LA DIMENSION CULTURELLE DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN
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LA DIMENSION CULTURELLE DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN
LA DIMENSION CULTURELLE DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN AMERIQUE LATINE IEP de Toulouse Mémoire pour la 4ème année Présenté par Claire Lawrence Directeur du mémoire: Bernard Labatut IEP 2008 1 2 LA DIMENSION CULTURELLE DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN AMERIQUE LATINE IEP de Toulouse Mémoire pour la 4ème année Présenté par Claire Lawrence Directeur du mémoire: Bernard Labatut IEP 2008 3 Avertissement : l’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires. Ces opinions doivent être considérées comme propre à leur auteur. 4 Remerciements: Je tiens tout d'abord à remercier M. Bernard Labatut qui a su me guider efficacement dans la réalisation de ce mémoire de recherche. Ses conseils ont été précieux. J'adresse également mes remerciements sincères à Alexandre Roig, mon responsable de stage au cours de l'année universitaire 2006/2007, au moment où j'étais en Argentine. C'est grâce à lui que j'ai pu commencer ce travail. Le soutien de mes proches a, par ailleurs, été lui aussi important. Ils ont été d'une écoute très utile à chaque étape de ce mémoire. 5 SOMMAIRE Introduction P.8 PREMIÈRE PARTIE - DES RESSOURCES EXCEPTIONNELLES MAL EXPLOITÉES P.13 Chapitre 1- Les héritages de l'influence culturelle française en Amérique latine Section 1 – Brève histoire de la diffusion culturelle française en Amérique latine Section 2 – L'État français n'est pas le seul acteur sur ce terrain P.13 P.13 P.17 Chapitre 2 - Des ressources actuelles très riches mais trop peu efficaces Section 1 – L'organisation de cette politique culturelle extérieure Section 2 - Le rôle de la Direction Générale des Relations Culturelles : diriger la politique culturelle extérieure Section 3 – Les autres acteurs de la politique P.22 P.22 P.25 PARTIE 2 – LE MANQUE D'ADAPTATION DE CETTE POLITIQUE P.32 Chapitre 1 – Les mutations de la politique culturelle extérieure : quelques avancées Section 1 - Le volontarisme du Ministère de la Culture au sortir de la P.32 P.33 P.27 Seconde Guerre Mondiale fait de l'ombre au Ministère des Affaires étrangères Section 2 – Les tentatives de renouvellement du travail du Quai d'Orsay P.35 Chapitre 2 – La politique culturelle extérieure et l'uniformisation culturelle P.41 Section 1 – La défense de l'exception culturelle P.41 Section 2 – La France comme alternative à l'hégémonie culturelle anglo-saxonne? P.44 Chapitre 3 : Une politique encore largement figée dans son passé Section 1 – Une image basée quasi-exclusivement sur un passé considéré comme glorieux Section 2 – Une politique inadaptée. Les pistes proposées pour son renouvellement Conclusion P.46 P.46 P.47 P.55 6 7 LA DIMENSION CULTURELLE DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN AMERIQUE LATINE " peut-on gouverner la création et l'imaginaire comme on le fait des affaires publiques d'un Etat?" Jean Duvignaud1 Le début du déclin de la diplomatie française et plus généralement de la France comme puissance mondiale remonte à la fin de la Première Guerre Mondiale et s'est confirmé au lendemain du second conflit mondial. Le monde qui s'est alors dessiné a annoncé un nouvel ordre où les "grands" ne sont plus des européens, mais sont les États-Unis, le bloc soviétique et secondairement la Chine. Depuis, les cartes ont été redistribuées; avec la chute du mur de Berlin, on a cru à la victoire définitive du capitalisme et à l'hégémonie totale des Etats-Unis. Si la situation est en réalité plus complexe, il n'en reste pas moins que le monde est fortement marqué par le système libéral capitaliste et par le phénomène complexe qu'est la mondialisation. La France et sa diplomatie semblent perdre du terrain dans ce contexte. Cela dit, la France tente de faire valoir ses atouts, parmi lesquels, un atout traditionnel, son poids culturel historique. Lorsque nous parlons ici de poids culturel, nous faisons référence tant à la "patrie des Droits de l'Homme et des Lumières" telle que les responsables politiques la font valoir, comme aux œuvres artistiques de renommée mondiale, mais aussi à la gastronomie française ou encore au "savoir-vivre" français. Toutes ces images sont des "clichés", pourtant, elles semblent encore faire partie de l'imaginaire collectif à l'étranger. C'est ce poids que la France tente de valoriser, ou dans une vision plus pessimiste, qu'elle tente de préserver. Dans le domaine de "l'exportation" de la culture, comme dans les autres champs de la culture (l'aide à la création, la mise en avant du patrimoine culturel, etc.), l'État mène une politique active. Considérant les objets culturels et artistiques comme des instruments participant à la "géopolitique de la culture", la France a mis en place diverses institutions dont la fonction est de 1 préface de l'ouvrage d'Alain Lombard, Politique culturelle internationale, Le Modèle français face à la mondialisation, Paris Babel, Actes Sud 8 développer ces exportations et d'améliorer le poids de la culture française sur la scène internationale. La politique menée dans ce domaine est une politique stratégique, à tel point qu'elle est en très grande partie placée sous la responsabilité du Quai d'Orsay. L'enjeu est tel qu'elle n'a pas été mise entre les mains du ministère de la Culture. La France est peut-être l'État qui a le plus développé cette dimension culturelle de sa politique étrangère. Cet aspect renvoie à la nature de la politique extérieure, qui est propre à chaque État. Dans la lignée de Marcel Merle, il faudrait souligner l'interpénétration de la politique interne et de la politique externe, ce qui dans notre cas expliquerait l'importance de la politique culturelle extérieure : celle-ci a acquis de l'importance grâce à la politique culturelle interne formidable développée en France; en retour, l'action culturelle à l'étranger a un impact sur la politique en matière culturelle sur le territoire national. Mais ce particularisme français découle par ailleurs du fait que chaque État développe de manière différenciée ses relations extérieures. Certains mettront l'accent sur l'instrument militaire, d'autres sur la puissance économique, etc. La France a particulièrement développé son instrument culturel. Cette caractéristique en dit long sur l'image que la France a d'elle-même, image qu'elle voudrait projeter à l'étranger... Il serait pertinent de reprendre la question de Marie-Claude Smouts « que reste-t-il de la politique étrangère »2 en l'adaptant à notre champ d'étude : que reste-t-il de la politique culturelle étrangère? Marie-Claude Smouts s'interroge dans son article sur la situation actuelle et future de cette politique si particulière. Pour son analyse, elle se place à l'intersection des théories réaliste et transnationale. Chacune de ces théories a des fondements pertinents, mais l'une ou l'autre ne suffisent pas. L'État reste un acteur de premier plan en matière de relations internationales, malgré la montée en puissance des acteurs économiques, des organisations multilatérales, etc. Dans son texte, elle se veut d'analyser le rôle que joue aujourd'hui la politique étrangère dans le contexte actuel qui s'est complexifié. Il est vrai que les acteurs non-étatiques ont pris une place nouvelle (même s'ils ont toujours joué un rôle sur la scène internationale) qui remet en cause le pouvoir étatique en matière de relations internationales (et dans beaucoup d'autres domaines, d'ailleurs). Notre époque est singulièrement marquée par une remise en cause de l'État. Si la théorie réaliste mettait trop l'accent sur le rôle de l'État et sur sa volonté de puissance, à l'inverse, la tendance actuelle néglige trop 2 cf. le titre de son article dans le n°88 de Pouvoirs. 9 l'État. Le phénomène de mondialisation a mis en tête de l'agenda international les affaires économiques et commerciales. Les organisations internationales en charge de ces questions (OMC, FMI, Banque mondiale, G8,...) sont celles qui sont les plus puissantes et les plus écoutées. Ce constat pourrait être considéré comme l'indice de la fin de l'État et donc de sa politique étrangère. Mais comme nous l'explique Marie-Claude Smouts, « remplacer un prisme (celui des « réalistes ») par un autre prisme (celui des « transnationalistes ») ne donnera jamais qu'une vision déviée ». La politique étrangère conserve un rôle déterminant. Si ce n'était pas le cas, les mots de guerre ou de paix seraient absents des informations transmises par les médias. Mais c'est une politique qui s'est complexifiée étant donné que le monde actuel est plus complexe. Son champ s'est élargi à des domaines autres que ceux de la défense et de la géopolitique. Ceux qui y participent, ce ne sont plus uniquement des diplomates, mais aussi des dirigeants d'entreprises, des experts, des ONG, etc. Le cas des États européens est encore plus atypique étant donné les compétences communautaires qui imposent des concertations incessantes. En plus de l'Union Européenne, la France est engagée dans de très nombreuses instances multilatérales, c'est d'ailleurs le pays qui fait partie du plus grand nombre d'organisations internationales. L'agenda de la politique étrangère est rythmé par les rencontres de ces organisations, tous comme les thèmes à traiter. L'influence de cet aspect multilatéral est immense, rien ne peut se décider seul. Autre contrainte, la politique et la situation intérieures participent à la définition de la politique étrangère, qui en retour pèse sur le plan intérieur. Ces aspects de la politique étrangère que décrit Marie-Claude Smouts dans son article sont tout à fait transposables à la politique culturelle étrangère. En effet, le phénomène multiforme de la mondialisation, semble être très contraignant pour la politique culturelle étrangère française, peut-être encore plus que pour les autres pans de la politique étrangère. Le défi est le suivant : alors que la mondialisation permet la démultiplication des échanges (culturels entre autres), la situation pose problème du fait que paradoxalement, elle est également porteuse d'un risque d'uniformisation de la culture dans le monde, marquée par l'influence anglo-saxonne en particulier. Les acteurs économiques prennent ici aussi, une place de plus en plus importante : les industries culturelles sont puissantes et déterminent en grande partie la « consommation culturelle » comme les règles en vigueur. L'État n'est en outre plus l'acteur public premier : au-dessus de lui, l'Union Européenne 10 étend son champ de compétence en matière culturelle et notamment dans la réglementation des échanges culturels à dimension commerciale. D'autres acteurs agissent également: l'UNESCO, mais également l'OMC par exemple. Enfin, à un niveau infra-étatique, les collectivités territoriales ont touché à un domaine inconnu pour elles il y a encore peu : la politique culturelle à l'étranger, dans un souci de développement de leur image. Cet aperçu rapide de la situation actuelle de cette politique (que nous développerons plus amplement par la suite) illustre la raison pour laquelle nous pouvons nous demander, sur le modèle de la question de Marie-Claude Smouts : que reste-t-il de la politique culturelle étrangère? Parmi les régions du monde qui font montre d'un intérêt pour la culture française, l'Amérique latine est peut-être la région où cet intérêt s'exprime le plus fortement. Du moins, lors de notre séjour sur ce continent, avons nous pu observer à maintes reprises à quel point les Latinoaméricains, du moins les élites, utilisent régulièrement des références culturelles françaises. Les relations diplomatiques de la France ont bénéficié de la francophilie largement partagée par les élites latino-américaines au cours du XIXème siècle. En ce sens, la culture était devenue un véritable vecteur d'influence au même titre que la coopération militaire ou économique. S'il faut nous interroger sur la situation actuelle de ces relations culturelles, il nous a semblé intéressant de délimiter notre étude de la politique culturelle étrangère à la région latino-américaine. Ces liens historiques tissés entre la France et les pays de la zone restent remarquables. C'est également parce que la région en question présente une (très) relative homogénéité culturelle et historique qu'elle a pu faire l'objet d'une étude en particulier. Pour le moins, il semble que les politiques françaises qui ont touché à l'Amérique latine l'ont considéré comme un ensemble d'une cohérence satisfaisante. Dans le contexte actuel de mondialisation, le vecteur des relations culturelles peut-il avoir toujours autant de poids en Amérique latine face à la concurrence anglo-saxonne et à l'uniformisation culturelle? La thèse que nous voudrions défendre c'est l'idée selon laquelle la politique étrangère de la France en Amérique latine bénéficie encore de cet héritage d'influence culturelle, mais peine à s'adapter au contexte actuel. Pour tenter d'apporter des éléments de réponse à la problématique de notre travail de recherche, nous nous sommes appuyés sur deux types de ressources. Premièrement, des ouvrages et articles scientifiques traitant du thème nous ont permis de construire un socle théorique. 11 En ce qui concerne le deuxième type de source, il s'agit de documents officiels produits par l'Assemblée Nationale, le Sénat et le Ministère des Affaires Étrangères. Nous avons privilégié les avis et rapports les plus récents afin de contribuer à une étude la plus actuelle possible. Les rapports sur lesquels nous nous sommes appuyés datent au plus de dix ans, ce sont les dernières analyses de fonds produites par des parlementaires sur des questions relatives au thème traité. Ces rapports portent sur des aspects délimités de cette politique tels que les centres culturels français à l'étranger ou encore sur l'enseignement du français à l'étranger. En plus de ces rapports sur des questions ponctuelles, nous nous sommes également appuyés sur un rapport, certes plus ancien, mais qui a marqué la politique dont nous traitons, ce rapport est celui de Jacques Rigaud. Les autres documents parlementaires utilisés sont des avis émis à l'occasion du vote du budget. Délimiter une période significative s'est avéré être une tâche difficile étant donné que cette politique s'inscrit dans une continuité assez remarquable. Les modifications apportées ne portent que sur des questions plus ou moins secondaires. La politique d'action culturelle telle que mise en place au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale a finalement peu évoluée (ce point fera l'objet d'une des parties de cette analyse, c'est notamment cette continuité qui pose actuellement problème, puisque ce manque d'adaptation participe d'un manque de remise en cause). Enfin, des documents produits par les acteurs de cette politique, c'est-à-dire par des services du Quai d'Orsay ont également été analysés. Ces documents nous paraissent être d'une grande richesse pour plusieurs raisons : tout d'abord, ce sont des documents "bruts" qu'il nous convient d'analyser et d'interpréter, tâche propre à un travail de recherche. Par ailleurs, ils proviennent d'instances ou d'acteurs qui se trouvent en première ligne pour définir la politique que nous étudions ici, la politique culturelle de la France à l'extérieur. Parmi les raisons pour lesquelles nous avons privilégié ce type de documents, nous pouvons encore citer le fait que fréquemment, ils établissent un bilan de la politique en question et proposent des perspectives futures; ainsi, à partir de ces sources, nous pouvons émettre des hypothèses sur l'avenir de cette politique (que nous étudierons dans la troisième partie de ce mémoire de recherche). 