Regarde et écoute - Dans Tous Les Sens

Transcription

Regarde et écoute - Dans Tous Les Sens
Festival Écriture Hors Les Murs
Édition 2015
REGARDE ET ÉCOUTE
Promenades en paysage urbain
Dans Tous Les Sens
2
« Découvrez la ville de Vaulx-en-Velin de façon insolite et
racontez-nous des
photographiques. »
histoires
tirées
de
ces
promenades
Cette proposition d’écriture faite dans le cadre d'Écriture Hors
Les Murs aux membres de l’association Dans Tous Les Sens et à
différents ateliers d’écriture, a rencontré un vif succès. Ce livret
en est le résultat.
Quatre-vingt-trois photos prises par nous-mêmes et Serge Bagu
ont été proposées. Vous pouvez les retrouver sur le site internet
de l’association www.danstouslessens.org.
Bonne lecture.
Christine Allot-Bouty et Isabelle de Cormis
(Participantes aux ateliers d'écriture
permanents de Dans Tous Les Sens
– initiatrices du projet)
3
4
La lumière tombe à cette heure tardive entre les grands
immeubles. Le couchant se reflète dans les carreaux d’un garage
délabré. Les gosses jouent en bas à se courir après en riant. Des
mamans et des familles entières au milieu des cris des enfants.
Trois gars refont les freins d’une voiture orange montée sur
cales. Plus loin on prépare la soupe à la fête des petits frères des
Pauvres. L’odeur des légumes chauds et la musique qui bat au
rythme des cœurs légers. Les grands ciels de Vaulx répandent
leur bienveillance, le bonheur s’appelle fraternité et se rit parfois
de la pauvreté. Dans les yeux brille une vérité sans fard qui sont
les fenêtres généreuses de la vie, avec ses joies et ses drames qui
se jouent derrière les façades d’une ville.
Vérité des habitants d’un ensemble aux multiples aspects
incarnés par deux personnes marquantes de la ville, maintenant
disparues. Je revois Nass, palabrant avec des copains à la terrasse
de la brasserie un dimanche matin sous le soleil. Et Jean-Pierre,
homme fraternel de Vaulx avec qui les gens de Dans Tous les
Sens montaient les installations et dressaient les tentes d’Ecriture
Hors Les Murs.
(Ensemble de photos)
Henri Brosse
5
Derrière les murs dans la rue
Laisse couler ton regard
Tu verras tu verras
Juste un regard
Loin loin comme un souffle
Cent fenêtres allumées
éteintes
font signe à la vie
Petits rectangles d'air
Sur parois de béton (31)
Regarde par-delà les fenêtres
Alignements à géométrie variable (56)
En hommage à la rue
Laisse s'échapper ton regard
Tu verras tu verras
Le monde prêt à fleurir
Et Vaulx en ville sourire
Coquelicots rubis sertis de vert
Au détour d'un talus (8)
Arbres embrasés de rose
A la lisière d'un jardin (71)
Violettes constellations d'amour
Autour de l'arbre soleil
Laisse briller ton regard
Tu verras tu verras
Là-bas au fil vermeil de la Rize
Vaulx en ville mystère
6
Une bouteille à la dérive
sur un océan de lierre (77)
L'eau dentelle de lumière
Glissant entre les saules (24)
Arbustes Narcisses
aux reflets d'or
oubliés sur un fond de galets (19)
Regarde regarde
Et tu verras tu verras...
aux portes de ta ville
aux portes de la Vie.
(Ensemble de photos
indiquées entre parenthèses dans le texte)
Alexandra Calavassy
7
Des visages
Ils sont venus en masse
Serrés les uns contre les autres
Comme répondant à un appel
Comme lorsqu’ils sont partis
Leurs yeux implorent
un regard
Un leurre encore ?
Ils sont seuls
Définitivement
Comme à l’ultime
déflagration
(photo n° 1)
Ah ! qu’il est doux d’avoir un balcon
Non pour s’y prélasser
Mais pour y stocker
L’antenne parabolique
Le placard bas, qui fut blanc
Le placard un peu moins bas
Dessus marron, façon noyer
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qui fut blanc aussi
Il supporte un vase blanc ventru
Frappé de fleurs - stylisées Rose vif, bleu vif, grises
avec quelques pointes de vert,
Dans l’attente d’un bouquet
Un pichet en grosse faïence marron
Déjà vu, mille fois
Un boc à bière bleu-gris
Déjà vu autant de fois
Un sac plastique fin d’une opacité trouble
- Donne peu d’indices sur son contenu A l’extrémité gauche
Un gros pot de plastique bleu-vert
avec des plantes bien vivaces
Des feuilles jaunes prennent leur élan
Une plante grasse laisse échapper
une fleur rose
Une lampe leur fournirait-elle de la chaleur ?
Sur un tabouret de bois
Un autre pot en plastique
avec, peut-être une bouture
de la variété précédente ?
En dessous, un pot blanc, libre
D’un autre montent deux tiges malingres
Une planche de récupération
rehausse deux grands cache-pots
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carrés et jaunâtres
Celui du bout dupliquerait
les végétaux précédents
Mais celui du centre
déborde de fleurs roses épanouies
qui se hasardent même au-delà
de la rambarde métallique
Bien planté en oblique
Un manche gris
Terminé par un embout noir
Qui pourrait être
Un balai, une béquille à la renverse ?
Il me plairait que ce soit une béquille
Au repos
ou devenue inutile
mais dont on ne se débarrasserait pas
pour conjurer le sort
Et si cet entre le dedans et le dehors se préparait
au prochain concours
des balcons fleuris ?
(photo n° 3)
Un voile à peine perceptible
Danse sur les galets
Quelques ombres de branches
Taquinent les éclats du soleil
Pas de traces de pas
Sur la rive sablonneuse
Mais une étiquette
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Solidement amarrée
Scotchée aux pierres
Des cercles verts, une étoile rouge
La marque blanche inscrite
Sur fond noir
C’est elle à n’en pas douter
Comme s’il ne lui suffisait pas
D’être imprimée dans les têtes
Elle s’immisce dans le limpide
Sa fragilité face au courant
Démultiplie sa force
Le gargouillis de l’eau
Fait trembler ses bords
Mais elle ne lâchera pas
Autour, la rivière offre ses mosaïques
Et l’œil s’acharne à décrypter formes et couleurs
(photo n° 24)
Annie Fantino Luyssen
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Tous ces regards que l'on ne voit plus
Dans les ghettos de l'histoire fragmentée
Qu'un jour le temps de la condamnation
Dévoilera sur la parole d'une foule
Portée par la force de la liberté,
Les lignes inébranlables de l'égalité
Pour lieux sacré de la fraternité,
Cette rencontre de la flamme de l'espérance
Avec l'éloge des visages de l'humanité.
