L`être humain est prédisposé à la coopération
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L`être humain est prédisposé à la coopération
lundi 30 novembre 2015 LE FIGARO 20 SANTÉ PSYCHOLOGIE # # PASCALE SENK SOLIDARITÉ Hébergements et « portes ouvertes » chez des Parisiens pour les rescapés des attaques qui erraient dans la nuit du 13 novembre ; partage sur les réseaux sociaux des photos et messages des parents de personnes recherchées… Les derniers attentats parisiens ont révélé que face à l’horreur barbare de certains, solidarité et altruisme se dévoilaient chez beaucoup d’autres. Bien sûr, cette entraide avait là les couleurs de la résistance. En temps de guerre, on se soutient. Mais en réalité, cette solidarité qui, lors de ces événements, prenait des formes aussi spectaculaires, est, selon les observateurs de notre altruisme, en place depuis quelques années et sous forme d’entraide. Celle-ci suppose que « je fais pour l’autre ce que j’aimerais que l’on fasse pour moi » en temps de grande difficulté, mais aussi quand la vie devient plus précaire. Et la crise a certainement creusé le sillon de ce vaste mouvement. C’est donc une vague d’entraide qui se manifeste depuis une décennie au moins dans tous les champs de notre société, de l’échange d’appartement aux associations de « patients experts », ou dans les Rers (Réseaux d’échanges réciproques de savoir), toutes ces démarches où chacun est tour à tour, et de manière symétrique, enseignant et enseigné, demandeur et pourvoyeur d’information, aidant et aidé. Mais sommes-nous capables d’établir et maintenir sur le long terme de telles relations ? Un sondage* réalisé dernièrement par Psychologies Magazine montre que 92 % des Français aident plutôt leurs proches que des inconnus ; si ce repli sur eux-mêmes assombrit le tableau, Brice Teinturier, qui analyse les résultats, observe toutefois que l’altruisme faisant le plus envie à ces sondés, c’est celui qui se fonde sur l’échange. « Il s’agit pour eux d’aider l’autre et de gagner quelque chose en le rencontrant dans sa réalité et sa complexité, et pas seulement de nourrir son ego en réalisant de bonnes actions. » Rien à voir avec la relation verticale : « je t’aide parce que je suis mieux loti que toi », mais plutôt « je t’aide parce que cela m’apporte aussi quelque chose ». L’entraide activée dans notre société ne se nourrit donc pas de bonne conscience, de « il faut », ni même de gentillesse, mais d’empathie, d’identification et de confiance. « Dans la vie professionnelle notamment, cela demande un certain niveau de maturité d’équipe, dans laquelle les per- Quand quelqu’un vous demande un renseignement dans la rue, généralement vous le lui donnez, car notre nature collaborative est réelle JEAN-MAXENCE GRANIER, SÉMIOLOGUE sonnes sont capables de se préoccuper du développement personnel et professionnel des autres », précise Olivier Piazza, codirecteur notamment des DU « executive coaching » et « intelligence collective et management » à l’université de CergyPontoise, et préfacier du passionnant livre Aider, écrit par le psychologue Edgar Schein (Éd. Dunod). « Pour qu’un tel échange existe, il faut à la fois la reconnaissance d’un besoin et l’établissement d’un accord . » Dans ces « organisations apprenantes », l’expert relève trois impératifs : l’usage du feed-back utile – « cela ne suffit pas de donner des conseils », explique Olivier Piazza, l’éradication des non-dits – « véritable poison des équipes » - et l’autodétermination de chacun, la soumission à l’autorité disparaissant peu à peu. « Les dirigeants eux-mêmes peuvent montrer leur vulnérabilité et participer à la transparence * Enquête Psychologies Magazine/Ipsos réalisée à l’occasion de la Journée de la gentillesse le 13 novembre 2015. !