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Les fruits du pressoir et la fabrication du cidre, du poiré et de leurs dérivés / par L. Tritschler PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE PREMIER Cidre, poiré, cormé. — Le cidre et le poiré avant l'époque moderne. — Importance de la fabrication du cidre en France. — Importation et exportation du cidre. — Le cidre considéré comme boisson hygiénique. Cidre, poiré, cormé. Les fruits à pépins utilisés pour la fabrication des boissons fermentées, fruits souvent désignés sous la dénomination de fruits à pressoir, sont : les pommes, les poires et les cormes ou fruits du cormier. La pomme donne le cidre ; boisson qui, par ses qualités hygiéniques et excitantes, peut être classée immédiatement après le vin. La poire sert à préparer le poiré. Bien que moins agréable et moins salutaire que le cidre, le poiré est d'un usage assez répandu dans le nord-ouest et l'ouest de la France. Dans certaines régions, les cormes servent à préparer une sorte de cidre, désigné sous le nom de cormé, mais cette boisson est de moins bonne qualité que le cidre et le poiré. Elle se conserve difficilement et sa consommation est restreinte ; nous n'en parlons que pour mémoire. [p. 2] Le cidre et le poiré avant l'époque moderne. Le pommier et le poirier sauvages poussent naturellement dans les forêts de l'Europe centrale ; c'est donc probablement à tort qu'on a voulu leur assigner une origine asiatique. Il paraît bien certain, il est vrai, que le pommier était cultivé en Palestine, au temps de Salomon, mais cela ne suffit pas pour démontrer que les pommiers d'Europe sont originaires d'Orient. A notre avis, cette constatation corrobore seulement un fait, que personne ne conteste, c'est que le pommier est un arbre commun à l'Europe et à l'Asie. Nous savons par Pline et par Columelle que les Grecs et les Romains cultivaient le pommier. Ces derniers préparaient même un vin de pommes. D'après Du Breuil, l'usage du cidre aurait été presque général dans les Gaules, jusqu'au moment où la culture de la vigne, introduite par les Romains, vint fournir une boisson plus agréable, qui fit oublier la première. Le docteur Denis-Dumont est loin de partager cette opinion, qui ne repose, du reste, sur aucune donnée bien sérieuse. D'après cet auteur, rien ne prouve que les Gaulois aient connu le cidre. L'époque à laquelle l'usage de cette boisson se serait répandu dans notre pays ne remonterait pas au delà du Ve siècle. Son introduction en Normandie est certainement de beaucoup postérieure à cette époque. Paulmier, médecin à Caen, qui publia en 1573 un Traité du cidre, affirme que, cinquante ans auparavant, le cidre était à peu près inconnu en Normandie. « Et n'y a pas cinquante ans, qu'à Rouen et en tout le pays de Caen, la bière était le boire commun du peuple, comme est de présent le cidre ; mais il était bien raisonnable que la bière cédât à une liqueur si plaisante et si salutaire qu'est le cidre ; comme il [p. 3] faudra qu'étant connu par les médecins, qu'il prenne jour par toute la France. » A ceux qui s'appuient sur certaines images de la fameuse tapisserie attribuée à la reine Mathilde, pour conclure que les Normands faisaient usage du cidre, au temps de Guillaume le Conquérant, voici ce que répond le docteur Denis-Dumont : « Sur cette longue bande de tapisserie qui, si elle n'est pas de la femme de Guillaume le Conquérant, remonte en tout cas à une époque voisine de la conquête de l'Angleterre par nos pères, sont représentés avec la naïve fidélité du temps les divers détails de l'expédition. Le malin bâtard, dans les approvisionnements qu'il réunit à Dives, à quelques pas d'ici, n'a garde d'oublier qu'il faut donner à boire à ses hardis compagnons, et le souvenir en est précieusement conservé sur l'antique canevas. Rappelez-vous en effet ces petits barils allongés, renflés à leur centre comme un fuseau et portés à dos de cheval dans des hottes ou paniers tombant sur les flancs : c'est absolument le baril dans lequel les habitants du pays d'Auge, où se trouve Dives, nous apportent actuellement le cidre. En présence de cette analogie complète de forme, on se laisse facilement aller à conclure du contenant au contenu, et on a cru que ces vaisseaux, dont l'image rappelle si bien nos barils à cidre d'aujourd'hui, devaient à cette époque contenir le même liquide. Pourtant, messieurs, rien n'est moins probable ; et quand notre vénéré secrétaire de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres, dans son ode célèbre en l'honneur de Guillaume, verse le cidre à flots pour enflammer le coeur des fameux aventuriers, il ne faut voir là qu'une licence poétique, permise surtout à un barde bas-normand, mais qui, historiquement parlant, ne tire pas à conséquence. ... Pictoribus atque poetis, Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. [p. 4] Ces barils renfermaient bien plus vraisemblablement du mauvais vin normand ou même encore de la fameuse cervoise (cervisia spumens)[1]. » Les mémoires du sire de Gourbeville, écrits de 1553 à 1563, retrouvés, il y a quelques années, par M. l'abbé Tollemer de Valognes, viennent confirmer ce que Paulmier nous a déjà appris : savoir qu'à cette époque le cidre commençait seulement à s'acclimater en Basse-Normandie. Si l'on en croit la tradition, le Nord de l'Espagne fut la première patrie du cidre, et c'est dans le Cotentin que la culture du pommier se répandit d'abord lorsqu'elle fut importée chez nous. De là l'usage du cidre se propagea en Normandie et en Bretagne. A cette époque, la Biscaye et le Cotentin avaient par mer des relations suivies, et ce furent les Basques qui apportèrent les premiers plants de pommier et apprirent aux Normands à fabriquer le cidre. Depuis, la Normandie est devenue la terre classique du pommier, à tel point, que beaucoup de gens ont grand'peine à se figurer qu'il n'en a pas été toujours ainsi. L'histoire du poiré se confond avec celle du cidre. Importance de la fabrication du cidre en France. Le pommier commun (Malus communis, Lin.) se plaît surtout et donne de bons produits dans les climats tempérés, humides et un peu brumeux, comme ceux du sud de l'Angleterre, du nord et du nord-ouest de la France. Il réussit très bien dans les contrées montagneuses comme l'Auvergne et le Limousin. On le rencontre à la base de toutes les chaînes de nos montagnes, les Alpes, les Pyrénées et les Cévennes. Bien qu'il préfère un climat doux, on le voit donner [p. 5] d'abondantes récoltes dans des pays à climat rigoureux comme le Canada et le centre de la Russie, et prospérer également dans des pays relativement chauds. Entre Marseille et Aubagne, dans la vallée du Var près de Nice, on trouve de superbes plantations de pommiers, ce qui vient à l'encontre de l'idée trop absolue qui veut que le pommier ne puisse croître que dans les régions brumeuses et humides. Le pommier se cultive en vue de la production du fruit de table, ou de la fabrication du cidre. Depuis une vingtaine d'années, la culture du pommier a pris dans toute l'Amérique du Nord une extension considérable. C'est surtout à la production du fruit de table que les Américains se sont adonnés. En France, au contraire, la culture de la pomme à cidre est beaucoup plus importante que celle de la pomme à couteau. Les départements, qui s'occupent le plus spécialement de la fabrication du cidre sont ceux qui ont été formés des anciennes provinces de Normandie, de Bretagne, du Maine et de Picardie. La Normandie (cinq départements : Manche, Calvados, Orne, Seine-Inférieure, Eure) tient la tête de la production avec une moyenne annuelle de 5.306.419 hectolitres. Vient ensuite la Bretagne (cinq départements : Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Morbihan, Loire-Inférieure et Finistère), avec 4.484.067 hectolitres. Puis le Maine (trois départements : Mayenne, Sarthe, Eure-et-Loir), avec 1.290.493 hectolitres. Enfin la Picardie (quatre départements : Oise, Somme, Aisne, Pas-de-Calais), avec 744.593 hectolitres. D'après le bulletin statistique publié par le Ministère de l'Agriculture, on fabriquerait du cidre dans soixante-sept départements. Il est vrai que les quantités relevées sont parfois si minimes, qu'il n'est pas déraisonnable d'admettre que, dans ces conditions, on en fabrique dans la France entière. Au reste voici, d'après [p. 6] ce bulletin, la production moyenne des dix dernières années. Les départements ont été classés suivant l'importance de la fabrication : Hectolitres. Ille-et-Vilaine (Bretagne) 2.378.635 Calvados (Normandie) 1.367.774 Manche (Normandie) 1.163.925 Orne (Normandie) 1.003.851 Seine-Inférieure (Normandie) 988.364 Côtes-du-Nord (Bretagne) 895.599 Morbihan (Bretagne) 804.308 Eure (Normandie) 783.159 Mayenne (Maine) 683.721 Sarthe (Maine) 477.204 Oise (Picardie) 376.060 Loire-Inférieure (Bretagne) 257.973 Somme (Picardie) 162.150 Aisne (Picardie) 153.791 Finistère (Bretagne) 147.040 Seine-et-Oise 138.876 Eure-et-Loir (Maine) 122.568 Seine-et-Marne 85.848 Yonne 77.121 Maine-et-Loire 56.111 Pas-de-Calais (Picardie) 52.592 Ardennes 50.713 Haute-Savoie 41.651 Haute-Vienne 36.067 Corrèze 32.219 Loir-et-Cher 26.286 Loiret 23.893 Puy-de-Dôme 22.504 Cher 19.945 Aveyron 19.869 Aube 18.210 Indre 17.038 [p. 7] Marne 16.373 Vienne 13.255 Indre-et-Loire 11.191 Allier 11.311 Dordogne 8.487 Deux-Sèvres 8.584 Creuse 8.206 Nièvre 6.996 Savoie 5.966 Nord 5.732 Basses-Pyrénées 5.174 Cantal 3.606 Charente 3.190 Lot 3.062 Isère 2.236 Haute-Saône 2.227 Hautes-Pyrénées 1.463 Bouches-du-Rhône 1.464 Tarn 852 Haute-Garonne 845 Haute-Loire 761 Meuse 581 Tarn-et-Garonne 378 Haute-Marne 250 Ariège 227 Seine 235 Doubs 124 Haut-Rhin 48 Vendée 25 Lot-et-Garonne 19 Hautes-Alpes 15 Drôme 13 Lozère 9 La production moyenne annuelle de la France entière s'élève à 12 millions d'hectolitres. [p. 8] La production moyenne annuelle en vin est de 24 millions d'hectolitres, soit le double. En certaines années, la production du cidre a atteint 23 millions d'hectolitres et s'est, par suite, montrée sensiblement égale à celle du vin. Si maintenant on met en parallèle la valeur marchande