Lettre autographe de Diderot à André Lebreton
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Lettre autographe de Diderot à André Lebreton
DOSSIER PÉDAGOGIQUE À DESTINATION DES ÉLÈVES Notes pour le professeur La fiche pédagogique est destinée aux élèves d’humanité supérieure dans le cadre du cours français. Lettre autographe de Diderot à son imprimeur André-François Le Breton et la question du droit d’auteur Une première page d’introduction pose le contexte des Lumières, et présente brièvement Diderot et l’Encyclopédie. Deux types d’activités peuvent ensuite être exploitées. L’un, basé sur l’analyse de la lettre de Diderot à Le Breton, débouche l’identification des caractéristiques d’un réquisitoire puis sur un exercice d’écriture visant la défense de sa propriété intellectuelle. L’autre, orienté sur des questions du droit d’auteur et de la censure, aboutit à un débat sur la préservation actuelle du droit d’auteur sur internet. En annexes, vous trouverez une retranscription de la lettre autographe de Diderot à Le Breton et une bibliographie indicative. Pour poursuivre la découverte de Diderot, sachez qu’une libre adaptation du roman Jacques le Fataliste est proposée par l’Atelier Théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve, du 22 au 27 janvier 2013. Cfr : Jacques et son maître, de Milan Kundera (www.atjv.be) Dans le cadre de l’exposition Ecrivains : modes d’emploi. De Voltaire à bleuOrange. 2 novembre 2012 au 17 février 2013. Musée Royal de Mariemont Conception : Olivia Ardui et Maëlle Delaunoit dans le cadre du Cours de Médiation Muséale et Patrimoniale Professeurs : M.-E. Ricker et M.-C. Bruwier, UCL, 2011- 2012. Denis Diderot Le siècle des Lumières 5 octobre 1713, Langres (France) - 31 juillet 1784, Paris Diderot est un homme de lettres et un philosophe des plus influents du 18e siècle. Issu d’une famille bourgeoise, il entreprend d’abord une formation auprès des Jésuites à Langres, puis à Paris à partir de 1728. Se détournant finalement d’une carrière ecclésiastique, Diderot ajoute à ses études en philosophie, en théologie et en droit, des connaissances en langues anciennes, en anglais mais aussi en mathématique. Cet intellectuel avide de sciences incarne le profil du philosophe qu’il décrit dans un article de l’Encyclopédie. En effet, c’est un homme engagé dans la société, qui diffuse le savoir et qui, guidé par l’expérience et la raison, recherche la vérité. Homme polyvalent, Diderot a écrit, entre autres, des œuvres philosophiques, des romans, des pièces de théâtre, et des critiques artistiques. « Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité. » Diderot, Lettre à Sophie Volland, 26 septembre 1762. « Les Lumières » désignent un phénomène culturel, religieux, social et politique caractéristique du 18e siècle. Mouvement intellectuel européen, il promeut la raison comme moyen d’émancipation et d’autonomisation de l’homme. En effet, la raison permet de libérer l’homme d’un certain nombre de contraintes dictées par la tradition, le pouvoir et la religion. La quête de la connaissance passera donc par le développement des sciences et une critique des préjugés et des idées reçues, en vue d’un progrès de l’humanité. Cet idéal universel est défendu par des personnalités comme Kant, Voltaire, Diderot, Montesquieu, Rousseau, et Newton au niveau des sciences exactes. Dans ce contexte, des académies et sociétés savantes vont être créées sur tout le continent et participer à l’évolution de différents domaines du savoir. La diffusion et la circulation des idées vont aboutir dans la mise en place d’un véritable réseau intellectuel européen relayé par divers moyens de communication, allant de la presse, aux gazettes, aux correspondances, aux essais et autres ouvrages spécialisés. Une encyclopédie est un ouvrage qui englobe un ensemble de connaissances sur un domaine et qui le présente suivant un classement alphabétique ou thématique. Actuellement, si des projets encyclopédiques informatisés, comme Wikipédia, nous sont familiers, réaliser une encyclopédie au 18e siècle était révolutionnaire. Diderot peint par L.