons construit un propos qui visait à
rendre perceptible l’humanité irréduc-
tible et ordinaire des malades mentaux.
En effet, ces objets de la vie quotidienne,
dans leur boîte et dans leur sachet, rendus pathétiques par l’absence de leurs
propriétaires avaient un effet miroir,
suscitant une identification chez les visiteurs. Si l’émotion suscitée n’avait rien
de très agréable, elle générait une vague
d’empathie à l’égard des malades, plus
efficace que les slogans de lutte contre
la stigmatisation. Le deuxième objectif
de l’exposition consistait à interpeller les professionnels sur la gestion de
l’objet privé dans l’espace de soin. De
nombreux témoignage de professionnels
sur diverses époques ont nourri cette
problématique ainsi que la reconstitution chronologique de l’évolution de
la loi à cet égard 5. Cependant, n’étant
pas dans la perspective d’une installation d’art contemporain à la Boltanski,
nous avons mobilisé les ressources et les
méthodes scientifiques d’un ethnologue 6
et d’une historienne 7 pour étayer notre
propos. L’ethnologue en a reconstitué des
« mondes » constitutifs de notre identité
à partir d’un classement de ces 800 objets
(le « monde » du corps, le « monde » du
travail, le « monde » du social…). La
scénographie a organisé l’espace autour
de ces « mondes ». L’historienne a, pour
sa part, rédigé des biographies à partir
de dossiers médicaux et administratifs
des malades rendant compte non plus
d’un état mais d’un parcours. Ces deux
démarches de contextualisation d’un
ensemble d’objets ayant comme seul
point commun d’avoir appartenu à des
malades mentaux permettaient d’ouvrir
une rêverie interrogative sur la définition
de la maladie mentale, de ses limites
dans le temps et l’espace d’un individu.
Le livre d’or de cette exposition est particulièrement intéressant par la quasiabsence de commentaires convenus.
Certains sont d’une très grande violence,
la majorité d’entre eux traduisent une
émotion intense. Pour ceux qui préci-
saient ne pas connaître le domaine de
la psychiatrie, nous avons pu constater
que notre espérance de contribuer à la
lutte contre les préjugés sur les malades
mentaux était comblée. En revanche,
nous n’avions aucun commentaire sur la
question de la place des objets intimes
dans l’espace de soin. Les personnels se
sont davantage exprimés dans les rencontres organisées autour de l’exposition.
Ces dernières ont d’ailleurs donné lieu
à un ouvrage co-édité avec les éditions
« chroniques sociales » .
Le corps et le devenir
Notre troisième exposition « Devenir,
adolescences exposées » ne mobilisait plus
la ressource du patrimoine. Cette « exposition de pensée » s’est attachée à cerner
un phénomène de société et s’est tournée
vers la production de connaissances pluridisciplinaires sur un même sujet, en
l’occurrence l’adolescence. L’exposition
traduisait dans sa forme finale l’oscillation
de l’âge adolescent entre deux bornes, une
qui serait du côté de la psychopathologie
et l’autre du côté de la culture. Ce projet
aspirait à identifier du sens dans les comportements transgressifs des adolescents
en les mettant en correspondances avec
des pratiques artistiques ou rituelles.
Mais il visait aussi à mettre en lumière
les pathologies ou les actes pathologiques
spécifiquement liés à l’adolescence ainsi
que les moyens de leur prévention. Fautil voir un sens dans cette évolution des
choix d’exposition, depuis la valorisation problématisée du patrimoine jusqu’à
une interrogation partagée sur l’avenir à
travers la figure emblématique de l’adolescent ? Ces initiatives ont en commun
de traduire la volonté de l’établissement
de développer dans le champ culturel un
espace de médiation entre les patients, les
personnels et la population notamment à
propos des questions situées à l’interface
du sociétal, du culturel et du sanitaire. La
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
succession de ces thèmes n’a pas été programmée mais elle traduit l’évolution de
nos préoccupations, elles-mêmes en phase
avec celles de l’institution. En cela, j’ai
bon espoir que le travail mémoriel de ces
dix dernières années ait porté ces fruits.
La recherche
et la médiation
Une des pierres angulaires de la
démarche d’anamnèse était l’objet de
toutes les polémiques, de toutes les élucubrations : l’hécatombe des malades
mentaux sous l’Occupation. Ce thème
ayant cristallisé, au sein de l’hôpital et
au-delà, la culpabilité, la dénonciation,
la controverse, il est vite apparu que
toute démarche mémorielle se solderait
par un échec si elle ne s’adossait pas à
une recherche historique solide. Il s’agit
là du meilleur exemple que nous pouvons proposer concernant la place de la
recherche dans un processus d’anamnèse
organisé dans le cadre d’une démarche
patrimoniale, mémorielle et culturelle.
L’enjeu de la recherche menée dans le
cadre de la Ferme du Vinatier est de lier
problématique institutionnelle, connaissance scientifique et action culturelle en
direction de tous les publics. Les projets
sont élaborés de manière à éviter, d’une
part la configuration de la commande
dans laquelle le chercheur est soumis à
une attente institutionnelle exclusive
des autres impératifs de la recherche,
d’autre part celle du terrain dans laquelle
l’institution devient un objet d’étude ne
participant pas au processus de connaissance en tant que sujet. La médiation
culturelle réside ici dans la capacité à
élaborer les conditions d’une coopération
à partir d’une double culture hospitalière
et universitaire qui ne s’y prêtent pas
spontanément. Des partenariats universitaires ancrés dans la durée grâce à
la stabilité du conseil scientifique ont
rendu possible (mais jamais évidente) la
mise en œuvre de ces collaborations. La
recherche « Destins de fous. Le sort tragique des malades mentaux dans les hôpitaux
psychiatriques français sous l’Occupation.
Le cas de l’hôpital du Vinatier », conduite
par Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne, et membre du conseil scientifique
de la Ferme relève d’un processus mettant
en interaction la communauté savante
de l’hôpital, les savoirs de l’historien et
la démarche patrimoniale d’anamnèse.
Les conditions locales d’émergence de la
problématique sont essentielles dans la
décision prise par le conseil scientifique,
sur proposition de la Ferme, et par la
Direction de l’Établissement d’entreprendre une recherche sur la période
de l’Occupation au cours de laquelle
2000 malades mentaux sont morts de
faim au Vinatier (environ 45000 dans
l’ensemble des hôpitaux psychiatriques
français). Trois éléments ont joué un
rôle important :
- Premier élément : une mémoire collective trouble qui s’est exprimée dès
les premières démarches de recueil de
la mémoire engagées par la Ferme. La
référence à la guerre, très présente dans
les récits des personnels, était pourtant
désignée comme taboue. Les interprétations de l’hécatombe des malades mentaux sous l’Occupation, restituées par
les personnels, étaient aussi variées que
floues bien que généralement marquées
par l’hypothèse du complot « exterminationniste » fomenté par le gouvernement
de Vichy. Thèse inspirée par l’ouvrage
« L’extermination douce », du docteur Max
Lafont, ancien interne du Vinatier.- Deuxième élément : la publication en 1998
d’un roman par un autre psychiatre du
Vinatier, le docteur Patrick Lemoine,
intitulé « Droit d’asiles ». Bien qu’il
s’agisse d’une fiction, l’introduction et
les annexes du livre radicalisent la thèse
du génocide. - Troisième élément : la
lecture en séance par le président de la
76 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
Commission médicale d’établissement
d’une motion de défiance à l’égard du
livre de Patrick Lemoine, traduisant un
profond désaccord d’une partie du corps
médical avec les propos et les procédés
utilisés par l’auteur. Cet événement a
précipité une polémique locale, portée
ultérieurement devant les juges, autour
de la question de « l’extermination »
des malades mentaux sous Vichy. Le
corps médical est alors entré en crise. La
Direction de l’établissement s’est portée
partie civile pour le président de la CME.
La proposition d’entreprendre une
recherche, dont le sérieux serait
garanti par des historiens confirmés et
des méthodes scientifiques avérées, est
apparue comme une issue possible à cette
crise. Grâce à l’engagement de l’historienne dans un processus institutionnel,
la Ferme a pu alors jouer le rôle de tiers
qui rend possible le décadrage d’une question sclérosée par le conflit. Les instances
de l’hôpital (CA et CME) l’ont confirmé
dans cette mission. L’intervention de
l’historienne a immédiatement situé la
problématique locale dans un contexte
national qui constituait un premier pas
vers une relativité de la crispation propre
au Vinatier. La problématique a été formulée de la manière suivante (extrait
du projet soumis au conseil scientifique
de la recherche de l’établissement par
Isabelle von Bueltzingsloewen) :
« Ce projet de recherche collective, qui
répond à une volonté de clarification qui
s’est exprimée à de multiples reprises au
sein de l’institution, poursuit un double
objectif :
- sortir du contexte polémique, voire
passionnel, qui a conduit à focaliser le
débat sur la question de l’extermination
pour tenter de comprendre, en croisant
plusieurs niveaux d’analyse, comment,
dans le contexte très particulier de l’Occupation, des milliers de malades mentaux internés dans les asiles sont morts
L E P R OJE T C U LT U R E L E T L’ H ÔP ITA L
causes. Les psychiatres de
l’après-guerre notamment
se sont appuyés sur l’horreur
du drame de la famine dans
les hôpitaux psychiatriques
sous l’Occupation pour exiger
les moyens d’humaniser ces
établissements. L’argument
a été souvent mobilisé par
les pères de la psychothérapie institutionnelle comme
répulsif à tout retour au
fonctionnement asilaire du
début du siècle. Plus tardivement, dans les années 70, les
tenants de l’antipsychiatrie
ont à leur tour mobilisé cet
épisode de l’histoire comme
Boite à bijoux. Photo Maurice
confirmation du nécessaire
rejet radical de l’institution
psychiatrique. Ainsi, l’hécade faim en France. Car démontrer que
tombe des aliénés pendant la guerre
ces malades n’ont pas été victimes d’une
aura servi aussi bien la cause de la psypolitique génocidaire ne signifie pas que
chothérapie institutionnelle que celle
leur destin ait été soumis à une sorte
de la psychiatrie communautaire. On
de fatalité qui rendrait toute démarche
peut voir que la mémoire est plastique
interprétative inopérante. - montrer
au regard des enjeux contemporains.
comment, selon quelle chronologie et
Jusqu’à la résurgence plus récente du
autour de quels enjeux la mémoire de
drame dans la mémoire des psychiatres
cet épisode tragique s’est progressivement
à travers la dénonciation d’un génocide
construite depuis 1945. La question du
économique des malades mentaux qui ne
rôle qu’a joué la référence à la période
serait que la réplique de celui que l’on
sombre de la guerre, fréquemment mobiattribue alors au gouvernement de Vichy,
lisée par les pionniers de la “révolution
point de départ de la polémique locale
psychiatrique”, dans les mutations produ Vinatier. En raison de l’intrication
fondes qu’a connues l’institution psydu scientifique et de l’institutionnel,
chiatrique depuis les années 1950 mérite
la question de la communication des
en particulier d’être posée. » Ces deux
résultats de la recherche était essentielle.
objectifs ont été validés par les instances
C’est pourquoi, le sacro-saint « rapport
de l’hôpital. Il s’agissait de comprendre
de recherche », dont les destinataires
dans un même mouvement les conditions
se limitent en général à deux ou trois
de l’hécatombe et ses effets durables sur
personnes motivées, paraissait totaleles transformations de la psychiatrie et
ment inadapté à la situation. Aussi,
sur l’identité de ses professionnels. En
un dispositif conjointement pensé en
effet, cet épisode tragique de l’histoire
amont de l’enquête par l’historienne
de la psychiatrie française a été repris
et la responsable de projet a défini les
à plusieurs reprises par la communauté
modalités les plus susceptibles d’élargir
psychiatrique pour soutenir d’autres
les publics en diversifiant les supports
et en échelonnant les manifestations.
