Les mesures urgentes devant le tribunal de la famille et de la jeunesse

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Les mesures urgentes devant le tribunal de la famille et de la jeunesse
DOCTRINE
Les mesures urgentes devant le tribunal
de la famille et de la jeunesse
François Balot
Avocat au barreau de Bruxelles
Collaborateur scientifique à l’Université catholique de Louvain –
Centre de droit privé
Louise Gendebien
Juge au tribunal de première instance de Namur
1. S’il ne devait être retenu qu’une seule ligne de force de la loi du
30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse (1),
ce serait assurément le souhait qui a habité le législateur de réorganiser tout
le contentieux familial au sens large (y incluant la situation des cohabitants (2)) au sein d’un seul et même tribunal selon un principe très clair : « une
famille – un dossier – un juge » (3).
Ce souhait se justifiait tant par le fait que les compétences en la matière
étaient dispersées entre les différents tribunaux et leurs sections – ce qui
contribuait à rendre l’accès à la justice parfois difficile pour le justiciable
confronté aux arcanes de la pyramide judiciaire –, que par l’accélération de
la procédure en divorce depuis la réforme induite par la loi du 21 avril 2007
réformant le divorce, en application de laquelle la situation d’attente entre
l’introduction de la procédure et le prononcé du divorce s’est fortement
réduite (4).
M.B., 27 septembre 2013, 2e éd., p. 68429.
Voy. la compétence matérielle du tribunal tracée par le nouvel article 572bis du Code
judiciaire, et les commentaires y afférents de D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », Act. dr. fam., 2013, pp. 173 et s., nos 26 et s.
(3)
Voy. à cet égard la contribution de V. Wyart, in Le tribunal de la famille et de la jeunesse (sous la dir. d’A.-Ch. Van Gysel), Centre de droit privé-unité de droit familial de l’Université Libre de Bruxelles et Conférence du jeune barreau de Bruxelles, Limal, Anthemis,
Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 115 et s.
(4)
J.‑L. Renchon, « La compétence du juge des mesures provisoires de la procédure en
divorce à propos de l’attribution ou de la restitution des biens des époux », Rev. tr.dr. fam.,
2011, pp. 210‑211.
(1)
(2)
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2. Aujourd’hui et conformément à ce vœu législatif, le juge du fond
se confond littéralement avec celui des mesures provisoires (5), qu’une
demande en divorce soit introduite ou non, qu’elle soit encore pendante ou
non, ce qui implique la fin d’un « saucissonnage » des différentes demandes,
tant dans leurs aspects temporels que matériels : désormais et s’agissant à
la fois du fond et des mesures urgentes, seul le tribunal de la famille et de la
jeunesse est compétent.
Il n’empêche que l’organisation des mesures urgentes et « provisoires »
telle que conçue dans le nouveau tribunal de la famille risque de voir émerger – nous y reviendrons – une série de difficultés d’application, particulièrement à l’aune du principe de l’autorité de la chose jugée et les effets
« positifs » qu’elle induit (6) (infra, no 18), lesquelles difficultés persistent après
l’adoption (rapide) d’une loi réparatrice (7) qui a sans doute et à cet égard
manqué une occasion de remédier à certains écueils mis en lumière – pourtant tout aussi rapidement – par la doctrine, voire, pire, qui a de manière
extrêmement malheureuse conféré un surcroît de complexité à un système
qui n’en manquait déjà et pourtant pas (infra, no 7).
3. Après un court exposé liminaire sur l’urgence et le « provisoire »,
tels qu’ils doivent être désormais appréhendés à l’aune des lois du 30 juillet
2013 et du 8 mai 2014, nous tenterons, dans les lignes qui suivent, de tracer
une typologie que l’on espère claire – la gageure est assurément à la mesure
du bouleversement procédural induit par les textes nouveaux – des mesures
urgentes et/ou « provisoires », pour ensuite nous attarder sur les aspects
procéduraux inhérents au rassemblement des compétences et, plus généralement, à l’architecture globale du système, tout particulièrement la saisine
permanente dont jouit le tribunal de la famille et de la jeunesse s’agissant
des mesures concernées.
Cette structure sera l’occasion de mettre en lumière, par d’incessants,
mais nécessaires renvois, les implications que les aspects procéduraux précités pourront avoir sur l’appréhension et le traitement de ces mesures, le
législateur n’ayant, à notre estime, que très imparfaitement perçu les interdépendances entre « fond » et « procédure » qui s’expriment en la matière de
manière quasiment paradigmatique et, oserions-nous écrire, relativement
délicate.
Cfr l’article 1254, § 1er, alinéa 6, du Code judiciaire pour les demandes en divorce.
Sur cet effet positif de la chose jugée, voy. ce que nous écrivions avec le professeur
van Drooghenbroeck, in « L’effet positif de la chose jugée », J.T., 2009, pp. 297 et s.
(7)
Loi du 8 mai 2014 portant modification et coordination de diverses lois en matière
de justice, M.B., 14 mai 2014, 2e éd., p. 30986.
(5)
(6)
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I. Quelques prémisses sur l’urgence et le « provisoire »
4. Il s’agit presque d’un truisme tant les textes sont, à tout le moins à
cet égard, limpides : la nouvelle loi institue deux types d’urgence, lesquelles
sont fonction de la nature des mesures sollicitées : l’urgence dite « réputée »
(article 1253ter/4, § 2, jo. article 1253ter/5 nouveaux du Code judiciaire) et
l’urgence dite « invoquée » (article 1253ter/4, § 1er, du Code judiciaire).
L’on ne s’attardera pas ici sur l’urgence qualifiée « d’absolue nécessité », qui demeure de la compétence (exclusive) du président du tribunal de
première instance statuant en référé, l’article 584, alinéa 2 nouveau du Code
judiciaire prescrivant ainsi que « si l’affaire est de la compétence du tribunal
de la famille, le président n’est saisi qu’en cas d’absolue nécessité ».
À défaut d’absolue nécessité avérée, les règles de procédure de droit
commun s’appliquent en manière telle que le président du tribunal de
première instance, saisi sur requête unilatérale (articles 1025 et s. du Code
judiciaire), soit se déclarera incompétent (si l’absolue nécessité n’a pas été
alléguée), soit déclarera la demande non fondée (si l’absolue nécessité n’est
pas observée et rencontrée au moment où il statue) (8), sans toutefois renvoyer la cause au tribunal de la famille (9) : le mécanisme de renvoi vers une
chambre ordinaire à défaut d’urgence, lorsque cette dernière est invoquée
sur base de l’article 1253ter/4, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, n’a en
effet pas été prévu ou, à tout le moins, étendu en cas de défaut d’absolue
nécessité devant le président du tribunal (10).
(8)
Voy. à cet égard les deux arrêts rendus par la Cour de cassation en date du 11 mai
1990 (Pas., 1990, I, pp. 1045 et 1050), qui ont fait du défaut d’urgence – et, par rebond,
d’absolue nécessité – une exception hybride, de compétence et de fondement de la demande
(pour un commentaire remarquable de ces deux arrêts, voy. not. P. Marchal, « Le référé »,
Tiré à part du Rép. not., Bruxelles, Larcier, 1992, pp. 49‑50, no 15. – b).
(9)
Dans cette mesure, nous ne partageons donc pas la thèse avancée par Didier Pire
(« La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse »,
Act. dr. fam., 2013, p. 176, no 26) et par le professeur Van Gysel (« Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », in Le tribunal de la famille et de la jeunesse (sous la dir.
d’­A.-Ch. Van Gysel), loc. cit., p. 104), selon laquelle le président du tribunal, saisi sur requête
en absolue nécessité, devrait, à défaut de celle-ci, se déclarer incompétent et renvoyer la cause
au tribunal de la famille. L’on notera cependant, en ce qui concerne la contribution précitée
du professeur Van Gysel, que l’assertion fondant cette thèse relève manifestement de l’erreur
de plume, puisqu’elle semble avoir été corrigée lors de l’exposé oral de cette contribution lors
du colloque afférent à la parution de ladite contribution.
(10)
Pas plus que le droit commun ne le permet, les arrêts précités du 11 mai 1990
excluant implicitement mais clairement le recours à l’article 88, § 2, du Code judiciaire, lequel
règle les incidents de répartition au sein du tribunal de première instance (voy. à cet égard
P. Marchal, « Le référé », op. cit., pp. 52‑53, no 22).
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5. Quant au caractère provisoire des mesures, il n’est plus (uniquement) déterminé par la durée imposée à ces dernières, sauf cas prévu par la
loi (11) ou demandes (12) des parties.
Ainsi que nous l’appréhenderons et hors le cas où la mesure serait
strictement « provisoire » (parce que limitée dans le temps ou par essence
provisoire au sens de l’article 1253ter/5, alinéa 1er, du Code judiciaire), il y a
en effet que les autres mesures ordonnées dans le cadre de l’article 1253ter/4
du Code judiciaire ne font autorité que « rebus sic stantibus », certaines par
le biais d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, le juge statuant
« comme en référé » (13) (lorsque l’urgence est réputée et que la décision est
donc prononcée au fond), les autres par le biais d’une décision revêtue de
l’autorité de la chose décidée (lorsque l’urgence est « seulement » invoquée).
Les tribunaux amenés à devoir aménager « provisoirement » la situation des parties disposent donc d’un panel très large de mesures destinées à
régler les biens et les personnes en situation de crise conjugale, mesures que
nous tenterons de répertorier sous forme d’une nomenclature distinguant
ainsi urgence réputée et urgence invoquée, la loi leur appliquant un traitement différent, tant au niveau de l’exercice du droit visant à les obtenir que
des effets liés aux décisions les ordonnant.
Au demeurant, ce sont toutes les mesures provisoires anciennement
prononcées par le président du tribunal de première instance siégeant en
référé sur pied de l’article 1280 du Code judiciaire et par le juge de paix sur
pied des articles 221 et 223 du Code civil, qui sont ici visées, intégrées et
coordonnées, les dispositions précitées renvoyant désormais, s’agissant de
l’adoption de mesures urgentes, aux dispositions des articles 1253ter/4 à 6
nouveaux du Code judiciaire.
(11)
L’article 1253ter/5, 4°, du Code judiciaire subordonne en effet l’interdiction d’aliéner un bien immobilier ou mobilier, propre ou commun, à la fixation d’un délai.
(12)
À cet égard, il ne nous paraît pas envisageable, au regard du principe dispositif, qu’à
défaut de demande des parties pour que la mesure postulée soit uniquement prononcée à titre
provisoire, le juge puisse d’autorité décider que la mesure prononcée dans une cause relevant
de l’urgence réputée soit, de sa seule initiative, déclarée provisoire.
