les enfants adultérins dans les procédures de divorce
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les enfants adultérins dans les procédures de divorce
Veronika Nagy EHESS Shadyc (UMR 8562) & Université de Lille 3 GRACC (EA 3589) <[email protected]> Les enfants adultérins dans les procédures de divorce Asymétrie des sexes, présomption de paternité et vérité biologique C omparé aux systèmes de filiation unilinéaires existant dans d’autres sociétés, notre système occidental de filiation cognatique, qui rattache de façon indifférenciée chaque enfant au groupe agnatique de son père et au groupe utérin de sa mère, pourrait à première vue apparaître comme étant celui qui se trouve au plus près de la réalité biologique de l’engendrement. En effet, puisque la fabrication d’un petit d’homme nécessite un père et une mère biologiques, et que nous donnons par ailleurs un père et une mère juridiques à chaque individu, on serait tenté de considérer qu’il y a une correspondance, voire une superposition, entre notre conception scientifique de l’engendrement et notre conception sociale de la filiation. Dans cette perspective, la législation relative à la procréation médicalement assistée, qui a pu être qualifiée de « crime par- 112 fait » par un auteur, tant le montage juridique dont elle fait l’objet tend à faire croire à l’existence d’un rapport sexuel fécond entre les parents (Iacub 2002, p. 147‑161), pourrait apparaître non pas comme un exemple – il en existe bien d’autres – de la possible disjonction entre la qualité de géniteur et le statut de parent, mais comme la manifestation de la volonté de prendre toujours comme modèle de référence les règles physiologiques de l’engendrement pour organiser la filiation, qui même lorsqu’elle se donne pour objet d’imiter la nature demeure, et cela les anthropologues l’ont suffisamment démontré, une donnée éminemment sociale (Héritier-Augé 1985, p. 9). Dès lors, on pourrait également penser que la possibilité, désormais offerte par les examens comparés des sangs et les tests ADN, d’en infirmer ou d’en confirmer l’assise biologique, serait de nature à renforcer le lien de paternité qui, comme le rappelle le vieil adage romain (« Mater certissima, pater semper incertus »), a en raison de l’asymétrie des corps masculins et féminins face à l’engendrement toujours eu jusqu’à présent un caractère incertain. Or, on constate que si, en effet, les géniteurs peuvent, dans des conditions strictement définies par la loi, devenir « certains », il ne va pas pour autant de soi que la paternité sociale possède quant à elle une assise plus solide. Cela paraît même être le contraire : jamais on n’a autant interrogé le lien de paternité que depuis qu’il est possible d’en vérifier l’ancrage biologique, et ce au point que les épidémiologistes mêmes tentent de mesurer l’importance et les conséquences de la non-paternité biologique des hommes croyant élever leur enfant de chair (Le Roux & al. 1993, Bellis & al. 2005). De plus, en Veronika Nagy parallèle à l’attention croissante portée aux liens de sang, dimension qui au demeurant n’a jamais été ignorée par nos sociétés occidentales mais qui semble être devenue un critère central en matière de filiation (Barry 2008, pp. 627-632), on constate la force de liens verticaux ayant une origine élective et se déployant hors de toute consanguinité, tels que ceux existant entre enfant et beau-parent (Cadolle 2000), qui peuvent conduire dans la pratique à l’instauration d’interdits d’inceste inédits entre quasi-frères et quasi-sœurs (Fine 1998, p. 27). Mais surtout, l’asymétrie entre la manière de créer une filiation maternelle et une filiation paternelle en droit français n’a pas été balayée par les progrès de la génétique : pour une femme, un acte de naissance portant mention de son identité vaut reconnaissance de l’enfant (art. 311-125 du CC) et il faut de sa part un acte volontaire pour s’en défaire dans le cadre d’un accouchement sous X (art. 57 du CC et art. L222-6 du CASF), tandis que pour un homme, la reconnaissance est un acte volontaire (art. 62 et 316 du CC) dont la validité n’est soumise au moment où il est accompli à aucune condition de vérité biologique. C’est cette tension entre sang et volonté comme fondements légitimes de la filiation que nous nous proposons ici d’éclairer à travers quelques éléments1 relatifs aux enfants adultérins tel qu’ils apparaissent dans les argumentaires de parties engagées dans une procédure de divorce pour faute, tirés d’une enquête de sociologie judiciaire consacrée au grief d’adultère et menée en 2000-2001 à partir de l’analyse qualitative de vingt-six dossiers d’avocats (Nagy 2003). L’objet en effet semble particulièrement intéressant pour explorer le problème qui nous occupe. Ainsi, les enfants adultérins sont précisément ceux