Ce dispositif s’est organisé en cercles
concentriques. Une première rencontre à
la Commission médicale d’établissement
a permis le débat au sein du cénacle
médical, porteur du conflit originel.
La restitution des résultats a eu pour
effet immédiat l’apaisement de la tension dans le corps médical. Selon les
propres termes de plusieurs médecins,
l’enquête a permis au corps médical de
« s’en sortir par le haut ». Une seconde
rencontre précédée par une conférence
de presse était programmée à l’adresse
de l’ensemble des professionnels de la
psychiatrie. Les personnels sont venus
nombreux et divers à cette soirée. La
qualité de l’exposé des résultats de
l’enquête a considérablement impressionné l’assistance. Pourtant les contenus
allaient globalement à l’encontre des
lieux communs transmis depuis plusieurs
décennies. À l’occasion de la diffusion
de ce travail, beaucoup de personnels,
en particulier les administratifs et les
directeurs, ont découvert cet épisode
noir de l’histoire de l’hôpital. Se sontils interrogés dans ce cadre sur les effets
dévastateurs de la rigidité administrative
et gestionnaire en contexte de crise ?
Cette question était d’ailleurs également
nourrie par un drame plus récent, celui
des personnes âgées mortes pendant la
canicule de l’été 2003.
La troisième étape du dispositif consistait à s’intéresser à d’autres populations
reléguées ou semi-reléguées. Le colloque
« Famine et exclusions en France sous
l’Occupation » a permis de transférer
la problématique de l’enquête dans la
sphère scientifique et de la confronter à
d’autres travaux d’historiens. Au cours de
ce colloque, une lecture théâtralisée des
correspondances des malades mentaux
a été présentée en soirée. Cette incarnation de l’expérience d’une souffrance
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
77
LE PRO J ET C ULT UREL ET L’HÔP ITA L
extrême a insufflé du sens et de l’émotion
à la démarche scientifique. Ce colloque
a donné lieu à des Actes parus en 2005
aux Presses Universitaires de Rennes 10.
Enfin, un ouvrage personnel de l’historienne est paru le 22 février 2007 11,
rendant compte de toute la complexité
de l’enquête.
La recherche a joué ici son rôle d’intelligibilité collective à l’échelle de
l’institution. L’enjeu n’est pas de clarifier un point d’histoire mais d’éclairer
les questions fondamentales qui sont
les points d’entrée d’une culture : qui
sommes-nous ? Quelles sont nos responsabilités ? Quelles épreuves avons-nous
traversé ? L’intelligibilité porte aussi sur
les dimensions de l’expérience humaine
au-delà des constats chiffrés qui occultent
la subjectivité du vécu. Le travail réalisé
par Isabelle von Bueltzingsloewen vise
aussi à rendre visibles et sensibles la complexité des situations et les expériences
des acteurs. La recherche constitue un
mode opératoire innovant pour l’hôpital.
L’enjeu est de convoquer des forces extérieures validées par le pacte républicain
pour changer les termes du dialogue
social. Ce dernier se construit grâce à
un processus d’intelligibilité fondé sur
une posture compréhensive et non sur
une confrontation idéologique.
Conclusion : le territoire
et la prospective
La médiation que la Ferme a assurée
entre les communautés professionnelles,
les scientifiques et le public élargi pour
conduire un travail concomitant sur le
patrimoine, les mémoires et l’histoire
influe-t-elle sur la dynamique institutionnelle de l’hôpital ? Ces neuf années
consacrées à faire émerger les idées et
les débats qui ont présidé à l’évolution
du Vinatier ont-elles contribué à réunir
les conditions pour l’inscrire dans un
projet de prospective ? Peut-on y voir
un élément ayant facilité l’adoption par
la communauté hospitalière d’un projet
d’urbanisme et de paysage engageant les
problématiques présentes dans la question patrimoniale : valeur thérapeutique
de l’organisation de l’espace, rapport
entre le dedans et le dehors, dialectique
de la fermeture et de l’ouverture, statut
du patient… Car l’histoire de l’hôpital
témoigne du lien indéfectible entre projet clinique et production de l’espace.
Elle met en exergue l’oscillation de la
psychiatrie entre deux projets cliniques
régulièrement mis en tension se traduisant par deux modèles spatiaux : le
village et l’archipel. Aujourd’hui, ces
deux conceptions n’apparaissent plus
comme des alternatives mais comme
complémentaires à une prise en charge
complète et continue de la personne
malade. Ce continuum recherché entre
la séquence d’hospitalisation complète et
le suivi ambulatoire dépasse l’opposition
dialectique entre fermeture et ouverture.
De nouvelles logiques de production et
d’organisation de l’espace vont émerger de cette vision du soin : maison des
usagers, appartements thérapeutiques,
foyers, nouvelles structures de transition… Accompagner ces transformations
par une gestion concertée et maîtrisée du
patrimoine architecturale et paysager de
l’hôpital implique une conscience partagée des valeurs de l’héritage commun et
un travail collectif pour les adapter aux
enjeux identifiés du monde contemporain. Le projet culturel et patrimonial
de la Ferme du Vinatier poursuit cet
objectif depuis 10 ans. S’il peut prétendre
avoir contribué à la dynamique institutionnelle dans le sens d’un partage avec
les autres acteurs de la société civile
et d’une maîtrise de son avenir, c’est
d’abord grâce à la démarche croisée entre
patrimoine, sciences sociales et action
culturelle. Comme nous l’avons vu, les
conditions d’une telle démarche sont
78 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
à la fois éthiques, institutionnelles et
méthodologiques. Elles mobilisent un
fort professionnalisme des acteurs, la
légitimité scientifique et politique des
initiatives et le respect réciproque des
valeurs et des enjeux de chacun.
NOTES
1 - De l’utopie au système d’action ou le
dehors psychiatrique. Enquête réalisée en
1999 par Axel Guïoux et Evelyne Lasserre,
anthropologues.
2 - L’expérience cubique : approche ethnologique
du quotidien d’une unité d’entrée en soins
psychiatriques. Enquête réalisée en 2001
par Axel Guïoux et Evelyne Lasserre,
anthropologues.
3 - En lien avec l’exposition, un ouvrage
rassemblant les articles des membres du
conseil scientifique a été publié sous le titre
« Le Vinatier, un hôpital en travail », éditions
La Ferme du Vinatier, Lyon, 1999.
4 - Ces objets n’ont pas été réclamés par les
familles après le départ de l’hôpital ou le
décès du malade. La réglementation autorise
l’établissement à s’en séparer au terme d’une
année.
5 - Il a fallu attendre la circulaire 148 en
1952 pour que les objets chargés d’une valeur
affective (les alliances…) soient laissés à leur
propriétaire.
6 - Jean Paul Filiod, maître de conférence à
l’IUFM de Lyon
7 - Isabelle von Bueltzingsloewen, maître de
conférence à l’Université Lumière Lyon 2
8 - Jean Paul Filiod (dir), Faire avec l’objet.
Signifier, appartenir, rencontrer, Lyon, Éditions
Chroniques sociales, 2003
9 - Expression utilisée par Bruno Latour dans
une émission radiophonique à propos de son
exposition « La chose publique. Atmosphère de
la démocratie » présentée à Karlsruhe en 2005.
10 - Isabelle von Bueltzingslewen (dir),
Famine et exclusion en France sous l’Occupation,
Rennes, PUR, 2005.
11 - L’Hécatombe des fous. Isabelle von
Bueltzingslewen, Aubier, 2007
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
LA CRÉATION CONTEMPORAINE
ET L’HÔPITAL
L
oin d’être une tendance nouvelle, l’art a de tout temps animé les établissements de
soins à travers l’architecture, la sculpture, la peinture qui ont longtemps été influencés
par la religion, mais aussi et encore, par les grands courants artistiques. La présence
de la création contemporaine au sein des territoires hospitaliers est polymorphe et vise à
questionner l’hôpital et ses usages au fil de ses innovations techniques et scientifiques. Elle
participe à l’intégration de l’hôpital dans son environnement urbain en favorisant la qualité
d’accueil des usagers.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
79
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
Physalis partitura, une commande
publique de Katsuhito Nishikawa pour
l’hôpital Claude-Huriez, CHRU de Lille
Michèle Dard
Déléguée culturelle, CHRU de Lille
D
ans le cadre de la modernisation de son établissement
emblématique l’hôpital Claude-Huriez, le CHRU de
Lille a initié en lien avec le ministère de la Culture et de
la Communication et avec le concours
du FEDER, une commande publique
innovante pour renforcer la qualité du
cadre de vie et proposer des espaces
propices à l’apaisement et à l’hospitalité.
80 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
L’œuvre inédite Physalis partitura a été
conçue par l’artiste japonais Katsuhito
Nishikawa pour les lieux. Ce créateur
a un champ d’intervention large qui
touche aussi bien l’architecture, l’environnement, le mobilier, la sculpture, le
dessin. Le projet consiste en l’aménagement des espaces d’accueil extérieurs
et intérieurs de l’hôpital, soit près de
5 000 m². Il inaugure une nouvelle
forme de présence de l’art à l’hôpital.
