La femme, le poids et la société
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La femme, le poids et la société
Gynéco et société La femme, le poids et la société Woman, weight and society Michèle Lachowsky* I * Service de gynécologie obstétrique, hôpital Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris. l n’y a plus une consultation de gynécologie où l’on ne parle du poids, du poids réel, du poids désiré, du poids fantasmé. Angoisse qui dépasse même celle du cancer, elle empiète sur la qualité de vie de nos contemporaines, que ce terrorisme tyrannise en y greffant l’image d’un vieillissement aussi inéluctable qu’intolérable. Car il est capital aujourd’hui (est-ce vraiment propre à notre époque ?) de correspondre aux exigences de la société, dont les diktats ont valeur de loi, sans même avoir besoin d’être ouvertement votés. Évidences, décrets suivis par la rue comme par l’establishment (la nomenklatura ?), ne pas s’y soumettre paraît impensable et même dangereux, comme dans toute dictature. Oui, me direz-vous, mais celle-ci n’est-elle pas librement consentie ? Comme pour tout consentement dit “éclairé”, il n’est pas si simple d’aller à contre-courant, de dire non, de vivre ce non tous les jours, “et s’il n’en reste qu’un(e)…”, autrement dit de résister, même si cela revient à préférer une torture à une autre ! Même les mots pour le dire ont évolué : il n’y a plus de “bons gros” (toujours au masculin !), il n’y a plus que “de la mauvaise graisse”. Et pour obtenir faveurs ou emplois, on ne “graisse plus la patte” mais on donne des dessous-de-table, ou peut-être encore des pots-de-vin, boire étant resté plus noble que manger et, surtout, synonyme de “bon vivant”, du moins au masculin. Mais restons sérieux, et néanmoins allégés, car sans cela point de salut : “Grossir, c’est vieillir”, deux propositions totalement inacceptables dans notre société occidentale qui regarde la faim du monde en décomptant ses calories sur des tables dressées par les journaux féminins, la télé et leurs publicitaires. Et pour nommer ces corps labellisés socialement conformes, “svelte”, “élancée” s’effacent devant “longiligne” (faut-il aussi être grande ?) et mince. Mince, le maître-mot, le Graal, classiquement inatteignable pour la plupart d’entre nous. D’ailleurs, nos compatriotes, soucieuses peut-être de leur identité nationale, sont unanimes pour exprimer leur insa- 6 | La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010 tisfaction : elles en veulent toujours moins, quitte à travailler plus pour perdre ce “trop” plus imaginé qu’imaginaire, cette image de surpoids : n’ont-elles pas toutes 4 kilos à perdre pour atteindre cette norme fantasmée ? L’Institut national d’études démographiques (INED) nous le confirme plus officiellement : l’indice de masse corporelle (IMC) moyen des Françaises est de 23,2, ce qui les place en pole position des Européennes les plus minces. Pour autant, elles ne sont pas satisfaites de leur poids réel, car celui non moins idéal qu’elles visent correspond à un IMC de 19,5, médicalement trop bas. Intervient alors cette nouvelle expression, le “sous-poids”, interprétée de façon toute personnelle par chacune. Et l’étude de confirmer que la moitié des Françaises en sous-poids ne le reconnaissent pas, à l’inverse des Anglaises et des Sud-Européennes qui s’estiment assez volontiers plus légères qu’elles ne le sont. S’en portent-elles plus mal ? La statistique ne le dit pas. Facile d’ironiser certes, et d’oublier que si les canons de la beauté ont beaucoup varié, ceux de la santé sont bien neufs. Nous sommes tous aujourd’hui convaincus qu’une alimentation équilibrée, bien différente en qualité comme en quantité de nos habitudes ancestrales est, avec un exercice physique bien compris, le meilleur garant de notre fameuse longévité. Mais où en serait le bénéfice si elle ne s’accompagnait pas d’une bonne santé, prise bien sûr au sens global que précise la définition de l’OMS : “La santé est un état