qui n’ont pas les parents qu’ils auraient « dû » avoir en temps normal – si le mariage n’est plus l’horizon indépassable de la filiation (Roussel 1989, Théry 1996), on peut tout de même raisonnablement supposer que la vocation d’un couple conjugal reste d’avoir des enfants ensemble plutôt que séparément avec un tiers – et créent en cela un désordre dans le Les enfants adultérins dans les procédures de divorce domaine de la filiation permettant de saisir ce qu’aurait été un « bon ordre », et cela dans un contexte où l’égalité des filiations légitime et adultérine n’a été véritablement atteinte que récemment (loi du 3 décembre 2001). De surcroît, les enfants adultérins ont longtemps été un des lieux de rencontre privilégiés entre asymétrie des sexes et filiation, en ce sens que l’adultère féminin, qui fut jusqu’au troisième quart du vingtième siècle (loi du 11 juillet 1975) bien plus sévèrement condamné par le droit que l’adultère masculin, l’a toujours principalement été au nom du risque d’introduction d’un enfant étranger dans la famille légitime. Enfin, concernant la nature même du matériau, nous voudrions rappeler que la situation d’action judiciaire est éminemment riche en enseignements pour le chercheur, dans la mesure où les arguments échangés face à la justice, s’ils ne nous apprennent rien sur la véracité des faits, permettent de prendre la mesure du sens du juste et de l’injuste dont sont imprégnées les parties. Ce que prouve l’existence d’un enfant adultérin n Dans une procédure de divorce pour faute, les griefs invoqués à l’appui d’une demande peuvent être prouvés par tous moyens (art. 259 du CC), la charge de la preuve incombant comme en droit commun à celui qui allègue un fait à l’appui d’une prétention. Aussi trouve-t-on dans nos dossiers, pour étayer les accusations d’adultère, toutes sortes d’éléments dont on a pu rendre compte en détail ailleurs (Nagy 2005). La volonté des pères Dans les deux affaires à notre disposition où il existe un enfant adultérin issu du mari, le lien à celui-là semble perçu comme une excellente façon de rapporter la preuve de l’adultère. Ainsi, dans ces cas, non seulement les épouses ne versent concernant les torts quasiment aucune autre pièce au dossier que celles relatives à la pater- nité du mari vis-à-vis de l’enfant d’une autre femme, mais en plus, les maris de leur côté ne contestent dans ces conditions pas un instant la réalité de l’adultère, ce qui suggère que tous estiment que le grief est de cette façon incontestablement établi. Spontanément, on penserait que la force de la preuve par l’enfant adultérin réside dans le fait que, celui-ci étant nécessairement le fruit d’une union charnelle avec un tiers, la relation sexuelle extraconjugale, et donc l’adultère, sont prouvés de façon absolument certaine. Pourtant, le raisonnement n’est peutêtre pas si simple. À cet égard, on lira un extrait d’une requête en divorce pour faute déposée par une épouse : « Monsieur Chavaneau, alors même que sa maîtresse était enceinte de son fait, a reconnu l’enfant dont elle était enceinte. Ce fait est établi par les reconnaissances anticipées formulées auprès des services de l’état-civil de la mairie de Paris 12e »2. On note que le passage se fonde sur un enchaînement logique entre une grossesse imputée au mari, la reconnaissance anticipée et enfin la preuve de cette reconnaissance, chaque élément étant censé prouver le précédent. Cependant, si la reconnaissance anticipée est bien la preuve du fait que le mari a reconnu l’enfant, le fait que le mari a reconnu cet enfant ne démontre en rien que la maîtresse était enceinte « de son fait » : une reconnaissance de paternité ne manifeste ni le lien biologique, ni même la croyance en ce lien, les déclarations sciemment « mensongères » étant bien tolérées en France et dans les pays de droit romain, où elle semblent être considérées comme une forme d’adoption révocable (Frank 1999, p. 38) et ne constituent pas en soi un faux punissable (Cass. crim, 8 mars 1988)3. En d’autres termes, le mari pourrait tout à fait avoir reconnu cet enfant tout en sachant ne pas en être le géniteur et a fortiori, même s’il n’y a jamais eu aucune relation sexuelle entre lui et la mère : la reconnaissance de paternité ne prouve stricto sensu rien d’autre que la volonté d’établir un lien de filiation avec un enfant issu d’une femme qui n’est pas l’épouse. Or, si tous – juge y compris – s’accordent sur le fait qu’une reconnaissance par le mari d’un enfant dont la 113 mère n’est pas l’épouse est suffisante pour prouver l’adultère, alors que cette même reconnaissance n’apporte pas, à bien y regarder, la preuve de relations sexuelles extraconjugales, c’est sans doute que la volonté de devenir le père juridique de l’enfant d’une tierce femme constitue ici, en soi, l’adultère. Dès lors, on