Afrique de l`Est : l`enfant atteint d`albinisme au centre de

Transcription

Afrique de l`Est : l`enfant atteint d`albinisme au centre de
Mai 2015
Marie-Thérèse Maruri et Chloé Mollard
Afrique de l’Est :
l’enfant atteint d’albinisme au centre de nombreuses violences
La situation des personnes atteintes d’albinisme est alarmante dans certaines
régions d’Afrique. Leurs droits fondamentaux sont violés. Elles sont discriminées,
marginalisées à cause de leurs différences physiques et, depuis quelques années,
elles risquent leur vie en raison de superstitions. Aujourd’hui, ce phénomène
ressurgit à la une des journaux et préoccupe sérieusement l’arène internationale. Le
Conseil des droits de l’homme vient de créer un mandat d’expert indépendant pour
établir un état des lieux détaillé sur l’exercice des droits de l’homme des personnes
atteintes d’albinisme.
Selon le dictionnaire médical Manuila 2014, l’albinisme est “l’absence totale
congénitale et héréditaire de pigment mélanique dans la peau, le système pileux et
les yeux (...)”. Dans le monde, il y aurait une personne sur 20’000 atteinte
d’albinisme, mais c’est dans certaines régions d’Afrique, comme en Tanzanie, que le
taux de cette maladie congénitale est le plus élevé au monde : une personne sur
1429 est atteinte dans ce pays. Ceci s’expliquerait par le haut pourcentage
d’alliances consanguines dans certaines communautés. En effet, les deux parents
doivent être porteurs du gène pour donner naissance à un enfant albinos (Cruz-Inigo,
Ladizinski & Sethi, 2011). Comme la population vit souvent dans l’extrême pauvreté
et sous un soleil tropical, cette maladie rend les individus plus vulnérables sur le plan
sanitaire : l’absence de mélanine dans leur peau et dans leurs yeux augmente les
risques de développer un cancer et leur vue est très diminuée (Engstrand-Neacsu &
Wynter, 2009). C’est pourquoi l’espérance de vie de ces personnes est de 30 ans,
alors qu’elle est de 60 ans en moyenne pour le reste de la population subsaharienne
(Blum E. 2015).
Dans certains pays d’Afrique de l’Est, il existe des croyances liées aux personnes
atteintes d’albinisme. Celles-ci sont, en effet, vues comme des êtres « magiques »,
possédant certains pouvoirs et dont les parties du corps, portant bonheur, sont
susceptibles d’amener gloire et argent à quiconque les possède. Des mutilations ou
des crimes rituels sont alors commis sur ces personnes, afin de récolter leurs
organes pour faire fabriquer des amulettes par des sorciers. Ce phénomène n’est
connu que depuis peu au niveau international et proviendrait, selon la population
locale, des sorciers qui, souffrant de la crise économique, auraient trouvé cette
stratégie pour améliorer leur propre condition. Un corps entier pourrait être revendu
jusqu’au prix de 75’000 dollars (environ 70’000 CHF), (Bucaro, 2010).
L’apparition de ces pratiques meurtrières remonterait aux années 2000, bien que
l’année exacte ainsi que le nombre de victimes enregistrées jusqu’à présent restent
flous et diffèrent selon les sources. A titre d’exemple, la Tanzanie relève la mort d’au
moins 75 victimes depuis 2000 (Costard, 2015).
1
Mai 2015
Marie-Thérèse Maruri et Chloé Mollard
Le Conseil des droits de l’homme a pris en main cette problématique et a décidé, lors
de la vingt-huitième session, en mars 2015, de créer un “nouveau mandat d’expert
indépendant sur la question des droits de l’homme des personnes atteintes
d’albinisme”, et cela pour une période de 3 ans (Bizani, 2015). Les résultats qui
ressortiront de ce rapport auront, bien évidemment, un impact crucial sur l’avenir de
la situation des albinos d’Afrique.
Dans un article de Cruz-Inigo, Ladizinksi & Sethi, traitant des cas d’albinisme dans
toute l’Afrique, il a été constaté que beaucoup de victimes de meurtre étaient des
enfants, une population plus vulnérable, à laquelle il est plus facile de s’attaquer. En
rédigeant cet article, nous voulions avant tout souligner la particularité de la situation
de ces enfants, situés au carrefour de multiples violences quotidiennes. Tout
d’abord, il nous semble pertinent de relever la manière dont les meurtres sont
commis. Elle renvoie à la violence physique extrême. En effet, les assaillants
n’hésitent pas à démembrer des enfants, les abandonnant ainsi dans une longue et
douloureuse agonie avec leur famille (Engstrand-Neacsu & Wynter, 2009). Ces
attaques sont donc susceptibles de causer de véritables traumatismes psychiques
pour les frères, sœurs et les autres témoins de l’agression, sans oublier les quelques
enfants albinos ayant survécu. Si ces traumatismes ne sont pas rapidement pris en
charge au travers de soins psychothérapeutiques, les séquelles peuvent avoir de
graves répercussions sur les capacités intellectuelles des enfants. Nous pouvons
donc voir ici comment la violence physique se mélange souvent à la violence
psychologique.
