Tirés à part n°149 - Dames d`exception - Charleville
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Tirés à part n°149 - Dames d`exception - Charleville
Histoire Femmes de Charleville-Mézières et des Ardennes Dames d’exception Faisant fi des réticences sociétales, malgré l’éternelle misogynie, de nombreuses femmes ont su braver les interdits, et avec beaucoup de courage et de talent, donner naissance à des œuvres inédites, et ce dans tous les domaines : littérature, arts, sport, politique… Aujourd’hui, rendons hommage à trois Ardennaises d’exception : Marie Agar, Marcelle Sauvageot, Élisabeth Lion… Marcelle Sauvageot à la recherche de l’amour absolu Originaire de Lorraine, plus exactement de la Meuse, Marcelle Sauvageot voit le jour à Charleville le 10 mars 1900. En 1914, elle évacue avec sa famille à Bar-le-Duc, Troyes, Paris et Chartres. Elle se lie d’amitié avec deux professeurs de la Sorbonne, René Crevel et Jean Mouton. Après la Grande Guerre, elle devient un brillant professeur agrégé de Lettres, au lycée des garçons de Charleville. À partir de 1925, la tuberculose s’empare d’elle. Elle doit séjourner très souvent en sanatorium ; d’abord à Tenay-Hauteville dans l’Ain – elle commence l’écriture de sa célèbre et unique complainte Laissez-moi à la suite d’une déception amoureuse –, puis tente de se rétablir à Davos en Suisse. Passionnée, blessée, Marcelle Sauvageot refuse les faux-fuyants, les complaisances, l’hypocrisie ; selon elle, l’amour doit être authentique, sincère, désintéressé et absolu : « (…) Je ne veux pas vos mots d’amour qui n’en sont plus. Je ne veux pas être bercée ce soir par votre voix câline parce que vous m’avez fait mal. Si on veut retenir un chat qu’on a blessé, il griffe et se sauve ; n’essayez pas de me retenir (…) ». Elle décède à Davos le 3 janvier 1934, emportée par la « peste blanche ». Son essai est salué des écrivains les plus réputés : Paul Claudel, René Crevel, Charles Du Bos, André Gide, Clara Malraux, Paul Valéry. Laissez-moi a été adapté au théâtre par l’actrice Elsa Zylberstein – mise en scène de Laetitia Masson – et, plus récemment, par la journaliste Claire Chazal. Marcelle Sauvageot repose au cimetière de la petite commune de Trésauvaux dans la Meuse. Marie Agar, concurrente de Sarah Bernhardt Marie-Léonide Charvin dite Agar voit le jour à Sedan, le 18 septembre 1832. Elle est la fille de Pierre Charvin, maréchal des logis au 8e régiment de Chasseurs à cheval en garnison à Sedan et de Marie Fréchuret. Elle épouse un cafetier dénommé Nique, qui va très vite se montrer violent avec elle. Elle décide de le quitter et se réfugie à Paris. En 1857, elle donne des leçons de piano et chante dans des cafésconcerts. En 1859, elle monte pour la première fois sur les planches d’un vrai théâtre, le Théâtre Beaumarchais, en qualité de chanteuse afin d’interpréter une cantate en l’honneur de la victoire de Solférino. Présentée au professeur d’art dramatique Ricourt, celui-ci lui demande de changer de nom. Il choisit pour elle le nom biblique d’Agar qui fut la seconde épouse d’Abraham et la mère d’Ismaël. À la fin de 1859, sous sa direction, elle débute en tant qu’actrice au petit théâtre de La Tour d’Auvergne, dans Don César de Bazan de 26 N° 149 - avril 2011 Dumanoir et Dennery où elle joue le rôle de Maritana. Le 20 janvier 1862, sur la scène du théâtre de l’Odéon, elle interprète le rôle de Phèdre de Racine pour la première fois. Le 12 mai 1863, elle foule les planches de la scène de la Comédie-Française. Elle intègre de nouveau le rôle de Phèdre. Puis elle occupe la scène des théâtres de l’Ambigu, de la Porte-SaintMartin, de la Gaîté, de l’Odéon… Le 14 janvier 1869, Mlle Agar joue, avec Sarah Bernhardt, une pièce du jeune poète François Coppée, intitulée Le Passant, au théâtre de l’Odéon. C’est un franc succès. Puis elle devient pensionnaire de la Comédie-Française. Au moment de la guerre franco-prussienne, du 20 juillet au 5 