Position de thèse - Université Paris

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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITE PARIS IV-SORBONNE
ECOLE DOCTORALE III
Doctorat
Littérature comparée
BERNARD MOREL Dorothée.
Le mythe du golem, de la créature au créateur.
Thèse dirigée par Pierre BRUNEL
Soutenance :
Jury :
Françoise Susini Anastopoulos
Chantal Foucrier
Jean-Yves Masson
Le mythe du golem, de la créature au créateur.
Le Psaume CXXXIX, 16.
Si le mythe du golem est habituellement connu à travers une légende pragoise tardive, il
ressortit surtout à la tradition juive.
Le mot golem, un hapax biblique, apparaît dans le Psaume CXXXIX, 16 : « golmi rau enecha »,
généralement traduit : « mon golem, tes yeux le voyaient ». Le sens du mot hébreux fait
l’objet de nombreuses spéculations, on retient qu’il signifie : « masse informe » ou
« embryon », ou encore « créature possédant forme humaine ». C’est l’ébauche d’Adam,
avant son animation par le souffle divin, sur le modèle de Gn II,7, un Adam inachevé,
principe matériel préexistant au principe spirituel. L’idée d’inachèvement prédomine, elle
est riche de tout un futur.
Le Sefer Yetsirah ou « Livre de la Création ».
Figure constante de la littérature juive traditionnelle, le golem trouve son origine dans des
interprétations magiques et tardives du Sefer Yetsirah ou « Livre de la Création », dans la
Cabbale juive. Des pratiques très anciennes sont liées aux discussions sur la création de
l’homme, et basées sur le désir d’ imitatio Dei. Le mot golem prend, autour du XIIIe siècle et
par glissement sémantique, le sens d’homme créé par des moyens magiques : une somme
considérable d’écrits et commentaires témoignent de la dimension théologique de
l’expérience, et mettent en avant sa finalité mystique et extatique. La création du golem fut
considérée comme la pierre de touche de la perfection religieuse du juste et devait mettre
en lumière en plus de sa sainteté sa puissance créatrice.
Les parallèles anciens.
On ne saurait négliger l’évocation de parallèles anciens : le motif de l’animation de statues
est important dans des mythologies très anciennes, ainsi que gréco-latine, et dans l’Egypte
ancienne. L’idée d’une origine terrienne de la vie a donné à penser à l’émanation d’êtres
vivants de l’argile, à l’instar du golem. Un Prométhée, inventeur de la statuaire, créateur de
l’humanité à partir d’argile et d’eau, dessine une affinité entre création d’un homme et
création artistique. La tension entre animé et inanimé est soulignée par les mythes de
métamorphose. Ces récits ont pu peser sur le développement des légendes traditionnelles.
Les légendes.
Pourra-t-on parler avec Pierre Brunel de dégradation ou profanation du mythe, ou encore
avec Jean-Jacques Wunenburger de processus de démythologisation, la question se pose à
l’apparition d’une légende tardive, reprise par la littérature populaire juive vers la fin du
XVIIIe siècle. Le mythe n’est généralement connu qu’à travers cette légende qui attribue à
de pieux rabbins des pouvoirs démiurgiques : la création d’un golem et son animation. Le
golem devient le serviteur magique de son créateur et le défenseur du ghetto juif de la ville
de Prague en butte aux accusations de crimes rituels. Si l’accent est mis sur les exploits du
bonhomme, alors qu’il n’en est aucunement question dans les textes traditionnels, en
revanche le mythe et le rituel de création du golem gardent leur couleur de spiritualité et de
religiosité et restent essentiellement juifs.
Deux origines légendaires.
Deux origines légendaires impriment leur marque à la littérature. Le hassidisme polonais
crée une première version : elle est centrée sur le Rabbin Elias Baalshem de Chelm, ainsi
promu créateur d’un golem. Il est muet, sa croissance exponentielle et sa violence se
retournent très vite contre son créateur. La nouvelle d’Achim von Arnim, Isabella von
Aegypten oder Kaisers Karl der fünfte erste Liebe, prend appui sur cette version de la
légende, gommant toutefois la dimension religieuse du mythe.