comprend pourquoi une épouse, dans sa requête en divorce pour faute, souligne le fait que le mari verse une pension alimentaire à l’enfant qu’il a reconnu : si au regard de la relation sexuelle extraconjugale, le versement d’une pension n’apporte rien, elle démontre en revanche que le mari assume la charge de l’enfant, et prolonge ainsi l’aspect volontaire de sa paternité. Par ailleurs, si de la part des maris, une défense fondée sur l’absence de relations sexuelles avec la mère de l’enfant naturel et l’explication de la reconnaissance par des motifs tels que l’amitié ou la dette morale ne seraient pas plus fantaisiste que certaines argumentations4, ceux-ci ne s’en donnent sans doute pas la peine car cela n’allègerait assurément pas leurs torts. En effet, dans ces affaires, ce sont moins les relations sexuelles avec la maîtresse que le choix de devenir le père d’un enfant issu d’une femme autre que l’épouse qui représente la faute, ce qui suggère l’existence d’une sorte de devoir de fidélité parentale. La sexualité des mères En l’absence de cas, dans notre corpus, où l’adultère de l’épouse est prouvé par l’existence d’un enfant adultérin, il nous est seulement possible de mener une étude théorique sur l’enfant adultérin de l’épouse comme mode de preuve de l’adultère. En temps normal, une femme mariée ne peut avoir d’enfant adultérin du point de vue du droit de la filiation, dans la mesure où les enfants dont elle accouche deviennent automatiquement, par le jeu de la présomption de paternité légitime, les enfants du mari (art 312 du CC). Ce principe, connu depuis l’antiquité romaine comme la règle du « pater is est quem nuptiæ demonstrant », laquelle a d’abord servi à souligner que seul est au sens strict « père » celui qui est marié, a été à par- tir du XIIème siècle continuellement renforcé (Lefebvre-Teillard 1996, p. 265) pour devenir progressivement une présomption quasi irréfragable. Notamment, sous l’empire du Code napoléonien, sa force interdit l’établissement d’une filiation adultérine : la reconnaissance par un homme de l’enfant né de l’épouse d’un autre constitue une preuve de culpabilité d’adultère mais non de paternité, tandis que le mari ne peut intenter d’action en désaveu de paternité pour cause d’adultère (Mulliez 1989). Cependant, en France comme dans la plupart des autres pays européens, les actions en contestation de paternité légitime ont été au élargies au cours du XXème siècle (Frank 1999, p. 32-33). Ainsi aujourd’hui, la filiation d’un enfant adultérin par l’épouse peut en droit français avoir deux origines. Dans le premier cas, l’enfant est dès sa naissance l’enfant naturel de l’épouse, soit parce qu’il a été conçu alors que les époux étaient séparés de droit (art. 313 du CC), soit parce qu’il a été conçu alors que les époux étaient séparés de fait, qu’il a été déclaré à l’état-civil sous le nom de jeune fille de la mère et qu’il n’a de possession d’état qu’à l’égard de sa mère (art. 314 du CC), la présomption de paternité étant écartée dans ces circonstances. Dans le second cas, l’enfant a tout d’abord été l’enfant légitime du mari, a cessé de l’être suite à une action en contestation de paternité5 dans le cadre de laquelle doit être rapportée « la preuve que le mari (…) n’est pas le père » (art. 332 du CC), « père » étant ici entendu au sens de géniteur puisque les preuves habituellement admises (stérilité, éloignement pendant la période de conception ou expertise biologique) concernent toutes la non-paternité biologique. Autrement dit, la reconnaissance de l’enfant adultérin de l’épouse par un tiers, qui suppose qu’il n’y ait pas de lien de filiation à l’égard du mari, nécessite qu’il y ait une forte vraisemblance, voire une certitude de la non-paternité biologique du mari. Toutefois, la preuve de l’adultère de l’épouse par l’enfant ne nécessite pas l’existence juridique d’un enfant adultérin de l’épouse : un rapprochement entre des pièces de laboratoire 114 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant » d’analyses biologiques attestant de la stérilité du mari et une lettre de la Caisse d’allocations familiales faisant mention de la maternité en cours de la femme ont permis à un Tribunal de considérer que la réalité de l’adultère était établie (TGI Châlons-sur-Marne, 20 sept. 1978). Dans un tel cas, on peut supposer que le mari aura intenté à la naissance une action en contestation de paternité. Cependant, rien ne l’y oblige, et si la mère ne conteste pas non plus la paternité du mari, la preuve de l’adultère aura été rapportée relativement à un enfant légitime du mariage. Dans cette perspective, on notera que si un mari, le délai de l’action en contestation dépassé6, fournit pour prouver l’adultère de son épouse la preuve de sa non-paternité biologique par des moyens similaires à ceux