(photo n° 1)
Jelh O'Lem
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Il ne lavait pas les fenêtres, même si dehors était gris. Le ciel
était gris, les murs étaient gris. Mais les arbres, verts, renaissant
de toutes leurs feuilles, avaient emprisonné le soleil, et luisaient
sous la pluie.
Il ouvrit la fenêtre pour sentir l’eau s’évaporer sur l’asphalte.
Gris, et seuls les arbres attestaient de la présence de l’horizon, de
la petite colline verte, loin, au milieu des immeubles, des parcs,
du canal à côté de la cité de pierre.
Il respirait, enfin, après l’hiver long et lourd, la pluie fraîche, et il
était content rien que de pouvoir se sentir rafraîchi.
Quand il tourna la tête, son bordel monstre le rendit heureux, les
armoires débordantes, les tiroirs qui ne fermaient plus, les
étagères pliées sous le poids des livres, et les papiers par terre, la
pièce minuscule, le ciel gris par la fenêtre qu’amenait le vent, les
murs éteints, la porte ouverte sur le long couloir petit, étroit, le
miroir au fond, la porte et le ciel gris, les portes et les cieux gris,
la fumée de cigarette dans la tasse de café.
(ensemble de photos)
Céline Gasser
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« Vends appartement, trois pièces, deux belles chambres,
salon, cuisine séparée, toilettes, sdb, bonne exposition, avec
balcon. »
C’est le balcon qui a attiré son attention. Coincée dans son
studio quasiment aveugle, elle a tout de suite imaginé sa vie
« avec balcon ». Elle aurait des plantes, et même des bacs de
fleurs. S’il est bien protégé, elle pourrait l’aménager en installant
un meuble, une table et des chaises. Ce serait le plus joli coin de
l’appartement.
Et puis les années passeraient. Ils auraient un enfant, peut-être
deux, le satellite et sa parabole. Les rebus, les trucs qui traînent et
qu’on ne met pas dans le placard parce qu’il n’y a plus de place
finiraient sur le balcon. Et son petit coin de paradis, son lieu
d’agrément, deviendrait la pièce à bazar. Ce qui la déprimerait
d’autant plus qu’elle s’exposerait aux yeux de tout l’immeuble.
« Vends appartement, trois pièces, deux ch., gde pièce à vivre
avec cuisine américaine, sdb, toilettes séparées. »
(photo n° 3)
Allo, Allo !
Tu m’entends ? Mais qu’est-ce tu fous ? On poireaute depuis des
plombes. Mais tu m’entends ? Allo ? Putain, j’ai plus de réseau.
Allo ? Tu fous quoi là ? Rapplique, on t’attend. Allo ?
Bon, j’te rappelle.
(photo n° 54)
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Depuis qu’il savait lire, c’est-à-dire quelques mois à peine, il
venait tous les jours au bord du canal. Enfin, les jours où il faisait
beau temps.
Cet endroit, il le connaissait depuis qu’il était tout petit. Il y
venait avec ses frères, avec ses copains, avec son papa le
dimanche matin. Pendant longtemps, ça avait même été sa
promenade préférée. Son père enfilait sa veste, son pull, son
manteau en fonction de la saison, il l’habillait également en
tenant compte de la température extérieure et disait : Chérie,
j’emmène le petit au bord du canal. Et ils partaient tous les deux.
Les grands ne venaient jamais : pas encore levés, parfois même
pas rentrés de leur virée nocturne. Son père, qui fumait
rarement, tirait toujours son paquet de cigarette de sa poche dès
qu’ils atteignaient l’eau. Et il fumait lentement, très lentement, en
souriant. Il était bien. Il serrait sa petite main et lui disait : va
courir un peu.
Alors il partait à l’aventure, le long des berges, parmi les hautes
herbes. C’était un monde nouveau où les joncs et les herbes
folles remplaçaient le béton, le cri des grenouilles se substituaient
aux rumeurs du voisinage et la libellule, par les chaudes matinées
d’été, vrombissaient dans l’air comme un avion zébrant le ciel.
C’est là qu’il l’avait découvert, le panneau bleu couvert de
mystérieuses inscriptions blanches. Et plutôt que de demander à
son père ce qui était écrit, il avait gardé ce secret pour lui seul.
Puis, il avait eu six ans, était entré au CP et avait appris à lire.
C’est presque par hasard qu’il était retombé sur le panneau bleu,
un matin d’aventure. Il était avec ses copains et essayait
d’attraper des grenouilles. Il déchiffra les lettres blanches. Et
s’illumina. Sa vie bascula.
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Depuis ce jour-là, chaque fois qu’il faisait beau temps, il courait
au bord du canal, se postait près du panneau bleu et tel le
capitaine Achab il guettait le moment où il apercevrait son Moby
Dick.
(photo n° 9)
« Aïcha, Pascal, Meegan, Médhi, venez ici, tout de suite ! »
Raphaël s’époumone, crie, hurle. Pour rien. Aucun enfant ne
bouge. Ils sont plantés là-bas, contre le mur, accrochés aux
ballons. Ils attendent.
Ils sont chouettes ces ballons. Jaune, rouge, vert, bleu, violet…
Ils donnent envie de s’envoler sur la route du bonheur. C’est le
petit Ahmed qui a dit ça le jour où ils ont été peints. S’envoler
sur la route du bonheur. Ça leur a tellement plu qu’ils l’ont écrit
sur le mur. Et depuis les enfants jouent. Ils jouent aux ballons
qui s’envolent sur la route du bonheur. Ils y jouent tellement
sérieusement que Raphaël se dit qu’un jour, s’il ne fait pas gaffe,
il ne les retrouvera plus. Un jour, ils s’envoleront sur la route du
bonheur. Pour de vrai.
(photo n° 44)
AIKUS VAUDAIS
Papillons laiteux
Reflets sur l’onde fraîche
Éclairent le jour
(photo n° 13)
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Murs de silence
Par-delà les portes closes
Couleurs oubliées
(photo n° 39)
Un pantalon, un polo, un tee-shirt, encore un pantalon, un
débardeur, une chemise à fleur… Suspendu à son fil, le linge
sèche, à l’air libre. Il évoque les petits villages italiens, les ruelles
étroites de Venise, les rues pentues de Porto ou de Marseille. Il
est le Sud et la chaleur, les voix qui s’interpellent, les cris des
mammas qui disent qu’il est l’heure de manger. Il expose sans
fausse pudeur le pantalon du travailleur, le survêtement du
collégien, la mini-jupe de l’adolescente. Il sent bon, même de
loin. Le vent s’engouffre dans les manches, gonfle les draps qui
deviennent voile blanche. Il crée un désir d’ailleurs, de voyage. Il
est un petit bout de vie de tous les jours étendu là, contre le mur,
banal et indispensable. Il n’est pas loin, il est au coin de la rue,
ici, à Vaulx-en-Velin.