La version pragoise, un peu plus tardive, vient supplanter la légende polonaise. Elle est liée
au rabbin Löw, dit Maharal de Prague, auquel est attribuée l’initiative de la création d’un
homme artificiel pour la protection de la ville juive contre les persécutions chrétiennes
historiques. Les légendes racontent les exploits du golem sauveur du ghetto, qui prend une
dimension messianique, dans une perspective quasi merveilleuse.
La créature artificielle
La créature est toutefois un simulacre, tantôt idéalisée, tantôt tournée en dérision. La
tension entre création et procréation, entre nature / artifice, nourrit les récits pour mettre
en avant le silence de la créature et le motif de l’apprenti sorcier, calqué sur la légende
talmudique de Sanhédrin 65b. La problématique fantastique, ou merveilleuse, témoigne de
son ambivalence, ainsi que le motif du double, en tant que serviteur idéal de son créateur.
Le créateur est le double du Créateur, dans une triade créature, créateur, Créateur, ainsi
que l’évoque la ballade allemande d’Hugo Salus, Vom hohen rabbi Löw.
Une dichotomie entre visible et invisible où se joue la frontière entre rêve et réalité fait
écho aux discussions exégétiques : si la création du golem est prise en compte par les
maîtres de la Cabbale d’Europe du Nord et de l’Est, en revanche les cabbalistes d’Europe du
Sud l’ont tenue pour allégorie, pour faire apparaître une dichotomie entre spéculation et
pratique. Le golem devient image virtuelle.
Notre étude porte l’attention plus précisément sur le créateur et la création, dans les
œuvres, laissant de côté les exploits de la créature. Tout se passe comme si les textes
contenaient leurs propres commentaires, aussi prend-on appui sur les motifs contenus dans
les romans du corpus.
Le Maharal de Prague.
Alors qu’il n’en est aucunement question dans son œuvre, il est prêté au Maharal, le rabbin
Löw (1513-1609) la création d’un golem. Grand humaniste, il est l’auteur d‘une œuvre
importante et didactique, et sa rencontre avec l’empereur chrétien Rodolphe II fut
déterminante, dans le contexte des accusations de crimes rituels. Son prestige grandit, aussi
histoire et légende se mêlent pour en faire le sauveur de la communauté juive.
Le rituel.
Les textes font état du rituel présidant à la création de l’homme artificiel : façonnement
d’une forme humaine à partir de l’élément terre additionné d’eau, puis animation de celle-ci
grâce au pouvoir des combinaisons de lettres de l’alphabet hébraïque et / ou du Nom de
Dieu. Le mot EMET ou « Vérité » écrit sur le front du golem l’anime, alors que l’effacement
du E, donc MET ou « Mort » le ramène à la poussière. Les textes laissent une place non
négligeable à l’évocation explicite des origines du thème, mêlant références savantes et
fiction. L’intertextualité fait office de caution, souligne une sorte de prolongement et tisse
par ces reprises un référent.
Le pouvoir des lettres de l’alphabet hébraïque.
Si le succès de l’entreprise est présenté comme la preuve de la piété et de la sainteté du
rabbin, la finalité du rite originel consistait à mettre en lumière le pouvoir des lettres de
l’alphabet hébraïque. Les textes rendent compte d’une véritable mystique des lettres et du
Nom de Dieu, qui fait très justement écho à la tradition, telle que la développent les traités
de la Cabbale : Sefer Yetsirah, Sefer ha-Zohar, de même que Sefer ha-Bahir ou encore Sefer
ha-Temouna évoquent combinaisons et récitations de lettres et leur force créatrice. La
précision du rituel est quasi scientifique, la moindre erreur est fatale.
