Voeux de mariage

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Voeux de mariage
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VOEUX DE MARIAGE
Par Alan Badmington (Angleterre) et Mikes Hugues (Canada)
Cet article relate les anecdotes de ces deux personnes qui bégaient lors de
l’un des moments les plus significatifs de la vie – l’échange des vœux de
mariage. L’article date de 2002.
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Alan Badmington – Alan est un policier à la retraite et une personne qui a
bégayé jusque dans la cinquantaine. Il réside au Pays de Galles, en
Grande Bretagne. Il a connu le succès aux Speaking Circles d’Angleterre
et du Pays de Galles. Diverses organisations l’invitent régulièrement
comme orateur pour qu’il relate ses expériences de personne qui bégaie.
Il présenta des ateliers devant des stagiaires en orthophonie et à
l’occasion d’événements spéciaux de la NSA et de la BSA1. Les interviews
qu’il accorda à la télévision, à la radio et aux journaux contribuèrent à
amener le bégaiement à l’avant-plan de l’actualité. Alan a rédigé deux
articles pour le livre de John Harrison, Redéfinir le Bégaiement2. Ses
nombreux articles ont été reproduits dans des publications de la
NSA/BSA, sur des sites relatifs au bégaiement (et sont maintenant tous
traduits en français).
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Mikes Hugues fut directeur exécutif de Speak Easy Inc., un organisme
canadien dédié aux PQB. Depuis 1984, Speak Easy a prodigué de
l’information et de l’aide aux adultes qui bégaient, aux parents d’enfants
qui bégaient, aux professionnels en orthophonie et au public en général.
L’organisme publiait également un mensuel du nom de Speaking Out
(plus de 200 parutions). Mike est décédé le 22 septembre 2010.
National Stuttering Association et British Stammering Association.
http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/redefiniriebegaimernt.pdf
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POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE
PAR ALAN BADMINGTON
Lorsque Babs et moi nous sommes rencontrés pour la première fois, elle
m’accepta tel que j’étais – le bégaiement n’a jamais été un problème entre nous.
Son appui fut indéfectible. Elle ne m’a jamais dénigré, ni déprécié de quelque
façon que ce soit. Elle se contenta d’être toujours là, disponible à tout moment.
Il est difficile pour un conjoint/partenaire d’être témoin des difficultés de l’être
aimé. Malgré mes disfluences, j’avais l’habitude de me placer en situations
exigeantes. Notre (cérémonie de) mariage devait être l’une d’entre elles.
On dit que le mariage est un événement heureux (du moins c’est ce qu’on
m’avait toujours dit). Pourtant, alors qu’approchait la journée des noces, mes
sentiments se teintaient d’appréhension et de doutes. Je précise tout de suite
que cette appréhension n’avait rien à voir avec le fait de passer le reste de ma
vie avec Babs, ma fiancée, mais bien à cause de mon inquiétude à pouvoir
prononcer mes vœux devant autant de personnes. Tantes, oncles, cousins,
future belle famille et certains amis que je n’avais pas vus depuis fort longtemps.
Bégayant depuis l’enfance, il allait de soi que parler en public occupait le
haut du pavé dans ma hiérarchie personnelle des peurs. Ma croyance à l’effet
que je ne pourrais jamais parler en public n’avait-elle pas été renforcée par un
large éventail de mémoires négatives ?
Je savais qu’en parlant à l’unisson avec
quelqu’un d’autre, j’aurais peu ou pas de
difficulté avec ma parole. Mes prières furent
exhaussées puisque, lors de nos rencontres
préparatoires avec le
vicaire,
nous
abordâmes le sujet pour convenir qu’il allait
réciter une ligne et, discrètement, la répéter
en même temps que moi.