des deux récoltes, et qu'on estime à 32 francs l'hectolitre de vin et à 18 francs l'hectolitre de cidre, la valeur totale de la récolte annuelle du vin en France est de 768 millions de francs, et celle du cidre de 158 millions de francs. La production du vin est relativement régulière, celle du cidre est au contraire sujette à des fluctuations énormes qui vont du simple au double. Par une singularité encore inexpliquée, elle varie d'une année à l'autre, généralement par groupes de deux années successives, de telle sorte qu'on peut dire, presque avec une entière vérité, que sur deux années consécutives, il y a toujours une année à pommes et une année sans pommes : par suite, une année à cidre et une année sans cidre. Consommation du cidre en France. Aux grandes différences que nous venons de voir dans les productions locales, correspondent, comme on peut s'y attendre, des différences aussi grandes dans la consommation. Dans certaines villes, la consommation du cidre s'élève à de hauts chiffres, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous. Tableau de la consommation du cidre dans quelques villes en France, en 1891, par tête d'habitant. Rennes 423 litres. Caen 207 — Le Mans 162 — [p. 9] Rouen 130 litres. Lorient 84 — Le Havre 76 — Nantes 15 — Amiens 15 — Angers 13 — Paris 5— Limoges 5— Orléans 5— Marseille Bordeaux Insignifiant. Lille Importation et exportation du cidre. La France n'importe guère de cidre. Les Américains des États-Unis et du Canada ont cependant tenté à différentes fois d'introduire chez nous des cidres américains ; mais leurs efforts n'ont pas été jusqu'à présent couronnés de succès. Cependant, en 1889, il a été importé 8.629 hectolitres de cidre ; 7.035 hectolitres en 1890. 684 hectolitres seulement en 1891. La France, au contraire, exporte une petite quantité de cette boisson, environ 12.000 hectolitres par an. Ces cidres sont de qualité supérieure, car la valeur de cette exportation est estimée à 440.000 francs. Le cidre considéré comme boisson hygiénique. Lorsqu'il est bien fabriqué, le cidre est une boisson saine et agréable, mais il arrive malheureusement que sa préparation laisse souvent beaucoup à désirer. Quantité de cidres livrés à la consommation sont noirs, troubles, gras, parfois même acides et dès lors nuisibles à la santé. Mais, parce qu'il y a de mauvais cidres, il ne faudrait pas condamner les bons et proscrire leur usage comme le font certains médecins. [p. 10] Un médecin normand, le docteur Denis-Dumont, dans un excellent ouvrage plein de savoir et d'humour, a fait justice de tous les préjugés médicaux dont le cidre a été l'objet. Il démontre d'une façon irréfutable que le cidre, le vrai cidre est une boisson tonique, réconfortante, favorable aux divers actes de la digestion. Le docteur Denis-Dumont reconnaît, d'ailleurs, que certains cidres peuvent justifier des critiques qu'on a eu tort de généraliser et d'appliquer indistinctement à tous les cidres. « Le cidre, dit-il, tel qu'on le boit dans beaucoup de familles, et dans la plupart des hôtels de Basse-Normandie, est un liquide désagréable au goût, nauséeux, pouvant occasionner des troubles sérieux et qui justifie bien des préventions. Mais ce breuvage n'a guère du cidre que le nom et quelquefois la couleur [2] ». Bien différente est l'action du cidre clair, transparent, limpide, ambré, rutilant comme l'or et qui pétille dans le verre en se couvrant sur les bords d'une légère couche de mousse. Celui-ci est nutritif et réconfortant. Et pourquoi n'en serait-t-il pas ainsi ? Il y a des cidres qui contiennent de 10 à 12 0/0 d'alcool ; beaucoup plus qu'on n'en trouve dans un grand nombre de vins réputés. Les cidres du Cotentin, qui comptent parmi les meilleurs, en contiennent 7,8 et 9 0/0. Le tannin qui joue un rôle si important dans les métamorphoses nutritives et auquel les vins de Bordeaux doivent en grande partie leur supériorité, le tannin se trouve dans le cidre dans les proportions de 8, 10, 12 et même 13 0/0, proportions plus fortes que dans un grand nombre de vins de Bordeaux et dans la plupart des bourgognes. Comme dans le vin, on trouve dans le cidre, du sucre, du mucilage, des [p. 11] tartrates, de l'acide malique, si bien qu'en ne considérant que sa constitution chimique on croirait être en présence d'un vin généreux. A ces propriétés nutritives et digestives, le cidre joint des vertus prophylactiques et thérapeutiques. Le cidre excite et rend plus abondantes les sécrétions du rein. Il serait, si l'on en croit le docteur Denis-Dumont, dont l'opinion paraît reposer sur des faits aussi nombreux qu'incontestables, un préservatif infaillible des maladies douloureuses qui se nomment la gravelle et la pierre. Il exercerait une action non moins bienfaisante dans le traitement de la goutte. CHAPITRE II Le pommier et ses variétés. — Création des variétés nouvelles. — Multiplication du pommier par greffes. — Préparation des graines. — Conservation des graines. — Époque du semis. — Choix de l'emplacement. — Préparation du terrain. — Modes d'ensemencement. — Semis provisoire. — Soins à donner aux semis. — Éclaircissage du semis. — Multiplication du pommier par boutures. — Reproduction du poirier à poiré. Le pommier et ses variétés. Les pommiers que l'on cultive dans les vergers et les jardins ne sont que des variétés, perfectionnées par la culture, du pommier commun (Malus communis. Lin.) qui croît spontanément dans nos forêts. Les variétés culturables ne se reproduisent pas par graines, et les pommiers provenant d'un semis donnent des fruits presque toujours fort différents de la pomme qui a fourni les pépins. Généralement, même, le fruit ainsi obtenu est inférieur de qualité à celui dont il est issu ; le jeune arbre tendant à se rapprocher plus ou moins [p. 12] du type primitif, qui est le pommier sauvage. Sur mille sujets provenant de semis, c'est à peine si on en trouve quatre ou cinq capables de donner des fruits de bonne qualité. Pour récolter sûrement de beaux fruits, on est donc obligé d'avoir recours à d'autres procédés de multiplication, tels que le greffage et le bouturage. Création des variétés nouvelles. C'est cependant par des semis répétés qu'ont été obtenues les variétés actuellement cultivées, et c'est encore ainsi qu'on peut en créer de nouvelles. La création d'espèces nouvelles demande beaucoup de temps et d'argent. Après avoir recueilli et semé les pépins de fruits de bonne qualité et bien mûrs, il faut laisser croître de longues années une foule de jeunes arbres, avant de connaître le résultat obtenu. Sera-t-il bon ? Sera-t-il nul ? Rien ne permet de distinguer les sujets à fruits perfectionnés des autres. En pratique, dès qu'on aperçoit dans une pépinière un jeune plant qui, par la largeur de ses feuilles, la grosseur de ses rameaux, le petit nombre de ses épines, semble promettre un fruit de bonne qualité, on attend pour le greffer qu'il commence à fructifier. Si l'espoir qu'on avait conçu se réalise, il en résulte une nouvelle variété qu'on multiplie au moyen de la greffe et qu'on répand dans la culture. Les exigences de la vie actuelle ne permettent guère aux cultivateurs de se livrer à la recherche de variétés nouvelles. Les fruits nouveaux sont peu nombreux et nous ne possédons guère que des variétés déjà anciennes. Or, l'expérience a démontré que les greffages répétés finissent par détruire la vigueur d'une variété. De là le grand nombre de pommiers à végétation lente, chétifs et mal venus ; sujets voués d'avance à toutes les maladies parasitaires, cryptogamiques et autres. Nous possédons des établissements horticoles, qui [p. 13] vivent sur le budget de l'État. Ces établissements rendraient de bien grands services à l'arboriculture fruitière, s'ils s'occupaient de créer les variétés nouvelles dont nous avons besoin et que les cultivateurs ne peuvent produire faute de temps et d'argent. Les variétés de pommiers les plus célèbres et les plus appréciées aux États-Unis et au Canada sont sorties des pépinières publiques de ces pays. Multiplication du pommier par greffe. La reproduction culturale du pommier n'étant pas possible par semis, on a recours à d'autres méthodes. Le greffage est la plus usitée. Sur un jeune sujet, qui servira d'organe d'absorption et de fixation, on implante un rameau d'une variété réputée bonne, qui servira d'organe de fructification. On emploie comme sujet, ou porte-greffe, un de ces jeunes pommiers obtenus par semis. En raison de leur tendance à revenir vers le type du pommier sauvage, on les désigne généralement sous le nom de sauvageons ; on les appelle quelquefois encore égrains ou simplement sujets. Préparation des graines. Pour se procurer les pépins ou graines nécessaires au semis, on crible les marcs de pommes épuisés. On se sert, pour ce travail, d'un tamis à mailles de 8 à 10 millimètres. Si l'on ne veut obtenir que de petites quantités de graines, on emploie un tamis à main ; si, au contraire, on désire s'en procurer une quantité importante, on aura avantage de donner au crible une petite installation mécanique. La plus simple est celle dont on fait usage en Normandie. Le tamis est suspendu au plafond de l'appartement, dans lequel on opère, par quatre longues [p. 14] cordes. Il est ainsi mobile et l'on peut, à la main, lui imprimer un mouvement d'oscillation. Dans le plan où celle-ci se produit, deux forts piquets sont plantés dans le sol, et disposés de façon à ce que le tamis vienne les heurter tour à tour dans son mouvement de balancement. Le marc épuisé est mis dans le crible ; un homme se place devant l'un des piquets, pousse le crible qui va heurter le second piquet, puis revient frapper le premier et ainsi de suite. Les pépins passent au travers du crible, tandis que la pulpe reste dessus. Cette organisation toute primitive peut être avantageusement remplacée par la petite installation suivante qui n'est guère plus compliquée, du reste. Un tamis carré est fixé, par un seul de ses côtés, à l'aide de charnières, sur le cadre d'un petit bâti en bois. Le côté du tamis, opposé aux charnières, repose sur un excentrique qu'on met en mouvement