12 PREMIÈRE PARTIE - DES RESSOURCES EXCEPTIONNELLES MAL EXPLOITÉES Chapitre 1- Les héritages de l'influence culturelle française en Amérique latine L'Amérique latine constitue traditionnellement l'une des zones où l'influence culturelle française est la plus forte, si l'on met de côté les pays francophones et les anciennes colonies (celles-ci constituent à la fois d'anciens territoires dominés par la France et où aujourd'hui encore dans la plupart des cas, le français reste pratiqué par de larges couches de la société). Cette influence est ancienne, puisqu'elle remonte à la création des États latinoaméricains : c'est la philosophie du Siècle des Lumières et la Révolution Française qui en découle qui ont inspiré tous les indépendantistes latino-américains. Les règles juridiques de ces Etats alors nouvellement créés tirent leurs sources de l'exemple français : la Charte des Droits de l'Homme de 1789 et le Code Napoléon sont les principales références sur le continent latino-américain. Les élites depuis les indépendances et au moins jusqu'au début du XXième siècle citaient en matière culturelle et scientifique en premier lieu des références françaises. Section 1 – Brève histoire de la diffusion culturelle française en Amérique latine 13 I. L'évolution de l'influence culturelle depuis les indépendances latino-américaines jusqu'à l'entre deux guerres Depuis les indépendances latino-américaines, qui se sont effectuées à partir des valeurs portées par le siècle des Lumières, les élites latino américaines se sont tournées vers la France, sa culture, son système politique et juridique, ses arts, ses modes, etc... Le phénomène a eu une telle importance qu'on lui a donné un terme : on parle d'"afrancesamiento" de ces élites3. La littérature de voyage du XIXème siècle a pu retracer ce phénomène abondamment : les voyageurs européens décrivent leur étonnement lorsqu'à leur arrivée sur le continent latino-américain, ils découvrent que les femmes sont parées des mêmes vêtements que les Parisiennes, les élites parlent français dans les salons mondains et connaissent presque mieux la littérature française que les Français eux-mêmes. Le changement est profond : au XVIème et XVIIème siècles, et jusqu'au XVIIIème siècle, les colonies ibéro-américaines étaient uniquement tournées vers leur métropole : l'Espagne comme le Portugal avaient instauré un monopole commercial pour éloigner les autres puissances attirées par les richesses du Nouveau Monde. Les contacts avec l'extérieur en étaient d'autant plus limités. La politique de conversion au catholicisme menées par ces mêmes métropoles participe d'un même phénomène. Il faut attendre le XVIIème siècle pour que les Latinos américains aient un accès plus large au reste du monde. Les règles commerciales imposées par les Ibériques sont de plus en plus contournées et combattues, la diffusion de produits, biens culturels, et modes en provenance de France en particulier s'accélère. A la fin du XVIIIème siècle, les écrits de Lumières françaises sont largement diffusés au sein des cercles d'élites des différents pays latino-américains. A cela s'ajoute l'intérêt suscité par les événements qui marquent la France à partir de 1789. Les premiers indépendantistes du continent s'inspirent largement des valeurs des Lumières, portées par les Révolutionnaires français. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen est traduite par le Colombien Antonio Narino qui se charge de la faire circuler clandestinement. L'image de la France largement répandue dans les sociétés latino-américaines est celle d'une terre de liberté, de droit, et de progrès. 3 Voir sur ce point notamment les travaux de Denis Rolland, La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique Latine. Culture, politique et identité. Presses Universitaires de Rennes, Institut Universitaire de France, 2000. 14 Exemple parmi tant d'autres de l'influence culturelle française : le positivisme d'Auguste Comte. Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, la très grande majorité des élites d'Amérique du Sud ont lu les ouvrages du philosophe et les progressistes se réclament d'ailleurs du positivisme. Avec la fin de la monarchie au Brésil en 1889, c'est la Marseillaise qui est jouée pour proclamer la république, et sur le nouveau drapeau de l'ancienne colonie portugaise on peut lire la devise Ordem e Progresso, directement inspirée du positivisme comtien. La référence aux valeurs françaises n'a pas pris fin à la suite des indépendances. La francophilie, bien au contraire s'est développée, approfondie et diffusée au sein des sociétés en question. La France se substitue en quelque sorte à l'Espagne et au Portugal, rejetés tout comme est rejeté le lien colonial. Paris devient la nouvelle capitale, où d'ailleurs, tous les membres de l'élite au cours de l'éducation se doivent d'y séjourner. Le péril que représentait le premier conflit mondial pour la France et ses valeurs a suscité d'ailleurs un élan de solidarité en Amérique latine. L'Uruguay a ainsi fixé la fête nationale au 14 juillet. Élément également peu connu et peu retenu par l'histoire, parmi les étrangers qui se sont engagés auprès des soldats français, on a compté des centaines de jeunes Latino-Américains. II. Les principaux domaines où cette influence est la plus ressentie La langue française est largement enseignée tant dans le système éducatif que grâce aux Alliances françaises dont le nombre d'établissements sur le continent se multiplie à partir de 1880. Le français se maintient à la première place des langues étrangères parlées et enseignées en Amérique latine jusqu'à l'entre deux guerres, c'est alors l'anglais qui le devance. Un même goût s'exprime en ce qui concerne la littérature (la pratique du français permettant l'accès à la littérature). A tel point que Chateaubriand est l'un des principaux inspirateurs du romantisme brésilien. C'est encore en Amérique latine que Lamartine trouve un soutien au moment où en France il est rejeté. Cette inspiration française touche de nombreux autres domaines. L'urbanisme par exemple est très marqué au cours du XIXème et début du XXème siècle par les réalisations 15 françaises. La ville qui illustre le mieux cette influence est probablement la ville brésilienne de Rio de Janeiro dont le remodelage est mené par Francisco Perreira Passos qui a suivi les cours de l'École des ponts et chaussées. Les avenues percées à cette occasion, les principes hygiénistes appliqués et la volonté de contrôler la marginalité sociale de la ville entrent dans la lignée directe des travaux menés à Paris par le baron d'Haussmann. Le domaine des sciences et techniques n'est pas en reste. Ce qui infirme l'image d'une influence uniquement artistique et littéraire. André Siegfried, figure de la science politique française écrivait ainsi en 1947 dans Le développement économique de l'Amérique latine4 « Ne laissons pas dire que la préoccupation scientifique ou technique n'est pas de notre ressort. Une opinion trop largement répandue et que nos concurrents, dans un but qui n'est pas désintéressé, cherchent encore à développer, voudrait nous limiter à l'influence littéraire ou artistique. Nous savons que, dans les techniques où nous réussissons, nous tenons aisément le premier rang mondial et nous savons que, dans les recherches scientifiques, nous ne sommes distancés par personne quand nous disposons de l'outillage et des moyens matériels suffisants ». Dans un ton qui se veut convaincant et par un langage qui semble vouloir convaincre l'auteur lui-même, André Siegfried rappelle la diversité des domaines d'influence de la France dans le monde. L'un des premiers épisodes marquants l'influence scientifique et technique française remonte aux travaux du géographe de l'Amérique latine, un Prussien, Alexander von Humboldt. Il était en effet accompagné par un Français, Aimé Goujaud, dit Bonpland. Les expositions universelles qui ont eu lieu à Paris ont par ailleurs bénéficié d'un grand écho en Amérique latine où ont été rapportées les dernières découvertes scientifiques et techniques françaises, montrées pour l'occasion. Exemple plus fameux peut-être, les sciences sociales ont été durablement marquées par les missions de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss dans la forêt amazonienne; par les séjours dans les années 1930 de Fernand Braudel, ou encore les missions de l'ethnologue Paul Rivet. En ce qui concerne les réalisations techniques, le canal de Panama, même si sa réalisation a suscité des problèmes se doit d'être cité, tout comme la construction des métros des capitales du Mexique, du Chili ou encore du Venezuela. Au niveau architectural, on peut citer l'exemple d'Eiffel, qui après avoir fait bâtir la 4 cité par Christian GIRAULT dans "La coopération scientifique et technique avec l'Amérique latine et les Caraïbes", Cahier des Amériques, n°28/29, Institut des Hautes Études de l'Amérique latine, 1998. 16 tour qui porte son nom à l'occasion de l'exposition universelle dans la capitale française, se rend au Chili pour honorer une commande: on lui confie la conception de la gare centrale de la capitale chilienne. L'entreprise qui construira la gare, est bien entendu française : c'est la compagnie Schneider qui est choisie. Autre domaine marqué par les références françaises : la mode vestimentaire. Les latino-américaines fortunées des grandes villes de la région se parent des mêmes vêtements et accessoires que les Parisiennes. Les élites ont un goût prononcé pour le "chic" à la française. Section 2 – L'État français n'est pas le seul acteur sur ce terrain I. Les initiatives personnelles qui ont œuvré indépendamment de l'État : l'exemple de la diffusion de la pensée de Jacques Maritain L'analyse qui suit s'est inspirée des travaux qu'Olivier Compagnon a mené sur la diffusion de la pensée du philosophe français Jacques Maritain en Amérique latine 5. L'objectif de l'historien était de montrer que s'il y avait une politique active de l'État français en matière de diffusion culturelle, ce sont également des individus qui se sont fait les relais de la pensée et de la culture française en Amérique latine. L'étude du cas de la diffusion de la pensée de Jacques Maritain au XXème siècle sur tout le continent latino-américain est en ce sens révélateur. Olivier Compagnon explique comment alors qu'en 1925, seuls quelques cercles de prêtres et d'intellectuels qui entretiennent des relations serrées avec la France et ses mouvements intellectuels connaissaient les œuvres du philosophe; au sortir de la guerre, le maritanisme devient une référence incontournable au sein du catholicisme latino-américain. Cette diffusion de la pensée du philosophe français se poursuivra d'ailleurs jusqu'aux années soixante, avec comme point culminant, la victoire électorale de la Démocratie Chrétienne au Chili et au Venezuela, mouvement politique prônant comme une de ses références majeures les œuvres de Jacques Maritain. Le phénomène est d'autant plus remarquable, qu'en France, 5 Olivier COMPAGNON, Jacques Maritain et l'Amérique du Sud. Le modèle malgré lui, Presses universitaires du Septentrion, 2003. 17 cette œuvre a eu une portée et une influence moindres. La diffusion de cette pensée n'est pas le fruit d'un effort déployé par l'auteur pour exporter ses œuvres. Ce sont des acteurs locaux, en quête de renouvellement du catholicisme qui opèrent le transfert de la pensée maritainienne. Si au départ, les médiateurs de cette diffusion ont opéré de manière individuelle et sans stratégie, progressivement, ils s'organisent en réseaux et cercles pour réceptionner l'œuvre et par la suite la diffuser. C'est en 1925 qu'est publié pour la première fois un article de Jacques Maritain sur le continent latino-américain, dans une revue argentine de diffusion très limitée. Cette publication a pu avoir lieu suite aux sollicitations du directeur de la revue qui, étudiant, avait suivi les cours du philosophe à l'Institut Catholique de Paris. Les premiers liens de Maritain avec l'Amérique latine se feront sur le même mode : la collaboration est initiée par de jeunes catholiques latino-américains qui sont entrés en contact avec l'œuvre du philosophe à l'occasion d'un séjour en Europe. Le cercle des premiers initiés s'agrandit grâce à des conférences organisées par ces mêmes initiés pour transmettre cette pensée alors que les œuvres du philosophes ne sont pas encore traduites en espagnol. Des structures de type associatif naissent et s'agrandissent par la suite. A partir des années quarante, le nombre de publications se revendiquant du maritainisme se multiplie. La stratégie de diffusion de la pensée du philosophe français cherche alors à atteindre un public bien plus vaste et à générer un véritable débat d'idées. A ce titre, la revue chilienne Politica y Espiritu est un bon exemple : créée par des maritainiens de la première heure, elle bénéficie d'une audience importante tant au Chili que dans l'ensemble du continent, grâce notamment au recours à des auteurs venant de l'ensemble de la zone; créant et maintenant une sociabilité intellectuelle internationale autour du maritainisme. Parallèlement, sont créées des maisons d'éditions vouées à la diffusion du maritainisme. L'étape suivante consistait à réinvestir cette audience importante de la pensée maritainienne au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Une nouvelle stratégie s'ajoute à la précédente pour faire sortir du champ strictement intellectuel l'influence de la pensée de Maritain. Les destinataires de cette stratégie sont des militants politiques; nouveau public pour qui il faut adapter le discours étant donné que dans leur majorité ils ne sont