-M. van Loo en 1767 L’encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est considéré comme l’un des plus grands projets intellectuels de l’époque (28 volumes, 71 818 articles). Elle a été réalisée entre 1747 et 1766 sous la direction de Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert avec la collaboration de 172 rédacteurs. L’objectif était de regrouper et de synthétiser, de façon ordonnée et raisonnée, l’ensemble du savoir, libéré de tout préjugé et superstition afin de le rendre accessible à tous. En cela, l’Encyclopédie constitue un véritable miroir des idéaux des Lumières et de son projet d’émancipation de l’humanité par la raison. Lettre autographe de Diderot à André-François Le Breton L’imprimeur de l’Encyclopédie¸ André-François Le Breton, conservait tous les manuscrits de Diderot. En 1764, celui-ci découvre un grand nombre de modifications faites par Le Breton à son insu. L’imprimeur souhaitait probablement modérer les propos de l’écrivain pour éviter la censure, la banqueroute ou l’emprisonnement. Outré par cette initiative, Diderot adresse alors une lettre accusatrice à Le Breton, toutefois, il ne rend pas l’affaire publique. En 1766, il intercédera même en la faveur de Le Breton lorsque celui-ci sera incarcéré à la Bastille. Cependant, la colère de Diderot resurgit en 1769, dans une autre lettre où il ranime l’ancienne querelle concernant les altérations de son texte. En voici quelques extraits. Ils t’aideront à identifier les caractéristiques du réquisitoire. (Aide toi aussi des questions ci-dessous) De quelle façon l’auteur s’adresse t’il à son destinataire ? « Vous n’avez jamais été insulté par moi. Je vous ai écris une première lettre très violente et que vous méritiez bien. Je ne sais plus ce qu’elle contenait ; mais ce n’est pas à votre place qu’il faut la juger ; c’est à la place d’un homme aussi cruellement joué, trompé ; à la place d’un auteur à qui un des associés à son ouvrage fait de son autorité privée, plus de mal lui seul que tout leurs ennemis communs n’avaient pu leur en faire. Ne me reprochez rien, Monsieur. Félicitez vous seulement d’avoir eu affaire à un homme aussi modéré et d’en avoir été quitte pour une lettre violente ». ° Repère les différents effets oratoires. (Répétitions, gradations, exclamations de colère et d’indignation, questions rhétoriques, apostrophes, comparaisons, etc.) ° Quel type de vocabulaire utilise Diderot ? (Péjo ratif, ironique, etc.) ° Comment Diderot utilise-t-il la ponctuation ? Quel rythme donne-t-elle à la phrase ? ° De quel registre littéraire est ce texte ? Polémi que ou pathétique ? « C’est que personne depuis qu’on imprime, n’ayant de sa propre autorité, aussi injustement, aussi sourdement, aussi cruellement lésé un auteur que je l’ai été par vous... » « Je vous ai servi de tout ce qui était en moi. Je vous ai servi de tout ce qui était au pouvoir de mes amis. Ils y ont mis temps, argent, talent, courage et peine ; vous ne pouvez le nier. À présent comparez ces procédés avec les vôtres, et jugez qui de nous est en reste ». « Trouvez en moi de la consolation ! Quoique j’aie l’âme très gonflée, si vous étiez dans l’infortune, je serais dans une heure à votre porte. Trouvez en moi de la consolation ! Lorsque la blessure que vous me fîtes saignait encore, vous fûtes conduit à la Bastille ; je ne balançai pas ». « Vous avez fait des ingrats, Monsieur ; cela se peut ; mais en suis-je ? Qu’avez-vous fait pour moi, que vous n’ayez fait en même temps pour vous ? Et quand vous m’eussiez donné de l’or aussi gros de vous, croyez vous que vous eussiez jamais effacer l’injure mortelle de sabrer, de barbouiller clandestinement mon travail ; que vous eussiez jamais acquitté le silence que j’ai gardé sur un procédé qui n’a point de nom, comme il n’a point d’exemple. » Le réquisitoire Il s’agit d’une forme de discours d’accusation, condamnation et réprimande qui témoigne d’une forte implication de l’émetteur qui écrit souvent à la première personne. Cette intention de discréditer, décrier et railler induit un vocabulaire majoritairement péjoratif et dépréciatif et un registre polémique avec un appel récurrent à