(photo n° 82)
Isabelle de Cormis
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C’est la ligne de démarcation. Le Canal de Jonage où le
Rhône détourné peine à retrouver ses forces après avoir mouliné
du Kilowatt.
On chercherait en vain Vaulx-en-Velin. On voit de l’autre côté,
Villeurbanne, Laurent Bonnevay et l’espèce de construction en
tôle blanche, style un peu Goldorak, l’Astroballe.
D’habitude on passe d’une ville à l’autre sans s’en rendre
compte, on tombe soudain sur un panneau, ah bon, on n’avait
pas perçu de différence dans les accents, les types ethniques, les
mentalités, le style vernaculaire des constructions, les
particularismes.
Ici, il y a cette frontière physique mais artificielle, le canal, fleuve
industriel. Sans qu’on sache précisément où est la limite, au
milieu de l’eau, d’un côté, de l’autre ?
Cette photo ne nous renseigne pas beaucoup sur notre ville, ou
bien en miroir ?
Peut-être que c’est le pays qu’on voudrait habiter. Nos envies,
nos désirs profonds nous sont révélés. Villeurbanne, c’est
autrement plus chic, sur la photo ça ne saute pas aux yeux, faut
dire que c’est le Villeurbanne des confins qui jouxtent Vaulx.
Mais la pauvreté nous retient de ce côté-ci du canal.
Ou alors, c’est notre repoussoir. Villeurbanne a perdu sa
mentalité populaire. C’est devenu une ville bobo, dit-on. Chez
nous, c’est mieux, c’est plus solidaire. L’autre côté de l’eau nous
renforce dans notre appartenance Vaudaise.
Laissons couler l’eau du canal.
(photo n° 11)
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Attention, quartier interdit. C’est ce que nous dit ce sens
interdit, non ? C’est ce que voulait dire le photographe, derrière
une photo, il y a toujours un photographe, n’oubliez pas. Ou
alors il le voulait, mais inconsciemment. Cette histoire
d’inconscient est un peu éculée. Aurait-il cadré sans se rendre
compte qu’il y avait ce panneau au premier plan, c’est un peu
gros, même si ce n’est pas un professionnel, qu’il ne l’ait pas vu.
Il aurait pu la faire depuis le trottoir d’en face.
En tout cas, ce panneau explique que je ne reconnaisse pas ces
immeubles, je ne pouvais pas les voir, je ne suis jamais passé par
là, puisque c’est en sens interdit. C’est une des vertus de cette
photo, m’expliquer pourquoi je n’ai pas pu voir ces immeubles,
du moins sous cet angle. En fait, à Vaulx je circule plutôt à vélo,
les panneaux, à vélo, on s’assoit dessus, surtout à Vaulx, sitôt
passé le canal, l’airain de la loi devient plus plastique. D’autant
qu’à Vaulx, il n’y a pas beaucoup de cyclistes.
Oublions ce disque impérieux, et un peu omniprésent, même s'il
n’occupe peut-être que trois pour cent de la surface. Il y a
certainement des zones qui comptent plus que d’autres, comme
au scrabble. Est-ce qu’on regarde une photo comme on joue au
scrabble ?
Remarquons que la rue vient d’être refaite, les bordures encore
brillantes de leur quartz, l’enrobé de la chaussée a gardé un peu
de sa liquidité, j’adore le coaltar humide, ces ruisseaux pétrifiés.
Les arbustes ne semblent pas encore remis d’avoir été
transplantés ici, les lampadaires sentent encore le design frais,
trop cool ces lampadaires, très contemporains, non ?
Donc, le sens interdit n’est pas accroché depuis longtemps au
lampadaire, la rue était peut-être plus large, à double sens, ou
bien elle n’existait pas, oublions donc le panneau.
Bon, la photo montre des immeubles de Vaulx-en-Velin,
banlieue pauvre de la périphérie, du gris, du béton, du logement
social, ou pas, mais c’est au moins cinquante pour cent du
logement à Vaulx, la question n’a pas grand intérêt. Tous les
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poncifs, les archétypes, les ingrédients d’une dramaturgie un peu
facile, d’une scène de banlieue. Les quartiers dit-on.
On voit des barres d’immeuble, c’est le terme générique, qui ne
qualifie pas nécessairement la forme, plutôt une certaine
brutalité, un surgissement dans le paysage. Notre œil, notre
cerveau est comme précontraint à ne distinguer que des barres.
À observer, on s’aperçoit qu’on est dans quelque chose de plus
compliqué, de moins monolithique. En mettant de côté la tour
qui dépasse un peu, à gauche, qui appartient à un autre
ensemble, mais il faut être un peu du pays pour distinguer les
différents styles, époques, zones, quartiers.
Les immeubles du premier plan sont homogènes dans leur style.
On pourrait dire que chaque immeuble est composé de tubes
accolés mais de hauteurs différentes. Ça pourrait rappeler le
quartier des Gratte-ciels, pour les verticales, mais on bien loin de
la rationalité et du monumentalisme des années 20 ou 30. Ici il y
a quelque chose d’aléatoire dans la disposition et la hauteur des
tubes.
Ici, on est plutôt à la fin des années 70 ou début 80. Dans l’idée
d’une architecture dite proliférante, d’un urbanisme qui se
développerait sur le modèle d’un organisme vivant, de manière
non prévisible. Une probable réponse aux erreurs des périodes
précédentes. Une tentative de renoncer au deus ex machina qui
tracerait la ville à grands coups d’orthogonalité et de
fonctionnalité. Remarquez ici les balcons qui partent à 45 degrés,
angle emblématique de l’époque.
On n’atteint pas la qualité de la fameuse cité des étoiles à Givors,
par exemple, mais on ne peut pas dire que les architectes n’aient
pas fait d’efforts, et on est en tout cas loin des barres.
L’essentiel de la photo n’est pourtant pas là et tels qu’ils
apparaissent sur la photo ces immeubles sont quand même un
rien tristes. La présence du chantier ne doit pas arranger les
choses.
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Mais l’intérêt de cette photo, c’est justement ce chantier. C’est la
manière dont on essaie de ré-ancrer dans le sol ces machins à
habiter, redonner de l’échelle humaine, de la hauteur d’homme,
donner une géographie collective à un quartier, donner au regard
d’autres perspectives, d’autres lignes que celles des façades.
Suivez le sentier lumineux et coloré des tuteurs et des canisses
autour des arbustes, qui ondoient et s’inclinent légèrement
comme les phrases d’une écriture en bâtons, comme animés par
une brise légère et apaisante. Un peu plus haut, parcourez la
ronde des lampions qui se sont échappés joyeusement d’un
catalogue de mobilier urbain design.
Respectez quand même le sens interdit.