La Cabbale et la mystique des lettres
Le thème de la mystique des lettres a une importance considérable dans la Cabbale, aussi
sont-elles quasi sacralisées. La création, sur le modèle de le récit yahviste de la Genèse, est
interprétée d’un point de vue linguistique, comme le souligne le roman d’Harry Mulisch,
aussi le rôle des lettres ( auth ou ot, dont le pluriel est autioth ou encore otiyot) est-il
premier. Le système consonantique de l’écriture hébraïque, la graphie remarquable de ses
signes, et l’idée de leur vie et de leur mystère relèvent d’une magie toute particulière. Les
cabbalistes en ont tiré parti et trouvé une application dans l’animation de l’être des rabbins.
Très tôt, les Israélites ont manifesté une tendance à valoriser l’écrit, le langage, et le mythe
s’inscrit dans cette perspective. Ainsi pourra-t-on considérer que le parallèle esthétique est
proche, à fortiori littéraire, dans la mesure des manipulations de lettres. Mots et lettres ne
sont ainsi pas que moyen d’échange, de communication, ni même d’écriture. Ils sont doués
d’une énergie telle que cabbalistes et mystiques juifs ont pu jouer avec leur force créatrice
pour construire tout un système de signification, une véritable mystique du langage et des
lettres. L’utilisation du langage et des lettres au-delà ou en deçà des fins habituelles, de
même que le jeu savant entre silence et mots, conduisent à voir une relation étroite avec
l’expérience poétique. Le créateur de golem est ainsi aussi homme de lettres. Il n’y a pas
jusqu’à d’autres systèmes linguistiques et leur pouvoir, hiéroglyphes, runes, de même que
le code génétique, le « grand livre de l’ADN », pour être convoqués par les auteurs.
Le Nom de Dieu.
Aux lettres de l’alphabet s’ajoutent celles du Tétragramme, auquel est associé le mot Emet
ou « vérité » écrit sur un parchemin posé sur le front ou la bouche de l’homme artificiel.
Emet ou sceau de Dieu devient après effacement de l’aleph Met ou « mort », et signe
l’arrêt de mort de la créature et son retour à la terre.
Une kyrielle de rapprochements et commentaires contenus dans les textes évoquent la
littérature traditionnelle, où connaissance du rituel, savoir, et activité créatrice assurent la
crédibilité des choses.
Le rabbin créateur, un mage ?
Le sérieux des créateurs de golem, ni fantaisistes, ni créateurs fous, est souligné par le
roman de Cynthia Ozick, The Puttermesser Papers. Le rabbin devient ainsi, en plus d’un
démiurge, un cabbaliste, et un magicien. La Cabbale opérative ou pratique, est souvent mise
en rapport avec la magie : on a pu y voir des activités de caractère plus ou moins irrationnel,
une science de pratiques secrètes, en plus de la croyance en la magie du verbe, telle que la
met en scène l’expérience de la création du golem. L’influence réciproque de Cabbale et
magie ne manque de se faire sentir dans l’utilisation magique du pouvoir des lettres de
l’alphabet hébraïque, comme des lettres du Nom divin.
Si la Bible est véhémente à l’égard de la magie, une distinction est toutefois faite entre
magie blanche et magie noire, ainsi qu’entre magie juive et magie païenne. La magie dite
naturelle de la Renaissance, dans son contexte préscientifique, relève d’une ambition de
maîtrise de la nature ; elle est voisine d’une science considérée comme une magie efficiente
dans une vision magico-religieuse où homme naturel et homme artificiel sont antinomiques.
Le scenario rituel avec la rigueur qu’il comporte, la gravité apportée à la cérémonie, donne
l’illusion de scientificité et la figure du rabbin-mage tend à s’apparenter à celle du mage de la
Renaissance. Le rapprochement opéré par le roman de Mulisch, De Procedure entre rituel de
création du golem et protocole scientifique est de cette même veine. L’efficience de la
pensée serait en l’occurrence au-delà de toute attente. Le hasard joue un rôle dans
l’animation de la créature du roman d’Ozick, où c’est l’interrogation de la créatrice qui lui
fait accomplir la gestuelle censée l’animer. De plus, le Nom est prononcé par surprise, par
hasard…Une magie du dire, magie performative relèvent de la mystique du langage où
l’expérience du golem trouve sa source.
