Huy, forteresse de la faim
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Huy, forteresse de la faim
mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 893 - janvier 2015 7 Huy, forteresse de la faim La forteresse de Huy en Belgique… Les nazis la transformèrent en un redoutable lieu de détention et en centre de triage vers les camps de concentration ou les poteaux d’exécution. Après la grande grève des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais en mai-juin 1941, plus de 270 de ces mineurs y furent enfermés. Quelques semaines plus tard, ils partaient pour Sachsenhausen. Jean-Marie Fossier fut l’un d’eux. Lui et ses camarades n’oublieront jamais Huy, la forteresse de toutes les souffrances. b ientôt pourquoi. On les avait embarqués dans des wagons de marchandises plombés et ils étaient restés plusieurs jours sans nourriture et sans boisson par une chaleur torride ». Quelques semaines après ce convoi, un autre venant de Lille arriva à Sachsenhausen le 29 juillet avec 161 Français (sont Une réserve d’otages En février 1943 les chambrées se transforment littéralement en hospice pour grabataires. Dans des circonstances mal définies sera constitué ce qui a été appelé « le train des allongés » qui transporte le convoi vers l’hôpital militaire de Lille. Certains y sont libérés moribonds. Le mitard L e général von Falkenhausen voulait disposer dans le nord de plusieurs « bagnes ». C’est ainsi qu’avec la forteresse de Breendonk celle de Huy, désaffectée depuis quelques mois, fut appelée à devenir un centre de détention dont beaucoup de mineurs se souviennent. Le 14 juin 1941 ils sont 276 à y arriver, premier convoi d’hommes qui viennent à peine de mener l’extraordinaire grève qui met en mouvement 100 000 gueules noires et toute une population solidaire. Durant quelques jours ces mineurs avaient été détenus dans différentes casernes à Lille, à Valenciennes où ils furent regroupés pour un voyage durant lequel ils purent apprécier la brutalité des convoyeurs de la Feldgendarmerie et des SS ainsi qu’en attestent tous les témoignages conservés. La réception fut particulièrement violente durant toute la montée à la forteresse : d’abord un chemin envahi par les hautes herbes puis le long escalier raide aux petites marches moussues et glissantes. Une étape A la nuit tombante, eut lieu le premier appel sur la place entourée des bâtiments sombres. « L’herbe et les arbustes poussés sur cette place nous montaient jusqu’à micorps. L’endroit était lugubre » écrit Paul Dubois. « Derrière les créneaux fusils et mitraillettes étaient braqués sur nous. Par équipe de 10 ou 15 nous fûmes acheminés dans les chambrées. Chacune comportant une forte table rectangulaire, un banc grossier de chaque côté, pas de lit, nous devions coucher à même le sol qui regorgeait d’humidité et qui sentait le moisi. Par la suite il y eut quelques paillasses de sciure de bois ». Ces mineurs ne restèrent là qu’un peu plus d’un mois. Le 22 juillet ils partirent pour Sachsenhausen où ils arrivèrent le 25 juillet. Déjà ils n’étaient plus que 244. 26 morts en cours de route. Un antinazi allemand, Rudolf Wunderlich, qui était détenu depuis plusieurs années nous dira après la Libération en parlant de leur a rrivée : « Ils étaient à demifous de faim et de soif et nous apprîmes botte par le sous-officier qui était un colosse mais aussi une véritable brute. » Ces trois étaient Joseph Hentges, 65 ans, Honorat Bouillet et Léon Strady (un infirme), militants communistes connus que le préfet du Nord avait fait insérer sur la liste fournie à la Kommandantur. Après chaque départ, le responsable orga nisait dans les chambres un moment de recueillement parfois précédé d’un court rappel de la personnalité de ceux qui nous avaient quittés. La citadelle de Huy sur la Meuse, sinistre lieu de détention de 1940 à 1944. ésignés comme Français tous ceux qui d appartiennent à des convois partant de la « Zone interdite », par exemple les nombreux Polonais). Il y aura ainsi jusqu’au 11 mal 1943 au moins 1 240 détenus venus de France. Avec eux se trouvait un nombre important de Belges à l’effectif très variable. A un certain moment, le 5 juin 1943, on dénombrait 573 présents. Hormis Sachsenhausen, les détenus de Huy furent aussi acheminés vers le camp de Herzogenbusch et la forteresse de Breendonk. Des « squelettes ambulants » A Huy la faim régna de façon presque permanente sauf en de rares périodes où nos amis belges eurent des colis. Chaque fois leur solidarité fut totale. Dans les nombreux témoignages de camarades aujourd’hui disparus, je relève : « La nourriture était infecte, une soupe où nageait une vague feuille de chou, un morceau de carotte ou de rutabaga, une soupe aux feuilles d’orties et de rutabagas sans sel ; le manque de nourriture fit de nous des squelettes ambulants » a écrit Victor Rémi. Dans le témoignage