Regarde et écoute - Dans Tous Les Sens
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Regarde et écoute - Dans Tous Les Sens
Festival Écriture Hors Les Murs Édition 2015 REGARDE ET ÉCOUTE Promenades en paysage urbain Dans Tous Les Sens 2 « Découvrez la ville de Vaulx-en-Velin de façon insolite et racontez-nous des photographiques. » histoires tirées de ces promenades Cette proposition d’écriture faite dans le cadre d'Écriture Hors Les Murs aux membres de l’association Dans Tous Les Sens et à différents ateliers d’écriture, a rencontré un vif succès. Ce livret en est le résultat. Quatre-vingt-trois photos prises par nous-mêmes et Serge Bagu ont été proposées. Vous pouvez les retrouver sur le site internet de l’association www.danstouslessens.org. Bonne lecture. Christine Allot-Bouty et Isabelle de Cormis (Participantes aux ateliers d'écriture permanents de Dans Tous Les Sens – initiatrices du projet) 3 4 La lumière tombe à cette heure tardive entre les grands immeubles. Le couchant se reflète dans les carreaux d’un garage délabré. Les gosses jouent en bas à se courir après en riant. Des mamans et des familles entières au milieu des cris des enfants. Trois gars refont les freins d’une voiture orange montée sur cales. Plus loin on prépare la soupe à la fête des petits frères des Pauvres. L’odeur des légumes chauds et la musique qui bat au rythme des cœurs légers. Les grands ciels de Vaulx répandent leur bienveillance, le bonheur s’appelle fraternité et se rit parfois de la pauvreté. Dans les yeux brille une vérité sans fard qui sont les fenêtres généreuses de la vie, avec ses joies et ses drames qui se jouent derrière les façades d’une ville. Vérité des habitants d’un ensemble aux multiples aspects incarnés par deux personnes marquantes de la ville, maintenant disparues. Je revois Nass, palabrant avec des copains à la terrasse de la brasserie un dimanche matin sous le soleil. Et Jean-Pierre, homme fraternel de Vaulx avec qui les gens de Dans Tous les Sens montaient les installations et dressaient les tentes d’Ecriture Hors Les Murs. (Ensemble de photos) Henri Brosse 5 Derrière les murs dans la rue Laisse couler ton regard Tu verras tu verras Juste un regard Loin loin comme un souffle Cent fenêtres allumées éteintes font signe à la vie Petits rectangles d'air Sur parois de béton (31) Regarde par-delà les fenêtres Alignements à géométrie variable (56) En hommage à la rue Laisse s'échapper ton regard Tu verras tu verras Le monde prêt à fleurir Et Vaulx en ville sourire Coquelicots rubis sertis de vert Au détour d'un talus (8) Arbres embrasés de rose A la lisière d'un jardin (71) Violettes constellations d'amour Autour de l'arbre soleil Laisse briller ton regard Tu verras tu verras Là-bas au fil vermeil de la Rize Vaulx en ville mystère 6 Une bouteille à la dérive sur un océan de lierre (77) L'eau dentelle de lumière Glissant entre les saules (24) Arbustes Narcisses aux reflets d'or oubliés sur un fond de galets (19) Regarde regarde Et tu verras tu verras... aux portes de ta ville aux portes de la Vie. (Ensemble de photos indiquées entre parenthèses dans le texte) Alexandra Calavassy 7 Des visages Ils sont venus en masse Serrés les uns contre les autres Comme répondant à un appel Comme lorsqu’ils sont partis Leurs yeux implorent un regard Un leurre encore ? Ils sont seuls Définitivement Comme à l’ultime déflagration (photo n° 1) Ah ! qu’il est doux d’avoir un balcon Non pour s’y prélasser Mais pour y stocker L’antenne parabolique Le placard bas, qui fut blanc Le placard un peu moins bas Dessus marron, façon noyer 8 qui fut blanc aussi Il supporte un vase blanc ventru Frappé de fleurs - stylisées Rose vif, bleu vif, grises avec quelques pointes de vert, Dans l’attente d’un bouquet Un pichet en grosse faïence marron Déjà vu, mille fois Un boc à bière bleu-gris Déjà vu autant de fois Un sac plastique fin d’une opacité trouble - Donne peu d’indices sur son contenu A l’extrémité gauche Un gros pot de plastique bleu-vert avec des plantes bien vivaces Des feuilles jaunes prennent leur élan Une plante grasse laisse échapper une fleur rose Une lampe leur fournirait-elle de la chaleur ? Sur un tabouret de bois Un autre pot en plastique avec, peut-être une bouture de la variété précédente ? En dessous, un pot blanc, libre D’un autre montent deux tiges malingres Une planche de récupération rehausse deux grands cache-pots 9 carrés et jaunâtres Celui du bout dupliquerait les végétaux précédents Mais celui du centre déborde de fleurs roses épanouies qui se hasardent même au-delà de la rambarde métallique Bien planté en oblique Un manche gris Terminé par un embout noir Qui pourrait être Un balai, une béquille à la renverse ? Il me plairait que ce soit une béquille Au repos ou devenue inutile mais dont on ne se débarrasserait pas pour conjurer le sort Et si cet entre le dedans et le dehors se préparait au prochain concours des balcons fleuris ? (photo n° 3) Un voile à peine perceptible Danse sur les galets Quelques ombres de branches Taquinent les éclats du soleil Pas de traces de pas Sur la rive sablonneuse Mais une étiquette 10 Solidement amarrée Scotchée aux pierres Des cercles verts, une étoile rouge La marque blanche inscrite Sur fond noir C’est elle à n’en pas douter Comme s’il ne lui suffisait pas D’être imprimée dans les têtes Elle s’immisce dans le limpide Sa fragilité face au courant Démultiplie sa force Le gargouillis de l’eau Fait trembler ses bords Mais elle ne lâchera pas Autour, la rivière offre ses mosaïques Et l’œil s’acharne à décrypter formes et couleurs (photo n° 24) Annie Fantino Luyssen 11 Tous ces regards que l'on ne voit plus Dans les ghettos de l'histoire fragmentée Qu'un jour le temps de la condamnation Dévoilera sur la parole d'une foule Portée par la force de la liberté, Les lignes inébranlables de l'égalité Pour lieux sacré de la fraternité, Cette rencontre de la flamme de l'espérance Avec l'éloge des visages de l'humanité. (photo n° 1) Jelh O'Lem 12 Il ne lavait pas les fenêtres, même si dehors était gris. Le