Jean Failler, hanté par son personnage
Transcription
Jean Failler, hanté par son personnage
Jean Failler, hanté par son personnage LE MONDE | 04.08.2014 à 17h32 • Mis à jour le 05.08.2014 à 07h50 | Par Yann Plougastel (/journaliste/yann-plougastel/) Ancien pêcheur, le père de Mary Lester conte la Bretagne à travers ses faits divers. | GUILIA D'ANNA LUPO A l'intérieur du « soum », ce fourgon blanc de Gitan, il y a tout ce qu'il faut à un honnête homme pour vivre heureux : un lit, une petite table pour le Thermos de café et les croissants, un sac rempli de clubs de golf, du matériel de pêche au cas où les grandes marées viendraient à pointer leur nez, un appareil photo… Lorsque Jean Failler prépare une nouvelle enquête de Mary Lester, il fait comme les flics qui partent en planque dans leur « sous-marin ». Notre grand pendard d'écrivain organise sa camionnette, son soum à lui, et s'installe ni vu ni connu dans la petite ville de Bretagne où il compte camper son intrigue. Il s'imprègne de l'atmosphère, écoute les conversations dans les bistrots, sur les marchés, photographie les lieux pour nourrir les descriptions des paysages… Mais pas une note. Tout est dans la tête. Histoire de se rebiscouler, il s'offre de temps en temps un parcours sur le golf le plus proche. « Je suis une éponge qui s'imprègne. Et je presse ensuite pour raconter », s'amuse-t-il en reprenant la formule de son maître, Georges Simenon. A la saison des pluies, lorsque l'abondance d'eau douce aura chassé les crevettes vers la pleine mer, il commence l'écriture du nouveau roman, qui sera achevé en février-mars. Cela fait vingt ans que cela se passe ainsi. Vingt ans que Mary Lester, inspectrice à Quimper, est toujours trentenaire, avec sa natte et son duffle-coat. Vingt ans que de Camaret à Brest en passant par Concarneau ou Douarnenez, cette Sherlock en jupons, « très futée, pétrie d'esprit de justice et sans pitié pour les gros salopards », traque les malfaisants. Vingt ans et quarante aventures, vingt ans et 3 millions d'exemplaires vendus… ROBERT DEVIENT MARY Dans la maison de pêcheur où il habite à l'Ile-Tudy, au bout du pays bigouden, la cour est recouverte d'un plancher en bois, comme la dunette d'un brick et il n'y a pas de poignée à la porte d'entrée. On passe par le garage. Le bureau est au fond. Dans une deuxième petite maison, même petit lit que dans le soum. Des affiches de Georges Brassens. La collection complète du Chasse-Marée, la revue indispensable à tous les amateurs de mer. Des livres. Partout. Sur des étagères en bois clair. La Série noire. Tout Simenon, « le patron », dit-il. Des San Antonio en pagaille. Léo Malet in extenso. Alexandre Dumas en majesté. Et, surtout, Victor Hugo, avec qui il partage le même jour de naissance, le 26 février. Pendant près de trente ans, Jean Failler fut poissonnier sur le marché de Quimper. Puis, en 1990, la crise de la pêche le poussa au chômage et il dut réfléchir à une reconversion. Pourquoi pas l'écriture ? Après tout, depuis son enfance, à ses heures perdues, il écrivait des pièces de théâtre. On imagine les sarcasmes que rencontra à ce moment-là notre homme, à qui son institutrice avait prédit : « Tu ne feras jamais rien de bon. » Tourneboulé par la magie que continuait à susciter en lui Les Trois Mousquetaires, de Dumas, il s'interrogea : « Serais-tu capable d'en faire autant ? » Le défi lancé, il prit un bloc de papier et noircit les pages… En 1993, L'Ombre du vétéran, un roman d'aventures autour de la vie des marins pêcheurs à Concarneau au XIXe siècle, décroche le Prix des écrivains bretons. L'année suivante naît Mary Lester, dans une pièce commandée par la ville de Lanester, près de Lorient. Le personnage principal, un inspecteur, se nommait Robert Le Ster (la rivière en breton). Mais comme dans la troupe devant jouer la pièce il n'y avait que des filles, l'ami Jean transforma Robert en Mary (l'actrice avait l'air anglaise…). Le hasard, une coquille dans le programme, fit le reste, transformant Le Ster en Lester. Jean Failler fut littéralement hanté par cette jeune femme en natte et duffle-coat, qui, peu à peu, allait prendre les traits de sa propre fille, Marie Julie, aujourd'hui quadragénaire… Les Bruines de Lanester ouvre la série, qui allait se poursuivre avec Marée blanche (hommage au Chien jaune de Simenon), Boucaille sur Douarnenez… Jusqu'au récent, et 40e : La Croix des veuves, qui se déroule à Paimpol et s'inspire de la disparition du docteur Godard, de sa famille… « JE N'ÉCRIS QUE QUAND IL PLEUT » A chaque fois, la recette est la même : une aventure tirée d'un fait divers généralement réel, des descriptions précises des paysages et des villes, un fort souci des réalités économiques, aucun folklore et une volonté de caboter loin des clichés touristiques. « Je suis totalement imprégné de Bretagne. Où que j'aille, je la trouve merveilleuse. Le golfle du Morbihan m'enchante, la rudesse du pays bigouden ou du cap Sizun m'impressionne, le mystère de Huelgoat ou de Trevarez me donne des frissons. Cette fois, je suis tombé sous le charme de Paimpol et, quand je me suis retrouvé au coucher du soleil à la pointe de l'Arcouest, devant Bréhat, je n'ai pu m'empêcher de penser que c'était le plus bel endroit du monde, oubliant que je l'avais déjà pensé cent fois pour d'autres lieux où Mary Lester m'avait entraîné », s'enthousiasme derrière sa moustache celui se présente comme un raconteur d'histoires. En 1996, le succès lui permit de créer, avec un ami imprimeur, sa propre maison d'édition. Les Editions du Palémon publient tous ses écrits (théâtre, nouvelles, romans historiques, aventures pour la jeunesse et la série Mary Lester) ainsi que quelques coups de coeur pour des auteurs bretons… Pour le père de Mary Lester, le choix entre son clavier d'ordinateur et une partie de pêche est vite fait. Alors, inutile de chercher à le joindre les jours de grande marée. Il est dans l'eau, devant chez lui, haveneau en main… « Je n'écris que quand il pleut », lance-t-il en boutade. Lire le premier épidosde de la série (édition abonnés) : Elena Piacentini, la reine corse du polar ch'ti (/livres/article /2014/08/04/elena-piacentini-la-reine-corse-du-polar-ch-ti_4466431_3260.html) (/journaliste/yann-plougastel/) Yann plougastel/) Journaliste Plougastel (/journaliste/yann- Suivre