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Les types de psaumes Nous avons vu qu’il existe différents types de psaumes. La question de la classification des psaumes en types est la question des genres (ou formes) littéraires. Comme nous l’avons lu, il y a différents types de psaumes qui correspondent à différents besoins ou à différents aspects de la liturgie d’Israël. Ce sont des psaumes qui servent aux différentes situations de la vie, mais aussi à différents moments, comme lors de fêtes, des pèlerinages ou d’autres occasions spéciales. Comme nous avons vu, ces différents types nous aident à comprendre le but du psaume et parfois même dans quelles circonstances il était chanté. Voici quelques types qui sont souvent identifiés dans la littérature. Notez que différents auteurs regroupent les psaumes différemment. Notamment, il arrive que ce que nous identifions ici comme type se retrouve comme sous-type dans d’autres nomenclatures. 1) Les hymnes ou les psaumes de louange. a) Ces psaumes louent Dieu pour qui il est, ils le glorifient pour ses attributs, pour sa grandeur et sa bonté pour la terre entière et pour son peuple. Quelques uns de ces psaumes : Selon Fee, Ps 8;19 ; 104 ;148 (où Dieu est loué comme créateur de l’univers) ; Ps 66 ; 100 ; 111 ; 114 ; 149 (où Dieu est loué pour sa bonté envers son peuple) ; Ps 33 ; 103 ; 113 ; 117 ; 145-147 (où Dieu est loué en tant que Seigneur de l’histoire). Mais il y a d’autres psaumes qui sont considérés par d’autres auteurs comme étant des psaumes de louange : Ps 29 ; 65 ; 67 ; 105 ; 135 ; 136 ; 148-150. b) On considère souvent qu’il y a une sous-catégorie aux psaumes de louange : les hymnes de Sion qui célèbrent et glorifient Sion ou Jérusalem (quoique Fee considère qu’il s’agit d’une sous-catégorie des psaumes de célébration). Après la construction du Temple de Salomon sur la colline de Sion à Jérusalem, colline achetée par David selon 1 Ch 22,1, cette dernière est devenue la Ville Sainte. Les psaumes de Sion sont Ps 48 ; 93 ; 96 ; 97-99, quoique Fee ait une liste un peu différente. Les hymnes de Sion commencent par un appel à louer l’Éternel et ont une structure semblable les uns avec les autres. 2) Les psaumes pénitentiels. Comme son nom l’indique, il s’agit de psaumes où le psalmiste ou le peuple exprime sa culpabilité et demande pardon. Quoique Fee ne mentionne pas cette catégorie, c’est une catégorie importante. À noter en passant : parfois le « Je » des psaumes (en général, pas seulement les psaumes pénitentiels) est un « Je » collectif, un peu comme dans nos chants où on dit à Dieu « Je me confie en toi », mais c’était encore plus vrai en Israël. Ce principe s’applique aux psaumes pénitentiels mais aussi aux autres psaumes. Les deux psaumes pénitentiels « purs » sont le Ps 51 et 130 parce qu’ils n’expriment que la culpabilité et la demande du pardon. De nombreux psaumes sont souvent classés comme étant pénitentiels même s’ils incluent d’autres éléments. Ce sont les Ps 6 ; 32 ; 38 ; 102 ; 143. (Même si David mentionne Sion, il s’agit surtout un psaume pénitentiel puisque bénir Sion revient à bénir David, qui est le roi et règne à Sion.) 3) Les psaumes sapientiaux. Les psaumes sapientiaux sont des psaumes de sagesse, souvent des psaumes qui nous poussent à la réflexion, par exemple sur la condition humaine. Ces psaumes ressemblent aux livres sapientiaux comme le livre des Proverbes. Ils tentent d’enseigner comment vivre pour obtenir le bonheur. Bien que Fee n’inclue que 8 psaumes dans cette catégorie (Ps 36 ; 37 ; 49 ; 73 ; 112 ; 127 ; 128 ; 133), beaucoup d’auteurs en incluent d’autres (Ps 1 ; 91 ; 119 ; 139 et même 19 ; 32 ; 34 et des parties d’autres psaumes). Par exemple, dans les Ps 37 et 73 on répond à la question : pourquoi le méchant prospère-t-il et comment le fidèle doit-il réagir? Lisez le Ps 