septembre 1870, elle entonne à chaque début de représentation La Marseillaise. À la suite de la Commune de Paris, on lui reproche d’avoir chanté au profit des blessés des Fédérés, elle doit quitter la capitale, et entreprend de longues et pénibles tournées en province. Veuve en 1879 de son premier mari, Nique, elle épouse, l’année suivante, Georges Marye, conservateur des Antiquités africaines à Alger. Elle redevient pensionnaire de la Comédie-Française en septembre 1885. Les dernières années de sa vie sont empreintes d’une certaine amertume, de beaucoup de rancœur. En 1890, alors âgée de 58 ans, alors qu’elle déclamait le poème de Victor Hugo, Le Cimetière d’Eylau, c’est sur scène qu’elle est frappée par la paralysie, tout un côté de son corps restera inerte. Elle quitte ce monde le 14 août 1891, à Mustapha en Algérie. Un buste de H. Gros orne sa sépulture au cimetière Montparnasse à Paris. es s ru o n e d e Histoir Élisabeth Lion, recordwoman de l’aviation élisabeth Lion voit le jour près de Sedan, à Balan, le 11 décembre 1904. Son père est militaire de carrière. Sa mère, Marie-Adèle Gallois, est originaire du pays sedanais. Son oncle est le colonel Gallois, député de Sedan. En août 1914, la famille doit évacuer à Saint-Malo, puis à Paris. élisabeth connaît une vie bourgeoise, privilégiée, et partage sa vie de jeune femme entre les études, le piano, le tennis, le patinage, la natation, les clubs mondains. À la suite d’un baptême de l’air sur l’aérodrome de la société Caudron à Guyancourt, élisabeth Lion souhaite devenir aviatrice. Elle suit alors des cours de pilotage avec Clément et Franco, et obtient en 1934, pour ses trente ans, son brevet. Le 5 juillet 1936, élisabeth finit 2e au classement général des « 12 heures d’Angers » et 1ère au classement féminin. Le 29 août 1936, elle gagne la coupe « Hélène-Boucher » dans la course aérienne Paris-Cannes. Le 31 décembre, élisabeth obtient son brevet de transport aérien, alors que la France refuse les pilotes féminins dans les compagnies aériennes. Le 2 septembre 1937, elle effectue un Paris-Berlin-Paris. Le 27 décembre 1937, Mlle Lion bat le record féminin d’altitude en atteignant 6410 mètres à bord d’un monoplan Caudron C600 Aiglon. Les 30 et 31 décembre 1937, elle pulvérise deux records : l’un dans la catégorie multiplace à 5811 mètres ; l’autre dans la catégorie des 2 litres à 4372 mètres. Le 5 mars 1938, elle accomplit un tour de France sans escale en 10 heures et 15 minutes. Le 8 avril 1938, elle effectue un Paris-TunisParis (3500 km) en 18 heures et 15 minutes. Le 13 mai 1938, elle bat le record féminin en ligne droite : Istres-Abadan en Iran (4063 km). Le 29 décembre 1938, Guy Lachambre, ministre de l’Air, remet à élisabeth Lion, les insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. En 1945, Charles Tillon, ministre de l’Air, communiste, du gouvernement du général de Gaulle décide de fonder un corps de pilotes militaires féminins, comme en URSS. Après un entraînement intensif, Maryse Bastié, Maryse Hilsz, élisabeth Boselli, Anne-Marie Imbrecq et élisabeth Lion sont intégrées dans l’Armée de l’Air. Après le départ du ministre Charles Tillon et le décès accidentel de Maryse Hilsz, il est mis fin aux vols d’entraînement féminin dans l’Armée de l’Air. élisabeth Lion, dite « la lionne », s’éteint le 9 janvier 1988, à Magnanville dans les Yvelines. Femmes de Mézières et Charleville hors du commun - Louise Bellocq, née à Charleville, en 1909, romancière, auteur de « La ferme de l’ermitage » (1955) et de « La Porte retombée », Prix Fémina, 1960. Beatrix Beck démissionne du jury Fémina parce qu’elle juge le roman de Bellocq comme largement empreint d’antisémitisme. - Lysiane Déhuz, originaire de Mézières, journaliste et sportive réputée. - Charlotte Chauchet-Guilleré, née à Charleville, en 1878, peintre, ancienne élève de Gabriel Thurner. Elle expose de 1901 à 1922. A glané de nombreux prix. - Antoinette-Marie Dubin de