pas francophones, n'ont pas de formation particulière en philosophie et pour beaucoup, n'ont pas pu accéder à l'enseignement supérieur. L'idée est de fonder des partis démocrates chrétiens s'appuyant notamment sur la pensée maritainienne. Les publications de vulgarisation de cette 18 pensée se multiplient alors. Dans les années soixante, ce sont aussi des institutions qui naissent dans le but d'enseigner le legs de Maritain, en particulier au Venezuela avec l'Instituto de Formacion y Educacion Democrata Cristiana et au Chili avec l'Instituto Chileno de Estudios Humanisticos. L'exemple que nous donne Olivier Compagnon d'analyse du modèle de diffusion de la pensée d'un auteur français qui a marqué l'Amérique latine est à retenir pour plusieurs raisons. D'une part, son étude explicite les différentes étapes qui permettent une telle diffusion : à partir de cercles restreints constitués autour de sociabilités amicales ou familiales, l'audience a pu s'agrandir pour progressivement toucher de larges pans de la société des différents pays de la zone en question. L'illustration donnée nous permet de mieux saisir comment concrètement la pensée d'un auteur peut se diffuser. D'autre part, cette étude met l'accent sur le rôle indispensable joué par des acteurs individuels, voire dans un premier temps isolés. Les stratégies menées dans le cas de la diffusion de la pensée maritainienne ne relève en rien d'une volonté de diffusion de la part de l'auteur. Plus intéressant encore peut-être, d'après l'analyse d'Olivier Compagnon, il semble que les administrations françaises en charge de la politique culturelle française à l'étranger ne sont pas intervenues et n'ont pas apporté leur soutien. Pour pouvoir en tirer des conclusions plus précises, il faudrait appliquer ce modèle d'analyse à d'autres auteurs français qui ont eu une influence dans le débat d'idées en Amérique latine. On pourrait alors évaluer en quoi l'exemple de la pensée maritainienne peut être posé en modèle ou non. II. Une influence culturelle qui n'a jamais joui d'un monopole La France a certes, comme montré plus haut bénéficié d'un statut favorable en matière d'influence culturelle en Amérique latine. Mais il ne faut pas oublier que les références françaises ont toujours été en situation de concurrence avec les références ibériques, anglaises, allemandes puis états-uniennes. Enfin, il ne faut pas non plus avoir l'image d'un continent sous domination : les Latinos américains se sont également construits une identité et des valeurs propres. Les Anglais ont particulièrement marqué le sous-continent grâce aux échanges 19 commerciaux très fructueux. Jusqu'au XXème siècle, l'Angleterre était effectivement le premier partenaire économique et commerciale des États latino-américains. Les produits de consommation de masse qui étaient importés provenaient pour la plupart de l'île britannique. Ce sont également les investissements anglais qui ont afflué sur le continent. L'influence s'est ancrée au niveau de la politique économique et commerciale. Les Allemands, eux, ont marqué le continent à partir de la fin du XIXème siècle. La philosophie allemande, le droit allemand, mais aussi la formation militaire allemande ont traversé l'océan Atlantique, au grand désespoir des diplomates français en poste en Amérique latine. Enfin, les États Ibériques, même rejetés par les mouvements indépendantistes puis par les nouveaux États souverains ont laissé leur marque. La langue, la religion, l'organisation sociale des sociétés latino-américaines découlent toutes de l'époque de la colonisation. Les vagues migratoires puissantes en provenance d'Italie, d'Espagne, plus marginalement d'Europe de l'Est, et d'Allemagne et en partance pour le Nouveau Monde permettent également de tisser des liens entre les continents. Or dans ces contingents d'émigrés, les Français ne sont pas représentés. Les Espagnols, précités trouvent dans ces échanges un vecteur de renouveau de l'hispanité en Amérique latine. L'exemple argentin est à évoquer : aujourd'hui encore, la gastronomie reste marquée par les traditions culinaires italiennes. Le si célèbre tango, lui, prend ses origines dans le métissage de trois traditions populaires : le paso doble, la polka d'Europe de l'Est et les rythmes africains; illustration intéressante des apports des diverses vagues migratoires. Il faut dire que la France a également perdu du terrain à partir du moment où l'anticléricalisme a eu une influence considérable sur la vie politique et sur la société française. L'interdiction d'enseigner faite aux congrégations religieuses, puis la séparation de l'Église et de l'État ont été vues d'un très mauvais oeil par les catholiques d'Amérique du Sud. Autre élément qui nuit à l'influence française, la montée en puissance tant politique qu'économique des États-Unis ainsi que leur nouvelle politique extérieure dite de voisinage sur le continent. Les Latinos-américains, s'ils restent admiratifs des Européens et de la France en particulier, prennent progressivement leurs distances. L'européanisation des sociétés latinoaméricaines est ressentie peu à peu comme une nouvelle forme de colonisation, plus subtile 20 que la précédente, mais qu'il reste à combattre. L'Amérique latine refuse de n'être qu'une périphérie de l'Europe. Le premier tiers du XXème siècle est ainsi marqué par la volonté des élites latino-américaines de se démarquer de ces influences françaises notamment, pour mieux construire l'identité de leur pays. Le cosmopolitisme est petit à petit abandonné au profit de revendications culturelle nationales. Un autre facteur à signaler qui explique en partie ce détournement des Latinoaméricains : la Grande guerre qui déchire l'Europe. La violence, la barbarie et l'atrocité avec lesquelles les Européens se combattent font naître un rejet de l'Europe. Ce terrible conflit est vu comme le symbole de la fin d'un monde, la fin d'une culture européenne marquée par les valeurs forgées depuis le siècle des Lumières. Les Latinos-américains se détournent des problèmes européens pour se consacrer à la résolution de leurs propres problèmes. Ils se concentrent sur l'objectif de déterminer et forger leur identité. Si les Latinos américains ont dès lors refusé l'importation des modèles culturels européens et notamment français, ils ne se sont repliés qu'en partie sur eux-mêmes. Le continent est resté tout au long du XXème siècle, et aujourd'hui encore ouvert sur l'extérieur. La culture française a gardé une place importante en Amérique du Sud. Mais la référence principale n'est plus l'Europe, et pas plus que la culture latino-américaine. Les États-Unis occupent la place de l'Europe. Le phénomène d'américanisation a marqué le monde entier depuis la fin de la Première Guerre Mondiale. Mais l'ampleur de ce phénomène est peut-être encore plus notable en Amérique du Sud et en Amérique centrale plus particulièrement. A la faveur de l'émergence d'une culture de masse, les références américaines se sont multipliées et approfondies. C'est également le poids économique, diplomatique et militaire des ÉtatsUnis sur le sous-continent qui en fait un acteur influent. 21 Chapitre 2 - Des ressources actuelles très riches mais trop peu efficaces Tous les États prêtent attention à l'image qui est donnée d'eux à l'extérieur. Cette image est en très grande partie le reflet du patrimoine culturel et artistique du pays. Mais la France se distingue des autres puissances par le fait qu'elle a intégré cette volonté de maîtrise de son image dans son action diplomatique. Les réseaux culturels de l'Espagne, de l'Allemagne, de l'Italie, du Royaume-Uni et encore plus celui des États-Unis, respectivement le réseau des instituts Cervantès, Goethe, Dante, le British Council et les American Centers entretiennent des relations beaucoup moins étroites avec les autorités en charge des affaires étrangères. Si les échanges culturels s'opèrent largement de manière spontanée, en France, on a voulu coordonner les initiatives individuelles, les développer et les impulser depuis le Quai d'Orsay. L'impact et les moyens mis à disposition en sont d'autant plus importants et enviables. Le pendant de cette stratégie est de donner l'image d'une culture administrée et officielle. Autre caractéristique de cette politique en France : son ancienneté. Marie-Christine Kessler explique ainsi que « La politique culturelle extérieure est sans doute l'une des plus anciennes "politiques publiques" françaises. La France a eu une politique culturelle extérieure avant d'avoir une politique culturelle intérieure »6. Les exemples sont nombreux concernant la politique menée en ce sens dès l'Ancien Régime : le monarque envoyait comme diplomates de la France des savants ou des artistes. On peut placer dans cette lignée les conquêtes napoléoniennes et la colonisation. Section 1 – L'organisation de cette politique culturelle extérieure 6 Marie Christine Kessler, La politique étrangère de la France. Acteurs et processus. Paris, Presses de Sciences Po, 1999. 22 A la tête de cette action, on trouve une direction générale en charge des affaires culturelles qui se trouve être sous la tutelle du ministère des Affaires Étrangères. Les relais du Quai d'Orsay en la matière sont les conseillers ou attachés culturels déployés dans les différentes ambassades à travers le monde. Directement sous la responsabilité de ces diplomates, le réseau des instituts et centres culturels français compte plus de 150 établissements, dont les objectifs sont variés : la priorité est donnée à l'enseignement du français, mais on y organise également des conférences, rencontres, expositions, concerts, et par ailleurs, ils disposent généralement d'un centre de documentation. Dans la très grande majorité des ambassades existent un service de coopération et d'action culturelle avec à leur tête un conseiller culturel assisté d'attachés spécialisés. Le service est placé sous l'autorité de l'ambassadeur. Les centres et instituts culturels dépendent directement de ces services culturels. L'État s'est également appuyé sur un réseau d'une très grande richesse, les Alliances françaises. Dans ce cadre, le public s'est associé à des structures de statut privé, plus précisément des établissements de type associatif, de droit local. Les missions de ces Alliances françaises sont similaires à celles des instituts et centres culturels : l'enseignement du français, et la promotion de la culture française dans toutes ses dimensions. C'est la raison pour laquelle, il existe rarement dans une même ville à la fois une Alliance française d'importance et un institut ou centre culturel français. Ce réseau des Alliances françaises a débuté sa constitution dès 1883. Le partenariat avec le Quai d'Orsay s'est officialisé et renforcé en 1981 avec la signature d'une convention entre les deux entités. L'action de ce réseau est particulièrement remarquable en Amérique latine et dans les Caraïbes, comme nous le soulignerons par la suite. Il faut préciser que l'intérêt pour la France de préserver un réseau comme celui-ci est immense : les Alliances françaises sont aidées par l'État qui rémunèrent ses cadres, mais à elles ensuite de s'autofinancer grâce aux cours payants qu'elles dispensent. Elles s'implantent d'ailleurs généralement très bien dans le contexte local non seulement parce qu'elles adoptent des statuts juridiques de droit local, mais également parce qu'elles embauchent des partenaires locaux. Les Alliances françaises comme les instituts culturels programment de moins en moins directement les activités culturelles. L'agence Culturesfrance leur propose la plupart des programmes. Mais ils sont de plus en plus de lieux de convivialité qui s'ouvrent sur la réalité locale. Leurs partenaires se multiplient. C'est vers cette voie, d'un lieu de débat et de 23 rencontre que les recommandations portent. Moins connue, la Mission laïque française fondée en 1902 participe du même effort et complète le réseau mondial. En Amérique latine, néanmoins, la Mission laïque n'est présente qu'indirectement à travers les quelques écoles d'entreprises implantées au Brésil, au Vénézuela et à Trinidad et Tobago. Ces deux types d'établissements (les Alliances françaises et les centres culturels français) sont les relais locaux de la mission d'enseignement de la langue française à l'étranger. En ce qui concerne la recherche dans les disciplines de l'archéologie, l'histoire de l'art et plus largement dans la création artistique, là aussi, la France bénéficie d'un réseau enviable. Même si ces établissements ne concernent pas directement la zone géographique dont nous traitons dans cette étude, il faut citer l'École française d'archéologie d'Athènes fondée en 1846, l'École française de Rome qui se trouve au palais Farnèse et créée en 1875, l'Institut d'archéologie du Caire qui existe depuis 1880, l'École française d'Extrême-Orient établie en 1901, la casa Velázquez de Madrid, la Maison franco-japonaise de Tokyo, l'Académie de France à Rome qui se situe dans la villa Médicis et qui a été instaurée par Louis XIV... Ces exemples confirment, si besoin était, que la présence culturelle de la France dans le monde, n'est en rien due à un hasard. C'est une volonté qui s'enracine dans des origines anciennes. Il faut noter que la France bénéficie de la présence d'expatriés français sur les terres latino-américaines. En effet, d'après les chiffres fournis par la Direction des Français à l'étranger et des étrangers en France (DFAE) du Ministère des Affaires Étrangères (MAE), en 2006, près de 84 000 Français étaient immatriculés auprès d'ambassades françaises en Amérique latine. Ce chiffre représente un peu plus de 6% des expatriés français dans le monde. La communauté totale des Français en Amérique latine (les immatriculés et les nonimmatriculés) est estimé à environ 120 000 personnes. Les trois pays où la communauté française a la plus forte présence sont le Brésil, l'Argentine et le Mexique avec pour chaque pays des chiffres qui s'élèvent à environ 15 000 personnes. Ailleurs, la présence de Français est beaucoup plus réduite. Sachant le rôle actif que jouent généralement ces expatriés dans la promotion de la France à l'étranger (cf. supra), il est important de signaler ce point, d'autant plus qu'entre 2000 et 2006, cette communauté a connu une hausse de plus de 30% ! C'est surtout la tradition de francophonie et de francophilie des Latinos américains 24 (plus particulièrement des élites) qui permet de maintenir un lien culturel fort avec la France. Si l'anglais y est à présent la langue étrangère la plus parlée, le français malgré son recul arrive tout de même en seconde position. Section 2 - Le rôle de la Direction Générale des Relations Culturelles : diriger la politique