(photo N° 65)
Ciel menaçant. Collines de gravats prêtes à nous engloutir, s’il
nous venait à l’idée de les gravir. Membres hypertrophiés
d’insectes qui cherchent à nous happer.
Nous pénétrons une contrée terrifiante. Nous avons franchi le
Pecos, nous arrivons dans une sorte de Far West où la loi n’est
pas tout à fait la même.
Sommes-nous à Vaulx ou à Saint-Jean, dans l’enclave de
Villeurbanne, c’est un peu pareil, passé le canal, Villeurbanne
l’embourgeoisée devient un faubourg, activités industrielles,
artisanales, et habitations chaotiques se sont mélangées.
On est relégués là, on a construit du logement social, ce n’est pas
grave de nous mêler aux miasmes industriels.
On aimerait bien quand même que notre ville soit plus belle, être
heureux d’en franchir le seuil sans avoir à fermer les yeux, être
un peu fiers de notre ville.
(photo N° 72)
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La façade en bois très dessinée, très composée, comme un
tableau de Mondrian. Un jeu de verticales et d’horizontales qui
enserrent très strictement les fenêtres en bandeau qu’animent les
volets coulissants.
Au premier plan les arbres, comme plaqués sur la façade, c’est là
le mystère de la chambre noire de rétrécir ou dilater les distances
entre les plans, contredisent joliment la rigueur géométrique.
Le bois a été laissé brut, il va griser petit à petit, il a commencé
aux endroits les plus exposés, passant par des phases plus ou
moins agréables au regard.
Cette seule façade ne permet pas de comprendre ce bâtiment. Ce
n’est qu’une partie d’un ensemble.
C’est le pendant d’un parallélépipède en béton, un volume exact,
suspendu en l’air, qui repose sur ses piliers avec un extravagant
porte à faux. Sa couleur noire vernissée fait ressortir les veines et
les jointures du beau coffrage en planches brutes du béton.
Les deux matières semblent se répondre, d’un côté le béton noir
qui garde l’apparence du bois, de l’autre, le bois qui deviendra
noir.
Ces deux blocs, en l’entourant étroitement, ont fait disparaître de
la vue l’espèce de guerrier cuirassé de tôle, échappé d’un dessin
animé japonais des années 80, construit quelques années avant.
Les nouveaux architectes ont dû penser que l’esthétique du
soldat laissait à désirer et datait un peu, en tout cas ne méritait
plus d’apparaître.
Cette façade en bois, qui abrite certainement des salles de travail
ou de réunion, ne laisse pas imaginer qu’il s’agit du planétarium
de Vaulx-en-Velin.
Projet ambitieux pour une ville un peu déshéritée telle que
Vaulx, qui s’intéresse aux étoiles ici, qui peut venir à Vaulx pour
les étoiles ?
Une volonté politique d’affirmer que la culture est pour tout le
monde. Ça a dû marcher puisque la ville a obtenu des crédits
pour agrandir le guerrier japonais.
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L’ensemble est assez réussi et a su dissimuler le petit soldat de
tôle.
Seul ennui, quand le planétarium ferme, le bloc de béton noir
semble retomber au sol. Les rideaux métalliques qui protègent
les vitrages entre les piliers descendent, et l’élégant volume aérien
prend des allures d’entrepôt.
Mais pour ceux qui s’intéressent aux étoiles c’est certainement
très bien. Bonne visite.
(photo n° 80)
Un murmure, un petit air, une chansonnette, un timbre un peu
nasal, d’hier, comme la vibration des lamelles d’un accordéon
nostalgique.
Un art de vivre populaire, oublié, qui lie l’ouvrier aux saisons, à
la terre, à l’univers. Du temps où Ainay regardait d’un air
condescendant et amusé ces jardinets de banlieue. Ah !
l’ennuyeux et laborieux potager, quels bonheurs terre à terre,
quel goût…
On ne sait pas précisément où on est, le petit jardin d’une
maison qu’on ne voit pas, ou des jardins ouvriers.
Plutôt un jardin de maison, il y a la clôture sur un muret
maçonné, les dallages cimentés. On reconnaît les époques, les
fers en T qui tendent le grillage, qu’on retrouve partout à Vaulx.
Les potelets en tube creux, pour palisser les haricots ou la vigne,
qu’on a dû récupérer, le beau-frère avait une combine.
Seule intrusion du contemporain, les bordures en pin traité,
achetées en grande surface de bricolage ou jardinage.
Le printemps a déjà démarré.
Au fond, la partie potager, les semis sont déjà bien sortis.
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Devant, c’est le coin farniente, herbu. Le cerisier n’a pas encore
fleuri, des piquets sont prêts pour les futures tomates. Dans la
lessiveuse en tôle galvanisée, des plans attendent d’être repiqués.
Prudence, la terre doit être encore un peu froide.
L’arbuste grimpant s’entortille gentiment autour d’un poteau
métallique, sans doute la pergola qui protégera des rayons de
l’été.
Dans cette maison, la vie n’est pas trop austère, pas trop
laborieuse. Le jardin n’est pas entièrement consacré à produire,
produire, mais aussi à ne rien faire, profiter des amis, de la
famille.
Souvent le jardin n’était qu’utilité, on y allait que pour cultiver, la
maison ne communiquait avec le jardin que par la porte d’entrée,
les deux univers étaient séparés.
Les temps ont changé et avoir un jardin est un luxe dont peu
bénéficient à Vaulx.
(photo N° 81)
Michel Guénot
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Encore un sens interdit !
Il ne faudrait pas emprunter cette voie déserte, arriver devant ce
parc vide et oublier que notre regard bute sur le béton.
Nos sens n’ont pas le droit de citer.
Mon sens pratique me dit de prendre cette voie à contre-sens.
Mon sixième sens s’en mêle. La maréchaussée serait-elle par là ?
Mon sens moral doit être en vacances, je bifurque, envie de vert
et d’horizon. Je retrouve mon bon sens.
(photo n° 65)
Sylvie Charreyre
Ils restent là, le pied en l’air et risquent de rester ainsi
longtemps.
Ce ne sont pas des footballeurs prêts à shooter mais des verres
de vin.
Le vin, de messe ou laïc, ne fait plus recette à Vaulx, du moins
en public. Les gens s’enivrent autrement avec encore plus de
danger.
(photo n° 75)
Anonyme
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C’est un peu de printemps sur les branches, un printemps
blanc et léger qui se superpose aux feuillages verts et flous
derrière, ou est-ce de l’eau ? Une ombre traverse l’image comme
une barre oblique.
Les fleurs délicates bien dessinées au premier plan et cette
matière verte et floue à l’arrière plan, dont on ne sait si elle est
verticale ou horizontale. Contraste et envie que cette neige verte
contamine et fasse neiger les fleurs, anticipation du fané,
estampe japonaises trop mûre. « Auguste geste du Semeur ».