l’ironie. Les injonctions, les exclamations de colère ou d’indignation ainsi que les questions rhétoriques comptent parmi les procédés oratoires les plus souvent utilisés. Tous à vos plumes ! Imaginez que vous écriviez régulièrement sur un blog. Un jour, en faisant des recherches, vous découvrez par hasard qu’un internaute inconnu s’est approprié vos écrits et les a signés de son nom. Rédigez-lui un e-mail, sous forme d’un réquisitoire, pour lui faire part de votre mécontentement, et demandez-lui d’indiquer votre nom en référence pour faire valoir votre droit d’auteur. Des livres et des manuscrits au Musée de Mariemont La lettre de Diderot adressée à Le Breton est visible au Musée de Mariemont du 2 novembre 2012 au 17 février 2013 à l’occasion de l’exposition Ecrivains : modes d’emploi. De voltaire à bleuOrange. Une exposition de livres et de manuscrits peut paraître assez inattendue dans un musée. Pourtant, tout comme des objets d’art, ces ouvrages sont des témoins du passé. Certaines éditions précieuses ou originales sont porteuses d’informations complémentaires au niveau du contenu, telles que des annotations. Elles peuvent également détenir une valeur matérielle reflétant parfois la notoriété du texte et la richesse de leur ancien propriétaire. L’exposition Ecrivains : modes d’emploi est aussi l’occasion de découvrir la réserve précieuse du Musée de Mariemont, et ses collections bibliophiliques qui recèlent de nombreux manuscrits et lettres autographes de la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours. (http://www.museemariemont.be/) Denis Diderot, Lettre autographe signée à André-François Le Breton, Paris, 12 novembre 1964. 200 x 160 mm. Conservée au Musée de Mariemont, Inv. Aut. 349/1 La censure au 18e siècle Au 18e siècle, le monde littéraire est en pleine expansion et la plume devient une arme puissante. Ecrire et publier permet de divulguer largement ses opinions. Cependant, la liberté de faire imprimer et de diffuser des écrits n’est pas acquise. Dès la naissance de l’imprimerie, tout ce qui devait être publié passait, avant et après l’impression, par plusieurs niveaux de censure (royale, parlementaire, religieuse etc.). La censure la plus puissante était assurée par la Direction de la Librairie. Celle-ci, chapeautée par la Chancellerie, elle-même dépendante du roi, analysait le manuscrit, et délivrait ou non l’autorisation d’impression. Il arrivait que des auteurs soient condamnés pour leurs écrits. Par exemple, en 1749, Diderot est emprisonné à Vincennes car le matérialisme athée qu’il défendait dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient lui attire les foudres de l’Etat. Il a été libéré lorsqu’il s’est engagé à modérer ses propos. L’Encyclopédie censurée Plusieurs articles de l’Encyclopédie visent l’abolition de toutes contraintes idéologiques. Il n’est dès lors pas surprenant que ces textes aient dérangé les autorités en vigueur. L’Encyclopédie a fait l’objet de nombreuses controverses, censures et suspensions. Par exemple, en 1759, le roi a supprimé le privilège, c’est-à-dire le droit de publier, accordé à l’imprimeur. Diderot n’entendait pourtant pas abandonner son projet qu’il poursuivait depuis 1747. D’Alembert ayant renoncé, il a continué seul la direction des dix derniers volumes. Ceux-ci seront imprimés secrètement sans privilège sous la fausse adresse de Neuchâtel. Diderot a notamment surmonté les difficultés de publication grâce au soutient de Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Le directeur de la Librairie et donc le chef de la censure royale de 1751 à 1763. Le droit d’auteur au siècle des Lumières Définition Le mot « censure », du latin censere (évaluer), désigne à la fois la condamnation d’un texte, l’interdiction de sa diffusion et l’institution qui la prononce. La lettre de Diderot à Le Breton est symptomatique de l’affirmation progressive de la propriété intellectuelle au 18e siècle. En effet, avant la Révolution française, le droit d’auteur n’était pas reconnu. Autrement dit, ce n’était pas l’auteur qui était propriétaire de son œuvre, mais le libraire (correspondant à l’éditeur actuel). Celui-ci