Mais je n’avais pas prévu que ma
fiancée, dans un élan de bonne volonté, allait
aussi prononcer mes vœux. Imaginez-vous la
scène – le vicaire prononce une ligne et puis,
TOUS LES TROIS, nous la répétions. (Moi,
Alan Badmington, te prends ….). Bien sûr,
ma voix était la plus audible des trois, les
deux autres se contentant de murmurer. Et
j’étais bien conscient de leur aide. Personne
ne réalisa ce que nous faisions et tout se
déroula parfaitement
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Examinons plus attentivement cet épisode. On a depuis longtemps reconnu
ce phénomène selon lequel les PQB peuvent aisément parler à l’unisson. Je
croyais pouvoir parler lorsque quelqu’un d’autre parlait en même temps que moimême, en autant que (à mon avis) je n’étais pas le centre d’attention. Tout
comme plusieurs personnes qui bégaient, il m’était difficile d’entendre le son de
ma propre voix, l’associant à la honte et à l’embarras que j’avais tant connus
depuis de nombreuse d’années.
Ma future épouse et le vicaire se joignant à moi, j’étais détaché de ma parole
- les émotions négatives de toute une vie n’intervenant pas. Le vicaire et mon
épouse étant amicaux et désireux de m’aider, j’étais rassuré, je ne ressentais
donc pas ces impressions habituelles de peur et de panique.
Bien que la cérémonie ce soit bien déroulée, j’ai toujours certaines
interrogations. Il m’arrive de me réveiller la nuit, me demandant :
Suis-je vraiment marié avec ma femme ?
Ne serais-je pas plutôt marié avec le vicaire ?
Ma femme aurait-elle épousé le vicaire ?
Ou
À moins que nous ne formions, tous les trois, un triangle sacré ?
Comparons cela avec ce qui se passa à la réception. Me levant pour
m’adresser aux convives, j’ai eu de sérieuses difficultés. Après avoir prononcé
quelques phrases, j’enchainai blocages après blocages. C’était à ce point
disgracieux qu’une de mes tantes sentit le besoin d’intervenir en chantant "For
He’s a Jolly Good Fellow". Puis tout le monde enchaina ; je me suis assis, un
nouveau marié plutôt déçu et décontenancé.
Je dois préciser que je n’étais nullement déçu de ma nouvelle épouse mais
plutôt de mon incapacité à prononcer ce discours que j’avais pourtant répété
depuis des semaines. Craignant de bredouiller, c’est précisément ce qui arriva.
Ayant écrit moi-même le texte en prenant bien soin d’exclure toute lettre qui
m’était difficile, je n’avais donc pas à m’inquiéter de rencontrer des mots
difficiles. Mais je me retrouvais piégé devant ce conflit de parler/ne-pas-parler
que Joseph Sheehan avait identifié il y a plusieurs années. Je désirais parler –
en ce jour le plus heureux de ma vie. Mais je craignais de bégayer, de révéler à
tous mon problème de parole. Cette lutte de pouvoir m’amena à me retenir,
déclenchant ainsi les inévitables blocages.
Nos vœux de mariage comprenaient l’expression usuelle "Pour le meilleur et
pour le pire." Babs assista certainement à une de mes meilleures performances
langagières lorsque je récitai mes vœux ; mais lorsque je tentai de prendre la
parole lors de la réception, la situation prit une toute autre tournure.
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Babs a tenu parole et, grâce à son amour et son appui indéfectible, je suis
devenu un bien meilleur communicateur. Mes moments de parole les plus noirs
sont choses du passé. Bien qu’il soit tentant de prétendre que mes vœux se
soient déroulés sans anicroche, cela ne serait pas tout à fait honnête. Nous
étions vraiment "liés l’un à l’autre" et mes cheveux blancs sont là pour le prouver!
Mais non, je blague ! Plus sérieusement, nous sommes mariés depuis plus de 36
ans et je lui dois énormément.