(13)
Sur l’autorité de la chose jugée dont les décisions rendues en suite de procédure comme en référé, voy. ce que nous écrivions avec le professeur Jean-François van
Drooghenbroeck, « L’autorité de la chose jugée happée par la concentration du litige »,
L’effet de la décision de justice. Contentieux européens, constitutionnel, civil et pénal (sous la
dir. de G. de Leval et Fr. Georges), CUP, no 102, Liège, Anthemis, 2008, pp. 192 et s., no 66,
et les réf. citées à la note no 128). Adde G. de Leval, Éléments de procédure civile, 2e éd., Coll.
de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 256, no 175 C.
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II. Essai de typologie des mesures (et leurs effets)
A. L’urgence réputée
6. Nœud à notre estime « gordien » de la problématique ici traitée,
l’urgence réputée émerge d’une combinaison assez délicate entre causes
réputées urgentes et mesures provisoires, tracée par les articles 1253ter/4,
§ 2, et 1253ter/5, du Code judiciaire.
Sans qu’il soit nécessaire de les reproduire in extenso, le premier de
ces textes énumère les causes réputées urgentes pour lesquelles, ainsi que
nous l’examinerons ci-après, il est « statué comme en référé », le second liste
les mesures qui, dans le cadre de ces causes, peuvent notamment et à la
demande des parties (14) être prises à titre « provisoire ».
Si l’architecture globale et l’énoncé des textes pourraient prima facie
laisser penser que le législateur a entendu distinguer les causes (qu’il y a
sans doute lieu d’entendre comme les types de litige entre époux ou cohabitants) et les mesures (pouvant, entre ces mêmes personnes, être ordonnées),
un peu comme l’on distinguerait les « jeux » auxquels jouer et les « actions »
de ces jeux (15), la réalité est cependant plus subtile…
7. Pour bien comprendre l’enchâssement de ces textes et leur portée
propre, il y a fondamentalement lieu de relever le hiatus législatif ayant
touché l’article 1253ter/4 du Code judiciaire, entre son énoncé dans la loi
précitée du 30 juillet 2013 et celui apparaissant de la loi, improprement
qualifiée de « réparatrice » à cet égard, du 8 mai 2014, qui est désormais
seule applicable.
L’on relèvera en effet que, dans sa pristine version (i.e. celle de 2013),
ledit article 1253ter/4 prescrivait que, pour les causes réputées urgentes y
énumérées, « il [était] statué selon les formes de la procédure en référé ».
Certes, cet énoncé ne coïncidait pas avec la volonté du législateur telle
qu’elle apparaît des travaux préparatoires, spécialement l’amendement
no 51 déposé par Monsieur Brotcorne, selon lequel « le tribunal de famille
rend un jugement au fond ayant autorité de la chose jugée (sauf décision à
titre précaire) et non une ordonnance au provisoire (référé). Il ne s’agit pas
d’obtenir une mesure provisoire, mais bien un jugement au fond, jusqu’à
une nouvelle décision prise en fonction de circonstances nouvelles » (16).
Supra, note no 11.
Avec la particularité, rendant imparfaite la métaphore ici utilisée, qu’il existe des
mesures qui s’insèrent dans le cadre de l’article 1253ter/5, al. 1er, du Code judiciaire, mais ne
ressortissent à aucune des causes reprises à la disposition précédente – ainsi de l’interdiction
d’aliéner, d’hypothéquer ou d’engager des biens (art. 1253ter/5, al. 1er, 4°, du Code judiciaire).
(16)
Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse,
Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25.
(14)
(15)
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Cependant, l’on pouvait alors comprendre de la lecture combinée du
prescrit légal et des travaux préparatoires précités que :
– si la cause mue devant le tribunal s’insérait dans l’énumération des
causes de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire, peu importe la ou les
mesure(s) postulée(s), elle était réputée urgente, l’urgence ne devant
donc être ni alléguée, ni prouvée ;
– dans ces causes réputées urgentes, deux types de mesures pouvaient être
prises – outre celles mues sur pied des articles 19, alinéa 2, et 735 combinés, du Code judiciaire (infra, nos 20 et s.) –, toutes traitées selon une
mise en état « de référé » :
• des mesures provisoires, étant, sans que cette liste soit exhaustive,
celles énumérées à l’article 1253ter/5, alinéa 1er, du Code judiciaire,
dont la persistance était fonction soit d’une durée préfixée (ainsi que
c’était le cas des mesures provisoires anciennement ordonnées par le
juge de paix sur pied de l’article 223 du Code civil) ou de leur caducité causée par le prononcé d’une mesure de substitution, par le juge
du fond statuant cette fois à titre définitif, ou à raison d’un élément
nouveau au sens de l’article 1253ter/7 nouveau du Code judiciaire
(infra, nos 27 et s.) ;
• des mesures prises au fond, revêtues de l’autorité de la chose jugée et
persistant, quant à elles, jusqu’à l’apparition d’un élément nouveau
(le même article 1253ter/7 nouveau du Code judiciaire).
8. Las, le législateur de 2014 décida de substituer à l’énoncé précité « il
est statué selon les formes de la procédure en référé », celui de « il est statué
comme en référé » (17).
La justification donnée par le législateur à cette modification ne
manque pas de clarté : « il découle de la philosophie de la loi et des discussions parlementaires (cfr par exemple l’amendement no 51 déposé en
Commission de la Justice de la Chambre, Doc. parl., Ch., Sess. ord. 20102011, no 53-0682/07, pp. 23‑25) que le nouvel article 1253ter/4 du Code
judiciaire fait la part des choses entre les causes où l’urgence est invoquée
et celles où l’urgence est réputée, chacune de celles-ci étant régies par des
modalités procédurales distinctes. Les premières sont instruites selon les
formes du référé et les deuxièmes selon les formes de la procédure comme
en référé. Puisque la référence à la procédure comme en référé en cas de
causes ‘réputées urgentes’ a disparu, il convient de la réintroduire dans cette
disposition, d’où la modification de l’alinéa 2, du § 3 de l’article 1253ter/4
du Code judiciaire » (18).
Loi du 8 mai 2014 précitée, article 78, c).
Proposition de loi portant modification et coordination de diverses lois en matière
de justice, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., no 53-3356/1, p. 34.
(17)
(18)
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Outre sa clarté, cette justification est assurément conforme à la volonté
du législateur de 2013 telle qu’elle apparaît de l’amendement no 51 précité
déposé par Monsieur Brotcorne : en effet, de ce qu’une cause est jugée
comme en référé, il est généralement (19) admis que la décision qui en découle
est une décision au fond (20), revêtue de l’autorité de la chose jugée (21).
Cependant, ce que le législateur n’a pas perçu comme « effet collatéral » de pareille modification, c’est que, dès lors que les mesures qualifiées de
« provisoires » au sens de l’article 1253ter/5 du Code judiciaire sont incluses
dans les causes énumérées à la disposition précédente – et sur lesquelles il
est « statué comme en référé » –, une lecture très rigoriste des textes – sans
recours aux travaux préparatoires, ainsi que le souhaitait d’ailleurs et assurément le législateur de 2014 au vu du dessein de la modification textuelle
adoptée – pourrait amener à considérer, par assimilation, que, qu’elles
soient prononcées au fond ou au provisoire, toutes les mesures prises dans
ce cadre sont « jugées » (ainsi, l’usage du verbe « statuer ») comme en référé
et conséquemment revêtues de l’autorité de la chose jugée, ce qui, outre que
dérogatoire du droit commun, engendre des implications importantes en
matière d’effet positif de la chose jugée (infra, no 18).
9. À notre estime, il n’en est cependant rien, certaines mesures pouvant, selon la volonté du législateur – qui distinguait clairement les décisions « à titre précaire » (22) des décisions au fond – être, de la demande des
parties (23), jugées soit au fond et revêtues de l’autorité de la chose, soit à titre
provisoire et, par essence, non revêtues de l’autorité de la chose jugée.
En cette dernière occurrence (i.e. mesures provisoires), les mesures
n’ont, outre qu’elles sont dénuées d’autorité de chose jugée, d’effet que soit
pour une durée limitée prononcée par le juge, soit tant qu’un élément nouveau n’amène à en revoir la teneur, soit encore jusqu’au prononcé d’une
mesure définitive au fond – supposément par le juge prononçant le divorce
ou le juge de la liquidation-partage –, qui viendrait s’y substituer.
(19)
À dire vrai, ni la jurisprudence, ni la doctrine n’en ont, à notre connaissance, tiré
une règle générale à cet égard, mais, de manière empirique, il y a lieu de considérer que les
actions comme en référé présentes dans l’arsenal législatif – l’on pensera notamment aux
actions en cessation – aboutissent toujours à une décision au fond, en sorte que certains
auteurs – et nous en sommes – n’hésitent pas à soutenir de manière presque axiomatique ce
principe (supra, note no 13).
(20)
Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse,
Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25.
(21)
Voy. supra, note no 13.
(22)
Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse,
Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25.
(23)
Supra, note no 11.
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Dans cette mesure, l’interprétation que nous tracions des dispositions
en cause à l’aune de la seule loi du 30 juillet 2013 (supra, no 7, in fine) nous
semble pouvoir être raisonnablement réitérée.
Si la critique est aisée, il nous paraît enfin et conséquemment qu’au
titre de la loi réparatrice et eu égard à la volonté certaine du législateur,
il eut été adéquat, plutôt que de substituer un libellé (« il est statué selon
les formes de la procédure en référé ») à un autre (« il est statué comme en
référé »), de conserver le libellé d’origine et d’insérer un troisième alinéa à
l’article 1253ter/4, § 2, du Code judiciaire, rédigé de la manière suivante :
« sauf les mesures prises conformément à l’article 1253ter/5 et sans préjudice
de l’article 1253ter/7, les mesures ordonnées sur pied du présent paragraphe
sont définitives au sens de l’article 19, alinéa 1er, du présent Code ».
Gageons qu’à défaut d’une jurisprudence claire en la matière – ce qui
sera, nous le croyons, heureusement le cas –, tel pourrait être la vertu d’une
seconde, et à cet égard nécessaire, loi réparatrice.
10. Au-delà de ces interrogations de principe, le moins que l’on puisse
écrire est que les mesures visées à l’article 1253ter/5 du Code judiciaire,
telles que reprises au 7° de l’article 1253ter/4, § 2, al. 1er, du même Code,
ainsi que les causes énumérées à cette dernière disposition, sont « à large
spectre », et couvrent d’importants pans du contentieux conjugal.
Ces mesures bénéficient donc de la présomption d’urgence : à l’instar
d’une demande qui était introduite sur pied de l’ancien article 1280 du Code
judiciaire, le demandeur n’a pas à établir l’urgence, non pas à raison de ce
qu’une procédure de divorce serait concomitamment engagée – puisqu’au
reste, les cohabitants non mariés peuvent y recourir – mais de par la nature
de la mesure sollicitée.