Quand les enfants atteints d’albinisme ne sont pas directement agressés ou tués, ils
vivent dans une peur profonde, envahis par un sentiment de persécution. Certains,
vivant dans les zones rurales éloignées, sont contraints de rester cachés dans leur
maison pour échapper aux menaces. Cette frayeur peut s’apparenter à celle vécue
par les enfants juifs cachés, victimes de persécutions antisémites pendant la
Seconde Guerre mondiale, sujet étudié par Zjade dans son article issu de travaux
cliniques. Tout comme ces derniers, les enfants atteints d’albinisme, même très
jeunes, ressentent le danger que leurs parents dégagent au travers des
comportements non verbaux, qui se traduit en angoisse partagée. Progressivement,
celle-ci se transforme en sentiment durable d’insécurité et les plonge dans
l’incompréhension (Zjade, 2006).
Aux traits physiques distincts et propres à l’albinisme vient s’ajouter une structure
sociale imprégnée des croyances superstitieuses, ce qui rend la situation propice au
rejet social et aux discriminations (Cruz-Inigo, Ladizinksi & Sethi, 2011).
L’intériorisation de ces imaginaires projetés par leur milieu et le constant mépris à
leur égard tendent à développer “un complexe d’infériorité qui les handicape, plus ou
moins profondément, dans leur développement psychique et relationnel” (Chelala,
2007, p. 75). En outre, les discriminations ont de fortes conséquences néfastes sur
différents aspects de la vie de ces enfants, aussi bien à l’école, dans la relation avec
leurs pairs que dans l’élaboration de leur identité.
2
Mai 2015
Marie-Thérèse Maruri et Chloé Mollard
Différents centres ou écoles spécialisées recueillant des enfants atteints d’albinisme
ont été créés par les gouvernements de certains pays d’Afrique concernés par ce
fléau. Certains parents choisissent, en effet, de placer leur enfant dans un centre
fermé, surveillé jour et nuit, afin de lui offrir une protection optimale contre les
malfrats, sécurité qu’ils ne peuvent pas offrir eux-mêmes. Nous nous permettons de
faire un parallèle entre ces “refuges” et les institutions où les enfants victimes de
violence de la part de leurs parents sont placés par les services de protection de la
jeunesse, dans nos contrées. Bien que le sens donné à ce placement ne soit pas le
même; les uns sont placés pour être protégés d’une maltraitance future possible
causée par un individu qui n’est pas toujours connu, les autres le sont pour être
protégés de leurs propres parents. Ces deux placements ont lieu afin d’amener une
certaine protection à l’enfant, mais à quel prix ?
Selon Berger, cité dans Doudin & Curchod-Ruedi, 2014, le placement en institution
lui-même pourrait être considéré comme une forme de violence, puisque l’enfant est
séparé de sa famille et de son lieu de vie et que ce placement est parfois abrupt.
Cette séparation peut donc être vue comme une nouvelle violence qui s’ajoute à
celles que l’enfant albinos a déjà vécues (McMahon & Clay-Warner, cité dans Doudin
& Curchod-Ruedi, 2014). Par ailleurs, comme nous l’avons souligné précédemment,
la plupart de ces enfants subissent de grands traumatismes psychiques, qui risquent
de laisser des séquelles. Il est intéressant de se demander si un travail est fait sur le
plan psychologique avec ces enfants, lorsqu’ils sont placés et, le cas échéant, quels
soins thérapeutiques leur sont apportés ? Il faut, bien entendu, garder à l’esprit que
ces centres ont été créés dans l’urgence, dans le but principal de protéger ces
enfants. Certains de ces centres recueillent uniquement des enfants atteints
d’albinisme. Ils se retrouvent donc entre eux à l’écart de la population locale, ce qui
peut renforcer leur stigmatisation. Afin d’éviter cela, Kiprono, Joseph, Naafs & Chaula
(2012) proposent de favoriser les relations de ces enfants avec le reste de la
population.
L’enfant atteint d’albinisme semble bel et bien être au croisement de presque toutes
les formes de violence. De plus, plusieurs de ses droits fondamentaux, contenus
dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et la Charte Africaine,
ratifiées par plusieurs pays d’Afrique, ne sont pas respectés, tels que le droit à la vie,
à la non-discrimination, à l’éducation, etc. Il s’agit donc d’une situation d’urgence qui
touche plusieurs aspects de la vie de ces enfants, qu’il est essentiel d’approfondir. La
sensibilisation à ce phénomène à large échelle manque cruellement, ce qui explique
la faible existence de littératures scientifiques. Les efforts des organismes
internationaux sont louables, bien qu’il reste encore des progrès à réaliser.
