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Chapitre 1
Il est un peu plus de dix-neuf heures quand Hervé sort de la
boulangerie. En refermant la porte, il se contemple dans la vitre.
A quarante cinq ans, il est de bonne taille et terriblement bien
modelé. Son corps musclé se souvient de ses années de sport. Ce
matin, il s'était décidé pour un pantalon en velour et un pull en
laine. Une paire de chaussures en cuir noir avait compléter
l'ensemble et le résultat était plutôt satisfaisant.
Son pain sous le bras, il remonte machinalement de sa main libre
le col de sa veste. La nuit hivernale est chargée d’humidité et il
presse le pas. En traversant la rue, il peste contre le vent qui lui
fouette le visage. C'est alors qu'il aperçoit, à deux pas, devant le
Bel Canto, le petit salon de thé qu’il connaît bien, la voiture de
son meilleur ami, Philippe Lacombe. Malgré le temps, il consent
alors à faire quelques mètres de plus. Il a l’impression qu’il pleut
depuis des mois, ce qui n’est pas loin de la vérité à vrai dire, tant
ce début d’année est épouvantable. Non sans consternation,
Hervé prend brusquement conscience que du premier janvier à ce
jour, le quinze février, les journées ensoleillées ont dû se compter
sur les doigts de la main.
Il plisse les yeux pour percer les nappes de brume éparses. Il
passe une main sur son front pour en chasser les gouttelettes de
pluie qui lui brouillent la vue. Tout en marchant, il pense à son
travail de chef de chantier à Lambert Factory. Il a pour habitude
d’y aller en train c'est le plus simple pour lui. Au travail, il en a
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marre des horaires à rallonge. Cependant, il arrive parfois que ses
rapports avec ses collègues l’ennuient. Les jours qui passent se
ressemblent.
Il pense également à son cadre de vie quotidienne. Il habite à
Locmaria : une maison, Route de Penmarch'. C'est une adorable
maison isolée au volets bleus. Tout cela est très bien, mais,
pourtant,il aimerait parfois changer d’air.
Comme il arrive enfin devant la porte du Bel Canto, il hésite
avant d'entrer. Il n'a pas pour habitude de traîner mais il se dit
qu’après tout, il est encore tôt. Il a besoin de se détendre et puis
personne ne l’attend pour dîner.
Après avoir salué la serveuse, il met une grande tape sur l'épaule
de Philippe, par derrière. Celui-ci se retourne avec vivacité.
C’est un homme de taille moyenne. Il a perdu la plupart de ses
cheveux mais a toujours le sourire.. Ils ont partagé des tas de
moments inoubliables bons ou mauvais. Ils seront toujours là l'un
pour l’autre. Jacques, un ami de Philippe, le salue
chaleureusement.
Hervé s’installe avec ses camarades, derrière le comptoir, sur un
tabouret, .
- Eh bien, Hervé, il ne manquait plus que toi pour remplir les
verres, lance Philippe en guise d’accueil.
Après avoir fait signe à la serveuse de satisfaire à la requête de
son amie, Hervé s’installe avec ses camarades, sur un tabouret,
au comptoir. Puis la conversation s’anime autour du thème des
vacances de février qui commencent dans une semaine.
- Il y en a qui n’ont pas franchement besoin de partir, puisqu’ils
voyagent toute l’année, fait Philippe en glissant un regard
entendu en direction de Jacques.
Ce dernier, qui doit partir pour une semaine aux sports d’hiver,
répond très sérieusement qu’il y a une grande différence entre les
plaines poussiéreuses du sous-continent indien, les rues
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grouillantes et bruyantes de New-Delhi et une paisible station du
Val d'Isère. Pour Hervé, cela n’est pas franchement évocateur. Il
a un peu voyagé, en Afrique, en Indonésie et en Europe par
exemple, mais il ne connaît pas l’Inde. Il a passé ses dernières
vacances en Ardèche. Toutefois, ce qu'il aimerait vraiment, ce
serait de partir aux Etats-Unis. Mais pour ça, il faudrait au moins
qu’il gagne au loto. Il pourrait aussi en profiter pour s’offrir tous
les bons artisans de la terre pour refaire sa maison.
Cependant, Hervé se dit que l'Inde c'est peut-être bien aussi et il
se prend à rêver. Il faut dire que Philippe lui raconte souvent les
nombreux voyages de Jacques, et parfois ils lui font envie. Bien
loin de mener une vie insipide, Jacques, travaillant pour une
assurance, passe une grande partie de l’année à parcourir le
monde. Azur’assure utilise ses compétences (il est psychologue
de formation) pour le rapatriement des voyageurs en difficulté
psychologique. Philippe a un jour expliqué à Hervé que l’Inde
est, tout particulièrement pour les Français, l’un des endroits du
monde où les voyageurs perdent facilement leurs repères. Il n’est
en effet pas rare dans ce pays qu’un individu se trouve
brusquement atteint de bouffées délirantes, de délire mystique ou
paranoïaque et qu’il faille de toute urgence le faire rapatrier. Le
phénomène est si fréquent que l’Ambassade de France à
New-Delhi a tout spécialement créé un service dans le but de
gérer ce genre de problème !
- Bon, je file. On se voit dans deux semaines ?
La voix de Philippe sort Hervé de sa rêverie.Il reprend peu à peu
contact avec le monde qui l’entoure. Après avoir consulté sa
montre, il refuse le verre que la serveuse s’apprête à remplir et
accompagne ses amis vers la sortie. Devant la portière de la
voiture, ils échangent quelques plaisanteries.
- Si tu ne te casses pas une jambe ou pire, tu m’appelles en
rentrant, on se fera une bouffe ? fait Hervé d’un ton jovial.
- Arrête tes jérémiades, tu veux ? Tu vas me porter la poisse.
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Moi, j’ai déjà skié un peu, mais Jacques a beau avoir fait
plusieurs fois le tour du monde, ce sera pour lui la première fois.
L’intéressé sourit et s’installe près de Philippe.
Les yeux rivés sur les feux de la voiture qui s’éloigne, Hervé
ressent un pincement au cœur. La vie trépidante de Jacques lui
renvoie cruellement la vacuité de la sienne. Il a bien des vacances
à prendre mais il n’a aucune idée du moment où il le fera et puis,
si c’est pour rester à la maison et approfondir ménage et ennui, à
quoi bon ?
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