La magie des poètes.
L’étroite relation entretenue par le mage de la renaissance avec l’expression artistique
s’incarne avant tout dans la littérature. Le développement d’un langage poétique moderne
tourné vers lui-même, c’est à dire centré sur le signe, n’est pas sans faire écho à la science
des cabbalistes, ainsi qu’à la magie et la mystique du langage. La magie des poètes et leur
ambition de changer le monde par le pouvoir du verbe donnent à le penser. Que l’on songe
aux surréalistes, à un Rimbaud, à un Baudelaire et leur quête d’une nouvelle langue, d’un
homme nouveau.
Magie et alchimie.
Une passerelle est explicitement jetée entre expérience du golem et homoncule des
alchimistes, et la confusion entretenue entre golem et homoncule, entretient-elle la parenté
entre les deux desseins. Malgré des nuances importantes, la proximité entre magie et
alchimie, toutes deux art des changements est redondante sous la plume des auteurs.
Paracelse est évoqué en regard du créateur de golem, alchimistes, magiciens et autres
cabbalistes, savants et visionnaires forment cette « chaîne d’or », la fameuse Aurea catena
reliant terre et ciel dont l’idée était déjà présente chez Homère, chez Platon. L’œuvre de
Meyrink témoigne de son attrait pour l’alchimie.
La problématique temporelle est centrale pour les alchimistes. Le recueil de bandes
dessinées Poème Rouge est représentatif de cette abolition du temps, avec la convocation
du motif de l’horloger et de la musique. La simultanéité des deux traditions, alchimique et
cabalistique, ne manque de souligner une analogie : désir de dépassement de la nature, mais
surtout dépassement de soi de la part du créateur.
Si l’homoncule du drame de Goethe, Faust, et sa parenté avec le golem sont évoqués
itérativement, c’est surtout de l’accomplissement spirituel des alchimistes ou de la
réalisation mystique des rabbins que témoigne la parenté entre les deux quêtes. Le
processus d’individuation lié à l’alchimie peut être considéré à la lumière de la quête
mystique des rabbins.
L’alchimie poétique.
Le motif alchimique est en rapport étroit avec le travail du poète, la liste des poètes
alchimistes paraît longue : une alchimie moderne, une alchimie propre à l’artiste s’applique
au langage, à la poésie, où domine l’idée de perfectionnement, de progrès. On retient un
Aloysius Bertrand et Gaspard de la nuit, le mythe d’un Rimbaud alchimiste, selon les termes
de Pierre Brunel, un Baudelaire. L’alchimie du verbe et sa quête d’absolu peuvent être
considérées dans une résonance avec les combinaisons de lettres des rabbins cabbalistes.
Un genre Frankenstein ?
Une relation intertextuelle unit les deux créations d’êtres artificiels, en dépit de nombre de
disparités : les évocations du roman de Mary Shelley et de sa créature sont itératives dans
les textes. Plus, le héros de Mulisch s’interroge sur l’opportunité de citer l’anglaise dans son
projet de livre, spéculations alchimiques et cabbalistiques se font écho d’un texte à l’autre,
pour se conjuguer de façon originale.
Toutefois, si une même ambition de donner la vie peut rapprocher les deux expériences, la
perspective mystique du premier s’écarte de la visée scientifique ou pseudo-scientifique du
deuxième : argile pour l’un et manipulation sacrilège de tissus humains morts pour l’autre.
L’inscription dans une thématique de l’origine, du commencement, tant de la vie que de
l’œuvre, établit un parallèle non négligeable, dans une tension entre procréation et création.
Le discours scientifique s’oppose au discours religieux, pour faire signe en définitive du côté
de la création littéraire.
Golem et Graal.