Ni monumentale, ni décorative, l’œuvre
constitue un espace à vivre conçu pour
améliorer l’environnement des personnes. Katsuhito
Nishikawa propose
une séquence en
trois temps qui vise
à qualifier le parcours effectué par
les usagers depuis la
traversée de la cour
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
d’honneur, l’accès au hall d’accueil et la
déambulation dans les ailes latérales.
La cour d’honneur devient une vaste esplanade homogène qui accueille en son sein
un programme végétal composé de magnolia kobus. Cette trame boisée fait écho à la
volumétrie du bâtiment. Le sol est scandé
d’un balisage de spots lumineux, deux bancs
de pierre marquent le centre de la composition. Cet ordonnancement est complété de
sculptures physalis qui animent le parcours.
À son extrémité, ascenseur et escaliers
mènent l’usager à l’intérieur de l’hôpital.
Le hall d’accueil est traité dans un souci de
lisibilité, un parquet délimite la superficie.
Son centre est marqué d’un damier en
minéral qui reprend la figure inversée des
bancs extérieurs. Les murs sont couverts
de peinture mate couleur blanc chaud.
L’éclairage privilégie la hauteur comme
la profondeur. Un ensemble de mobilier
en bois donne une impression de netteté,
d’accessibilité, de douceur.
Cette réalisation constitue l’un des projets phare de la délégation aux affaires
culturelles du CHRU de Lille, qui
participe à la construction de l’hôpital
contemporain en travaillant à l’amélioration de la qualité de vie à l’hôpital.
Publication disponible sur demande :
[email protected]
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
81
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
La commande artistique aux hôpitaux
universitaires de Strasbourg
Christelle Carrier et Barbara Bay
Déléguées culturelles au CHU de Strasbourg
E
n 1999, à l’occasion de la
signature de la première
convention inter-ministérielle « Culture à l’hôpital »
par Catherine Trautmann et
Bernard Kouchner, les hôpitaux universitaires de Strasbourg, dirigés par Paul Castel,
créaient un poste d’attachée
culturelle.
Christelle Carrier, diplômée en histoire
de l’art et en gestion, fit l’état des lieux
de ce qui existait au sein de l’établissement en matière culturelle et proposa
à la Direction générale de décliner le
projet culturel selon les trois piliers d’un
CHU : le soin, la recherche et la formation. C’est ainsi qu’un projet musique
prit place dans le service de néonatalogie de l’hôpital de Hautepierre avec des
musiciens intervenant dans le service
auprès des enfants prématurés, en lien
82 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
avec un volet recherche et un volet
formation.
L’évolution générale du système hospitalier, et en particulier la diminution
constante de la durée moyenne de
séjour, interrogeait la pertinence de
la notion d’intervention artistique au
chevet du patient. Les hôpitaux universitaires de Strasbourg ont alors fait le
choix d’inscrire leur projet culturel dans
une politique plus « durable » à même
de laisser une trace dans l’institution.
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
C’est ainsi qu’en 2005, la Délégation
à la culture intervenait auprès du Pr
Nisand pour repenser l’aménagement de
la maternité de l’hôpital de Hautepierre
en appui au projet médical et soignant.
Cette maternité de niveau 3, installée
dans un hôpital mono-bloc des années
1970 était composée historiquement de
deux services répartis sur deux étages. Il
s’agissait de les réunir autour d’un projet
commun. Les locaux, organisés pour
répondre aux besoins de la puériculture
d’il y a 30 ans, accueillaient à la fois
les grossesses à risque et une maison de
naissance démédicalisée ainsi qu’une
quinzaine de nationalités d’origine différentes. La restructuration des espaces
communs du service a été l’occasion
de prendre en compte toutes ces données et a permis l’écriture d’un cahier
des charges extrêmement précis par la
Délégation à la culture avec les équipes
soignantes, médicales et techniques.
En effet, après le grand événement
de la naissance, les premiers jours de
vie commune du nouveau-né et de ses
parents se vivent à la maternité. Ces
moments de joies, de questionnement
et d’apprentissage sont partagés avec
les professionnels et les autres jeunes
parents dans des espaces communs tels
que les pouponnières. L’artiste plasticienne Ilana Isehayek et la designer
Edith Wildy, sensibles à la façon dont
l’aménagement d’un lieu influe sur les
déplacements, la position des corps
dans l’espace et les gestes du quotidien,
décident de réorganiser globalement les
pouponnières, les salles d’allaitement
et les salles à manger. Elles travaillent
aussi bien sur la structure d’ensemble,
que sur le mobilier – créée pour l’occasion – l’éclairage, la couleur et les
œuvres qui vont venir naturellement
s’y inscrire. À partir de leurs échanges
avec l’équipe médicale et soignante, les
deux artistes décident d’articuler leur
projet autour de la notion de transmission, qu’elles déclinent à travers
un ensemble de thèmes (l’eau, l’arbre,
l’anneau) qui en signent l’identité
artistique.
le bain, le change, l’allaitement, la
consultation, les soins spécifiques et
la surveillance des bébés confiés aux
équipes. Les parents ont l’assurance
de trouver sur place, nuit et jour, les
conseils d’un professionnel, grâce au
poste de travail aménagé dans l’élément
central. De forme ovoïde, il rappelle un
œuf éclos. Il contient les baignoires et
les tables à langer réalisées d’une pièce
dans une résine synthétique,
douce à l’œil et au toucher et qui offre
une excellente hygiène. Donner un
bain à son bébé ne se fait plus face à
un mur mais en relation directe avec
les professionnels et les autres parents.
La convivialité du lieu engage les mères
à rester sur place pour allaiter dans des
sièges en forme de cocon qui permettent
d’être à la fois protégées et en contact
visuel avec l’intérieur de la pièce et
l’extérieur par les grandes baies vitrées.
Libre alors à chacun de se laisser aller à
La pouponnière permet
désormais de réunir
toutes les activités qui
ponctuent la journée :
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
rêver en contemplant l’œuvre qui vient
animer tout un mur de la pouponnière.
Au 4e étage, un réseau de cours d’eau,
représenté tout en transparence et en
opacité laiteuse, décline des noms de
fleuves et de rivières du monde, familiers aux oreilles des uns et exotiques
aux oreilles des autres. Au 5e étage, c’est
un arbre dont les branches portent les
diminutifs affectueux du vocabulaire
familial, « mémé », « pépé », « daddy »,
« mum », écrits en plusieurs langues
en échos aux différentes cultures des
personnes accueillies dans le service.
La mise en œuvre de ce projet qui
révolutionne l’accueil des mères et de
leurs enfants ainsi que l’ergonomie de
travail des professionnels a bénéficié
du soutien de nombreux partenaires
aux côtés de notre établissement : le
ministère de la Culture, au titre de la
commande publique, l’ensemble des
collectivités publiques ainsi que des
partenaires privés.
Nous mesurons aujourd’hui, après deux
ans de fonctionnement, l’amélioration
apportée à la prise en charge des mères
et de leur bébé mais nous observons
tout particulièrement l’impact positif de
l’aménagement réfléchi de ces espaces
sur l’organisation des équipes, l’intégration de nouveaux professionnels et la
formation des futurs étudiants.
Ce premier projet de taille a été l’occasion pour les hôpitaux universitaires de
Strasbourg, de tester d’autres modes
de gestion de projet et d’envisager différemment la collaboration entre les
différentes directions fonctionnelles
concernées. L’impact en terme d’amélioration de la qualité de l’accueil est
également valorisé par un large projet
de communication en direction du
grand public et du public professionnel par des reportages publiés dans des
revues destinées aux parents, la presse
locale, des revues d’art et d’architec84 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
ture, des revues hospitalières, etc. Un
film suivant le chantier et rythmé
d’interviews ainsi qu’une publication
servent également de supports pour de
nombreuses formations.
Suite à cette expérience réussie, la
Direction des hôpitaux universitaires
de Strasbourg, décide de mettre en
place ponctuellement des commandes
artistiques dans le cadre de projets de
restructuration ou de construction.
C’est le cas pour le nouvel hôpital civil
(hôpital civil) avec une commande
sur l’ensemble du bâtiment aux V8
designers (2010-2011), pour les futurs
services de neurologie de l’hôpital de
Hautepierre avec le collectif Pil (20102011), pour l’ouverture d’une unité
de soins palliatifs avec l’artiste Cécile
Holveck et le cabinet d’architecture
Fou du roi (2010-2011) et pour le futur
canceropôle qui prendra place sur le site
de Hautepierre dans quelques années.
Chacun de ces projets est une occasion de repenser les modes de travail,
tant au niveau du soin, de l’accueil du
patient et de ses proches qu’au niveau
des directions techniques. C’est aussi
l’occasion de nouer d’autres relations
avec les partenaires que sont l’ARS,
les collectivités et les entreprises avec
lesquels notre établissement travaille.
Nous avons eu le plaisir lors de la
signature de la nouvelle convention
Culture à l’hôpital ce printemps de voir
combien cette dimension de qualité
architecturale au service d’un projet
médical et soignant entrait désormais
dans les missions de ce programme qui
fête cette année ces 10 ans.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
Lieu de
recueillement
et de prière
pluriconfessionnel
de l’Institut
Paoli-Calmettes
Action Nouveaux Commanditaires de la
Fondation de France - 1997-2000, Marseille*
Michelangelo Pistoletto
Dominique Maraninchi
Artiste peintre et sculpteur
Directeur de l’Institut Paoli-Calmettes
Nicole Bellemin-Noël
Aumônier de l’Institut Paoli-Calmettes
L
e premier feu autour duquel se sont
réunis les êtres humains était le
centre de la société. La première pierre
qui a rassemblé les hommes autour d’elle
était à la fois sculpture et autel. La première personne qui a posé cette pierre au
centre du groupe et qui a gravé les parois
de la caverne était artiste et prophète.
Cet espace de recueillement se veut
aujourd’hui un lieu prophétique de l’art.
Michelangelo Pistoletto, 2000
À
l’origine de cet espace ? Le désir.