culturelle extérieure I. La naissance tardive de la structure Il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour que l'État mettent en place un véritable service en charge de cette action au ministère des Affaires Étrangères. Au cours de la première moitié du XXème siècle, existait seulement un "service des œuvres" aux moyens tant en termes de personnels que de budgets trop modestes, bien que de grandes figures de la culture française y ont travaillé (Jean Giraudoux et Paul Morand notamment). En avril 1945, une ordonnance du gouvernement provisoire a fondé la Direction générale des relations culturelles avec à l'origine trois sections en charge respectivement des trois priorités suivantes : l'enseignement de la langue française, les missions scientifiques et la diffusion des "œuvres". Cette direction a subi un certain nombre de restructuration au fil des ans : on lui a ajouté comme responsabilités la coopération technique et l'audiovisuel, on a élargi son champ d'intervention en matière scientifique. Plus récemment, le Ministère de la Coopération, fusionnant en 1998 avec le Quai d'Orsay, la direction en question a intégré comme zone d'intervention les pays dits du "champ". Le dernier titre en date de cette direction est : "Direction générale de la coopération internationale et du développement" (DGCID), nom critiqué car trop vague, trop abstrait et trop éloigné des missions menées... II. Des missions enfin renouvelées Le champ de ses missions est très étendu. Celles-ci sont réparties entre quatre 25 directions en fonction des domaines suivants : le développement et la coopération technique, la coopération culturelle et le français, l'audiovisuel et les techniques de communication et enfin la coopération scientifique, universitaire et la recherche. Des structures annexes complètent le dispositif : une mission pour la coopération multilatérale, une mission pour la coopération non gouvernementale et une direction de la stratégie, de la programmation et de l'évaluation. III. Le tiers du budget du Quai d'Orsay Le budget alloué est considérable puisqu'il représentait en 2000 plus du tiers du budget du Quai d'Orsay. Cela dit, le chiffre est à prendre avec précaution étant donné qu'il est très difficile de délimiter ce budget : tous les services du Quai d'Orsay interviennent plus ou moins dans cette politique. C'est au sortir de la guerre, au moment de sa création que cette direction générale avait la marge budgétaire la plus importante : avec les plans quinquennaux mis en place par la Quatrième République, puis par De Gaulle qui voulait assurer une présence mondiale visible, ces budgets ont représenté jusqu'à 53% des fonds du Quai d'Orsay. Cette direction compte plus de 600 agents à Paris et en gère 7 000 à travers le monde. La répartition par zones géographiques montre que pour le travail mené en l'Amérique latine le service y consacre environ 18% de ses fonds. IV. Mais des difficultés de fonctionnement Cette Direction générale de la coopération internationale et du développement est unique en son genre : nul autre État dispose d'un tel service qui a sous sa responsabilité un budget aussi conséquent, des organismes aussi nombreux et variés, un tel nombre d'opérations financées, et un réseau aussi dense. Cependant, elle reste parfois surnommée la "Cendrillon du Quai d'Orsay" parce que son sort dépend de l'intérêt que veut bien lui montrer le ministre de tutelle, parce qu'elle est sans cesse restructurée et remodelée sans pour autant voir ses budgets s'améliorer et enfin 26 parce que les missions dont elle a la charge ne forment pas systématiquement partie des priorités des diplomates. Son budget est souvent sacrifié au moment de l'élaboration du budget du gouvernement. On en arrive à une situation presque aberrante où les moyens de fonctionnement sont maintenus mais les moyens d'intervention sont trop faibles. La structure et le réseau sont préservés, mais ne peuvent qu'intervenir marginalement... L'espoir est de maintenir le réseau en attendant des conjonctures meilleures en termes budgétaires... En outre, sa tâche n'est pas facilitée : ses missions entrent dans le champ d'action à la fois du Ministère de l'Éducation Nationale, du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et du Ministère de la Culture. Les rapports sont les plus difficiles probablement avec le Ministère de la Culture qui se verrait bien reprendre ses missions, il y a d'ailleurs eu plusieurs tentatives. L'idée peut être justifiable étant donné que le Ministère de la Culture a la charge de la création culturelle et la préservation du patrimoine, tout comme l'accueil des artistes et œuvres des autres cultures. Pourtant, jamais cette volonté n'a abouti, les responsables de l'État ont constamment réaffirmé l'enjeu que ce domaine pouvait avoir à l'extérieur. La conséquence de cette concurrence entre les deux ministères est une coopération trop restreinte malgré les proximités de leurs missions. Section 3 – Les autres acteurs de la politique I. L'agence Culturesfrance (ex-AFAA) : un rôle performant dans la diffusion artistique française La coopération entre le Quai d'Orsay et le ministère des Affaires étrangères a lieu principalement à travers l'Association Française d'Action Artistique (AFAA), rebaptisée il y a peu Culturesfrance. Cette agence fondée dès 1922 joue un rôle fondamental dans le domaine de la politique culturelle extérieure. Sa structure est originale puisque tout en ayant des statuts relevant du droit privé, elle bénéficie d'un financement d'origine largement étatique, ce qui lui confère une souplesse intéressante. Sa mission est d'être l'opérateur des échanges 27 artistiques. C'est elle qui met en œuvre les objectifs de la DGCID en matière artistique. Alors que son budget annuel n'est d'environ que de 25 millions d'euros et alors qu'elle ne dispose que d'une centaine de collaborateurs, cette association joue un rôle de premier plan dans le domaine grâce à ses conseils et son expertise, grâce aux programmes qu'elle propose et qu'elle soutient. Actuellement, suite à une période d'évolution majeure, Culturesfrance (ex-AFAA) travaille à la promotion d'artistes et d'œuvres de styles et d'horizons très variés. Cette ouverture a contribué à aider à la diffusion d'expressions artistiques originales et innovantes. Ce point est à comprendre dans le travail mené pour renouveler l'image de la culture française qui ne peut plus se reposer uniquement sur son patrimoine. La tâche assignée est prioritairement de promouvoir à l'extérieur de la création artistique française contemporaine. Pour mener à bien sa mission, elle accorde des aides aux tournées, des bourses de résidences à l'étranger pour des artistes, mène des campagnes d'information et de promotion, organise divers événements culturels à travers le monde et en France. Son action porte également sur des programmes qui ont lieu sur le territoire national, puisqu'elle s'inscrit dans la nouvelle volonté de diversité culturelle. L'association a entre autres à sa charge l'organisation de saisons culturelles étrangères en France. Autre domaine d'intervention : la formation et l'aide au développement en matière culturelle, en particulier à destination de l'Afrique7. Les changements entrepris quant au mode de fonctionnement de l'agence ont également porté sur le financement et les partenariats. Là encore, face au désengagement de l'État, il a fallu trouver des sources de financement alternatives. Celles-ci ont été trouvées auprès d'entreprises souhaitant pratiquer le mécénat dans le domaine culturel, mais aussi auprès de collectivités territoriales développant de plus en plus un intérêt quant à leur image à l'extérieur. C'est pourquoi, la part des fonds provenant de l'État dans le budget de l'association est passée de 96% en 1991 à 73% en 1999. Le ministère des Affaires Étrangères, reste et de loin le premier bailleur de fonds de l'association. L'exemple de Culturesfrance illustre l'originalité de la structure française qui gère cette action culturelle extérieure. En effet, si tout est décidé et coordonné par les services du Ministère des Affaires Étrangères, l'État s'appuie largement sur des opérateurs qui ont des statuts de droit privé mais qui sont principalement financés par des fonds publics. Ce type de 7 Culturesfrance s'inscrit en ce qui concerne ce domaine dans la lignée du programme "Afrique en création" (qui relevait du ministère de la Coopération), et avec lequel elle a fusionné. 28 structure permet plus de souplesse et d'autonomie. Le réseau des Alliances françaises a des statuts similaires, tout comme les organismes comme Unifrance Films ou la Maison des cultures du monde par exemple. Ailleurs, c'est généralement un opérateur principal qui chapeaute l'ensemble du système de promotion de la culture à l'extérieur. C'est le cas du British Council du Royaume-Uni, ou pour l'Allemagne le Goethe institute. II Les établissements culturels et d'enseignement du français en Amérique latine En ce qui concerne les instances officielles, l'Amérique latine compte 24 ambassades françaises qui disposent de services culturels. Mais également, des lycées français dans la plupart des pays en question dont il faut remarquer le succès : ils font partie des lycées français à l'étranger qui, en dehors de l'Europe et des pays francophones accueillent le plus d'élèves et ont les meilleurs résultats au baccalauréat (20 lycées de plus de 500 élèves). La présence du réseau des Alliances françaises est elle aussi à noter : on en recense pas moins de 250 sur le continent, le réseau le plus dense et le plus ancien se trouvant en Argentine où pas moins de 97 établissements ont accueilli en 2006 plus de 12500 étudiants et la fréquentation est en progression. Pour aider les établissements scolaires français, ainsi que les structures privées, le Quai d'Orsay dispose d'une agence, l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE). Un peu moins de 25000 élèves bénéficient de son aide en Amérique latine 8. C'est principalement en payant les personnels enseignants que l'agence mène son action de soutien. III. La coopération scientifique et technique : un pan nouveau de la politique culturelle Les premières concrétisations de l'influence scientifique et technique de la France en Amérique latine remontent à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Mais il faut attendre la seconde moitié du XXème siècle pour qu'une véritable coopération 8 Chiffre cité par François Rochebloine dans l'Avis de l'Assemblée Nationale sur le projet de loi de finances pour 2003, fait au nom de la Commission des Affaires étrangères, Tome IV, Affaires étrangères, francophonie et relations culturelles internationales. 29 s'instaure. Une nouvelle période de cette politique débute dans les années quarante et cinquante avec l'implantation d'établissements culturels et scientifiques suite aux initiatives du Ministère des Affaires Étrangères. A Mexico ont été créés l'Institut français d'Amérique latine (IFAL) ainsi que la Mission archéologique française plus tard nommée Centre d'Études Mexicaines. Autre exemple, les autorités françaises ont installé à Lima, au Pérou, l'Institut français d'Études Andines (IFEA). L'objectif était d'y accueillir des étudiants ou des professeurs sur une période assez longue permettant de mener à bien des travaux de recherche. L'initiative vient également directement de centres de recherche français. L'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) tout comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ont mené des politiques actives de coopérations et d'échanges. Des missions, divers colloques, des échanges et des publications fruits du travail de coopération de chercheurs français et latinos-américains sont menés à bien grâce aux fonds alloués par ces organismes. Au niveau technique, les coopérations sont intéressantes également. Le continent latino-américain tout comme la France sont des territoires reconnus pour leur agriculture. Leur coopération en la matière allait de soi. Le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) ainsi que l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ont pu concrétiser la coopération franco-latino américaine dans le domaine agricole. Le dispositif mis en place progressivement à la faveur des divers épisodes de coopération scientifique et technique se caractérise par sa complexité et par la diversité des moyens existants. Les organismes pré-cités qui ont un rôle important dans ce domaine restaient jusqu'à récemment très autonomes. Récemment, le Ministère des Affaires Étrangères s'est efforcé de mieux coordonner et harmoniser toutes ces initiatives en ajustant les possibilités françaises aux demandes exprimées localement La politique et l'organisation du Ministère des Affaires Étrangères évoluent en la matière comme nous l'explique Christian Girault dans son article : pour la plupart des pays concernés, le ministère a mis en place des commissions mixtes dont les réunions périodiques permettent d'évaluer les actions en cours et de tracer les objectifs futurs. Autre innovation, à la fin du XXème siècle le ministère a créé quatre délégations régionales pour la coopération scientifique et technique basée à Bogota pour les pays andins, San José de Costa Rica pour l'Amérique centrale, Santo Domingo pour les Caraïbes et Santiago du Chili pour le Cône Sud 30 et le Brésil. L'idée est de couvrir des États se trouvant dans des régions qui ont initié des processus d'intégration et qui pourraient avoir des besoins et demandes similaires. La coopération s'installe dans la plupart des disciplines scientifiques et techniques, sans qu'il y ait véritablement des thématiques majeures mises de côté. A signaler tout de même, une coopération spécifique s'instaure parfois pour des questions très pointues et relevant typiquement du territoire en question : le CIRAD travaille par exemple sur les maladies du caféier. 