11. Sans que cette énumération se veuille exhaustive et outre des
causes ou mesures plus insolites comme les autorisations à mariage et relatives aux droits de visite transfrontières, il nous semble possible de synthétiser les mesures (sans les distinguer ici des causes) pouvant être ordonnées
au bénéfice de l’urgence de la manière suivante :
S’agissant des mesures relatives aux personnes :
– la fixation des résidences séparées ;
– l’octroi, la suppression ou la modification d’une pension alimentaire
(en ce compris le secours alimentaire (24), selon les critères y applicables)
et délégation de somme ;
(24)
Sur cette question, voy. les développements plus approfondis tracés par le professeur Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit.,
loc. cit., pp. 109 et s.
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la détermination de l’hébergement de l’enfant et ses modalités ;
la détermination de l’autorité parentale et toute décision y relative ;
la détermination d’un droit aux relations personnelles ;
l’octroi, la suppression ou la modification d’une contribution alimentaire (25) et d’une délégation de somme.
S’agissant des mesures relatives aux biens :
l’occupation de la résidence familiale ;
l’interdiction faite à un époux d’aliéner, d’hypothéquer ou engager un
bien mobilier ou immobilier, propre ou commun, avec l’exigence de
fixer un terme à l’interdiction ordonnée (26) ;
l’attribution de l’usage personnel des meubles à l’un des époux ;
l’interdiction faite à l’un des époux de déplacer les meubles (27) ;
l’obligation pour l’époux qui possède les biens mobiliers de donner caution ou de justifier d’une solvabilité suffisante.
12. Ainsi que nous l’avons déjà esquissé et l’approfondirons plus
avant infra (no 26), les mesures ci-avant énumérées sont évidemment traitées au bénéfice de délais de fixation et de mise en état raccourcis.
B. L’urgence invoquée
13. À côté des mesures pour lesquelles l’urgence est réputée, le législateur a prévu que toute autre demande de mesure pouvait être instruite, au
bénéfice du référé (simple cette fois, et non « comme en référé », sans autorité
donc de la chose jugée (28) et sans préjudice d’une décision ultérieure prononcée au fond, en manière telle que la mesure ainsi ordonnée s’apparente strictement, quant à ses effets, aux mesures urgentes et provisoires ordonnées
(25)
On peut être étonné qu’en terme de mesures (art. 1253ter/5, al. 1er, du Code judiciaire), la loi prévoit l’octroi, la suppression ou la modification d’une pension alimentaire,
en n’envisageant pas expressis verbis la contribution alimentaire, alors même qu’en termes de
causes (art. 1253ter/4, § 2, al. 1er, de même Code), elle fait référence aux « obligations alimentaires » en sorte que l’octroi, la suppression ou la modification de pareille contribution soit,
également et par l’effet d’une lecture combinée des deux dispositions concernées, une mesure
que le tribunal peut évidemment ordonner.
(26)
Voy. à cet égard les articles 1253sexies et 1253septies nouveaux du Code judiciaire,
que tant la clarté intrinsèque, que l’ampleur de la présente contribution ne nous invitent pas
à commenter plus avant.
(27)
Cass., 14 octobre 1977, Rev. tr. dr. fam., 1979, p. 269.
(28)
Au motif qu’elle ne se prononce pas au fond, mais dans les limites de l’urgence et du
provisoire (J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, « L’autorité de la chose jugée happée
par la concentration du litige », op. cit., loc. cit., p. 167, no 23). Tout au plus, écrivions-nous,
« ces décisions provisoires bénéficient-elles d’une autorité restreinte dite ‘de chose décidée’,
qui, tant que les circonstances demeurent inchangées, lient ceux qui y sont parties et les juges
qui les ont rendues ». Voy. égal. P. Marchal, « Le référé », op. cit., pp. 68‑69, no 35.
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autrefois sur pied de l’article 1280 du Code judiciaire et, surtout et désormais,
sur pied de l’article 1253ter/5, alinéa 1er nouveau du Code judiciaire), pour
autant que l’urgence soit invoquée par le justiciable formulant demande de
pareille mesure (article 1253ter/4, § 1er, al. 1er, du Code judiciaire).
La singularité du mécanisme mis à cet égard en place par la nouvelle loi
tient à la dérogation légale expresse à la jurisprudence précitée sur la sanction du défaut d’invocation ou d’existence de l’urgence en référé (29), un tel
défaut ne se voyant en l’occurrence opposer aucun relevé d’incompétence,
ni de non-fondement, mais entraînant, conformément à l’article 1253ter/4,
§ 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, renvoi simple de la demande vers une
chambre ordinaire du tribunal.
14. Il nous paraît ici également utile, et à nouveau sans volonté de
complétude – ce d’autant plus qu’au contraire des urgences réputées, elles
ne sont pas légalement limitées, per se ou à raison des causes au sein desquelles elles s’insèrent (comp. articles 1253ter/4, § 2, alinéa 1er et 1253ter/5,
al. 1er, du Code judiciaire), de mettre en évidence les mesures potentielles
suivantes pouvant ressortir, à la condition que celle-ci soit alléguée et prouvée, à l’urgence invoquée.
S’agissant des mesures relatives aux personnes :
– l’interdiction de contacts entre parties (30) ;
– l’interdiction faite à l’une ou l’autre des parties de pénétrer dans la résidence conjugale ;
– l’interdiction faite aux parties de diffuser tout commentaire calomnieux
ou insultant l’une à l’égard de l’autre, ou à l’égard des enfants via des
médias sociaux (31).
S’agissant des mesures relatives aux biens :
– l’obligation faite à un des époux d’écrire à sa banque en vue d’obtenir
de celle-ci une situation précise de ses comptes (32) ;
Supra note no 8.
Civ. Bruxelles, 24 novembre 1999, cité in J.‑P. Masson, G. Hiernaux, N. Gallus,
N. Massager, J.‑Ch. Brouwers et S. Degrave, Droit des personnes et de la famille, Chronique
de jurisprudence, 1999-2004, Coll. Dossiers du J.T. no 6, Bruxelles, Larcier 2006, p. 240.
(31)
J.P. Ninove, 3 mai 2012, R.G. no 12A356, inédit.
(32)
Civ. Liège, 30 novembre 2000 cité in J.‑P. Masson, G. Hiernaux, N. Gallus,
N. Massager, J.‑Ch. Brouwers et S. Degrave, Droit des personnes et de la famille, Chronique
de jurisprudence, 1999-2004, loc. cit., p. 240.
(29)
(30)
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 479
– la désignation d’un administrateur provisoire (33) ou d’un séquestre ou
toute autre mesure conservatoire relative à la gestion ou à l’administration des biens des époux (34) ;
– l’octroi d’une indemnité d’occupation ;
– la demande d’inventaire (35) ;
– la demande faite à la banque de bloquer des comptes communs ;
– la demande faite à un des époux de consigner certaines sommes sur un
compte bloqué (36) ;
– l’octroi d’avances sur des revenus (37) ou des capitaux (38) ;
– le retrait et transfert de pouvoirs ;
– l’obligation faite à un des époux de prendre en charge des échéances
hypothécaires ou d’autres dettes ;
– la détermination de l’allocataire des allocations familiales (39) ;
– la rétrocession des allocations familiales (40) ;
– la garde de l’animal domestique (41).
À l’endroit de ces mesures relatives aux biens, l’on notera que s’agissant de celles par le biais desquelles s’opère un transfert de patrimoine, elles
constitueront, à n’en point douter, des mesures de « référé-provision » (42),
dont les montants seront à faire valoir sur les comptes à opérer ultérieurement entre époux.
(33)
La proposition de loi réparatrice de la loi du 30 juillet 2013 prévoyait initialement que la désignation d’un administrateur provisoire constituerait une des mesures sous
1253ter/5, soit une mesure bénéficiant de la présomption d’urgence. Cette éventualité a finalement été abandonnée. Voy., par ex., Liège, 23 mai 2001, Rev. trim. dr. fam., 2003, p. 811.
(34)
L’on n’omettra pas de mentionner le curiosa que constitue en la matière l’apposition
de scellés. Si celle-ci relève en règle de la compétence exclusive du juge de paix – et le demeure –,
rien n’empêche en règle le tribunal de la famille, en tant que l’urgence de pareille mesure serait
invoquée et cette dernière constitue de toute évidence une mesure conservatoire, de l’ordonner sur pied de l’article 1253ter/4, § 1er, du Code judiciaire. Cependant, l’on conviendra qu’audelà du caractère contradictoire pouvant « gâcher l’effet de surprise », la célérité (et a fortiori
l’extrême célérité) offerte par la procédure d’apposition de scellés (art. 1155 C. jud.) prive,
de facto, d’utilité la saisine du tribunal de la famille et de la jeunesse siégeant en référé, sauf
le cas – qui ne relève pas de l’urgence au sens de l’article 1253ter/4, § 1er précité – des scellés
apposés après inventaire (art. 1156 C. jud.) (voy. J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot,
« Les scellés », Tiré à part du Rép. not., 2012, p. 22, no 5 et pp. 42‑43, no 26, a).
(35)
Article 1282, al. 2, du Code judiciaire.
(36)
Civ. Huy, 23 février 1982, J.T., 1982, p. 546.
(37)
Civ. Nivelles, 7 février 1997, Rev. trim. dr. fam., 1997, p. 640.
(38)
Mons, 17 février 1998, Rev. trim. dr. fam., 1998, p. 709.
(39)
Le nouvel article 572bis, 8°, du Code judiciaire attribue en effet cette compétence au
tribunal de la famille et de la jeunesse.
(40)
Bruxelles, 23 mars 2000, Rev. trim. dr. fam., 2001, p. 166.
(41)
Civ. Bruxelles, 28 décembre 1999, Rev. trim. dr. fam., 2001, p. 551.
(42)
Sur cette notion de référé-provision, voy. P. Marchal, « Le référé », op. cit.,
pp. 130‑132, nos 133 et 134.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
480
les mesures urgentes
15. Outre ces mesures et sans préjudice de la demande mue à cet égard
sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (infra, nos 20 et s.), rien
ne s’oppose enfin à ce que des mesures d’instruction soient, le cas échéant,
requises au bénéfice de l’urgence invoquée.
L’on pensera à ce titre – ce d’autant plus compte tenu de la revalorisation de certaines d’entre elles au bénéfice de la nouvelle loi – à la production de documents relatifs aux ressources des parties ordonnées aux époux
ou à un tiers (43), à la comparution de tiers (44), à la désignation d’un expert
médico-psychologique (45), à la réalisation d’une étude sociale et d’autres
investigations (46), à la mise en œuvre d’une expertise (mobilière, immobilière, etc.).