obtenait du roi un privilège, c’est-à-dire le droit exclusif d’éditer. Or, souvent ce droit était bafoué par d’autres libraires qui réalisaient des éditions clandestines. Ainsi s’instauraient une concurrence et une prolifération d’éditions, parfois en dépit de la qualité de celles-ci. C’est contre cette émulation des éditions que Diderot se dressera dans un des plaidoyers les plus importants des Lumières en faveur des libertés d’expression et de publication : la Lettre sur le commerce des livres rédigée en 1763. Diderot remet en question le monopole des libraires dans le domaine du livre et aspire à une certaine protection contre les spoliations de ceux-ci. Débat : le droit d’auteur et Internet Un conseil pour éviter le plagiat Aujourd’hui, une quantité d’informations est accessible Pour éviter le plagiat, veille à indiquer tes sources facilement sur internet. De plus, l’ordinateur permet, en d’informations par une référence bibliographique. quelques clics, de faire un « copier coller », ou de Si différents systèmes de référence existent, voici un manipuler les données, qu’elles soient visuelles ou modèle possible pour deux types de sources : textuelles. Faut-il dès lors déployer une forme de contrôle, voire de censure protectionniste, pour préserver Référence à un ouvrage : NOM DE L’AUTEUR Prénom, le droit d’auteur ? Quels sont les droits que peuvent, Titre de l’ouvrage, lieu d’édition, date d’édition, pages. selon vous, revendiquer les auteurs ? Quel contrôle faudrait-il éventuellement exercer ? Pour quel type Référence à un site : NOM DE L’AUTEUR Prénom, Titre du d’informations ? site, date de la dernière mise à jour, [adresse url], (date Diviser la classe en deux groupes et préparer des de consultation). arguments : d’un côté les partisans d’un « libéralisme informatique » permettant à tous de partager et de bénéficier de toutes les ressources d’internet, et de l’autre, les partisans d’un contrôle pour éviter les dérives en vue de protéger les droits des auteurs. Suivant l’issue de votre discussion, rédigez un article de loi pour la classe concernant les droits d’auteur sur internet. Veillez à ce qu’il intègre tous les aspects abordés au cours du débat. Pensez, par exemple, à l’accusation de plagiat de la chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker par Beyonce pour son vidéo-clip Countdown. Pensez aussi aux récentes controverses sur la fermeture de sites de partages comme Mégaupload et la volonté de mettre en place des mesures telles que ACTA (accord commercial anti-contrefaçon). Annexes Bibliographie Le siècle des Lumières et l’Encyclopédie D. POULOT, Les Lumières, Paris, 2000. D. THIBAULT, « Lumières ! Un héritage pour demain » dans Bibliothèque nationale de France, Expositions virtuelles, s.d., [http://expositions.bnf.fr/lumieres/pedago/fiche_1.pdf], (27/04/2012). M. PINAULT, L’Encyclopédie, Paris, 1993. A. REY, « L’Encyclopédie » dans Universalis, Universalis. Ressource documentaire pour l’enseignement, 2012, [http://www.universalisedu.com.proxy.bib.ucl.ac.be:888/encyclopedie/encyclopedie/], (26/04/2012). La censure au 18e siècle M. CERF, « La Censure Royale à la fin du XVIIIe siècle », Communications, 9, 9, 1967, p. 227. Denis Diderot N. VEYSMAN, Denis Diderot. Jacques le fataliste et son maître, Paris, 2005. L.CARPENTIER, Jacques le fataliste et son maître. Denis Diderot, Paris, 1989. Y. BELAVAL, « Diderot Denis (1713 – 1784) » dans Universalis, Universalis. Ressource documentaire pour l’enseignement, 2012, [http://www.universalis-edu.com.proxy.bib.ucl.ac.be:888/encyclopedie/denis-diderot/], (26/04/2012). La lettre autographe MUSÉE ROYAL DE MARIEMONT, « Des Traces des grands hommes. La collection d’autographes du Musée Royal de Mariemont. Guide du visiteur » dans Musée Royal de Mariemont¸ s.d., [http://www.museemariemont.be/fileadmin/sites/muma/upload/muma_super_editor/muma_editor/documents/Arnaud/Grands_Hommes/Traces_guides.pdf], (28/04/2012). Texte intégral de la lettre autographe à Le Breton M.-J. DURRY, Autographes de Mariemont. Première partie. Avant 1800. t. II. De Vauvenargues à Dolomieu, Paris, 1955, p. 593 - 598.