31 PARTIE 2 – LE MANQUE D'ADAPTATION DE CETTE POLITIQUE Chapitre 1 – Les mutations de la politique culturelle extérieure : quelques avancées Sur le site du Ministère des Affaires Étrangères, on peut lire à propos du poids de la France en Amérique latine que « le dialogue politique est un pilier central de notre partenariat avec les différents pays latino-américains, mais celui-ci n’aurait pas la même portée si notre influence culturelle n’y était pas aussi forte ». L'idée explicitée ici est claire, la politique culturelle extérieure, sert les autres politiques que la France peut mener vis-à-vis de l'Amérique latine. L'influence culturelle semble être un formidable levier pour la politique extérieure française. Mais quelle est la situation de cette politique culturelle extérieure depuis la Seconde Guerre Mondiale? Ce conflit planétaire marque un tournant décisif quant à la puissance de la France. Le mouvement de recul du pays sur la scène internationale commencé avec l'épisode barbare de la Première Guerre Mondiale se confirme avec le conflit suivant. A chaque reprise, la perte d'influence française profite à la puissance montante américaine. Le constat est évident en matière militaire avec la défaite fulgurante de 1940. En termes économiques également, la France à terre au lendemain de la guerre se relèvera grâce aux Trente Glorieuses, mais ne retrouvera jamais le rang qui était le sien jusqu'alors. Qu'en est-il en matière culturelle? Une évidence s'impose, la capitale culturelle internationale s'est déplacée de Paris à New York. De même, la tendance qui s'amorce et se confirmera jusqu'à aujourd'hui contribue à une américanisation de la culture qui devient de masse. Le français est totalement dépassé par l'anglais qui devient la langue du monde des affaires également. Conscient de ces difficultés, la réponse ne tarde pas à venir. Le volontarisme exprimé au sortir de la guerre dans beaucoup de domaines est marqué en matière culturelle. Le projet politique se veut de renouveler ce qui est encore appelé le "rayonnement culturel de la France 32 dans le monde". L'intervention de l'État dans ce domaine est véritablement renforcée : c'est alors que naît la Direction générale des relations culturelles, placée sous la responsabilité du Quai d'Orsay. Cette section du Ministère des Affaires Étrangères, dont le nom changera à plusieurs reprise existe toujours et occupe une place importante dans le ministère. Peu de temps après, De Gaulle donnera l'impulsion pour créer le Ministère de la Culture avec à sa tête André Malraux. La question peut être posée : pourquoi la charge de promotion de la culture française à l'étranger n'est elle pas revenue à ce nouveau ministère? Celui-ci avait notamment pour mission de favoriser la création artistique. La diffusion à l'étranger de cette création pourrait être dans le prolongement de la mission précédente. Le fait que ce soit le Quai d'Orsay qui en soit responsable nous confirme (s'il en était besoin) que la diffusion de la culture française correspond à un impératif de puissance sur la scène internationale. Section 1 - Le volontarisme du Ministère de la Culture au sortir de la Seconde Guerre Mondiale fait de l'ombre au Ministère des Affaires étrangères Malgré les difficultés de l'après-guerre, des efforts importants ont été déployés pour rétablir les échanges intellectuels et artistiques de la France avec le monde. Des tournées emblématiques sont organisées : le ballet de l'Opéra de Paris part à New York dès 1948, encore plus précocement, en 1945, le Théâtre national populaire organise des représentations en Tchécoslovaquie; en 1947, c'est une tournée de Jean Marchat qui a lieu au Proche-Orient, en Turquie et en Grèce. Une exposition de grande ampleur est mise en place au Japon en 1952 pour valoriser le patrimoine artistique français, elle s'est intitulée "Dix siècles d'art français". Autre secteur où les autorités en charge se sont mobilisées : l'art contemporain. L'AFAA (Association Française d'Action Artistique) se voit confier la mission d'envoyer dans les grandes rencontres d'art contemporain des peintres, sculpteurs et décorateurs aux quatre coins du monde. A la suite de la Seconde Guerre Mondiale, la décolonisation de l'empire français porte 33 un nouveau coup au statut culturel de la France. Pourtant, c'est l'occasion pour redoubler d'efforts. On élabore deux plans quinquennaux destinés uniquement à l'expansion culturelle. L'idée est à la fois de préserver et consolider les relations culturelles traditionnelles, mais également d'être plus actifs dans la création de liens nouveaux de coopération avec les pays récemment décolonisés et les pays émergents. L'objectif premier est de défendre et promouvoir la langue française. Première étape pour faciliter l'accès aux autres pans de la culture française. Depuis, l'objectif reste prioritaire. Pourtant, ce qui marquera les esprits, ce sont les opérations retentissantes menées sous l'égide du Ministère Malraux (et non par le Quai d'Orsay). Ces opérations, organisées en France ont eu un grand écho : en 1960 c'est l'exposition "5 000 ans d'art indien"; l'année suivante "7 000 ans d'art iranien"; en 1967, "Les trésors de Toutankhamon". Au cours de la même période, le ministère de la Culture prend l'initiative d'instaurer de grands rendez-vous culturels renouvelés périodiquement. L'objectif est de rendre la capitale (et plus largement la France) attractive et attirante culturellement. En 1959, est créée une Biennale internationale des jeunes au Musée d'Art moderne de Paris. Autre exemple, mais qui n'aboutira qu'en 1975, sous l'impulsion de Michel Guy est organisé le Festival d'automne à Paris qui attire et fait connaître des grands chorégraphes et des metteurs en scène. L'innovation réside dans la volonté de dialogue des cultures, en lieu et place d'un échange à sens unique. Cette ouverture se traduit notamment par l'inauguration de lieux culturels majeurs tels que l'Institut du monde arabe, la Maison de l'Amérique latine (qui nous intéresse ici tout particulièrement) ou encore la Maison des cultures du monde. Le même type de rencontre est organisé en province. Les exemples les plus célèbres sont : le Festival de Cannes en ce qui concerne le septième art et pour le théâtre c'est le Festival d'Avignon qui naît alors. Exemple peut-être moins connu mais qui a une place remarquable dans la création théâtrale et chorégraphique : le Festival international universitaire de Nancy. A l'extérieur, le Ministère Malraux consacre des efforts conséquents pour organiser des opérations visibles et là encore retentissantes. La grandeur de la France est sensée être exprimée alors : c'est ainsi que depuis, régulièrement, la France en partenariat avec le pays récepteur envoie des œuvres majeures du patrimoine artistique national. Quelques exemples : La Vénus de Milo est présentée au Japon alors qu'au Mexique une grande exposition de peinture française est organisée en 1963. Autre exemple parlant pour notre étude : l'AFAA 34 monte une exposition intitulée "150 ans d'art français" qui parcourra l'Amérique latine entre 1963 et 1965. Ce type d'opération sera poursuivi par les successeurs de Malraux, mais en orientant la stratégie sur des opérations plus thématiques, comme c'était le cas de l'Année Molière en 1973, l'occasion de redécouvrir le dramaturge, notamment en Amérique latine où la première de Tartuffe de Roger Planchon a eu lieu à Buenos Aires. Autre figure de l'histoire du Ministère de la Culture, Jack Lang s'est inscrit dans la continuité du travail de Malraux tout en s'attelant à la tâche de modernisation. Dans la même lignée que Malraux, Jack Lang s'efforce de mener une action d'envergure internationale. Son œuvre est célèbre : il crée puis exporte la Fête de la musique. Les célébrations du bicentenaire de la Révolution française ont eu un écho planétaire, un succès pour le ministre qui en avait fait un enjeu pour l'image de la France à l'extérieur. C'est également Jack Lang qui met en place un Service au sein de son ministère en charge des affaires internationales. Ce service progressivement collaborera avec la section correspondante au Quai d'Orsay. Les Grands Travaux menés au cours de la période en France avec notamment la Pyramide du Louvre et la Bibliothèque François Mitterrand participent d'une même volonté de restauration de l'image de la France comme centre culturel de premier ordre. Le ministère de la Culture développe son action internationale face à la multiplication des échanges culturels dans le monde. Ses compétences se sont étendues à l'accueil des cultures étrangères en France, mais aussi à la coopération culturelle au niveau communautaire, participe activement au soutien au développement international des industries du livre, du cinéma et de la musique et apporte son expertise en matière d'ingénierie culturelle. Le ministère de la Culture prend le devant de la scène en ce qui concerne cette politique de grandeur de la France, alors qu'à l'origine, c'est plutôt le Ministère des Affaires Étrangères qui devait en avoir la charge. En réalité, le Quai d'Orsay poursuit son travail, mais de façon différente. Section 2 – Les tentatives de renouvellement du travail du Quai d'Orsay 35 I - Prôner le dialogue des cultures La tâche prioritaire consiste à se remettre en cause afin de renouveler l'action culturelle extérieure. A partir de la fin des années soixante-dix, les rapports se succèdent. Le plus marquant est celui livré en 1979 par Jacques Rigaud. C'est ce même rapport Rigaud qui voudrait tirer un trait définitif sur les notions d'expansion culturelle et de rayonnement pour faire place à un dialogue entre toutes les cultures. C'est l'ouverture qui doit être de mise. Dans son article sur la présence artistique de la France à l'étranger, Jean Digne note que le projet français s'inscrit dans cette lignée dans les années quatre-vingt : le projet culturel extérieur de 1984 explique que "la France en effet n'entend rester elle-même, fière de sa langue et de sa culture, qu'à travers une relation culturelle fondée sur la réciprocité de l'échange, le respect de la diversité des cultures et le renforcement des solidarités naturelles. C'est en ce sens qu'elle place la culture, la formation et la maîtrise des nouvelles technologies comme l'une des dimensions primordiales du développement économique et social des peuples"9. Cette citation résume bien par quel nouvel état d'esprit la France entend mener sa politique culturelle extérieure : le dialogue et les échanges culturels allant de pair avec une modernisation de l'image de la France à montrer à l'extérieur. II - Le nouveau pilier : la coopération scientifique et technique Une des nouvelles priorités consiste à renforcer et développer la coopération scientifique et technique. L'intérêt est multiple : en finir avec l'image passéiste et élitiste de la France dont la "grandeur" ne s'exprimait pendant longtemps qu'à travers sa littérature et son art; mener à bien une véritable politique de coopération solidaire et d'assistance technique et enfin améliorer sa compétitivité internationale dans le domaine scientifique et technique actuellement très stratégique. 9 cité dans le Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, sous la direction d'Emmanuel de Waresquiel, Paris, CNRS éditions – Larousse – Bordas, 2001 36 III - Une politique de développement de l'audiovisuel La France a pris conscience (même s'il lui a fallu du temps) du nouveau contexte dans lequel elle doit désormais agir. Par certains côtés, la France tente de résister à la mondialisation. Mais elle essaie par ailleurs de s'appuyer sur le nouveau contexte. Comme illustration de cette attitude, elle a développé une véritable politique de développement audiovisuelle. Suite aux rapports qui dès les années soixante-dix le recommandaient, en 1982, est créée au sein du Quai d'Orsay une Direction de l'audiovisuel. A sa suite, deux ans plus tard, on assiste à la naissance de la chaîne de télévision TV5. L'objectif était selon Alain Decaux "d'inonder les pays francophones d'images, de chansons, d'informations, de fictions en français, de le faire par l'intermédiaire de la télévision"10. Autre étape dans cette stratégie, en 1989, le gouvernement décide la création du Conseil de l'Audiovisuel Extérieur Français. Pour permettre de diffuser des programmes français gratuitement, la France met à disposition des chaînes de télévision des pays en développement une banque de données d'émissions télévisuelles. Ces initiatives complètent le dispositif radiophonique qui existait déjà avec notamment Radio France International (RFI).Avec l'aide à l'exportation du cinéma français, ce secteur bénéficie de près de la moitié du budget de la Direction générale du Quai d'Orsay en charge des relations culturelles, scientifiques et techniques. TV5 comme RFI jouent un rôle important dans la diffusion du français. Leurs programmes émis 24h/24 peuvent être transmis à un très grand nombre d'auditeurs (le chiffre de 45 millions d'auditeurs est avancé pour RFI). En touchant un large public, les émissions qui proposent des bulletins d'information, des émissions pour découvrir la France et les programmes courts d'enseignement du français sont d'un très grand atout. Pourtant, si cette politique audiovisuelle est une des priorités, RFI souffre de restrictions budgétaires trop contraignantes. La dernière nouveauté dans le domaine concerne la mise en place de la chaîne de télévision française d'information en continu, élaborée sur le modèle des chaînes CNN ou encore BBC news, CCTV pour la Chine. C'est un secteur où la France se devait d'être présente. 10 cité par Jean Digne dans le Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, Paris, CNRS éditions – Larousse – Bordas, 2001. 37 IV - La défense de la langue française reste la priorité Autre pilier de la politique actuelle, la défense de la langue française reste, traditionnellement, une priorité. L'apprentissage de la langue étant bien entendu, un prérequis pour les actions menées ailleurs : pour attirer des étudiants étrangers en France (dont d'ailleurs le nombre de bourses accordées a été augmenté à plusieurs reprises), il faut qu'ils aient accès à l'enseignement du français, l'exportation de biens culturels français est d'autant plus facilitée qu'il existe une communauté francophone active, pour multiplier et renforcer les collaborations entre scientifiques, la maîtrise d'une même langue est indispensable, etc. Par ailleurs, le réseau très riche et dense de centres culturels publics et privés dont nous avons déjà parlé a été renforcé. Tout d'abord, grâce à une meilleure collaboration des ministères des Affaires étrangères et de la Culture, laissant progressivement de côté leur rivalité en la matière. On peut ajouter que dans ce sens, un effort a été mené pour attirer des étudiants étrangers en France. Pour cela, le nombre de bourses a été augmenté : entre 1990 et 2000, le nombre d'étudiants étrangers qui ont bénéficié d'une bourse de l'État français a augmenté de plus de 10%. Mais la répartition géographique de ces étudiants montre que les étudiants latino-américains ne représentent qu'un faible pourcentage de ces étudiants : 5,8% en 200111. Le nombre d'étudiants étrangers qui viennent poursuivre une partie de leurs études en France reste trop faible notamment parce que les étudiants sont plus attirés par le système anglo-saxon. Il est suggéré d'améliorer la promotion de l'enseignement supérieur français. Mais il faudrait également permettre aux étudiants qui voudraient venir en France de pouvoir apprendre le français avant leur départ. Or, dans beaucoup d'universités étrangères, le français n'est pas (ou que très marginalement) présent dans l'offre de formation. V - La place accordée à de nouveaux acteurs 11Ces chiffres sont tirés de l'Avis de l'Assemblée Nationale par Henriette Martinez sur le projet de loi de finances pour 2003, fait au nom de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, Tome 1 Affaires étrangères, Francophonie et relations culturelles internationales. 