ciel était gris, les murs étaient gris. Mais les arbres, verts, renaissant de toutes leurs feuilles, avaient emprisonné le soleil, et luisaient sous la pluie. Il ouvrit la fenêtre pour sentir l’eau s’évaporer sur l’asphalte. Gris, et seuls les arbres attestaient de la présence de l’horizon, de la petite colline verte, loin, au milieu des immeubles, des parcs, du canal à côté de la cité de pierre. Il respirait, enfin, après l’hiver long et lourd, la pluie fraîche, et il était content rien que de pouvoir se sentir rafraîchi. Quand il tourna la tête, son bordel monstre le rendit heureux, les armoires débordantes, les tiroirs qui ne fermaient plus, les étagères pliées sous le poids des livres, et les papiers par terre, la pièce minuscule, le ciel gris par la fenêtre qu’amenait le vent, les murs éteints, la porte ouverte sur le long couloir petit, étroit, le miroir au fond, la porte et le ciel gris, les portes et les cieux gris, la fumée de cigarette dans la tasse de café. (ensemble de photos) Céline Gasser 13 « Vends appartement, trois pièces, deux belles chambres, salon, cuisine séparée, toilettes, sdb, bonne exposition, avec balcon. » C’est le balcon qui a attiré son attention. Coincée dans son studio quasiment aveugle, elle a tout de suite imaginé sa vie « avec balcon ». Elle aurait des plantes, et même des bacs de fleurs. S’il est bien protégé, elle pourrait l’aménager en installant un meuble, une table et des chaises. Ce serait le plus joli coin de l’appartement. Et puis les années passeraient. Ils auraient un enfant, peut-être deux, le satellite et sa parabole. Les rebus, les trucs qui traînent et qu’on ne met pas dans le placard parce qu’il n’y a plus de place finiraient sur le balcon. Et son petit coin de paradis, son lieu d’agrément, deviendrait la pièce à bazar. Ce qui la déprimerait d’autant plus qu’elle s’exposerait aux yeux de tout l’immeuble. « Vends appartement, trois pièces, deux ch., gde pièce à vivre avec cuisine américaine, sdb, toilettes séparées. » (photo n° 3) Allo, Allo ! Tu m’entends ? Mais qu’est-ce tu fous ? On poireaute depuis des plombes. Mais tu m’entends ? Allo ? Putain, j’ai plus de réseau. Allo ? Tu fous quoi là ? Rapplique, on t’attend. Allo ? Bon, j’te rappelle. (photo n° 54) 14 Depuis qu’il savait lire, c’est-à-dire quelques mois à peine, il venait tous les jours au bord du canal. Enfin, les jours où il faisait beau temps. Cet endroit, il le connaissait depuis qu’il était tout petit. Il y venait avec ses frères, avec ses copains, avec son papa le dimanche matin. Pendant longtemps, ça avait même été sa promenade préférée. Son père enfilait sa veste, son pull, son manteau en fonction de la saison, il l’habillait également en tenant compte de la température extérieure et disait : Chérie, j’emmène le petit au bord du canal. Et ils partaient tous les deux. Les grands ne venaient jamais : pas encore levés, parfois même pas rentrés de leur virée nocturne. Son père, qui fumait rarement, tirait toujours son paquet de cigarette de sa poche dès qu’ils atteignaient l’eau. Et il fumait lentement, très lentement, en souriant. Il était bien. Il serrait sa petite main et lui disait : va courir un peu. Alors il partait à l’aventure, le long des berges, parmi les hautes herbes. C’était un monde nouveau où les joncs et les herbes folles remplaçaient le béton, le cri des grenouilles se substituaient aux rumeurs du voisinage et la libellule, par les chaudes matinées d’été, vrombissaient dans l’air comme un avion zébrant le ciel. C’est là qu’il l’avait découvert, le panneau bleu couvert de mystérieuses inscriptions blanches. Et plutôt que de demander à son père ce qui était écrit, il avait gardé ce secret pour lui seul. Puis, il avait eu six ans, était entré au CP et avait appris à lire. C’est presque par hasard qu’il était retombé sur le panneau bleu, un matin d’aventure. Il était avec ses copains et essayait d’attraper des grenouilles. Il déchiffra les lettres blanches. Et s’illumina. Sa vie bascula. 15 Depuis ce jour-là, chaque fois qu’il faisait beau temps, il courait au bord du canal, se postait près du panneau bleu et tel le capitaine Achab il guettait le moment où il apercevrait son Moby Dick. (photo n° 9) « Aïcha, Pascal, Meegan, Médhi, venez ici, tout de suite ! » Raphaël s’époumone, crie, hurle. Pour rien. Aucun enfant ne bouge. Ils sont plantés là-bas, contre le mur, accrochés aux ballons. Ils attendent. Ils sont chouettes ces ballons. Jaune, rouge, vert, bleu, violet… Ils donnent envie de s’envoler sur la route du bonheur. C’est le petit Ahmed qui a dit ça le jour où ils ont été peints. S’envoler sur la route du bonheur. Ça leur a tellement plu qu’ils l’ont écrit sur le mur. Et depuis les enfants jouent. Ils jouent aux ballons qui s’envolent sur la route du bonheur. Ils y jouent tellement sérieusement que Raphaël se dit qu’un jour, s’il ne fait pas gaffe, il ne les retrouvera plus. Un jour, ils s’envoleront sur la route du bonheur. Pour de vrai. (photo n° 44) AIKUS VAUDAIS Papillons laiteux Reflets sur l’onde fraîche Éclairent le jour (photo n° 13) 16 Murs de silence Par-delà les portes closes Couleurs oubliées (photo n° 39) Un pantalon, un polo, un tee-shirt, encore un pantalon, un débardeur, une chemise à fleur… Suspendu à son fil, le linge sèche, à l’air libre. Il évoque les petits villages italiens, les ruelles étroites de Venise, les rues pentues de Porto ou de Marseille. Il est le Sud et la chaleur, les voix qui s’interpellent, les cris des mammas qui disent qu’il est l’heure de manger. Il expose sans fausse pudeur le pantalon du travailleur, le survêtement du collégien, la mini-jupe de l’adolescente. Il sent bon, même de loin. Le vent s’engouffre dans les manches, gonfle les draps qui deviennent voile blanche. Il crée un désir d’ailleurs, de voyage. Il est un petit bout de vie de tous les jours étendu là, contre le mur, banal et indispensable. Il n’est pas loin, il est au coin de la rue, ici, à Vaulx-en-Velin. (photo n° 82) Isabelle de Cormis 17 C’est la ligne de démarcation. Le Canal de