À cet égard, la difficulté pour le demandeur en pareilles mesures d’instruction tiendra sans doute à démontrer l’urgence qu’il y aurait à les ordonner, sauf, sans doute, à alléguer de ce que leur mise en œuvre est commandée par le traitement d’autres mesures sollicitées au bénéfice de l’urgence,
qui réputée, qui invoquée, avec la nécessité en pareille occurrence de sursoir
à statuer sur la demande de mesure urgente postulée dans l’attente de la
bonne exécution de la mesure d’instruction y corrélée.
C. L’autorité de la chose jugée/décidée attachée aux décisions
emportant mesures urgentes
16. La problématique a déjà été esquissée – elle est curieusement peu
entrevue par les remarquables commentaires doctrinaux dont la loi portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse a jusqu’ores fait
l’objet –, la distinction entre mesures relevant de l’urgence présumée prononcées au fond et celles conditionnées à l’invocation de l’urgence git dans
le mode d’instruction souhaité par le législateur dans l’un et l’autre cas :
comme en référé pour les premières (article 1253ter/4, § 2, alinéa 2, du Code
judiciaire) ; en référé pour les secondes (article 1253ter/4, § 1er, alinéa 1er, du
Code judiciaire).
Si ces deux modes ne présentent guère de différences d’un strict point
de vue de la mise en état des causes, ils se distinguent très nettement par les
effets des décisions prises dans chacune de ces occurrences.
Ainsi que nous l’avons souligné et jugeons utile de le répéter, une décision prise au terme d’une procédure comme en référé – comme pourrait
l’être une mesure ordonnée dans une cause réputée urgente si les parties
Article 1253quinquies du Code judiciaire.
Ibid.
(45)
Article 1253ter/6 du Code judiciaire.
(46)
Ibid.
(43)
(44)
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 481
ne requièrent pas qu’elle le soit à titre provisoire – est une décision au fond
revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Par contre, il est tout aussi certain que les mesures ordonnées au motif
de l’urgence (simplement) invoquée ou celles ordonnées au provisoire,
fût-ce dans des causes réputées urgentes, ne sont, quant à elles, revêtues
d’aucune autorité de chose jugée, à peine une autorité de chose décidée (47)
(i.e. liant, en l’absence d’éléments nouveaux, le juge qui l’a prononcée, à
l’exclusion du juge du fond).
À cet égard, la possibilité de modification d’une mesure précédemment
ordonnée au motif de l’apparition d’« éléments nouveaux » (article 1253ter/7
du Code judiciaire ; voy. infra, nos 27 et s.) n’est-elle pas exorbitante du droit
commun du référé, qui permet la modification ou la rétractation de l’ordonnance concernée à la condition d’un changement de circonstances (48), ni
non plus du système de mise dans l’ancien article 1280 du Code judiciaire :
quand bien même d’hardis plaideurs étaient-ils tentés d’importer au fond
les motifs favorables d’une décision de référé – spécialement s’agissant de
l’hébergement des enfants, des contours des obligations alimentaires postérieures au divorce ou encore dans le cadre de la liquidation-partage du
régime matrimonial –, il était et demeure indiscutable que pareilles mesures
et les motifs les soutenant, décidés au bénéfice du référé, ne liaient et ne lient
toujours en aucune manière le juge du fond (49).
17. Cette distinction ne nous semble pas générer de difficulté quant
à l’aspect négatif de la chose jugée, interdisant pour rappel, la réitération
de la demande identique fondée sur la triple identité – même objet, même
cause (entendue de la comparaison entre les faits juridiquement qualifiés
par le premier juge au regard de ceux présentés à l’appui de la prétention
ultérieure (50)) et même parties – déduite de l’article 23 du Code judiciaire (51).
Il y a en effet que la soupape de la « triple identité » ci-avant esquissée – sans doute n’est-il pas inenvisageable de contourner le débouté d’une
demande de mesure urgente, en nantissant l’identique demande ultérieure
d’un « sésame juridique » différent –, tout autant que le mécanisme de sai-
(47)
L’expression est du Doyen van Compernolle, « Considérations sur la nature et
l’étendue de l’autorité de la chose jugée en matière civile », note sous Cass., 10 septembre
1981, R.C.J.B., 1982, p. 258.
(48)
P. Marchal, « Le référé », op. cit., p. 68, no 35, b), et les références citées à la note no 8.
(49)
J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, « L’autorité de la chose jugée happée
par la concentration du litige », op. cit., loc. cit., p. 167, no 23.
(50)
Voy., car l’on ne peut mieux dire, les commentaires du Doyen de Leval, in Éléments
de procédure civile, loc. cit., p. 249, no 171, C.
(51)
Voy. ce que nous écrivions avec le professeur van Drooghenbroeck, « L’effet positif de la chose jugée », op. cit., p. 298, no 4.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
482
les mesures urgentes
sine permanente avec « retour » sur le précédemment ordonné au motif
d’éléments nouveaux, permettront utilement à n’importe quel autre juge
de s’écarter de la chose antérieurement jugée sans énerver l’autorité qui s’y
attache.
Il ne faudrait au reste pas oblitérer la vertu qu’une autorité de la chose
jugée renforcée peut avoir en la matière : ainsi, par exemple, de la résolution de la difficulté consistant à déterminer si les décisions du juge au
provisoire liaient ou non le juge de la liquidation, qui est désormais résolue de manière à notre estime claire si le juge du référé s’est prononcé au
fond(51bis), puisqu’au risque de se déjuger, le même juge qui aura accordé, à
l’une des parties et au fond (i.e. pas à titre strictement provisoire), l’occupation gratuite de la résidence familiale, ne pourra faire ensuite supporter
au bénéficiaire de la gratuité une indemnité d’occupation, sauf à faire valoir
un élément nouveau non soumis à sa première appréciation (ou à spécifier,
de manière presque schizophrénique – et encore que la lecture combinée
des articles 1253ter/4 et 5, du Code judiciaire le permette –, que l’une des
mesures (occupation de la résidence familiale) est une décision au fond et
l’autre (octroi de la gratuité) une décision au provisoire).
18. Cependant, force est également de reconnaître ce que l’incidence
de cette autorité de la chose jugée dans son aspect positif (i.e. la nécessité
pour tout autre juge de tenir pour vraie la chose précédemment jugée de
manière définitive (52), qui, elle, n’est absolument pas conditionnée par le
respect de la triple identité précitée (53)) peut en l’espèce avoir de potentiellement dévastateur.
Ainsi convient-il de rappeler que l’aspect positif de la chose jugée –
comme au demeurant son pendant négatif – ne s’arrête pas au dispositif,
mais s’étend tout autant aux motifs formant « le soutien nécessaire » de la
décision à laquelle ils s’attachent (54), pourvu que ces motifs soient exempts
d’ambiguïté (55) et n’entrent pas en contradiction entre eux (56).
En la matière, les exemples sont légion, de motifs décisoires amenant le
juge des mesures urgentes à prendre et justifier telle ou telle de ces mesures :
(51bis)
La situation était évidemment plus problématique lorsqu’il s’agissait d’une mesure
provisoire ou, selon l’excellente précision terminologique du Doyen Renchon, « provisionnelle » (in « Quelques problématiques des liquidations et partages », in États généraux du droit
de la famille, Actualités juridiques et judiciaires 2014, Bruxelles, Limal, Bruylant, Anthemis,
2014, pp. 167‑169, nos 5 à 8) dans le système d’avant la présente loi.
(52)
P. Mahaux, « La chose jugée et le Code judiciaire », J.T., 1975, p. 583.
(53)
Cass. (1re ch.), 4 décembre 2008, J.T., 2009, pp. 303 et s.
(54)
Voy. à cet égard J. van Compernolle, « Considérations sur l’autorité de la chose
jugée en matière civile », op. cit., pp. 260 et s., nos 30 et s.
(55)
Cass., 9 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 499.
(56)
Cass., 6 mars 1998, J.T., 1998, p. 511.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 483
la violence verbale ou physique d’un des conjoints, son assuétude à l’alcool
ou à la drogue, un retrait d’argent opéré sur tel ou tel compte bancaire, la
difficulté relationnelle d’un parent avec un ou plusieurs de ses enfants, la
soustraction par l’un des conjoints d’effets mobiliers, etc.
Autant d’assertions qui, au motif de l’autorité de la chose qui s’y attacherait si les causes et mesures qu’elles fondent étaient réputées urgentes
et jugées au fond (et pas uniquement à titre provisoire), seraient possiblement coulées dans le marbre de la vérité judiciaire, et lieraient de manière
particulièrement pérenne le juge amené à prendre toute décision ultérieure,
spécialement au moment du prononcé du divorce et même dans le cadre de
la liquidation-partage du régime matrimonial.
Dans la rapidité à accorder au traitement du dossier – telle que légitimement souhaitée par le législateur –, le juge veillera donc, lorsqu’il
statue au fond sur des demandes de mesures présumées urgentes, à ne
ni prendre des mesures qui créeraient de façon expéditive des situations
irréversibles ou qui auraient pour effet d’anticiper, sans qu’une véritable
urgence le requiert, sur la liquidation du régime patrimonial des époux (57),
ni surtout adopter des motifs décisoires trop étendus et/ou inamovibles, qui
auraient pour conséquence de « figer » de façon péremptoire et quasiment
définitive – fut-ce malgré la survenance d’éléments nouveaux ultérieurs – la
situation des parties, l’empêchant, lui ou tout autre juge statuant au fond,
de s’écarter d’une appréciation en fait précédemment émise.
19. Surtout, et toujours au regard de cette difficulté, l’on n’oblitérera
pas l’intérêt qu’il pourrait y avoir à ce que les magistrats statuant en matière
de mesures urgentes distinguent clairement, en termes tant de dispositif que
de motifs :
– les mesures prises au bénéfice de l’urgence présumée, et
– au sein de celles-ci, celles qui le sont au fond et celles qui le sont à titre
provisoire, et
– les mesures prises à raison de l’urgence invoquée,
ce d’autant plus qu’ainsi que nous le verrons (infra, no 26), une même décision pourrait, au bénéfice du traitement commun des demandes fondées sur
l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 4, du Code judiciaire, contenir des mesures à la
fois présumées urgentes (au fond ou au provisoire), « simplement » urgentes
et des mesures prises sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire…).
À défaut et quoique l’on ne doute pas que chacun acquière, avec le
temps, les réflexes permettant de distinguer clairement les types de mesures,
(57)
J.‑L. Renchon, « Les mesures provisoires relatives aux biens des époux », Rev. trim.
dr. fam., 1998, p. 457.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
484
les mesures urgentes
demeureront toujours des cas-limites, pour lesquels s’instaurerait ultérieurement un débat tendant à déterminer si telle mesure précédemment ordonnée était réputée urgente et au fond, et conséquemment revêtue de l’autorité
de la chose jugée, ou « simplement » urgente ou, quoique réputée urgente,
provisoire, et dénuée partant de pareille autorité.