de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. Souvent femme varie, mais il semblerait qu’elle ne soit, loin s’en faut, pas toujours satisfaite de ces variations. Notre société glorifie la jeunesse et ses attributs dont la minceur n’est pas le moindre, elle se détourne de la vieillesse et, de peur de s’y retrouver, elle retombe non pas en enfance mais “en adolescence”, selon le mot de Cyrille Koupernik. Mais est-ce si récent ? Non, sans doute, sauf qu’aujourd’hui, contre les effets du temps, les femmes nous appellent à l’aide, nous les gynécologues, qu’elles ont bon gré mal gré enrôlés dans leur lutte contre la fameuse fata- Gynéco et société lité du fait féminin. Et s’il y en a une qui paraît absolument intolérable de nos jours, c’est bien la prise de poids, avec les remaniements de la silhouette que le rapport taille-hanche implique. Amusons-nous un instant avec la première silhouette à apparaître dans notre vocabulaire : curieusement celle d’un homme, Étienne de Silhouette, impopulaire, caricaturé en maigre ombre chinoise et chansonné pour ses projets d’économie lors d’un court passage aux finances en 1759, mais totalement oublié depuis malgré ce legs, bien involontaire il est vrai. “Grossir, c’est vieillir” titrait déjà dans les années 1950 un magazine féminin. On pourrait aussi bien inverser la proposition, en relisant les phrases que Colette prête à Chéri dans La fin de Chéri : “Comment cela lui est-il arrivé d’être vieille ? Tout d’un coup, un matin ? Ou peu à peu ? Et cette graisse, ce poids dont gémissent les fauteuils ? Est-ce un chagrin qui l’a changée ainsi, et désexuée ?” Léa, qu’il regarde ainsi, a la cinquantaine. Notons tout de même qu’à cette époque, Colette vivra une liaison de 5 ans avec son beau-fils de 17 ans, alors qu’elle en a 47... Il n’est pas défendu de penser que le rayonnement intérieur se voit de l’extérieur, compensant ce que le poids et l’âge ont terni, ce changement des formes et des couleurs que premenstruum, grossesses et ménopause dessinent sur le corps féminin. Colette, parlons-en, et de ses instituts de beauté, sans oublier que le premier du genre date de 1895 à Paris. Changement des formes et des couleurs, on peut aussi se demander si la mode et les goûts changent parce que change le corps des femmes, ou si celles-ci, adaptables, se modifient selon les oukases de ceux qui les habillent. Les canons de la beauté, ces sceaux qui marquent le corps des femmes plus encore que celui des hommes, évoluent avec le temps, peutêtre avec les mœurs. Telles hanches en amphores, telles opulentes poitrines qui faisaient la gloire des femmes du début du siècle sont aujourd’hui sources de chagrin et même de consultations médico-chirurgicales. Certes, pour celle qui s’est vue belle dans les yeux d’un autre, de l’autre, tout reste possible. Les yeux de la mère, du père, ceux de l’amant, ceux du colleur d’affiches qui se retourne et la siffle dans la rue, vont permettre à la femme d’oublier son obsession du poids, d’avoir confiance en sa propre affiche... ou au contraire la précipiter dans ces endroits que l’on nomme à tort ou à raison “instituts de beauté”. Et que dire de l’effet Internet, de cette araignée au dangereux savoir-faire : “Moins 30 kg en 3 semaines”… et en un seul clic sur “www, je-mange-bien-et-je-maigris”, voilà la mouche engluée une bonne fois pour toutes. La recherche du poids idéal, est-ce celle de la beauté ? Parlons-en, puisque c’est bien de cela aussi qu’il s’agit. Il fut un temps où l’idéal féminin était la blancheur de la peau, tout au plus un peu nacrée ou rosée, et les grands chapeaux ombraient alors les visages. Aujourd’hui, il faut être bronzé toute l’année, quitte à risquer au mieux des rides, au pire un cancer cutané. Et l’opulente chevelure, avait-elle un poids ? La garçonne avait coupé ses cheveux par défi, au moment où Poiret et Chanel la débarrassaient de son corset, elle y a aussi laissé l’opulence de sa poitrine, allez savoir pourquoi. Le Wonderbra vient