Etranger - Etre infirmière en Ukraine

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Etranger - Etre infirmière en Ukraine
Étranger
Être infirmière en Ukraine
L’Ukraine est l’un des grands pays d’Europe, forte d’une population de 48 millions d’habitants. Elle a des frontières avec de nombreux pays, dont la Russie, la Pologne et la Hongrie. Le Sud est
baigné par la mer Noire. Voyage hors de nos frontières de la santé.
D
epuis des siècles, le pays est
réputé pour son potentiel
agricole grâce à son climat et
surtout grâce à ses “terres noires”.
L’Ukraine est indépendante depuis près de douze ans (fin 1991).
Auparavant, c’était une république de l’ex-Union soviétique.
Outre le bouleversement politique, l’Ukraine a connu une modification radicale de son économie en passant d’une économie
collectivisée à une économie de
type libérale, avec, en particulier,
la privatisation de la majorité des
entreprises et l’arrivée d’investissements étrangers.
La langue ukrainienne est la
langue officielle, le russe est également très présent à l’est et au
sud du pays.
Sur le plan des relations internationales, l’Ukraine est attirée par
trois entités :
• l’Union européenne, à laquelle
elle voudrait un jour présenter sa
candidature. Elle met progressivement sa législation en accord
avec celle de l’Union européenne ;
• la Russie, à laquelle l’Ukraine
est fortement liée ;
• les États-Unis.
A partir de 1991, le pays a connu
une crise économique profonde
avec une baisse importante de la
production et une hyperinflation.
Depuis l’an 2000, on estime que la
croissance a repris, mais la vie des
citoyens reste, pour la grande majorité d’entre eux, très précaire. En
même temps, Kiev, la capitale, et
quelques autres grandes villes montrent des signes d’enrichissement.
La santé en Ukraine
A l’époque soviétique, l’accès
aux soins était officiellement entièrement gratuit. L’État prenait
totalement en charge tous les besoins de santé, préventifs et curatifs de la population. La réalité
ne correspondait pas totalement
à cette image. Il était admis que
certaines prestations médicales
devaient, à cette époque, être
payées par le patient de manière
“informelle”. Mais il n’était pas
nécessaire de payer pour être
soigné. La couverture du risque
maladie était perçue par la population comme acquise. Le passage à une économie libérale a
conduit à d’importantes perturbations du système de santé, en
particulier dans le secteur public. A côté du secteur public
se développe un système de
soins privé. Il n’existe pas de système public de remboursement
des soins. Dans les polycliniques
et les hôpitaux, les prestations
sont payables, sauf pour les plus
démunis.
Actuellement, pendant les périodes d’absence pour maladie,
les prestations de la “Sécurité
sociale” se limitent au paiement
d’indemnités de maladie qui correspondent au salaire, les cinq
premiers jours étant payés par
l’employeur.
Un service de gynécologie…
Je suis accueillie dans le service
de gynécologie de l’Institut de recherche, d’obstétrique, de pédiatrie et de gynécologie de Kiev.
A l’entrée de l’Institut, je décline
mon identité à une dame, chaudement vêtue (nous sommes en
hiver), assise dans un petit corridor vitré. Processus identique
pour “les visites”, qui ne sont pas
toujours acceptées au lit du patient. Les personnes se rencontrent dans le hall. En revanche,
il est strictement interdit de rencontrer les femmes qui vont accoucher ou qui ont accouché.
L’Institut a été rénové et peint en
bleu clair et blanc. Tout le personnel porte une coiffe. Autrefois,
en France, les infirmières en portaient. Cela a disparu dans les services d’hospitalisation.
Un professeur est responsable du
service médical et de recherche.
Ce même professeur est responsable du département de recherche, il est assisté de quatre
médecins. Le médecin qui m’a reçue est responsable du département médical. Elle est assistée de
deux autres médecins et elle est
également responsable du personnel paramédical.
Le service de gynécologie comporte 35 lits, répartis en 7 chambres. Chaque médecin est responsable d’une chambre. Deux
chambres sont réservées aux
suites opératoires de gynécologie.
Les interventions chirurgicales
sont programmées pour les lundi,
mercredi et vendredi. Les patientes sont hospitalisées en
moyenne 14 jours.
Le service comprend également :
• une salle de soins, vide de
meubles et de matériel (loin de
l’abondance de nos hôpitaux).
Les soins ne sont pas faits au lit
de la patiente, mais dans cette
salle, lorsqu’elle peut se déplacer.
La patiente doit gérer son planning de soins et surtout ne pas
oublier les différents rendezvous ;
• une salle pour les examens, en
particulier gynécologiques ;
• une salle d’échographie ;
• un bloc opératoire ;
• une salle pour la laparoscopie ;
• une salle pour le personnel ;
• des bureaux pour les médecins.
Au service sont attachées quotidiennement :
• une surveillante en chef supérieure ;
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 47 - juin-juillet 2003
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Étranger
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• une infirmière qui travaille
24 heures (à la demande du personnel, pour des raisons pratiques et de transport) ;
• une infirmière qui travaille dans
la journée (de 9 h 15 à 17 h) ;
• une aide-soignante qui travaille
24 heures ;
• une personne pour les repas et
le linge.
