Qualité de vie des patients en cancérologie ORL – Quality of life in
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Qualité de vie des patients en cancérologie ORL – Quality of life in
mise au point Qualité de vie des patients en cancérologie ORL Quality of life in head and neck cancers Emmanuel Babin*, Guillaume Grandazzi** Emmanuel Babin L’ allongement de la durée de vie et les progrès thérapeutiques sont à l’origine d’une augmentation de la quantité de vie gagnée des individus malades. Toutefois, le maximum de survie n’est plus l’objectif unique des patients. La qualité de vie (QdV) est devenue une revendication majeure pour l’ensemble des acteurs de la santé (1) et des patients, ainsi qu’une valeur médicale. Les travaux dans ce domaine sont légion et, depuis la fin des années 1970, “la mesure de la qualité de vie est passée de la petite entreprise rurale à l’échelon de l’industrie universitaire” (2). Définition * Service ORL et chirurgie cervicofaciale et ** laboratoire “cancers et population” ERI3 Inserm, Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités (CERREV), Caen. Les définitions de la QdV sont nombreuses, comme les expressions utilisées pour signifier ce qu’elle désigne : “bien-être”, “satisfaction”, “patientreported outcome”, etc. Dans le domaine de la santé, la QdV correspond à “la perception subjective par l’individu de son état physique (fonctionnement organique), émotionnel (état mental, psychique) et social (aptitude à engager des relations normales avec autrui) après avoir pris en considération les effets de la maladie (symptômes) et de son traitement (séquelles, handicap)” [3]. C’est une mesure subjective de soi dans le monde déterminée par la santé physique, mais aussi liée aux facteurs culturels, à l’expérience, à la connaissance et aux valeurs de chacun. La QdV en médecine était initialement définie à partir d’études de patients atteints d’une maladie chronique avant d’étendre son concept à la cancérologie. Ce concept s’est modifié au cours du temps. Au xxie siècle, l’évaluation de la QdV des malades est actuellement incluse comme critère d’évaluation dans les essais cliniques au même titre que la 10 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 survie ou le taux de réponse. La QdV sert à mesurer la santé, et plus précisément à quantifier l’impact des maladies ou des interventions sur le vécu des patients. Problématique En cancérologie Dès le début de son histoire avec le cancer, l’individu est exposé à un changement dans son mode de vie. Cette annonce d’une maladie grave projette irrémédiablement l’image de la souffrance et de la mort dans l’esprit des individus (4). Le patient doit pactiser avec le stress et l’angoisse générés par la maladie. Il existe une transformation de la temporalité. Les patients se créent une nouvelle identité. Ils obéissent à un rôle socialement défini avec les soignants et leurs proches. Ils apprennent sans cesse à être dociles pour être un bon patient, à attendre des résultats, à se soigner. Leurs pensées sont contaminées par l’imprévisibilité. Ils vivent dans l’incertitude. L’annonce du cancer bouleverse l’équilibre de l’individu, porte atteinte à sa vie, provoque une rupture biographique et entraîne le sujet dans l’irréel, l’absurde. Il prend pleinement conscience qu’il est mortel et doit se dépêcher de donner un sens à sa vie et à sa maladie. Dorénavant, quelle que soit l’issue, il y aura un avant et un après cette annonce et les premiers traitements. Le cancer est associé à une trajectoire de vie qui est au mieux rectiligne mais qui s’avère en fait le plus souvent descendante, avec des stigmates1 définitifs (5). 1 Le stigmate se définit comme un attribut que l’on porte et que l’on préférerait ne pas avoir. Résumé La qualité de vie (QdV) est devenue une mesure incontournable en cancérologie, et ce d’autant plus que l’espérance de vie des patients est souvent limitée. En cancérologie ORL, outre les douleurs et la fatigue, les patients décrivent des troubles fonctionnels en rapport avec l’alimentation, la phonation et la respiration. Les modifications de l’apparence physique sont source de troubles psychologiques, avec des dépressions, une irritabilité, une perte de l’estime de soi (parfois un sentiment de honte). La sociabilité des patients est altérée par la transformation des relations, la perte de l’autonomie et la réduction du pouvoir d’achat liée à la perte de leur emploi. Le cancer contamine aussi les proches qui observent une réduction de leur sociabilité et de leur QdV. Si, en cancérologie, la survie reste l’objectif premier, l’évaluation de la QdV apparaît comme un impératif, un enjeu éthique et économique. Dans le futur, la réalisation d’études qualitatives et l’apport de chercheurs d’autres