généralement admis pour l’action en contestation, l’adultère de l’épouse pourra être estimé démontré, alors même que l’enfant est juridiquement celui des deux époux. Or, si on compare ces éléments à ceux relatifs à l’enfant adultérin du mari, on ne manquera pas de relever la différence fondamentale qui sépare les deux situations. En effet, si l’adultère du mari prend la forme d’une paternité juridique envers un enfant qui n’a aucun lien avec l’épouse, et cela sans aucune nécessité de paternité biologique, l’adultère de l’épouse ne correspond pas uniquement, quant à lui, au fait de devenir la mère juridique d’un enfant qui n’a aucun lien avec le mari : pour que l’on considère qu’il y ait adultère, la non-paternité juridique du mari n’est pas nécessaire, tandis que la très forte vraisemblance, si ce n’est la certitude de sa non-paternité biologique sont exigées. En d’autres termes, l’enfant adultérin d’un mari peut n’être que le fruit de sa volonté, alors même que l’enfant adultérin de l’épouse renvoie à l’existence d’une relation sexuelle féconde avec un tiers. À cet égard, on pourrait objecter que si l’épouse, ayant eu recours à une mère porteuse enceinte de son propre amant, faisait passer cet enfant pour le sien, alors le mari pourrait rapporter la preuve de l’adultère de l’épouse en établissant sa non-paternité biologi- Veronika Nagy que vis-à-vis de cet enfant : la relation sexuelle extraconjugale de l’épouse ne serait pas nécessaire pour qu’il y ait adultère. Mais la maternité de substitution est interdite par la loi (art. 16-7 du CC), ce qui rend l’hypothèse impossible. À l’inverse, si une preuve de la paternité biologique était exigée lors de la reconnaissance d’un enfant par un homme, la différence disparaîtrait, mais dans l’autre sens, avec pour les deux époux la condition de relations sexuelles avec un tiers pour que puisse exister un enfant adultérin. Autrement dit, si l’asymétrie en matière d’enfants adultérins rappelle irrésistiblement l’asymétrie naturelle des sexes face à la procréation, il ne faut pas s’y tromper : organisée et soutenue par le droit, celle-ci cesse d’être une simple donnée physiologique. Enfin, on ne manquera pas de relever que l’enfant adultérin permet toujours d’établir l’adultère, qui apparaît ici comme le fait de devenir le père ou la mère d’un enfant dont le conjoint n’est pas le parent. Par ailleurs, la forme qu’il prend semble donner à voir l’existence d’une règle de fidélité Les enfants adultérins dans les procédures de divorce adossée à la présomption de paternité légitime, entendue pour l’épouse comme le fait de mettre au monde des enfants du mari, et exclusivement ceux du mari, et pour le mari comme le fait d’accueillir les enfants de son épouse comme les siens, et exclusivement ceux de son épouse. Ce que transgresse l’existence d’un enfant adultérin n Les enfants adultérins ne sont pas dans notre corpus uniquement mentionnés pour rapporter la réalité de l’adultère, loin s’en faut : ils apparaissent également dans les affaires où ils sont une référence centrale dans les champ des griefs, c’est-à-dire les débats sur les comportements fautifs des conjoints. En effet, la seule preuve de l’existence d’un adultère ne suffit pas à établir la faute cause de divorce, laquelle est constituée si les faits invoqués remplissent une double condition : d’une part, représenter une violation grave ou renouvelée des devoirs du mariage (l’obligation de fidélité pour l’adultère, qui de ce point de vue ne pose pas question) et d’autre part, rendre intolérable le maintien de la vie commune (art. 242 du CC)7, sachant que les juges apprécient au cas par cas la gravité des éléments qui leur sont soumis et les examinent à la lumière de chaque interrelation conjugale. Les enfants dont accouche l’épouse doivent pouvoir être acceptés par le mari En matière de degré de gravité de la faute d’adultère, on sait qu’à l’échelle longue de l’histoire occidentale, l’adultère des épouses a toujours été en droit laïc8 bien plus sévèrement réprimé que celui des maris, la majorité des criminalistes invoquant pour justifier l’inégalité de traitement non pas une violation en soi plus grave du devoir de fidélité, mais des conséquences plus néfastes dans ses effets en raison du risque d’introduction d’un enfant étranger au sein de la famille (Beauthier 1990, p. 205), entraînant vol des titres 115 et des biens par l’usurpateur (Beauthier 1990, p. 31) et préjudice pour les véritables héritiers (Carbasse 2000, p. 312). L’idée est donc celle, pour l’enfant issu de l’adultère féminin, d’un coucou profitant indûment de ce qui ne devrait pas lui revenir : « par le mot de cocu, porté par les oyseaux d’avril, qui sont ainsi appelez pour aller pondre au nid des austres, les hommes s’appellent cocus par antinomie quand les autres viennent