Le nu fashion : tous à poil et on objective !

Transcription

Le nu fashion : tous à poil et on objective !
Le nu fashion : tous à poil
et on objective !
Être à poil est presque le minimum syndical dans le monde de
la mode. Que cela soit au nom de l’art ou au nom d’arguments
commerciaux, le nu fait vendre. Dans un contexte où l’on
verbalise les femmes et où on leur demande de se déshabiller
sur la plage, serions-nous au sein d’une dictature de la
nudité ?
Spring Summer 2016 Gucci : peu de place à l’imagination
Les femmes sont des tables basses comme
les autres
Pas de pudibonderie par ici, mettons-nous d’accord : être nu
c’est cool. Aimer son corps sans artifices, au-delà des tabous
liés au sexe, à la séduction, au vice, c’est cool. La nudité
c’est un moyen puissant de montrer à la fois toute la force et
toute la vulnérabilité d’un corps, c’est une beauté
incroyable. Le problème avec la nudité dans la mode, c’est
qu’elle concerne principalement une catégorie de personnes, de
manière systématique. Je vous le donne en mille : les femmes.
Comme par hasard, n’est-ce pas. Qu’il s’agisse des défilés
printemps-été 2016 avec notamment Gucci tout en transparence,
ou des campagnes de pub comme celle de Calvin Klein avec Lara
Stone, la femme est littéralement mise à nu. Bien sûr, les
hommes ne sont pas en col roulé non plus, mais la femme, elle,
est inéluctablement objectivée et sexualisée. Exemple flagrant
avec American Apparel où pour le même type de chemise, un
homme l’aura boutonnée jusqu’au cou, et une femme l’aura
ouverte sur ses sous-vêtements.
C’est la joie de l’objectivation. Qu’est-ce ? Il s’agit ici de
la représentation des femmes dans la mode dans des contextes
suggérant que les femmes sont des objets qu’on peut regarder,
utiliser, toucher. Ce ne sont plus des êtres humains à part
entière mais des choses, parfois des parties du corps
désolidarisées du reste. Dans une pub pour parfum de Tom Ford,
par exemple, le flacon est posé sur les parties intimes (qui
ne le sont plus vraiment) d’une femme. La vulve n’est plus
rien d’autre qu’un substitut de table basse. Chouette idée
pour les apéros entre amis.
American Apparel : toujours plus.
Déshumanisation sur fond de haine de soi
Quid des conséquences ? À force d’être exposés à de telles
images, l’humanité des femmes en est oubliée. Cela va
participer aux violences faites aux femmes, aux agressions
sexuelles. En effet, si les femmes ne sont plus que des objets
sans émotions, il n’y a plus de limites à leur utilisation.
Cela crée un environnement où il est accepté de ne pas
forcément traiter les femmes avec dignité ou respect. La mode,
encore une fois, est la reproduction et l’amplificateur d’un
schéma patriarcal où les hommes désirent et les femmes sont
désirées. Si ces pubs sont destinées aux femmes, qui sont
censées consommer, c’est pourtant le contenant du désir de
l’homme.
Tom Ford Fragrance : un repose-parfum tout en sobriété.
Du désir de l’homme, mais pas seulement. Une autre conséquence
d’une telle objectivation est le désir ambivalent de la femme.
Avec la commercialisation du corps féminin, il n’y a plus
aucune tolérance pour les corps avec des défauts visibles.
Dernier exemple flagrant en date : le dernier numéro du Vogue
brésilien qui utilise des mannequins photoshopés pour
représenter les athlètes paralympiques plutôt que de
photographier de réels athlètes. Même le handicap doit être
esthétique. Cette perfection placardée partout, ces standards
inatteignables sont extrêmement malsains pour les femmes qui
sont matraquées de toutes parts par ces corps « parfaits ».
Des études ont même montré qu’il y avait une corrélation
entre l’objectivation des femmes et le taux important de
troubles alimentaires, d’angoisses vis-à-vis de l’image de son
corps et de dépression parmi les femmes. Elles développent une
relation malsaine avec leur corps, tout en étant baignées dans
l’idée d’une sexualité patriarcale, où leur sexualité existe
pour les hommes. Tout ça étant bien entendu intériorisé
inconsciemment dans la joie et la bonne humeur.
American Apparel : cachez-moi ce slip que je ne saurais voir
L’art, ou la bonne excuse
À ces paragraphes de féministe enragée (voire féminazi pour
les plus survoltés), on peut répondre par l’argument « Mais la
mode est un art ». L’art est-il une excuse ? Non. Ce n’est pas
parce que c’est artistique que cela ne s’inscrit pas dans un
contexte, dans une époque, dans une hiérarchie des sexes. Ce
n’est pas parce que c’est de l’art que cela n’a pas une
influence énorme sur les femmes. Et puis, où est l’art dans un
magazine commercial dont le but est de vendre ? L’art stimule
les pensées, les sens, les émotions. La mode, elle, à travers
l’objectivation des femmes, stimule le désir et la
consommation. Si la mode est un art, elle n’en est pas moins
un business. Là où l’art tente d’offrir une certaine vision du
réel, la mode est parasitée par un monde d’hommes, où même les
femmes intériorisent ce désir, cet amour-haine créé par
l’objectivation. Ce n’est pas tant le fait d’être dénudée qui
dérange (un droit durement gagné quand on pense à la période
où montrer ses chevilles était indécent). C’est de faire
passer pour de l’art ce qui n’est en réalité que du business,
et un poids de plus pour les femmes de surcroît.