Tremblement de la matière, les fleurs secouées par le vent,
perdues dans l’oblique de la photo.
(photo n° 23)
Le ciel est orageux et au-dessus des dunes
De sable, en promontoire, la glissière
Ou ce que j’imagine tel.
Amas de matière sortie de la corne
D’abondance sous un ciel troué par le prochain orage, l’image
presqu’abstraite.
À quoi sert ce sable, il se solidifiera en ciment sans doute, vers
quelles constructions futures est-il en transit ?
C’est une glissière assez technique, alors pourquoi cette envie d’y
voir un capitaine sur la passerelle, guettant au loin ?
Peut-être à cause de la barrière de protection.
Transition de la terre vers le ciel avec cette glissière érigée.
(photo n° 72)
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Le fin réseau des brindilles d’arbre qui se rattache aux branches
couvre de sa dentelle particulière les planches en bois
alternativement horizontales et verticales de la façade de
l’immeuble.
Les vitres des fenêtres autant de béances brillantes. Les volets
tout en planches elles aussi horizontales ou verticales coulissent
sur les côtés et masquent les fenêtres formant un rythme
irrégulier.
Particulièrement émouvantes les traces de pluie sous les fenêtres.
Sensation globale de rythmes visuels. La brillance des fenêtres au
travers des brindilles. C’est un pays particulier fait de musique
visuelle. C’est l’interdépendance des motifs les uns par rapport
aux autres qui crée cette sensation de dentelle et de rythmes.
(photo n° 80)
Corinne Surrel
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Cette année-là, le printemps s’était réveillé de bonne heure et
avait chassé pour de bon le vieil hiver qui n’en pouvait plus. Les
vacances de Pâques promettaient des balades exceptionnelles.
Tout tremblait de l’envie des plaisirs à venir, jusqu’aux vélos
astiqués de frais sur le balcon.
La première journée restera d’ailleurs gravée pour toujours dans
la mémoire des quatre garçons. Ils ont quitté le quartier dès neuf
heures du matin, traversé la campagne ensoleillée et pédalé
jusqu’à l’aéroport. Ils ont regardé les avions s’envoler et se sont
raconté les voyages qu’ils feraient plus tard, quand ils seraient
grands, quand ils seraient riches.
Ils sont rentrés à la ville juste avant la nuit, épuisés et fourbus,
mais leurs têtes bouillonnaient de projets pour le lendemain.
Ils ont mal dormi, courbatus et assoiffés. Ils se sont réveillés
fiévreux et sans énergie. Ils se sont regardés les uns les autres et
ont trouvé qu’ils avaient de drôles de têtes. On aurait dit des
écureuils aux joues gonflées de provisions pour l’hiver.
La mère a craint quelque allergie aux pollens printaniers et leur a
imposé une promenade jusqu’au cabinet médical voisin.
Ils en sont ressortis avec les oreillons et l’interdiction de sortir
pendant une semaine.
Consignés à la chambre, ils ont voyagé dans leurs têtes aussi loin
qu’ils le pouvaient et se sont racontés leurs folles équipées. Matin
et soir, ils se ruaient sur les miroirs pour voir si leurs joues et
leurs cous avaient dégonflé.
28
Pendant ce temps, les vélos restaient entassés sur le balcon. Au
bout de trois jours, ils n’en pouvaient plus de rouiller sous un si
beau soleil. Ils ont commencé à imaginer un plan d’évasion.
Chaque nuit, ils s’entraînaient à grimper sur la balustrade. Les
pédaliers et les guidons s’entrechoquaient et ça trouait le silence
de la nuit. Ils suspendaient tout mouvement mais le vent sifflait
dans leurs rayons une petite musique narquoise.
La septième nuit, ils ont enjambé la balustrade.
Au matin, la mère a dit aux garçons que la quarantaine imposée
était terminée. Ils sont sortis sur le balcon mais les vélos n’étaient
plus là.
(photo n° 29)
Marie-Thérèse Durand
29
Quatre vélos au balcon
dressés sur leurs roues arrière
Ils disent le désir de rouler
Bleu ou noir ils attendent leurs guerriers
fiers de leurs montures au chrome luisant
Ils déambuleront dans les rues et prendront le chemin de
Miribel.
À la plage ils retrouveront leurs copains
les parents feront un barbecue.
Ils sauteront dans l’eau
L’eau est claire, ils se moqueront des lianes
qui s’enrouleront autour de leurs chevilles
La peau des garçons et des filles aux rires suraigus,
scintillera au soleil
Camille, Kamel, Laure, Kevin partageront le barbecue
puis les vélos retourneront se protéger sur le balcon
(photo n° 29)
Bleu outremer
Bleu ciel
Bleu canard
La Méditerranée ? Blanc oublié
Gris pisseux, noirci par le temps et la pluie
Tapis suspendus aux balcons : salon, chambres dévoilées
Paravent bleu : balcon transformé, vie cachée
La parabole ni bleue, ni vraiment blanche
Fièrement dressée, dit sa connexion
Au monde, aux rêves des pays
Inconnus si loin, si proches
(photo N° 46)
Claudie Thomas-Simon
30
Au centre, épicentre, vous trouverez l’incontournable,
l’essentiel, conseillé à une famille de cinq personnes dont les
besoins nutritionnels sont normaux.
Nous entreposons pour vous, à cet effet, les produits laitiers,
compactés dans un emballage écologique de moyenne durée,
homologué UE. Du pain, du vin, du Boursin et du 100% pur
bœuf.
Nous égayons l’épicentre de belles couleurs printanières. A
savoir, fanes de radis, scarole jaune écarlate et tendre, pommes
de terre terreuses, oranges récemment lustrées à la main, et
citrons aromatisés à la mode de chez nous. Uniquement de chez
nous !
Dans les allées périphériques, organisées sur un rayon de neuf
voies concentriques, vous dénicherez ce qui convient à chaque
membre de la famille. Butinage à votre guise.
Bonbonnerie pour les 7 ans.
Déguisage pour les filles de moins de 12 ans.
Bricodérapage pour les mâles.
Cosmético-voilage pour les belles femmes mûres.
N’oubliez pas de repositionner chaque produit sur le rayonnage
de référence. Tout est simplement classé par ordre alphabétique,
empreinte écologique spécifiée sur le boîtier au niveau de votre
main gauche. Merci de lâcher le caddie pour l’opération.
Il est l’heure, c’est votre heure, à vos butinages respectifs !!
N’oubliez pas la zone blanche, hors champ.
Bien qu’elle vous éloigne de l’épicentre et de vos besoins, elle
vous convie à la flânerie. Adonnez-vous à la consommation
pédestre.
Dans les 36 zones périphériques, laissez-vous guider par votre
œil. Vive les couleurs, votre nez, vive les odeurs, vos papilles et
vos envies !!