pondre dans leur nid, qui est le cas de leurs femmes, qui est autant à dire leur jeter leur semence et leur faire des enfans » (Brantôme, cité par Flandrin 1981, p. 122). L’un de nos dossiers, où l’épouse enceinte au moment de la procédure est dépeinte par la partie adverse comme ayant été adultère pendant la période de conception de l’enfant, permet justement d’examiner ce qu’est devenu l’argument classique de la plus lourde condamnation de l’adultère féminin. Dans cette affaire, le mari dépose une requête aux fins d’examen comparé des sangs en vue d’engager une action en désaveu de paternité légitime9 peu après avoir découvert l’infidélité de sa femme : « Monsieur Raux a découvert que son épouse a entretenu des relations sexuelles extraconjugales pendant la période légale de conception. (…) Compte tenu de ces faits, Monsieur Raux demande dans l’intérêt de l’enfant à naître l’autorisation de faire procéder à un examen comparé des sangs dès la naissance de l’enfant ». On le voit, c’est l’intérêt de l’enfant qui est mis en avant, ce qui au regard de la force de ce principe dans notre droit (Théry 1996) n’est guère étonnant. Toutefois, on observera que l’intérêt de l’enfant n’est pas nécessairement de perdre sa filiation légitime : avoir un père juridique, même un père qui n’est pas le géniteur, est sans doute mieux que de ne pas en avoir du tout – par exemple au regard de l’obligation d’entretien qui pèse sur un parent – ce qui est tout de même l’objet de cette action judiciaire. Mais alors pourquoi le mari, qui a désiré l’enfant et qui s’il n’avait pas appris l’adultère de son épouse l’aurait accueilli comme le sien, décide-til de remettre en cause sa paternité ? La réponse est d’autant plus difficile à donner qu’elle paraît aller de soi : parce qu’il pense ne pas en être le père biologique. Pourtant, refuser de devenir père juridique à cause de l’absence de lien biologique n’est pas une évidence du côté des hommes pour lesquels, comme nous l’avons déjà mentionné, la disjonction entre statut de père et qualité de géniteur n’est pas nécessairement problématique, notamment dans le cas d’une fausse reconnaissance en paternité. Cependant, il apparaît qu’à travers le lien de sang, c’est l’inscription généalogique qui est remise en cause : « l’enfant (…) ne pourra porter le nom patronymique de Monsieur Raux qui n’est pas son père et à la famille duquel il ou elle ne peut appartenir ». Il ne s’agit donc pas uniquement de rétablir la vérité biologique – si elle seule importait, pourquoi ne pas malgré tout garder un lien avec cet enfant désiré ? – mais bien d’interdire l’entrée d’un intrus dans la famille. Ce n’est pas seulement le lien entre l’enfant et le mari qui doit être rompu, c’est de toute la parenté du mari dont l’enfant doit être exclu : il ne doit pas avoir de lien avec ses père et mère, ses frères et sœurs, ses cousins, etc. Autrement dit, le lien entre l’enfant et le mari est transcendé, et c’est la place de l’enfant comme maillon d’un système généalogique qui est remise en cause. En témoigne la résurgence, sous la plume de la mère du mari, de la peur du coucou, cet étranger monstrueux qui se glisse dans la famille : « Je tiens à préciser que Magali m’a toujours affirmé qu’elle vivait extrêmement mal sa grossesse. Elle avait coutume de dire qu’elle se sentait habitée par un alien. Je comprends mieux désormais pourquoi ». On le voit, une affirmation somme toute banale – d’après les spécialistes de la grossesse, la majorité des femmes enceintes se trouvent confrontées au « fantasme du monstre » (Cohen-Solal et Frydman 2003) – est réinterprétée comme la manifestation du désordre créé dans la filiation au sein même du ventre de la mère, comme si le sperme d’un amant ne pouvait que conduire à la conception d’un être inhumain. Par ailleurs, on constate également dans cette affaire que dans les documents relatifs à la procédure de divorce, le fait que l’enfant porté par l’épouse est 116 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant » peut-être adultérin est fortement mis en valeur. Ainsi, la requête en divorce pour faute du mari stipule : « Son épouse avait de multiples partenaires avec lesquels elle entretenait des relations notamment pendant la période légale de conception » (souligné dans l’original). Le fait que cet élément soit mis en exergue, alors même que du point de vue de la violation du devoir de fidélité sexuelle la nature féconde ou non des rapports extraconjugaux n’a théoriquement pas de pertinence (l’infidélité sexuelle existe indépendamment de ses fruits), montre à quel point est jugé comme fautif du point de vue des relations entre les conjoints le fait, pour une épouse, de ne pas se comporter de façon à ce que la paternité biologique du mari soit vraisemblable. Or, si au regard de la présomption de