37. Ce psaume nous enseigne que nous devons rester calme devant la prospérité du méchant parce que les méchants vont se faner, ils seront arrachés de la terre (v. 9). Les justes, eux, prospéreront. Les proverbes et la tradition sapientielle en général sont le résultat de l’observation de la vie et reflètent assez bien ce qui se passe généralement (les principes de la vie plutôt que des lois immuables). Plutôt que de désespérer devant la prospérité du méchant, il faut faire confiance à Dieu nous dit le Ps 37. Essentiellement, c’est le même principe qu’ailleurs, par exemple dans le livre des Proverbes. Cet enseignement est même repris par Jésus : celui qui vit par l’épée périra par l’épée est une réitération du principe général de rétribution. Le Ps 73 offre une autre réponse plus nuancée à la même question. Lisez-le. On observe que la tentation du juste est de jalouser les impies mais qu’il faut résister à cette tentation. La structure du psaume est intéressante : v. 1-3 introduction du problème v. 4-12 description des impies v. 13-15 questionnement, doute, remise en question v. 16-28 solution, compréhension du paradoxe La réponse du psaume est qu’il faut faire confiance à Dieu. À la fin il y aura vraiment une justice. La fin ultime des impies est certaine. Même si les anciens hébreux n’avaient pas une idée précise de la vie après la mort avant l’exil babylonien, ils ont reconnu ici que les impies vont se « faire attraper » à un moment ou un autre. Leur fin sera compatible avec leur façon de vivre. Un autre élément important du psaume est que le psalmiste se rappelle que Dieu l’accompagne dans ses souffrances. Même lorsque la réponse n’est pas immédiate, Dieu est présent. Il y a un grand réconfort en cela. La tentation dans un moment de crise est de croire que Dieu nous a abandonné. Il faut se « rendre conscient » constamment (en particulier lorsque tout va bien) que Dieu est toujours là pour que lorsque ça ira mal on pourra s’en rappeler. Ce n’est pas un réflexe naturel. La souffrance ne développe pas forcément la foi. La façon avec laquelle on y réagit est aussi très importante. Si on se révolte face à la souffrance parce qu’on n’a pas pris le temps de développer une théologie de la souffrance au moment où tout allait bien, cela ne nous aidera pas beaucoup de souffrir. Ce genre de psaume est un bon exercice pour nous aider à penser et à développer notre foi et notre pensée en prévision des moments de souffrance. Il faut avoir une base sur laquelle se reposer pour faire face à l’expérience profondément traumatisante que constitue par exemple la perte d’un époux, d’un enfant ou d’un membre de son corps. Les deux psaumes, 37 et 73 traitent du problème de la souffrance et du succès de l’impie un peu différemment et nous aident donc à obtenir un portrait plus clair qui peuvent nous aider à adopter une meilleure attitude par rapport à ce problème. (Les 4 prochains types sont identifiés dans Fee) 4) Les psaumes de lamentation. Les lamentations, comme on les retrouve en particulier dans le livre des Lamentations dans l’AT, mais aussi dans plusieurs livres prophétiques, étaient une façon d’exprimer le désarroi, la détresse, la douleur à Dieu. Jésus s’est lamenté sur Jérusalem (Mt 23,37-39; Lc 13,34-35). Il y a plus de 60 psaumes de lamentation, incluant des lamentations « individuelles » (Ps 3 ; 22 ; 31 ; 39 ; 42 ; 57 ; 71 ; 120) et collectives (Ps 12 ; 44 ; 80 ; 94 ; 137). Mais encore une fois, il faut se méfier de notre tendance à voir le « je » du psalmiste comme une expression purement individuelle de la foi. Ces chants étaient chantés en communauté, après tout. L’Église et le croyant peuvent bénéficier de ces psaumes et de leur approche par rapport à la souffrance pour exprimer des émotions intenses à Dieu. On peut ainsi rapprocher l’utilisation de ces psaumes de celle entourant les psaumes imprécatoires. 