D. Les demandes mues sur pied des articles 19, alinéa 2,
et 735 du Code judiciaire
20. Au-delà des causes et mesures réputées urgentes et celles relevant de l’urgence « invoquée », les parties peuvent soumettre au tribunal
toute autre mesure (qu’elle soit ou non incluse dans l’énumération des
articles 1253ter/4 et 5, du Code judiciaire), le tout sur pied des articles 19,
alinéa 2 et 735 combinés du Code judiciaire.
21. Ainsi que la doctrine le relève à très juste titre (58), la mention
expresse à cette « technique procédurale » dans l’incise de l’article 1253ter/5,
alinéa 1er, du Code judiciaire, constitue un opportun rappel à l’attention des
parties et singulièrement de leurs conseils, confirmant que le droit commun
de la procédure demeure utilement applicable devant ledit tribunal.
Il s’agit surtout d’une manière de souligner que les ressources du droit
commun de la procédure permettent, pour des causes et demandes qui ne
relèveraient pas de l’urgence, d’obtenir à plus ou moins bref délai (59) le prononcé d’une décision avant dire droit, sans qu’il soit recouru à une mise en
état dite de « circuit long », qui impliquerait un véritable calendrier de mise
en état au bénéfice de délais pour conclure correspondants.
Ceci étant dit, l’on veillera à souligner qu’au-delà de l’absence de
nécessité d’alléguer et prouver l’urgence à l’appui de la demande de
mesures fondées sur l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, celles-ci ne
constituent qu’un « ersatz » par rapport aux demandes mues sur pied des
articles 1253ter/4 et suivants du Code judiciaire, leur introduction nécessitant, au contraire des mesures visées à ces dernières et nouvelles dispositions – dont l’introduction autonome, sans demande au fond, est admise –,
(58)
A.‑Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille »,
op. cit., loc. cit., pp. 98‑99.
(59)
La précision n’est pas superfétatoire dès lors que l’application pratique de ces dispositions relève des disparités importantes quant au délai non seulement de fixation, mais
encore de prononcé selon l’encombrement du rôle de la juridiction saisie. Ainsi n’est-il pas
rare, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, qu’une demande fondée sur l’article 19,
alinéa 2, du Code judiciaire génère, entre la demande écrite qui en est faite et le prononcé de
la décision, un délai de deux, voire trois mois d’attente avant d’être fixée pour examen.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 485
qu’une procédure emportant une autre demande ait au préalable été – ou
soit concomitamment – intentée(59bis).
22. L’on rappellera ainsi et en effet qu’au titre de cet article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, le tribunal peut, avant dire droit et à tout stade
de la procédure, « ordonner une mesure préalable destinée soit à instruire la
demande ou régler un incident de procédure portant sur une telle mesure,
soit à régler provisoirement la situation des parties ».
Au reste, l’article 735, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire fait de pareilles
mesures des hypothèses de débats succincts dits « assimilés » en sorte que,
pour autant que la demande en soit formulée dans l’acte introductif d’instance ou par demande écrite ultérieure, lesdites mesures feront l’objet de
débats succincts (et a priori sans échange d’écrits de procédure), soit à
l’audience d’introduction ou, ce qui est en pratique plus probable, à une
audience de remise fixée à date rapprochée – si ces mesures sont postulées
dans l’acte introductif d’instance –, soit à une audience fixée à telle fin – si
la demande de pareilles mesures intervient ultérieurement.
En d’autres termes et sauf à ce qu’elles soient traitées à l’audience
d’introduction, ces demandes devraient être plaidées lors d’une audience
ultérieure « ordinaire », et non lors d’une audience de référé.
Dans le même sens, l’on soulignera encore que la distinction « référé /
comme en référé / provisoire », telle qu’elle apparaît et pose des difficultés
pratiques à notre estime considérables au regard de l’article 1253ter/4
du Code judiciaire et de l’autorité de la chose jugée qui s’y attache le cas
échéant (supra, nos 16 et s.), s’étiole ici dès lors que les mesures prises sur
pied des articles 19, alinéa 2 et 735 précités du Code judiciaire, ne sont, en
tant qu’elles ressortissent à l’avant dire droit – et ne sont donc pas définitives au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire –, pas revêtues de
l’autorité de la chose jugée (60).
(59bis)
Le Doyen Renchon va jusqu’à considérer qu’à raison de l’inclusion des mesures
demandées sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire dans le texte de l’article 1253ter/5, ces mesures seraient désormais réputées urgentes (« Quelques problématiques
des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., p. 175, no 18). Si l’on n’oblitèrera pas les vertus
de pareille position au regard de la célérité à promouvoir le traitement de telles mesures, il
s’agit d’un pas que l’on n’entendra pas franchir, les mesures prises sur pied de l’article 19,
alinéa 2 précité conservant à notre estime une existence autonome, et même si l’on admettra
bien volontiers que la formulation « outre celles prises conformément aux articles 19, alinéa 2, et 735, § 2 » (plutôt que « sans préjudice de l’application des articles 19, alinéa 2, et 735,
§ 2 ») confère un argument textuel sérieux à la position tenue par le Doyen Renchon.
(60)
Cass., 4 septembre 1987, Pas., 1988, I, p. 10 ; Cass., 13 février 1978, Pas., 1978, I,
p. 683 ; G. de Leval, Éléments de procédure civile, loc. cit., p. 249, no 169, B.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
486
les mesures urgentes
23. La détermination des mesures potentielles pouvant être introduites et jugées au bénéfice de ces dispositions de droit commun relève
quelque peu de la « gymnastique intellectuelle ».
S’il apparaît très clairement que des mesures d’instruction de droit
commun, telles qu’une expertise (p. ex. immobilière ou mobilière) – audelà de l’enquête sociale réglée par l’article 1253ter/6 du Code judiciaire et
ordonnée d’office par le tribunal (61) –, une audition de témoins – au-delà
de l’audition du mineur telle que désormais et explicitement régie par les
articles 1004/1 et 1004/2 du Code judiciaire et ordonnée d’office par le tribunal (62) – ou encore la production de documents pourront être postulées, l’on
se demande néanmoins quelles autres mesures, aménageant provisoirement
la situation des parties cette fois, pourraient être soumises au tribunal sans
qu’elles ne soient revêtues d’un caractère d’urgence, présumée ou alléguée.
En effet et à raison de ce que les relations personnelles (entre époux,
cohabitants, et entre eux et leurs enfants mineurs) sont peu ou prou toutes
présumées urgentes, que tel est également le cas des relations patrimoniales
de nature « quotidienne » (i.e. obligations alimentaires), à défaut de quoi
elles pourraient aisément ressortir à l’urgence « alléguée », sans doute n’y
a-t-il guère à ce titre que :
– les mesures visées supra sous le no 14, qui ne présenteraient aucun caractère d’urgence ;
– toutes les mesures réglant provisoirement la situation des parties dans le
cadre des opérations de liquidation-partage du régime matrimonial des
ex-époux (63) (64).
(61)
L’on renverra à cet égard aux excellents développements de D. Pire, « La loi du
30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 189,
nos 83 à 86.
(62)
Sur cette question, voy. not. J.‑P. Masson, « La loi portant création du tribunal de
la famille et de la jeunesse », J.T., 2014, pp. 187‑188.
(63)
Voy. ce que nous écrivions in « L’applicabilité de l’article 19, alinéa 2, du Code
judiciaire aux nouvelles procédures de liquidation-partage », Act. dr. fam., 2013, pp. 156
et s., nos 7 et s. ; voy. égal. J.‑L. Renchon, « Quelques problématiques des liquidations et
partages », op. cit., loc. cit., pp. 175‑176, no 20.
(64)
Ainsi que le souligne opportunément D. Pire, quoique la loi réparatrice précitée
du 8 mai 2014 ait supprimé les mesures prises sur pied des articles 1209 à 1212 de la liste des
causes réputées urgentes au sens de l’article 1253ter/5, § 2, du Code judiciaire, « rien n’exclut
que le juge de la liquidation-partage recoure à l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et
que les parties invoquent l’urgence » (D. Pire, « Tribunal de la famille et de la jeunesse : loi
réparatrice », Act. dr. fam., 2014, p. 180 ; comp. J.‑L. Renchon, « Quelques problématiques
des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., p. 175, no 18, qui considère que l’urgence est
en l’occurrence réputée, en sorte – nous précisons – qu’il n’y aurait même pas lieu de devoir
l’invoquer (supra, note no 59bis)). En ce dernier cas (i.e. invocation de l’urgence), encore
faudra-t-il, comme nous l’indiquions, que la demande concernée respecte le réquisit prétorien voulant que la mesure n’aurait pu être jugée avec une célérité suffisante au bénéfice de
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 487
III. Traits procéduraux essentiels
24. S’agissant de l’introduction devant le tribunal des causes et
demandes de mesures qualifiées d’urgentes, deux occurrences procédurales
se font principalement jour :
– Soit ces causes et demandes s’insèrent dans le cadre d’une procédure en
divorce, et accompagnent la demande en divorce et, le cas échéant, la
demande de liquidation-partage du régime matrimonial.
En pareille hypothèse, il sera en toute logique recouru au mode introductif d’instance attaché à la cause de divorce concernée (soit la citation,
soit la requête conjointe, soit la requête contradictoire) (65).
Relevons que d’aucuns considèrent à cet égard, et se fondant sur un
arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2004 (66), qu’« il résulte de l’économie générale de la loi que si l’une des parties introduit plusieurs demandes
dans un même acte introductif d’instance (par exemple : demande en divorce
et demande de mesures provisoires), elle pourra le faire dans un même acte
(comme prévu d’ailleurs à l’article 701 du Code judiciaire). Dans ce cas, il
pourra être recouru pour toutes les demandes à la requête même si, prises
isolément, les procédures auraient dû faire l’objet tantôt d’une requête, tantôt d’une citation » (67).
Sans oblitérer les vertus d’économie de procédure emportées par cette
assertion, il nous semble, quant à nous, que c’est là hypertrophier la portée
tant de l’article 701 du Code judiciaire – qui vise l’introduction de plusieurs
demandes principales (puisqu’introductives d’instance) par même acte de
citation –, que de l’arrêt précité de la Cour de cassation – qui se cantonnait
à autoriser cette possibilité de regroupement en termes d’acte introductif à
raison de ce que les demandes étaient, pour l’une principale, pour l’autre
subsidiaire, ou, en d’autres termes, de ce que la juridiction ne pouvait faire
droit à l’une qu’à défaut de l’autre.