S’ils n’ont à première vue pas grand-chose en commun, les deux mythes ressortissent, aux
yeux d’un des personnages du roman de Delbe, à des superstitions. Tous deux procèdent de
traditions religieuses, d’une quête de surnaturel, et de rites sacrés, avant de se développer
dans des récits merveilleux ou fantastiques. Ils débordent rapidement le strict domaine du
religieux pour se réfugier dans l’imaginaire, le légendaire, la littérature. Quête du Graal et
création du golem prennent valeur existentielle, aux yeux de leur protagonistes : tant
exigence de perfection de l’impétrant que moyen d’accès à la sainteté, Graal et golem
ressortissent à l’expérience du sacré en tant qu’absolu. Sous le signe d’un regain de
valorisation, le Graal devient insaisissable, inaccessible, aussi l’ambiguïté entre prétexte ou
véritable entreprise religieuse et désir de dépassement de soi ou d’accomplissement, est-il
manifeste.
Le golem, icône ou idole ?
Le bien fondé d’un parallèle entre golem et icône réside dans la finalité religieuse de l’un
comme de l’autre. Si peinture et statuaire religieuse relèvent d’un art dit sacré, la parenté
entre les deux représentations est d’autant plus fondée que le golem est souvent considéré
comme statue vivante ou image vivante. Mais c’est surtout l’origine merveilleuse de l’icône
et la vie qui lui est prêtée, qui peuvent renvoyer à la création du golem, et la tension entre
animé et inanimé, comme entre visible de l’invisible. Une même dimension spirituelle joue
pleinement son rôle dans la quête de créateurs de golem et créateurs d’icônes, et donner à
penser à l’idée d’une représentation intérieure.
Il semble qu’icône et idole soient difficilement dissociables, le passage de l’une à l’autre
serait une menace constante. Le soupçon idolâtre autour du golem est explicite, il fait
référence au statut de l’image dans la Bible et son interdit. Spéculairement, c’est aussi la
problématique du visible et de l’invisible du Psaume CXXXIX,16 qui est visée. L’idole est
aussi image du faux, ou image fausse du vrai…avec ce qu’elle comporte d’illusion.
La création dans la création.
Le pouvoir de l’imagination et corollairement de l’écriture est déployé dans le roman de
Romain Gary Les enchanteurs : le golem y est un homme nouveau, qui bâtirait un monde
nouveau, avec pour seule arme de la bonne encre, du bon papier, et avec ta bonne
imagination juive…Ce golem de papier, de l’écriture, s’inscrit dans une quête d’éternité.
La dichotomie entre histoire et légende est remarquable dans la nouvelle de Torberg,
Golems Wiederkehr. Monde merveilleux des légendes et monde réaliste de l’histoire en train
de se faire cohabitent dans une rivalité significative : folie et rage destructrices de l’histoire
d’un côté et de l’autre, force du merveilleux qui se réalise et se vérifie, prenant le pas sur
l’histoire. La victoire de l’être golémique sur l’ennemi nazi, si elle conforte la fonction
initiatique du mythe, elle accrédite l’inscription d’une nouvelle légende dans l’histoire, et
inaugure une ère nouvelle. A la fin de l’histoire s’oppose l’éternité de la légende, dans la
palingénésie mise en lumière.
The Puttermesser Papers, s’inscrit dans une rêverie de paradis new yorkais, à l’instar du
modèle pragois. La brièveté de l’expérience golémique, la fin du paradis urbain font l’objet
d’une interrogation ; Puttermesser s’appuie sur la tradition hébraïque de l’acronyme PRDS,
bien connu des herméneutes bibliques, pour trouver la compréhension du paradis
précisément : le secret réside pour elle dans son intemporalité, qu’elle rattache au sceau de
Salomon. Paradis terrestre et paradis céleste sont mis en miroir. A l’ambition et la démesure,
à l’hybris, s’opposent la sagesse, l’éveil de la conscience. Le secret du golem, pour
Puttermesser, réside dans le fait qu’il relève d’une expérience intérieure, on le comprend à
la lumière de la brièveté du rêve de paradis du golem. Le roman apporte une confirmation à
la pensée de Maurice Blanchot, pour lequel la vision du golem serait de nature extatique, à
l’instar de la tradition : aux antipodes de toute existence permanente, le vrai secret de son
art réside pour Blanchot, dans l’intemporalité, la fugacité d’une expérience spirituelle, ainsi
que le suggère la convocation du sceau de Salomon dans le roman.
