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FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 118 Effets secondaires anorectaux Effets secondaires anorectaux des topiques, des suppositoires, des lavements... V. de Parades* L es topiques locaux, les suppositoires, les lavements sont utilisés depuis longtemps et largement en thérapeutique. On a tendance à considérer cette voie d’administration comme anodine et inoffensive. Pourtant, elle peut être à l’origine d’effets indésirables au niveau de l’anus, du rectum, voire du côlon, dont la fréquence et la gravité potentielle sont sous-estimées (1, 2). La meilleure connaissance de ces lésions anorectocoliques permettrait de les prévenir. Nous avons donc tenté d’en rappeler les aspects cliniques, endoscopiques et histologiques, le traitement et la physiopathologie. * Service de proctologie médico-chirurgicale, Hôpital des Diaconesses, Paris. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les effets secondaires ano-rectocoliques des topiques locaux, des suppositoires et des lavements sont mal connus et de fréquence sous-estimée. ■ L’évolution est le plus souvent favorable dès l’arrêt de l’administration des produits en cause. Cependant, dans certains cas, la sévérité des lésions peut conduire à l’amputation abdomino-périnéale ou au décès. ■ La prévention est essentielle et repose sur le respect de règles simples de prescription. Effets indésirables des topiques Les effets secondaires des topiques au niveau de l’anus sont particulièrement fréquents, notamment en automédication, avec utilisation prolongée de multiples produits. Le diagnostic, systématiquement évoqué, repose sur l’interrogatoire orienté (1). Aspects cliniques et endoscopiques Les signes fonctionnels : prurit, brûlures, douleurs, suintements, sont non spécifiques et se confondent avec ceux de l’affection ayant motivé la prescription. A l’examen, les lésions concernent la marge et la peau péri-anale alors que le canal anal est peu atteint et la muqueuse rectale en principe saine. Les lésions aiguës sont superficielles (érythème, vésicules, érosions, ulcérations) et peuvent, en cas d’évolution prolongée, se lichénifier (épaississement et aspect 118 blanc-grisâtre caractéristique de la peau et des plis radiés) et/ou se surinfecter. Dans certains cas, l’aspect est plus spécifique : atrophie cutanée, érythrose ou télangiectasies liées à l’utilisation prolongée des corticoïdes. Diagnostic différentiel Des lésions anales peuvent relever de causes nombreuses et variées : mycoses, infections bactériennes ou virales, psoriasis, lichen plan, maladies de Paget ou de Bowen parmi les plus fréquentes. Dans le doute, des prélèvements à visée infectieuse ou histologique doivent être pratiqués. Evolution et traitement Le traitement nécessite l’arrêt de l’application de tout topique. Il faut être aussi peu agressif que possible en recommandant une toilette locale à l’eau après chaque selle et l’utilisation de colorants en solution comme l’éosine aqueuse. L’évolution est en général favorable. De façon préventive, il convient de respecter certaines règles : prescrire à bon escient, éviter les associations et les traitements prolongés, utiliser les antiseptiques à large spectre et bien tolérés (biguanides, carbanilides, hexamidine, etc.), réduire progressivement les doses des corticoïdes, éviter les pommades et les poudres et préférer les solutions, les crèmes ou les pâtes. Agents en cause et aspects physiopathologiques Les principes actifs sont incriminés au même titre que les excipients. Concernant les principes actifs, les antiseptiques (alcools, ammoniums quaternaires, oxydants, dérivés mercuriels, dérivés acides, phénols, etc.), corticoïdes, anesthésiques locaux (procaïne, etc.), antibiotiques (sulfamides, néomycine, etc.) ou antihistaminiques sont les molécules le plus souvent impliquées. La physiopathologie est très variable selon FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 119 des topiques, des suppositoires, des lavements le produit en cause et la durée d’évolution : réactions d’hypersensibilité, effet toxique, surinfection bactérienne, mycosique ou virale. Les excipients jouent également un rôle : les pommades, en raison de leur forte teneur en corps gras, ont un effet irritant ; les crèmes ont un effet desséchant et les poudres perdent rapidement leur pouvoir lénifiant (1, 3). Effets indésirables des suppositoires Photo 1. Ulcérations péri-anales, en ailes de papillon, creusantes et à fond nécrotique, après administration chronique de suppositoires de DiAntalvic® et de Gynergène®. Ces effets secondaires sont, de façon