au moyen d'une manivelle. Le tamis reçoit ainsi une série de chocs, dont l'action est beaucoup plus énergique que celle des chocs du tamis oscillant contre les pieux. Le travail se fait mieux et beaucoup plus rapidement ; les mailles du tamis peuvent être plus petites, ce qui rend le triage plus parfait. En effet, lorsque les mailles sont larges, une quantité assez grande de pulpe fine passe au travers, et l'on est souvent obligé de procéder à un second triage avec un tamis à mailles plus serrées. Si l'on doit utiliser soi-même les graines que l'on a extraites, il n'y a aucun inconvénient à laisser la pulpe mêlée aux pépins. Mais lorsque ceux-ci sont destinés au commerce, il faut les en débarrasser. Le moyen employé est des plus simples : on remplit du mélange un tamis assez fin pour que les graines ne puissent passer au travers. On plonge doucement le tamis, ainsi rempli, dans un baquet plein d'eau, jusqu'à ce que celle-ci en affleure les bords. On brasse le mélange. [p. 15] Les pulpes, qui sont plus légères que les graines, montent à la surface ; d'un tour de main on les rejette en dehors du tamis. En recommençant une ou deux fois l'opération, on arrive facilement à débarrasser les pépins de la plupart des matières étrangères. Les graines sont ensuite étalées sur une aire, desséchées et passées au tarare. Les pépins ainsi traités ont perdu le vernis naturel qui les recouvrait et leur conservation est plus difficile. C'est par ce procédé que sont obtenues les graines le plus généralement employées. Elles conviennent assez bien pour les semis ordinaires n'ayant pour but que de donner des sauvageons porte-greffe. Lorsqu'on veut faire un semis dans le but d'obtenir des variétés nouvelles, cette manière d'opérer serait tout à fait insuffisante ; en la suivant on risquerait fort de courir à un insuccès complet. Il est alors indispensable de procéder avec plus de soin et de méthode. Les règles à suivre dans ce cas ont été fort bien formulées par M. Hauguel, au congrès pomologique du Havre en 1887. Nous les transcrivons : « 1° Choisir tout d'abord des arbres rustiques , vigoureux et fertiles, et, autant que possible, âgés de trente à quarante ans ; en deux mots, il les faut adultes et bien constitués. 2° Il ne faut prendre, sur ces arbres d'élite, que les beaux fruits, c'est-à-dire ceux qui sont placés à la partie supérieure de l'arbre et qui ont été, pour cette raison, mieux nourris, plus fortement aérés et éclairés. On rejettera donc les fruits des rameaux rabougris ou mal aérés ; car ils sont en général petits, de formes irrégulières et de moindre qualité. 3° Les fruits sont conservés en un lieu sec et bien aéré, afin de les faire arriver normalement à leur complète maturité. Nous considérons comme médiocres les pépins des fruits trop blets ou pourris. 4° On écrasera modérément les fruits sélectés pour [p. 16] en extraire successivement le cidre et les pépins à la manière ordinaire. » Il est inutile de dire que cette manière d'opérer ne peut être qu'avantageuse, même lorsqu'il s'agit simplement de produire des égrains destinés à servir de porte-greffes. Les pépins obtenus par cette méthode donneront certainement naissance à des arbres plus vigoureux et plus sains. M. Hauguel recommande encore très sagement de ne jamais mélanger les pépins de fruits à couteau avec ceux de fruits à cidre. Car la greffe d'un pommier à cidre réussit rarement sur un égrain provenant d'un fruit à couteau. Les sujets provenant de fruits à cidre sont au contraire excellents pour recevoir les greffes de fruits à couteau. Il est notoire que, si les égrains conservent rarement les qualités de l'arbre qui a produit la graine, l'époque de leur fructification se conserve assez bien, il y aurait donc intérêt à recueillir à part les graines des fruits de première, deuxième et troisième saison ; de ne pas les mélanger au moment de la semaille ; et de greffer les sauvageons qui en naîtront avec des variétés dont la végétation soit concordante. Conservation des graines. Les graines sont quelquefois conservées dans des endroits secs et bien aérés, mais il est préférable d'avoir recours à la méthode suivante préconisée par Du Breuil. Si l'on ne dispose que d'une petite quantité de graines, après les avoir préparées comme nous venons de le dire et fait sécher convenablement, on les mélange avec du sable fin ou de la terre légère plutôt sèche qu'humide. Le mélange ainsi formé est placé dans un vase en terre de grandeur convenable, que l'on enterre dans le sol jusqu'à son bord supérieur (fig. 1). Au-dessus [p. 17] du vase, on forme un petit monticule de terre qui protégera les graines contre les gelées et empêchera l'humidité de les atteindre. Si l'on a à conserver une quantité plus importante de graines, on les dépose simplement sur le sol, en un point légèrement surélevé. Comme précédemment on les mélange avec du sable fin ou de la terre légère. Puis on forme avec le mélange un tas conique, que l'on recouvre d'une couche de terre, épaisse de 40 à 50 centimètres. Cette couche de terre a pour but de mettre les graines à l'abri de la gelée. On recouvre le [p. 18] tout d'un toit de paille, pour protéger le monticule contre la pluie et la neige. On a ainsi formé une espèce de silo, dans lequel les graines se conserveront parfaitement. On entoure le silo d'un petit fossé, pour faciliter l'écoulement des eaux pluviales. (Fig. 2.) Époque des semis. Les semis de pommiers se font vers la fin de février. Cependant dans les terrains argileux, compacts, il est bon d'attendre jusqu'au mois de mars, afin que le terrain soit bien égoutté. Choix de l'emplacement. Le choix d'un emplacement propice aux semis de pommiers est subordonné à une foule de considérations locales. Il est donc difficile de donner des règles précises à ce sujet. Autant que possible, on choisira : un terrain plat ou faiblement incliné ; un sol de consistance moyenne, plutôt léger que compact, à la condition qu'il soit un peu humide, afin de ne pas être obligé de recourir à des fréquents arrosages, toujours coûteux. Le sol doit être bien nettoyé et purgé de graines de toutes sortes ; profondément remué par des labours antérieurs, riche en humus et en matières fertiles. Comme on ne dispose pas toujours d'un terrain plat, et qu'on est obligé de faire son semis sur des terrains plus ou moins en pente, il faut subordonner le choix de l'orientation aux influences climatériques et à la nature du sol. L'exposition au nord est en général à éviter. Elle est presque toujours trop froide et si la déclivité du sol est un peu accentuée, le semis se trouverait complètement privé des rayons solaires, et par suite de chaleur et de lumière. L'exposition du midi serait bonne, si les dégels subits, provoqués par l'action brusque [p. 19] du soleil levant n'étaient souvent funestes aux jeunes pousses. Les vents humides et souvent très violents de l'ouest et du sud-ouest exercent parfois la plus fâcheuse influence sur les plants ; lorsque ceux-ci ont acquis un certain développement, ils peuvent être brisés ou déformés, par suite d'une agitation trop énergique et trop souvent répétée. L'exposition à l'est est en général la meilleure. Cependant, en cette matière, il n'est rien d'absolu, comme nous l'avons déjà fait remarquer. La sagacité du pépiniériste doit entrer en jeu ; avec un peu de réflexion, il découvrira bien vite le fort et le faible des terrains dont il peut disposer. Une exposition froide peut être bonne si le sol est brûlant ; l'exposition du couchant peut être excellente si elle est abritée. Préparation du terrain. Le terrain destiné à recevoir le semis sera profondément labouré, dès l'automne, à 30 centimètres au moins. Au printemps, il recevra un second labour, enfin, au moment de semer, il sera égalisé au râteau ou à la herse. Suivant que le terrain est plus ou moins riche et que l'on dispose d'engrais plus ou moins facilement assimilables, on fera avec le premier ou le second labour une fumure plus ou moins abondante. Si le terrain est compact, il sera bon d'enfouir, au moment du labour de printemps, un fumier pailleux. Au moment du semis, il sera bon de répandre du guano, de la colombine ou des nitrates, dans lesquels la jeune plante puisera une nourriture abondante, aux premiers jours de sa croissance. « Bien qu'en général le terrain des pépinières doive être maintenu dans un état de fertilité moyenne, la surface du sol destiné au semis doit être bien fumée. Ceci est une indication de la nature ; car, si nous examinons [p. 20] ce qui se passe pour les ensemencements naturels des forêts, nous voyons que les graines sont placées dans une couche superficielle du sol très riche en humus, provenant de la décomposition des feuilles et autres débris végétaux. Il semble que les arbres aient besoin, pendant leur première jeunesse, d'une nourriture abondante, facile à puiser, en rapport avec la délicatesse de leurs organes, tandis que, plus tard, alors qu'ils ont acquis plus de vigueur, ils se contentent d'une nourriture moins bien préparée, plus difficile à absorber [3] ». Modes d'ensemencement. Les semis de pommiers se font à la volée, en lignes ou en plates-bandes. Le semis à la volée est le plus rapide à exécuter, ce qui le fait souvent préférer aux autres. Dans ce mode de semis, on emploie de deux à trois kilogrammes de graines par are. Il sera fait dans de bonnes conditions, lorsque les graines seront environ à deux centimètres les unes des autres. En conséquence, la répartition en sera aussi régulière que possible, afin que les plants, suffisamment espacés sur le sol, puissent acquérir une vigueur égale. Lorsque les pépins ont été, dans le but de les conserver, mélangés de sable, le mélange est répandu tel quel. La profondeur à laquelle les pépins seront enterrés n'est pas indifférente. On sait que l'air et l'eau sont indispensables à la germination des graines. Il faut donc qu'elles soient placées dans la terre de façon à recevoir l'action de ces deux agents. Les graines de pommier doivent être enfouies à une profondeur de un à deux centimètres. On se sert, pour les enfouir, d'un rateau