Le paradis de Puttermesser a une dimension imaginaire visionnaire, dans laquelle s’inscrit
l’expérience du golem. Le flou de la frontière entre réel et imaginaire le corrobore, aussi
Puttermesser a-t-elle quelque chose d’une Alice. Après un périple ponctué de tâtonnements
et expériences multiples et à la lumière d’une expérience mystique initiatrice, elle accède à
un nouveau mode d’être.
Xanthippe, la créature du roman d’Ozick, s’insère, à cet égard, dans une réalité littéraire, de
la même façon que sa « mère » s’invente une vie par procuration, une vie calquée sur ses
œuvres favorites, où émerge la vocation littéraire de l’héroïne. Les jeux de miroir
identitaires, le motif du double créateur / créature le traduisent. Le façonnement du
personnage artificiel s’inscrit semble-t-il dans l’optique de l’auto engendrement par le texte,
un golem de l’écriture, dans le sens où l’entend Régine Robin. La création dans la création
est en rapport avec une dimension initiatique.
Une poétique des commencements.
La quête identitaire de Golischa, dans La vie éternelle, roman, de Jacques Attali occupe une
place centrale dans le roman. Golischa ou golem ischa, c'est à dire Golem-femme, est
compris dans son sens d’être inachevé : à la recherche d’un père inconnu et entouré de
mystère, la connaissance de ses racines doit lui permettre de se construire. Rebaptisée Beth
au bout de sa quête, et considérée comme un messie, il lui revient d’écrire sa vie. Ce nom de
Beth qui lui est donné, un nom de lettre, la lettre de l’incipit biblique, est riche de
signification : il entre explicitement en résonance avec la tradition hébraïque et la Cabbale
des lettres. Aussi lui revient-il d’écrire une nouvelle page de vie, sa vie est dans le texte
qu’elle initie. La poétique de l’origine mise en place est spéculaire dans le roman, comme
l’indique la réécriture de la Genèse. Le symbole matriciel de la lettre Beth donne à entendre
qu’elle sera aussi à l’origine d’un monde en même temps que le texte qu’elle inaugure, en
tant que personnage lettre. La logique spéculaire dominante fait la part belle à la mise en
scène d’une poétique de l’origine, du commencement, de la création dans la création.
Le roman du hollandais Harry Mulisch, De Procedure, développe pour sa part le thème de la
création, dans une succession d’occurrences de commencements, qui se reflètent comme
dans un palais des miroirs : l’exposition de la quête d’un incipit s’articule autour de
l’évocation de la création du premier homme de la Genèse, comme aussi du « Livre de la
Création », avant la mise en scène de la création de l’homme artificiel, pour en arriver en
définitive à celle du personnage.
A la lumière des naissances bibliques et mythiques, naissance littéraire et naissance du
personnage sont déployées sur la scène du roman, pour en arriver à une naissance
scientifique, si l’on peut dire : la création d’une première cellule vivante à partir du minéral,
que l’on peut considérer comme un golem de science-fiction. Cette chaîne de
commencements est exemplaire et suscite un système de symétrie d’autant plus
remarquable qu’elle vient, en filigrane rappeler la naissance d’une petite fille mort-née. Le
motif de l’aube attaché au prénom de la petite fille Aurora ainsi qu’à la cellule « l’éobiont »
participe de la poétique des commencements mise en œuvre par le texte. L’élaboration du
texte et la structure narrative du roman s’inscrivent dans la perspective de la création du
golem, création littéraire et création du golem se superposent, comme l’indique la
catachrèse qui préside à l’incipit du roman.
Conclusion
Il semble donc que les œuvres étudiées corroborent la définition du mot golem, en tant
qu’être non fini, et dans la richesse du futur qu’elle sous-entend. La finalité traditionnelle est
très présente et vérifie la spiritualité de l’expérience. Le lien avec la littérature se confirme,
dans une poétique des commencements, en tant que création dans la création.