caractéristique, liés à un traitement prolongé, pouvant dépasser plusieurs années, et souvent dissimulés par le patient. Le terrain habituel est celui d’une femme de la cinquantaine, neurodystonique ou dépressive, qu’il faut systématiquement interroger sur ce point. Une pharmacodépendance vis-à-vis de certains constituants des suppositoires explique leur utilisation excessive et la difficulté de cesser leur administration (1, 2, 4). Aspects cliniques et endoscopiques Les signes fonctionnels d’appel ne sont pas spécifiques, variant selon la durée d’évolution et l’extension des lésions : brûlures, suintement, prurit, douleurs de type fissuraire, ténesme, épreintes, faux besoins de sang et de glaires. Le plus souvent, l’évolution se fait sur un mode subaigu ou chronique. A l’examen, on note des ulcérations, de taille et de profondeur variables, au niveau de la marge ou du canal anal, souvent étendues à la face antérieure du rectum, pouvant détruire le sphincter (photographies n° 1 et 2). Des sténoses anales et/ou rectales, transitoires ou définitives (photographie n° 3), ainsi que des fistules recto-vaginales ont été décrites. Photo 2. Ulcération rectale purrulente après administration de suppositoires de Véganine®. Diagnostic différentiel L’histologie permet de diagnostiquer les tumeurs, le syndrome de l’ulcère solitaire, les rectites inflammatoires ou infectieuses. L’inflammation non spécifique réalise des ulcérations plus ou moins profondes, à fond fibrino-leucocytaire, infiltrant le tissu conjonctif de cellules polymorphes, sans hyperplasie de la muscularis mucosae, ni granulome (5, 6). Des ulcérations chroniques, profondes, oblitérant la lamina propria par une prolifération fibro-musculaire, ont été rapportées 119 Photo 3. Sténose anale avec pont muqueux après administration chronique de suppositoires de DiAntalvic®. après prise d’acide acétylsalicylique, de paracétamol (4) et surtout d’ergotamine (7). En outre, l’ergotamine induirait des lésions de vascularite oblitérante et nécrosante (7, 8). L’endoscopie permet d’éliminer des lésions d’amont, et les prélèvements bactériologiques, virologiques et parasitologiques une cause infectieuse (2). Il est plus facile d’éliminer les séquelles postchirurgicales, les lésions radiques ou ischémiques, l’endométriose, les compressions extrinsèques ou les traumatismes dont les circonstances de survenue sont univoques (2). Evolution et traitement Le traitement repose sur l’arrêt de l’administration des suppositoires, souvent difficile à obtenir, permettant la cicatrisation sans séquelle dans la plupart des cas. Un soutien psychologique, en raison du terrain particulier, peut être nécessaire. Le risque de sténose secondaire ou de récidive, lié à une reprise le plus souvent non avouée des suppositoires, impose une surveillance prolongée. Le traitement des sténoses peut être instrumental : laser, dilatation au doigt, à la bougie ou au ballonnet, ou chirurgical : anoplastie, résection limitée des lésions, FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 120 Effets secondaires anorectaux excision rectale avec anastomose coloanale, sachant qu’une amputation abdomino-périnéale a été nécessaire dans quelques cas. Le traitement des fistules recto-vaginales est difficile. Avant tout, le traitement doit être préventif, en évitant la prescription de suppositoires dans les syndromes douloureux chroniques. En outre, il faut respecter les posologies maximales recommandées par le dictionnaire Vidal® : pour le DiAntalvic®, elle est de deux suppositoires par jour pendant dix jours et pour le Gynergène® de trois par jour et cinq par semaine (2). Molécules en cause et aspects physiopathologiques • Di-Antalvic® (dextropropoxyphène et paracétamol) Il a été le plus souvent impliqué et la fréquence réelle est probablement sous-estimée. Au moins 47 cas ont été publiés depuis 1982 (2, 9). Le dextropropoxyphène serait responsable des lésions par un effet irritatif local et de la pharmacodépendance par son analogie structurale à la méthadone (5). • Véganine® (acide salicylique, phosphate de codéine et paracétamol) et Perdolan® (acide salicylique, phosphate de codéine, carbromal, bromisoval et paracétamol) Depuis 1983, au moins 38 observations ont été rapportées avec la Véganine® en France et le Perdolan® en Belgique (2, 10, 11). La toxicité de l’acide acétylsalicylique passerait par un blocage enzymatique de la cyclo-oxygénase et de la lipooxygénase entraînant une destruction de la barrière muqueuse ano-rectale par déplétion en prostaglandines. L’action morphinomimétique de la codéine, du carbromal et du bromisoval expliquerait la pharmacodépendance (4, 6). • Ergotamine Depuis 1980, au moins 37 cas ont été Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 rapportés (2, 12, 13). Les lésions sont ischémiques par effet vasoconstricteur local. Le phénomène de rebond des migraines après arrêt de l’ergotamine expliquerait son usage abusif (7, 8). • Anti-inflammatoires non stéroïdiens La fréquence des lésions semble faible étant donné leur large utilisation. Des effets secondaires mineurs, à type d’irritation rectale avec douleurs et diarrhée, ont été imputés à l’indométacine, au naproxène et à l’acide méfénamique. Des rectites érosives ou ulcérées, à tendance hémorragique, peut-être plus spécifiques, ont été rapportées pour l’indométacine, la phénylbutazone et le diclofénac. Une sténose ano-rectale et une fistule anovulvaire ont été attribuées à l’indométacine. Le mécanisme de survenue des lésions serait une inhibition de la production des prostaglandines comme pour l’acide acétylsalicylique. L’effet serait dose-dépendant et la gravité des lésions corrélée à la durée du traitement (14). Pour finir, le traumatisme de la face antérieure du rectum, secondaire à l’introduction itérative des suppositoires, pourrait jouer un rôle dans la survenue de certaines lésions (15). Effets indésirables des lavements Les lésions induites par les lavements sont moins stéréotypées que celles des suppositoires car elles ont été rapportées pour des lavements aussi bien thérapeutiques que rituels ou accidentels. Le terrain psychologique des patients n’a donc aucune particularité (2). • Excipients Les excipients ont également été impliqués dans la survenue de ces effets secondaires, notamment les glycérides semisynthétiques, dont le Witepsol H15 et W35 et le Witepsol H12 du Di-Antalvic® et le beurre de cacao surchauffé ou rance (2, 15). Aspects cliniques et endoscopiques L’évolution se fait le plus souvent sur un mode aigu et bruyant en raison de la prédominance de l’atteinte recto-colique, l’anus étant plus rarement atteint. Le syndrome rectal avec émissions glairo-sanglantes est fréquent. En cas d’atteinte colique, il peut y avoir une irritation péritonéale avec douleurs abdominales, fièvre, défense, voire contracture en cas de perforation. Les lésions endoscopiques prédominent au niveau rectal et s’étendent en amont en s’atténuant progressivement. La muqueuse peut être congestive, hémorragique, érodée, ulcérée, voire nécrotique (photographies n° 4 et 5) (2). A part, l’eau oxygénée donnerait un aspect caractéristique, avec des ilôts de couleur blanche (“neige”) parsemés sur la muqueuse (16). Le traumatisme lié à la canule du lavement, après administration inadéquate, peut être à l’origine de déchirures muqueuses du canal anal et de la paroi rectale antérieure, de perforations, de fistules recto-vaginales et de gangrènes ano-périnéales (17). • Traumatisme Diagnostic différentiel • Autres molécules Des lésions ano-rectales anecdotiques, d’imputabilité discutable ou peu documentée, ont été signalées pour le Propofan® (dextropropoxyphène, paracétamol et acétylsalicylate de calcium urée), le Salofalk® (acide 5-aminosalicylique), le chloramphénicol, le bisacodyl, la glafénine, la phénacétine, l’aminophylline, l’amidopyrine, la glycérine, les sels biliaires et des suppositoires anti-grippaux à base de camphre, d’essence de myrthe, d’essence d’eucalyptus, de thiophène carboxylate de sodium ou d’essences basalmiques (1, 2). 120 FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 121 des topiques, des suppositoires, des lavements Photo 4. Rectite érythémateuse par plages après administration d’un lavement de Normacol®. Photo 5. Rectite œdémateuse et ulcérée après administration involontaire d’un lavement d’eau chaude. L’histologie est le plus souvent non spécifique. L’épithélium est abrasé, avec des polynucléaires dans la lamina propria et des vaisseaux dilatés et congestifs, voire nécrosés dans les cas les plus sévères (2). Les lésions dues au Normacol® sont proches de celles de la recto-colite ulcéro-hémorragique : cellules glandulaires dépourvues de mucus, fragilité de la muqueuse, œdème de la lamina propria, mais en diffèrent par un aspect rectiligne de la membrane basale (18). Concernant le Kayexalate®, l’aspect est celui d’une nécrose transmurale avec des cristaux de polystyrène sulfonate de sodium dans la muqueuse (19). Après administration d’eau oxygénée, l’infiltration muqueuse par des polynucléaires neutrophiles, l’œdème de la lamina propria et de la sousmuqueuse et des vaisseaux thrombosés peuvent évoquer des lésions d’origine ischémique (20). L’iléo-coloscopie totale avec biopsies et les prélèvements à visée