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N’oubliez pas de rejoindre l’épicentre de notre cellule pour
réclamer vos points, avantages et échantillons gustatifs. Nous
aurons de nouveaux engagements professionnels la semaine
prochaine !! N’oubliez pas ! Nous sommes votre providence.
Vous êtes celui qu’il nous faut, et vous êtes là où il faut. Vous
êtes chez Casino.
(photo n° 46)
Il fera 24 degrés à Tamanrasset, 15 à Alger, 15 à Paris, 11
degrés à Hambourg, 13 à New York, normales saisonnières un
peu partout…
Dépêche-toi, je te dis ! Je ne vais pas le répéter deux fois.
Ça va, j’y vais. J’y vais, j’te dis.
Quand j’aurai fini de secouer les tapis, t’auras ta dose. Mon gros.
Oh, t’es content, là !!! Tu réclames, hein, que tu réclames !!!
Mince les trois pots sont fendus. C’est le gel de la semaine
dernière, j’aurais du les rentrer.
Qu’est ce qu’il fait, l’autre, à c’tte heure ?
Toujours à jeter un œil, à traîner là où faut pas.
L’ascenseur est en panne, M’man. J’descends à pied, je prends
pas les poubelles. Demande à Joris. Bye.
Joris, il prend son temps. Il ne parle pas. Il n’a pas que ça à faire
lui non plus !! Il regarde les volets d’en face, les couleurs.
Il fait ça chaque matin, la liste des couleurs des volets fermés et
des fenêtres ouvertes. Rose, blanc, il compte à partir du bas, les
fenêtres avec rideaux. Deux, trois, quatre, cinq. Les volets
fermés, tirés, deux, quatre, sept, onze.
Les volets à moitié fermés, deux, quatre… Et au rez-dechaussée, il compte les nouveaux habitants. Le tigré, la noiraude,
le gris, le petit gris.
32
Son regard escalade la façade toute entière. Il fait un pari, un truc
mathématique. Combien ? Combien de fenêtres complètement
fermées, j’veux dire fermées pour éviter les draps qui pendent, le
vent qui entre, le bruit de la rue.
Ils les appellent les fenêtres au repos.
Combien ?
Clic de l’œil, clic de l’autre. Joris dit à la louche vingt-cinq. Et
c’est parti, il compte en commençant par le bas. Un, deux, trois.
Joris
Quatre, cinq, six
Joris, Joris, j’te dis !
Sept, huit, neuf , Joris, non de Dieu !
Dix, douze. Joris, j’vais me fâcher !
Putain, elle va me faire tromper. Faut que je recommence tout.
Aujourd’hui, douze, ce sera un maximum.
Le gamin a déguerpi, vite fait, tiré par l’oreille par une main
invisible.
La porte du balcon claque. Le rideau se coince entre les deux
battants. Tant pis.
Demain, se dit Joris, j’attaque les balcons, ça sera plus vite fait.
Demain il fera 12 degrés à Lyon, 14 degrés à Paris, à Nantes, ça
sera un peu mieux.
Et chez moi, dit la petite voix, ça sera quoi, hein, tu dis quoi ???
Puis, elle poursuit pour elle toute seule.
D’accord. Et c’est une plus grosse porte qui claque et qui le fout
dehors.
(photo n° 46)
Christine Allot-Bouty
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Très pété,
Trépané,
Tremblotant,
Titubant,
Pathétique,
Plein de tics,
Yeux troués,
Crocs pointés,
Ce pauvre type
Prend aux tripes
(photo n° 49)
Peut-être faucille et marteau entrelacés ont-ils pris en tenaille
jadis, trop de vies.
Là, il n’y a point de risque et l’emblème redevient sympathique.
La rondelle évoque presque nos vieux presse-purées, les céréales
ressemblent à du chiendent mais je sens une vraie conviction
chez celui qui a imaginé ce symbole.
(photo N° 67)
Danièle Bazin
34
2 yeux
2 globes
attendent,
2 doigts
2 mains
2 bouches
attendent,
du rouge, du blanc,
du pétillant,
du guttural, du viscéral
du lacrymal
attendent surtout et avant tout,
qu’on les bascule.
(photo n° 75)
Olivia Thery
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Henri Barbusse
Il est là sur la place du village. Personne ne le remarque, ne le
regarde. C’est le buste d’un illustre inconnu sur un support.
Et pourtant rien qu’à Vaulx-en-Velin une rue et un collège
portent son nom : Henri Barbusse.
Ce qui lui vaut d’être connu de tout le monde, mais demandez à
l’homme de la rue ce qu’il a fait, vous aurez une moue dubitative
suivie d’un borborygme comme un prout dans la bouche…
Henri Barbusse est un écrivain né à Asnières en 1873, cévenol
d’origine par sa famille dont on retrouve la trace jusqu’au
XVIIème siècle à Anduze près d’Alès.
A vingt-deux piges, Barbusse est déjà reconnu dans le milieu
littéraire par sa poésie en participant à des concours prestigieux ;
il se distingue par un poème intitulé Pleureuses. Puis il se tourne
vers la prose et il publie L’enfer, un roman qui attaque la société
et ses institutions. Barbusse écrit son livre tard le soir après sa
journée de labeur. Il y raconte la vie d’un homme qui une fois
dans sa chambre d’une pension de famille observe la vie des
occupants de la chambre voisine grâce à une légère fissure dans
le mur.
Avant la guerre de 14-18 Henri Barbusse est un pacifiste actif,
mais en tant que bon français il est plein de contradictions et il
s’engage volontairement dans l’infanterie. Il a quarante-et-un ans
et ne manque pas de souffle pour rejoindre l’enfer des tranchées
malgré de sérieux ennuis pulmonaires. Il y reste vingt-deux mois,
notant sur un carnet de manière méticuleuse tout ce qu’il voit,
entend et subit : langage des poilus, leurs expériences vécues,
leurs peurs, leurs craintes et sa vision de l’horreur qu’il vit
intensément. En 1916 Barbusse est en convalescence à Chartres
puis à Plombières où, grâce à son carnet, il rédige un roman
relatant la vie dans les tranchées : Le Feu. Les soldats du front,
36
les femmes à l’arrière et le peuple sont enthousiasmés par son
récit qui sort en feuilleton dans le quotidien L’Œuvre. Autre son
de cloche dans l’état major de l’armée, bien à l’abri dans son
bureau, qui conteste le roman, d’après eux, mensonger sur de
nombreux faits. En 1916, la censure et la propagande de l’armée
en temps de guerre minimisaient l’horreur des tranchées.
N’empêche, grâce à ce témoignage il gagne le prix Goncourt en
1916.
Henri Barbusse aime la révolution russe, ça rime bien ! Il anime
la revue Clarté et cherche à définir une littérature prolétarienne.