disciplines des sciences humaines amélioreront sans conteste l’analyse de la QdV des patients atteints d’un cancer de la tête et du cou réalisée à partir d’enquêtes quantitatives. En cancérologie ORL Dans le domaine de la cancérologie ORL, les cancers touchent majoritairement une population souvent constituée d’employés, d’ouvriers et d’individus sans emploi. Le rôle d’une exposition aux toxiques environnementaux (alcool et tabac) dans ces cancers n’est plus à démontrer. Toutefois, expliquer la survenue des cancers du pharyngo-larynx uniquement avec des critères biologiques de toxicité reste assurément incomplet, insuffisant et surtout insatisfaisant. Ces toxiques apparaissent en effet intimement liés à des déterminants sociaux. En cancérologie des voies aéro-digestives supérieures (VADS), si les classes populaires sont les plus fréquemment atteintes, c’est que le tabagisme et l’alcoolisme, facteurs environnementaux reconnus de la maladie cancéreuse (6), constituent la manifestation d’un malaise social. Les processus observés avec la maladie néoplasique sont déclenchés par des pensées, des sentiments et des comportements associés à la situation matérielle et à la position sociale. Pour toutes ces raisons, les cancers des VADS apparaissent comme des sociopathies, l’intoxication alcoolo-tabagique apparaissant comme le moyen le plus facile et le plus accessible à presque tous pour rendre plus supportables les difficultés de l’existence. C’est au prix de ces drogues que l’individu socialement exposé essaie de vivre et de s’évader de son existence imparfaite. L’empoisonnement tabagique et alcoolique est donc bien une pratique au moins en partie socialement déterminée. Cette réflexion montre que la mesure de la QdV ne peut se résumer à un calcul quantitatif de critères physiques, psychologiques ou sociaux. C’est un tout au quotidien. Qualité de vie en cancérologie ORL Outre la fatigabilité chronique et la plus grande sensibilité aux infections, les cancers ORL et les traitements altèrent les fonctions physiologiques de l’individu : la respiration, l’alimentation et la phonation. Respirer est souvent difficile, car les encombrements trachéo-bronchiques sont fréquents. La déglutition est délicate, car la radio- thérapie a privé l’individu de salive. Les “rayons” associés à la chirurgie parfois mutilante ont modifié le goût et l’odorat. Avaler s’accompagne souvent de douleurs de type brûlures. Manger ne représente plus un plaisir, d’autant que les aliments sont le plus souvent mixés. L’administration d’une radiothérapie nécessite, dans la grande majorité des cas, des extractions dentaires multiples. La réhabilitation dentaire par appareillage est souvent tardive et mal supportée, ce qui explique le choix d’une alimentation semi-liquide. L’audition s’altère inéluctablement avec le temps, mais cette dégradation peut être précipitée si l’individu a eu un traitement avec une chimiothérapie ototoxique ou une radiothérapie. La phonation est modifiée par l’amputation partielle ou totale des structures laryngées, ou les modifications des muqueuses liées à la radiothérapie. La perte de la voix originelle constitue un des éléments majeurs de l’altération de la QdV (7). Elle est ressentie comme le plus grand trouble pour 40 % des laryngectomisés (8). Toutefois, chez le patient laryngectomisé, les troubles de la voix liés au cancer lui-même et au traitement radiothérapique (œdème, fibrose) seraient équivalents aux problèmes vocaux liés à l’utilisation de la voix oroœsophagienne ou aux autres moyens de communication (prothèse électrique, implant phonatoire) [9]. L’altération physique liée à la laryngectomie totale stigmatise les opérés. La présence d’un trachéostome représente une doléance majeure dans la vie quotidienne chez 25 % des laryngectomisés (7). Il a un impact négatif sur la vie des opérés et serait davantage préjudiciable que l’altération de la voix (10). Les problèmes sont liés aux soins quotidiens de nettoyage, qui sont source de dégoût et peuvent générer une gêne. De plus, cet orifice est source d’angoisses. Cette ouverture corporelle augmente le risque d’inhalation d’eau lors de la douche, du lavage des cheveux ou de la baignade (7). Certains patients ont parfois l’impression de manquer d’air. Ces craintes tendent toutefois à s’amender deux ans après une laryngectomie totale (7). Le trachéostome apparaît bien ici comme un facteur d’altération de la QdV. D’ailleurs, les patients qui ont conservé leur larynx ont une meilleure QdV que les laryngectomisés, tant sur le plan spécifique de leur affection que sur le plan de la santé globale (11). Mots-clés Qualité de vie Cancer de la tête et du cou Sociabilité Transformation identitaire Summary Quality of life (QoL) has inevitably become