CHAPITRE VI

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CHAPITRE VI
Les chaussures font la femme
Rentrant dans notre appartement à un moment où je
ne l’attendais pas, ma femme me surprit dans ma plus
jolie tenue de fille manquée. Et qui plus est, en compagnie d’une mignonne petite copine comme moi ! La
pauvre n’eut même pas le loisir de se démaquiller pour se
retrouver en petits dessous coquins sur le palier. Quel
scandale !
Ma chiche garde-robe, exposée sur le lit conjugal, ne
résista pas au choc : frous-frous, bas et soutiens-gorge se
retrouvèrent hachés menus par les cruels ciseaux à couture de ma furie d’épouse.
Le divorce prononcé, il fallut me rhabiller – en femme
s’entend – de la tête aux pieds. C’est en visitant une brocante dominicale à un moment de désœuvrement que la
chance me sourit enfin, sous la forme d’une paire d’escarpins dorés aux talons démesurés. Des chaussures italiennes quasi neuves que l’exposante, je présume, avait eu
un mal de chien à porter, en équilibre sur les douze centimètres de talon au profil plein d’élégance.
En fait, la vendeuse était plutôt âgée, et son grand fils
pas vraiment du style travesti, mais je ne cherchais pas à
comprendre. Le seul problème, c’était la pointure trop
petite... Tant pis, je les achetai les yeux fermés tellement
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elles me plaisaient. Mieux : les seuls modèles aussi... spéciaux, je n’en avais vu que chez le spécialiste du genre, installé à Pigalle, l’ancien quartier chaud de Paris, mais aux
tarifs des petites femmes de l’endroit...
Certes, pour ce prix, les filles aux très grands pieds, style
quarante-cinq fillette, trouvent leur pointure sans problème, et ça vaut bien son pesant d’or...
Aussitôt rentrée dans mon studio de nouvelle divorcée,
je les enfilai tout en me mettant enfin à mon aise. C’est-àdire dans la tenue qui m’est devenue habituelle : une nuisette courte très transparente sous un adorable soutiengorge de grande marque, un string, des bas fumés en voile
pour exprimer sans ambiguïté ma féminité à fleur de
peau... et mes nouveaux escarpins italiens dorés.
Quelle allure avec ! Grâce à eux, j’avais le sentiment
incroyable d’être aussi attirante que ces ravissantes danseuses nues des bars à bière canadiens – où pour dix dollars, on se désaltère en se rinçant l’œil. Illusion, certes,
mais des plus agréables pour une fille comme moi, toujours désireuse de plaire aux hommes...
Mon autre étonnement fut de constater combien il
était facile de marcher sur ces talons aiguille vertigineux.
Et même comme c’était excitant d’évoluer avec, en se dandinant juste ce qu’il faut pour une démarche aguichante.
Comment se fait-il que si peu de représentantes certifiées du beau sexe chaussent pareilles chaussures alors
que mon corps gentiment enrobé de fille pulpeuse s’y
sent tant lui-même juché sur ce que certaines femmes
considèrent déjà comme de petites échasses ?
Quelques heures après cette première expérience, il est
vrai que je détectais bien une petite ankylose au niveau
des jarrets, tout simplement parce que mes muscles
n’étaient pas encore préparés à cette nouvelle fonction
que je leur imposais. Mais très vite, en les chaussant
chaque jour, je n’avais plus que l’extrême plaisir de déambuler comme une star adulée.
Bien vite, je pus me rendre à mes petits rendez-vous
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coquins avec ces rêves de fétichiste aux pieds. J’ai alors pu
réaliser combien les chaussures faisaient la femme.
Désormais, je ne porte plus que des talons à faire
perdre la tête aux hommes. C’est si bon, et si facile, de se
sentir pleinement femme avec. Au point qu’évoluer
chaussée ainsi est devenu pour moi un état naturel, tant
et si bien que maintenant, j’ai parfois mal en marchant
vite ou longtemps avec des souliers plats !
Si les femmes sexuellement reconnues n’en portent
plus, tout comme elles préfèrent les horribles collants aux
délicieux ensembles bas et porte-jarretelles, c’est que la vie
moderne les a fait renoncer à une grosse part de féminité.
A force de jouer aux hommes, sans doute commencent-elles à leur ressembler sur nombre de traits intimes.
Inversement, avec notre farouche volonté d’être
femmes, les transgenres acquièrent vite les habitudes
ancestrales du beau sexe.
Elles deviennent nôtres et tant mieux pour nous... qui
savons chaque jour si bien l’effet que produisent les filles
manquées sur beaucoup de messieurs esseulés dégoûtés
des femmes à force d’avoir été repoussés par elles pour
cause de machisme.
A mes yeux, vivre en femme et me sentir l’une d’elles
est extraordinaire et je ne m’en lasse pas, tellement cette
source de profond plaisir est intarissable... et renouvelable. Vive l’escarpin à talon aiguille !

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