ou d'une herse. Il est bon de répandre sur le sol, une fois la graine recouverte, une couche légère de terreau ou de fumier bien décomposé. Il faut éviter [p. 21] d'employer un fumier pailleux, qui peut rendre plus sensible l'effet de la gelée blanche sur les jeunes cotylédons. Les pépins étant enterrés, il convient de tasser légèrement le sol, afin que ceux-ci soient bien en contact avec la terre et puissent y puiser plus facilement l'humidité. Cette opération se fait avec le dos de la pelle, ou mieux encore avec un petit rouleau plombeur. Lorsqu'on veut semer en lignes, on commence par tracer sur le sol de petits sillons distants de dix à vingt centimètres, dans lesquels on dépose les graines à la main. Par le semis en lignes on économise de la semence, mais on dépense plus de main-d'oeuvre pour l'épandage des graines. Les plants grandis ont l'avantage d'être mieux éclairés en raison de leur espacement et des vides qui existent entre chaque ligne. Les sarclages, les binages, l'éclaircissage et, en général, tous les travaux d'entretien sont plus faciles, mais la disposition en lignes facilite les ravages des mulots et des souris. Le semis en plates-bandes tient le milieu entre les deux procédés précédents, et, pour cette raison, paraît être le plus avantageux. Le terrain est divisé en bandes de vingt-cinq à quarante centimètres de largeur sur lesquelles les graines se sèment à la volée. Entre chaque plate-bande règne un intervalle vide de vingt-cinq à trente centimètres. En général, les graines lèvent au bout de huit à quinze jours. Jusqu'au moment où elles ont développé leurs premières feuilles, il faut prendre les plus grandes précautions pour écarter les oiseaux, très friands des pépins de pommes. Semis provisoire. Au lieu de semer directement sur le sol que les plants doivent occuper jusqu'à l'époque du repiquage, [p. 22] quelques pépiniéristes sèment sur couche au mois de février et repiquent au mois d'avril, dès que les plants ont développé leurs premières feuilles. Cette méthode, qui oblige à une certaine main-d'oeuvre, donne en général de bons résultats. Ce repiquage doit être fait en un jour sombre et doux ; son succès dépend, du reste, du soin que l'on met à choisir les jeunes plants. Soins à donner aux semis. Le semis doit être soigneusement défendu contre la sécheresse, l'envahissement des mauvaises herbes et les atteintes des insectes et des rongeurs. Si le terrain est un peu sec par nature ou exposé au vent du midi, il sera bon, dès les premiers jours du mois de juin, de recouvrir le sol d'un bon paillis, et, si ce remède est insuffisant, il sera nécessaire de recourir aux arrosages. Un des meilleurs moyens d'entretenir la fraîcheur du sol est de procéder à des binages fréquents. Ces binages détruiront les mauvaises herbes et remplaceront avantageusement les sarclages. Ces derniers se feront aussi souvent qu'il sera nécessaire pour entretenir le semis propre et exempt de mauvaises herbes. Si l'on a recours aux arrosages, il faut que la quantité d'eau employée soit assez grande pour que la couche superficielle du sol reste humide au moins pendant une journée. Le moment de la journée où il faut procéder à l'arrosage, la température de l'eau employée ne sont pas indifférents. « L'eau froide, en diminuant la température des racines, amoindrit leur faculté d'absorption, et la tige, transpirant plus qu'elle ne reçoit, souffre ; que la tige soit plus froide que les racines, l'inconvénient n'est plus le même, puisque l'eau partant de ces dernières rétablit bien vite l'équilibre de température entre les deux parties de l'axe... » [p. 23] Il est reconnu que les meilleurs arrosages sont ceux qu'on pratique à partir du moment où la température va décroissant, c'est-à-dire depuis trois heures du soir environ. La tige se refroidit à peu près aussi vite que l'air environnant, tandis que la racine, échauffée par la chaleur du jour et recouverte de terre, rayonne difficilement ; l'eau d'arrosage, généralement plus froide qu'elle, tend à la ramener à une température voisine de celle de la tige ; la plante tout entière va se refroidissant, les gaz qu'elle contient se contractent et le vide intérieur favorise l'introduction de l'eau d'arrosage. Pendant toute la nuit la plante reste turgescente et, de plus, l'eau ne s'évapore que lentement à la surface du sol et des feuilles [4] ». La sécheresse et l'envahissement des mauvaises herbes ne sont pas les seuls obstacles au bon développement du semis ; les jeunes plants ont encore à redouter les atteintes de nombreux ennemis. Au nombre de ceux-ci, il faut compter les limaces, les mans ou larves de hanneton, le puceron lanigère et plusieurs autres insectes, les souris, et les mulots. Nous indiquerons les moyens de combattre tous ces redoutables adversaires au chapitre spécial où nous traitons des ennemis du pommier. Éclaircissage du semis. Lorsque les jeunes arbres ont atteint 8 ou 10 centimètres, ce qui arrive vers la fin de juin, on procède à l'éclaircissage. Dans les semis faits à la volée, on laisse entre chaque pied une distance moyenne de 10 à 12 centimètres. Pour les semis en lignes ces intervalles peuvent être réduits à 6 ou 8 centimètres. Dans les semis en bandes, on laisse suivant la largeur de celles-ci des intervalles de 7 à 10 centimètres. Il tombe sous le sens que l'on conservera les sujets les mieux venus et que [p. 24] l'éclaircissement portera de préférence sur les plants rabougris ou mal formés. Il ne faut pas attendre pour faire l'éclaircissage que les plants aient atteint de trop grandes dimensions. Les éclaircissages tardifs peuvent avoir les plus funestes résultats, et nuisent toujours au développement du semis. Parfois on repique les plants arrachés en éclaircissant, c'est une opération peu recommandable car les plants ainsi arrachés donnent rarement des sujets de quelque valeur. Multiplication du pommier par boutures. La reproduction du pommier par semis, donnant des sauvageons destinés à être greffés, demande beaucoup de temps. C'est une opération qui se poursuit pendant plusieurs années. Nombre de pépiniéristes se sont préoccupés de chercher un procédé capable de donner des arbres plus rapidement. Dans ce but, on a essayé la reproduction par boutures. Les uns ont réussi, les autres ont échoué ; la méthode est actuellement fort discutée. Il parait cependant incontestable que les variétés vigoureuses se reproduisent assez facilement par bouturage, mais que les autres ne réussissent que rarement. Or, actuellement les meilleures variétés sont presque toutes relativement peu vigoureuses, à cause de leur ancienneté. L'échec de cette méthode réside surtout dans la difficulté qu'on éprouve à rencontrer de jeunes branches vigoureuses capables de faire de bonnes boutures et déjà assez fortes pour qu'on puisse espérer obtenir un arbre bien avant l'époque où un sauvageon greffé pourrait donner le même résultat. Reproduction du poirier à poiré. Comme le pommier, le poirier (pirus communis, LIN.) est un arbre indigène de la France et de l'Europe. [p. 25] On le rencontre à l'état sauvage dans nos forêts. Il est cultivé depuis la plus haute antiquité. Les variétés à fruits de table sont très nombreuses, celles à fruits à poiré le sont beaucoup moins. Celles-ci sont spéciales à cet usage, car elles ne sont bonnes ni crues ni cuites. Tout ce que nous venons de dire des semis de pommier peut s'appliquer au poirier. Comme le pommier, le poirier se reproduit par greffe. On choisit, comme sujets ou porte-greffes, de jeunes poiriers francs obtenus au moyen de semis de pépins de poires choisis parmi les variétés à poiré les plus vigoureuses. CHAPITRE III Avantages du repiquage. — Déplantation des jeunes pommiers. — Classement des plants. — Époque du repiquage. — Conservation des plants. — Emplacement de la pépinière. — Préparation du sol. — Habillage des plants. — Replantation. — Soins à donner à la pépinière. Avantages du repiquage. Le repiquage a pour but de faire développer le système radiculaire du jeune plant. Quelques pépiniéristes, dans un esprit d'économie mal entendue, pour diminuer les frais de main-d'oeuvre, laissent les jeunes pommiers grandir sur le terrain même où ils ont été semés, se contentant d'éclaircir le semis, à mesure que les arbres se fortifient. La racine principale se développe alors exclusivement et outre mesure, et pénètre profondément dans le sol. Le plant est dépourvu de chevelu. L'arrachage est difficile et la reprise plus difficile encore. [p. 26] Déplantation des jeunes pommiers. Le jeune plant sera arraché avec précaution, afin qu'il conserve, autant qu'il sera possible, toutes ses racines intactes. En général on emploie deux hommes à ce travail. L'un est muni d'une fourche à dents plates, en fer, qu'il enfonce profondément, de façon à passer au-dessous des racines du plant. Il appuie ensuite légèrement sur le manche, par petites pesées successives de façon à détacher insensiblement les racines. Pendant ce temps son compagnon tient le plant dans l'une de ses mains et le tire doucement jusqu'à ce qu'il soit arraché. Cette manière d'opérer prête à plus d'une critique et nous lui préférons de beaucoup la suivante. On ouvre une tranchée assez profonde pour que le fond se trouve un peu au-dessous du niveau atteint par les plus longues racines. On mine le terrain sous chaque plant, puis en enfonçant la pelle ou la fourche plate derrière le plant, on le renverse dans la tranchée ouverte. Par ce système on conserve les racines absolument intactes, et un seul homme peut être employé à ce travail. Classement des plants. Les plants une fois arrachés sont classés en trois catégories ou choix. Le premier choix comprend les plants faisant de 20 à 30 millimètres de circonférence au collet et de 50 à 90 centimètres de hauteur. Ces plants sont quelquefois désignés sous le nom de baliveaux. La hauteur du sujet n'a qu'une importance secondaire ; il y a lieu de considérer plutôt la grosseur du collet, le développement et le nombre des radicelles. Un plant qui possède un chevelu abondant est d'une reprise assurée. Le deuxième choix comprend