5) Les psaumes d’action de grâce. Il y a 6 psaumes d’action de grâce communautaire (Ps 65 ; 67 ; 75 ; 107 ; 124 ; 136) et 10 psaumes d’action de grâce de la part d’individus (Ps 18 ; 30 ; 32 ; 34 ; 40 ; 66 ; 92 ; 116 ; 118 ; 138). 6) Les psaumes de célébration. Cette catégorie très générale est avancée par exemple par Fee qui rassemble sous ce titre plusieurs psaumes sur des sujets très différents. Fee subdivise d’ailleurs cette grande catégorie en sous-catégories. D’autres, cependant, considèrent plutôt que les sous-groupes décrits par Fee sont en fait des types par eux-mêmes. On peut rapprocher la conception associée à cette catégorie de psaumes à ce que dit Kidner lorsqu’il affirme que les psaumes sont à la base de la liturgie utilisée lors de célébrations ou festivals. C’est un peu la même chose qu’affirme Fee lorsqu’il rassemble tous les psaumes liés à certaines activités de la vie officielle israélite en une seule catégorie, la « célébration ». Fee sépare ces psaumes en plusieurs sous-catégories différentes. Il y a les psaumes liturgiques pour le renouvèlement de l’alliance (Ps 50 ; 81 ; …). Il y a les psaumes qui célèbrent le choix de la dynastie de David par Dieu (Ps 89 ; 132). Il y a aussi les psaumes royaux ou messianiques (Ps 2 ; 18 ; 20 ; 21 ; 45 ; 72 ; 101 ; 110 ; 144), dont un est un psaume royal d’action de grâce (Ps 18) et un autre est un psaume royal de lamentation (Ps 144). Il y a aussi les psaumes d’intronisation, c.-àd. les psaumes qui célèbrent l’installation sur le trône du roi (Ps 24 ; 29 ; 47 ; 93 ; 95 à 99). Il est possible que ces psaumes aient été utilisés pour célébrer l’intronisation des rois en Israël, non seulement lorsqu’un homme devenait roi, mais possiblement chaque année pour renouveler son autorité/sa royauté. Enfin, il y a les psaumes de Sion. Fee croit qu’il s’agit de Ps 46 ; 48 ; 76 ; 84 ; 87 ; 122). Ces psaumes célèbrent Jérusalem comme la ville royale et la ville du Temple. Contrairement à Fee, certains auteurs considèrent ces psaumes comme étant une sous-catégorie des psaumes de louange (voir plus haut) et on donne souvent une liste différente de psaumes dans cette sous-catégorie de celle de Fee. Que l’on croit ou non qu’il est utile de rassembler ces sous-catégories ensemble, l’important avec ce type de psaumes est de se rappeler que les psaumes (ou certains psaumes) servaient souvent dans les fêtes ou les célébrations officielles, peu importe notre façon de les catégoriser. Encore une fois, nos modèles et nomenclatures sont des tentatives de décrire la réalité qui était certainement plus complexe que ce que peut reconstruire toute typologie des psaumes. La présence de psaumes « hybrides », qui peuvent entrer dans plusieurs catégories ou types, en est la preuve. 7) Les psaumes de confiance. Fee croit qu’il y a 10 psaumes de confiance (Ps 11 ; 16 ; 23 ; 27 ; 62 ; 63 ; 91 ; 121 ; 125 ; 131). Ces psaumes proclament la confiance des Israélites envers leur Dieu. Selon ces psaumes, on peut faire confiance à Dieu en toute circonstance. Pour montrer les différences, on pourrait examiner le Ps 91 qui est classé par Fee comme étant un psaume de confiance alors qu’il est classé par d’autres comme étant un psaume sapientiel. Qu’en pensez-vous? 8) Les psaumes messianiques ou royaux. Le thème est essentiellement la rédemption (du peuple, souvent) par le Messie, le roi choisi par Dieu. Rappelezvous que Fee les classe comme sous-catégorie des psaumes de célébration. Il y a deux genres de psaumes messianiques. a) Les psaumes qui font allusion au roi et à son règne : Ps 2 ; 18 ; 20 ; 21 ; 45 ; 61 ; 72 ; 89 ; 110 ; 132 ; 134. Relisez le Ps 2 : ce psaume inclut plusieurs images de la royauté. V. 1-3 : il y a une rébellion des rois vassaux contre le roi suzerain. Au v. 6 on dit que Yahvé a sacré