Désir que Monsieur Maraninchi,
directeur de l’Institut, de faire que la chapelle (catholique) devienne l’espace où
tous pourraient se retrouver sans que se
distinguent les appartenances confessionnelles (ou la non-appartenance). Désir
de créer un espace où chacun pourrait
trouver silence et sérénité, ressourcement
et paix intérieure. L’aumônier catholique
que je suis ne pouvait être qu’en accord
avec ce désir d’ouverture et de partage.
Pour passer de conviction au projet, la
réflexion a été ouverte à des amis porteurs de sensibilité différente. Petit à
petit, la réflexion a porté son fruit, et le
fruit est aujourd’hui devenu une fleur,
grâce à Michelangelo Pistoletto. L’accueil
qu’il a réservé à l’esprit du projet et à ses
exigences a été un atout décisif dans la
réalisation du lieu. Ce que quelques-uns
ont réussi à mettre ensemble en forme
est, pour tous, invitation à une fraternité renouvelée : celle que je découvre
*Article paru dans « (à) partir de Marseille. 65 projets d’art contemporain », Bureau des compétences et désirs.
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L A C R É AT I O N C O N T E M P O R A I N E E T L’ H Ô P I TA L
comme réalité intérieure au cours de
nombre de mes rencontres auprès de
patients de traditions différentes. Ici,
l’homme est au centre des combats de
chacun. Au cœur de sa souffrance, dans
son rapport à l’essentiel, dans sa quête,
l’individu rejoint encore et toujours le
cri de l’humanité entière en recherche
de sens. Ici, même si tout est fait pour
préserver de l’isolement, le chemin est
escarpé, difficile. Il est important que
chacun puisse trouver les signes qui le
mettent en communion avec sa tradition, avec ce que chacune d’elle comporte de richesse, de sens apporté sur le
chemin de vérité et de vie ; tout aussi
important, à mes yeux, que s’effectue
en même temps une relation entre tous,
entre tous ceux qui partagent les mêmes
expériences d’humanité, partagent les
mêmes interrogations.
sein de ce groupe prennent une part
active à l’animation spirituelle du lieu,
en lien avec les responsables des églises
locales.
Les religions, ici, peuvent se dire comme
accueil d’un mystère de l’existence, ce
mystère dont la réponse est propre à
chacun(e), et en même temps commune
à tous. Si l’histoire de l’homme en quête
de son humanité prend place dans un
temps linéraire (où chaque tradition
prend une place selon un ordre chronologique), c’est bien en son centre, d’où
vient symboliquement la Lumière, qu’elle
prendra son sens plénière, et que le temps
prendra sa dimension d’éternité.
Ce combat difficile invite
à la rencontre avec soimême, à une réflexion spirituelle, spécialement dans
les moments douloureux.
Croyants et agnostiques,
engagés ou non dans une
pratique confessionnelle,
tous vivent ces moments
de tension, d’incertitude,
de révolte parfois. Le
besoin de se retrouver, de
se recueillir, de méditer,
de prier pour certains, est
un recours naturel dans ces
moments de rencontre avec
les incertitudes de la vie et
de la mort.
Mon espoir est qu’en ce lieu que nous
avons conçu ensemble, chacun(e) puisse
trouver au cœur de l’espace qui est le
sien la porte qui le fera déboucher sur
un nouvel horizon. Mon espoir est qu’en
ce lieu, les religions, dans leur diversité,
poursuivent leur œuvre au service de
l’amour et de la fraternité. À Marseille,
ce désir a pris forme au sein d’un mouvement, Marseille-Espérance, qui les
réunit pour une démarche commune.
Consulté pour ce projet, il assurera le
parrainage du lieu. Je désire vivement
que les dignitaires religieux présents au
Nicole Bellemin-Noël, 2000
Le lieu de la rencontre
C
e projet et cette réalisation sont
issus de la nécessité « naturelle » de
considérer de façon globale et multidimensionnelle la maladie cancéreuse. Un
Institut de lutte contre le cancer est un
lieu où on lutte au quotidien pour comprendre, soigner et soulager : malades,
familles et amis sont engagés avec les
soignants et chercheurs dans ce même
combat. Ce combat est parsemé d’étapes
faites d’interrogations, d’espoirs, de succès, mais aussi de périodes d’abattement
et de tristesse.
L’Institut est un hôpital : cet hôpital
devait reconstruire sa chapelle. Dès ce
moment, la rencontre de la direction
avec un aumônier catholique hors du
commun – une femme, de plus – suscitait
une réflexion sur la création d’un espace,
d’un lieu dont l’organisation symbolique
inviterait à la médiation et autorise-
rait l’exercice des cultes des différentes
confessions. Ce lieu devait inviter à la
rencontre. Rencontre autour d’un engagement éthique, celui de ne pas exclure,
comme une nécessité d’entendre toutes
les formes de recueillement. Rencontre
autour d’un engagement déontologique,
celui d’intégrer, au-delà de la nécessaire
information du patient, son besoin de
réflexion autour de la maladie.
L’aumônier mobilisa un groupe de travail
qui conçut un avant-projet audacieux
et généreux dans sa démarche : il manquait un « cristalliseur ». L’appel du
groupe à la Fondation de France, qui
développait le programme des nouveaux
commanditaires, fut immédiatement
entendu : ce riche projet fut accompagné par Michelangelo Pistoletto qui,
associé à la Fondation, à son médiateur,
Sylvie Amar, et au groupe de commanditaires, a permis l’émergence d’un projet
architectural résumant et sublimant nos
attentes, répondant à leur besoin d’organisation et de représentation symbolique.
Aujourd’hui, nous ouvrons à l’Institut
un lieu appelé « de recueillement et de
prière », pour moi, espace de silence et
de réflexion.
Dominique Maraninchi, 2000
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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CAHIER D’EXPÉRIENCES
Rap la vie
Une résidence musicale à l’hôpital
Lieu d’être
Pâquerettes et Cie
Soigner les soignants
La mémoire des patients, l’image des soignants
Le Musée se découvre à l’hôpital
La découverte. Instantané, instants chorégraphiés
Devenir. Adolescences exposées
Contosa
L’art dans l’hôpital
Le Corps Transparent
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Rap la vie
Centre médical de rééducation pédiatrique
Romans-Ferrari, Miribel
2000-2006
Musique
« Rap la Vie » est un projet autour de la musique rap,
mené par AS’N Merzouki, fondateur du collectif Rap
NATI.K, au centre médical de rééducation pédiatrique
de Romans-Ferrari dans l’Ain.
Ce centre est agréé pour recevoir en soins de
réadaptation fonctionnelle des enfants et adolescents
de 0 à 18 ans. Ces patients, pour la plupart, ont été
victimes d’accidents graves de la voie publique, de
circulation ou domestiques.
Le projet « Rap la vie » avait pour but de fournir aux
adolescents volontaires une première approche de
l’écriture Rap et de ce qui l’accompagne (notion de
rimes, de rythme…). Organisé sous forme de séances
hebdomadaires pour une résidence de sept semaines, le
travail a été mené pour permettre à chaque apprentirappeur de pouvoir s’investir au gré de ses envies
et de ses capacités, dans une approche artistique et
pédagogique « à la carte ». En effet, si certains ont
préféré l’aspect littéraire, d’autres ont pu opter pour la
forme chantée de l’expression Rap.
Organisés de façon récurrente dans le cadre du Romans
d’Orphée, les ateliers « Rap la Vie » ont ainsi été
proposés à plus de 50 jeunes hospitalisés à Romans
entre 2000 et 2006.
Au cours des six années du projet, tous, le personnel du centre,
les patients participants et les artistes, ont caressé l’envie de
sortir un CD de facture totalement professionnelle, pressé
par une maison sérieuse, avec un digipack n’ayant rien à
envier aux productions Rap nationales. En 2007, ce projet se
concrétise avec la sortie nationale en avril 2007 au théâtre de
l’Allegro du CD « dé-Rap la Vie », fruit d’un énorme travail
réunissant les jeunes ayant participé aux ateliers « Rap la
vie » de 2000 à 2005, le compositeur Ahcène Merzouki et
le graphiste lyonnais Patrick Lefebvre.
Le CD est bien plus qu’un disque audio, il est une véritable
mémoire de l’établissement, par son illustration : photographies
de l’Atelier Camera Obscura, mais aussi et surtout par ces
textes, témoins d’une époque.
Par ailleurs, cette réalisation aura permis la mise en place de
projets de suite, impliquant d’anciens patients de Romans.
Il est en effet particulièrement précieux de pouvoir garder
des liens avec les anciens patients. Ainsi, plus de 25 jeunes
adultes, anciens patients du centre, sont revenus pour chanter,
se souvenir, passer leur message… ce lien existe toujours, il
a donné vie à un nouveau projet initié en 2007 : « dé-Rap la
Vie », et qui continue encore en 2010.
Il s’agit de valoriser le travail des patients après leur séjour à
l’hôpital et surtout de tenir là le prétexte à la conservation des
liens. L’accompagnement des vocations initiées à Romans est
aussi un enjeu capital, dans l’optique d’un travail artistique
sincère. Ces anciens patients continuent pour beaucoup le
travail d’écriture, certains ont même créé leur collectif Rap !
Ils sont donc désormais en contact permanent avec la saison
et peuvent participer à des projets de diffusion de leurs œuvres.
Contact :
Centre médical de rééducation pédiatrique Romans-Ferrari
Tél. : 04 74 45 77 45 - Fax : 04 74 45 77 98
Mail : [email protected]
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Une résidence musicale à l’hôpital
Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc, Lyon
2008-2010
Musique
acteurs du milieu hospitalier afin que la présence musicale
soit pertinente au regard du travail particulier de l’hôpital et
du quotidien des patients qui s’y trouvent soignés.
Cette résidence propose un après-midi par mois une
intervention musicale à huis clos dans les services de soins,
suivie d’un concert ouvert à tous dans les espaces publics du
centre hospitalier.
Le thème du concours international de musique de chambre
de Lyon donne chaque année le ton de la résidence : en 2008,
quintette à vent, en 2009, quatuor à cordes, en 2011, trio
piano, violon, violoncelle. Les concerts et les interventions
dans les services de soins sont renforcés pendant la période du
concours. Du 19 au 21 avril 2011, des étudiants chambristes
(cordes et piano) de 3e cycle des conservatoires régionaux de
Lyon, Saint-Etienne et Villeurbanne se produiront ainsi au
Centre Hospitalier Saint-Joseph Sainte-Luce.