paternité légitime, on définit le mariage non plus seulement « comme l’union qui attribue de plein droit à l’homme les enfants de la femme » mais aussi « comme la volonté exprimée par l’homme d’accepter d’avance pour siens tous les enfants que la femme mettra au monde » (Carbonnier 1993, p. 407), on peut supposer qu’on peut y ajouter une troisième dimension, la promesse exprimée par une femme de rendre acceptable par son mari tous les enfants qu’elle mettra au monde10. Dans ce contexte, on comprend mieux ce qui se joue autour de l’enfant adultérin de l’épouse : plus qu’un enfant dont le mari n’est pas le géniteur, il est un enfant que le mari ne peut accepter comme le sien parce qu’il n’y a ni vraisemblance de sa paternité biologique, ni consentement à la disjonction entre paternité biologique et paternité juridique. La femme qui accouche des enfants juridiques du mari est l’épouse Dans les deux dossiers déjà cités où les maris ont reconnu l’enfant de leur maîtresse, l’accent est mis, lorsqu’il s’agit d’affermir la gravité de l’adultère de l’époux, sur l’aspect volontaire de cette paternité, la relation extraconjugale elle-même s’effaçant derrière le choix de « faire » famille avec une autre femme : « Celui-ci a non seulement entamé une relation adultérine avec Veronika Nagy Mademoiselle T., mais les conditions entourant cette relation ne sont pas celles que l’on pouvait attendre d’un homme marié, père de quatre enfants. En effet, Monsieur Chavaneau a reconnu l’enfant [de Mademoiselle T.] préalablement à sa naissance » (assignation en divorce). Dans le dossier Dugas, il n’est nulle part fait mention d’adultère en soi, ce grief se fondant entièrement dans le fait d’avoir reconnu et assumé un enfant adultérin : « Madame Dugas a appris en août 1998 que son époux avait eu un enfant d’une de ses relations adultérines. (…) Jonathan est né le 14 mai 1995 à Paris 14e ; il a été reconnu le 21 juin 1996 et reçoit une pension alimentaire de 11000 francs de son père » (requête en divorce). Ni le fait d’entretenir des relations adultères, ni même le fait d’avoir conçu un enfant ne semblent constituer le cœur de la faute : bien plus grave est en effet le fait d’avoir reconnu l’enfant, au point que l’on peut avoir l’impression à la lecture de ce dossier que si l’enfant n’avait pas été reconnu, le tort causé aurait été moindre. Cette reconnaissance est présentée comme un choix actif, fruit de la volonté de construire une autre famille : « C’est-à-dire qu’il a montré par cet acte qu’il entendait vivre au sein d’un foyer illégitime, sans pour autant remettre en cause sa vraie famille ! » (Chavaneau, assignation en divorce). Ainsi, à travers les dichotomies vraie/fausse et légitime/ illégitime, l’ancienne hiérarchie des filiations est ici réactivée : la famille issue du mariage est présentée comme nécessairement supérieure à la famille adultérine, ce principe faisant de l’attitude du mari qui a reconnu des enfants hors du mariage une faute particulièrement grave. Ce type d’argumentation est prolongé par une systématique mise en parallèle des deux ensembles familiaux, l’entité adultérine étant toujours exclusivement appréhendée au regard de la famille issue du mariage. Notamment, les conditions de la conception de l’enfant adultérin sont uniquement éclairées par le contexte conjugal, comme si celui-ci était le seul à pouvoir lui donner un sens et que l’existence de cet enfant ne pouvait se comprendre en dehors d’un sys- Les enfants adultérins dans les procédures de divorce tème où l’on oppose famille légitime et famille illégitime. De cette façon, dans le dossier Dugas, c’est par la simultanéité de la reconnaissance de l’enfant adultérin et de la mise au monde d’un des enfants du mariage que se fait le parallèle : « Jonathan été reconnu alors que Madame Dugas devait accoucher de Cédric quelques jours plus tard » (requête en divorce). Un savant calcul de la date de la conception de l’enfant adultérin permet même de mettre en balance le moment de la conception de l’enfant adultérin avec l’âge qu’avaient alors les enfants issus du mariage : « Cet enfant adultérin a été conçu alors que les jumeaux du couple avaient 6 mois » (Dugas, requête en divorce). Dans le dossier Chavaneau, c’est par la quantité des grossesses de l’épouse que se fait la comparaison : « Monsieur Chavaneau désirait une famille nombreuse, et madame Chavaneau a mis au monde quatre enfants, dont deux jumeaux, et cela dans des conditions difficiles. Elle a subi 3 grossesses extra-utérines, 9 fécondations in vitro, 2 fausses couches et 3 césariennes » (assignation en divorce). La mise en avant des efforts de l’épouse pour être une bonne génitrice – car insister sur le nombre des grossesses et des tentatives d’engendrement ne paraît pas renvoyer à autre chose – suggère que c’est sur ce