Grandmaison, née à Mézières, en 1846, peintre. - Marguerite Lebrun-Nivoix, épouse du président de la République, Albert Lebrun. De son nom de jeune fille Marguerite Nivoix est née au 8, place de l’église à Mézières. Les Nivoix sont originaires de Buzancy. Albert Lebrun venait souvent à Sedan, où sa femme avait hérité d’un imposant immeuble sis au 29, rue Gambetta. - Anne Pérard, dite Mlle de Châteauregnault, née à Charleville, le 12 décembre 1743, écrivain spécialiste d’Anne de Montmorency. - Eugénie Caroline Puech, née à Mézières, en 1842, portraitiste, peintre sur porcelaine. élève de M lle H. Richard. Elle débute au Salon de Paris en 1879 avec des portraits. - Louise-Philippine-Joseph Rolendeau, née à Charleville, le 9 juillet 1774. Actrice à Paris sous la Révolution. - Aglaé-Appoline Sabatier, née à Mézières. Peintre miniaturiste. A exposé au Salon des Champs-élysées en 1861 et 1864. - Marie-Berthe Vincendon, née à Charleville, peintre. Figures de proue, météores prestigieux, ces femmes, universellement connues, souvent mieux à l’étranger qu’en France, et souvent ignorées dans leurs Ardennes natales, sont des références, des exemples pour les générations actuelles et futures. Gérald Dardart Rue Condorcet Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, est né à Ribemont dans l’Aisne, le 17 septembre 1743. Il soutient avec succès, à l’âge de 16 ans, une thèse de mathématiques devant d’Alembert, Clairault (Clairaut ?) et Fontaine, avant de publier un Essai sur le calcul intégral en 1765 et un mémoire sur le Problème des trois corps en 1767. Ses travaux scientifiques lui valent de devenir membre de l’Académie des Sciences en 1769, il s’honore du titre de secrétaire perpétuel, en 1773. En même temps, il publie les Éloges de Huygens, Roberval et Mariotte. Lié à d’Alembert, à Voltaire et surtout à Turgot, avec lequel il échange une importante correspondance ; ce dernier le fait nommer au poste d’inspecteur général des Monnaies. Ensuite, il participe à la rédaction de l’Encyclopédie et publie des textes d’économie politique. Il entre à l’Académie française en 1782. Il édite et annote soigneusement les Œuvres complètes de Voltaire. Ardent partisan de la révolution américaine, il écrit, en 1786, De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe. Il fait, par ailleurs, campagne pour l’abolition de l’esclavage et la peine de mort. En 1789, il est reconnu comme l’héritier des libres penseurs du XVIII e siècle et devient le chef du « parti philosophique », père des droits de l’homme. Son idéal philosophique : raison, tolérance, humanité Membre de la municipalité parisienne en 1790, député de Paris à l’Assemblée législative (1791), puis représentant de l’Aisne à la Convention, il élabore un plan grandiose d’organisation de l’instruction publique ainsi qu’un projet de Constitution, restés lettres mortes. Il pose aussi les principes de l’actuelle Sécurité sociale. Il propose l’ouverture de comptes courants et de caisses d’épargne pour diminuer la quantité d’assignats en circulation. Il avait pensé instituer un impôt progressif et préconiser le contrôle des naissances pour éviter les famines. Sa confiance dans la science, ses résultats et ses conséquences bienfaitrices pour les hommes est absolue. Son épouse, Sophie de Grouchy (17641822), sœur du futur maréchal Grouchy, a tenu un salon littéraire très influent. Ami des Girondins, sans leur être inféodé, hostile à la peine de mort contre Louis XVI, Condorcet est l’objet d’un décret d’accusation en juillet 1793, il est traqué durant huit longs mois. Il est arrêté à Clamart en mars 1794 et emprisonné à Bourg-l’égalité (c’est-à-dire Bourg-la-Reine), où on le retrouve mort, le 6 avril 1794, sans doute s’est-il empoisonné avec l’aide de son beaufrère, le docteur Georges Cabanis. Par ce geste, il aurait signé son ultime désaveu face aux errements d’une évolution sociétale mal maîtrisée. Gérald DARDART N° 149 - avril 2011 27 DR