Billet d`humeur (pas terrible l`humeur)
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Billet d`humeur (pas terrible l`humeur)
Billet d'humeur (pas terrible l'humeur) Philippe Carrese ou se les prendre et se les mordre (mais c’est pas facile…) On nous bassine depuis pas mal de temps avec un discours grandiloquent sur la création, le service public, la télévision de qualité, la différence. On nous ferait presque la morale (je dis « on »… « on » se reconnaîtra ; ou pas, d’ailleurs). Alors, nous, petits soldats de la création télévisée, nous appliquons à faire avancer la machine, mais avec la très désagréable impression qu’« on » freine des quatre fers pour que cette machine ne puisse pas rouler (le même « on », toujours ; « on » est un concept typiquement français ; pour donner une idée, « on » n’a jamais autant été hystérique sur les résultats Audimat que depuis que ceux-ci ne sont plus d’actualité). Dans ce contexte et devant cette demande (demande séduisante : faire de la télévision de qualité, originale…), nous arrivons quelquefois à produire et à réaliser des téléfilms ambitieux, hors des sentiers battus, autour de récits inédits. Bon… Je ne raconte pas l’énergie déployée pour aboutir au terme de ces expériences, mais ça fait partie du jeu, et ce jeu créatif en vaut vraiment la chandelle. Que penseriez-vous, par exemple, d’un long-métrage unitaire racontant dans un film choral (donc un film au casting riche et à la narration originale) les péripéties de personnages perdus dans la Débâcle de 1940 (donc un film d’époque), coincés dans une forteresse d’altitude (donc un film dépaysant avec de très belles images de montagne) qui inventent le fonctionnement européen avec quelques années d’avance sur l’histoire (donc un film développant une thématique très actuelle) au-travers d’une fable tragi-comique en forme de huis clos pendant l’attaque de l’armée italienne (donc un film de guerre, d’action et à suspense) ? Pour les Luxembourgeois perdus dans la tourmente, nous aurions l’immense chance d’avoir Feodor Atkine (si si, le « Manuel » de Talons Aiguilles, d’Almodovar) et Marie Kremer (l’institutrice d’Un village français ). Pour jouer les rabbins polonais en déroute, Olivier Sitruk (Coco Chanel, L’Appât…) et Wojciech Pszoniak (mais oui, l’acteur qui jouait Robespierre dans le Danton de Wajda). Pour les rôles italiens, nous retrouverions les comédiens de Nanni Moretti (Luisa de Santis, Paolo Fosso) ou des têtes d’affiche de la péninsule (Stefano Cassetti, l’inoubliable Roberto Succo, ou Mia Benedetta, comédienne romaine en vogue). Et pour le trio de chasseurs alpins qui gardent la citadelle perchée et son dédale de couloirs angoissants, Arthur Jugnot (Les Bronzés, Je vous trouve très beau), Damien Jouillerot (Effroyables jardins, Les fautes d’orthographe) et Patrick Bosso (ben oui, le Patrick Bosso gendarme dans Bienvenue chez les chtis, l’humoriste qui fait près de 40% d’audience sur TF1 avec Mes deux maris), ici dans son premier grand rôle dramatique, une vraie révélation. La musique du générique serait composée et interprétée par Emily Loizeau, la musique originale du film serait interprétée par le Quatuor Manfred, composée par Raphaël Imbert, les effets spéciaux seraient signés Mac Guff… © Comic Strip - L'Arche de Babel - Olivier Sitruk et Wojciech Pszoniak L’Arche de Babel d’un oubli définitif. Ce téléfilm devait être programmé en deuxième partie de soirée le 9 mai, journée de l’Europe. Pas totalement satisfaisant comme horaire de diffusion, mais déjà un grand pas. Nous avons pu enfin annoncer à tous ceux qui s’étaient généreusement impliqués dans l’aventure, comédiens, musiciens, techniciens, prestataires, qu’une issue honorable était en vue. Puis, nous l’avons appris presque par hasard, ce téléfilm à l’origine commandé pour être un « prime » du samedi soir 20 h 30 a finalement été programmé l’après-midi du samedi 8 mai, vers 15 h 30 (à l’heure de Derrick, approximativement). Un inédit à 15 h 30, un samedi de printemps… Bon. D’ac’. Que dire ?