d’arriver, nous montrant bien qu’il faut de nouveau avoir des formes. On vous le disait bien : “Souvent femme varie”. Mais est-ce vraiment elle qui varie ? Mène-t-elle le jeu, ou le croit-elle ? Les mots pour le dire ont ici été bien utiles, car les chiffres, eux, parlaient depuis longtemps sans réussir à se faire entendre : en effet, les tables actuarielles des compagnies d’assurances ont toujours exprimé clairement l’effet délétère de l’excès de poids et considéré l’obésité comme un risque. Mais l’obésitémaladie est un concept assez récent et, en tout cas, un concept médical. Où commence-t-elle pour nos patientes, qui usent d’une autre table que la nôtre pour apprécier – ou plutôt déprécier – leur surpoids ? Ce superflu qui les guette à chaque tournant de leur vie de femme, “ces signes extérieurs de grossesse”, d’ordres et de désordres hormonaux, voilà qu’avec le temps, il devient synonyme de perte. Dans l’imaginaire, mais aussi dans la réalité, soyons justes : perdre son utérus, perdre ses règles, hystérectomie et ménopause, tout cela fait prendre du poids et confirme une évidence, on a “pris de l’âge”. Cette enveloppe dans laquelle une femme a souvent eu bien du mal à se couler à la puberté était peutêtre devenue tout à fait habitable une fois acceptées les données corrigées en variations cycliques. Mais “des ans l’irréparable outrage”, cristallisé par le poids autant que par la ménopause et son traitement, comment y faire face ? Et ce dans un monde où la convivialité est remise à l’honneur, où les grandes tablées familiales et les recettes de confitures à l’ancienne redonnent à la cuisine ses lettres de noblesse. Cuisine qui n’est plus le lieu de l’enfermement mais celui où la femme pourra bien sûr donner libre cours à une autre forme de créativité, à une autre manifestation de son amour pour les siens. La nourriture, le bien, ou plutôt le bon-manger, sont alors vécus comme bénéfiques, comme source de plaisir, au même titre que la sexualité, du temps pas si lointain où les maladies sexuellement transmissibles n’avaient pas encore remplacé le péché. La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010 | 7 Gynéco et société Corps réel et corps imaginaire Alors, comment s’y retrouver, comment faire coïncider son corps réel et son corps imaginaire quand sur la même page en papier glacé et quadrichromie, un magazine pas toujours féminin donne à voir la recette d’un hivernal et plantureux cassoulet à côté d’un vêtement ravissant, qui n’existe pas au-delà de la taille 44... et encore. N’êtes-vous jamais entrée dans une boutique où le regard appuyé ou absent des vendeuses vous convainc sur-le-champ que rien ne vous conviendra, donc que vous n’êtes pas aux normes ? Et pourtant, point n’était besoin de la très sérieuse enquête de la faculté de Genève pour savoir “qu’une personne gourmande est considérée comme séduisante”. Les deux tiers de l’échantillon interrogé, sans différence d’âge, de sexe, de religion ou de nationalité, ont ainsi plébiscité l’image de la personne qui mange bien et a du plaisir à manger, opposée à celle, ascétique et maigre, qui contrôle ses instincts alimentaires. Problème sémantique, allez-vous me répondre, car, en fait, hormis dans les grands troubles du comportement alimentaire, aucune femme ne souhaite être maigre, mais bien être mince, même si la frontière est ténue et, surtout, très variable d’une époque et d’un milieu à l’autre. Mais, insidieusement, notre société, qui ressent le besoin de se justifier, se veut – dit-elle – un garde-fou à la consommation à outrance. L’obésité augmente inexorablement, certes, mais en parallèle à l’anorexie, dont on sait qu’elle touche davantage les femmes. L’effet de loupe de la mode prend ici toute son ampleur : dans le même temps, les actrices et autres people font valoir leur silhouette plus qu’épurée et, quelques pages plus loin dans le même magazine, le journal se dédouane et moralise dans un article soulignant le drame de l’anorexie, addiction