De puis le 11 mars 2008, les organisateurs du concours
international de musique de chambre de Lyon (CIMCL),
l’Auditorium-Orchestre national de Lyon, le département
Musique et Musicologie de l’Université Lumière Lyon 2 et
l’association Papageno animent de concert une résidence
musicale au centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc.
L’Opéra de Lyon a rejoint le projet en octobre 2008 afin
de s’engager dans cette démarche d’ouverture aux côtés des
autres partenaires.
L’un des enjeux de cette synergie est de développer des
collaborations entre les institutions musicales, culturelles
et d’établir des passerelles avec le milieu hospitalier par la
pratique culturelle. Le projet répond au désir marqué de
programmer des événements culturels réguliers en milieu
hospitalier et d’établir un habitus de la pratique musicale à
l’hôpital. Il a été développé en étroite collaboration avec les
90 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
Contact :
Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc, Lyon
Julie Montagnon, chargée de projets culturels
Tél. : 04 78 61 86 50
Mail : [email protected]
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Lieu d’être
Clinique Iris/Projet Culture à l’Hôpital 2010
Danse
La clinique Iris s’est inscrite en 2010 dans la
démarche « culture à l’hôpital » en accueillant un
projet chorégraphique, « Lieu d’être », en partenariat
avec la Maison de la Danse et la compagnie Acte,
menée par la chorégraphe Annick Charlot.
L’enjeu était de rapprocher patients et personnels
autour d’un projet artistique décliné sur plusieurs
sites, tout en proposant une ouverture sensible sur
l’univers de la danse contemporaine.
La présence des artistes a permis à tous de les observer, de
les rencontrer, de se distraire, d’échanger au fil de séances de
travail à vue et de cafés-dansés. Des ateliers d’écritures ont
permis aux patients une expression ludique et poétique autour
de ces journées. Une artiste peintre a également présenté une
série de tableaux sur le thème de la danse.
Les patients ont ensuite été invités à découvrir la création
qu’ils ont vu naître lors de huit représentations données pour
la Biennale de la danse de Lyon en septembre 2010.
Le projet a débuté en mars 2010 en accueillant les danseurs
de la compagnie Acte successivement sur les trois sites de
la clinique pour des incartades dansées dans les couloirs,
les salles de rééducation, les chambres, le restaurant, le
jardin… des moments de dialogues impromptus et de partage
avec les patients, le personnel, les familles, ainsi que de
vidéoconférences dans les salons des établissements.
Aux mois de mai et de juin, les danseurs sont revenus en
résidence sur les sites pour créer et répéter en vue de la
nouvelle création de la compagnie Acte, « Lieu d’être »,
Manifeste chorégraphique pour les grands ensembles, les cités
populaires et utopiques. À la fois œuvre chorégraphique et
résidence participative in situ, « Lieu d’être » est un projet
artistique singulier créé pour être adapté dans des lieux
d’habitat collectif avec les personnes qui y vivent et dans
le projet d’offrir à tout un chacun la possibilité d’assister
et de participer à la fabrication d’un spectacle singulier en
chaque lieu.
Contact :
Clinique Iris
Corinne Klein, chargée du projet
[email protected]
Des images et des vidéos de Lieu d’être sur
www.compagnie-acte.fr
Pâquerettes et Cie
Centre hospitalier spécialisé de Savoie, Bassens
Octobre 2006 - juin 2007
Théâtre
Le CHS de la Savoie et la Cie de théâtre les Yeux Gourmands,
hébergée sur le site de l’hôpital, en lien avec de nombreux
partenaires ont mis en place un projet intitulé « Pâquerettes
et Cie » d’octobre 2006 à juin 2007.
Il s’agissait ici de prolonger une initiative menée en 2006 par la
compagnie de théâtre « Les Yeux Gourmands » sur le ramassage
des pâquerettes, petites fleurs éphémères qui tapissent le parc
de l’hôpital en période printanière. L’originalité de cette année
culturelle a été la constitution d’une chorale intersectorielle
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
91
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
réunissant des patients au long cours, d’origine et d’horizon
différents.
Un temps fort d’une semaine permit, malgré la pluie, de
réunir la quinzaine d’ateliers artistiques impliqués dans le
projet (écriture, chants, arts plastiques…). Le personnage
« ramasseuse-cueilleuse », accompagné d’instrumentistes, partit
à la découverte des promeneurs, des pavillons et des flâneurs.
Ce fut l’occasion de rencontres, souvent intimistes, entre ce
mystérieux personnage et des patients fragilisés. L’ouverture
du parc au public se fit dans le cadre des « Rendez-vous aux
Jardins ».
Un DVD a été réalisé par les étudiants de l’ENAAI. Il retrace
cette semaine de rencontres insolites entre Ana Sansai,
les patients, les scolaires et le public venant à l’hôpital.
Cette expérience artistique a été riche pour les patients, les
soignants et un public élargi, comme le montre le film.
Contact :
CHS de Bassens - Anne-Gaëlle Lassaut
Déléguée communication culture
BP 1126 - 73011 Chambéry Cedex
Mail : [email protected]
04 79 60 51 65
Soigner les soignants
CHR Metz-Thionville,
acteur de la Nuit Blanche à Metz
Pour sa seconde édition, le 2 octobre 2009, la Nuit BlancheMetz a proposé aux noctambules un parcours inédit de
2,2 kilomètres reliant l’ancienne à la nouvelle ville. Avenues,
boulevards, places, façades, lycées, hôpital, institutions
culturelles et politiques ont accueilli plus de 70 événements
plastiques, musicaux, vidéos, et chorégraphiques. La Ville de
Metz a offert une promenade continue où les noctambules ont
pu être séduits par des événements contemporains. Découvrir
Metz autrement grâce à cette immense scène dédiée à la
création contemporaine.
Le CHR Metz-Thionville a été un véritable acteur dans la
programmation, une première pour la Ville et l’établissement.
Un artiste a été accueilli en résidence à l’hôpital BonSecours d’août à septembre 2009. L’artiste, Philippe Zunino,
a rencontré le personnel qui le souhaitait, a visité les services
afin de réaliser huit courts métrages, création collective et
originale, combinant visuel et bande sonore : « Soigner les
soignants » en disposant des « placebos artistiques ».
Le choix de l’artiste s’est posé sur :
92 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
- Les équipes de nuit… pour les ambiances sonores et
particulières
- L’onco-esthéticienne… pour l’image des corps, des visages
- L’équipe de soins palliatifs… pour le ton juste, les regards,
face à la fin de vie
- Le personnel de bloc opératoire… pour l’image
technologique et peu connue et visible du grand public
- Les kinésithérapeutes et les brancardiers… pour la prise en
charge du corps meurtri et pour le transport des malades
- Les convoyeurs… pour l’arrivée des repas dans les chambres
des malades
- Les pharmaciens et préparateurs en pharmacie… pour
l’effet « placebo » artistique
- Les secrétaires en pédiatrie… pour les échanges, l’accueil
d’un aspect administratif.
Ces films ont été diffusés lors de la Nuit Blanche sur des
bornes collectives et écran devant l’hôpital Bon-Secours afin
d’appréhender l’hôpital sous un autre regard.
Ouvrir les portes de l’hôpital sous un angle artistique montre
l’importance de la culture à l’hôpital et de l’ouverture de l’hôpital
vers la ville. Cette édition de la Nuit Blanche a connu un vif
succès auprès de la population de l’agglomération messine.
La mémoire des patients,
l’image des soignants
Une exposition de Stanislas Amand autour des archives
photographiques et de la reconstruction de l’hôpital de
Chambéry
Le centre hospitalier de Chambéry s’est engagé depuis 2009
dans le projet de construction d’un nouvel hôpital pour
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
remplacer l’actuel bâtiment Jacques-Dorstter (abritant les
activités de médecine chirurgie obstétrique). Le financement
de ce projet s’inscrit dans le cadre du Plan Hôpital 2012. Les
travaux débutent en 2011 avec, dans un premier temps, la
démolition de l’ancienne maternité et de la clinique St-Joseph,
et s’échelonneront jusqu’à 2015 pour la mise en service du
nouvel hôpital. Les activités MCO seront regroupées sur le
site principal en liaison avec les bâtiments existants (Eveillon,
Tétras) pour recomposer un site homogène et fonctionnel en
plein centre de Chambéry.
Dans le cadre de son programme culturel, et en partenariat
avec la Cité des arts, le centre hospitalier de Chambéry a
mis en place une résidence d’artiste autour de la mémoire
photographique de l’établissement. Nous avons demandé à
Stanislas Amand de revisiter les archives photographiques dans
ce contexte de démolition et de reconstruction architecturale.
Les archives photographiques aident à passer d’un lieu à
un autre en se souvenant collectivement de l’histoire de
l’architecture détruite, en essayant de la sauvegarder dans
l’architecture nouvelle. Les photographies du personnel, des
patients ainsi que les photographies des lieux nous disent
comment ceux qui nous ont précédés envisageaient leurs
relations mutuelles, dans un contexte architectural précis.
Elles révèlent aussi la fragilité de la mémoire qui n’est pas ce
que l’on a vécu, qui n’est pas ce dont on se souvient, mais
comment on s’en souvient au moment où on les regarde.
Stanislas Amand est diplômé
en urbanisme, ancien élève de
l’école nationale supérieure
de la photographie et ancien
pensionnaire de la Villa
Medicis à Rome. Il développe depuis cinq ans un travail sur les images d’archives
ainsi qu’une correspondance
imaginaire, associant textes
et images, ayant pour destinataire une galeriste, quelquefois
un urbaniste ou un politique,
aujourd’hui potentiellement
un médecin. Le photographeécrivain a débuté ce travail
en juillet 2010, avec une
première phase de recherche
et de collecte d’images (de
diverses origines : fonds photos de l’hôpital, archives des
sœurs du Couvent de la Charité,
photos d’anciens membres du personnel). Très vite, il a décidé
d’ouvrir la collecte initialement photographique, aux objets
de l’hôpital (en particulier certain mobilier de l’ancienne
maternité). À la suite des Lettres à une galeriste, un nouveau
projet intitulé Lettres à un médecin, initié aux hôpitaux
universitaires de Genève s’est aussi développé lors de cette
résidence à l’hôpital. Ces correspondances oscillent entre
légendes, récits de ce que l’artiste a vécu à Chambéry, et
réflexions tous azimuts, ouvrant sur des champs très variés.