son roi sur Sion, la montagne sur laquelle le Temple et la palais royal ont été construits. Le roi est le Messie, c’est-à-dire l’Oint su Seigneur, dont on parle au v. 2. Évidemment, c’est en Jésus que les psaumes messianiques comme celui-ci trouveront leur application ultime, mais ces psaumes n’étaient pas originellement chantés seulement dans l’attente du Messie. b) Il y a aussi les psaumes qui réfèrent à la personne du roi et à sa vie en général : Ps 8 ; 16 ; 22 ; 35 ; 40 ; 41 ; 55 ; 69 ; 102 ; 109. Ces psaumes font référence à des situations que le roi affronte. Encore une fois, l’application ultime de ces psaumes est en Jésus, mais il ne faut pas croire qu’avant la venue du Christ on ne pouvait pas comprendre ou appliquer ces psaumes. Prenons par exemple le Ps 22, entre autres les versets 26-32. Le chant avait un sens pour le psalmiste qui a composé ce chant, mais dans la passion de Jésus on retrouve l’application ultime de ce psaume. 9) Les psaumes d’intronisation. Comme leur nom l’indique, ces psaumes font référence à l’intronisation du roi, c’est-à-dire à son installation sur le trône. Ces psaumes peuvent aussi être considérés comme faisant partie des psaumes messianiques parce qu’ils font référence au roi. Fee les considère comme une sous- catégorie des psaumes de célébration. Mais on considère souvent qu’il y a une différence entre les psaumes d’intronisation et les autres psaumes messianiques ou royaux. Cette catégorie a été développée par Sigmund Mowinckel qui a suggéré que certains psaumes étaient utilisés originellement en Israël lors des cérémonies d’intronisation du roi. Les Ps 47 ; 93 ; 95-99 font allusion au Seigneur qui règne. Selon Mowinckel, les Israélites célébraient la fête du Nouvel an. Au cours de cette fête, le roi était réaffirmé dans son rôle/autorité, il était « réintronisé » (comme à Babylone). La théorie de Mowinckel stipule que l’on lisait ces psaumes lors de la cérémonie de « réintronisation ». À Babylone, on célébrait le Nouvel an (la fête de l’Akkitu), moment où Marduk distribuait les « sorts » (ou destins) de chacun. Selon Mowinckel, ça serait un peu la même chose en Israël, bien que l’on n’ait aucune preuve de l’existence d’une telle fête d’intronisation annuelle en Israël, à part une certaine interprétation de ces psaumes d’intronisation, ni que cette fête était liée à la fête de la nouvelle année (la Rosh Hashanah célébrée encore aujourd’hui parmi les juifs). Selon la théorie, Israël aurait célébré une cérémonie du nouvel an ET de l’intronisation du roi, et cette fête était basée sur le cycle des saisons et visait à s’assurer une bonne année à venir en célébrant la nouvelle année. À un certain moment durant la cérémonie les Israélites auraient célébré l’acte de la création par Dieu et sa lutte avec la mer et ses monstres qui représentaient les forces du chaos opposés à l’ordre créationnel. À un moment durant la cérémonie, l’Arche de l’alliance, qui symbolisait la présence de Yahvé, montait sur la montagne de Sion où elle était finalement acclamée au cri « le Seigneur est devenu roi » (Ps 93,1.5). En tant que roi, Yahvé confirmait son alliance avec Israël et avec la dynastie de David en les exhortant à observer ses lois (81,8ss ; 95,8ss) et, tout comme Mardouk, qui décidait des destins de l’année suivante, Yahvé « jugeait le monde avec droiture » (96,13) et donc il orientait les événements et assignait la destinée aux nations. Nous l’avons vu (Kidner notamment l’a écrit), certains biblistes croient que les psaumes étaient utilisés lors des fêtes et des festivals, et ici les psaumes d’intronisation auraient donc leur situation de vie, ce qu’on appelle en études bibliques le Sitz im Leben, dans la célébration du Nouvel an et de l’ordre apporté par Dieu pour l’année qui venait. Cette théorie de Mowinckel a été beaucoup critiquée, en