pourtant entretenue par ces jeunes femmes devenues des modèles et non plus des mannequins. Sur cette balance socio-culturelle, le poids des corps et celui des mots s’affrontent toujours… Et quel meilleur exemple que l’évolution de celui-ci : obèse (dérive du latin ob-edere, grignoter, ronger). Curieusement, de ce sens premier qui signifiait “rongé, décharné”, autrement dit maigre, on est passé à la forme active : “qui ronge, qui mange”. Et nous voici arrivés à l’acception actuelle de ce terme, non seulement gras ou gros, mais “dangereusement gras” ou “maladivement “gros”. Mais revenons-en à la nécessité sociale actuelle : être mince et le rester, pour qui, pour quoi ? Bien entendu pour soi-même, car sans estime de soi, pas d’estime de l’autre. Il faut s’aimer assez pour se juger digne du désir et de l’amour de l’autre, pour se sentir 8 | La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010 vue, atteinte par son regard. La vue justement, avec l’odorat pour la nourriture et le toucher pour la sexualité, est bien ici le sens premier, et c’est pourquoi il ne s’agit pas tout simplement de poids mais aussi de formes. Mais, là encore, la traîtrise est dans les mots, car rien ne saurait être “gros”. De beaux seins, des hanches rondes, une bouche bien dessinée ou de grands yeux, et surtout pas de gros mots mais des grands et des petits, pour en arriver à une intimité qui ne rendra plus la femme grosse mais enceinte, mot qui n’admet pas le masculin. Le masculin et le féminin Tout cela est sans doute bien difficile à intégrer par notre langue qui a toujours plus accordé sa confiance à un homme de poids qu’à une femme légère... Serait-ce justement une des clés ? Y aurait-il deux poids et deux mesures pour le masculin et le féminin, comme pour l’âge par exemple, où la séduction des tempes argentées est surtout l’apanage de l’homme ? En apparence, la réponse est oui, mais en apparence seulement. Oui, car la société a toujours pesé davantage sur le corps de la femme, dont les rondeurs tant chantées prouvaient non seulement le bon goût mais aussi la richesse et la réussite de celui qui l’affichait, et ainsi la faisait exister. Oui, car la mode et les modes ont toujours contraint les formes féminines, plus en tout cas que les formes masculines. On peut cependant se demander si ce n’est pas plutôt le corps féminin lui-même qui, en se transformant, a transformé le vêtement et le goût. La femme de Cranach, reins cambrés et ventre saillant, est loin de celle de Renoir, mais entre-temps, celle de Rubens nous offre ses rondeurs nacrées, dans une opulence bien loin de nos critères actuels. Certes, des préraphaélites à Picasso, les formes ne se laissent guère traduire en ces termes. Oui, et c’est encore une des manifestations de ce fameux “jeunisme” dont nous parlions récemment. Le poids des femmes et la société ? Entendons-nous, est-ce le poids en kilos, ou le poids de leur valeur ajoutée ? Sans doute les deux, car on exige encore davantage de la polytechnicienne ou de la ministre, dont l’apparence physique suscite plus de commentaires que leurs travaux, en tout cas plus que celle de leurs homologues masculins. Non, car trop de kilos c’est pour les deux sexes moins d’espérance de vie et moins de qualité de vie, c’est l’inconfort personnel et social au quotidien et la maladie au futur. Le statut hormonal de la femme la sert et la dessert, cellulite et variations pondérales selon Gynéco et société le cycle, certes, mais aussi protection du système cardio-vasculaire, un plus pour la santé, un moins pour le miroir, mais aucun choix. “Quand les gros maigrissent, les maigres meurent” dit un proverbe chinois. Où il est dit que si le poids des mots est – presque – partout le même, les maux du poids diffèrent. La maigreur de la pauvreté, nous la connaissons aussi, et de nouveau, même si depuis longtemps ce n’est plus notre pain que nous gagnons mais notre beefsteak. Cette misère du corps, que nos livres qualifiaient de physiologique, nous confronte