increasingly important in patient treatment, particularly in oncology where life expectancy is limited and treatment rarely offers total recovery. Patients with head and neck cancer report difficulties related to diet and feeding, communication, pain and general state of health. Psychological symptoms include depression, irritability, loss of self-esteem (sometimes feelings of shame) and are related to physical appearance. Sociability is disturbed, with relationship difficulties, loss of autonomy, reduced income. Sociability and QoL of close relatives of patients suffering from upper aerodigestive tract cancer are also modified. In head and neck cancers, survival remains the main objective but the evaluation of the quality of survival has become indispensable as well as ethically and economically required. With quantitative survey, QoL analysis would certainly be improved by the introduction of qualitative analyses and the development of research in collaboration with other human science disciplines. Keywords Quality of life Head and neck cancers Sociability Identity change La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 | 11 mise au point Abonnezvous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible page 39 www.edimark.fr Qualité de vie des patients en cancérologie ORL L’atteinte de la QdV est aussi psychologique : 30 % des patients porteurs d’un cancer des VADS déclarent une pathologie psychiatrique (12). La survenue d’un syndrome dépressif est souvent induite par des troubles physiques inhérents à la maladie et aux traitements (13). L’intoxication tabagique, les antécédents dépressifs et la douleur chronique sont aussi des facteurs favorisant la dépression (14). Les cancers des VADS induisent des changements dans la sociabilité des individus. Les effets indésirables et les séquelles des traitements des cancers de la tête et du cou ont une répercussion, certes, sur l’individu (14) mais aussi sur la famille et la société en général par le surcoût engendré. Le cancer est à l’origine d’un grand nombre d’arrêts de travail, supérieur à celui lié aux maladies chroniques (14). Les taux d’incapacité de travail chez les patients atteints d’un cancer de la tête et du cou varient de 34 % à 52 % (9, 15). Ces taux d’invalidité restent comparables selon les localisations et le temps. La diminution des revenus, observée dans 42 % des cas (16), associée à la cessation d’activité, grève les conditions de vie des patients et des familles, et retentit sur la QdV. Qualité de vie des proches Les états généraux des malades, organisés par la Ligue nationale contre le cancer depuis 1998, ont favorisé la prise en compte et la reconnaissance des proches des patients atteints d’un cancer. Aujourd’hui, les équipes soignantes reconnaissent de plus en plus le rôle important joué par les proches des malades en cancérologie et la nécessité de considérer le patient comme un sujet social inscrit dans un environnement affectif, social et professionnel. En effet, le cancer n’affecte pas seulement la personne malade, mais touche aussi son entourage : conjoint, enfants, famille, amis, etc. Ainsi, la reconnaissance de la place et du rôle du proche, qui est censé soutenir le patient dans son combat contre la maladie, nécessite de comprendre que la prise en charge de l’entourage par les soignants est indissociable de la prise en charge du malade lui-même. Une recherche pluridisciplinaire menée auprès de conjoints de patients atteints d’un cancer des VADS dans le nord-ouest de la France montre que la QdV des proches est très affectée par la survenue de la pathologie cancéreuse, dont l’impact sur la vie quotidienne est particulièrement important en cancérologie ORL. Après le choc de l’annonce du diagnostic, parfois suivi du choc de l’annonce du traitement et de ses 12 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 conséquences (par exemple si la laryngectomie est envisagée), le conjoint, souvent très présent auprès de son partenaire dans ces moments difficiles – ce dernier devient un patient affecté d’une pathologie lourde au devenir incertain –, apprend peu à peu à devenir un “aidant” et à prendre soin du malade, à le soutenir physiquement et moralement dans les différentes phases de la maladie. Dans la plupart des cas, le diagnostic du cancer provoque une rupture biographique, celle-ci affectant autant le conjoint que le patient lui-même. La vie quotidienne se trouve radicalement transformée par l’apparition de la maladie, de même que les relations au sein du couple, du fait des conséquences des traitements qui bouleversent parfois de façon définitive la vie des patients et leur capacité à communiquer et à s’alimenter. Le retour à une vie normale, telle qu’elle était avant la maladie, apparaît