les plants ayant de 15 à 20 millimètres au collet et de 25 à 50 centimètres de longueur. [p. 27] Dans la troisième catégorie sont compris les plants qui ont de 15 à 8 millimètres de circonférence au collet. Les deux premiers choix doivent seuls être plantés en pépinières ; et, lorsqu'on le pourra, il sera toujours préférable de ne planter que des baliveaux de premier choix. Les plants de troisième choix peuvent être repiqués sur planche à 20 ou 25 centimètres les uns des autres. On leur donne une bonne fumure, des sarclages et des binages comme s'il s'agissait d'un semis. Il arrive que ces égrains ainsi soignés se développent rapidement et rattrapent même les baliveaux de premier choix plantés en pépinières. Les plants qui ont moins de 8 millimètres de circonférence au collet doivent être rejetés. Ils ne sauraient donner rien de bon. Époque du repiquage. La fin de l'automne, au moment où les jeunes plants viennent de perdre leurs feuilles, est l'époque la plus favorable au repiquage. Le petit pommier a le temps de pousser quelques radicelles avant l'hiver. Il prend possession du sol, et se trouve mieux en état de résister à la sécheresse qui se produit quelquefois au printemps. Cependant, si la replantation doit se faire dans un terrain argileux et compact, il sera prudent d'attendre au printemps, car dans un semblable sol le jeune arbre n'aurait pas le temps de se fixer et pourrait souffrir, au cours de l'hiver, de l'excès d'humidité. Conservation des plants. Lorsque les plants sont arrachés, on n'est pas toujours en mesure de les replanter immédiatement ; il faut alors les mettre en jauge. On ouvre une tranchée ou jauge de 25 à 30 centimètres de profondeur, on y met les plants debout ou légèrement inclinés et on comble la [p. 28] tranchée à la manière ordinaire. Les plants seront ainsi à l'abri de la gelée, sans courir risque de se dessécher. Emplacement de la pépinière. Le choix du terrain, que doit occuper la pépinière, a, comme on peut le concevoir, sans peine, une très grande importance. Sur ce point cependant les avis sont partagés. Les uns estiment que l'on doit choisir un terrain fertile ; les autres un terrain médiocre. Les premiers s'appuient sur cette observation générale, que les arbres bien constitués et bien nourris dès leur bas âge donnent de plus beaux sujets que ceux qui ont végété péniblement à leurs débuts. Les seconds disent, avec quelque raison, que les arbres venus dans un terrain d'une grande fertilité seront d'une mauvaise reprise et d'une végétation languissante dans un terrain médiocre ou même seulement moins bon. Les premiers sont, en général, des pépiniéristes qui se préoccupent surtout de produire des égrains de bel aspect et faciles à vendre ; les seconds, des cultivateurs qui se préoccupent surtout de la bonne réussite des arbres qu'ils plantent. Entre les deux avis extrêmes, on peut se faire une opinion moyenne, qui encore une fois aura l'avantage d'être la bonne. Il conviendra, pour l'établissement de la pépinière de chercher un terrain vierge, de consistance moyenne, ni trop fertile ni trop aride, et n'ayant porté de pommiers depuis au moins vingt ans. Dans les sols légers, les arbres se développent lentement et souffrent de la sécheresse ; dans les sols compacts la végétation est tardive et les racines se développent difficilement. La fertilité sans être excessive devra être cependant suffisante pour permettre une bonne végétation des jeunes arbres. En thèse générale, la reprise ultérieure des égrains [p. 29] sera d'autant mieux assurée que le sol de la pépinière se rapprochera davantage, au point de vue de la fertilité et même de la nature du sol, du terrain dans lequel les arbres doivent être plantés plus tard, à moins que ce terrain ne soit absolument mauvais. Dans ce cas la végétation de la pépinière dans un sol si ingrat serait trop lente et trop chétive. Si la jeune pépinière était élevée dans le but exclusif de créer des espèces nouvelles, il faudrait tout au contraire ne pas hésiter de la placer dans le terrain le plus fertile parmi ceux dont on peut disposer. La même raison qui conduit à ne pas placer les pépinières dans des terrains très fertiles veut qu'on ne leur donne pas de fumures trop abondantes, ce qui conduirait à peu près au même résultat. Cela ne veut pas dire qu'il faille proscrire tout engrais, mais seulement qu'on doit en user avec modération. Préparation du sol. Le sol devra être défoncé à une profondeur de 30 ou 40 centimètres trois ou quatre mois avant la plantation afin que la terre soit exposée, pendant quelque temps, à l'action des agents atmosphériques, qui désorganiseront et rendront assimilables les matières fertiles. La profondeur du défoncement dépendra de la nature du sol et de sa fécondité. Dans un terrain léger, exposé à la sécheresse, ou dans un sol peu fertile, la masse de terre remuée doit être nécessairement plus grande que dans un sol gras, suffisamment humide ou suffisamment riche. En général, il n'est pas utile de labourer profondément, le pommier étant un arbre à racines traçantes. Un défoncement profond ne servirait qu'à multiplier les racines pénétrantes, ce qui rendrait l'arrachage plus difficile et nuirait surtout au développement du chevelu. Cependant si le terrain est très humide, et le sous-sol [p. 30] sol peu perméable, il sera bon de faire suivre la charrue par une fouilleuse, de façon à produire une sorte de drainage, qui assainira le sol. Au moment de la plantation, on laboure de nouveau, mais à une profondeur de 20 à 25 centimètres au plus. Si l'on juge à propos d'ajouter un engrais au sol. C'est à ce moment qu'il convient de le faire. Le terreau fait de détritus végétaux est l'engrais qu'il faut choisir de préférence à tout autre. Il doit être bien consommé. De Brébisson prétend qu'une des causes principales du chancre du pommier réside dans l'emploi d'un fumier d'origine animale. Habillage des plants. L'habillage du plant est une opération, assez mal définie par son nom, qui consiste à retrancher une partie de la racine et de la tige. Avec une serpette bien tranchante, et non avec un sécateur qui produirait des mâchures, on supprime les racines brisées ou mâchées immédiatement au-dessus de la partie altérée. On retranche également un tiers environ de la racine principale du pivot, à l'endroit où il commence à diminuer de volume. Cette suppression de l'extrémité du pivot arrête son allongement et fait développer un grand nombre de racines latérales, qui commencent à prendre la direction qu'elles auront dans l'arbre adulte. Lorsqu'on arrachera les jeunes pommiers de la pépinière, pour les planter à l'endroit qu'ils devront définitivement occuper, leur reprise sera mieux assurée, grâce au développement de leur racines secondaires. Beaucoup se sont élevés contre la suppression d'une partie du pivot de la racine ; on a dit que cette opération nuisait au développement et à la beauté de la tige. « L'expérience a démontré que les très faibles inconvénients de cette pratique sont bien plus que [p. 31] compensés par les avantages qu'elle procure. En effet, ce pivot ne sert aux jeunes arbres qu'à les fixer au sol pendant les deux ou trois premières années de leur végétation ; passé ce temps, il ne prend plus d'accroissement, et est remplacé par des ramifications d'autant plus grosses qu'elles naissent plus près de la surface du sol : dans les arbres déjà âgés, on n'en remarque même plus aucune trace. En retranchant une petite étendue de ce pivot, on ne fait donc que devancer la nature de quelques années, et l'on favorise le développement de nombreuses ramifications, qui, placées plus près la surface du sol, fonctionnent avec bien plus d'énergie [5]. » Comme on vient de retrancher une partie des racines, il faut enlever une fraction équivalente de la tige, afin de rétablir l'équilibre entre les surfaces d'évaporation et les organes d'absorption. En pratique on coupe la tige à 30 ou 40 centimètres du sol, aussitôt après la plantation. La figure 3 représente un jeune plant après habillage. Le prolongement pointillé de la racine indique la partie qui a dû être retranchée. Replantation. Lorsque les plants sont arrachés depuis quelque temps et qu'on n'a pas eu la précaution ou le pouvoir de les mettre en jauge, il peut arriver qu'ils se soient un peu dessécha, ce que l'on reconnaît aux rides de l'écorce. Il faut alors les mettre tremper dans un baquet rempli d'eau, ou les enfouir complètement en terre jusqu'à ce que les rides aient disparu. [p. 32] Pour procéder à la plantation, il faut choisir un jour beau mais un peu sombre. Si le froid ou la pluie survenaient, il faudrait surseoir à l'opération. La plantation peut se faire à plat ou sur buttes. Le premier système est employé lorsque le sol est profond, on adopte le second lorsque la couche de terre végétale a peu d'épaisseur. Pour obtenir des arbres de belle venue, il faut que les plants soient assez espacés pour être bien éclairés dans toute la hauteur de la tige. Grâce à cet éclairage, un certain nombre de petits bourgeons latéraux pourront se maintenir sur celle-ci et contribueront à son accroissement en diamètre, à mesure de son allongement. S'il en était autrement, on obtiendrait des arbres étiolés dont la tige longue et flexible serait sans force e sans vigueur. Les dispositions que l'on adopte pour la plantation sont fort variées. Les espacements diffèrent aussi beaucoup ; en règle générale, on ne devrait jamais planter plus de deux arbres par mètre carré. Les combinaisons les plus fréquentes sont les suivantes : Tantôt les jeunes pommiers sont plantés à 35 ou 40 centimètres les uns des autres, sur des lignes distantes de un mètre ; tantôt ils sont plantés en carré ou en quinconce à 70 centimètres environ les uns des autres. Cette dernière disposition est à recommander, car elle est celle qui se prête le mieux aux sarclages et aux binages à la houe à cheval. On fera bien de l'adopter pour les plantations sur buttes, que l'on pourra de la sorte facilement rétablir à la charrue. Lorsque la disposition du terrain ne s'y oppose pas, on orientera les lignes de