d’Hubert Delforge on lit : « Une bonne partie des détenus mangeaient des pissenlits qu’ils trouvaient (à l’occasion des corvées). Certains broutaient même l’herbe comme des lapins. Tous les matins, c’était la ruée vers les poubelles des cuisines pour ramasser le marc de café et les verts de carotte afin de les manger… » Désiré Germain signale : « De nombreux camarades étaient incapables de se tenir debout. Je me souviens très bien de quelques jeunes comme Georges Derœux, 18 ans, de Montigny-en-Gohelle, Henri Evrard, 17 ans, de Liévin, Hubert Ponchant d ’Hénin Liétard : par deux fois ils sont tombés en syncope par manque de nourriture. » Huy, c’est aussi le lieu des corvées épuisantes accompagnées de coups de crosse ou de poing et autres brimades. Louis Dussart raconte : « Un soir dans une chambre du bas les gardiens sont entrés et ont frappé tous les détenus, on n’a jamais su pourquoi. » Maxime Decloquement a reçu une volée de coups de crosse : « Dans un cas semblable, dit-il, pas de soins, pas de médecin, la souffrance s’ajoutant aux tiraillements de la faim meublait la nuit blanche. » Lieu de passage, Huy fut aussi l’antichambre de la mort. La forteresse ainsi que la « caserne de la rue Négrier » à Lille et la prison de Louvain constituaient les dépôts où le g énéral von Falkenhausen de Bruxelles et son subordonné le général Niehoff de Lille venaient puiser les otages qui peu après étaient exécutés au « champ de tir » à Bruxelles, à la citadelle de Lille, au fort du Vert galant à Wambrechies ou au fort de Bondues. Nul n’ignorait le sort destiné aux otages officiellement désignés. Avec mes 11 compagnons de route, tous ayant plus de 15 ans de travaux forcés, nous avons dû signer une nouvelle fois la feuille nous faisant connaître que nous étions otages. Et lorsque la Feldgendarmerie pénétrait dans la forte resse, on savait vers quels lieux partaient ceux que le mikado, chef du camp, désignait. Frimberger, qui était surnommé ainsi, fut le chef de la « cinquième colonne » en Belgique. Il parlait couramment le français et avec un large sourire il aimait nous crier : « Ne vous en faites pas, d’autres iront les rejoindre. » Edouard Vanlieuwen se souvient : « Un matin du mois d’avril 1942 à I’appel, des Feldgendarmes se présentèrent avec une liste. Ils la remirent à l’interprète (un Belge). Sur cette liste figuraient les noms de trois camarades qu’ils firent sortir des rangs en leur disant qu’ils avaient à préparer leurs bagages. Comme ils n’allaient pas assez vite ils furent bousculés à coups de poing et de Les chambrées sont en contre-bas de la grande cour et on y vit dans la pénombre. Dessous, en descendant plusieurs escaliers entrecoupés de grosses grilles, se trouvent des cellules où le jour ne pénètre que par une fente dans le mur épais de plus d’un mètre. « De véritables oubliettes dit Edouard Vanlieuwen. Comme nourriture nous n’avions ni soupe ni café mais seulement une petite boule de pain de 120 grammes. Cela dura deux semaines. Quand ce calvaire prit fin en sortant du cachot, à force d’être dans l’obscurité, nous étions aveuglés par le jour et tellement faibles que nous titubions comme des hommes saouls. » Une humidité constante vous donne froid et vous empêche de dormir sur le bat-flanc sans couverture. J’ai conservé longtemps un souvenir aigu de ma sortie après 16 jours passés dans l’un de ces cachots. Deux camarades de la corvée me portaient jusqu’à la grande cour puis dans la chambrée où la solidarité fit des prodiges. … Et toujours le combat Parler de Huy comme des prisons ou des camps de concentration sans évoquer l’extra ordinaire solidarité qui s’y manifestait et sans rappeler que le combat antifasciste s’y poursuivait, ce serait défigurer littéralement ce monde de la souffrance. A Huy les détenus venus du Nord et du Pas-de-Calais étaient entassés dans une aile des bâtiments. De l’autre côté de la cour se trouvaient les Belges. A certaines périodes ils bénéficiaient de colis de la Croix-Rouge. Toujours ils firent montre d’un large esprit de solidarité et surent se priver pour nous aider. Il y eut même des manifestations de soli darité qui nous faisaient chaud au cœur, comme celle de ce militaire allemand qui parvint à me remettre un supplément de nourriture, un jour dans le mitard. Deux autres gardiens firent passer, clandestinement évidemment, du courrier pour certains détenus. Et puis il y avait la solidarité de la Résistance belge. En accord avec des résistants de la « Zone interdite », ils firent parvenir dans la forteresse des journaux comme L’Humanité et bien des informations utiles. Ils favorisèrent quelques évasions. Il faudrait ajouter que constamment, malgré la présence de mouchards, les détenus réussirent à s’organiser pour que se poursuivent une vie politique intense et un travail culturel en faveur de tous… Jean-Marie Fossier (1991)