rapidement comme un objectif impossible à atteindre, et les conjoints doivent, comme leur partenaire malade, “vivre avec” la maladie. Les conjointes interrogées, puisqu’il s’agit principalement de femmes, manifestent ainsi une grande inquiétude pour leur partenaire, avec l’angoisse de le perdre, même si, dans certains cas, l’usure engendrée par l’accompagnement de leur partenaire pendant plusieurs années peut les amener à éprouver des sentiments contradictoires quand elles envisagent la mort de celui-ci et la vie sans lui. La découverte du cancer et les traitements mis en œuvre obligent les conjoints à des adaptations importantes de leur style de vie et à un changement radical des projets établis au préalable, à un moment où beaucoup de couples approchent de la retraite ou viennent de terminer leur vie professionnelle. Les difficultés rencontrées par le patient pour s’alimenter, parler ou respirer, la fatigue et l’impact esthétique de la maladie et des traitements (trachéostome, défiguration) restreignent la vie sociale des patients et, partant, celle de leur conjoint. Les relations entretenues par le couple sont de plus en plus limitées, le patient ayant parfois tendance à se replier sur lui-même, le conjoint devenant alors souvent, avec les soignants, le seul lien du malade avec le monde extérieur. Perspectives Comment aborder et développer la QdV dans le futur ? Trois axes principaux peuvent être proposés pour améliorer la QdV des patients. Ils reposent sur la réduction du nombre de cancers ORL, l’accroissement du dépistage des lésions peu avancées et l’optimisation de la prise en charge des patients et des proches. mise au point Interdire les toxiques La meilleure prévention pour éviter un cancer ORL serait la suppression pure et simple du tabagisme. Mais cela revient à déclarer la guerre au lobby tabagique : illusoire et impossible ! Quid de l’alcool ? Notre société moderne incite à l’alcoolisation par tradition et nécessité sociale. Les individus, en général, sont peu réceptifs à la dangerosité de l’intoxication éthylique chronique, car, le plus souvent, elle concerne l’Autre. De plus, la notion d’excès de consommation d’alcool est très subjective. Ensuite, le code du “bien boire” répond à une réalité historique synonyme de civilité et de convivialité. C’est un “lubrifiant social” (7). L’alcool est un vecteur de connivence et de familiarité par la levée d’inhibition qu’il engendre. Enfin, alcoolisation rime aussi avec virilité. Ne pas boire agit comme un processus de destitution : “ne pas être un homme”, “être une femmelette”. Globalement, l’alcool favorise la sociabilité et rend sociable. Cette lutte contre les toxiques est sans doute vouée à l’échec. La solution n’est donc pas dans la prévention primaire, ou, plus exactement, le soignant ne dispose pas des bonnes armes pour cette guerre. Dépistage Il y a 50 à 70 nouveaux cas par an de cancer des VADS pour 100 000 habitants, selon les départements. Ils sont à l’origine de 9 000 décès par an en France, soit 12 % des décès par cancer. Ces cancers représentent une menace importante pour la santé publique, avec un taux de létalité élevé. Leur traitement représente un coût élevé, avec les hospitalisations itératives (lors du bilan, du traitement, des récidives et des phases terminales) et la mise à l’écart souvent définitive du sujet de la vie active (les arrêts de travail, habituellement donnés pour une période de 6 à 12 mois, sont souvent prolongés, pour devenir finalement définitifs et mettre en invalidité les individus). Enfin, la morbidité socio-économique (isolement de la vie sociale, retrait de la société de consommation, etc.) induite par l’intervention mutilante est loin d’être négligeable. Les médecins savent qu’un traitement précoce des cancers pourrait permettre de surseoir à certaines amputations. Les critères justificatifs d’un recours à un dépistage sont clairement identifiés. Cependant, la mise en place d’un tel programme ne va pas sans soulever des questions. Un des problèmes liés au dépistage réside dans la mobilisation du sujet “cible”. S. Fagnani a démontré depuis longtemps dans ses travaux que les personnes qui se rendaient au dépistage n’étaient pas celles exposées au risque le plus élevé ; en majorité, les sujets qui ne venaient pas régulièrement consulter leur médecin présentaient les risques les plus élevés (17). Ce constat est d’autant plus vrai en cancérologie des VADS. Un autre effet pervers du dépistage est le risque de médicalisation de la vie, qui est source de iatrogénie, bien illustré par l’histoire du frère d’un laryngectomisé total : cet homme était persuadé d’être atteint comme son frère d’un cancer de la gorge. Il consultait ainsi les ORL de la région normande et avait subi plusieurs anesthésies