Jonage où le Rhône détourné peine à retrouver ses forces après avoir mouliné du Kilowatt. On chercherait en vain Vaulx-en-Velin. On voit de l’autre côté, Villeurbanne, Laurent Bonnevay et l’espèce de construction en tôle blanche, style un peu Goldorak, l’Astroballe. D’habitude on passe d’une ville à l’autre sans s’en rendre compte, on tombe soudain sur un panneau, ah bon, on n’avait pas perçu de différence dans les accents, les types ethniques, les mentalités, le style vernaculaire des constructions, les particularismes. Ici, il y a cette frontière physique mais artificielle, le canal, fleuve industriel. Sans qu’on sache précisément où est la limite, au milieu de l’eau, d’un côté, de l’autre ? Cette photo ne nous renseigne pas beaucoup sur notre ville, ou bien en miroir ? Peut-être que c’est le pays qu’on voudrait habiter. Nos envies, nos désirs profonds nous sont révélés. Villeurbanne, c’est autrement plus chic, sur la photo ça ne saute pas aux yeux, faut dire que c’est le Villeurbanne des confins qui jouxtent Vaulx. Mais la pauvreté nous retient de ce côté-ci du canal. Ou alors, c’est notre repoussoir. Villeurbanne a perdu sa mentalité populaire. C’est devenu une ville bobo, dit-on. Chez nous, c’est mieux, c’est plus solidaire. L’autre côté de l’eau nous renforce dans notre appartenance Vaudaise. Laissons couler l’eau du canal. (photo n° 11) 18 Attention, quartier interdit. C’est ce que nous dit ce sens interdit, non ? C’est ce que voulait dire le photographe, derrière une photo, il y a toujours un photographe, n’oubliez pas. Ou alors il le voulait, mais inconsciemment. Cette histoire d’inconscient est un peu éculée. Aurait-il cadré sans se rendre compte qu’il y avait ce panneau au premier plan, c’est un peu gros, même si ce n’est pas un professionnel, qu’il ne l’ait pas vu. Il aurait pu la faire depuis le trottoir d’en face. En tout cas, ce panneau explique que je ne reconnaisse pas ces immeubles, je ne pouvais pas les voir, je ne suis jamais passé par là, puisque c’est en sens interdit. C’est une des vertus de cette photo, m’expliquer pourquoi je n’ai pas pu voir ces immeubles, du moins sous cet angle. En fait, à Vaulx je circule plutôt à vélo, les panneaux, à vélo, on s’assoit dessus, surtout à Vaulx, sitôt passé le canal, l’airain de la loi devient plus plastique. D’autant qu’à Vaulx, il n’y a pas beaucoup de cyclistes. Oublions ce disque impérieux, et un peu omniprésent, même s'il n’occupe peut-être que trois pour cent de la surface. Il y a certainement des zones qui comptent plus que d’autres, comme au scrabble. Est-ce qu’on regarde une photo comme on joue au scrabble ? Remarquons que la rue vient d’être refaite, les bordures encore brillantes de leur quartz, l’enrobé de la chaussée a gardé un peu de sa liquidité, j’adore le coaltar humide, ces ruisseaux pétrifiés. Les arbustes ne semblent pas encore remis d’avoir été transplantés ici, les lampadaires sentent encore le design frais, trop cool ces lampadaires, très contemporains, non ? Donc, le sens interdit n’est pas accroché depuis longtemps au lampadaire, la rue était peut-être plus large, à double sens, ou bien elle n’existait pas, oublions donc le panneau. Bon, la photo montre des immeubles de Vaulx-en-Velin, banlieue pauvre de la périphérie, du gris, du béton, du logement social, ou pas, mais c’est au moins cinquante pour cent du logement à Vaulx, la question n’a pas grand intérêt. Tous les 19 poncifs, les archétypes, les ingrédients d’une dramaturgie un peu facile, d’une scène de banlieue. Les quartiers dit-on. On voit des barres d’immeuble, c’est le terme générique, qui ne qualifie pas nécessairement la forme, plutôt une certaine brutalité, un surgissement dans le paysage. Notre œil, notre cerveau est comme précontraint à ne distinguer que des barres. À observer, on s’aperçoit qu’on est dans quelque chose de plus compliqué, de moins monolithique. En mettant de côté la tour qui dépasse un peu, à gauche, qui appartient à un autre ensemble, mais il faut être un peu du pays pour distinguer les différents styles, époques, zones, quartiers. Les immeubles du premier plan sont homogènes dans leur style. On pourrait dire que chaque immeuble est composé de tubes accolés mais de hauteurs différentes. Ça pourrait rappeler le quartier des Gratte-ciels, pour les verticales, mais on bien loin de la rationalité et du monumentalisme des années 20 ou 30. Ici il y a quelque chose d’aléatoire dans la disposition et la hauteur des tubes. Ici, on est plutôt à la fin des années 70 ou début 80. Dans l’idée d’une architecture dite proliférante, d’un urbanisme qui se développerait sur le modèle d’un organisme vivant, de manière non prévisible. Une probable réponse aux erreurs des périodes précédentes. Une tentative de renoncer au deus ex machina qui tracerait la ville à grands coups d’orthogonalité et de fonctionnalité. Remarquez ici les balcons qui partent à 45 degrés, angle emblématique de l’époque. On n’atteint pas la qualité de la fameuse cité des étoiles à Givors, par exemple, mais on ne peut pas dire que les architectes n’aient pas fait d’efforts, et on est en tout cas loin des barres. L’essentiel de la photo n’est pourtant pas là et tels qu’ils apparaissent sur la photo ces immeubles sont quand même un rien tristes. La présence du chantier ne doit pas arranger les choses. 