infectieuse permettent de discuter les autres diagnostics possibles : recto-colite ulcéro-hémorragique, maladie de Crohn, lésions infectieuses ou ischémiques (2). Evolution et traitement Après arrêt des lavements, les lésions cicatrisent le plus souvent sans séquelles en quelques semaines. L’administration de lavements de corticoïdes pourrait accélérer la guérison et empêcher la survenue de sténose. Le traitement chirurgical est rarement nécessaire pour les sténoses persistantes. En revanche, la nécrose et les perforations coliques nécessitent une antibiothérapie et la chirurgie. Les déchirures traumatiques du canal anal et de la paroi rectale antérieure imposent un traitement également rapide afin d’éviter la survenue d’une perforation ou d’une gangrène anopérinéale. La gravité de ces lésions peut conduire au décès (2). Le traitement de ces lésions doit être préventif, en tenant compte de la concentration et du mode d’administration des produits. L’administration lente de lavements contenant un litre d’eau avec moins de 10 cc d’eau oxygénée à 3 % a été bien tolérée par 300 patients consécutifs (21). Les lésions traumatiques peuvent être évitées par l’emploi d’une canule souple, à extrémité conique et lubrifiée, 121 introduite prudemment chez un patient en décubitus latéral (17). Molécules en cause et aspects physiopathologiques • Normacol® (phosphate sodique hypertonique) De fréquence probablement sous-estimée, les lésions muqueuses, après administration de Normacol®, sont d’expression clinique et de gravité variables : anomalies microscopiques, érythème muqueux, perforations rectales et gangrènes ano-périnéales. Ces effets secondaires sont liés à la toxicité directe du phosphate sodique hypertonique (17, 18, 22). • Kayexalate® (polystyrène sulfonate de sodium et sorbitol) Dix colites survenues après administration de polystyrène sulfonate de sodium et sorbitol ont été rapportées, dont sept dans les suites d’une greffe rénale. La responsabilité du sorbitol a été évoquée et démontrée expérimentalement chez le rat (2, 19). • Eau oxygénée L’effet caustique de l’eau oxygénée, décrit pour la première fois en 1951, n’a été confirmé que plus récemment (au moins 11 cas) (2, 20, 23). Il faut mentionner également 27 cas de rectites attribués à l’eau oxygénée encore présente dans les canaux d’endoscopes mal rincés après nettoyage et projetée sur la muqueuse rectale lors de l’insufflation en début d’examen (2, 16). La physiopathologie de ces lésions n’est pas claire : réactions locales caustiques d’oxydation ou ischémie secondaire à la désorganisation des tissus muqueux et sous-muqueux infiltrés par des gaz, comme cela a été démontré expérimentalement chez le rat (2). • Savons Les lavements savonneux entraînent des lésions muqueuses dont la fréquence est mal connue. Des rectites et colites congestives ainsi que des perforations rectales et des gangrènes d’origine trau- FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 122 Effets secondaires anorectaux... matique ont été rapportées. La toxicité muqueuse des savons, attribuée à la présence de bases fortes, de potasse et de phénol, semble varier selon la concentration des lavements, leur nombre d’administrations et leur durée de contact avec la muqueuse (17, 24). • Lavements rituels Décrits essentiellement en Afrique du Sud, où leur utilisation est très répandue à des fins rituelles ou médicinales, leur composition est variable : mélanges de vinaigre, savons, caustiques divers, dichromate ou permanganate de potassium, sulfate de cuivre, chloroxylénol, sucre brun, piments et herbes médicinales diverses. Les tableaux cliniques (au moins 37 cas) sont variés et souvent très sévères (2, 25). • Autres molécules Des effets indésirables anecdotiques ont été mentionnés après administration thérapeutique ou accidentelle de lavements de bisacodyl, de chlorure de sodium hypertonique, de paraffine, de sulfasalazine, d’acétate de cortisone, de mercure, d’acide sulfurique, de soude caustique, de bisulfate de sodium, d’alcool à 90°, de formaline et de détergents divers (2). • Traumatisme Les lésions traumatiques du canal anal et de la paroi rectale antérieure par la canule du lavement ont été attribuées à l’injection sous-muqueuse du lavement, créant une nécrose et une surinfection secondaire de la paroi. Il faut souligner leur gravité et leur fréquence (au moins 75 cas dans la littérature) (2, 17). Pour finir, des rectites après administration de lavements chauds chez des nourissons ont été signalées (1). Références 1. Suduca P., Suduca J.M. Les ano-rectites médicamenteuses. 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