particulier par Johnson et par Kitchen. En fait, il y a deux problèmes principaux avec la théorie : Il n’existe aucun texte biblique ou extra-biblique qui fasse référence à une telle cérémonie. Mowinckel procède par collage de différents textes pour reconstruire une cérémonie élaborée dont l’existence n’a jamais été attestée. L’expression « le Seigneur règne » ne signifie pas qu’il est devenu roi, mais décrit plutôt une situation réelle et permanente (qui n’a pas à être reproduite annuellement). Il s’agit davantage de la constatation d’un fait présent et permanent que d’une déclaration liée à une procédure en marche. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet vous pouvez lire Kitchen et en particulier son livre Ancient Orient and the Old Testament. 10) Les psaumes imprécatoires. Le mot imprécation veut dire « malédiction » ou « parole ou souhait appelant le malheur sur quelqu’un ». Les psaumes imprécatoires sont donc ceux qui appellent le malheur sur les ennemis du psalmiste. Ces psaumes sont certainement ceux qui sont les plus difficiles à interpréter et surtout à appliquer aujourd’hui. Ce sont les Ps 35 ; 69 ; 109 ; 137 (ou plutôt une partie de ce dernier psaume), quoique le motif imprécatoire soit présent ailleurs dans Ps 5 ; 7 ; 9 ; 10 ; 13 ; 16 ; 21 ; 23 ; 28 ; 31 ; 36 ; 40 ; 41 ; 44 ; 52 ; 54 ; 55 ; 58 ; 59 ; 63 ; 68 ; 70 ; 71 ; 73 ; 83 ; 94 ; 104 ; 139 ; 140. C’est sans compter évidemment les passages ailleurs dans l’AT, surtout dans les prophètes, où le motif imprécatoire est (très) présent sous forme poétique (mais sans qu’il s’agisse pour autant de psaumes). 11) Les psaumes historiques. Ces psaumes rappellent au peuple d’Israël l’histoire de l’action salvatrice de Dieu envers son peuple et en particulier sa délivrance de l’esclavage en Égypte et la création d’Israël en tant que peuple. En d’autres mots, ce sont des psaumes sur l’histoire du peuple d’Israël. Ce sont les psaumes suivants : Ps 78 ; 105 ; 106 ; 136. On ajoute souvent à cette liste le Ps 135. Brueggemann dans son excellent livre Abiding Astonishment parle beaucoup de ces psaumes et nous allons maintenant voir son hypothèse à leur sujet. Le Ps 78 est un très bon exemple de psaume historique. On y raconte les actes de Dieu en faveur de son peuple et l’infidélité du peuple envers lui. Lisez Ps 78.1-18, puis 78.38-55 et 78.70-72. Le psaume a pour but d’éduquer le peuple en lui rappelant la fidélité et les actes de Dieu et l’infidélité du peuple dans le passé. Ces psaumes disent en quelque sorte : puisque Dieu a agit pour son peuple dans le passé, le peuple devrait lui être fidèle. En soi, c’est déjà un excellent rappel pour nous : nous devrions nous rappeler de la fidélité de Dieu dans nos vies, en particulier lorsque nous avons l’impression qu’il n’agit pas dans le présent. Ce message est à rapprocher de ce que dit 1 Co 10,1-13 (dont v. 11 : « Or, tout cela leur est arrivé à titre d’exemple et a été écrit pour nous avertir… »). Mais les psaumes historiques font davantage que rappeler le passé pour encourager le peuple à agir fidèlement dans le présent/avenir. Ils proposent une vision du monde, une vision de Dieu et de l’être humain et de la relation entre les deux. C’est le genre de vision que nous essayons de décrire lorsque nous parlons de la « théologie » d’un psaume. La vision du monde proposée par ces psaumes implique que ce qu’Israël fait a de l’importance pour Yahvé et va même jusqu’à déterminer l’action de Dieu et donc détermine la vie que le peuple pourra vivre ainsi que son avenir. C’est un message qu’on retrouve aussi dans le Deutéronome et une bonne partie des livres historiques de même que dans les prophètes. Par exemple, Jr 18,7-10 fait mention d’une telle attitude de Dieu par rapport aux actions d’un peuple. La vision d’une telle relation entre Dieu et son peuple