38 1) Les artistes En outre, le réseau a considérablement évolué, parallèlement aux changements opérés sur la scène culturelle internationale : les artistes, à partir d'initiatives individuelles et avec des motivations propres tissent des liens avec des partenaires étrangers, les réseaux professionnels se multiplient, etc. Cette situation reflète la nécessité toujours plus pressante pour le milieu culturel de trouver des débouchés en dehors des frontières nationales. Les artistes prennent donc une place plus importante dans l'action dont il est ici question. Par leur notoriété, ou par des choix personnels qui les incitent à se détacher des structures nationales, des représentants de la culture française contemporaine prennent l'initiative de grandes tournées, ou séjours à l'étranger. Cette nouveauté peut être saluée dans un contexte où tout ou presque se décide dans des ministères et au sein de commissions. L'initiative d'ordre privé, si d'après le modèle français n'est pas suffisante, elle reste complémentaire de l'action de l'Etat. Des artistes comme Patrice Chéreau ou Bartabas sont accueillis par de larges succès à l'étranger. Aujourd'hui ce ne sont plus uniquement les oeuvres qui circulent, les artistes eux-mêmes voyagent. En Amérique latine, l'éditeur de musique K617 a pris l'initiative de partir à la recherche de partitions oubliées. Depuis 1987 avec son programme Les chemins du baroque en Amérique latine, les partitions restaurées sont ensuite interprétées par des artistes locaux puis enregistrés. Ce travail de coopération culturelle donne l'occasion d'organiser également de nombreux concerts sur le continent. Les échanges, les liens tissés sont de plus en plus denses, réguliers et riches à l'inverse du saupoudrage et des actions isolées. La volonté exprimée actuellement a conduit à faire en sorte que plus aucun événement culturel en France d'une certaine ampleur n'intègre pas un partenariat entre artistes français et étrangers. 2) Les collectivités territoriales Autre nouveauté, les collectivités territoriales se sont lancées dans l'action culturelle extérieure et en sont devenues des acteurs dorénavant incontournables. Ce sont souvent des partenariats avec d'autres villes à travers le monde qui s'instaurent. Ces relations souvent riches, donnent une image renouvelée de la culture française. Un exemple révélateur de ces changements peut être cité : le voyage du nommé 39 Cargo 92, événement organisé par l'AFAA. Au départ de la ville de Nantes, ce cargo au cours de son parcours a commémoré la découverte de l'Amérique. Enfin, le renouvellement de l'image de la France à travers sa culture est passée par l'utilisation de vecteurs nouveaux. Ce qui est promu au niveau artistique, ce n'est plus seulement la peinture classique, le théâtre ou encore la littérature. Les efforts portent également aujourd'hui sur des arts dits "mineurs" tels que la photographie, le théâtre de rue et le cirque, la musique et la danse contemporaine, le jazz, le design, etc. La politique en question s'enrichit donc et se complexifie, et l'État n'a plus la première place. Les collectivités territoriales, les artistes et les réseaux professionnels (comme Unifrance Films ou la Communauté des télévisions francophones) ou les entreprises, les fondations et les producteurs indépendants du secteur ont leur rôle à jouer. Si ces nouveaux acteurs interviennent c'est également parce que l'État a considérablement réduit les budgets alloués, l'origine des financements a dû ainsi être diversifiée. La puissance étatique se contente de plus en plus de chapeauter les manifestations artistiques. La régularisation du secteur, et du marché culturel reste la tâche majeure de l'État. Tâche d'une importance accrue par le contexte de dérégularisation actuelle. La mondialisation a imposé une vision industrielle et économique au champ culturel. La culture est devenue de masse et les biens culturels sont dorénavant des produits de consommation. La puissance étatique se doit de protéger la création artistique. 40 Chapitre 2 – La politique culturelle extérieure et l'uniformisation culturelle Les effets du phénomène dit de mondialisation sont multiples, mais touchent l'ensemble de la société et de l'État. Très schématiquement, la mondialisation ou globalisation c'est d'abord et avant tout une multiplication unique dans l'histoire de l'humanité des échanges d'ordre économique ou culturel. Cette accélération des échanges est notamment la conséquence de la diffusion de nouvelles technologies de communication qui réduisent les distances et les durées. L'État se retrouve dans une situation paradoxale, puisque d'un côté, sa légitimité est remise en cause "par le haut" avec la multiplication des processus d'intégration régionale et "par le bas" avec l'accent porté sur les revendications décentralisatrices, régionalistes et identitaires. Mais pourtant, en même temps, il est demandé à l'Etat de fournir une protection accrue face au phénomène d'uniformisation culturelle menée par les quelques firmes culturelles qui dominent le domaine voire face au phénomène d'américanisation (les firmes en question sont pour la plupart d'origine américaine). La France a fait un effort tout à fait unique pour briller sur la question de la protection du pluralisme de la culture sur la scène internationale. Section 1 – La défense de l'exception culturelle I – Une politique en contraste avec les fondements de la politique culturelle d'après-guerre Aux origines de la mise en place du ministère de la Culture de 1959 pourtant, la notion de pluralisme est totalement absente. Les missions confiées par De Gaulle limitent le pluralisme puisqu'il s'agissait de privilégier l'accès aux œuvres du patrimoine culturel français de manière uniforme à l'ensemble de la population française. Une même vision de la culture devait en aboutir. La conception gaulliste de la culture lui confiait un rôle de rassemblement de la Nation autour de la "grandeur de la France". 41 Au moment même de l'instauration de ces fondements du ministère Malraux, ils étaient remis en cause par les intellectuels du moment (tels que Pierre Bourdieu et Michel Foucault) et par la suite par les mouvements sociaux qui s'exprimeront en particulier à l'occasion de Mai 68. L'idée d'une même culture pour tous et imposée d'en haut ne correspond pas aux aspirations de la société. Le champ des sciences sociales s'emparera de la question, notamment l'école des cultural studies représentée aux États-Unis en particulier. A la fin des années soixante et tout au long des années soixante-dix, les cultures locales, les terroirs ont pris une place nouvelle, et les arts dits mineurs et/ou populaires ont acquis une légitimité sociale nouvelle. Mais ces changements ont éveillé des phénomènes de résistance au nom de l'universalisme républicain, contre une vision consumériste de la culture et au nom de l'excellence culturelle française. Cette position a eu un écho d'autant plus important que la période a été marquée par la prise de conscience des dangers de la mondialisation. C'est alors que se consolide la notion d'exception culturelle sous la double facette de protection face à l'invasion des produits culturels de masse d'origine anglo-saxonne et comme fondement de la légitimité d'intervention de l'État en la matière. Le contexte de renouvellement de la légitimité de l'État pour protéger la culture n'était pas favorable : les revendications identitaires pluralistes existaient toujours, les pratiques culturelles avaient évolué, le poids du marché international des produits culturels était sans commune mesure avec celui de l'État, l'Union Européenne dictait de plus en plus les règles, alors qu'au niveau infra-étatique, les collectivités locales voulaient, elles aussi participer à l'action de promotion culturelle à l'extérieur. II- La politique de défense de la culture française sur la scène internationale Pour s'adapter au nouveau contexte, une des questions posées était de savoir à quel niveau on voulait établir l'équilibre entre le poids des industries culturelles et la place des services culturels publics. Le problème, c'est que l'État ne pouvait répondre à la question seul : au-dessus de lui se trouve l'Union Européenne ainsi que le GATT (General Agreement on Trade and Tarifs) qui est devenu par la suite l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). La position de la France est bien connue : elle a systématiquement fait valoir auprès de ces 42 instances supra-nationales une position de défense de la culture francophone. Le résultat de ce travail intensif pour convaincre les organismes pré-cités a été la possibilité d'instaurer une politique de quotas dans les domaines de l'édition, de la musique et du cinéma. Les instances communautaires ont soutenu cette politique tant au niveau interne, que sur la scène internationale, notamment à l'occasion du sommet de l'OMC à Seattle en 1999.12 Cette position de la France est l'aboutissement d'une action conjointe de producteurs et professionnels des domaines culturels cités et d'acteurs motivés par une vision altermondialiste qui refusent de se plier au modèle culturel américain. Autre curiosité, l'action menée par la France est applaudie par la société, qui pourtant "consomme" de plus en plus de produits culturels américains... III- Le passage à la défense de la diversité culturelle A la notion d'exception culturelle, on a peu à peu préféré celle de diversité culturelle pour plusieurs raisons. La première de ces raisons tient au fait que les pratiques culturelles en France, comme ailleurs ont profondément changé en particulier à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ces pratiques sont plurielles et extrêmement variées. Les genres et styles se sont multipliés. L'offre comme la demande se sont décuplées. Le public a par exemple accès aux films de tous genres en provenance du monde entier. L'offre culturelle des organismes publics ne suffit plus à répondre à la demande actuelle. Le patrimoine accessible est désormais mondial. Mais pour les uns, l'offre publique tombe dans la facilité en reproduisant cette diversité au nom d'un politique dite populiste au lieu de promouvoir les œuvres et artistes d'excellence, la culture légitime et légitimée. Pour les autres, l'État n'est pas allé assez loin (souvent parce que le budget et les moyens mis en œuvre n'ont pas été adaptés à la volonté de promouvoir une culture diversifiée) et poursuit une politique jugée trop élitiste, bien loin du principe de démocratisation de l'accès à la culture. Une deuxième raison qui explique le passage de la défense officielle de l'exception culturelle à la diversité culturelle réside dans le fait que la première notion suscitait des critiques parmi les partenaires de la France : elle reflétait encore trop l'image de la culture française trop teintée d'arrogance. 12 cf Serge Regourd, L'exception culturelle, Paris, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je?, 2002 43 Cette nouvelle attitude de défense de la diversité culturelle sur la scène internationale peut surprendre lorsque on la compare à la politique culturelle menée sur le plan intérieure. Ce n'est que très marginalement que la France promeut la diversité culturelle sur son territoire. Le modèle d'universalisme républicain refuse ce pluralisme. Ce sont les mêmes principes qui sont au fondement de la politique d'intégration, pour qui le multiculturalisme se rapproche trop du communautarisme du modèle anglo-saxon. Si la France préserve une tradition d'ouverture aux cultures étrangères, elle ne pratique pas la même ouverture en ce qui concerne les identités locales et communautaires de ses citoyens. Il y a là clairement un manque de cohérence qui mériterait d'être étudié et modifié pour que la voix portée par la France sur la scène internationale porte ses fruits. Section 2 – La France comme alternative à l'hégémonie culturelle anglosaxonne? I – Tension entre admiration et rejet de la culture française en Amérique latine L'exemple de la langue est en ce sens parlant. Au cours du XIXième siècle, le français était parlé communément au sein des élites latino-américaines, cette tradition, si elle ne s'est pas maintenue avec la même force pendant le XXième siècle a tout de même continué à avoir un impact sur les sociétés en question, pour le moins, elle était restée dans la mémoire de tous. Depuis quelques années, on note un certain renouveau de l'intérêt pour le français qui bénéficie paradoxalement de la situation actuelle de mondialisation des échanges et de l'information. Tout d'abord, c'est pour exprimer le refus de l'homogénéisation culturelle symbolisée par la domination de la langue anglaise que de nombreux latino-américains ont appris ou redécouvert le français. L'ouverture à d'autres langues et cultures, selon le principe de la diversité culturelle a été d'un appui non négligeable pour la culture, la langue et les valeurs françaises, symboles, elles, de la résistance à la mondialisation. Mais même lorsqu'il ne s'agit pas d'altermondialisme, la culture et la langue françaises se révèlent relativement utiles étant donné la multiplication des flux touristiques, des échanges commerciaux, 44 techniques, scientifiques, ou encore artistiques. Autre avantage de la situation actuelle, l'enseignement du français apparaît moins élitiste grâce à l'accès de plus en plus aisé aux nouvelles technologies. Les institutions officielles en charge de la politique extérieure ont tenté de s'appuyer sur ces éléments nouveaux pour aller accélérer cette dynamique. C'est ainsi que dans les Alliances françaises sont enseignés des cours de français pour les spécialistes du tourisme, des cours de français juridique, médical, ou des affaires; sont organisés des cours en ligne, etc13. Ce sont également des réseaux dynamiques de professionnels de l'enseignement du français qui en organisant d'importants congrès internationaux dynamisent l'image de la langue française. Il faut ici mentionner la tenue des réunions du SEDIFRALE (Congrès Latino-Américain des Associations des Professeurs et Chercheurs de/ en Français Langue Étrangère ou Sesiones Para Docentes E Investigadores De Francés Lengua Extranjera). II- La « lutte » contre la « menace » anglo-saxonne A titre d'exemple, pour illustrer ce sentiment de menace que ressentent les responsables des pouvoirs publics voici ce que le député Georges Hage écrit dans l'avis qu'il a présenté à l'Assemblée Nationale sur le projet de loi de finances pour l'année 2001. Il commence sa présentation en plaçant cette action dans son contexte actuel. Ce qui transparaît clairement dans ses propos c'est le danger que représente la concurrence américaine. C'est le champ lexical de la lutte voire de la guerre qui est employé : "la montée en puissance des industries culturelles américaines ne laisse pas de nous inquiéter [...] en raison de leur prétention à l'hégémonisme, elles menacent directement une part de notre identité". Il fait référence à un "raz de marée américain" qui nécessite de la part de la France d'entreprendre la "résistance" et la "reconquête". La France "lutte". Dans le même ordre d'idée, on peut citer le combat mené par certains dans la défense de la langue française face à l'anglais. Plusieurs projets, notamment celui de la loi Toubon se proposent de lutter contre le « franglais » en proposant des termes alternatifs aux mots d'origine anglaise qui ont été intégré au langage commun. 