à notre impuissance d’être humain. Celle de l’anorexie mentale ou de la phase terminale d’une maladie – longue et douloureuse, que l’on commence courageusement à appeler par son nom, cancer ou sida – nous confronte surtout à notre impuissance de médecin. Car ces corps dramatiquement légers portent tout le poids de la mort, sans l’inutile secours des mots. “Madame se meurt, Madame est morte” : qui se souvient de ce qui suit dans la fameuse oraison funèbre de Bossuet ? L’écoute des mots Mais nous sommes des animaux doués de parole. Notre vie en société a besoin de mots, ces mots qui peuvent être simples ou sophistiqués, tout comme les autres instruments de notre métier. Les mots sont notre propriété à tous, mais l’égalité ne règne pas plus là qu’ailleurs, nous n’avons ni le même nombre d’adipocytes, ni le même nombre de mots à notre disposition, de ces mots créés et compris par les uns mais pas toujours par les autres. Nous, médecins, ne parlons plus latin, mais nous faisons-nous toujours comprendre et essayons-nous toujours d’entendre ? Les maux du poids, il nous faut les lire sur le corps autant que dans les mots de nos patientes. Elles n’ont pas toujours envie de dire, elles attendent parfois que nous comprenions à demi-mot, et c’est sans doute une des raisons d’être de ces kilos en trop qui parfois les défendent mais aussi les attaquent en les mettant au ban du monde extérieur. Et pourtant, nous savons bien que maigrir de 10 kilos à la suite de la mort d’un enfant vous assurera tout l’intérêt des voisins, alors que l’opération inverse, tout aussi involontaire et douloureuse, paraîtra incongrue, voire choquante. Comment traduire en mots ce jeu de cache-cache où l’indicible soit se terre sous des couches protectrices, soit disparaît dans la transparence de l’écorchée vive ? Heureusement, cela n’est pas le quotidien de notre pratique, où la maigreur parfois dite “élégante” est moins fréquente que les problèmes d’excès de poids. “Problèmes”, mot employé à dessein, car l’excès n’est pas toujours médicalement vérifié ; il peut n’exister que dans la représentation que notre consultante a de son corps, ou plutôt de ce corps qui n’est pas celui qu’elle voudrait habiter. La traiter est souvent moins aisé que de venir à bout du surpoids patent de la jeune femme qui vient d’accoucher et que sa mère nourrit bien pour qu’elle reprenne ses forces, mais les deux méritent et notre soutien et notre savoir, et notre oreille et notre expérience. Les mots pour le dire se doivent d’être sinon doux du moins adoucissants, et ceux de la patiente sont souvent plus révélateurs que les nôtres. À bien les écouter, le gynécologue approchera mieux le mode de pensée et de vie de la femme que les kilos en trop ou vécus comme tels déforment ou cachent. Du principe de précaution au principe de plaisir, les mots s’allégeront s’ils ouvrent sur des choix adaptés et adaptables plutôt que sur des interdictions. Et seule leur efficacité dira le poids de ces mots qui sont peut-être une de nos thérapeutiques les plus puissantes, mais sûrement pas la moins dangereuse. Sur la balance de la vie, le poids des ans et le poids des mots ne varient-t-ils pas avec le temps, celui de la patiente comme celui du médecin ? Que nous demandent-elles, au fond, nos patientes, dissimulées ou révélées par leurs mots et leurs corps ? Elles attendent tout simplement de nous que nous leur sculptions un corps autre, celui qui leur apporterait tout l’amour du monde, tous les matins du monde. Leur faire entrevoir une vie libérée de cette forme de terrorisme socioculturel, c’est revenir à Hippocrate et oublier un peu la haute technicité, qui est d’ailleurs, avouons-le, assez décevante ici. “Guérir parfois, soulager toujours” est une manière de répondre à la demande de nos patientes et, surtout, d’exprimer nos limites, mais franchement, quand il s’agit de poids ou d’amour, où peuvent bien se situer les limites ? ■ La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010 | 9