Infirmière dans le service
La transmission commence à
9 heures. Le jeudi, jour des interventions chirurgicales, l’infirmière (qui travaille 24 heures)
prépare les patientes opérées du
jour, les accompagne au bloc
opératoire et reste pour assister
le chirurgien. Elle devra ensuite
nettoyer les instruments et préparer les boîtes pour la stérilisation le soir.
L’autre infirmière (de jour) est en
salle. Elle organise et assure la
surveillance, les soins (dans la
salle de soins), la distribution des
médicaments (préparés la veille
par l’infirmière de jour et de
nuit), les prises de sang pour les
examens de laboratoires (apportées par l’aide-soignante au laboratoire ; parfois le prélèvement
sanguin est fait par une personne
du laboratoire) et elle met en
œuvre les prescriptions médicales. L’infirmière ne fait pas les
pansements et les prélèvements
gynécologiques : c’est le médecin, excepté lorsqu’il est absent
ou débordé.
L’aide-soignante participe aux
soins d’hygiène, fait les lits et le
ménage.
La visite du médecin est faite tous
les jours (chacun pour sa salle),
les infirmières n’y participent pas,
elles n’ont pas le temps. Les transmissions sont inscrites dans le
dossier du patient, il n’existe pas
d’informatisation.
L’atmosphère est sereine, il règne
une tranquillité étonnante : pas
d’agitation, pas de va-et-vient
permanent. L’hôpital est, bien
sûr, un lieu de soins et aussi de
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repos. Celui qui déroge au règlement est immédiatement rappelé à l’ordre.
Les conditions
de l’hospitalisation
L’hospitalisation est officiellement
gratuite pour les personnes qui
sont rattachées à l’hôpital de leur
arrondissement. Elle est payante
pour les personnes qui dépendent d’un autre arrondissement
ou d’une autre ville.
Le service de gynécologie a officiellement 30 lits, mais il y
a la possibilité d’hospitaliser
35 personnes. Faisons parler les
chiffres : le médecin responsable
est rémunéré 642 grivnas (environ 110 euros), un médecin
moins de 600 grivnas (environ
105 euros), l’infirmière générale
350 grivnas.
Les 5 lits officieux laissent au personnel du service la possibilité
d’hospitaliser des patientes “en
privé”. Cela lui permet de vivre
un peu plus décemment.
Dans le cadre des urgences, les
médicaments sont fournis gratuitement. Pour ce qui est des prescriptions médicales suivies, les
patientes doivent les acheter. Elles
doivent également acheter le matériel (seringues, bande, etc., jusqu’au coton). Nous sommes loin
de la gratuité totale dont nous bénéficions en France, lors d’une
hospitalisation ! Imaginons-nous
payer notre hospitalisation si
nous ne dépendons pas du secteur de l’hôpital ? Payer nos médicaments, notre coton ?
Les études d’infirmière
en Ukraine
Il est possible de commencer les
études d’infirmière après la neuvième classe (notre troisième) ou
à la fin des études secondaires,
elles durent alors deux ans au
lieu de trois. Elles se déroulent à
l’université. Le choix entre les
études d’infirmière et celles de
sage-femme se fait dès le départ,
les universités étant différentes.
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 47 - juin-juillet 2003
Lorsque les études durent trois
ans, la première année correspond à des études générales et
à un stage pratique en tant
qu’aide-soignante. Les deux années suivantes sont des études
professionnelles comprenant des
stages à l’hôpital et des apports
théoriques.
Le diplôme correspond à des
épreuves écrites et pratiques. Une
jeune diplômée n’est jamais seule
dans un service, elle est toujours
encadrée par des anciennes. Pendant cinq ans, l’infirmière a le
grade trois, elle progresse ensuite
au grade deux, puis au grade un,
pour aboutir finalement qu grade
d’infirmière en chef et d’infirmière en chef supérieure. La décision du changement de grade
est prise en commission. Cette
dernière réunit des médecins de
l’Institut, des infirmières en chef,
des infirmières en chef supérieures et des administratifs.
C’est le chef du service qui propose la candidature de l’infirmière. Cette dernière est présente lors de cette commission,
et doit répondre à des questions
pratiques et théoriques.
Conclusion
Les transformations politiques
et économiques ont des conséquences importantes sur les
soins : manque de matériel, de
médicaments, de médecins, qui
quittent le service public pour
rejoindre le service privé ou
pour exercer un travail plus
rémunérateur.
En ce qui concerne le service public, l’infirmière et le médecin sont
les garants de son maintien. Pas
de concurrence, mais une lutte
commune, au quotidien, pour le
maintenir. C’est une leçon d’humilité que je reçois à chaque fois.
Chantal Muszynski
Infirmière
* Je remercie le service de gynécologie qui m’a
reçue. Je mesure l’effort pour me recevoir et
surmonter les difficultés administratives.