3
Mai 2015
Marie-Thérèse Maruri et Chloé Mollard
Références bibliographiques
Assemblée générale des Nations Unies. Conseil des droits de l’homme.
(25.03.2015). Vingt-huitième session : Expert indépendant sur l’exercice des droits
de l’homme des personnes atteintes d’albinisme.
Repéré à : http://ap.ohchr.org/documents/F/HRC/d_res_dec/A_HRC_28_L10.pdf ,
le 27.04.2015.
Bucaro, S. (2010). A black market for magical bones : the current plight of east
african albinos. Law eCommons, 115(2), 131-140.
Repéré à : http://lawecommons.luc.edu/pilr/vol15/iss2/8/, le 30.04.2015
Chelala, N. (2007). L’albinos en Afrique. La blancheur noire énigmatique. Paris :
L’Harmattant.
Cruz-Inigo, A., Ladizinski, B., & Sethi, A. (2011). Albinism in Africa: Stigma, Slaughter
and Awareness Campaigns. Dermatol Clin 29, 79–87.
Repéré à : http://www.derm.theclinics.com/article/S0733-8635%2810%29001403/fulltext , le 26.04.2015
Doudin, P.-A., & Curchod-Ruedi, D. (2014). Violences institutionnelles: risques et
prévention.
Schweizerische Zeitschrift für Heilpädagogik, 6 (08), 21-26.
Repéré
à
:
http://www.cspszh.ch/bausteine.net/file/showfile.aspx?downdaid=8467&guid=70ef45
0c-c58f-402c-ba24-4f80cc6b7b3e&fd=3 , le 28.04.2015.
Engstrand-Neacsu, A., Wynter, A. (2009). À travers les yeux des albinos. Le sort
tragique des albinos dans la région des Grands Lacs en Afrique et la réponse de la
Croix-Rouge. Etat des lieux et recommandations.
Repéré à : https://www.ifrc.org/Global/Publications/general/177800-Albinos-ReportFR.pdf , le 27.04.2015.
Kiprono, S. K., Joseph, L. N., Naafs, B., & Chaula, B. M, (2012). Quality of life and
people with albinism in Tanzania : more than only a loss of pigment.
Repéré à : http://omicsonline.org/scientific-reports/srep283.php#9 , le 28.04.2015.
Manuila, L., Manuila, A., Lewalle, P., Nicoulin, M., & Papo, T. (2014). Albinisme.
Dans Dictionnaire médical Manuila (10ème édition, p.704). Paris, Masson.
Zajde, N. (2006). Le traumatisme des enfants cachés. Bulletin du Centre de
recherche français à Jérusalem, (17), 160-174.
Repéré à : http://bcrfj.revues.org/199 , le 28.04.2015.
4
Mai 2015
Marie-Thérèse Maruri et Chloé Mollard
Pages Web / Internet
Bizani, K. (27.03.2015). Le Conseil des Droits de L’homme adopte 13 résolutions; Il
créée un mandat d’expert chargé des droits de l’homme des personnes atteintes
d’albinisme.
Repéré à :
http://unictunis.org.tn/2015/03/27/le-conseil-des-droits-de-lhommeadopte-13-resolutions-il-creee-un-mandat-dexpert-charge-des-droits-de-lhommedes-personnes-atteintes-dalbinisme/ , le 29.04.2015.
Blum, E. (25.03.2015). Vrai ou faux : tout savoir sur les albinos.
Repéré à : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150324152642/ ,
le 2.05.2015.
Centre d’actualités de l’ONU. Les dépêches du Service d’information de l’ONU.
(19.02.2015). Tanzanie : l'ONU condamne la mutilation et le meurtre d'un bébé
albinos âgé d'un an.
Repéré
à
:
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=34298#.VUM6GFwhxc5 ,
le 26.04.2015
Costard, E. (6.03.2015). En Tanzanie, condamnations à mort pour le meurtre d’une
albinos.
Repéré
à
:
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/06/en-tanzaniecondamnations-a-mort-pour-le-meurtre-d-une-albinos_4588603_3212.html ,
le 2.05.2015
United Nations Human Rights. Office of the High Commissioner for Human Rights.
(10.03.2015). Zeid calls for action after surge in “stunningly vicious attacks” on
people with albinism in East Africa.
Repéré
à:
http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=15673&La
ngID=E , le 29.04.2015.
Enregistrements vidéos
Méan, J.-F. & Kalima J. (2011). Blanc & Noir : Crimes de couleur [Reportage]. Dans
Dépraz, C. & Tagnard, E, (réalisateurs), Dieu sait quoi. Suisse : RTS, Radio
Télévision Suisse.
Skarbaek Nielsen, S., & Folsach Madsen, C. (2009). Albinos d’Afrique, meurtres et
sorcellerie. [DVD]. Danemark.
5

Documents pareils