Dès qu’Hitler accède au pouvoir, il fonde avec d’autres le
mouvement pacifiste Amsterdam/Pleyel. Il est rejoint par
Romain Rolland et Albert Camus. Il fait plusieurs voyages en
URSS et publie en 1935 une biographie de Staline. Ses propos ne
sont sûrement pas très aimables pour le soi-disant Petit père du
peuple car il meurt subitement à Moscou en août 1935 ; on
soupçonne Staline d’avoir commandité un crime par
empoisonnement.
La population parisienne lui rend un hommage particulièrement
important et chaleureux au cimetière du Père-Lachaise.
(photo n° 68)
Serge Bagu
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Jeunesse à l’abandon (tercets)
Tous les trois se sont retrouvés
Sur un banc de béton tagué
Chacun son pack a amené
Avec leurs smarts ils ont tchatché
Puis ont descendu les canettes
Et leur musique rap écoutée
Vomissant sur la société
L’alcool à la tête leur montant
A grand bruit se sont injuriés
Une voiture de flic est passée
Laissant les cadavres sur le sable
Dans la nuit ils se sont cassés
(photo n° 61)
Air de quoi
Si certains aiment avoir les pieds à l’air
Sur le balcon on a les roues à l’air
Là-haut accrochés par nos chambres à air
Quand d’autres s’envoient joyeusement en l’air
Et bien nous aussi sans en avoir l’air
On aimerait tant s’envoler dans les airs
Et de vos jeux donner une nouvelle aire
(photo n° 29)
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Volet brisé (triolet)
Les volets aussi
A force de cacher
Des amours brisés
Les volets aussi
Finissent par s’user
En lambeau chuter
Les volets aussi
A force de cacher
(photo n° 34)
Fruits d’amour (tercets)
Deux sacs je vous ai apportés
De pommes et d’oranges chargés
Ils sont pendus à votre fenêtre
Peut-être auriez préféré
Comme dans les romans roses
Un bouquet tendre d’orchidées
Mais les fleurs ne font que mourir
Et les fruits comme nos amours
Prendrons le temps de mûrir
Votre vieux mari n’en saura rien
Avec délice en les croquants
Vous penserez à votre amant
Deux sacs je vous ai apportés
De pommes et d’oranges chargés
Prenez qu’un oiseau ne les vole
(photo n° 48)
Songe de tour (rondeau)
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Je suis la vieille tour
Je régnais fière sur le bourg
Quand il y avait des champs
Que semaient des paysans
Les terres sont devenues tours
Qui seront vieilles à leur tour
Quand bientôt viendra le temps
Je suis la vieille tour
Debout seront-elles toujours
Comme moi usées par les vents
Ou bien rendues au néant
Converties en verts faubourgs
Je suis la vieille tour
(photo n° 69)
Évasion (tanka)
Mon rêve s’est échappé
Drapé de couvertures
Grilles geôlières
Étouffant les cris du mur
Mon cœur a pris froid
(photo n° 32)
Joueur de foot (triolet)
Quand j’serai grand, je serai footballeur
Mais ma mère voudrait que je sois plombier
Au dribble je joue comme un vrai danseur
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Quand j’serai grand, je serai footballeur
Dans l’équipe c’est moi le meilleur buteur
Avec le ballon je me marierai
Quand j’serai grand, je serai footballeur
Mais ma mère voudrait que je sois plombier
(photo n° 42)
Au bord de l’eau (triolet)
Au bord de l’eau elle est si bien
Allongée sur la grève
Elle prend du soleil un bon bain
Au bord de l’eau elle est si bien
Dans son sac une sonnerie soudain
La sort de ses doux rêves
Au bord de l’eau elle était bien
Allongée sur la grève
(photo n° 22)
Barrière rouillée (rondeau)
Derrière la barrière rouillée
Une famille s’est installée
Une maison elle a construit
Là les enfants ont grandi
Dans la cours ils ont joués
La mère gardait le foyer
Le père au travail était parti
Derrière la barrière rouillée
Mais le temps vite a passé
41
Seul un vieux chien endormis
Garde encore le souvenir.
Des enfants loin envolés
Derrière la barrière rouillée
(photo n° 57)
Gilles Garaudet
42
Le petit Pierre se plaît à regarder les photographies que ses
tantes Isabelle et Christine lui offrent parfois. Celle qu’il
contemple aujourd’hui, toute en reflets, l’attire en particulier. A
la réalité dure et froide, Pierre préfère le tremblé scintillant des
reflets, clés de son imaginaire. Son regard parcourt le paysage.
Cette route liquide l’engage au voyage, et le voilà dans la photo.
Omnipotent.
Pierre peut voler, marcher sur l’eau, et ne s’en prive pas.
Sous ses pieds, le bleu profond du ciel va en se diluant.
Des branches légèrement vêtues se courbent en gracieuses
révérences sur le miroir du ciel alors que les étendards, hissés sur
des perches, flottent hors du cadre.
Voilà la haie d’honneur du prince de l’eau.
Le chemin s’amenuise pour le conduire à une petite
construction.
En s’approchant, le prince Pierre découvre un pont.
Un pont qui ferme le paysage. Pas de visa au-delà…
Le conquérant est-il arrivé au terme de son voyage ?
Oh non…
Pierre retourne le cliché, tout doucement, pour ne pas renverser
l’eau.
Le pont devient barque et même navire.
Les arbres se dressent au ciel.
Les perches s’élancent, les étendards claquent au vent.
Droit devant, le bleu profond, l’embouchure et la haute mer.
Le prince-amiral va rejoindre son armada.
(photo n° 14)
Christian Letellier
43
L’arbre reste un arbre
Même sans feuille, dépouillé
Il reste massif et majestueux
Le temps n’a pas d’emprise sur lui
On a beau le couper, le tondre, l’écorcher à vif
Il reprend et refleurit de plus belle en traversant les années, sans
mot dire,
Il nous parle, nous nargue et nous rappelle combien nous
sommes fragiles, nous les hommes d’ici-bas, nous simples
mortels
Nous le croisons sur le chemin qui mène vers la Rize, il est là
Immortel, enfin pour quelques centaines d’années, car tout finit
par mourir
Arbre dénudé, reste majestueux et digne même dans le plus
simple appareil.
(photo n° 18)
Naziha Chalabi
Légèreté, vent qui ébouriffe les hautes graminées, eau ou air
diaphane au second plan, voilà Vaulx comme je l’aime !
On se croirait ailleurs !
(photo n° 20)
Danielle
44
Sur une façade grise aux carreaux emmurés, de petites vitres
résistent à la fragmentation des villes. Elles racontent leur
histoire aux passants vifs argents.
Les coccinelles sont venues se poser l’espace d’un instant pour
mieux repartir chargées de lumière.
Les ballons urbains des banlieues de l’Est ont trouvé leur place
dans cet espace quadrillé.