20 Mais l’intérêt de cette photo, c’est justement ce chantier. C’est la manière dont on essaie de ré-ancrer dans le sol ces machins à habiter, redonner de l’échelle humaine, de la hauteur d’homme, donner une géographie collective à un quartier, donner au regard d’autres perspectives, d’autres lignes que celles des façades. Suivez le sentier lumineux et coloré des tuteurs et des canisses autour des arbustes, qui ondoient et s’inclinent légèrement comme les phrases d’une écriture en bâtons, comme animés par une brise légère et apaisante. Un peu plus haut, parcourez la ronde des lampions qui se sont échappés joyeusement d’un catalogue de mobilier urbain design. Respectez quand même le sens interdit. (photo N° 65) Ciel menaçant. Collines de gravats prêtes à nous engloutir, s’il nous venait à l’idée de les gravir. Membres hypertrophiés d’insectes qui cherchent à nous happer. Nous pénétrons une contrée terrifiante. Nous avons franchi le Pecos, nous arrivons dans une sorte de Far West où la loi n’est pas tout à fait la même. Sommes-nous à Vaulx ou à Saint-Jean, dans l’enclave de Villeurbanne, c’est un peu pareil, passé le canal, Villeurbanne l’embourgeoisée devient un faubourg, activités industrielles, artisanales, et habitations chaotiques se sont mélangées. On est relégués là, on a construit du logement social, ce n’est pas grave de nous mêler aux miasmes industriels. On aimerait bien quand même que notre ville soit plus belle, être heureux d’en franchir le seuil sans avoir à fermer les yeux, être un peu fiers de notre ville. (photo N° 72) 21 La façade en bois très dessinée, très composée, comme un tableau de Mondrian. Un jeu de verticales et d’horizontales qui enserrent très strictement les fenêtres en bandeau qu’animent les volets coulissants. Au premier plan les arbres, comme plaqués sur la façade, c’est là le mystère de la chambre noire de rétrécir ou dilater les distances entre les plans, contredisent joliment la rigueur géométrique. Le bois a été laissé brut, il va griser petit à petit, il a commencé aux endroits les plus exposés, passant par des phases plus ou moins agréables au regard. Cette seule façade ne permet pas de comprendre ce bâtiment. Ce n’est qu’une partie d’un ensemble. C’est le pendant d’un parallélépipède en béton, un volume exact, suspendu en l’air, qui repose sur ses piliers avec un extravagant porte à faux. Sa couleur noire vernissée fait ressortir les veines et les jointures du beau coffrage en planches brutes du béton. Les deux matières semblent se répondre, d’un côté le béton noir qui garde l’apparence du bois, de l’autre, le bois qui deviendra noir. Ces deux blocs, en l’entourant étroitement, ont fait disparaître de la vue l’espèce de guerrier cuirassé de tôle, échappé d’un dessin animé japonais des années 80, construit quelques années avant. Les nouveaux architectes ont dû penser que l’esthétique du soldat laissait à désirer et datait un peu, en tout cas ne méritait plus d’apparaître. Cette façade en bois, qui abrite certainement des salles de travail ou de réunion, ne laisse pas imaginer qu’il s’agit du planétarium de Vaulx-en-Velin. Projet ambitieux pour une ville un peu déshéritée telle que Vaulx, qui s’intéresse aux étoiles ici, qui peut venir à Vaulx pour les étoiles ? Une volonté politique d’affirmer que la culture est pour tout le monde. Ça a dû marcher puisque la ville a obtenu des crédits pour agrandir le guerrier japonais. 22 L’ensemble est assez réussi et a su dissimuler le petit soldat de tôle. Seul ennui, quand le planétarium ferme, le bloc de béton noir semble retomber au sol. Les rideaux métalliques qui protègent les vitrages entre les piliers descendent, et l’élégant volume aérien prend des allures d’entrepôt. Mais pour ceux qui s’intéressent aux étoiles c’est certainement très bien. Bonne visite. (photo n° 80) Un murmure, un petit air, une chansonnette, un timbre un peu nasal, d’hier, comme la vibration des lamelles d’un accordéon nostalgique. Un art de vivre populaire, oublié, qui lie l’ouvrier aux saisons, à la terre, à l’univers. Du temps où Ainay regardait d’un air condescendant et amusé ces jardinets de banlieue. Ah ! l’ennuyeux et laborieux potager, quels bonheurs terre à terre, quel goût… On ne sait pas précisément où on est, le petit jardin d’une maison qu’on ne voit pas, ou des jardins ouvriers. Plutôt un jardin de maison, il y a la clôture sur un muret maçonné, les dallages cimentés. On reconnaît les époques, les fers en T qui tendent le grillage, qu’on retrouve partout à Vaulx. Les potelets en tube creux, pour palisser les haricots ou la vigne, qu’on a dû récupérer, le beau-frère avait une combine. Seule intrusion du contemporain, les bordures en pin traité, achetées en grande surface de bricolage ou jardinage. Le printemps a déjà démarré. Au fond, la partie potager, les semis sont déjà bien sortis. 23 Devant, c’est le coin farniente, herbu. Le cerisier n’a pas encore fleuri, des piquets sont prêts pour les futures tomates. Dans la lessiveuse en tôle galvanisée, des plans attendent d’être repiqués. Prudence, la terre doit être encore un peu froide. L’arbuste grimpant s’entortille gentiment autour d’un poteau métallique, sans doute la pergola qui protégera des rayons de l’été. Dans cette maison, la vie n’est pas trop austère, pas trop laborieuse. Le jardin n’est pas entièrement consacré à produire, produire, mais aussi à ne rien faire, profiter des amis, de la famille. Souvent le jardin n’était qu’utilité, on y allait que pour cultiver, la maison ne communiquait avec le jardin que par la porte d’entrée, les deux univers étaient séparés. Les temps ont changé et avoir un jardin est un luxe dont peu bénéficient à Vaulx. (photo N° 81) Michel Guénot 24 Encore un sens interdit ! Il ne faudrait pas emprunter cette voie déserte, arriver devant ce parc vide et oublier que notre regard bute sur le béton. Nos sens n’ont pas le droit de citer. Mon sens pratique me dit de prendre cette voie à contre-sens. Mon sixième sens s’en mêle. La maréchaussée serait-elle par là ? Mon sens moral doit être en vacances, je bifurque, envie de vert et d’horizon. Je retrouve mon bon sens. (photo n° 65) Sylvie Charreyre Ils restent là, le pied en l’air et risquent de rester ainsi longtemps. Ce ne sont pas des footballeurs prêts à shooter mais des verres de vin. Le vin, de messe ou laïc, ne fait plus recette à Vaulx, du moins en public. Les gens s’enivrent autrement avec encore plus de danger. (photo n° 75) Anonyme 25 C’est un peu de printemps sur les branches, un printemps blanc et léger qui se superpose aux feuillages verts et flous derrière, ou est-ce de l’eau ? Une ombre traverse l’image comme une barre oblique. Les fleurs délicates bien dessinées au premier plan et cette matière verte et floue à