# " Jacques Lecomte, docteur en psychologie, est l’auteur de La Bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Éditions Odile Jacob) et Les Entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde (à paraître en février 2016, Éditions Les Arènes). LE FIGARO. - Des termes comme « gentillesse », « compassion » ou « altruisme » sont désormais employés par les médias, dans l’entreprise… Comment expliquez-vous une telle vague ? Jacques LECOMTE. - Les découvertes scientifiques sur les neurones miroirs, les zones cérébrales de la récompense ou les travaux de l’éthologue Franz de Waal sur l’empathie ont remis le focus sur les bons aspects de l’espèce humaine. Ainsi, l’imagerie cérébrale a montré que les zones de la satisfaction s’acti- LE DRESSING À VOS MESURES QUALITÉ FRANÇAISE GARANTIE 5 ANS Dimensions, façades, aménagements... composez le dressing dont rêvent vos vêtements. Prix d’ouverture ! Penderie haute inclinable, miroir orientable, porte pantalons coulissant, éclairage intelligent... une multitude d’astuces et d’innovations. CANAPÉS, LITERIE, MOBILIER : 3 000 M2 D’ENVIES ! PARIS 15e • 7J/7 • M° BOUCICAUT • P. GRATUIT • WWW.TOPPER.FR de l’information, alors que la détention de celle-ci constituait l’essentiel de leur pouvoir jusque-là. » La question qui permet un tel basculement de valeurs ? « “Comment pouvons-nous t’aider ?” , c’est elle qui instaure le mode collaboratif fructueux. » Cette question est désormais sousjacente à de nombreux forums du Web. Jean-Maxence Granier, sémiologue spécialiste des médias et fondateur de ThinkOut, relève que l’idéologie des réseaux sociaux est porteuse de cette utopie : « Facebook notamment est un hymne à l’échange… Mais faut-il se laisser illusionner », s’interroge-t-il ? « Je pense que le véritable enjeu est l’établissement de la confiance créée grâce aux évaluations sur les plates-formes. Chacun est appelé à participer, et toute place est potentiellement réversible. » Une entraide rendue certes visible grâce à la grande fluidité numérique, mais qui, selon ce sémiologue, a toujours existé : « Quand quelqu’un vous demande un renseignement dans la rue, généralement vous le lui donnez, car notre nature collaborative est réelle . » De quoi voir se dessiner un futur encore plus réjouissant ? « Ces dispositifs facilitant l’échange d’information et induisant davantage de symétrie et de confiance devraient mener à encore plus d’entraide. » ■ Canapés : 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40 Literie : 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10 Armoires lits : 60 rue de la Convention, 01 45 71 59 49 Gain de place : 58 rue de la Convention, 01 45 71 59 49 Mobilier Design : 145 rue Saint-Charles, 01 45 75 06 61 Dressing Celio : 143 rue Saint-Charles, 01 45 79 95 15 Meubles Gautier : 147 rue Saint-Charles, 01 45 75 02 81 vent lorsque nous sommes généreux, ou amoureux, alors que les zones cérébrales du dégoût, de l’aversion réagissent quand nous sommes témoins d’injustice. Nous sommes donc plutôt fabriqués pour éprouver du plaisir à la coopération. Mais c’est aussi la révolution numérique, et notamment les usages qu’en fait la génération Y, qui a permis à la culture de l’échange de se développer. Observez comment les étudiants aujourd’hui s’échangent des informations facilement… Ces nouvelles modalités techniques n’ont pas créé de nouvelles fonctions humaines. Celles-ci étaient déjà là, car l’être humain est biologiquement prédisposé à la coopération. détruire cette qualité originelle. Même les peuples premiers lui semblaient déjà « corrompus », en ce sens, incapables de bonté. Or on sait désormais que, chez les chasseurs-cueilleurs, c’est la paix et le sens du partage qui dominent. Même pendant les périodes de famine, l’entraide s’impose. On a observé que des aborigènes JACQUES ayant trouvé une baleine LECOMTE Docteur échouée sur la plage avaient en psychologie le réflexe d’alerter les autres peuplades pour qu’elles aussi profitent du festin. Je fais toutefois une distinction essentielle : nous sommes prédisposés pour l’entraide, mais non programmés pour cela. Il y a en l’être humain une potentialité