Or, l’hypothèse procédurale n’est ici pas identique : il n’y a pas, entre
la demande en divorce et la demande de mesures provisoires, de distinction
entre demande « principale » et « subsidiaire » : ce sont toutes les deux des
l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (« L’applicabilité de l’article 19, alinéa 2, du Code
judiciaire aux nouvelles procédures de liquidation-partage », op. cit., pp. 157‑158 et s., no 11
et les réf. citées aux notes nos 25 et 26).
(65)
D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de
la jeunesse », op. cit., p. 182, no 48.
(66)
Pas., 2004, p. 8.
(67)
D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de
la jeunesse », op. cit., p. 182, no 49.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
488
les mesures urgentes
types de demandes sur lesquelles le tribunal devra pareillement statuer, et
pas « l’une à défaut » de l’autre.
Plus fondamentalement, l’« économie générale de la loi » ne suffit, à
notre estime, pas à énerver la volonté, expresse cette fois, du législateur de
conditionner l’introduction de certaines demandes en divorce par citation
signifiée par exploit d’huissier de justice, dont il est axiomatiquement – et
empiriquement – reconnu qu’il présente une sécurité juridique plus grande
que la requête notifiée par les soins du greffe.
Si le débat ici esquissé est, nous en convenons, essentiellement théorique au regard de la sanction pesant sur le choix erroné d’un acte introductif d’instance (i.e. la nullité, qui, étant dite « à grief » pourra être « couverte », soit si le défendeur comparaît à l’audience d’introduction, prêt à
présenter ces moyens de défense (article 867 du Code judiciaire), soit si elle
n’est pas soulevée in limine litis (article 864, alinéa 1er, du Code judiciaire)),
il n’en demeure pas moins que le pas de l’introduction de toute demande en
divorce par requête au motif qu’elle serait accompagnée d’une demande de
mesure provisoire, aussi futile soit elle, ne peut, sauf à ébranler l’architecture des modes introductifs des demandes en divorce – ébranlement qui n’a
été ni voulu, ni même évoqué par le législateur –, être de la sorte franchi.
En synthèse donc, le mode d’introduction de la demande en divorce,
qui doit nécessairement primer, conditionnera celui des demandes de
mesures provisoires (qui en sont en quelque sorte l’accessoire) introduites
par même acte.
Les mesures qui seraient, quant à elles, postulées sur pied des articles 19,
alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, seront introduites soit en même temps et
par les biais de l’acte introductif d’instance lorsqu’elles sont mues ab initio,
soit, en cours de procédure, sur simple demande écrite au greffe (article 19,
alinéa 2, du Code judiciaire) ou par voies de conclusions (article 807 du
Code judiciaire) – ce qui est cependant moins efficace si le débat entourant
le prononcé ne nécessite a priori pas d’échange idoine de moyens par écrit.
En cette première hypothèse (demande de mesures provisoires accompagnant une demande en divorce), l’audience d’introduction aura utilement
lieu :
– lorsque la demande de mesures provisoires s’insère dans une citation : à
la première audience utile en suite de l’expiration du délai « d’attente »
de deux jours, soit par essence – pour les causes relevant de l’urgence
invoquée qui, étant traitées en référé, se voient appliquer le prescrit de
l’article 1035, alinéa 2, du Code judiciaire –, soit par le renvoi opéré par
l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 3 – pour les causes réputées urgentes et
instruites « comme en référé » – au même article 1035, alinéa 2, du Code
judiciaire ;
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 489
– lorsque la même demande s’insère dans une requête conjointe ou
contradictoire : « dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la requête
au greffe » (article 1253ter/4, § 2, alinéa 4, du Code judiciaire).
L’on notera enfin que, si les demandes de mesures provisoires sont
mues au bénéfice des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, il appartient au greffe de fixer l’audience au cours de laquelle elles seront traitées,
ledit greffe n’étant astreint pas aucun délai de fixation (et il n’est pas rare
qu’en pratique, surtout dans les arrondissements judiciaires connaissant, à
leur corps défendant, un arriéré judiciaire endémique, ce délai s’entende de
plusieurs semaines, voire plusieurs mois).
– Soit ces causes et demandes sont isolées et n’accompagnent pas une
demande en divorce (au motif qu’il y a pour l’heure lieu d’uniquement
régler les modalités d’une séparation (ancien article 223 du Code civil)
ou que les parties n’étaient pas unies par le mariage (i.e. les cohabitants
légaux, voire même des concubins dans l’hypothèse où la saisine du tribunal est justifiée par l’existence et le sort d’enfants mineurs communs).
En pareil cas et en l’état des textes, il convient à nouveau d’opérer
une distinction selon que les mesures postulées sont réputées urgentes ou
relèvent de l’urgence invoquée.
En effet, il nous paraît à nouveau hardi de considérer que « toutes les
demandes relatives aux mesures urgentes et provisoires pourront être introduites par requête » (68).
L’examen des textes concernés révèle ainsi que l’introduction de
mesures provisoires par requête contradictoire n’a été expressément prévue qu’au seul sein du second paragraphe de l’article 1253ter/4 du Code
judiciaire, soit pour les causes réputées urgentes, et non pour les causes où
l’urgence doit être explicitement invoquée par le demandeur, qui, elles, se
voient appliquer les règles du droit commun du référé, à savoir l’introduction par citation ou par requête conjointe (articles 700 et 706 jo. 1035 du
Code judiciaire).
Si la volonté du législateur avait à cet égard été autre – et peut-être
l’a-t-elle été (on en vient à nouveau à conjecturer en l’absence de précision
à cet égard) –, il lui appartenait alors de structurer différemment l’article
concerné, en prévoyant par exemple un troisième paragraphe qui, applicable aux deux types d’urgences, aurait permis, en toutes occurrences,
l’introduction par le biais des requêtes précitées.
Il n’en est rien, et, au reste, il existe une logique, au regard de sa souplesse, à ne réserver la requête contradictoire – en tant que mode simplifié
Ibid.
(68)
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
490
les mesures urgentes
et exceptionnel d’introduction de la demande – qu’aux seules causes et
demandes qui concernent l’immense majorité des couples et mésententes, et
devront nécessairement être traitées par le tribunal, et non à des demandes
de mesures moins habituelles et nécessitant donc une citation.
L’on renverra pour le surplus à ce que nous avons exposé précédemment s’agissant des délais de fixation de l’audience au cours de laquelle ces
demandes seront traitées.
25. S’agissant de la comparution des parties, les nouveaux textes sont
particulièrement clairs.
Sous réserve de circonstances exceptionnelles (l’on imagine sans peine
que tel sera le cas du conjoint hospitalisé ou physiquement incapable de se
déplacer à l’audience ou du conjoint retenu à l’étranger pour un séjour de
longue durée sans qu’une remise ne puisse, à raison de l’urgence à statuer,
être envisagée), appréciées par le juge et l’amenant à déroger à l’obligation
à cet égard (article 1253ter/2, alinéa 3, du Code judiciaire) (69), ou si les parties se sont complètement (i.e. sur toutes les demandes incluses dans l’acte
introductif) accordées par le biais d’un accord reçu par notaire, avocat ou
médiateur agréé – et sous la réserve de l’homologation de cet accord par
le tribunal (70) – (article 1253ter/2, alinéa 5, du Code judiciaire), pareille
comparution est désormais, et par l’effet d’un renvoi aux dispositions de
l’article 1253ter/4, § 2, 1) à 4°, du Code judiciaire, rendue obligatoire, à l’audience d’introduction, lorsque les mesures traitées par le tribunal ont trait :
– aux résidences séparées ;
– à l’autorité parentale ;
– à l’hébergement et au droit aux relations personnelles avec un enfant
mineur ;
– aux obligations alimentaires.
Plus encore, cette même comparution personnelle est étendue, s’agissant des questions afférentes aux enfants mineurs, à toutes les audiences
concernées, de celle d’introduction à celle de plaidoiries (article 1253ter/2,
alinéa 2, du Code judiciaire).
(69)
Sur les formes de l’éventuelle demande de dérogation, voy. J.‑P. Masson, « La loi
portant création du tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 187.
(70)
L’on imagine que la dérogation tracée en pareille hypothèse à l’obligation de comparution s’étiolerait si le tribunal devait se refuser à homologuer pareil accord, auquel cas, et
sans préjudice de la possibilité lui offerte d’ordonner (d’office ou à la demande du ministère
public), nonobstant l’existence d’un accord (article 1253ter/2, al. 5, du Code judiciaire), la
comparution personnelle des parties, il ne manquerait pas de remettre ou refixer la cause aux
fins de pareille comparution.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 491
De manière très originale, l’article 1253ter/2, alinéa 4, du Code judiciaire, commine cette obligation de différentes sanctions étant, sauf les circonstances qui seront appréciées par le tribunal :
– En cas d’absence du demandeur : soit la déchéance de celui-ci de sa
demande, soit le renvoi de la demande au rôle particulier, avec possibilité pour les parties de la faire revenir à l’audience, sur simple demande
et endéans un délai de quinze jours.
En tant qu’elle est une sanction « exorbitante en procédure civile » (71) et
où il apparaît peu constructif de débouter le demandeur d’une demande
s’insérant dans une cause essentielle à la résolution ou, à tout le moins,
l’aménagement de la situation de mésentente (l’on pensera notamment
à l’hébergement des enfants), il y a fort à parier – et l’on en forme le
vœu – que la première de ces sanctions demeurera, sauf abus procédural
de la partie concernée (sanctionné au demeurant – et à notre estime de
manière théorique – par l’article 780bis du Code judiciaire) peu commune en pratique.
– En cas d’absence du défendeur : soit le prononcé d’un jugement par
défaut à son encontre, soit la remise de l’affaire à un mois, accompagnée de l’envoi d’un pli judiciaire (ce qui est assez semblable au système
des articles 802 et suivants du Code judiciaire), avec la possibilité de
prononcé, à l’issue de cette audience de remise et d’absence persistante
du défendeur, d’un jugement réputé contradictoire (ce qui est cette fois
moins conforme aux articles 802 et suivants précités, et s’apparente à
une manière de vestige de l’ancien article 751 du Code judiciaire) (72).
26. La mise en état ne paraît pas non plus nécessiter de commentaires
particuliers, sinon sa soumission au droit commun de la procédure et l’ajout
à l’article 747, § 3, du Code judiciaire de la mention du « tribunal de la
famille dans le cadre d’une procédure urgente », avec pour conséquence que
cette juridiction se trouve, pour les causes et mesures urgentes ici évoquées,
désormais astreinte, à l’instar du juge des référés « classique » et des saisies,
au respect de délais de mise en état raccourcis à respectivement cinq jours
et huit jours s’agissant de recueillir les observations des parties relatives à
ladite mise en état et de prononcer l’ordonnance (de mise en état, et non sur
le « fond »…) y relative.