est que chacun des partenaires n’est pas condamné à suivre une ligne dictée par des actions passées et peut au contraire faire de « nouvelles choses ». Le peuple n’est pas prisonnier de son passé (infidèle). Ainsi, l’avenir d’Israël pourrait sembler éventuellement dépendre seulement de la fidélité de Dieu et donc être invariablement positif, ou encore l’avenir du peuple pourrait dépendre entièrement de l’infidélité d’Israël et donc aboutir à coup sûr au jugement et à la destruction. Mais la relation est en réalité ouverte ; les conditions ne sont pas finales. D’autres psaumes historiques disent la même chose. Ainsi le Ps 106, après la confession des péchés, demande à Dieu de délivrer le peuple. Et le Ps 105, après avoir manifesté de la joie, lance un appel au peuple à l’obéissance, de sorte que le peuple doit répondre à la fidélité de Dieu en étant lui-même fidèle. Dans ces deux psaumes, l’énoncé final va à l’encontre du reste du psaume et les deux psaumes eux-mêmes sont complémentaires l’un avec l’autre. Lisez 105,44-45 et 106,47. Ces psaumes affirment en fait qu’il y a possibilité pour un nouveau départ, où de nouvelles décisions peuvent être prises de part et d’autre. Même la révolution davidique du Ps 78 n’est pas finale (on pourrait voir aussi Jr 7,12-15 ; 26,9 et Ps 89, surtout les versets 19-39 pour la fidélité mais aussi v. 46-51). Dans un sens, ces psaumes ont une dimension sapientielle. Ils disent quelque chose au sujet de la sagesse et de la connaissance du comment-vivre, une préoccupation très sapientielle. En plus d’affirmer la possibilité de changer son avenir, les psaumes historiques déconstruisent une certaine vision du monde qui est erronée. Premièrement, ils affirment que la génération présente ne peut pas « rester sur le banc » et contempler le passé passivement. Voir aussi Jr 2,5-8 ; Ps 78,5-8. Deuxièmement, contrairement à ce que certains croyaient en Israël, Dieu n’est pas indifférent d’un point de vue moral. Dieu n’a pas que des préoccupations « personnelles » (Ps 50,9-13 ; Jr 5,12 ; So 1,12 ; Am 5,21-24 ; 6,4-6 ; Is 58,2-5) sans programme éthique, politique et économique. Lorsqu’on ne comprend pas la préoccupation de Dieu, la vie humaine peut facilement perdre de sa valeur et être réduite à des considérations comme l’argent, le pouvoir, l’astuce, l’influence, la sécurité et le confort. Plutôt que de vivre une religion basée sur l’alliance (avec tout ce que cela implique du point de vue éthique, notamment), le culte/la religion peut devenir une sorte d’échange de « matières premières » entre Dieu et l’être humain : l’être humain « donne » ses sacrifices et ses prières, Dieu bénit avec des récoltes, la prospérité et la stabilité politique. Mais en réalité, et c’est en partie ce que ces psaumes nous enseignent, Dieu se préoccupe de la justice sociale et il agit pour que la justice soit rétablie. Nous devons essayer de développer une compréhension de l’obéissance, de la supplication, de la reconnaissance et de l’ouverture à de nouvelles possibilités politiques et sociales. Les psaumes historiques peuvent ouvrir la porte vers une telle compréhension de la vie et des réalités sociales en proposant aux opprimés la possibilité d’une action de Dieu au sein d’une situation impossible et d’un système corrompu qui semble impossible à changer. Ces psaumes offrent l’espoir à ceux qui ne croient plus en la réforme des institutions humaines et terrestres en offrant la possibilité d’une intervention divine. Ces psaumes peuvent nous aider à ne pas perdre notre sens d’émerveillement devant l’action de Dieu. Limites d’une catégorisation des psaumes L’examen des différents types de psaumes est utile pour se rendre compte des différentes fonctions de différents psaumes. Cependant, comme nous avons discuté en classe, la réalité est plus complexe que nos modèles