… Pas grand-chose. Simplement constater que je ne suis même pas étonné. C’est déjà un miracle que ce film soit diffusé, je ne vais pas me plaindre. Et me rappeler peut-être aussi qu’il y a vingt-cinq ans, la direction parisienne de France 3 était déjà passée à côté des Nuls, concept développé avec le succès qu’on sait par les équipes de Canal + à partir de Bzzz, ma première série télévisée bricolée pour une antenne régionale de la chaîne. On est raccord. Et « on » est raccord. Philippe Carrese, réalisateur, auteur, le 2 mai 2010 L’Arche de Babel, réalisé par Philippe Carrese, produit par Thierry Aflalou Comic Strip productions, scénario original Philippe Carrese – Dominique Lombardi, en coproduction avec France 3, diffusé le samedi 8 mai à 15 h 20. Avec Patrick Bosso, Arthur Jugnot, Damien Jouillerot, Féodor Atkine, Marie Kremer, Wojitek Psoniak, Olivier Sitruk, Stefano Cassetti, Mia Benedetta, Luisa de Santis, Paolo Fosso, Luigi Filotico, Eric Fraticelli, Jacques Leporati, Jeremias Nussbaum, Jean-Jerome Esposito, Antoine Cœssens. Une fois achevée, cette fiction serait sélectionnée dans des festivals européens : à Rome pour le festival de la fiction, à Igualada pour le festival du téléfilm européen, à Autrans pour le festival du film de montagne… Ce film serait acheté par les Italiens de la RAI, ce film serait une belle histoire cinématographique, professionnelle, humaine… Commandé par Patrick Pechoux (courageux directeur des programmes malheureusement décédé à quelques semaines du tournage), et à qui il est dédié, L’Arche de Babel est le premier téléfilm initié depuis la province pour France 3 par une modeste société de production loin des grands groupes de la capitale. L’Arche de Babel a été développé, produit, tourné, finalisé en HD et son 5.1. Superbe expérience, beau résultat. Et après… Après, c’est là qu’on se les prend et qu’on se les mord (si on est resté assez souple après tous ces efforts). Ce film est resté dans un tiroir (bien au fond) chez France Télévisions pendant trois ans, avec pour seule raison invoquée la présence de quelques sous-titrages. Les dialogues en italien et les phrases en yiddish (trois minutes trente de sous-titrage en tout et pour tout, j’ai mesuré) feraient fuir le téléspectateur de la chaîne, sans doute considéré comme trop abruti pour pouvoir à la fois lire et regarder les images. Et à toutes nos interrogations, à toutes nos questions sur des raisons plus recevables quant à la mise au rebut de cette production, « on » n’a jamais répondu que par quelques borborygmes méprisants (quand on a bien voulu nous répondre). Que n’avions-nous pris Victor Lanoux ou Mimi Mathy comme vedettes, que n’avions-nous pas fait Les Experts à Guingamp (…à Guingamp ?) plutôt qu’un « vrai film qui ne ressemble pas à un téléfilm » (ça aussi, je l’ai entendu). © Comic Strip - L'Arche de Babel - Damien Jouillerot et Arthur Jugnot 8 • La Lettre des Réalisateurs n° 24 Un récent changement de direction à la tête de la chaîne a sauvé La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 9 Billets d'humeur Rappeler aussi que mon précédent téléfilm, Liberata, première fiction finalisé en haute définition dans le cadre d’une production pour France Télévisions, prix spécial du jury au Festival de SaintTropez en 2005, prix SACD 2006, grand prix de la fiction HD au Satis 2006, téléfilm kinescopé et sorti en salle, n’a jamais été diffusé sur l’antenne nationale de France 3, même pas à 3 heures du matin entre deux documentaires animaliers, alors qu’il avait été préacheté par la chaîne, sur le même prétexte imbécile d’un manque d’intérêt du téléspectateur moyen pour les films en partie sous-titrés.