Des soleils fictifs se miroitent et prient dans le chaos d’un
univers devenu de plus en plus anti-végétal.
Et les traces de doigts des enfants qui laissent leur insouciance
tout comme leur fragilité sur le mur de la mémoire universelle.
(photo n° 43)
Comment ont-ils fait pour siffler des bières sans avoir eu à en
décapsuler le goulot ? C’est incroyable tout de même ! Toutes
ces bouteilles vidées sans la moindre marque d’effraction. A ce
niveau là, c’est de l’Art. Manquerait plus qu’à l’intérieur ils y aient
fait entrer une guêpe. La pauvre, pas moyen d’en réchapper. Tel
est pris qui croyait prendre. Bon par contre, pour ce qui est du
carton, ils l’ont plutôt fait à l’ancienne : à mains nues, à l’arrache,
ils ont sorti le contenu de son emballage et les bouteilles de leur
contexte. Mais ce serait vraiment dommage que de les mettre en
prison pour si peu.
(photo n° 61)
Christophe Jasseron
45
Ça me rappelle mon ancien quartier. Mon enfance, mes
voisins… Bref, un immense souvenir.
(photo n° 47)
Anonyme
(ancien habitant du Mont Cindre)
Mon premier toboggan.
(photo n° 47)
Aya Safa
J’appelle pour savoir où tu es,
J’ai envie de savoir ce que tu fais,
Je te fais comprendre que tu me plais
Car je suis tombé amoureux de la personne que tu es.
Étonné de savoir que je te plais,
Confus et heureux de pouvoir être à tes côtés,
Je te donne rendez-vous pour qu’on puisse se rencontrer
Je raccroche en attendant ton arrivée.
(photo n° 54)
Anonyme
(Vaudais, 20 ans, basketteur, danseur)
46
Non
La vie ?
Non, ce n'est pas un fleuve tranquille où tout se passe bien.
La vie, c’est compliqué. Ce n’est pas si simple de survivre aux
problèmes qui peuvent nous dévorer. On se sent si faibles contre
cette douleur qui nous pince, nous fait mal. Le reflet de notre
haine et impuissance dessine sur notre visage si fatigué à sourire.
On pleure, sans raison et on s’enferme sur nous-mêmes. On a
l’impression que le monde nous trahit et se sert de nous. On en a
tout simplement marre. On repense au passé, où tout se passait
bien. Tu étais entre tes deux parents en train de rire, portant
entre tes petites mains innocentes un boucan de roses. Tu étais
au milieu de la nature, au milieu de la joie. Tu étais libre.
Maintenant, tu te demandes pourquoi tant rester si personne ne
t’aime. Pourquoi faire tant d’efforts, alors qu’au final, personne
ne le remarque.
Mais ne passe jamais à l’acte. Tu te dis que tout le monde sera
content mais tu te trompes. Peut-être que ça ne se voit pas. Peutêtre que tu en as marre d’attendre mais faut être patient. Le jour
viendra où tout se réglera. Pas à pas, tu réussiras. Tu réussiras à
monter les escaliers de cette épreuve. À trouver l’amour et
l’amitié. Seulement, attends. Respire et sois celle que tu
souhaites. Verse des larmes, c’est la preuve de la force et du
courage. Car ça témoigne du chemin que tu as fait jusqu’ici. Oui
tu as survécu.
Crois en ta vie et à sa douceur.
Comme dit quelqu’un : « Si aux yeux du monde tu n’es rien, aux
yeux de quelqu’un tu es le monde. »
(photo n° 10)
Chaïmaa Hamdaoui
(12 ans)
47
L’après-midi, le soleil couchant couvre la rivière.
Les reflets des arbres embellirent la rivière.
Les fleurs, les vaguelettes, les branches plongent dans la rivière.
Les branches se suivent jusqu’ à l’infini.
(photo n° 15)
Maryem Hamdaoui
(12 ans)
48
C’est un balcon. Je vois derrière un mur blanc, des pots de
fleurs, des pots vides, une canne, une parabole, des sacs
plastiques, des tabourets, un placard, des pichets d’eau.
(photo n° 3)
Derrière le nuage blanc, je vois un bâtiment blanc, la route en
chantier, des lampes qui éclairent, un panneau de sens interdit,
des jeux pour enfants, des plantes, des arbres, des routes, une
voiture. C’est le printemps.
(photo n° 65)
Aïcha Benaïda
(Atelier de l'Espace Carco)
49
Derrière les murs dans la rue
Il y a ces visages sculptés dans la pierre qui nous rappellent les
horreurs de la guerre.
N'empêche que cela continue !
Au nom d'une soi-disant religion, on ne respecte pas les écrits.
Ne les laissons pas foncer dans ce sens interdit qui débouche sur
l'extermination
De nos idées si durement acceptées.
Pourquoi plutôt celle-ci qu'une autre ?
Chacun la défend corps et âme. Pas besoin d'en venir aux armes
pour que la paix soit enfin des nôtres.
Des verres attendent collés l'un contre l'autre la fin de ces
hostilités
Pour être enfin remplis de cette liberté qui triomphera
J'en suis sûre un jour ou l'autre.
(photo n° 1, 65 et 75)
Gilbert Fayard
(Atelier de l'Espace Carco)
50
Il est cinq heures, je prends le chemin qui mène le long de la
Rize.
Il est cinq heures, je perçois les premiers bruits de cette nature si
fragile, si précaire, si hasardeuse. Cet instant magique où l’on
découvre les premières violettes de printemps au pied de cet
arbre qui sent bon la vie sur plusieurs générations.
J’avance entre ombre et soleil et j’aperçois les roseaux et autres
herbes qui donnent vie à la Rize. Oh, une grenouille, elle se
faufile entre les herbes folles.
Plus loin, une petite place où l’on perçoit une personne prenant
le soleil tout timide du printemps. Il brille aussi sur le Rhône qui
prendra son embouchure à la mer.
Il est cinq heures du soir et une légère brume dessus la Rize, et je
rêve devant cette nature, avant de rentrer dans la ville de
poussière.
(photo n° 16/12 et 21)
Dominique Vinchon
(Atelier de l'Espace Carco)
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Un petit carré (un appart)
N° 38 de 30 M2
Au 3ème étage sans balcon
Vit une jeune fille
De 50 ans sans enfant
La la la la la la la
Laha laha la la la
La jeune dame vit en sombre
Il fait chaud
Ouvre la fenêtre, je prends l’éventail
Commence à voler sans ailes
La la la la la
Laha laha laha laha la la la
Elle bouge, elle marche
Elle chante, elle hurle
Le balcon, le balcon, le balcon
Il est où le balcon ?
Pourquoi je n’ai pas de balcon ?
J’espère que j’aurai un balcon !
Lah la la la la la
Laha laha la la la
(photo n° 3)
Naïma Amamra
(Atelier de l'Espace Carco)
52

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