Tout au long de notre vie commune, Babs et moi avons toujours célébré
l’anniversaire de notre mariage. Mais au jour anniversaire de septembre 2000,
j’étais à San Francisco, seul. Au moment d’aller au lit, vers 1:30 AM, je réalisai
que, pour la première fois en plus de trente ans, nous étions séparés (à
l’anniversaire de notre mariage). Puis mes pensées furent brutalement
interrompues alors qu’il me semblait que les meubles bougeaient. Je pensai
d’abord rêver pour rapidement réaliser que mon imagination n’y était pour rien : il
s’agissait bel et bien d’un tremblement de terre.
Une fois les vibrations terminées (5,4 à l’échelle Richter), j’appelai Babs en
Angleterre pour l’informer de l’incident. Après lui avoir souhaité un joyeux
anniversaire, je lui dis : tu te rappelles, il y a des années, tu m’avais dit que la
Terre venait de trembler pour toi ? Et bien elle vient tout juste de le faire pour moi
aussi ». L’ayant rassurée sur mon état, nous échangeâmes quelques souvenirs.
Oh ! J’allais oublier : c’est avec plaisir que je précise que l’activité sismique
n’entraina aucune secousse dans ma parole.
VŒUX DE MARIAGE, UNE AUTOBIOGRAPHIE,
PAR MIKE HUGHES
Mike n’arrêtait pas de parler avec son ami, racontant des blagues pour mieux
relaxer et se laisser aller, à lâcher prise. Arrivés tôt à l’église, ils se sont
familiarisés avec les lieux pendant une demi-heure, grillant des cigarettes, les
yeux rivés sur leurs montres-bracelets. La cérémonie allait bientôt commencer et
la tension de Jerry était manifeste malgré les efforts de Mike pour le calmer.
Comme témoin du marié, Jerry s’inquiétait du bon déroulement de la cérémonie.
Mike, lui, semblait prendre tout cela de façon plutôt relaxe, lui, le marié.
Mais les apparences sont trompeuses. Mike avait passé une nuit agitée,
ayant très peu dormi. Non pas qu’il craignait le mariage ; il était, au contraire,
impatient d’assumer la vie à deux et de fonder une famille. Jeunes et amoureux ;
que désirer de plus ? Demain sera le début d’une vie nouvelle. L’avenir leur
appartenait….
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Sauf pour l’échange des vœux. Mike étant une personne bègue, il savait que
sa parole pouvait lui faire faux bond au moment le moins opportun. Selon les
semaines, Mike avait des difficultés à prononcer les mots commençant par "S" et
"F" ; à moins que ce ne soit "D" et "P". C’est, en effet, une des plus frustrantes
caractéristiques du bégaiement : la cible se déplace constamment. Les sons qui
avaient été difficiles pendant une semaine étaient remplacés, la semaine
suivante, par des sons qui étaient relativement faciles à prononcer. Les
agressions contre sa fluence semblaient survenir au hasard, apparaissant et
disparaissant comme si elles avaient leur propre vie.
Il y avait, bien sûr, cette prévisible exception à la règle. Mike avait l’habitude
de connaître des difficultés avec les mots commençant par "M", surtout lorsqu’il
devait décliner son nom. Le grand amour n’est jamais facile ; il était donc
inévitable qu’il tombe amoureux d’une fille nommée "Maureen", histoire de
compliquer son existence. En vérité, son nom était "Joan Maureen". Détestant le
nom de "Joan", elle avait plutôt opté pour celui de "Maureen."
Issue d’une famille de 9 enfants, Maureen semblait prendre un malin plaisir à
confondre son crédule copain. Comme s’il s’agissait d’une tradition familiale,
chaque enfant avait de 3 et 5 surnoms. Alors que les présentations s’avéraient
futiles, les discussions en famille se transformaient en labyrinthes parsemés de
fausses pistes. Les surnoms étaient utilisés pour être ensuite abandonnés aussi
facilement qu’on change de chapeau, les enfants s’amusant entre eux aux
dépends des étrangers. Maureen était connue sous les sobriquets de "Joan",
"Maureen", "Nini" et "Mo." Dans un réflexe d’auto-défense et pour se prémunir
contre le son "M" qu’il craignait tant, Mike l’affubla aussi du surnom de "Reen."