plantation de l'est à l'ouest, afin de soustraire autant que possible les jeunes arbres à l'action des vents violents de l'ouest. La plantation ne doit jamais se faire au plantoir, mais toujours à la bêche. D'un ou deux coups de l'instrument, on creuse un trou, dans lequel on place [p. 33] l'égrain bien verticalement, en ayant soin de bien étaler les racines. Puis on remet la terre en place ; on la foule légèrement autour de la tige. Ce procédé est expéditif, mais lorsqu'on ne craint pas de faire une dépense, qui trouvera amplement sa rémunération par la meilleure venue des pommiers, il faut opérer comme suit : après avoir posé un cordeau qui marque la direction de la ligne, on ouvre une tranchée de 20 centimètres de profondeur. On place ensuite les jeunes plants contre l'une des parois, de façon que la tige soit bien verticale et que les collets se trouvent à 4 ou 5 centimètres de la surface du sol ; par suite du tassement, les collets seront ramenés en bonne place. On étale toujours soigneusement les racines. Ceci fait, on ouvre la tranchée qui servira à planter la ligne suivante et on jette la terre qu'on en extrait dans la première jauge qui se trouvera ainsi remplie. On tasse légèrement le sol avec le pied autour de chaque plant. Soins à donner à la pépinière. La pépinière réussira d'autant mieux qu'on entourera les jeunes plants de soins plus assidus et plus intelligents. Quelques jours après la plantation on donnera un labour pour alléger la terre. L'outil dont on se servira sera une fourche à trois dents recourbées ; la bêche ou la houe pourrait endommager les racines. La pépinière doit être rigoureusement tenue propre. Les herbes qui pourront s'y développer seront soigneusement détruites, au moyen de sarclages exécutés à la main, à la houe à cheval, ou mieux à la fourche recourbée. Il sera très avantageux de toujours maintenir la surface du sol légèrement humide. Dans ce but, on emploiera une couverture de fumier pailleux, de feuilles ou d'ajoncs. Les pailles de colza ne seront pas employées [p. 34] pour cet usage. Elles paraissent favoriser le développement d'un des plus redoutables ennemis des jeunes pépinières, le puceron lanigère. Pour mettre en place cette couverture, il convient d'attendre que la saison froide soit passée, car la couverture pourrait servir de refuge et d'abri aux souris et aux mulots, qui viendraient ronger les écorces et causeraient ainsi de graves préjudices aux pommiers. On attendra la fin de mars ou le commencement d'avril pour procéder à cette opération. Tout ce que nous venons de dire des égrains ou sauvageons de pommier s'applique également aux jeunes poiriers francs. CHAPITRE IV Classification des pommes à cidre au point de vue de la saveur et de leur richesse en sucre, en tannin et en acide. — Composition d'une pomme de bonne qualité. — Composition d'une pomme médiocre. — Avantages de l'analyse chimique. — Principes utiles des pommes à cidre. — Classification des pommes par rapport à l'époque de maturation. — Quelques observations au sujet du choix des variétés. — Liste des meilleures pommes à cidre. — Poires à poiré. — Classification. — Liste des meilleures variétés de poires à poiré et à alcool. Classification des pommes à cidre au point de vue de la saveur et de la richesse en sucre, en tannin et en acide. L'égrain a grandi, il faut songer à le greffer. Une grave et délicate question se pose pour l'arboriculteur : quelle variété va-t-il choisir ? Depuis les temps très reculés où l'on songea pour la première fois à cultiver le pommier sauvage pour en améliorer les produits, le nombre des variétés obtenues [p. 35] par semis a été toujours en augmentant. Malgré les différences souvent notables qu'on trouve entre deux variétés différentes, elles peuvent toutes se ramener à deux grands types : les variétés à fruit de table et les variétés à fruits à cidre. La variété des fruits à cidre est la seule qui nous occupe pour le moment. Au point de vue général de la saveur, les pommes à cidre peuvent elles-mêmes se classer en trois catégories : les pommes douces, les pommes amères et les pommes acides. Les premières sont riches en sucre, mais pauvres en tannin ; elles donnent des cidres fades et de conservation difficile. Les pommes amères sont celles où le tanin domine ; elles donnent une boisson âpre et astringente qui s'épaissit. Enfin les pommes acides sont riches en acide malique, mais pauvres en sucre et en tannin, elles donnent un cidre très léger, aigrelet, parfois désagréable au palais et toujours très altérable, noircissant très facilement dès qu'il est exposé à l'air. Cette classification des fruits en trois catégories n'a rien d'absolu en fait. Suivant la remarque du poète latin, la nature ne procède pas par sauts, non fecit natura saltus. Du fruit le plus doux au fruit le plus amer ou le plus acide, on trouve tous les degrés de douceur, d'amertume et d'acidité ; et les défauts du cidre, signalés plus haut, existent plus ou moins, suivant que les fruits, ayant servi à les fabriquer, se rapprochent plus ou moins des extrêmes. Certaines variétés réalisent à peu près le type de la pomme à cidre parfaite, et contiennent en proportions harmonieuses toutes les matières propres à constituer un excellent cidre. Ces variétés sont rares : à tous les éléments dont nous venons de parler, elles doivent joindre le parfum qui rend la boisson plus savoureuse et plus digestive. En général, pour obtenir de bons cidres, il faut faire un mélange judicieux de fruits doux et de fruits amers, voire même de quelques fruits acides. [p. 36] Il n'y a pas bien longtemps encore, la dégustation des fruits était la base unique de la classification des pommes. Cette classification repose aujourd'hui sur des données plus scientifiques, grâce aux travaux commencés il y a une vingtaine d'années par MM. de Bouteville et Hauchecorne, poursuivis depuis par Hauchecorne et par quelques pomologues dévoués, au nombre desquels il convient de citer tout spécialement M. Truelle. Le procédé sommaire de la dégustation pouvait suffire, dans la plupart des cas, à déterminer la nature des principes utiles disséminés dans la chair de fruits et pouvait, sans doute, révéler la présence de plusieurs de ces principes, entre autres, l'acidité, l'amertume et le parfum, mais le concours de l'analyse chimique était indispensable pour arriver à préciser les rapports de quantité du sucre, du tannin et du mucilage, dont le mélange plus ou moins heureux constitue la qualité du fruit. La bonne qualité d'une pomme ne tient pas en effet à la présence d'un élément unique, elle repose sur l'harmonie des proportions dans lesquelles se trouvent associés ses principaux éléments constitutifs. Composition d'une pomme de bonne qualité. Les éléments constitutifs d'un bon fruit étant connus, il fallait déterminer dans quel rapport ces principes devaient se trouver mélangés dans la pomme, pour qu'elle fût capable de donner un cidre de bonne qualité. Dans ce but MM. de Bouteville et Hauchecorne analysèrent d'abord les fruits, auxquels, d'un commun accord, les fabricants de cidre accordaient la préférence : la Bédan, la Marin Onfroy ou Ameret, la Peau-de-Vache, l'Argile, la Rouge-Bruyère, la Fréquin, la Germaine. Les jus de ces pommes à de légères variantes près, avaient une densité oscillant entre 1067 et 1080, soit 9° à 10°, 6 de l'aréomètre de Baumé. MM. de Bouteville. [p. 37] et Hauchecorne ont fondé, sur cette observation, un procédé sommaire d'estimer la valeur d'un moût de pommes, sur lequel nous reviendrons. La composition moyenne pour 1000 parties de jus était la suivante : Eau 800,00 Sucre alcoolisable 173,00 Acide tannique ou tannin 5,00 Mucilage ou pectosine (pectine soluble, gommes) 12,00 Acides libres (malique, tartrique, etc. rapportés au type de l'acide sulfurique monohydraté) 1,07 Albumine et ferment 5,00 Matières salines (chaux, malates de potasse et de chaux, phosphate de chaux) 1,75 Acide pectique, matière colorante, huiles grasses et volatiles, substance non soluble en suspension 2,18 ______ 1000,00 Composition d'une pomme médiocre. Opérant ensuite sur des fruits connus pour faire de mauvais cidre, ils trouvèrent les mêmes substances, mais en proportion très différente, sauf l'albumine, le ferment, les sels de potasse et de chaux, lesquels se présentaient dans des conditions sensiblement identiques. Les jus ne contenaient plus que le tiers de la quantité de sucre trouvé dans les moûts de bons fruits. Le tannin n'y figurait plus que pour 1 millième et le poids de mucilage tombait à 4 millièmes. La densité variait entre 1040 et 1060, c'est-à-dire entre 6° et 8° Baumé. [p. 38] Avantages de l'analyse chimique. MM. de Bouteville et Hauchecorne, à la suite de leurs analyses, ont formulé les lois suivantes : Les pommiers, qui de notoriété populaire produisent le meilleur cidre, ne sont pas redevables de leur supériorité à l'existence d'un élément particulier, dont seraient dépourvus les mauvais fruits ; et celles qui méritent, à bon droit, d'occuper le premier rang sont les variétés parfumées, légèrement amères et peu acides, qui joignent à une quantité notable de tannin ou principe astringent et de mucilage ou principe onctueux, une très forte proportion de sucre. « L'analyse chimique, ajoutent-ils, nous a rendu de grands services ; en nous facilitant les moyens d'établir une classification rationnelle des fruits anciens basée sur leur mérite réel, elle a eu de plus l'éminent avantage, appliquée aux fruits d'obtention récente, de nous fixer sur leur compte 15, 20, 25 ans même avant l'époque où le brassage eût pu nous renseigner, et de permettre pendant ce temps, de multiplier en quantité considérable, les fruits nouveaux, riches en éléments utiles. » Principes utiles des pommes à cidre. Les principes utiles des pommes à cidre sont en premier lieu le sucre, puis le tannin, enfin le mucilage et les acides. Le sucre est le principe essentiel. C'est lui qui, par la fermentation, se transforme en alcool, donne au cidre, comme aux autres boissons fermentées la force et la chaleur et en assure la conservation. Le tannin joue, au