l’arrière plan, dont on ne sait si elle est verticale ou horizontale. Contraste et envie que cette neige verte contamine et fasse neiger les fleurs, anticipation du fané, estampe japonaises trop mûre. « Auguste geste du Semeur ». Tremblement de la matière, les fleurs secouées par le vent, perdues dans l’oblique de la photo. (photo n° 23) Le ciel est orageux et au-dessus des dunes De sable, en promontoire, la glissière Ou ce que j’imagine tel. Amas de matière sortie de la corne D’abondance sous un ciel troué par le prochain orage, l’image presqu’abstraite. À quoi sert ce sable, il se solidifiera en ciment sans doute, vers quelles constructions futures est-il en transit ? C’est une glissière assez technique, alors pourquoi cette envie d’y voir un capitaine sur la passerelle, guettant au loin ? Peut-être à cause de la barrière de protection. Transition de la terre vers le ciel avec cette glissière érigée. (photo n° 72) 26 Le fin réseau des brindilles d’arbre qui se rattache aux branches couvre de sa dentelle particulière les planches en bois alternativement horizontales et verticales de la façade de l’immeuble. Les vitres des fenêtres autant de béances brillantes. Les volets tout en planches elles aussi horizontales ou verticales coulissent sur les côtés et masquent les fenêtres formant un rythme irrégulier. Particulièrement émouvantes les traces de pluie sous les fenêtres. Sensation globale de rythmes visuels. La brillance des fenêtres au travers des brindilles. C’est un pays particulier fait de musique visuelle. C’est l’interdépendance des motifs les uns par rapport aux autres qui crée cette sensation de dentelle et de rythmes. (photo n° 80) Corinne Surrel 27 Cette année-là, le printemps s’était réveillé de bonne heure et avait chassé pour de bon le vieil hiver qui n’en pouvait plus. Les vacances de Pâques promettaient des balades exceptionnelles. Tout tremblait de l’envie des plaisirs à venir, jusqu’aux vélos astiqués de frais sur le balcon. La première journée restera d’ailleurs gravée pour toujours dans la mémoire des quatre garçons. Ils ont quitté le quartier dès neuf heures du matin, traversé la campagne ensoleillée et pédalé jusqu’à l’aéroport. Ils ont regardé les avions s’envoler et se sont raconté les voyages qu’ils feraient plus tard, quand ils seraient grands, quand ils seraient riches. Ils sont rentrés à la ville juste avant la nuit, épuisés et fourbus, mais leurs têtes bouillonnaient de projets pour le lendemain. Ils ont mal dormi, courbatus et assoiffés. Ils se sont réveillés fiévreux et sans énergie. Ils se sont regardés les uns les autres et ont trouvé qu’ils avaient de drôles de têtes. On aurait dit des écureuils aux joues gonflées de provisions pour l’hiver. La mère a craint quelque allergie aux pollens printaniers et leur a imposé une promenade jusqu’au cabinet médical voisin. Ils en sont ressortis avec les oreillons et l’interdiction de sortir pendant une semaine. Consignés à la chambre, ils ont voyagé dans leurs têtes aussi loin qu’ils le pouvaient et se sont racontés leurs folles équipées. Matin et soir, ils se ruaient sur les miroirs pour voir si leurs joues et leurs cous avaient dégonflé. 28 Pendant ce temps, les vélos restaient entassés sur le balcon. Au bout de trois jours, ils n’en pouvaient plus de rouiller sous un si beau soleil. Ils ont commencé à imaginer un plan d’évasion. Chaque nuit, ils s’entraînaient à grimper sur la balustrade. Les pédaliers et les guidons s’entrechoquaient et ça trouait le silence de la nuit. Ils suspendaient tout mouvement mais le vent sifflait dans leurs rayons une petite musique narquoise. La septième nuit, ils ont enjambé la balustrade. Au matin, la mère a dit aux garçons que la quarantaine imposée était terminée. Ils sont sortis sur le balcon mais les vélos n’étaient plus là. (photo n° 29) Marie-Thérèse Durand 29 Quatre vélos au balcon dressés sur leurs roues arrière Ils disent le désir de rouler Bleu ou noir ils attendent leurs guerriers fiers de leurs montures au chrome luisant Ils déambuleront dans les rues et prendront le chemin de Miribel. À la plage ils retrouveront leurs copains les parents feront un barbecue. Ils sauteront dans l’eau L’eau est claire, ils se moqueront des lianes qui s’enrouleront autour de leurs chevilles La peau des garçons et des filles aux rires suraigus, scintillera au soleil Camille, Kamel, Laure, Kevin partageront le barbecue puis les vélos retourneront se protéger sur le balcon (photo n° 29) Bleu outremer Bleu ciel Bleu canard La Méditerranée ? Blanc oublié Gris pisseux, noirci par le temps et la pluie Tapis suspendus aux balcons : salon, chambres dévoilées Paravent bleu : balcon transformé, vie cachée La parabole ni bleue, ni vraiment blanche Fièrement dressée, dit sa connexion Au monde, aux rêves des pays Inconnus si loin, si proches (photo N° 46) Claudie Thomas-Simon 30 Au centre, épicentre, vous trouverez l’incontournable, l’essentiel, conseillé à une famille de cinq personnes dont les besoins nutritionnels sont normaux. Nous entreposons pour vous, à cet effet, les produits laitiers, compactés dans un emballage écologique de moyenne durée, homologué UE. Du pain, du vin, du Boursin et du 100% pur bœuf. Nous égayons l’épicentre de belles couleurs printanières. A savoir, fanes de radis, scarole jaune écarlate et tendre, pommes de terre terreuses, oranges récemment lustrées à la main, et citrons aromatisés à la mode de chez nous. Uniquement de chez nous ! Dans les allées périphériques, organisées sur un rayon de neuf voies concentriques, vous dénicherez ce qui convient à chaque membre de la famille. Butinage à votre guise. Bonbonnerie pour les 7 ans. Déguisage pour les filles de moins de 12 ans. Bricodérapage pour les mâles. Cosmético-voilage pour les belles femmes mûres. N’oubliez pas de repositionner chaque produit sur le rayonnage de référence. Tout est simplement classé par ordre alphabétique, empreinte écologique spécifiée sur le boîtier au niveau de votre main gauche. Merci de lâcher le caddie pour l’opération. Il est l’heure, c’est votre heure, à vos butinages respectifs !! N’oubliez pas la zone blanche, hors champ. Bien qu’elle vous éloigne de l’épicentre et de vos besoins, elle vous convie à la flânerie. Adonnez-vous à la consommation pédestre. Dans les 36 zones périphériques, laissez-vous guider par votre œil. Vive les couleurs, votre nez, vive les odeurs, vos papilles et vos envies !! 