13 L'exemple de l'Alliance française de Buenos Aires est en ce sens parlant. www.alianzafrancesa.org.ar 45 Chapitre 3 : Une politique encore largement figée dans son passé Section 1 – Une image basée quasi-exclusivement sur un passé considéré comme glorieux Dans son ouvrage, Denis Rolland14 retrace l'évolution de l'image que les LatinosAméricains ont eu de la France depuis la Révolution Française jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tout au long de la période, cette image a connu des heures plus ou moins glorieuses. La Première Guerre mondiale lui a porté un premier coup, comme mentionné plus haut. Au cours de la Seconde Guerre mondiale en revanche, grâce au travail des partisans de la France libre exilés sur le continent, la France apparaît à nouveau comme une référence pour les élites intellectuelles. Le phénomène s'est ensuite poursuivi au sortir de la guerre avec la politique volontariste qui est alors menée (et qui nous avons décrit rapidement plus haut). Progressivement cela dit, le moment d'intermède proposé par le second conflit mondial s'efface, pour se rendre compte à quel point le décalage entre l'image diffusée et la réalité était grande. Ce qui est principalement retenu de la France par les Latinos-Américains, ce sont les valeurs de Lumières et l'arrogance culturelle française. Le problème posé est celui du renouvellement de cette image, mais pour cela, il faut diffuser des œuvres modernes. Or la culture française est elle aussi gravement touchée par le phénomène d'uniformisation. De plus, la critique la plus fréquente note que les problèmes "d'exportation" de la culture française sont d'abord et avant tout liés à un manque d'articulation de la création française avec les services des ministères français en charge de la politique culturelle extérieure. Cette critique s'est notamment exprimée en 1979 dans une étude du CNRS intitulée "La culture tamisée". La "concurrence" avec la culture anglo-saxonne s'exprime de manière idéal-typique en ce qui concerne la diffusion de la langue. Depuis le début du XXième siècle, voire dès la 14 La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique Latine. Culture, politique et identité. Presses Universitaires de Rennes, Institut Universitaire de France, 2000. 46 fin du XIXième siècle, l'anglais a supplanté le français comme langue étrangère la plus parlée sur le continent. Alors que le français était la deuxième langue des élites tout au long du XIXième, le siècle suivant a été marqué en Amérique latine, comme dans le reste du monde (y compris en France) par l'apprentissage et l'utilisation généralisées de l'anglais. Les causes de ce phénomène sont bien connues : la montée en puissance des États-Unis tout au long du siècle passé; le développement des échanges qu'ils soient commerciaux, technologiques, culturels, et la circulation quasi-instantanée des informations, sous l'impulsion principalement des États-Unis expliquent pourquoi le français est en recul. Plus que le développement de la langue de Shakespeare, c'est l'anglais des États-Unis qui s'impose dès qu'il s'agit d'échanges internationaux. Les situations restent très variées au sein de la zone, avec des pays comme l'Argentine, l'Uruguay et le Brésil (plus particulièrement le Sud de cet État) où le français maintient une place honorable, alors qu'en Bolivie et en Équateur, le français stagne ou continue à perdre du terrain. Il y aurait depuis peu un certain regain du français dans ces terres latino-américaines (cf. supra), mais il reste encore très loin derrière l'anglais. En matière de coopération scientifique et technique, le même problème se pose : la concurrence des États-Unis est très forte. Cette concurrence s'exprime par le nombre de candidats latino-américains qui veulent effectuer une partie au moins de leurs études en Amérique du Nord; alors que la France peine à attirer des candidats dans ses universités et grandes écoles. Ce n'est que récemment que le Ministère des affaires étrangères a pleinement pris la mesure du problème : il faut rendre le système d'éducation supérieure français plus attractif. Section 2 – Une politique inadaptée. Les pistes proposées pour son renouvellement La constante la plus remarquable que l'on trouve dans tous les rapports portant sur le 47 travail mené par l'État dans le domaine, et dans les avis du parlement pour le budget consiste en une défense parfois inconditionnelle à la fois des fondements de cette politique et de sa prise en charge par l'État et plus particulièrement par le Quai d'Orsay. Si les critiques peuvent être nombreuses sur son organisation, sa structure ou ses stratégies, à la lecture de ces textes, on comprend bien à quel point cette politique est défendue par les responsables des pouvoirs publics. L'action culturelle extérieure doit rester partie intégrante du travail diplomatique pour superviser, conseiller et protéger (si besoin) les échanges culturels d'ordre privé. Autre argument avancé, seul l'État est capable de mener cette action à l'échelle planétaire. Enfin, de bonnes relations culturelles facilitent les relations diplomatiques. Le débat ne porte pas sur le fonds, mais sur la forme pour adapter les moyens dont dispose la France aux besoins actuels. I. Une structure trop lourde, impossible à gérer efficacement L'ancienneté de cette politique, l'importance qui lui est accordée, le principe centralisateur des décisions et l'importance des moyens alloués rendent difficiles toute volonté d'adaptation et d'évolution. La structure est lourde, il n'est pas aisé de la flexibiliser. Pourtant le contexte dans lequel elle opère a évolué : la mondialisation, la multiplication et la complexification des échanges culturels gérés par une myriade d'acteur a changé la donne. L'adaptation du dispositif français est devenue une nécessité. Les principales recommandations répétées dans les nombreux rapports sur la question sont une meilleure définition des objectifs, une restructuration des moyens, un assouplissement du dispositif, la décentralisation de la prise de décision et de la mise en oeuvre des programmes, et la recherche de partenariats. Le secteur a commencé ce travail de réforme, mais il est encore loin d'avoir abouti. Un problème qui est régulièrement soulevé, c'est la stratégie de la Direction générale en charge des relations culturelles. Cette stratégie manque de cohérence et de visibilité. Il faut dire qu'étant donné l'ancienneté de cette politique, se sont juxtaposées de nombreuses actions et volontés. La situation s'est aggravée avec l'ajout (nécessaire) de nouveaux domaines d'intervention : la coopération scientifique et technique, l'audiovisuel, etc. Ce manque de cohérence est visible sur le terrain : dans les Alliances françaises, le personnel de direction est recruté par le Quai d'Orsay, le personnel enseignant par le Ministère de 48 l'Education nationale parfois, c'est une structure de droit privé qui pourtant est « conseillée » par le service culturel de l'ambassade française la plus proche... Le rapport de 2001 d'Yves Dauge avait pour objectif de faire un bilan du travail des centres culturels français à l'étranger et de proposer des perspectives nouvelles. Le fonctionnement de ces établissements y est durement analysé. Les critiques portent sur le recrutement des personnels, issus en grande majorité de l'Éducation Nationale. Ce même personnel a été considéré comme insuffisamment formé pour leur tâche. Enfin, leur statut est trop ambigu. Les moyens ont apparus insuffisants. La pertinence d'un tel réseau est régulièrement mis en question étant donné son étendue et ce qui est vu comme sa lourdeur. Un travail de rééquilibrage géographique a été entamé et les missions ont été diversifiées, mais plusieurs rapports préconisent d'approfondir ce travail. Une des voies proposées est de redéfinir l'implantation des établissements du réseaux en fonction de la nouvelle donne diplomatique, le réseau en l'état actuel correspond à des préoccupations diplomatiques d'un autre temps. Dans le cas de l'Amérique latine, la question se pose alors... Cela dit, la force du réseau dans la région latino-américaine tient beaucoup aux structures d'ordre privé, telles que les Alliances françaises. En ce qui concerne les acteurs sur le terrain, André Ladousse15 note qu'il y a un sérieux problème de coordination, dû à une formation des personnels qui est inadaptée. Il explique qu'étant donné la multiplicité des acteurs de l'action culturelle extérieure de la France qui se trouvent sur le terrain, il faut qu'il y ait un référent qui coordonne leurs activités. Ce rôle revient au personnel dirigeant des ambassades et instituts culturels. De plus en plus, l'État nomme à la tête de ces centres culturels des conseillers de coopération et d'action culturelle. Le problème avec cette pratique est qu'elle confère à ces conseillers deux missions (une mission d'élaboration de la stratégie à mener d'une part qui s'adresse à l'ensemble des acteurs et l'application de cette stratégie au niveau du centre culturel), qui peut aboutir à un mélange des genres. Le risque est d'autant plus prégnant que la formation de ces conseillers reste trop partielle dans le domaine et le poste est souvent perçu comme transitoire. En ce qui concerne l'enseignement du français, pilier historique de la politique 15 André Ladousse, "La coopération culturelle de la France : alibi ou vrai enjeu?" in Jean-Jacques Gabas (sous la direction de), L'aide publique au développement en mutation?, collection "Les Études de la Documentation française", printemps 2005. 49 culturelle extérieure, deux priorités de renouvellement sont mis en oeuvre : d'une part, rénover l'ensemble du système d'enseignement du français à l'étranger, et d'autre part, poursuivre avec plus de moyens la politique audiovisuelle. Ce pilier reste actuellement la priorité, au détriment des autres domaines d'intervention que sont la coopération scientifique et technique et les échanges culturels et artistiques. Les perspectives en matière de coopération technique et scientifique ne sont pas très encourageantes, plusieurs problèmes persistent. Si cette politique veut être fructueuse, les experts recommandent plusieurs adaptations et changements. Le premier défi à relever consiste à en finir avec l'éparpillement de l'action menée. Au lieu du saupoudrage, les responsables de la politique en question doivent définir des objectifs et des priorités claires, pour rendre l'action efficace et visible. De même pour mieux coordonner les projets et regrouper les financements, certains proposent de créer une agence qui pourrait centraliser les propositions de projets et les demandes locales tout en étant un interface plus visible, un interlocuteur unique. Autre souhait des experts, instaurer un véritable partenariat entre les autorités chargées de l'aide technique et celles qui consacrent leur travail à l'aide au développement. Alors que leur proximité semble évidente, dans la réalité, la coopération reste trop faible. Par ailleurs, dans le contexte actuel, des financements multilatéraux sont rendus possibles (l'Union Européenne, mais aussi la Banque Mondiale ou encore la Banque interaméricaine de développement sont des bailleurs de fonds incontournables). La France devraient savoir les utiliser, notamment en instaurant des partenariats qui peuvent être fructueux au lieu d'agir de façon isolée. Par rapport aux besoins exprimés localement, la France doit également redoubler d'efforts. Les aberrances sont encore malheureusement nombreuses. De nombreuses demandes locales correspondent à des domaines où la France dispose d'un savoir et de techniques reconnus, pourtant la réponse française pourrait être améliorée. A ce titre, Christian Girault cite deux exemples16 : le tourisme et le domaine des travaux publics et de la gestion des réseaux. En matière de tourisme, la France, en tant que première destination touristique du monde dispose d'un savoir-faire et d'une expérience unique dans la gestion de l'activité. Au niveau de la demande, que ce soit dans les Caraïbes ou sur le continent, le secteur est en expansion. Pourtant, la France reste très discrète dans le domaine. Autre 16 Ces exemples sont tirés de son article "La coopération scientifique et technique avec l'Amérique latine et les Caraïbes" publié dans le Cahier des Amériques, n°28/29 en 1998. L'article a pour origine un rapport que Christian Girault et Henri Hurand ont remis au Ministère des Affaires Étrangères en 1996. 