ou nos types qui tentent de décrire la réalité. Par exemple, il y a souvent des psaumes hybrides, qui contiennent plus d’un type (voir le Ps 137). Le fait que les biblistes ne s’entendent pas sur les différents types ni sur quel psaume fait partie de quel type démontre bien qu’il y a des limites à regrouper et à catégoriser les psaumes. Le psalmiste ne s’asseyait pas un matin en disant : « je vais composer un psaume de telle famille/de tel type ». Il avait une préoccupation ou une inspiration à évoquer telle situation ou à encourager un comportement (par exemple, mettre sa confiance en Dieu dans l’épreuve). Il existait différents « types » ou sous-genres littéraires. Par analogie, on peut remarquer que, encore aujourd’hui, il y a différents types de chants chrétiens, par exemple des hymnes plus traditionnels, souvent tirés de recueils ou alors des « cantiques » plus contemporains (ceux qui sont habituellement placés sur projecteur). Si quelqu’un devait décrire les chants des cultes évangéliques, il devrait parler (au minimum) de deux types principaux : les hymnes et les cantiques. Cela décrirait plutôt bien (mais de façon simpliste) la réalité. Toutefois, le compositeur qui veut écrire un chant chrétien n’est pas obligé de choisir entre écrire un hymne ou un cantique. Il ne choisira probablement pas consciemment de s’inscrire dans l’une ou l’autre catégorie : il composera le genre de chant qu’il aime chanter. Il pourrait même composer quelque chose davantage original, qui ne correspondrait pas exactement à l’un ou l’autre « type », ou alors choisir d’écrire quelque chose ressemblant davantage à un chant Gospel ou même à du classique, du jazz ou du blues, du country, une balade, etc. Les cantiques ont connu des mutations au cours des dernières décennies sous l’influence de différents compositeurs ou groupes (par exemple Vineyard) et on peut difficilement parler d’un seul genre littéraire, même si ça « fonctionne » pour différencier le cantique de l’hymne « traditionnel ». C’est la même chose avec les psaumes. Décrire les types n’est qu’une tentative de comprendre les psaumes en identifiant les différentes formes littéraires et les thèmes qui reviennent dans les psaumes, en rapprochant (regroupant) certains psaumes. L’insistance sur la classification en « types » comporte toutefois un risque : si nous regroupons les psaumes par type pour les lire ensemble, comme ces psaumes sont répartis dans le Psautier, nous pouvons en venir à considérer chaque psaume comme étant autonome, ou pire, comme faisant partie d’un groupe que nous avons constitué nous-même (le type auquel le psaume appartient). Ceci pourrait nous porter à croire que le Psautier n’est qu’un recueil désordonné de psaumes dont l’ordre importe peu. Nous pourrions alors penser pouvoir ignorer l’organisation du Psautier, et l’effet que cherche à produire celui ou ceux qui ont organisé le psautier dans sa forme finale et canonique. Or, c’est bien le livre des Psaumes dans sa forme finale (incluant l’ordre) qui est canonique et non les psaumes pris individuellement ou regroupés différemment par une typologie quelconque. Le Psautier est organisé de façon à produire un effet sur le lecteur, et cet effet fait partie du « message » du Psautier. Sans trop insister sur la lecture « dans l’ordre », il y a parfois un effet à lire des psaumes qui se côtoient, et cet effet était probablement voulu par les responsables de l’édition finale du Psautier. Cet effort d’organisation ne peut être analysé ici, mais certains biblistes ont étudié l’organisation du Psautier et ont proposé une influence sur la lecture des psaumes individuels lorsque leur « position » dans le livre est prise en considération. Comme nous l’avons vu, il arrive que des psaumes d’un même type se suivent, soient mis ensemble dans le psautier. Par exemple, on a vu que les psaumes 96-99 étaient tous des psaumes de Sion. On a vu aussi que les Ps 105-106 étaient tous deux des psaumes historiques et qu’ils étaient en fait complémentaires : un exprime la joie du peuple et se termine par un appel à l’obéissance et l’autre exprime la confession du peuple et se termine par une demande de délivrance. Nous avons aussi vu qu’il y avait certaines autres caractéristiques dans l’organisation du Psautier, comme par exemple le fait que chacun des « recueils » ou des parties du Psautier se terminait par une doxologie. Cet élément démontre bien qu’il y a des principes d’organisation à l’œuvre derrière l’arrangement des psaumes, bien qu’on ne s’entende pas sur l’ensemble de ces principes. En fait, il semble que le Psautier ait été ordonné suivant une logique et que cette logique soit davantage littéraire que liturgique. Autrement dit, il semble que l’on ait arrangé les psaumes suivant des considérations d’ordre littéraire (comme on organise un livre) plutôt qu’en suivant l’utilisation des psaumes dans liturgie ou la religion d’Israël, ce que les biblistes appellent le Sitz im Leben. De plus, on peut considérer qu’il y a au moins un (possiblement plusieurs) motif qui unifie les psaumes, c’est-à-dire le motif sapientiel. Le motif sapientiel peut se résumer à l’opposition du juste au côté de Yahvé vis-à-vis les impies qui s’opposent à Yahvé. Les psaumes 1 et 2 ont été placés au début du Psautier pour une raison : ils constituent l’introduction au Psautier et devraient donc diriger la lecture du livre entier. Le Ps 1 met ces deux voies en évidence et est évidemment un psaume sapientiel. Mais même le Ps 2, un psaume messianique (ou royal), correspond à la lutte ou à l’opposition entre le juste et l’impie, l’Oint de Yahvé et ses opposants (et donc les opposants de Yahvé), ce qui est aussi une catégorie sapientielle. La lecture des Ps 1-2 devrait donc, selon certains biblistes, influencer la lecture du Psautier en entier. En bref, l’étude de l’organisation du Psautier et de l’effet de lire un psaume donné en examinant l’endroit où il a été placé, ont été mis de l’avant par plusieurs auteurs ces dernières décennies. Autrement dit, le lecteur devrait probablement lire le Psautier comme s’il s’agissait d’un livre et donc lire les psaumes dans l’ordre comme vous l’avez fait dans vos lectures obligatoires. Il est préférable de lire le Psautier comme un livre plutôt que de lire les différents types de psaumes regroupés ensemble en tant que liturgie pour une situation particulière ou pour une cérémonie particulière, en les isolant des autres psaumes qui ont été placés autour d’eux par le rédacteur final du Psautier. Autrement dit, il faut probablement lire le Psautier comme n’importe quel autre livre de la Bible : en tenant compte de son contexte littéraire. Encore une fois, nous avons vu que les Ps 105 et 106 ont été placés côte à côte non seulement parce qu’ils sont tous les deux des psaumes du même type, c’est-à-dire des psaumes historiques, mais aussi parce qu’ils étaient complémentaires. La lecture conjointe de ces deux psaumes modifie le sens de chacun d’eux. On pourrait parler aussi des Ps 93-100 qui eux non plus ne se retrouvent pas ensemble par hasard mais ont plutôt été regroupés à cause de leurs caractéristiques littéraires communes. D’autres psaumes qui se retrouvent côte à côte dans le Psautier semblent avoir été placés ensemble pour une raison. Vous pourrez lire davantage sur l’organisation du Psautier dans des ouvrages récents, mais une chose est claire : si le regroupement des psaumes en types peut être utile pour comprendre quels sont les différents motifs ou thèmes ou les structures (formes) possibles, la compilation des psaumes et l’ordre dans lequel ils ont été rassemblés ne doivent pas être négligés dans l’étude des psaumes.