31 N’oubliez pas de rejoindre l’épicentre de notre cellule pour réclamer vos points, avantages et échantillons gustatifs. Nous aurons de nouveaux engagements professionnels la semaine prochaine !! N’oubliez pas ! Nous sommes votre providence. Vous êtes celui qu’il nous faut, et vous êtes là où il faut. Vous êtes chez Casino. (photo n° 46) Il fera 24 degrés à Tamanrasset, 15 à Alger, 15 à Paris, 11 degrés à Hambourg, 13 à New York, normales saisonnières un peu partout… Dépêche-toi, je te dis ! Je ne vais pas le répéter deux fois. Ça va, j’y vais. J’y vais, j’te dis. Quand j’aurai fini de secouer les tapis, t’auras ta dose. Mon gros. Oh, t’es content, là !!! Tu réclames, hein, que tu réclames !!! Mince les trois pots sont fendus. C’est le gel de la semaine dernière, j’aurais du les rentrer. Qu’est ce qu’il fait, l’autre, à c’tte heure ? Toujours à jeter un œil, à traîner là où faut pas. L’ascenseur est en panne, M’man. J’descends à pied, je prends pas les poubelles. Demande à Joris. Bye. Joris, il prend son temps. Il ne parle pas. Il n’a pas que ça à faire lui non plus !! Il regarde les volets d’en face, les couleurs. Il fait ça chaque matin, la liste des couleurs des volets fermés et des fenêtres ouvertes. Rose, blanc, il compte à partir du bas, les fenêtres avec rideaux. Deux, trois, quatre, cinq. Les volets fermés, tirés, deux, quatre, sept, onze. Les volets à moitié fermés, deux, quatre… Et au rez-dechaussée, il compte les nouveaux habitants. Le tigré, la noiraude, le gris, le petit gris. 32 Son regard escalade la façade toute entière. Il fait un pari, un truc mathématique. Combien ? Combien de fenêtres complètement fermées, j’veux dire fermées pour éviter les draps qui pendent, le vent qui entre, le bruit de la rue. Ils les appellent les fenêtres au repos. Combien ? Clic de l’œil, clic de l’autre. Joris dit à la louche vingt-cinq. Et c’est parti, il compte en commençant par le bas. Un, deux, trois. Joris Quatre, cinq, six Joris, Joris, j’te dis ! Sept, huit, neuf , Joris, non de Dieu ! Dix, douze. Joris, j’vais me fâcher ! Putain, elle va me faire tromper. Faut que je recommence tout. Aujourd’hui, douze, ce sera un maximum. Le gamin a déguerpi, vite fait, tiré par l’oreille par une main invisible. La porte du balcon claque. Le rideau se coince entre les deux battants. Tant pis. Demain, se dit Joris, j’attaque les balcons, ça sera plus vite fait. Demain il fera 12 degrés à Lyon, 14 degrés à Paris, à Nantes, ça sera un peu mieux. Et chez moi, dit la petite voix, ça sera quoi, hein, tu dis quoi ??? Puis, elle poursuit pour elle toute seule. D’accord. Et c’est une plus grosse porte qui claque et qui le fout dehors. (photo n° 46) Christine Allot-Bouty 33 Très pété, Trépané, Tremblotant, Titubant, Pathétique, Plein de tics, Yeux troués, Crocs pointés, Ce pauvre type Prend aux tripes (photo n° 49) Peut-être faucille et marteau entrelacés ont-ils pris en tenaille jadis, trop de vies. Là, il n’y a point de risque et l’emblème redevient sympathique. La rondelle évoque presque nos vieux presse-purées, les céréales ressemblent à du chiendent mais je sens une vraie conviction chez celui qui a imaginé ce symbole. (photo N° 67) Danièle Bazin 34 2 yeux 2 globes attendent, 2 doigts 2 mains 2 bouches attendent, du rouge, du blanc, du pétillant, du guttural, du viscéral du lacrymal attendent surtout et avant tout, qu’on les bascule. (photo n° 75) Olivia Thery 35 Henri Barbusse Il est là sur la place du village. Personne ne le remarque, ne le regarde. C’est le buste d’un illustre inconnu sur un support. Et pourtant rien qu’à Vaulx-en-Velin une rue et un collège portent son nom : Henri Barbusse. Ce qui lui vaut d’être connu de tout le monde, mais demandez à l’homme de la rue ce qu’il a fait, vous aurez une moue dubitative suivie d’un borborygme comme un prout dans la bouche… Henri Barbusse est un écrivain né à Asnières en 1873, cévenol d’origine par sa famille dont on retrouve la trace jusqu’au XVIIème siècle à Anduze près d’Alès. A vingt-deux piges, Barbusse est déjà reconnu dans le milieu littéraire par sa poésie en participant à des concours prestigieux ; il se distingue par un poème intitulé Pleureuses. Puis il se tourne vers la prose et il publie L’enfer, un roman qui attaque la société et ses institutions. Barbusse écrit son livre tard le soir après sa journée de labeur. Il y raconte la vie d’un homme qui une fois dans sa chambre d’une pension de famille observe la vie des occupants de la chambre voisine grâce à une légère fissure dans le mur. Avant la guerre de 14-18 Henri Barbusse est un pacifiste actif, mais en tant que bon français il est plein de contradictions et il s’engage volontairement dans l’infanterie. Il a quarante-et-un ans et ne manque pas de souffle pour rejoindre l’enfer des tranchées malgré de sérieux ennuis pulmonaires. Il y reste vingt-deux mois, notant sur un carnet de manière méticuleuse tout ce qu’il voit, entend et subit : langage des poilus, leurs expériences vécues, leurs peurs, leurs craintes et sa vision de l’horreur qu’il vit intensément. En 1916 Barbusse est en convalescence à Chartres puis à Plombières où, grâce à son carnet, il rédige un roman relatant la vie dans les tranchées : Le Feu. Les soldats du front, 36 les femmes à l’arrière et le peuple sont enthousiasmés par son récit qui sort en feuilleton dans le quotidien L’Œuvre. Autre son de cloche dans l’état major de l’armée, bien à l’abri dans son bureau, qui conteste le roman, d’après eux, mensonger sur de nombreux faits. En 1916, la censure et la propagande de l’armée en temps de guerre minimisaient l’horreur des tranchées. N’empêche, grâce à ce témoignage il gagne le prix Goncourt en 