Le fruit de ce travail a été présenté en janvier 2011 au cours
d’une exposition mêlant objets, photographies, et textes
se déployant sur trois sites : l’hôpital, la Cité des arts et les
colonnes Morris de la ville.
Ce projet a permis d’initier un cycle de résidences artistiques
et d’expositions à l’hôpital qui va se poursuivre jusqu’à la mise
en service du nouvel établissement.
Contact :
Thomas Micoulet, chargé de projets culturels
[email protected]
04 79 96 50 08
En partenariat avec la Cité des arts et la Ville de Chambéry.
Avec le concours de JC Decaux
Avec le soutien : du ministère de la Culture et de la Communication –
DRAC Rhône-Alpes, de l’Agence régionale de santé Rhône-Alpes et de la
Région Rhône-Alpes, dans le cadre du programme régional « Culture et
Hôpital » ; du Conseil général de Savoie, de Chambéry Métropole.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Le Musée
se découvre à l’hôpital
Anne Riou, Attachée culturelle, CHU d’Angers
La découverte de la collection du musée des Beaux-Arts
et du musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine
d’Angers par les patients du CHU d’Angers
La découverte de la collection du musée des Beaux-Arts et du
musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers
par les patients du CHU d’Angers.
Reproduction du diptyque Empreintes de pinceau n° 50 répétées à
intervalles réguliers de 30 cm de Niele Toroni (Reproduction 1937),
présentée dans un couloir de l’unité d’hospitalisation de semaine du
département d’Endocrinologie Diabètes Nutrition
© Cellule Audiovisuelle – CHU Angers
personnes hospitalisées en hospitalisation conventionnelle et
hospitalisation de semaine, consultants, personnel hospitalier
et visiteurs et accompagnateurs, soit près de 12 000 personnes
par an.
Comité de sélection du département Endocrinologie Diabètes Nutrition
en visite au musée des beaux-Arts
© Service culturel des publics du musée d’Angers
Les musées d’Angers réunissent cinq musées d’art dont la
diversité des collections – peintures, sculptures, objets d’art,
tapisserie, art textile, antiquités… – témoigne de la richesse
artistique de la ville et participe à son rayonnement. Hébergés
dans des lieux patrimoniaux uniques, les musées d’Angers
accueillent tout au long de l’année des expositions temporaires
qui mettent en lumière artistes contemporains et expositions
patrimoniales. Une programmation culturelle riche et variée
(conférences, spectacle vivant, danse, animations pour les
enfants…) propose un autre regard sur le musée qui favorise
la croisée des arts et facilite la rencontre avec les œuvres.
Le partenariat entre les Musées et le CHU d’Angers existe
depuis novembre 2007, grâce à un accrochage de reproductions
d’œuvres du musée, et perdure encore aujourd’hui à l’aide de
visites organisées au musée Jean-Lurçat pour les personnes
hospitalisées dans le département d’endocrinologie – diabètes
– nutrition (Pr Rohmer). Le public concerné est constitué de
94 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
« Le musée se découvre à l’hôpital » est une action unique
en France, menée par le service culturel pour les publics
des musées, le département d’endocrinologie, diabètes et
Nutrition et le service des actions culturelles du CHU. Les
deux établissements (CHU et Musées) se sont retrouvés autour
d’objectifs convergents : « favoriser l’accès à l’art pour un large
public » et « améliorer l’environnement des usagers du CHU
à travers un projet culturel ». Le dénominateur commun de
ce partenariat est la personne hospitalisée devenant un même
jour patient et visiteur.
Cette action a consisté en l’accrochage de 96 reproductions
d’œuvres des musées d’Angers dans les espaces d’accueil, les
couloirs des unités, les offices et les chambres des patients du
département de soins. Ces installations proposent aux usagers
et aux hospitaliers un parcours dans l’art, tout en restant dans
un environnement de soins.
Les œuvres ont été sélectionnées par des membres du
département d’endocrinologie-diabètes-nutrition (médecins,
infirmières, aides-soignantes, secrétaires…), qui se sont
déplacés au musée des Beaux-Arts pour découvrir la collection.
À l’aide d’un livret-catalogue, le patient peut découvrir de
façon autonome les œuvres présentées et leur histoire. Et,
quand le temps le permet, le personnel devient médiateur
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
entre le patient et l’œuvre, apportant quelques explications
sur le projet et les peintures. Tous les voyages sont permis,
de l’art contemporain aux natures mortes du XVIIe siècle, des
paysages italiens aux bords de mer de l’Atlantique… Une fois
l’hospitalisation terminée, il suffit de traverser la Maine pour
découvrir les œuvres originales.
Pour le service de soin, la présence de reproductions d’œuvres
d’art est un déclencheur permettant la discussion et l’échange
autour et sur les peintures et sculptures et de dépasser ainsi les
rôles soignants/soignés. C’est une échappatoire au quotidien
hospitalier permettant de s’ouvrir sur le monde et de s’évader :
l’œuvre devient cette fameuse fenêtre ouverte sur le monde,
un ailleurs au-delà de l’hôpital.
Ce sont plus de 12 000 personnes par an qui découvrent les
reproductions d’œuvres d’art présentées dans le service.
Un partenariat sur la durée :
Depuis l’installation des reproductions dans les services, les
musées d’Angers proposent aux patients en hospitalisation
de semaine dans le département de soins de suite et de
soins de longue durée une visite du musée Jean-Lurçat et
de la Tapisserie Contemporaine. Le musée, situé à 500 m du
CHU, est accessible à pied. Cette distance courte permet aux
personnes atteintes de diabète de type 1 et 2 et d’obésité de
réaliser une activité physique tout en découvrant des œuvres
d’art originales dans un site exceptionnel. Ou comment allier
plaisir et nécessité.
Un tel projet invite à inventer, à créer une dynamique où
chaque structure reste à sa place, dans son territoire, tout
en créant de l’inédit, de la nouveauté qui, même si elle peut
déstabiliser, est fédérateur.
Partenaires :
Ce projet a été conduit par les musées et le CHU d’Angers,
grâce au précieux soutien de la Direction régionale des affaires
culturelles des Pays de la Loire, la Caisse d’Épargne des Pays
de la Loire, l’institut Lilly et l’association Entr’Art.
Témoignage concernant les visites au musée Jean-Lurçat
et de la Tapisserie contemporaine de Jeanne B., infirmière
thérapeutique
La majorité des patients ne connaissent pas les œuvres présentées
dans le service ni le musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie
contemporaine, ils se rendent compte que l’on peut aller au musée
de façon très simple.
L’action « le musée se découvre à l’hôpital » améliore la qualité
de la relation soignant/soigné. Durant les visites au musée Jean
Lurçat et de la Tapisserie contemporaine, le soignant n’est plus
celui qui sait, en se disant qu’il va montrer comment il faut faire au
patient. Le soignant est avec le patient, il fait avec lui et fait comme
lui. C’est très riche (…) Ce projet est fédérateur de discussions.
Cela crée des liens et ce sont des liens qui sont indispensables pour
pouvoir soigner. C’est une expérience très riche pour moi car je
fais de l’éducation thérapeutique et ici, j’apprends à connaître
autrement les patients, on a alors une expérience commune. On
peut en reparler pour arriver vraiment aux soins.
La découverte.
Instantané, instants chorégraphiés
CHU de Grenoble - 2009-2010
Danse
« Commencer une discussion avec François Veyrunes, c’est
arriver au milieu d’une phrase en train de se construire. Assister
à un spectacle du chorégraphe et de sa Compagnie 47•49,
c’est avoir le sentiment d’être à bord d’un train qui suit son
chemin et d’attendre une surprise différente à chaque gare… À
la manière d’un cinéaste, François définit son cadre et choisit
ses plans, comme pour nous dire : ce que je vous montre est un
choix, le mien ; à vous spectateurs de poursuivre votre travail
en imaginant ce qui se joue hors cadre, dans cet espace et dans
le temps. » P. Lecarme - Janvier 2008.
Visite d’un groupe de patients du département d’endocrinologie - diabètes nutrition au musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine
© Mathieu Delallle
À travers chacune de ses propositions chorégraphiques,
François Veyrunes s’acharne à débusquer et rendre lisibles les
forces de vie à l’œuvre dans les relations humaines : comment
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
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95
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
au cœur du sujet ce travail ne peut laisser insensible. Chaque
répétition, chaque spectacle in situ se révèle comme une
formidable opportunité d’une rencontre improbable entre
artistes, patients, professionnels et usagers de l’hôpital. Il
suffit alors de se laissait surprendre pour partager ensemble
des propositions artistiques sensibles et poétiques mettant en
jeu le langage du corps. François Veyrunes interviendra une
nouvelle fois en novembre 2011 dans le cadre de l’achèvement
des travaux de l’Hôpital couple enfant ave l’ouverture au
public d’un grand hall d’accueil
faire apparaître ces énergies avec le langage du corps et les
fondamentaux de la danse (temps, espace, musicalité, rythme,
poids…) ? Il choisit de chorégraphier l’effet plutôt que faire la
démonstration des causes. Cela le conduit à écrire une danse
qui donne à voir l’être et non le paraître. Une danse radicale
et directe, simple et dépouillée, sans esbroufe ni pathos ou
sensiblerie, mais sensible, drôle et parfois cocasse.
Depuis novembre 2009, la Compagnie 47*49 - François
Veyrunes, s’est déjà installée à trois reprises pendant trois
jours consécutifs dans les différents espaces publics du CHU
de Grenoble (hôpital couple-enfant, Hôpital Sud, hôpital
Michallon). Lieux de passage, lieux d’attentes… les espaces
publics de l’hôpital connaissent une forte fréquentation.
Personnels, patients, visiteurs… tous se croisent ici. En
œuvrant in situ, François Veyrunes nous aide à porter un
autre regard sur un espace particulier. À chaque intervention
Philippes Veyrunes son frère, plasticien-éclairagiste, intervient
en amont et modifie la couleur de l’éclairage de l’espace. Cette
transformation permet de mieux guider le public vers l’action
artistique. Éclairage transformé, espace modifié, le public est
ainsi confronté directement au travail corporel accompli par
les danseurs. À l’hôpital, lieu où le corps est plus que jamais
Contact :
Sylvie Bretagnon - Chargée des affaires culturelles
CHU de Grenoble
Courriel : [email protected]
Devenir.