50 exemple, les métropoles latino-américaines n'arrivent pas à faire face aux besoins croissants en termes de réseaux de transport en commun, d'approvisionnement en eau potable notamment. Les grandes entreprises françaises du secteur (Suez, Veolia, EDF, les grands groupes de télécommunication, etc.) malgré quelques chantiers obtenus (l'assainissement de l'eau à Buenos Aires, l'approvisionnement en électricité à Rio de Janeiro), restent trop en retrait alors que les potentialités sont importantes. Aux autorités françaises en charge de mieux accompagner les entreprises françaises en Amérique latine, de mieux promouvoir l'expertise française dans les domaines pour lesquels la France est reconnue. L'objectif dans ce sens est également de renouveler l'image de la France, encore beaucoup trop passéiste et élitiste. Malgré toutes ces critiques, on retrouve une constante dans tous ces rapports et dans toutes ces réflexions : à chaque reprise est réaffirmé le rôle essentiel de ce dispositif de centres et instituts culturels dans la mise en oeuvre de cette action culturelle extérieure. II. Des partenariats à développer Le phénomène de mondialisation a contribué à une véritable internationalisation des pratiques culturelles dans le monde. Les échanges culturels se sont décuplés grâce aux nouvelles techniques de communication et aux modes de production actuels. Au niveau de la demande, ce qui a changé, ce sont les modes de vie et les mentalités qui se sont ouvertes sur le monde. Cette internationalisation correspond par ailleurs à un besoin pour les industries du milieu, elles aussi portées par des besoins de rentabilité et donc par la recherche de débouchés extérieurs. Pour mieux répondre à ce nouveau contexte, la France a multiplié le nombre et la variété des acteurs qui interviennent dans la promotion de la culture française à l'étranger. Les réseaux se sont ainsi étoffés. Elle a en outre réaffirmé sa mission d'intervention dans l'exportation de la culture. Le travail de l'État a pu être décuplé par la prise en compte des échanges culturels internationaux par les instances infra-étatiques que sont les collectivités locales. Les mairies des grandes villes françaises développent de plus en plus ce type d'effort, qui va bien au delà de la pratique traditionnelle du jumelage. Au niveau supra-étatique, là aussi la situation a évolué. L'UNESCO poursuit son 51 travail. L'Union Européenne, elle, commence a véritablement se saisir de la question culturelle : les échanges culturels intra-européens méritent en effet d'être enrichis, ne seraitce que pour donner plus de réalité à l'intégration régionale en cours. Autre organisation qu'il faut mentionner, l'Organisation internationale de la francophonie, instrument indispensable pour maintenir et développer les liens entre les pays francophones, une des voies privilégiées pour défendre la langue française. Le secteur strictement privé n'est pas en reste. Le mécénat d'entreprise se développe. La marge de manœuvre reste importante puisque les entreprises françaises sont très loin d'atteindre le niveau des entreprises américaines pour qui le mécénat est très commun. Les opérateurs culturels privés tout comme ceux qui bénéficient de fonds publics ont eux-mêmes initié des stratégies de développement à l'international. La plus grande part du mérite leur revient peut-être en priorité. Pour mieux aborder ce contexte nouveau, ces opérateurs se regroupent de plus en plus au sein de réseaux professionnels nationaux et même internationaux. Le but de ces réseaux est d'accompagner ces opérateurs dans leurs stratégies de développement à l'international. Généralement, les pouvoirs publics se sont associés à ces efforts. On aboutit ainsi à la formation de structures de statut privé de type associatif, mais étant largement financé par l'État. C'est par exemple le cas d'Unifrance Films dont la mission est de développer l'exportation de films français; existent également le Bureau export de la musique française, le Bureau international de l'édition française ou encore l'Association des architectes français à l'exportation. Les quelques réseaux internationaux récemment créés doivent leur origine à une volonté principalement communautaire. Ces initiatives originales permettent à leurs membres d'avoir un poids plus important au moment de la recherche de fonds européens et/ou participent à une meilleure prise en compte du domaine culturel au sein des instances communautaires. Ces réseaux sont encore en chantier, mais l'on peut nommer l'Association européenne des festivals de musique ou l'Union des théâtres de l'Europe. Au cours d'un entretien mené en Argentine avec la directrice des activités culturelles de l'Alliance française de Buenos Aires, Lia Goldberg, nous avons pu prendre la mesure de l'importance du changement en cours en matière de partenariat. Elle nous a en effet expliqué qu'actuellement, plus aucun projet n'était mené par l'Alliance seule. La recherche de partenaires est notamment rendue indispensable étant donné les restrictions budgétaires, mais c'est surtout un choix de la direction d'intégrer une forte dimension de coopération. Les partenaires sont multiples et variés : des entreprises, d'autres centres culturels (dans ce cas, la 52 coopération est fructueuse avec le Goethe institute), des associations de divers types, etc. Point à souligner, ces partenaires sont indifféremment français ou argentins. Cette exemple, s'il n'est peut-être pas représentatif, prouve que des avancées sont en cours. Pour améliorer l'efficacité de l'action des centres culturels tels que l'Alliance française, cette démarche est intéressante. III. Une vision à changer : mettre fin à l'idée de « rayonnement culturel » L'objectif prioritaire de la France reste malgré tout, et selon un tradition maintenant ancienne, la promotion de la langue et de la culture françaises dans le monde. Les expressions consacrées depuis le début du XXème siècle sont connues de tous : c'est la volonté "d'expansion intellectuelle de la France au-dehors" qui motive son action, on parle également de "rayonnement culturel". Aujourd'hui encore, ces expressions restent utilisées, même par les instances officielles. L'idée de rayonnement culturel est à remettre en cause, ce qui a déjà été fait à plusieurs reprises notamment par Jacques Rigaud dans son rapport remis au Ministère des Affaires Étrangères en 1979 et qui a fait date. Mais l'expression persiste parce que persiste la volonté d'influence à travers la diffusion culturelle. Cette volonté s'exprime d'autant plus que la situation n'est pas très favorable à la puissance de la France dans les autres domaines dans lesquels elle pouvait jouir d'un statut enviable. C'est d'ailleurs peut-être une des raisons qui expliquent pourquoi la France déploie des moyens aussi considérables dans cette politique. Il est vrai cependant que la France a fait des efforts pour élargir sa vision : la promotion des cultures étrangères sur son territoire et le dialogue interculturel ont été intégrés à la mission originelle. En 2000, le député Georges Hage dans l'avis qu'il a présenté à l'Assemblée Nationale sur le projet de loi de finances pour l'année 2001, a exposé l'enjeu des relations culturelles de la sorte : " la France est bien un cas particulier qui s'exprime dans l'idée que notre pays a un rôle spécifique à remplir dans le monde, à la fois sur les plans politique et culturel. Ce rôle justifie l'importance attachée par la France à son rayonnement culturel extérieur, considéré comme un enjeu important des relations internationales". Ces quelques lignes condensent 53 tout le projet de l'action culturelle extérieure de la France. Dans un avis qui doit justifier les fonds alloués à cette politique, l'objet est d'expliquer les enjeux en cours. L'enjeu est clairement diplomatique. Plus haut d'ailleurs, il a rappelé le rôle qu'a joué historiquement et que continue de jouer la culture dans l'élaboration de la politique étrangère du pays. Cette dimension culturelle de la politique extérieure reste fondamentale d'après le député. Celui-ci, il faut le remarquer utilise encore l'expression de "rayonnement culturel" malgré la vision unilatérale qu'elle implique. Plus étonnant peut-être, il rappelle l'idée selon laquelle la France a une mission à mener auprès de l'humanité, mission culturelle voire civilisatrice. 54 En guise de conclusion... La situation est loin d'être catastrophique malgré les propos alarmistes tenus par certains. L'idée d'un déclin de l'influence culturelle française en Amérique latine va de pair avec l'idée plus large d'un déclin global de la France. Dans le cas étudié, comme dans beaucoup d'autres domaines, il faut relativiser le débat. Il est clair que les temps ont changé, mais la France bénéficie toujours d'atouts non négligeables. L'objectif est dès lors de savoir les réinvestir pour renouveler des politiques trop peu volontaristes. Mais c'est la politique culturelle extérieure dans son ensemble qui doit évoluer. Les moyens ne sont plus les mêmes, tout comme les objectifs. L'idée de rayonnement est encore trop présente, alors que le contexte prouve constamment que la culture de l'un ne sera acceptée par l'autre que dans le cadre d'un échange. Si d'un côté, la France tente de résister à l'américanisation et l'uniformisation de la culture, comment justifier une volonté exclusivement exportatrice de sa culture? Progressivement, la politique tend à mieux prendre en compte la dimension d'échange et de partage. C'est la voie que la plupart recommande. Plus généralement, les interrogations posées par les difficultés auxquelles doit faire face cette politique culturelle extérieure renvoient aux difficultés de la politique culturelle intérieure. Si ce sont deux ministères distincts qui en sont en charge, tous deux travaillent à partir du même matériau : la culture française (entendue au sens très large, comme tout au long de cette étude). Plus d'un demi-siècle après le ministère Malraux, le bilan reste négatif notamment en ce qui concerne la création. La culture française est-elle aussi vivante qu'on le souhaiterait? Le véritable problème se trouve peut-être là : il faut une culture dynamique et moins élitiste pour être attractive et par la suite pour être promue à l'étranger. 55 Bibliographie Ouvrages: BENHAMOU-HUET (Judith), Art business : le marché de l’art ou l’art du marché, Paris, Assouline, 2004, 237 pages. BOURDIEU (Pierre) et DARBEL (Alain), L’amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, Editions de Minuit, 1966, 248 pages. CARON (Rémi), L'Etat et la culture, Paris, Editions Economica, 1989 COMPAGNON (Olivier), Jacques Maritain et l'Amérique du Sud. 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Rapports du Ministère des Affaires Étrangères: Rapport de l'Inspection Générale des Affaires Étrangères, 2003. Rapport d'activité de la DGCID, 2003. La coopération internationale française, DGCID, 2005. 59 Table des matières : Introduction P.8 PREMIÈRE PARTIE - DES RESSOURCES EXCEPTIONNELLES MAL P.13 EXPLOITÉES Chapitre 1- Les héritages de l'influence culturelle française en Amérique latine P.13 Section 1 – Brève histoire de la diffusion culturelle française en Amérique latine P.13 I. L'évolution de l'influence culturelle depuis les indépendances P.14 latino-américaines jusqu'à l'entre deux guerres II. Les principaux domaines où cette influence est la plus ressentie Section 2 – L'État français n'est pas le seul acteur sur ce terrain I. Les initiatives personnelles qui ont œuvré indépendamment de l'État : P.15 P.17 P.17 l'exemple de la diffusion de la pensée de Jacques Maritain II. Une influence culturelle qui n'a jamais joui d'un monopole P.19 Chapitre 2 - Des ressources actuelles très riches mais trop peu efficaces P.22 Section 1 – L'organisation de cette politique culturelle extérieure P.22 Section 2 - Le rôle de la Direction Générale des Relations Culturelles : P.25 diriger la politique culturelle extérieure I. La naissance tardive de la structure P.25 II. Des missions enfin renouvelées P.25 III. Le tiers du budget du Quai d'Orsay P.26 IV. Mais des difficultés de fonctionnement P.26 Section 3 – Les autres acteurs de la politique I. L'agence Culturesfrance (ex-AFAA) : un rôle performant dans la diffusion P.27 P.27 artistique française 60 II Les établissements culturels et d'enseignement du français en Amérique latine P.29 III. La coopération scientifique et technique : un pan nouveau de la politique P.29 culturelle PARTIE 2 – LE MANQUE D'ADAPTATION DE CETTE POLITIQUE P.32 Chapitre 1 – Les mutations de la politique culturelle extérieure : quelques avancées P.32 Section 1 - Le volontarisme du Ministère de la Culture au sortir de la P.33 Seconde Guerre Mondiale fait de l'ombre au Ministère des Affaires étrangères Section 2 – Les tentatives de renouvellement du travail du Quai d'Orsay P.35 I - Prôner le dialogue des cultures P.36 II - Le nouveau pilier : la coopération scientifique et technique P.36 III - Une politique de développement de l'audiovisuel P.37 IV - La défense de la langue française reste la priorité P.38 V - La place accordée à de nouveaux acteurs P.38 1) Les artistes P.39 2) Les collectivités territoriales P.39 Chapitre 2 – La politique culturelle extérieure et l'uniformisation culturelle P.41 Section 1 – La défense de l'exception culturelle P.41 I – Une politique en contraste avec les fondements de la politique culturelle P.41 d'après-guerre 61 II- La politique de défense de la culture française sur la scène internationale P.42 III- Le passage à la défense de la diversité culturelle P.43 Section 2 – La France comme alternative à l'hégémonie culturelle anglo-saxonne? P.44 I – Tension entre admiration et rejet de la culture française en Amérique latine P.44 II- La « lutte » contre la « menace » anglo-saxonnes P.45 Chapitre 3 : Une politique encore largement figée dans son passé P.46 Section 1 – Une image basée quasi-exclusivement sur un passé P.46 considéré comme glorieux Section 2 – Une politique inadaptée. Les pistes proposées pour son P.47 renouvellement I. Une structure trop lourde, impossible à gérer efficacement P.48 II. Des partenariats à développer P.51 III. Une vision à changer : mettre fin à l'idée de « rayonnement culturel » P.53 Conclusion P.55 62 63 La Révolution française et les écrits des Lumières ont grandement inspiré les indépendantistes latino-américains du XVIIIe et XIXe siècles. Depuis, les élites de la région sont restées francophiles. Les relations entre la France et l'Amérique latine sont dans une large mesure bâties sur des relations culturelles, ce qui permet à la diplomatie française d'avoir un écho d'autant plus important. Mais l'heure actuelle, caractérisée par le phénomène multidimensionnel de la mondialisation et par la réduction du rôle de l'Etat est désavantageuse pour la politique culturelle extérieure, pan crucial de la politique étrangère française. Cette politique culturelle bénéficie d'une histoire très riche en Amérique latine et de moyens uniques au monde. Pourtant, face aux mutations du monde, elle peine à trouver une place qui corresponde aux moyens dont elle dispose. La légitimité d'une telle politique de diffusion culturelle n'est jamais remise en cause, mais les critiques sont nombreuses quant au déploiement de cette politique qui ne parvient pas à démarquer la France et sa culture d'une image archaïque. Alors que les échanges culturels se sont décuplés au cours des cinquante dernières années, alors que l'uniformisation culturelle sous l'impulsion des industries culturelles anglo-saxonnes touchent l'ensemble du globe, la France tente de faire valoir sa spécificité, mais n'y parvient que marginalement. Mots clés : politique étrangère – influence culturelle – Amérique latine – action culturelle extérieure – échanges culturels 64