1916. Henri Barbusse aime la révolution russe, ça rime bien ! Il anime la revue Clarté et cherche à définir une littérature prolétarienne. Dès qu’Hitler accède au pouvoir, il fonde avec d’autres le mouvement pacifiste Amsterdam/Pleyel. Il est rejoint par Romain Rolland et Albert Camus. Il fait plusieurs voyages en URSS et publie en 1935 une biographie de Staline. Ses propos ne sont sûrement pas très aimables pour le soi-disant Petit père du peuple car il meurt subitement à Moscou en août 1935 ; on soupçonne Staline d’avoir commandité un crime par empoisonnement. La population parisienne lui rend un hommage particulièrement important et chaleureux au cimetière du Père-Lachaise. (photo n° 68) Serge Bagu 37 Jeunesse à l’abandon (tercets) Tous les trois se sont retrouvés Sur un banc de béton tagué Chacun son pack a amené Avec leurs smarts ils ont tchatché Puis ont descendu les canettes Et leur musique rap écoutée Vomissant sur la société L’alcool à la tête leur montant A grand bruit se sont injuriés Une voiture de flic est passée Laissant les cadavres sur le sable Dans la nuit ils se sont cassés (photo n° 61) Air de quoi Si certains aiment avoir les pieds à l’air Sur le balcon on a les roues à l’air Là-haut accrochés par nos chambres à air Quand d’autres s’envoient joyeusement en l’air Et bien nous aussi sans en avoir l’air On aimerait tant s’envoler dans les airs Et de vos jeux donner une nouvelle aire (photo n° 29) 38 Volet brisé (triolet) Les volets aussi A force de cacher Des amours brisés Les volets aussi Finissent par s’user En lambeau chuter Les volets aussi A force de cacher (photo n° 34) Fruits d’amour (tercets) Deux sacs je vous ai apportés De pommes et d’oranges chargés Ils sont pendus à votre fenêtre Peut-être auriez préféré Comme dans les romans roses Un bouquet tendre d’orchidées Mais les fleurs ne font que mourir Et les fruits comme nos amours Prendrons le temps de mûrir Votre vieux mari n’en saura rien Avec délice en les croquants Vous penserez à votre amant Deux sacs je vous ai apportés De pommes et d’oranges chargés Prenez qu’un oiseau ne les vole (photo n° 48) Songe de tour (rondeau) 39 Je suis la vieille tour Je régnais fière sur le bourg Quand il y avait des champs Que semaient des paysans Les terres sont devenues tours Qui seront vieilles à leur tour Quand bientôt viendra le temps Je suis la vieille tour Debout seront-elles toujours Comme moi usées par les vents Ou bien rendues au néant Converties en verts faubourgs Je suis la vieille tour (photo n° 69) Évasion (tanka) Mon rêve s’est échappé Drapé de couvertures Grilles geôlières Étouffant les cris du mur Mon cœur a pris froid (photo n° 32) Joueur de foot (triolet) Quand j’serai grand, je serai footballeur Mais ma mère voudrait que je sois plombier Au dribble je joue comme un vrai danseur 40 Quand j’serai grand, je serai footballeur Dans l’équipe c’est moi le meilleur buteur Avec le ballon je me marierai Quand j’serai grand, je serai footballeur Mais ma mère voudrait que je sois plombier (photo n° 42) Au bord de l’eau (triolet) Au bord de l’eau elle est si bien Allongée sur la grève Elle prend du soleil un bon bain Au bord de l’eau elle est si bien Dans son sac une sonnerie soudain La sort de ses doux rêves Au bord de l’eau elle était bien Allongée sur la grève (photo n° 22) Barrière rouillée (rondeau) Derrière la barrière rouillée Une famille s’est installée Une maison elle a construit Là les enfants ont grandi Dans la cours ils ont joués La mère gardait le foyer Le père au travail était parti Derrière la barrière rouillée Mais le temps vite a passé 41 Seul un vieux chien endormis Garde encore le souvenir. Des enfants loin envolés Derrière la barrière rouillée (photo n° 57) Gilles Garaudet 42 Le petit Pierre se plaît à regarder les photographies que ses tantes Isabelle et Christine lui offrent parfois. Celle qu’il contemple aujourd’hui, toute en reflets, l’attire en particulier. A la réalité dure et froide, Pierre préfère le tremblé scintillant des reflets, clés de son imaginaire. Son regard parcourt le paysage. Cette route liquide l’engage au voyage, et le voilà dans la photo. Omnipotent. Pierre peut voler, marcher sur l’eau, et ne s’en prive pas. Sous ses pieds, le bleu profond du ciel va en se diluant. Des branches légèrement vêtues se courbent en gracieuses révérences sur le miroir du ciel alors que les étendards, hissés sur des perches, flottent hors du cadre. Voilà la haie d’honneur du prince de l’eau. Le chemin s’amenuise pour le conduire à une petite construction. En s’approchant, le prince Pierre découvre un pont. Un pont qui ferme le paysage. Pas de visa au-delà… Le conquérant est-il arrivé au terme de son voyage ? Oh non… Pierre retourne le cliché, tout doucement, pour ne pas renverser l’eau. Le pont devient barque et même navire. Les arbres se dressent au ciel. Les perches s’élancent, les étendards claquent au vent. Droit devant, le bleu profond, l’embouchure et la haute mer. Le prince-amiral va rejoindre son armada. (photo n° 14) Christian Letellier 43 L’arbre reste un arbre Même sans feuille, dépouillé Il reste massif et majestueux Le temps n’a pas d’emprise sur lui On a beau le couper, le tondre, l’écorcher à vif Il reprend et refleurit de plus belle en traversant les années, sans mot dire, Il nous parle, nous nargue et nous rappelle combien nous sommes fragiles, nous les hommes d’ici-bas, nous simples mortels Nous le croisons sur le chemin qui mène vers la Rize, il est là Immortel, enfin pour quelques centaines d’années, car tout finit par mourir Arbre dénudé, reste majestueux et digne même dans le plus simple appareil. (photo n° 18) Naziha Chalabi Légèreté, vent qui ébouriffe les hautes graminées, eau ou air diaphane au second plan, voilà Vaulx comme je l’aime ! On se croirait ailleurs ! (photo n° 20) Danielle 44 Sur une façade grise aux carreaux emmurés, de petites vitres résistent à la fragmentation des villes. Elles racontent leur histoire aux passants vifs argents. Les coccinelles sont venues se poser l’espace d’un instant pour