Adolescences exposées
CH Le Vinatier - La Ferme du Vinatier, Bron
2005-2006
Exposition de société
Au cours de la saison 2005-2006,
la Ferme du Vinatier a élaboré
et diffusé une programmation
culturelle et scientifique autour
de la figure contemporaine de
l’adolescence, pure construction
sociale qui concerne désormais une
large population (les 12-25 ans).
Les comportements excessifs et
les pratiques propres à cette classe
d’âge suscitent des sentiments contradictoires et capte toutes
les attentions, qu’elles soient médiatiques ou politiques.
Dès lors, l’adolescence permet d’explorer conjointement
des phénomènes de société, des pratiques culturelles et la
psychiatrie.
L’exposition de société « Devenir – Adolescences exposées »
constituait la composante majeure de ce projet. Plus de
3 000 visiteurs ont découvert ou (re)parcouru ce chemin
chaotique de l’adolescence où s’acquièrent des repères de
socialisation et où s’affirme une identité encore fragile, état
singulier dont le principal témoin est le corps, la relation
qu’entretient l’adolescent ou la société et les médias avec celuici. Du point de vue du lieu de soins, on s’est interrogé aussi
sur des menaces qui pèsent sur les adolescents et peuvent les
amener à « dépasser les bornes », donc à sortir de la culture, et
96 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel Lyon 8e, Centre Romans
Ferrari, CNC Images de la Culture, Télé Suisse Romande, Arrêt sur
images (France 5), Association ACFDJ, musée AP-HP.
Avec la participation de :
Revue « Adolescence », « Sciences de l’Homme » et « Santé
mentale », éditions « La maison d’à côté »
Avec le soutien :
Du ministère de la Culture et de la communication-Drac RhôneAlpes, de l’Agence régionale de l’hospitalisation Rhône-Alpes, de la
Région Rhône-Alpes, du Département du Rhône.
Contact :
Isabelle Begou - Chef de projet
Mail : [email protected]
Contosa
Orcet - Château d’Angeville - Helios (CPA), plateau
d’Hauteville-Lompnes 2009
Vidéo - conte
Dispositif original d’interactivité entre un conteur et des
projections de films (les visages des patients) sur masques,
à se retrouver seuls avec
une souffrance qui n’a
de sens pour personne,
pas même pour eux.
De fait, il convenait
d’expliquer à tous les
publics les pathologies
ou les actes pathologiques spécifiquement liés à l’adolescence (suicide, anorexie,
automutilation…), ainsi que les moyens de leur prévention.
Plus stimulante que didactique, plus foisonnante que
démonstrative, l’exposition « Devenir – Adolescences
exposées » a rappelé que l’adolescence n’est en aucun cas
une maladie mentale et a souligné les correspondances
entre les rituels traditionnels, les pratiques culturelles et les
manifestations psychopathologiques.
« Devenir – Adolescences exposées », du 18 octobre 2005 au
13 juillet 2006, exposition conçue, réalisée et diffusée par la Ferme
du Vinatier – CH Le Vinatier
Avec la collaboration de :
Muséum du Rhône, Centre familial de Jeunes de Vitry, Centre Jean
Abadie (Bordeaux), Ville de Villeurbanne – Service hygiène et santé
publique, ADES du Rhône (Association Départementale d’Éducation
pour la Santé), Département d’hospitalisation pour adolescents
Hubert Flavigny (CH Le Vinatier, Bron), Unité d’hospitalisation
pour adolescents Ulysse (hôpital St Jean de Dieu, Lyon), Centre
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
97
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
L’art dans l’hôpital
3 bis f - Lieu d’arts contemporains, Résidences de
création et de recherche
Contosa est un projet culturel réparti sur trois établissements
d’Hauteville Lompnes : Orcet, Angeville, Helios (CPA) et à
Bourg-en-Bresse, avec le service DAT du CPA.
Ce projet a été l’occasion pour plus d’une centaine d’adultes
hospitalisés à Hauteville et au Centre Psychothérapique de
l’Ain à Bourg-en-Bresse, de participer à l’aventure d’une
création culturelle.
La troupe de l’Enelle (Lamine Diagne, musicien et conteur,
et Éric Massua, musicien et vidéaste) a accueilli dans la salle
des Fêtes d’Hauteville les patients pour créer un conte joué,
filmé et projeté sur de grands masques au milieu du public,
en interaction avec les acteurs sur scène. Comme au cours
des 8 sessions, étalés sur 8 mois, les patients étaient presque
tous différents, il y a eu un passage de « flambeau » : le conte a
été joué aux nouveaux venus, et les participants, chaque jour
pendant les 8 semaines, ont participé à des ateliers d’expression
théâtrale, puis à des « rondes de contes » pour petit à petit
continuer la trame du conte ; chaque épisode retenu a été filmé.
La création a été jouée au musée du Bugey-Valromey, dans
le cadre de la nuit de la Chauve-Souris et au Festival de
l’Éphémère à Hauteville.
Un DVD a été gravé pour chaque patient, rassemblant les
trois spectacles et le making off.
Contact :
Pierre-François Grimal, infirmier
[email protected] - 04 74 40 42 00
98 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
Petite Histoire du 3 bis f
Lieu d’arts contemporains atypique, le 3 bis f est situé dans les
murs de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence.
Le 3 bis f était un lieu d‘hospitalisation fermé, un pavillon de
force - lieu d’enfermement - pour femmes (d’où le “f”). Le 3 bis
f dans sa spécificité de structure dédiée aux arts contemporains
privilégie le long terme en tenant à ses choix de créations
contemporaines. L’ancien pavillon de contention pour femmes,
est devenu lieu de circulation, [il est parcouru d’un long couloir
pan acoustique (qui permettait la surveillance auditive)] et de
création en se dotant d’une résidence où peuvent séjourner
plasticiens comédiens et danseurs invités à travailler pour des
durées variant de quelques semaines à deux ans.
Une grande part de l’originalité de ce projet naît de la
confrontation et du mélange des univers d’artistes, de patients,
de professionnels de l’art, de personnel médical, de travailleurs
sociaux et du public.
Par sa programmation singulière, le 3 bis f cherche à ouvrir de
nouveaux territoires d’exploration aux arts visuels, au théâtre,
à la danse, et ainsi faire se confronter des questions concernant
la folie, la culture et l’art.
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Donner accès à tous afin que chacun participe à la
richesse du maillage
Le 3 bis f, au travers de ses résidences, ateliers, et
programmation articule le couple fragile « art et société »
en luttant contre les inégalités d’accès à la culture (maladie,
handicap, ruptures sociales…). Il réunit des professionnels et
futurs professionnels en matière d’art, des métiers de la culture,
des métiers de la santé, pour poser un regard sur l’existant et
imaginer de nouvelles façons de fonctionner, de nouer des
relations, de développer des projets.
Le 3 bis f tisse alors des chaînes de savoirs, de rencontres,
par lesquelles se transmettent de nouveaux outils de pensée,
de diffusion artistique et où se construisent de nouvelles
circulations de l’art. Ces expériences originales mettent aussi
l’accent sur l’importance du développement d’une « culture de
proximité ». Il inclut ainsi en particulier, la participation, la
création et l’implication personnelle de ceux souvent exclus
de ce genre de dispositif.
Articulation du projet avec les institutions et les structures
extérieures
Une convention entre l’hôpital et l’association Entr’Acte*,
gestionnaire du 3 bis f, assure depuis 1983 de façon continue
un soutien fort (espaces, fluides, personnel soignant mis à
disposition), tout en favorisant un projet artistique spécifique,
sans exigence médicale. Cette stabilité du projet a ainsi
favorisé l’apport des autres collectivités territoriales par la
signature de conventions avec le Conseil Régional Provence
Alpes Côte d’Azur, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône,
la Direction Régionale des Affaires Culturelles, l’Agence
Régionale d’Hospitalisation, la Ville D’Aix-en-Provence,
la Communauté du Pays d’Aix aussi bien en matière de
création artistique, que d’actions culturelles, reconnaissant
le pont tendu entre les publics, les terrains, et les démarches
artistiques.
Le 3 bis f est membre de l’association française de
développement des centres d’art qui contribue à mettre
en réseau et à fédérer les centres d’art en France avec leurs
différences de statuts et de programmations http://www.dcaart.com en matière d’arts visuels.
Par ailleurs, le 3 bis f reçoit des stagiaires de toutes disciplines
et sert de support à des recherches universitaire que ce soit
en matière de santé, d’art, de médiation…
Travaillant en lien avec l’évolution des conditions de
production et de recherche de la création contemporaine, il
développe des partenariats avec des structures et des projets
dans la région et hors région, favorisant des co-productions
et la diffusion des œuvres et ainsi ouvrant l’hôpital vers
l’extérieur, et vice versa.
Un outil de diffusion artistique public
Les projets portés par le 3 bis f proposent de faire l’expérience
de la création à travers l’ouverture et l’expérience artistique,
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
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CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Chacun trouve une place au sein du collectif
qui se met en place et s’inscrit dans « une
histoire » commune.
L’art de notre époque a plus de possibilités
pour rendre compte de la complexité de
notre monde, mais aussi des recherches,
tâtonnements d’écriture de l’avenir.
Dans ce temps et cet espace unifié (résidences
à l’année, durée d’un projet), les artistes
travaillent avec des conceptions, des
formalisations, des perceptions de l’espace
différentes : espace social, espace individuel,
espace de « transgression ». Ils forment des
groupes de recherche parfois des « collectifs
de création » avec tous les publics du 3 bis
f. L’hôpital psychiatrique, lieu d’ancrage,
nourrit et teinte ces recherches.
initiée par le questionnement de l’artiste et vouée à être
partagée par tous.
Ses résidences de création artistique contemporaine accueillent
des artistes jeunes et des artistes confirmés dans les domaines
artistiques divers.
Terrain de recherche et d’expérimentation artistique et
culturel, il travaille à sensibiliser les publics via des ouvertures
sur les projets de création, des médiations, des rencontres
autour et à travers des ateliers de pratiques artistiques
(workshops), des créations ouvertes, des expositions, des
conférences.
Ce lieu d’expérimentation artistique et de professionnalisation
des artistes, nécessite la présence d’une équipe permanente,
au sein d’un hôpital psychiatrique en activité, et offre la
possibilité de recevoir des publics différents et d’opérer un
brassage des curiosités et des recherches.