biologique de bonté, mais celle-ci s’exprimera ou non en fonction de l’acquis (la culture, l’environnement…) et des choix Jean-Jacques Rousseau que l’individu fait. Nous pouvons donc avait donc raison, lui qui croyait développer notre capacité d’entraide. que la nature humaine était fondamentalement bonne… C’est cette aptitude qui fonde Il avait en effet perçu que le bébé est capable d’empathie, mais pensait que les la solidarité ? liens sociaux aboutissaient forcément à La solidarité renvoie à une sorte de « fraternité laïque » organisée par l’État ou institutionnalisée, alors que la bonté, terme complexe, a trois composantes : émotionnelle (j’éprouve de l’empathie), cognitive (je respecte et considère ces personnes) et active (j’ai un comportement altruiste)… Malheureusement, ces trois composantes ne sont pas toujours réunies. Et dans l’entreprise, pensez-vous que ces qualités puissent être développées ? L’entraide est fondamentale dans la vie professionnelle. En la cultivant, les employés donnent le « meilleur d’euxmêmes » alors que, lorsque c’est une culture de compétition qui règne dans les équipes, celle-ci les pousse au « pire d’eux-mêmes ». Ainsi, des études dans une entreprise allemande d’informatique ont montré que les employés les plus compétents sont aussi plus coopératifs : ils sont performants et n’ont donc aucun scrupule à partager leurs infos ou transmettre leurs connaissances. Et dans l’autre sens, ceux qui sont de nature coopérative ont une grande facilité à demander de l’aide aux meilleurs, donc leurs compétences s’accroissent. Ainsi, chacun y gagne. Car pour perdurer, il faut s’entraider. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR P. S. LE PLAISIR DES LIVRES Une maladie sauveuse de la Révolution française à la bataille de Valmy ? C’est la thèse que défend Sofiane Bouhdiba dans son dernier ouvrage, L’Ennemi invisible. Professeur de démographie à l’université de Tunis et spécialiste de la mortalité, elle revisite magistralement l’histoire de dix épisodes célèbres de guerres, des Croisades au Moyen Âge, à la guerre du Golfe, loin des images d’Épinal de duels glorieux, d’héroïques charges de cavalerie… Sans les nier, elle nous montre qu’une majorité des combattants meurent sans avoir croisé le fer avec l’ennemi. Les soldats ne succombent pas seulement en combattant l’ennemi les yeux dans les yeux, mais en étant fauchés par d’autres bien plus dangereux, les épidémies, les rigueurs du climat ou la famine. Tout comme les populations civiles projetées dans ces soubresauts de l’histoire. Revenons à Valmy. En septembre 1792, l’armée française, PAR JEAN-LUC NOTHIAS [email protected] opposant 30 000 Français à quasiment autant de soldats austro-prussiens, se prépare à une « étrange bataille » qui va se résumer à une furieuse canonnade. Il y aura 300 victimes françaises, 200 de l’autre côté. Pourtant, le 20 septembre, le duc de Brunswick, commandant les adversaires des Français, sonne une retraite aussi inattendue que précipitée. C’est que ses troupes sont touchées par une épidémie de forte dysenterie qui a fait penser à la peste. Une maladie amplifiée par les très mauvaises conditions d’alimentation (eau croupie, pain moisi) des troupes austro-prussiennes. Le récit du poète allemand Goethe, qui participa à la bataille, est d’ailleurs édifiant. Famine chez les croisés à Antioche les amenant à avoir toutes sortes d’hallucinations, peste à Caffa, dans l’actuelle Ukraine, variole, rougeole qui sont venues à bout des Aztèques bien mieux que quelques centaines de conquistadors, choléra en Crimée, la typhoïde en Tunisie… On aurait pu croire que le soldat actuel est souvent très bien équipé, vacciné, ravitaillé… Pourtant, quid de ce fameux et encore bien mystérieux syndrome de la guerre du Golfe que certains relient à l’emploi d’uranium appauvri… L’ENNEMI INVISIBLE « Histoire de la mortalité sur le champ de bataille ». Sofiane Bouhdiba. Éd. Pierre de Taillac. 174 p. 19,90 €.