mieux repartir chargées de lumière. Les ballons urbains des banlieues de l’Est ont trouvé leur place dans cet espace quadrillé. Des soleils fictifs se miroitent et prient dans le chaos d’un univers devenu de plus en plus anti-végétal. Et les traces de doigts des enfants qui laissent leur insouciance tout comme leur fragilité sur le mur de la mémoire universelle. (photo n° 43) Comment ont-ils fait pour siffler des bières sans avoir eu à en décapsuler le goulot ? C’est incroyable tout de même ! Toutes ces bouteilles vidées sans la moindre marque d’effraction. A ce niveau là, c’est de l’Art. Manquerait plus qu’à l’intérieur ils y aient fait entrer une guêpe. La pauvre, pas moyen d’en réchapper. Tel est pris qui croyait prendre. Bon par contre, pour ce qui est du carton, ils l’ont plutôt fait à l’ancienne : à mains nues, à l’arrache, ils ont sorti le contenu de son emballage et les bouteilles de leur contexte. Mais ce serait vraiment dommage que de les mettre en prison pour si peu. (photo n° 61) Christophe Jasseron 45 Ça me rappelle mon ancien quartier. Mon enfance, mes voisins… Bref, un immense souvenir. (photo n° 47) Anonyme (ancien habitant du Mont Cindre) Mon premier toboggan. (photo n° 47) Aya Safa J’appelle pour savoir où tu es, J’ai envie de savoir ce que tu fais, Je te fais comprendre que tu me plais Car je suis tombé amoureux de la personne que tu es. Étonné de savoir que je te plais, Confus et heureux de pouvoir être à tes côtés, Je te donne rendez-vous pour qu’on puisse se rencontrer Je raccroche en attendant ton arrivée. (photo n° 54) Anonyme (Vaudais, 20 ans, basketteur, danseur) 46 Non La vie ? Non, ce n'est pas un fleuve tranquille où tout se passe bien. La vie, c’est compliqué. Ce n’est pas si simple de survivre aux problèmes qui peuvent nous dévorer. On se sent si faibles contre cette douleur qui nous pince, nous fait mal. Le reflet de notre haine et impuissance dessine sur notre visage si fatigué à sourire. On pleure, sans raison et on s’enferme sur nous-mêmes. On a l’impression que le monde nous trahit et se sert de nous. On en a tout simplement marre. On repense au passé, où tout se passait bien. Tu étais entre tes deux parents en train de rire, portant entre tes petites mains innocentes un boucan de roses. Tu étais au milieu de la nature, au milieu de la joie. Tu étais libre. Maintenant, tu te demandes pourquoi tant rester si personne ne t’aime. Pourquoi faire tant d’efforts, alors qu’au final, personne ne le remarque. Mais ne passe jamais à l’acte. Tu te dis que tout le monde sera content mais tu te trompes. Peut-être que ça ne se voit pas. Peutêtre que tu en as marre d’attendre mais faut être patient. Le jour viendra où tout se réglera. Pas à pas, tu réussiras. Tu réussiras à monter les escaliers de cette épreuve. À trouver l’amour et l’amitié. Seulement, attends. Respire et sois celle que tu souhaites. Verse des larmes, c’est la preuve de la force et du courage. Car ça témoigne du chemin que tu as fait jusqu’ici. Oui tu as survécu. Crois en ta vie et à sa douceur. Comme dit quelqu’un : « Si aux yeux du monde tu n’es rien, aux yeux de quelqu’un tu es le monde. » (photo n° 10) Chaïmaa Hamdaoui (12 ans) 47 L’après-midi, le soleil couchant couvre la rivière. Les reflets des arbres embellirent la rivière. Les fleurs, les vaguelettes, les branches plongent dans la rivière. Les branches se suivent jusqu’ à l’infini. (photo n° 15) Maryem Hamdaoui (12 ans) 48 C’est un balcon. Je vois derrière un mur blanc, des pots de fleurs, des pots vides, une canne, une parabole, des sacs plastiques, des tabourets, un placard, des pichets d’eau. (photo n° 3) Derrière le nuage blanc, je vois un bâtiment blanc, la route en chantier, des lampes qui éclairent, un panneau de sens interdit, des jeux pour enfants, des plantes, des arbres, des routes, une voiture. C’est le printemps. (photo n° 65) Aïcha Benaïda (Atelier de l'Espace Carco) 49 Derrière les murs dans la rue Il y a ces visages sculptés dans la pierre qui nous rappellent les horreurs de la guerre. N'empêche que cela continue ! Au nom d'une soi-disant religion, on ne respecte pas les écrits. Ne les laissons pas foncer dans ce sens interdit qui débouche sur l'extermination De nos idées si durement acceptées. Pourquoi plutôt celle-ci qu'une autre ? Chacun la défend corps et âme. Pas besoin d'en venir aux armes pour que la paix soit enfin des nôtres. Des verres attendent collés l'un contre l'autre la fin de ces hostilités Pour être enfin remplis de cette liberté qui triomphera J'en suis sûre un jour ou l'autre. (photo n° 1, 65 et 75) Gilbert Fayard (Atelier de l'Espace Carco) 50 Il est cinq heures, je prends le chemin qui mène le long de la Rize. Il est cinq heures, je perçois les premiers bruits de cette nature si fragile, si précaire, si hasardeuse. Cet instant magique où l’on découvre les premières violettes de printemps au pied de cet arbre qui sent bon la vie sur plusieurs générations. J’avance entre ombre et soleil et j’aperçois les roseaux et autres herbes qui donnent vie à la Rize. Oh, une grenouille, elle se faufile entre les herbes folles. Plus loin, une petite place où l’on perçoit une personne prenant le soleil tout timide du printemps. Il brille aussi sur le Rhône qui prendra son embouchure à la mer. Il est cinq heures du soir et une légère brume dessus la Rize, et je rêve devant cette nature, avant de rentrer dans la ville de poussière. (photo n° 16/12 et 21) Dominique Vinchon (Atelier de l'Espace Carco) 51 Un petit carré (un appart) N° 38 de 30 M2 Au 3ème étage sans balcon Vit une jeune fille De 50 ans sans enfant La la la la la la la Laha laha la la la La jeune dame vit en sombre Il fait chaud Ouvre la fenêtre, je prends l’éventail Commence à voler sans ailes La la la la la Laha laha laha laha la la la Elle bouge, elle marche Elle chante, elle hurle Le balcon, le balcon, le balcon Il est où le balcon ? Pourquoi je n’ai pas de balcon ? J’espère que j’aurai un balcon ! Lah la la la la la Laha laha la la la (photo n° 3) Naïma Amamra (Atelier de l'Espace Carco) 52