L’avenir dira si l’encombrement des juridictions permet, à l’instar du
référé de droit commun, de traiter les mesures concernées au bénéfice de
(71)
D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de
la jeunesse », op. cit., p. 187, no 74.
(72)
Voy. ibid.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
492
les mesures urgentes
délais raisonnables d’échange de conclusions et, surtout, de fixation d’une
audience de plaidoiries…
La seule particularité procédurale induite par la loi nouvelle en
la matière tient – et elle n’est en pratique pas tout à fait anodine – à la
possibilité de traitement commun des causes comportant à la fois des
causes et demandes relevant de l’urgence réputée, et d’autres demandes
(article 1253ter/4, § 2, al. 5).
Tel sera par exemple le cas de demandes de mesures urgentes relatives
à l’hébergement des enfants et à l’octroi d’une contribution alimentaire (qui
sont réputées urgentes), qui s’insèreraient dans le cadre d’une demande plus
globale en divorce, ou encore de la même configuration, accompagnée d’une
demande de liquidation-partage et d’une demande tendant à la gestion d’un
portefeuille commun de placements qui, par sa teneur (obligations et investissements de long terme), ne devrait pas être traitée en urgence.
En pareille hypothèse, l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 2 permet (sans
qu’il s’agisse d’une obligation) que toutes ces demandes soient traitées au
bénéfice de l’urgence et, supposément, selon des délais de mise en état et
fixation raccourcis.
L’intention est louable. Reste à nouveau à voir, « à l’usage », si les
magistrats ayant la charge d’une chambre du tribunal de la famille disposeront des ressources matérielles – singulièrement en temps d’audience
disponible – pour ce faire.
Plus généralement, l’on doute que toutes les demandes ainsi formées
soient propices à un traitement aussi rapide que celui de mise en référé,
en sorte qu’au-delà du manque de ressources auquel ils seront inévitablement confrontés, nombre de magistrats ne manqueront pas de délaisser une
application complète de cette disposition au bénéfice d’une disjonction du
traitement des demandes, celles urgentes l’étant en conséquence, les autres
faisant l’objet d’une mise en état dite de circuit « long », et un débat différé,
serein et sans doute plus approprié.
27. Outre les développements, quasiment « de droit commun » qui
précèdent, demeure l’examen d’un mécanisme singulier, celui de la saisine
permanente dont bénéficie explicitement le tribunal de la famille, conformément à l’article 1253ter/7 du Code judiciaire.
Ce dernier prescrit, en son premier paragraphe, alinéa 1er, que « par
dérogation aux dispositions de la troisième partie, titre III, les causes réputées urgentes restent inscrites au rôle du tribunal de la famille, même en cas
de décision en degré d’appel. En cas d’éléments nouveaux, la même cause
peut être ramenée devant le tribunal, dans un délai de quinze jours, par
conclusions ou par demande écrite, déposée ou adressée au greffe. Ces éléments nouveaux doivent être indiqués dans les conclusions ou la demande
écrite, à peine de nullité ».
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 493
Le tour n’est pas insolite, que connaissent d’autres procédures particulières (expertise, saisie immobilière, règlement collectif de dettes, etc.) ; il
n’en demeure pas moins source de difficultés pratiques, que nous examinerons ci-après.
28. À titre liminaire et si l’on ne reviendra pas ici sur les difficultés
générées par la compétence ratione tempore de l’ancien juge des référés du
divorce – dont les plaideurs peinaient à déterminer jusque quand et pour
quelles demandes encore pendantes il demeurait compétent à l’aune de la
circonstance que la décision emportant divorce était ou non coulée en force
de chose jugée –, nous relèverons que cette question doit, à notre estime,
être reliée à celle plus générale de la durée des mesures urgentes et provisoires désormais ordonnées.
Il apparaît en effet de la lecture de la disposition concernée que, sauf
celles expressément et/ou nécessairement limitées dans le temps (not. l’interdiction évoquée supra no 5, note no 11 ; voy. égal. ci-après), les mesures
restent valables jusqu’à l’apparition d’un « élément nouveau ».
Or, l’on soulignera d’emblée, et par exception à cette règle de principe,
qu’il existe des mesures qui, parce qu’elles sont provisoires (article 1253ter/5
du Code judiciaire), pourraient cesser avant même l’apparition d’un élément nouveau.
D’aucuns (73) considèrent ainsi que les mesures qui seraient prises sur
pied de l’article 223 du Code civil (dans le couple marié en mésentente (74),
par le tribunal de la famille sur pied des articles 1253ter/4 et suivants, c’està-dire au bénéfice de l’urgence) – l’on y ajoutera celles prises sur pied de
l’article 1280 du même Code – deviendraient caduques par le prononcé du
divorce « puisque les droits et devoirs des époux conjugaux qui en sont le
soutènement ont disparu, et celles qui sont relatives aux enfants communs
[perdureraient] conformément à l’article 302 du Code civil ».
Sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce critère très subtil de la perte
du statut matrimonial (et quoique ce dernier présente une utilité dans la
délimitation dans le temps du devoir de secours), ni d’ailleurs de s’aventurer, s’agissant à tout le moins de ces mesures provisoires, dans le débat
consistant à déterminer si l’intentement d’une action en divorce constitue
(73)
A.‑Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille »,
op. cit., loc. cit., pp. 102 et 103. Comp. J.‑L. Renchon, « Quelques problématiques des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., pp. 170‑171, no 12, qui considère à juste titre que la
plupart des mesures provisoires relatives à la gestion des biens communs ou indivis des époux
survivait au prononcé de leur divorce, dans le système de mise avant l’entrée en vigueur de
la loi ici examinée.
(74)
Sur la situation des cohabitants légaux, voy. le même A.‑Ch. Van Gysel, « Les
urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., pp. 102 et 103.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
494
les mesures urgentes
un élément nouveau (75) (infra, no 31), il y a simplement lieu de considérer
que, confronté à des mesures provisoires – et non revêtues de l’autorité
de la chose jugée – précédemment ordonnées, le juge du fond (i.e. celui du
divorce ou celui statuant sur la liquidation du régime matrimonial) dispose
de toute latitude pour substituer aux mesures provisoires précédemment
ordonnées des mesures, définitives cette fois, par essence revêtues de l’autorité de la chose jugée et valant jusqu’à apparition d’un élément nouveau, en
sorte que, sur son principe, nous ne pouvons que nous rallier à cette thèse.
Dans le même sens et par identité de motifs, il va de soi que les mesures
ordonnées, à raison de la « simple » urgence invoquée et, donc, de « simple »
référé, sans limitation dans le temps, pourront être énervées par le juge de
fond, pour autant toutefois que les parties en soumettent le fond au juge – à
défaut de quoi, et à l’instar de toute décision en référé, elles perdureront
elles aussi indéfiniment.
Par ailleurs, il existe des mesures qui sont, nécessairement ou le cas
échéant, limitées dans le temps et qui, elles aussi, pourraient disparaître par
survenance de leur terme initial.
En pareil cas et à la fin de la période de temps fixée, il y a, à notre
estime lieu de considérer qu’il s’agit là d’un élément nouveau au sens de
l’article 1253ter/7 du Code judiciaire, impliquant que le tribunal puisse à
nouveau statuer, en ordonnant la même mesure pour une nouvelle période
de temps ou, en cas d’élément extrinsèque nouveau, une autre mesure, elle
aussi limitée (ou non) dans le temps.
Pour toutes les autres occurrences (mesures au fond dans une cause
présumée urgente et mesures prises au bénéfice de l’urgence invoquée en
l’absence de demande au fond introduite), il y aura évidemment lieu de
recourir au critère de l’élément nouveau examiné ci-après (no 30).
29. L’examen de la mesure urgente et provisoire, ordonnée rebus
sic stantibus, pourra donc revenir devant le tribunal sans autre formalité
qu’une demande écrite ou des conclusions contenant, à peine de nullité (76),
(75)
Ibid., p. 102, no 30 ; Contra S. Degrave, « En route vers le tribunal de la famille… ? »,
Act. dr. fam.
(76)
Ainsi que le relève à juste titre Didier Pire, « il s’agit d’une nullité relative (art. 861
C. jud.) : la partie qui s’en prévaut devra donc démontrer qu’elle a subi un grief pour que la
nullité soit prononcée » (D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la
famille et de la jeunesse », op. cit., p. 190, no 90). Et l’on ne voit, pour ce qui nous concerne, pas
le grief qui pourrait à cet égard être invoqué, ce d’autant plus si, quoiqu’absent de la demande
de fixation mue sur ce fondement, la partie concernée explicite plus avant cet élément nouveau
dans ces premières conclusions. Il y a à parier qu’en présence d’une demande – ce sera plus
délicat pour des conclusions, sur lesquelles ils n’ont aucune emprise juridictionnelle – dénuée
de pareille explicitation et forts d’un rôle de plus en plus proactif en matière de fixation, les
greffes inviteront la partie – ou son conseil – inattentive à compléter sa demande.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
doctrine 495
l’énoncé du ou des élément(s) nouveau(x) le justifiant, et dans les quinze
jours de leur dépôt ou de leur envoi au greffe.
Qu’importe, au reste, qu’au bénéfice de l’appel interjeté par l’une ou
l’autre partie, la mesure provisoire visée ait ou non été réformée par la cour
d’appel, le texte de l’article 1253ter/7, § 1er, alinéa 1er, prévoyant que le tout
s’applique « même en cas de décision en degré d’appel » (77).
L’on s’interroge néanmoins sur le cas où une des parties entendrait
faire revenir la mesure ordonnée devant le tribunal lors même que l’instruction de l’appel formé contre la décision emportant pareille mesure serait
toujours pendante devant la cour d’appel.
Gageons qu’à défaut de pouvoir être résolue au bénéfice du régime de
la litispendance – qui ne s’applique qu’au même premier degré de juridiction
(article 29 du Code judiciaire) –, ni de l’effet dévolutif de l’appel qui trouve,
en la matière, une puissante dérogation textuelle en l’article 1253ter/7, du
Code judiciaire, cette difficulté verra les parties user de l’instance d’appel
ainsi engagée pour soumettre à la cour les éléments nouveaux concernés –
participant ainsi de la concentration nécessaire du litige – ou, à défaut de
cette saine initiative, le tribunal de la famille, supposément informé de cette
configuration procédurale par l’une des parties ou constatant le transfert
du dossier au greffe de la juridiction supérieure, surseoir à statuer dans
l’attente de la décision prononcée au bénéfice d’un tel appel.
30. Demeure par contre intacte la difficulté tenant à la définition des
« éléments nouveaux » visés à l’article 1253ter/7.
