Hygiène intime féminine : pathologies induites par une hygiène
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Hygiène intime féminine : pathologies induites par une hygiène
M i s e a u p o i n t Hygiène intime féminine : pathologies induites par une hygiène inadaptée Consequences of malpractices in feminine genital hygiene behaviors ■ O. Graesslin*, D. Fortier*, C. Quereux* RÉSUMÉ. La région vulvovaginale est le siège d’une flore bactérienne saprophyte formant un écosystème équilibré capable d’assurer son autodéfense contre différents micro-organismes. Le lactobacille est le germe dominant de cette flore. Une hygiène intime non adaptée induit une déstabilisation de cet écosystème, responsable de complications. Le défaut ou l’excès d’hygiène sont des situations présentant des risques d’infections génitales basses. Plus rarement, l’hygiène inadaptée se complique de pathologies du haut appareil génital ou favorise la transmission d’infections virales. Éduquer les patientes, en les conseillant avec tact, doit permettre de corriger ces comportements inadaptés et parfois néfastes. Mots-clés : Hygiène féminine – Infection génitale – Flore vaginale. ABSTRACT. The vaginal flora is composed of bacteria that have beneficial effects by inhibiting growth, adhesion or spread of other microorganisms. Lactobacillus plays a major role in this wellbalanced ecosystem. Unadapted hygiene practices may disturb this bacteriological ecosystem and provoke some complications like low genital tract infection. More rarely, malpractices in genital hygiene behaviours (vaginal douching…) can induce upper genital tract infections or can facilitate viral infections. Information about genital hygiene is needed to avoid inappropriate behaviours. Keywords: Feminine hygiene – Genital infection – Vaginal flora. a région périnéale constitue une zone de communication entre les appareils génitaux, urinaires et digestifs, siège d’une flore bactérienne saprophyte. Il s’agit d’une zone de transit au contenu relativement stable en micro-organismes. Une hygiène locale adaptée est conseillée. Une toilette inappropriée, péchant par défaut ou par excès, peut être nuisible à cet environnement. La connaissance de la physiologie du bas appareil génital féminin permet de mieux comprendre ces pathologies induites. L’hygiène intime ne se réduit pas à l’utilisation d’un produit de toilette, mais s’intègre dans le cadre plus large de l’hygiène de vie. L * Institut Mère-Enfant Alix-de-Champagne, centre hospitalier universitaire de Reims. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. V - avril/mai/juin 2005 PHYSIOLOGIE Les régions génitales basses féminines sont caractérisées par des écosystèmes composés de germes à l’état d’équilibre. Ces flores bactériennes saprophytes agissent comme un système physiologique “autonettoyant” de défense contre les agents infectieux extérieurs. Différents types de flore bactérienne sont décrits selon la topographie (1). La flore vulvaire est de type cutané. Les germes rencontrés sont des staphylocoques, des corynébactéries et des propionibactéries. Au niveau du vestibule, en dedans des petites lèvres, la composition bactérienne est proche de celle du vagin, composée essentiellement de lactobacilles et de germes aéro- et anaé- 37 M i s e RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Bohbot JM. Flores génitales féminines: un équilibre à préserver. La Lettre du gynécologue 2004;290:36-7. 2. Lepargneur JP, Rousseau V. Protective role of the Doderlein flora. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2002;31(5):48594. 3. Aroutcheva A, Gariti D, Simon M et al. Defense factors of vaginal lactobacilli. Am J Obstet Gynecol 2001;185(2): 375-9. Tableau I. Fréquence des bactéries isolées du vagin chez la femme indemne d’infection (d’après Hurlez). Corynébactéries Lactobacilles Staphylococcus epidermidis Micrococcus Streptococcus faecalis Streptocoques anaérobies Gardnerella vaginalis Escherichia coli Mycoplasmes Streptocoques hémolytiques Coccobacilles divers Proteus sp Bacteroïdes sp Staphylococcus aureus Streptocoques non hémolytiques Neisseria sp Candida albicans 83,4 % 81,8 % 66,1 % 36,8 % 41,5 % 21,7 % 20 % 19,3 % 11 % 9,2 % 6,8 % 6,1 % 5,4 % 4,6 % 4,6 % 1,4 % 30 % a u robies. Le pH vulvaire et vestibulaire diffère de celui de la cavité vaginale, plus acide. Les pH de la vulve, du vestibule et du vagin se situent respectivement autour de 5,2, 4,8 et 4 (figure 1). La composition de la flore vaginale (tableau I) varie avec l’âge, l’imprégnation hormonale, l’activité sexuelle, l’hygiène et les traitements éventuels. La flore dominante est le bacille de Döderlein. Ce lactobacille tapisse l’épithélium vaginal (propriétés d’adhésion aux cellules vaginales), formant un biofilm, et sécrète l’acide lactique et le peroxyde d’hydrogène, inhibiteur de croissance bactérienne (2). Par ailleurs, la flore de Döderlein permet une hydrolyse du glycogène en acide lactique, dont les cellules vaginales sont très riches (estrogénodépendance), et qui confère au milieu vaginal un pH entre 3,8 et 4,2. Ainsi, les agents infectieux sont confrontés à un pH acide qui leur est défavorable et à des facteurs inhibiteurs produits par le lactobacille (1, 3). D’autres colonies bactériennes commensales sont le plus souvent isolées : Staphylococcus epidermidis, streptocoques bêta-hémolytiques et corynébactéries sont des hôtes normaux du vagin, qu’il convient de respecter. Plus aléatoirement, les prélèvements mettent en évidence des bactéries d’origine digestive, aéro- ou anaérobies (Streptococcus agalactiae, Enterococcus, entérobactéries, Bacteroides, Fusobacterium, Clostridium), des bactéries exogènes parfois transmises sexuellement (mycoplasmes, Gardnerella vaginalis) ou des champignons (Candida). La présence de ces germes n’est pas considérée comme pathologique lorsque leur concentration est faible et que la flore de Döderlein est présente. Un contrôle ultérieur objectiverait le plus souvent une modification, voire une disparition de ces bactéries, exclues par la présence et l’action des lactobacilles. Cet écosystème est ainsi en équilibre, mais différents facteurs endogènes ou exogènes peuvent le modifier : diminution des défenses immunitaires, traitement antibiotique, carence estrogénique, altération épithéliale. De même, des habitudes d’hygiène intime inadaptées pH vulvovestibulaire : 5,2 ➜ 2 3 4 5 6 ➜ 1 pH vaginal : 4 Figure 1. pH vulvovestibulaire et vaginal. 38 7 8 9 10 11 12 13 14 p o i n t peuvent engendrer chez la femme une modification du milieu vulvovaginal et une rupture de l’écosystème responsable de pathologies. HYGIÈNE… BIEN SÛR ! Un nettoyage mécanique et chimique vulvopérinéal régulier est recommandé. La toilette intime obéit aux mêmes règles que l’hygiène cutanée. Elle doit rester vulvaire, et non vaginale. La région vulvaire présente peu de particularités physiologiques par rapport aux autres régions cutanées, sinon celle d’être située près de l’orifice anal. Le nettoyage permet d’éliminer l’excédent de film hydrolipidique de surface produit par les glandes sébacées, les kératinocytes et les électrolytes provenant de la sueur. Il limite le développement de colonies bactériennes exogènes normalement isolées au niveau du périnée, qui risqueraient d’altérer l’équilibre de la flore vestibulaire et vaginale. Un rinçage à l’eau et un séchage soigneux sont nécessaires. L’HYGIÈNE… PAR DÉFAUT Le défaut d’hygiène de la région anogénitale, associé à la transpiration et à la macération, crée des conditions favorables à la prolifération bactérienne, parfois responsable de pathologies (4). De nombreux germes sont présents au niveau de la région vulvaire : corynébactéries, streptocoques, staphylocoques, flore entérique aéro- et anaérobie. La région périnéale, en l’absence d’une hygiène régulière, est propice à la prolifération de ces bactéries. Ces colonies en concentration anormalement élevée vont déstabiliser l’équilibre de la flore saprophyte vestibulaire et vaginale. La vaginose bactérienne représente la forme la plus accomplie de ces possibles déséquilibres bactériologiques, et est définie par la dominance d’une flore anaérobie responsable de la symptomatologie (5). Une hygiène locale insuffisante peut également être un facteur d’infection urinaire récidivante par migration urétrale de colonies bactériennes en excédent. La flore vestibulaire défend habituellement l’orifice urétral des micro-organismes malvenus. Une miction postcoïtale limite l’ascension urétrale des germes (6). L’environnement périnéal chaud et humide est par ailleurs favorable au développement de colonies de Candida responsable de mycoses vaginales et d’intertrigo vulvaire. Les conséquences infectieuses possibles d’un défaut d’hygiène intime sont plus rarement d’ordre viral. Le risque d’infection par Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. V - avril/mai/juin 2005 4. Renaud-Vilmer C, Dehen L, de Belilovsky C, Cavelier-Balloy B. Pathologie vulvaire. Encycl Med Chir Gynécologie 2002;510-A-20:14p. 5. Judlin P. Suspicion d’infection génitale basse. Encycl Med Chir 1998;31190:4p. 6. Reid G. Potential preventive strategies and therapies in urinary tract infection. World J Urol 1999;17(6):35963. 