Les artistes en résidence de création ont choisi un mode
d’ouverture de leur démarche artistique. Ils cherchent à
expérimenter, échanger, rencontrer, mais aussi apprendre
des autres. L’enjeu est de faire l’art avec tous et de travailler
à la disparition des champs d’exclusion, celui de la maladie
mentale notamment par la médiation de la pratique artistique
proposée directement par les artistes et à l’intention des
personnes hospitalisées comme du public de la cité.
100 - REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX - N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
La création artistique s’inscrit, en effet,
nécessairement en lien avec la réalité de
l’hospitalisation. Celle-ci impacte directement
et indirectement les conditions de la
réalisation de l’œuvre et implique la possible
transformation des rapports entre l’intérieur et
l’extérieur de l’hôpital. Cependant chaque démarche et œuvre
créée conservent son identité et son originalité.
Contact :
Sylvie Gerbault, Directrice 3 bis f
[email protected]
CA H I E R S D ’ E X P É R I E N C E S
Le Corps Transparent
L’imagerie médicale ou l’obscure transparence du corps Novembre 2008
Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille
Des créations artistiques
Des cartes blanches données à des artistes régionaux (danse
contemporaine, théâtre, musique) qui ont réalisé des créations
artistiques en lien avec la thématique et diffusées sur le plateau
du théâtre Le Merlan et à l’Espace Éthique Méditerranéen.
Les artistes ayant proposé ces créations originales étaient : Marion
Baë, François Cervantes - Compagnie l’Entreprise, Erik M.
L’exploration du corps est au cœur des préoccupations
médicales, scientifiques, artistiques et sociétales.
Depuis quelques décennies, les techniques d’imageries
médicales se sont profondément améliorées et diversifiées,
révolutionnant notre rapport au corps, les pratiques de soins
et la prise en charge des patients.
Des organes, autrefois inaccessibles, peuvent aujourd’hui
être explorés et rendus visibles par de nombreuses approches.
Désormais, l’imagerie médicale permet d’avoir une démarche
pronostique voire prédictive.
Comment ces nouvelles images, dont la vocation première est
médicale, viennent-elles bouleverser
nos représentations et la perception
que nous nous faisons de notre corps ?
La manifestation « Le corps transparent », qui s’est déroulée en
novembre 2008, a tenté de questionner cette problématique, au travers
d’une programmation culturelle,
artistique et scientifique en proposant
une réflexion transversale et pluridisciplinaire sur l’imagerie médicale.
Pour concevoir et mettre en œuvre ce projet, l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Marseille a travaillé avec un équipement
culturel du territoire emblématique : Le Merlan Scène
Nationale à Marseille. En interne, différents services ont été
réunis autour de cette action : l’Espace Éthique Méditerranéen,
le pôle imagerie médicale et le service des affaires culturelles
permettant ainsi de susciter des réflexions transversales au
sein de l’Institution.
Des rencontres pluridisciplinaires
Elles ont réuni des médecins, chercheurs, anthropologues,
artistes, philosophes autour de tables rondes sur des
thématiques telles que les enjeux éthiques de l’image du corps,
la transparence du corps à la découverte du fœtus en gestation :
réflexion sur l’échographie prénatale… Ces rencontres,
ouvertes au grand public, se sont déroulées à l’Espace Éthique
Méditerranéen et à la Bibliothèque Municipale à Vocation
Régionale de Marseille.
Une programmation cinématographique
Le Festival International du Documentaire de Marseille a élaboré
une programmation cinématographique proposée au grand public
dans un cinéma d’art et d’essai de la Ville « Les Variétés ».
Pour conserver une trace de cette manifestation, un numéro
spécial de la revue de l’Espace Éthique Méditerranéen a été
consacré à cet événement en 2009, donnant la parole aux acteurs
scientifiques, médicaux, artistiques impliqués dans ce projet.
Favoriser l’information et la sensibilisation du public à l’évolution des technologies de l’imagerie médicale, aux questions
éthiques, médicales, sociétales, culturelles et artistiques qu’elles soulèvent
et aux impacts que ces technologies
sur la relation que chacun entretient
avec son corps ; tels ont été les objectifs
du projet.
Ce projet a reçu le soutien financier
de l’Assistance Publique-Hôpitaux de
Marseille, Le Merlan Scène nationale à
Marseille, l’Association des Directeurs
d’Hôpitaux, le Ministère de la Culture
et de la Communication, la Direction
Régionale de la Recherche et des Technologie, le Conseil
Régional PACA.
Contact :
Sophie Bellon-Cristofol
Attachée Culturelle
Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille
Tel : 04 91 38 97 43
[email protected]
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HISTOIRE DES HÔPITAUX
- N° SPÉCIAL 140 - 06/2011
101
Société française
d’Histoire des Hôpitaux
Madame, Monsieur,
Chers collègues,
La Société Française d’Histoire des Hôpitaux a programmé la parution, dans son numéro 141, qui doit
paraître en octobre 2011, d’un dossier d’une vingtaine de pages consacré à l’ébauche d’un « Musée Imaginaire Hospitalier »
L’objectif de cette initiative est simple. Le monde de la santé, et celui des hôpitaux en particulier, dispose de lieux
de souvenir et de conservation d’objets, qu’il s’agisse de Musées organisés mais aussi de simples dépôts dans
des services hospitaliers. Ces objets sont emblématiques de la fonction soignante ou sont en lien avec l’histoire
politique, sociale, économique et technologique des établissements hospitaliers ou des lieux d’hébergement.
Or, l’ensemble de ces collections est dispersé sur le territoire, difficilement accessible ou insuffisamment mis
en valeur.
Par conséquent, ce Musée Imaginaire serait celui du rassemblement virtuel des objets les plus prestigieux ou
les plus représentatifs sur le plan historique ou scientifique des collections qui sont sous votre sauvegarde.
J’ai bien conscience qu’un tel dossier, modeste dans son volume, serait probablement bien insuffisant pour
rendre compte de la richesse mobilière et instrumentale des hôpitaux. Il est permis de penser que ce dossier
puisse constituer, ensuite, un ouvrage entièrement dédié a ce thème du Musée Imaginaire Hospitalier et dans
lequel une riche iconographie côtoierait des articles de qualité sur la muséologie hospitalière ainsi que sur les
évolutions qui se dessinent en la matière.
Je serais donc très heureux si vous pouviez contribuer à cette initiative en me communiquant quelques
photographies (trois à quatre au maximum) représentant les objets que vous retiendrez en priorité dans
vos collections, aussi bien religieux que laïcs, artistiques et décoratifs ou usuels et scientifiques, anciens ou
contemporains. L’idéal serait que ces clichés soient accompagnés d’une légende explicite sur l’histoire de ces
objets, d’une analyse artistique ou tout simplement d’une description de leur usage.
Je vous remercie infiniment pour votre collaboration
Il conviendrait, si vous en êtes d’accord, que vous puissiez transmettre les documents sélectionnés avant le
31 août 2011, au Directeur de la publication de la revue, Bernard Belaigues, de manière à ce qu’il puisse,
en lien avec le Comité de Rédaction, constituer et présenter a votre agrément une maquette du dossier
- Adresse email : [email protected]
- Adresse postale : Bernard Belaigues - AP-HM, 80, rue Brochier - 13354 Marseille cedex 05
Le Président
Jean-Paul Ségade
PRIX
de la Société Française
d’Histoire des Hôpitaux
Concours 2012
L
a Société Française d’Histoire des Hôpitaux organise, en partenariat avec l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris, son XXVIe concours destiné à encourager la connaissance de l’histoire des
hôpitaux proprement dite et plus largement de l’histoire de l’assistance – de la bienfaisance et
de la charité – aux origines de l’institution hospitalière. L’attribution des prix aura lieu au cours du
premier semestre 2012.
Peuvent concourir les auteurs de travaux en langue française, universitaires ou non, rédigés, publiés
ou soutenus après le 1er janvier 2008. Afin d’encourager la recherche, les travaux universitaires
couronnés font l’objet de prix en espèces dotés par le mécénat hospitalier.
Les travaux doivent être déposés en trois exemplaires auprès du service des Archives de l’AP-HP.
La date limite de dépôt des candidatures est fixée au 31 octobre 2012.
Les travaux sont à adresser à :
Archives de l’AP-HP - Coordination du concours SFHH
7, rue des Minimes - 75003 Paris
Tél. 01 40 27 50 77 - Fax : 01 40 27 50 74 - Courriel : [email protected]
Site internet : www.archives.aphp.fr
Toute demande de renseignements peut également être obtenue auprès de la
Société Française d’Histoire des Hôpitaux
1 résidence Sus-Auze 84110 Vaison-la Romaine - Tél : 06 19 79 55 17 - Courriel : [email protected]
Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh
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REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
CONCE P TION & RÉ ALISATION : DE BUSSAC - www.gdebussac.fr - juin 2011
FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE
FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES HÔPITAUX
Société Française d’Histoire des Hôpitaux
Siège social :
Fédération Hospitalière de France - 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS cedex 14
CCP 1 556 69 L Paris
Adresse de gestion :
1, résidence Sus-Auze - 84110 Vaison-la-Romaine
Tél. : 06 19 79 55 17 - Site internet : www.biusante.parisdescartes.fr/sfhh - Courriel : [email protected]
Peuvent faire partie de la Société aussi bien les personnes physiques que les personnes morales : conseils
d’administration des hôpitaux, organismes de recherches, bibliothèques, institutions, etc.
REVUE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
TARIFS ANNUELS D’ABONNEMENT au 1er janvier 2011
(Nombre de numéros de la revue publiés : 3 par an)
Établissements hospitaliers :
- Jusqu’à 200 lits, Centres hospitaliers. Maisons de retraite (1 exemplaire) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 €
- Centres hospitaliers de 201 à 1 000 lits (2 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 €
- Centres hospitaliers de plus de 1 000 lits (3 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 €
- CHU-CHR (4 exemplaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 400 €
- AP + HCL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600 €
Autres :
- Membres bienfaiteurs au-delà de . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 €
Pour adhésions et abonnements :
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Les chèques doivent être libellés à l’ordre de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux à l’adresse ci-dessus.
Centralisation de la facturation :
Techniques hospitalières : service abonnement, Fédération Hospitalière de France 1 bis, rue Cabanis - CS 41 402 - 75993 PARIS cedex 14
Tél. 01 43 13 39 00 - Fax 01 43 13 39 01
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Individuels :
- France métropolitaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 €
- Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 €
- Hors Europe et DOM-TOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 €

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