Le texte paraît clair, il ne l’est pas du tout, qui prévoit, en son § 1er,
alinéa 2, que :
« Par ‘éléments nouveaux’, il y a lieu d’entendre :
1° de manière générale, un élément inconnu lors de la première demande ;
2° en matière alimentaire, des circonstances nouvelles propres aux parties ou aux enfants et susceptibles de modifier sensiblement leur situation ;
3° en matière d’hébergement, de droits aux relations personnelles et
d’exercice de l’autorité parentale, des circonstances nouvelles qui sont susceptibles de modifier la situation des parties ou celle de l’enfant. Toutefois,
dans ce dernier cas, le tribunal ne pourra faire droit à cette nouvelle demande
que si l’intérêt de l’enfant le justifie ».
(77)
Sur les effets bénéfiques de cette mention, spécialement le maintien au rôle de la
cour d’appel et les délais de fixation correspondants, voy. D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013
portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., pp. 189‑190, no 88.
Voy. égal. K. Devolder, « Familie- en jeugdrechtbank », NjW, 2012, p. 753, no 27.
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014
496
les mesures urgentes
Au-delà de l’inutilité, déjà relevée par d’autres auteurs (78), de ces
distinctions au regard de la jurisprudence fermement établie en matière
d’élément nouveau, l’on peine, tout d’abord, à comprendre si les définitions tracées en matière alimentaire, d’une part, et d’hébergement, de droit
aux relations personnelles et d’exercice d’autorité parentale, d’autre part,
dérogent – au motif de l’adage lex specialis generalibus derogat – ou se juxtaposent à la définition générale du 1° précité, en sorte qu’en d’autres termes,
l’on ignore si peuvent être considérés comme des éléments nouveaux les
éléments inconnus au moment de la mesure précédemment ordonnée, les
éléments connus mais non soumis au juge ayant précédemment statué ou,
encore mais uniquement, les éléments ayant apparu en suite de la mesure
précédemment ordonnée (i.e. les « circonstances nouvelles »).
Pour ne donner que deux exemples pouvant poser problème – et
encore qu’ils pourraient faire l’objet d’une requête civile (79) – : quel sort et
incidences sur un pension alimentaire déjà ordonnée au bénéfice de l’urgence convient-il de réserver à la découverte postérieure à cette mesure initialement ordonnée, quoiqu’elles existaient antérieurement, de ressources
cachées dans le chef d’un des conjoints (ainsi, il s’agit bien, « de manière
générale », d’un « élément inconnu » (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 1°), mais
pas, en matière alimentaire et, donc, en l’occurrence, de « circonstances
nouvelles » (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 2°) ?
De même, le réexamen d’une mesure relative à l’hébergement des
enfants est-il permis au motif de la découverte d’une cohabitation avec un
tiers, qui existait entièrement, était inconnue et pose désormais problème ?
Il s’agit pareillement d’un « élément inconnu », entrevu de manière générale
(article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 1°), mais pas de « circonstances nouvelles » au
sens de la définition en matière d’hébergement (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 3°).
En conséquence et à l’aune de la jurisprudence classique et très « carrossable » en matière de révision (rétractation ou modification) des ordonnances de référé, il y a sans doute lieu, au-delà de toute définition de l’élément nouveau et à tout le moins en raison de l’ambiguïté de cette dernière
selon les espèces, de revenir au principe selon lequel le juge qui a prononcé
l’ordonnance querellée ou dont la modification est demandée « ne peut ni la
(78)
Not. D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille
et de la jeunesse », op. cit., p. 190, nos 91 à 93.
(79)
Liège, 8 décembre 1986, Pas., 1987, II, 45 : « Lorsqu’il est établi qu’un des époux,
dans le contexte des mesures provisoires relatives à une procédure de divorce, a retenu une
pièce décisive pour l’issue du procès, à propos de la nature et de la hauteur de ses revenus professionnels, l’autre époux peut, par la voie de la requête civile, demander à la cour d’appel la
rétractation de l’arrêt qui a statué sur le montant de la provision alimentaire et interjeter appel
incident pour obtenir une contribution alimentaire pour l’enfant dont il assume la garde ».
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rétracter, ni la modifier, à moins que les circonstances n’aient changé. Les
circonstances qui existaient déjà lors de la prononciation de l’ordonnance,
mais n’étaient pas connues du juge des référés, n’autorisent pas celui-ci à
rapporter ou à modifier son ordonnance » (80).
Cette position revêt sans doute un caractère rigoriste, mais elle
empêche, au-delà de ce que l’on puisse douter que des éléments aussi prégnants que l’existence d’une cohabitation avec un tiers soient totalement
ignorés, que l’on permette « au perdant de retrouver dans le passé des
éléments de preuve inconnus au moment du premier débat pour relancer
celui-ci sans limite » (81).
31. Par ailleurs, il nous paraît important de souligner qu’à notre
estime, à contre-courant d’autres auteurs (82), mais soutenus par d’autres (83),
l’introduction d’une demande en divorce pourrait constituer un « élément
nouveau » (84) impliquant que la mesure ordonnée précédemment puisse être
réexaminée et conséquemment modifiée par le tribunal statuant en référé et
sur pied des articles 1253ter/4, 5 et, ici, 7, du Code judiciaire, sans attendre
le prononcé du divorce et les éventuelles mesures de fond qu’il emporterait.
Ceci étant dit et de la circonstance que le juge du divorce pourra précisément faire retour sur et modifier les mesures provisoires qui auraient été
précédemment ordonnées, il nous semble peu opportun – tant pour le tribunal, qui verra son rôle s’encombrer, que pour les parties, qui supporteraient
les conséquences, notamment financières, de cette inflation procédurale –
que ledit tribunal statue au bénéfice du référé et ordonne conséquemment
de nouvelles mesures, qui pourraient tout aussi bien être adoptées par le
juge du fond statuant immédiatement après.
Il faut espérer que, sauf à faire preuve d’une volonté de chicane
induite par une demande en divorce qu’elles ne souhaitaient peut-être pas
(80)
P. Marchal, « Le référé », op. cit., p. 68, no 35, b), et les références citées aux notes
nos 7 et 8.
(81)
D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de
la jeunesse », op. cit., p. 190, no 92. Contra J.‑P. Masson, « La loi portant création du tribunal
de la famille et de la jeunesse », J.T., 2014, p. 190.
(82)
Voy. not. A.‑Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la
famille », op. cit., loc. cit., p. 109.
(83)
S. Degrave, « En route vers le tribunal de la famille… ? », Act. dr. fam., 2011, p. 50.
(84)
En effet, pareille demande ne constitue pas uniquement un simple « changement de
contexte procédural » (A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de
la famille », op. cit., loc. cit., p. 109, note no 65), mais un élément d’appréciation important
pour le magistrat chargé de déterminer les modalités d’hébergement d’un enfant ou le montant d’une pension alimentaire : nul ne pourra en effet nier que, de ce que la désunion entre les
conjoints est potentiellement temporaire ou nécessairement définitive, le magistrat n’aura pas
forcément – ce qui constitue une litote – la même vision des modalités pratiques des mesures
qu’il entend ordonner.
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les mesures urgentes
ou n’avaient pas encore envisagée, les parties pourront, en pareille occurrence, raisonnablement accepter que les mesures provisoires précédemment
ordonnées puissent perdurer quelques semaines de plus, jusqu’au prononcé
dudit divorce, et l’adaptation corrélative et éventuelle des mesures relatives
à leurs personnes, leurs biens et leurs enfants.
32. Enfin, nous ne manquerons pas de relever le vide législatif entourant la question de l’introduction, en cours de procédure et non par l’acte
introductif, d’une demande de mesure « provisoire », qu’elle soit urgente
ou dénuée d’urgence (mais tendant à aménager provisoirement la situation
des parties), soit que les parties ont oublié de la solliciter, soit qu’elles l’ont
volontairement réservée, soit encore que pareille demande ne se justifiait
pas par les circonstances de la cause au moment de l’introduction initiale.
Dès lors qu’aucune mesure n’avait à cet égard été ordonnée précédemment, les ressources de la saisine permanente formant l’article 1253ter/7
précité du Code judiciaire ne nous paraissent pas pouvoir être utilement
mobilisées en pareille occurrence, en sorte que le droit commun, tout à la
fois de la loi particulière et du Code judiciaire, doit à nouveau trouver à
s’appliquer.
Aussi, de deux choses l’une :
– soit la mesure est urgente au sens des articles 1253ter/4 et 5, du Code
judiciaire, auquel cas elle pourra faire l’objet soit d’un nouvel acte introductif sur pied de ces dispositions (supra, no 24) – sans doute sera-ce la
voie à privilégier, le cas échéant au bénéfice de la jonction des affaires
(celle déjà pendante et celle nouvellement et de la sorte introduite,
nécessairement nantie d’un nouveau numéro de rôle général), en vue de
l’obtention d’une décision rapide –, soit, conformément à l’article 807
du Code judiciaire, de conclusions contradictoirement prises, pour
autant, dans ce dernier cas, que la demande repose sur des faits compris
dans l’acte introductif d’instance initial (à défaut de quoi, un acte introductif en bonne et due forme devra être utilisé), pour ensuite et après
mise en état, être fixée sur pied de l’article 750 du Code judiciaire ;
– soit la mesure ne présente aucun caractère d’urgence, en sorte qu’elle
pourra utilement faire l’objet d’une demande fondée sur les articles 19,
alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, i.e. par simple demande adressée au
greffe (supra, no 22).
Dans le même sens et dès lors qu’il est désormais (85) possible de demander, ultérieurement à la condamnation de faire ou de ne pas faire princi-
(85)
Voy. à cet égard Liège, 23 décembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 651, prononcée avant
l’arrêt cité ci-après à la note no 86.
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pale dont elle est l’accessoire, la confirmation d’une mesure précédemment
ordonnée mais assortie cette fois d’une astreinte (86), il ne paraît pas inconcevable, hors l’introduction d’un nouvel introductif d’instance, de former
pareille demande d’astreinte, qui au bénéfice de l’article 1253ter/7 du Code
judiciaire, si l’astreinte est justifiée par un élément nouveau – à cet égard,
il nous paraît que l’inertie de la partie précédemment condamnée (p. ex.
à produire des documents) constitue un élément étant par essence apparu
postérieurement à la mesure précédemment prononcée –, qui, à défaut, par
le biais de conclusions contradictoirement prises, mise en état et demande
de fixation fondée sur l’article 750 du Code judiciaire.
(86)
C.J. Benelux, 17 décembre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 834, et les remarquables commentaires de J. van Compernolle, « L’astreinte », Tiré à part du Rép. not., Bruxelles, Larcier,
2009, pp. 34‑35, no 13.
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