7. Franceschi S, Rajkumar T, Vaccarella S et al. Human papillomavirus and risk factors for cervical cancer in Chennai, India: a case-control study. Int J Cancer 2003;107:127-33. 8. Huret H. Hygiène intime : ce qu’il faut faire… et ne pas faire. Avenirs de Femmes 2004;13:12-3. 9. Priestley CJ, Jones BVM, Dhar J, Goodwin L. What is normal vaginal flora? Genitourin Med 1997;73: 230. 10. Ness RB, Hillier SL, Richter HE et al. Douching in relation to bacterial vaginosis, lactobacilli, and facultative bacteria in the vagina. Obstet Gynecol 2002;100(4):765. 11. Cottrell BH. Vaginal douching. J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 2003; 32(1):12-8. 12. Zhang J, Thomas AG, Leybovich E. Vaginal douching and adverse health effects: a meta-analysis. Am J Public Health 1997;87:1207-11. 13. van de Wijgert JH, Mason PR et al. Intravaginal practices, vaginal flora disturbances, and acquisition of sexually transmitted diseases in Zimbabwean women. J Infect Dis 2000; 181(2):587-94. 14. Leroy F. Le point sur l’hygiène intime. Vocation Sage-femme 2004;19: 23-4. Tableau II. Produits d’hygiène intime disponibles sur le marché. pH Alcalin 8,5 8 8 Neutre 7 7 Acide 5,8 5,2 5,2 3,5 Produits GynHydralin® Saforelle® Féminic 8® Féminic 7® Monagyn® Intiméa® Hydralin Apaisa® Lactacyd Femina® Saugella Dermoliquide® Herpes simplex virus et Human Papillomavirus semble accru (7). Des publications établissent une corrélation entre un défaut d’hygiène et l’incidence du cancer du col. Outre une toilette périnéale quotidienne, il convient d’appliquer quelques règles d’hygiène de base limitant le risque d’infection génitale basse. Les sous-vêtements sont à changer quotidiennement et doivent être convenablement lavés ; en période menstruelle, les tampons périodiques ne doivent pas être conservés plus de 6 heures (ils augmentent le risque infectieux et absorbent [trop] les sécrétions naturelles) ; l’essuyage après défécation doit être effectué d’avant en arrière pour limiter la migration de germes (8). L’HYGIÈNE… PAR EXCÈS Une hygiène intime excessive ou inadaptée est aussi nuisible qu’un défaut d’hygiène. Les modifications du pH et de l’écosystème vaginal favorisent la prolifération de certains micro-organismes. La disparition de la flore lactobacillaire sécrétrice de peroxyde d’hydrogène et son remplacement par des bactéries non sécrétrices favorisent le développement de colonies bactériennes aéro- et anaérobies ou mycosiques. La pratique de multiples toilettes intimes quotidiennes (réalisées par des femmes souhaitant souvent l’obtention d’une quasi-stérilité du vagin) n’est pas nécessaire et peut induire différentes pathologies. L’altération de l’épithélium et de son revêtement, la modification du pH local, le déséquilibre de la flore physiologique font le lit d’une colonisation bactérienne inopportune ou mycologique pathologique. Les conséquences sont nombreuses, et ne sont pas limitées au seul bas appareil génital. Outre les complications locales irritatives et infectieuses (vaginose bactérienne, vaginite à germes banals) (9, 10), les pathologies induites peuvent plus rarement concerner le haut appareil génital (salpingite et grossesse extrautérine), voire favoriser la transmission de virus. Ainsi, plusieurs publications ont rapporté l’implication de l’absence de lactobacille dans la transmission du VIH s’il est présent. Les douches et irrigations vaginales, pratiquées par un grand nombre de patientes mal informées, sont à proscrire. Le décapage de la flore vaginale entraîne fréquemment le déséquilibre de cette dernière et de possibles complications infectieuses gynécologiques basses, mais aussi une sécheresse vaginale nuisible au bon déroulement des rapports (8). De nombreux travaux ont établi un lien entre Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. V - avril/mai/juin 2005 la pratique régulière de douches vaginales et le risque de maladies inflammatoires pelviennes, de grossesses extra-utérines, de transmission du VIH et de cancer du col (11-13). La iatrogénicité de l’utilisation régulière d’antiseptiques pour la toilette intime est clairement établie. Pourtant, près de 40 % des patientes emploient quotidiennement ces produits, largement diffusés sur le marché (1). L’ennemi est la pratique quotidienne. L’utilisation intermittente et événementielle est acceptable : toute femme a la possibilité d’utiliser par intermittence ce type de produits, les unes après les règles, les autres après les rapports, mais toutes le font dans un esprit de nettoyage, de purification de quelque chose de vécu comme “sale”, comme une souillure. L’important reste qu’elles soient “bien dans leur tête et dans leur corps”. N’interdisons pas, mais expliquons... En effet, en dehors d’indications purement médicales, les antiseptiques altèrent l’épithélium, détruisent la flore microbienne et diminuent les défenses locales naturelles. Par ailleurs, l’utilisation d’un parfum ou d’un déodorant déstabilise l’équilibre bactérien vaginal et constitue une agression chimique des muqueuses. L’utilisation répétée de produits potentiellement irritants ou allergisants peut entraîner une vulvite prurigineuse, érythémateuse et parfois surinfectée. L’application de topiques à base d’ammonium quaternaire risque d’induire des lésions caustiques sévères (3). Redisons clairement et clamons ce message : le savon est un produit efficace, suffisant et non délétère pour la plupart des patientes, même si son pH est alcalin. De nombreux produits sont proposés, et ce sont la composition et le pH qui doivent orienter les indications. En pratique courante et en l’absence d’infection, le savon de Marseille est un détergent efficace respectant l’équilibre de la flore. Les nettoyants sans savon, ou syndets, ont une bonne action détergente et représentent une bonne alternative. Le savon y a été remplacé par des agents tensioactifs anioniques sans action saponificatrice. Ils respectent mieux le film hydrolipidique cutané et peuvent contenir d’autres substances, comme l’acide lactique. Le pH est faiblement acide, proche du pH cutané. En cas d’infection, les produits utilisés seront choisis en fonction de leur pH (pH acide contre les vaginoses, pH basique contre les candidoses) (tableau II). Que les femmes aient des écoulements, rien de plus naturel : c’est le plus souvent un signe de bonne 39 M i s e a u p o i n t santé hormonale et sexuelle, et rarement le témoin d’une infection. Les toilettes intimes n’y changent rien, mais elles peuvent induire la pathologie. Quant aux protège-slips, très prisés, ils sont sans doute une manière efficace d’absorber les sécrétions, mais ils constituent peut-être aussi un obstacle de plus à l’aération (avec les jeans et les pantalons serrés), phénomène dont les conséquences sont actuellement mal connues. Tableau III. Règles d’hygiène féminine de base. Toilette Se laver la région génitale une ou deux fois par jour Insister au niveau des plis interlabiaux et du capuchon clitoridien Proscrire les douches et irrigations vaginales Préférer les douches aux bains (qui dessèchent la peau) Ne pas utiliser d’antiseptiques en routine Utiliser un savon sans colorant ni parfum En cas d’irritation, utiliser un syndet Habitudes comportementales Changer de tampon périodique toutes les 4 à 6 heures Se laver les mains au savon avant et après être allé aux toilettes Après la selle, s’essuyer la marge anale d’avant en arrière et se laver Se laver la région génitale et les mains avant et après un rapport sexuel (dans la mesure du possible) Habitudes vestimentaires Éviter le port prolongé de vêtements ou de sous-vêtements serrés Utiliser des sous-vêtements en coton, qui seront changés une fois par jour, lavés à 60 °C et repassés à fer très chaud Ne pas laisser traîner les sous-vêtements sur le sol avant de les porter et ne pas les échanger avec une autre personne Ne pas utiliser de façon régulière des protège-slips CONCLUSION L’excès comme le défaut d’hygiène favorisent ainsi de nombreuses pathologies essentiellement infectieuses, heureusement peu graves le plus souvent. La prise en charge de ces complications et plus encore leur prévention passent par l’éducation des patientes, afin de corriger les comportements. Quelques règles d’hygiène de base doivent leur être exposées (tableau III) afin de réduire les infections par des micro-organismes pathogènes tout en respectant la flore commensale, base de l’écosystème vaginal. ■ Les articles publiés dans “Correspondances en pelvi-périnéologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © 2001 DaTeBe SAS Impression : Point 44, 94500 Champigny-sur-Marne. Dépôt légal : à parution 40 Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. V - avril/mai/juin 2005