moment de l'assimilation des liquides par les organes digestifs, un rôle analogue à celui de l'azote dans le phénomène de la respiration. Il tempère et atténue leur action excitante. En outre, [p. 39] quelques millièmes d'acide tannique dissous dans une boisson suffisent pour en fixer la saveur et lui communiquer des propriétés toniques. Le tannin est encore le principe clarifiant et antiseptique des cidres et comme le régulateur de la fermentation. « C'est lui qui, en contact avec l'albumine, le ferment et la pectine, forme en se combinant à ces matières une sorte de réseau filtrant qui enveloppe non seulement les corps tenus en suspension, mais encore ceux qu'ils tenaient dissous ; il s'oppose ainsi à la maladie connue sous le nom de graisse, puis, diminuant la masse des substances fermentescibles, il les empêche d'exciter au sein des jus certaines perturbations dont le résultat final est souvent la production de l'acide butyrique, cette matière infecte qui se dégage parfois des lies du cidre et toujours des excréments de l'ivrogne [6]. » Le mucilage ou pectosine est un principe doux et onctueux qui est formé par la dissolution d'une matière amylacée dans l'eau de végétation des pommes et qui donne au jus une certaine viscosité. Le mucilage semble jouer un certain rôle dans la conservation des cidres. On a depuis longtemps remarqué que les cidres obtenus de pommes précoces sont généralement médiocres et doivent être consommés de suite ; ceux faits, au contraire, avec les pommes tardives peuvent se garder longtemps. Or, si l'on fait l'analyse des jus de fruits précoces, on voit qu'ils donnent au plus huit grammes de mucilage par kilogramme de jus, tandis que les jus de fruits tardifs en contiennent de quatorze à dix-neuf grammes. Les acides maliques et tartriques que l'on trouve dans les moûts de pommes donnent au cidre sa saveur aigrelette et ses qualités rafraîchissantes, à la condition, cependant, de n'être pas en excès. En résumé, des pommes de bonne qualité doivent [p. 40] donner un jus contenant de 170 à 180 grammes de sucre par litre de jus (ce jus donnera un cidre pesant de 10° à 10°,5 c'est-à-dire contenant de 10 litres à 10 litr es et demi d'alcool par hectolitre) ; 5 à 6 grammes de tannin ; 14 à 15 grammes de mucilages ; 1 gramme environ d'acide malique et tartrique. Classification des pommes par rapport à l'époque de maturation. Les pommes commencent à arriver à maturité à la fin de septembre, et l'époque de la maturation se prolonge jusqu'à fin décembre, suivant les variétés. Au point de vue de la maturation on a classé les pommes en trois catégories : Les pommes de première saison qui mûrissent de fin septembre à mi-octobre ; les pommes de deuxième saison, de mi-octobre à mi-novembre ; enfin celle de troisième saison qui murissent de novembre à décembre. Il convient de faire au sujet de cette classification l'observation que nous avons faite au sujet de la classification en fruits doux, amers ou acides : c'est qu'elle ne saurait être rigoureuse. D'autant que pour une même variété, l'époque de maturation peut varier de quinze jours et plus suivant l'année, le sol ou l'exposition. Quelques observations au sujet du choix des variétés. Les pommes tardives donnent de meilleurs cidres que les pommes précoces. MM. de Bouteville et Hauchecorne expliquent cette supériorité par la quantité plus abondante de mucilage que contient le jus des pommes d'arrière-saison. Il semblerait d'après cela que l'on dût planter exclusivement des pommes de dernières saisons, mais, comme le fait observer Du Breuil, on devra se garder de donner exclusivement [p. 41] la préférence à cette catégorie de pommes, parce que toutes ces variétés fleurissent pour la plupart au même moment, et il pourrait arriver que, si le temps n'est pas favorable au moment de la floraison, on se trouvât complètement privé de fruit. On est moins exposé à cet accident en partageant également la place dont on dispose entre les trois catégories. C'est ainsi que procédera le cultivateur prudent. M. Nanot recommande encore de choisir les variétés à branches redressées de préférence à celles à branches tombantes. « Si les arbres, dit-il, prennent plus ou moins la forme du saule pleureur, dans les terres arables, ils gênent les ouvriers au moment des labours, et par leur ombrage sont très nuisibles aux récoltes ; dans les pacages, les fruits sont à la portée des animaux qui en les dévorant avec trop de gloutonnerie peuvent s'étrangler, ou, comme disent les agriculteurs, s'empommer [7]. » On paraît être assez généralement d'accord pour préférer les pommes de grosseur petite ou moyenne aux gros fruits. On cite volontiers en Normandie le dicton populaire : Petites pommes, gros cidre. La question a été souvent discutée dans les congrès pomologiques et la majorité s'est toujours prononcée pour les fruits de petites dimensions. MM. de Bouteville et Hauchecorne, dont il est toujours bon de recueillir l'avis à ce sujet, n'hésitent pas à recommander les fruits de petites dimensions. « Quant à nous personnellement, nous conseillerons, sans hésiter, l'usage des fruits moyens ou petits, parce que nos recherches sur ce point nous ont appris que si les gros fruits sont, en général, aussi parfumés, parfois même plus parfumés, en apparence, mais plus aqueux que les petits, propriétés qu'ils doivent au tissu moins serré de l'épiderme et du parenchyme, leur richesse saccharine et [p. 42] tannique est presque toujours inférieure ; en outre, les petits fruits, à mesure égale, sont plus pesants que les gros et renferment par conséquent une grande somme de principes utiles, ce qui justifie le dicton populaire [8]. » D'après ce qui précède, le choix des variétés à adopter serait bien simple, si ces variétés immuables dans leur production donnaient toujours des fruits identiques les uns aux autres. Mais hélas, nous savons que les choses de la nature, si uniformes et si invariables dans les ensembles et les grandes lignes, sont infiniment diversifiées dans les détails. Deux fruits cueillis sur le même arbre donneront des dosages différents, en sucre, en tannin, en mucilage ; et il serait peut-être impossible de trouver deux fruits strictement identiques. La chaleur, la lumière, l'action des vents, la vigueur et l'âge de la branche, le nombre de fruits qu'elle porte, mille autres causes qui échappent à la science et à l'observation sont des facteurs du travail chimique qui a présidé à la formation du sucre et des divers éléments des fruits. Si les fruits d'un même arbre présentent des différences marquées, combien ces différences seront plus accusées sur deux arbres différents. Aux influences que nous venons d'énumérer, s'ajoutent la nature et la vigueur du sauvageon, celles de la greffe, la constitution et la fertilité du sol, le climat et l'orientation, la culture et les soins. Aussi quelles divergences chez les auteurs qui ont entrepris de classer les fruits suivant leur composition chimique ! La première classification de pommes à cidre fut faite vers 1750 par un chanoine de Caen, Charles-Gabriel Porée. Elle repose sur les époques de maturité des fruits ; elle a été conservée jusqu'à nos jours. [p. 43] Cette classification fut complétée par les deux Renault, qui subdivisèrent les fruits de chacune des classes de Porée en trois sections, basées sur l'état organoleptique et physique de la pulpe. Ces trois sections sont formées par des fruits tendres, demi-durs, durs, comprenant également pour chacune d'elles des fruits à saveur douce, acide, amère. Du Breuil et Girardin, utilisant les travaux antérieurs, donnèrent un catalogue épuré d'un grand nombre de variétés. La première liste des fruits à cidre, classés d'après leur valeur, accusée par l'analyse chimique, a été dressée par MM. de Bouteville et Hauchecorne, les initiateurs de cette méthode. Depuis d'autres auteurs ont publié de nouvelles listes. Les ouvrages sur la matière en sont encombrés ; mais aucune de ces listes ne concorde avec les autres, lorsqu'elle est originale, c'est-à-dire lorsqu'elle n'est pas la copie de listes anciennes. Plus récemment, M. Truelle a établi une classification, qui n'est pas sans mérite et qui tient compte à la fois des caractères de l'arbre et du fruit. Parmi ces caractères M. Truelle distingue des caractères de premier ordre et des caractères secondaires. En ce qui concerne l'arbre, les caractères de premier ordre sont : la forme de la tête, le nombre des fleurs réunissant la majorité des corymbes particuliers à chaque variété, la coloration et la dimension des pétales. Les caractères secondaires sont : la nature du bois, l'époque de la floraison, la longueur du pédoncule des fleurs, leur état plus ou moins tomenteux, la dentelure des feuilles, leurs dimensions, la nature de l'épiderme des feuilles. En ce qui concerne les fruits, les caractères de premier ordre sont : la coloration, le volume et la forme. Les caractères secondaires reposent sur les modes que la teinte affecte sur l'épiderme : hachures, stries, localisation, sur les dispositions de l'endocarpe, sur la [p. 44] marche des faisceaux des sépales et des pétales dans le mésocarpe. D'après ces caractères, M. Truelle a groupé les fruits à cidre autour de huit pommes types, qui sont : 1° Girard ; 2° Fréquin rouge ; 3° Bouteille ; 4° Binet ; 5° Bédan ; 6° Aufriche ; 7° Marin-Onfroy ; 8° Peau-de-vache. Ceux qui s'intéressent à cette classification un peu compliquée et ne reposant pas toujours sur des caractères bien fixes consulteront avec fruit les nombreuses publications de M. Truelle. Nous nous bornerons à donner ici un tableau des meilleurs fruits, en indiquant les teneurs moyennes en sucre, tannin, matières pectiques, acidité. Les teneurs indiquées sont des moyennes provenant des résultats de nos propres analyses et de celles des auteurs les plus sérieux. Liste des meilleures pommes à cidre. NOM DES VARIÉTÉS SAVEUR des FRUITS ANALYSE CHIMIQUE DOSAGE PAR KILOGRAMME DE JUS SUCRE TANNIN MUCILAGE ACIDITÉ Pommes de première saison. Reine-des-Hâtives Blanc-Mollet 210 à 225 3à4 9 à 11 1 à 1.5 Doux-amer 165 à 182 Doux 3à5 