générales à la recherche d’un cancer qui n’existait pas. Cet homme était devenu obsédé par la maladie au point du suivre une thérapie psychiatrique. La médecine l’avait “iatrogénisé”. La médicalisation de la vie peut générer de nouvelles épidémies insidieuses. Leurs développements silencieux à l’insu des thérapeutes sont source de perturbations importantes pour la population. Elles peuvent provoquer infirmité, impuissance et angoisse, et résultent le plus souvent des soins prodigués par les professionnels de la santé (18). À la réflexion, le dépistage n’apparaît-il pas comme un vœu utopique ? Le cancer ne peut être guéri par la médecine technicienne seule. Puisqu’il est impossible d’interdire les comportements à risque ou de prévenir, les médecins se doivent de prôner une optimisation de la prise en charge des patients. La solution est sans doute dans l’effort collectif. Améliorer la prise en charge des patients et des proches Cette amélioration nécessite de revoir nos techniques d’analyse, ou du moins de les compléter pour optimiser la prise en charge des malades et de leur famille. “Les études qui utilisent seulement des indicateurs objectifs n’apportent qu’une contribution modérée à la compréhension de la qualité de vie, telle qu’elle est vécue” (19). Nos collègues des sciences humaines l’ont bien compris et proposent une approche plus exhaustive de la QdV. L’analyse de l’intégration de la maladie dans le quotidien des patients élargit la vision médicale centrée sur les descriptions physiques. Concernant les méthodes d’investigation, la posture la plus empirique de “l’observation participante” a La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 | 13 mise au point Qualité de vie des patients en cancérologie ORL droit de cité. Le travail systématique “de terrain” garantit la valeur théorique du travail du chercheur. L’approche ethnologique paraît idéale pour comprendre l’Autre (20). Bien sûr, il pourra nous être reproché notre subjectivité, qui semble mal s’accorder avec les exigences scientifiques de cette méthode de recherche. Néanmoins, nous devons délibérément décider de faire fi de cette remarque et, à l’instar de Claude Lévi-Strauss, de ne pas refouler cette subjectivité, mais en faire, comme il l’écrit, “un moyen de démonstration objective” (21). Notre position privilégiée dans la relation soignant-soigné nous octroie une dimension d’observateur participant très particulière, car nous avons directement opéré, au sens propre et figuré, sur le corps de l’Autre. L’important est de conserver en permanence son identité d’ethnographe pour respecter totalement son objet d’étude. Certains chercheurs, comme les économistes, pensent à de nouvelles approches pour appréhender la QdV. Ils proposent de créer un index de QdV en tenant compte de la valeur de l’autonomie individuelle (loi du 4 mars 2002 relative au consentement éclairé du patient) ou des effets de l’adaptation des sujets. C’est la théorie de la capabilité développée par Amyrta Sen, économiste indien, prix Nobel d’économie en 1998. Très schématiquement, la recherche s’appuie sur la capacité de l’individu à gérer et à accepter sa situation. En pratique, il doit “apprendre à se satisfaire de ce qu’il a plutôt que de se lamenter sur ce qu’il ne peut avoir”. Avec cette vision, la QdV apparaît davantage comme un état d’esprit qu’un état de santé. Conclusion L’allongement de la durée de vie et l’exposition aux facteurs toxiques environnementaux sont corrélés à une augmentation du nombre de cancers. Les progrès thérapeutiques ont permis un accroissement du gain de vie, bien que la survie des patients atteints d’un cancer ORL reste stable, avec des chiffres globaux de 50 % de vivants à 5 ans. Certains soins sont aussi donnés sans espoir de guérison. Dans ce contexte, la mesure de la QdV apparaît d’autant plus comme un impératif, un enjeu éthique et économique. Elle doit être promue pour être encore plus reconnue. La diversité des techniques d’approche semble incontournable et indispensable, et offre de nombreux champs de recherche. Remerciements à Madame Jacqueline Godet, directrice scientifique de la Ligue, pour son aide et son soutien dans le cadre de l’appel d’offres 2007 sur la thématique “cancer et proches”. ■ Références bibliographiques 1. Ringash J, Bezjak A. Use of quality-of-life assessment for nasopharyngeal cancer. Clinical Oncology 2006;18:725-7. 2. Gill TM, Feinstein AR. A critical appraisal of the quality of quality of life measurements. JAMA 1994;272:619-26. 3. Millat B. Mesure de la qualité de vie comme critère de jugement en chirurgie générale et digestive. In: Moatti JP (éd). Recherche clinique, qualité de vie. Paris : Flammarion, 1996. 4. Ménoret M. 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