terrain-là que se situe la faute, épouse et maîtresse étant mises en concurrence en tant que mères biologiques d’un enfant qui aura pour père juridique le mari. La règle transgressée serait donc la suivante : seule l’épouse doit pouvoir engendrer les enfants juridiques du mari. On retrouve donc, ici encore, la marque de la présomption de paternité légitime, mais sous un angle différent. En effet, si elle exige des épouses qu’elles se comportent de façon à ce que leurs maris puissent accepter les enfants dont elles accouchent, elle commande également aux maris de ne pas accueillir d’autres enfants que ceux issus de leur conjointe légitime. Pour mieux le comprendre, inversons la formule : « les enfants dont accouche l’épouse sont ceux du mari » peut, si cherche non plus à s’intéresser à la filiation des enfants mais au statut de l’épouse, aisément devenir « la femme qui accouche des enfants qui sont ceux du mari est l’épouse ». En d’autres termes, reconnaître les enfants de la maîtresse, c’est quasiment l’épouser sur le plan symbolique, puisque c’est faire d’elle la mère officielle des enfants du mari, rôle qui devrait revenir à l’épouse. En ce sens, encore une fois, peu importe si l’enfant reconnu est vraiment l’enfant biologique du mari : c’est l’établissement de la filiation qui importe. Conclusion n Si on fait à présent la somme des enseignements que l’on peut tirer de cet examen de la référence aux enfants adultérins dans les procédures de divorce pour faute, le constat est double : d’un côté, il apparaît que, indépendamment du fait qu’il s’agisse de démontrer la réalité de l’adultère ou son caractère de gravité, la faute prend toujours une forme différente selon le sexe de l’époux dont il est question ; d’un autre côté, il semblerait que cette asymétrie ne puisse se comprendre en dehors de son inscription dans le principe de la présomption de paternité légitime. Ainsi, l’examen de l’enfant adultérin en tant que mode de preuve de l’adultère donne à voir le fait qu’un enfant adultérin du mari et un enfant adultérin de l’épouse ne se « fabriquent » pas de la même manière, puisque dans le premier cas la volonté est suffisante et que dans le second cas il faut un rapport sexuel fécond. Cette configuration paraît renvoyer à la présomption de paternité légitime assortie d’une clause d’exclusivité, entendue pour l’épouse comme le fait de mettre au monde des enfants du mari, et exclusivement ceux du mari, et pour le mari comme le fait d’accueillir les enfants de son épouse comme les siens, et exclusivement ceux de son épouse. Lorsque ce principe n’est pas respecté, les conséquences de la transgression prennent dans les argumentaires relatifs à la gravité de l’adultère elles aussi des configuration en miroir : face à un adultère féminin, le mari entend défaire le lien juridique qui l’unit à l’enfant qui est envisagé comme un intrus à exclure de la famille ; quand l’adultère est masculin, le mari crée un 117 lien juridique avec l’enfant d’une autre femme, perçue par l’épouse comme une concurrente sur le terrain de l’engendrement et du statut de mère des enfants du mari. On note que dans les deux cas, c’est le mari qui agit, que ce soit pour créer de la filiation en-dehors du mariage ou au contraire défaire une filiation qui s’était établie au sein du mariage. Au regard de ces éléments, on peut faire remarquer que la tension entre sang et volonté comme fondements de la filiation est doublement traversée par la différence des sexes. En effet, d’une façon générale, les femmes sont plutôt du côté du lien de sang et les hommes du côté de la volonté. Cependant, si on compare la possibilité ou non de disjoindre la qualité de géniteur/génitrice et le statut de père/mère, la situation varie également selon le sexe : maternité et engendrement se confondent ici toujours, tandis que paternité juridique et biologique peuvent être disjointes. Il est même plus : le lien de filiation du père à l’enfant, légitime ou adultérin, s’établit sur un mode électif mais se rompt au moyen de la biologie. Pour autant, il ne faut pas y voir, nous semble-t-il, uniquement un effet des avancées scientifiques, car l’importance accordée à la paternité biologique n’est pas récente, et c’est d’ailleurs justement au nom de sa mise en péril que l’adultère des femmes a longtemps été sévèrement condamné11. Surtout, il convient de ne pas oublier que la non-paternité biologique d’un homme n’est pas en soi problématique : c’est lorsqu’elle n’est pas librement choisie qu’elle le devient, comme lorsqu’elle est imposée par l’épouse adultère, de la sorte que le consentement n’est finalement jamais absent de la problématique du lien de paternité. Dès lors, on est amené à se demander si la coexistence contemporaine de liens électifs révocables et de liens biologiques intangibles ne