5à9 1 à 2.5 156 à 165 2.5 à 3.5 7à8 0.9 à 1 Railé — Girard Amer 123 à 165 2à5 2à7 1à3 Saint-Laurent Doux 160 à 184 3à5 7à9 0.9 à 1.5 Jaunet-Poinut — 172 à 180 3à5 6.5 à 8 1à2 Précoce-David — 150 à 173 3à5 5à6 1à2 Amer 170 à 190 2à3 2à5 1à2 Doux 201 à 225 3à4 10 à 15 2à3 Doux-amer 160 à 185 3à5 4à7 3à4 1.5 à 3 7à9 1à2 4à6 7à9 1à3 185 à 240 5 à 11 5à7 1.5 à 4 Doux-amer 173 à 190 Docteur-Blanche Pommes de deuxième saison. Argile-Nouvelle Rossignol Pomme de cat Barbarie ou Monte-en-l'Air Médaille d'or Vagnen-Legrand Doux 165 à 190 Doux-amer 170 à 189 Amer 4à7 4à7 1à2 Godard Doux 165 à 191 3à8 4à9 2à3 Jaunet — 164 à 180 3à5 5à1 1à2 Jaunet-Pointu — 165 à 180 4à6 6à9 1à2 Jaunet de Gournay — 160 à 184 2.5 à 4 5à7 1à2 Vice-président Hévin — 167 à 185 3à6 5à8 1à4 165 à 185 2à4 8 à 12 2à5 Doux-amer 170 à 180 5à7 7 à 12 2à4 [p. 45] Binet-Gris Martin-Fessard Doux Bénard Doux 155 à 175 2à3 6à8 1à2 Rouge-Bruyère Amer 160 à 180 3à9 7 à 10 1à2 Ecarlatine Doux 168 à 185 4à6 7 à 12 1à3 — 160 à 175 3à5 10 à 15 1à2 Gros-Fréquin, Fréquin-Rouge, Fréquin-Barre Amer 150 à 200 2à4 3à8 1à2 Pomme-Miel Doux 143 à 170 3à7 4 à 10 1à2 Doux-amer 156 à 171 3à5 6 à 10 1 à 1.5 Paradis Précoce-David Amer-doux, Belle-Mauvaise, de Roquet Amer 150 à 175 3à6 5à8 2à4 Rosine Doux 142 à 175 1à3 7 à 15 1à3 — 145 à 170 2à4 5à8 1à2 Amer 150 à 190 4 à 6.5 8 à 14 2à3 Cimetière — 99 à 136 1à5 8à9 1à4 Bédan — 98 à 163 1à4 2à9 1à2 Doux 120 à 170 1 à 4.5 1 à 13 1à3 Doux 173 à 212 3à5 6à8 1à2 — 219 à 240 2.5 à 4 8 à 14 1à3 Pomme à tannin Amer 188 à 217 8 à 10 4à6 2à5 Galopin Doux 173 à 187 2à3 8 à 13 2à4 Michelin — 160 à 191 4à6 6à8 1à2 Doux-amer 172 à 189 2à5 6à8 2à3 152 à 186 2à4 10 à 12 1à2 Doux-amer 185 à 226 2à3 8 à 12 1à2 Muscadet Amère de Bethencourt Gros-Matois Pommes de troisième saison. Pomme Legentil Grise-Dieppois Binet, Binet-blanc Rouget, Pomme à glanes Bramlot Hauchecorne Doux Doux 154 à 186 3à6 4à7 1à2 Delaplace — 148 à 183 3à5 7 à 10 1à2 Marie-Legrand — 126 à 183 5à7 4à6 2à3 Bonteville — 151 à 185 4à6 5à7 2à4 Margotton — Reine-des-Pommes Passe-Reine-des-Pommes Jaunet de Gournay Or-Milcent Argile-Rouge Argile-Grise Groseiller Moulin-à-Vent Rouge-Avenel Peau-de-Vache 147 à 175 2à4 8 à 11 1à2 Doux-amer 151 à 167 3à5 2à8 8 à 10 — 128 à 149 3à6 4à9 2à6 Doux 142 à 175 3à5 5à9 2à3 — 154 à 175 4à8 8 à 12 1à3 Doux-amer 139 à 175 1à4 9 à 15 1 à 1.5 — 165 à 181 2à5 12 à 15 1à3 Doux 128 à 175 2à4 7 à 10 1à2 — 97 à 171 3à6 5à8 1à4 Doux-amer 152 à 173 4à6 5à7 1à2 Doux 120 à 180 1à8 3 à 15 1à2 — Nouvelle — 136 à 172 3à6 7 à 14 1à2 Ambrette — 149 à 181 1à2 7à9 1à2 Doux-amer 108 à 177 2à5 6à9 1à3 Bédan-des-Parts Marabot Doux 146 à 182 2à4 6 à 10 1à3 Aufriche — 122 à 173 2à3 6 à 18 1à2 Bouteille — 94 à 144 1à3 4 à 14 1à3 Petit — 118 à 162 3à4 7 à 12 1à2 Amer 157 à 183 4à7 8 à 12 1à3 Fréquin-Audièvre [p. 46] Nous aurions pu allonger encore cette liste déjà longue. Ce qui frappe dans ce tableau, c'est la variabilité dans la composition des pommes d'une même espèce. De là l'incertitude et la perplexité du cultivateur attentif et désireux de créer un bon verger ; de là la difficulté de créer une classification de quelque valeur. A ces questions de qualité du fruit viennent s'ajouter celle de la vigueur et de la fécondité de l'arbre. Aussi conseillerons-nous à ceux qui veulent créer une pommeraie de rechercher dans leur région, sous le même climat, dans les terrains analogues aux leurs, les arbres qui végètent et fructifient le mieux. Parmi ceux-ci faire un choix approfondi, basé sur l'analyse des fruits des meilleures variétés. Poires à poiré. Le poiré est généralement considéré comme une boisson mauvaise, capiteuse à l'excès, enivrant facilement et capable de porter des troubles graves dans le système nerveux. Cette opinion courante est d'autant plus fâcheuse qu'elle jette le discrédit sur une des meilleures et des plus agréables boissons, qui n'est mauvaise et dangereuse que parce qu'elle est mal fabriquée, ou du moins fabriquée avec des fruits mal choisis. Le poiré est, en effet, une boisson très alcoolique et qui réclame une dose élevée de tannin, afin d'amoindrir l'action de l'alcool sur le cerveau. Si l'on a soin de choisir des poires très sucrées, parfumées et très riches en tannin, on obtiendra une boisson bienfaisante et agréable. Classification des poires à poiré. M. Truelle a donné une classification des poires à poiré, reposant sur les mêmes principes que sa classification des pommes. [p. 47] Cette classification comprend quatre groupes-types autour desquels viennent se ranger toutes les variétés connues : 1° Ivoie, 2° Gris-de-loup, 3° Carisi blanc, 4° Huchet. Nous classerons les poires à poiré en deux catégories : celle des poires à boisson et celle des poires à alcool. La première classe contiendra les poires riches en tannin, et la seconde les poires qui en contiennent peu et qui donnent une boisson capable de justifier tous les préjugés dont le poiré est l'objet. Les poires à poiré contiennent peu de mucilage ou principes onctueux. On ne doit pas employer les fruits acides dans la fabrication du poiré et les réserver pour la distillation. Un moût qui contiendrait plus de 3 millièmes de son poids d'acidité donnerait une boisson acerbe. Les poires acides sont du reste très pauvres en tannin. Liste des meilleures poires à brasser. NOM DES VARIÉTÉS SAVEUR des FRUITS ANALYSE CHIMIQUE DOSAGE PAR KILOGRAMME DE JUS SUCRE TANNIN MUCILAGE ACIDITÉ Poires à poiré. Carisi blanc Poire de Souris Astringent 150 à 182 — 166 à 188 4à6 2à3 3à5 9 à 14 1à2 1à2 — Cirol — 163 à 179 5à7 1à3 2à3 Astringent 148 à 155 3à4 Poires à alambic. Huchet 3à7 3à8 Poire de Croixmare — 183 à 225 0.5 à 1 2à4 2à4 — Navet — 191 à 236 2à3 2à4 1à2 [p. 48] CHAPITRE V Le greffage et ses avantages. — Conditions à remplir pour réussir une greffe. — Différentes méthodes de greffage. — Outils et accessoires employés pour le greffage. — Choix des greffons. — Greffe en écusson à oeil dormant. — Greffe en fente. — Greffe en fente anglaise. — Greffe en couronne. — Travail dans la pépinière après le greffage. — Préparation des sauvageons pour la greffe en tête. — Greffage sur racines. Le greffage et ses avantages. Maintenant que nous connaissons les bonnes variétés de pommiers et de poiriers et qu'à bon escient nous pouvons fixer notre choix, nous allons voir comment nous pouvons multiplier les espèces qui ont nos préférences. Si les soins dont on a entouré les égrains dans la pépinière ont été bien entendus, si le repiquage a été opéré avec soin, si le choix des sujets a été bien fait, le plant aura, dès le mois d'août de la première année, atteint la grosseur nécessaire pour qu'il puisse être écussonné, mais il est presque toujours préférable, d'attendre la seconde année. En greffant des sujets bien enracinés et ayant pris un beau développement, on obtient de plus beaux arbres, et tout aussi rapidement qu'en greffant après une année de repiquage. Faire une greffe, c'est implanter sur un végétal un rameau, un bourgeon pris sur un autre végétal de la même famille. Nourri par la tige sur laquelle on l'implante, ce bourgeon se développe et fructifie comme sur le pied duquel on l'a détaché. La greffe est une des plus merveilleuses pratiques de l'arboriculture. Elle permet de multiplier les variétés de choix, de transformer un arbre qui donnait de [p. 49] mauvais fruits en un autre qui en donnera de bons. Elle hâte la fructification, et, d'après l'avis de beaucoup de praticiens, elle améliore même la qualité du fruit greffé. « C'est une chose bien connue, dit de Brébisson, que la greffe sert non seulement à conserver les espèces, mais qu'elle les perfectionne à tel point qu'un arbre que l'on greffe plusieurs fois avec la même espèce va toujours s'améliorant de plus en plus à raison du nombre de fois qu'il aura été greffé. » Conditions à remplir pour réussir une greffe. M. Nanot, directeur de l'école d'horticulture de Versailles, a admirablement bien défini les conditions dans lesquelles on doit se placer pour réussir dans cette opération toujours délicate du greffage ; nous ne croyons pouvoir mieux faire que d'emprunter les détails qu'il donne à ce sujet. « 1° Les parties les plus vivantes du greffon et du sujet, c'est-à-dire le liber, le jeune parenchyme ligneux (partie intérieure de l'écorce), et le cambium (situé au-dessous de l'écorce) doivent être mises en contact sur une large étendue. De ces tissus, c'est le cambium principalement qui organise, au point d'union des végétaux greffés, un tissu cicatriciel qui les soude et permet à la sève de passer de l'un à l'autre, qu'elle soit ascendante ou descendante. La sève circule assez difficilement au point d'union du sujet et du greffon, elle s'y accumule et forme un bourrelet appelé noeud de la greffe. 2° On ne doit pas greffer une variété précoce sur un sujet à végétation tardive. Si les sujets et les greffons n'entraient pas en végétation exactement à la même époque, il serait préférable que ce soit la végétation du greffon qui fût la plus tardive. S'il y a une trop grande différence entre l'entrée [p. 50] en végétation du greffon et du sujet, la greffe, souvent, ne réussit pas bien. L'époque d'entrée en végétation des arbres sur lesquels on prend des greffons étant connue d'avance, il faut déterminer celle des sujets à greffer. Pour cela, au réveil de la végétation (printemps), on parcourt les carrés de repiquage à plusieurs jours d'intervalle et l'on attache un lien quelconque à la base des sujets qui commencent à végéter les premiers. Les plus tardifs ne reçoivent pas de ligature. On classe ainsi les sujets à greffer en deux catégories : 1° ceux à végétation précoce ; 2° ceux à végétation tardive. Au moment du greffage, il sera donc facile de ne réunir ensemble que des sujets et des greffons ayant à peu près la même époque d'entrée en végétation. Dans la pratique, on est souvent trop pressé au printemps pour tenir compte des considérations ci-dessus ; de là des insuccès que la plupart des opérateurs ne s'expliquent pas. 3° Pour réussir une greffe, il ne faut pas qu'i l y ait une trop grande différence entre la vigueur du sujet et du greffon. