1813 le renard

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1813 le renard
1813
LE RENARD
Le 8 septembre 1813, le petit corsaire le Renard – un seul mât, une voile
carrée et une voile aurique – est pris en chasse dans la Manche par une rapide
goélette de la Royal Navy, l’Alphéa. Le Renard ne dispose pas de toute son
artillerie ; une partie se trouve encore dans la cale. L’Alphéa est armée de 16
canons de 12, et 16 autres plus petits.
La disproportion est si flagrante qu’un commandant prudent eût tiré sa
révérence, balancé par-dessus bord ses canons et viré en un clin d’œil vent
arrière. Pas Leroux, qui est de l’armement de Blaize-fils et Surcouf. Jamais il ne
déshonorera l’illustre corsaire, son patron, ni le drapeau tricolore. Il fait face avec
sa poignée de marins.
Ceux de l’Alphéa sont des British aguerris, sachant tirer et manœuvrer.
Les premiers coups de mousqueterie tuent les Français qui s’emploient à mettre
en batterie des canons remontés de la cale. Le bateau roule et tangue.
L’équipage paraît désemparé.
Sans perdre une seconde, Leroux s’adresse à ses matelots :
« Etes-vous résolus à vous battre pour éviter les affreux pontons, la honte
de l’Angleterre ? »
Les hommes se reprennent et la réponse arrive unanime :
« Plutôt la mort que de nous rendre ! »
Un matelot, Joseph da Rocha, génope1 le pavillon. La nuit tombe. La lune
se lève et éclaire l’océan. L’Anglais, cherchant à couler le Renard, accomplit une
mauvaise manœuvre et se présente de biais aux Français. Faute que Leroux
s’empresse de mettre à profit.
Quelques boulets bien ajustés fracassent les superstructures de l’Alphéa.
Le capitaine anglais est désorienté, une autre manœuvre le remet en bonne
position pour envoyer à son tour une terrible bordée aux Français.
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Fixer le pavillon de telle sorte qu’on ne puisse l’amener et se rendre
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LE RENARD
Cette fois, le petit Renard a eu le pont déchiqueté, que des flaques de
sang maculent. Le lieutenant Derosse et Berthelot sont tués. Duval Ramerie à la
jambe emportée par un boulet ; il meurt peu après. Le bateau s’éloigne à
quelques encablures. Mais le Renard revient à la charge et approche du bord de
son adversaire.
En présence de la résistance opiniâtre qu’ils rencontrent, la fureur des
Anglais grandit. Ils jettent à la tête des matelots du corsaire, tous les projectiles
qui leur tombent sous la main ; des boulets, des sabres, des pistolets que l’on n’a
pas eu le temps de recharger. Le combat est si féroce qu’au milieu des coups qui
s’échangent, les blessés restent étendus sans secours sur les gaillards. Cet
abordage ne peut se terminer que par l’anéantissement de l’un des combattants.
Le second capitaine, Calipet, en encourageant les siens à bien faire, reçoit
un biscaïen en pleine poitrine et tombe foudroyé. Il est immédiatement remplacé
au poste qu’il occupait par le second, le lieutenant Herbert-Closneuf.
Quoique les deux navires se soient abordés, les batteries n’ont pas cessé
leur feu, qui est d’autant plus meurtrier, qu’à chaque coup de roulis, la volée des
pièces s’engage dans le sabord opposé. Les membrures craquent et les éclats de
bois volent de tous côtés au milieu du sang et des lambeaux de chair que la
mitraille arrache aux malheureux.
Les bourres des gargousses tombent enflammées, au risque de mettre le
feu. Un novice du Renard a les pieds brûlés. A ses côtés, l’Américain Georges
Cook a les jambes coupées et tombe sans une plainte. Les hommes qui
pataugent dans le sang, sont obligés de rester pieds nus pour ne pas glisser.
Afin d’aller plus vite, les refouloirs ne sont pas utilisés, et les boulets sont
chargés et enfoncés à la main dans les pièces surchauffées qui rougissent la peau
de leurs mains. La mort seule peut arrêter leur courage.
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LE RENARD
Voyant deux de ses pièces hors d’usage, Herbert-Closneuf fait chercher
des grenades et, assisté de plusieurs mains, les jette à la volée sur le pont
ennemi. Elles éclatent et achèvent de mettre un désordre indescriptible.
On croit remarquer que la voix du capitaine anglais a cessé de se faire
entendre. Joseph da Rocha, monté sur les barres de hune, rapporte que deux
fanaux placés de chaque côté de l’Alphéa éclairent les nombreux blessés anglais
que l’on descend dans la cale.
Debout à l’arrière, Leroux encourage son équipage, par son exemple, puis
tombe et reste étendu. Un boulet lui a coupé le bras à l’articulation de l’épaule. Il
se relève péniblement et rassemble ses forces :
« Courage, mes amis, encore un effort… l’ennemi va se rendre ! »
La lutte opiniâtre continue. Désespérés de la blessure que vient de
recevoir leur capitaine, les canonniers redoublent d’activité. L’artillerie de l’Alphéa
ralentit son feu et ne répond plus que faiblement à celui du corsaire. Les Français
– ceux qui résistent – sont épuisés de fatigue. Les canonniers, brûlés de la tête
aux pieds, ont été décimés. Les deux partis, également éprouvés, reprennent
haleine.
A ce moment, le drapeau anglais tombe de la vergue de pic dans la mer.
Un cri d’enthousiasme s’élève :
« Vive l’Empereur »
Les hommes croient que l’ennemi s’est rendu. Il n’en est rien. L’étendard
anglais réapparaît sur la poupe et le capitaine retrouve ses angles de tir et
canonne les Français. Exacerbés par cette reprises des hostilités et désireux d’en
finir, ceux-ci ripostent avec furie. Ce round n’est pas de longue durée. La
canonnade faiblit du côté anglais, tandis que les Français redoublent d’énergie.
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LE RENARD
Il y a deux heures et demie que la bataille est engagée quand deux
boulets tirés par le Renard atteignent un baril de poudre. Plus fragile, l’Alphéa
saute et coule aussitôt.
Le Renard a triomphé, mais quelle boucherie !
Etendue sur sa couchette, le capitaine Leroux-Desrochettes apprend la
victoire. Un caillot de sang qui s’est formé à l’épaule à arrêté l’hémorragie, mais
la gangrène a rapidement infecté l’épaule et le capitaine souffre affreusement ;
de plus il ressent des douleurs dans la poitrine. Il décèdera quelques heures plus
tard. Le Renard atteint la Grande Anse sous le cap de La Hague, où l’on soigne
immédiatement les blessés.
Le lieutenant Herbert-Closneuf devient capitaine et reçoit la Légion
d’honneur. Surcouf donne sur sa bourse une forte somme pour subvenir aux
soins des survivants et aider les familles des disparus. Il s’adresse à Decrès pour
que l’on accorde des pensions aux mutilés, aux veuves et aux orphelins.
Gravement avarié, le Renard est désarmé. Contrairement aux règles
contractuelles de la guerre de course, Surcouf ne reçoit aucun dédommagement.
Mais le Renard, après avoir été complètement réparé, sera armé à nouveau. Son
capitaine sera André Georges Michel, un ami de Surcouf et l’un des derniers
corsaires de la marine française.
La guerre de course qu’illustrèrent tant de capitaines depuis un siècle
touche à sa fin. Le Renard est le dernier navire malouin muni de lettre de
marque. Il sera désarmé en 1814.
Saint-Malo aura armé, du début de la Révolution à la fin de l’Empire, 320
corsaires. Ils auront mobilisé de très nombreux navires anglais pour leur faire la
chasse. Mais ils ne purent empêcher le développement de la marine marchande
anglaise qui était, en 1810, de 23.703 bâtiments.
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