constitue pas simplement une nouvelle traduction des principes féminin de certitude de la maternité et masculin de l’incertitude de la paternité. À cela, on voudrait répondre que, dans le cadre du mariage au moins, c’est essentiellement le droit qui instaure une différence fondamentale entre les hommes et les femmes : la présomption de paternité fait des enfants de l’épouse les enfants du mari, tandis qu’il n’y a pas de présomption de maternité, c’est-à-dire que les enfants que le mari reconnaît ne sont pas attribués à l’épouse. Cette solution, qui peut nous paraître absurde, a pourtant existé ailleurs : au sein des familles aristocratiques des Hans de Chine, société au système de filiation agnatique où la paternité apparaît comme une donnée « naturelle » tandis que la qualité de génitrice est clairement distinguée du statut de mère, tous les enfants du mari, qu’ils soient issus des secondes épouses ou des concubines, sont réputés avoir pour mère l’épouse principale (Barry 2005, p. 6). 118 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant » Bibliographie Barry L. (2005), À la croisée des chemins. 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Les noms propres et tout élément susceptible de permettre d’identifier les personnes en cause ont été modifiés. 3. À l’inverse, les déclarations mensongères qui portent sur l’accouchement et la naissance constituent à la fois des crimes de supposition d’enfant et de faux en écriture authentique, tous deux passibles de peines criminelles (Iacub 2002, pp. 238-240). Ainsi, aux termes de l’art. 227-13 du CC « La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ». 4. À titre d’exemple, on peut citer un dossier où une épouse, qui avait pour habitude de rencontrer son amant une fois par semaine dans un hôtel (ses allées et venues ayant été prouvées par un rapport de détective privé) nie l’adultère et avance son intérêt prononcé pour les œuvres d’art exposées dans le hall dudit hôtel. 5. Jusqu’à l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, il existait une action spécifiquement réservée aux hommes mariés désirant défaire un lien de paternité légitime, appelée action en désaveu de paternité (ancien art. 312 al. 2 du CC). 6. Lorsque la possession d’état est conforme au titre, l’action est ouverte à la mère, au père et à l’enfant dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d’état a cessé (art. 333 du CC). Lorsqu’il n’y a pas de possession d’état, le délai est de dix ans (art. 321 du CC). 7. La « relativité » des fautes, qui doivent toujours être appréciées par le juge au regard du contexte conjugal, est en ce qui concerne l’adultère une nouveauté de la réforme du 11 juillet 1975. Auparavant, l’adultère avait un caractère de faute cause péremptoire de divorce, c’est-à-dire qu’une fois sa matérialité établie, son existence conduisait automatiquement au prononcé de la dissolution du lien matrimonial (Mayaud 1980). Les enfants adultérins dans les procédures de divorce 8. En doctrine chrétienne, la chose est plus complexe. L’adultère est en premier lieu condamné par l’Église en tant que péché de chair, et à ce titre aucune différence n’est faite entre hommes et femmes. Cependant, lorsqu’il s’agit de l’envisager comme violation du devoir de fidélité, nombre de théologiens considèrent que la faute de l’épouse est plus grave que celle du mari, justement parce qu’elle introduit un doute quant à sa paternité (Gaudemet 1987, 254). 9. Cette action pouvait être intentée dans un délai de six mois à partir de la naissance ou de la connaissance de celle-ci et avait pour effet de priver l’enfant de sa qualité d’enfant légitime (ancien art. 312 du CC). Elle a été supprimée par l’ordonnance du 4 juillet 2005 comme mentionné plus haut. 10.Traditionnellement, la présomption de paternité est fondée soit dans la volonté tacite du mari au moment du mariage de reconnaître les enfants nés durant celui-ci comme étant les siens, soit dans le devoir de fidélité et l’obligation de vie commune des époux. Les deux thèses ont été critiquées : à la première, il a été reproché d’exagérer la philosophie individualiste, la théorie de l’autonomie de la volonté et donc celle du mariage-contrat ; la seconde a été critiquée parce qu’elle ne permettait pas d’expliquer le fait que la présomption de paternité s’applique à l’enfant qui a été conçu avant le mariage alors que ces devoirs n’existaient pas (Carbonnier 1993, p. 413-415). Plus récemment, certains juristes fondent la présomption de paternité dans la communauté de vie (Lamarche 1997, p. 374-376). 11.A contrario, dans les sociétés où le lien biologique entre pères et enfants est jugé inexistant, l’adultère de la femme n’a aucune importance au regard de la paternité, qui se fonde uniquement sur le lien d’alliance avec la mère (Barry 2008, p. 362). 119