Pourtant, à l’approche de la cérémonie, même le diminutif de "Reen" ne lui
serait d’aucun secours. Mike devra appeler sa mariée par son nom légal. Cette
cérémonie ayant un caractère civil/légal, il devra l’appeler par son nom complet,
"Joan Maureen", histoire de faire la vie dure à sa parole. Les dernières minutes
de son célibat s’écoulant, l’angoisse de Mike face à l’échange des vœux prenait
de l’ampleur.
Commença alors la cérémonie religieuse. Les
invités et quelques paroissiens réguliers prenaient
place dans les bancs alors que Jerry et Mike prirent
places face à l’autel. L’entourage de Maureen
descendit l’allée centrale tant bien que mal,
interrompus par l’arrivée en retard de la future
belle-mère. (Être en retard, en effet, que ce soit
voulu ou pas, lui était habituel. Fidèle à elle-même,
et comme s’y attendait sa famille, elle devait arriver
en retard même "à ses funérailles" suite à un
imbroglio à l’hôpital.)
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Une fois le dernier invité assis, Mike regarda avec admiration la lente
progression de sa fiancée vers l’avant de l’église. Maureen était superbe en
blanc, sa robe étant bien ajustée à son corps. Alors qu’elle tenait dans sa main
droite un bouquet de fleurs, elle tenait, de sa main gauche, le bras de son père
rayonnant, appui plus psychologique que physique. À moitié chemin de l’allée
centrale, Mike s’aperçut que Maureen se mordillait la lèvre afin de mieux se
contrôler. Pour la rassurer, il lui sourit lentement tout en lui faisant un clin d’œil.
Le résultat, instantané, frôla le désastre. L’expression de Maureen passa
immédiatement d’une nervosité déterminée à une appréhension nerveuse.
Ratant une marche, elle s’agrippa rapidement à son père des deux mains. Son
père se tourna vers elle, lui serrant les mains pour la réassurer tout en lui disant
quelques paroles d’encouragement. Sa lèvre inférieure et ses mains tremblant,
Maureen retourna son sourire à Mike.
Réalisant qu’il venait de compromettre le fragile équilibre de sa fiancée, Mike
baissa les yeux et se tourna vers l’autel alors que Maureen prenait place à ses
côtés, face au célébrant. Il prit délicatement sa main dans la sienne, appliquant
une douce pression. Il n’osa serrer davantage de peur que sa joyeuse fiancée
perde ce qui lui restait de contrôle et se sauve vers la sortie.
Le célébrant, âgé et bienveillant, commença la cérémonie pour progresser
rapidement vers l’échange des vœux. Tout en lisant les vœux que Mike devait
répéter, le célébrant se trompa en appelant Maureen "JoAnne Maureen" plutôt
que "Joan Maureen." Cette diversion momentanée, combinée à l’amour de Mike
pour Maureen et à son inquiétude qu’elle perde contrôle ne laissèrent aucune
place aux pensées négatives du bégaiement. Avec une fluence qui allait plus
tard l’étonner, Mike prononça son engagement avec assurance et émotion.
Maureen, enveloppée d’un calme serein, réciproqua l’engagement, doucement et
chaleureusement.
Les vœux de mariage, dont Mike craignait qu’ils ne se transforment en
suprême embarras, ne posèrent aucun problème. Le nouveau couple allait
connaître les embuches normales de la vie à deux ; mais la fondation étant
solide, ce mariage allait survivre et s’épanouir. Leur amour allait les aider à
passer au travers.
Traduction de Wedding Vows: For Better – For Worse – par Alan Badmington et
Marriage Vows, an autobiography par Mike Hughes.
Traduction de Richard Parent, mai/juin 2011.

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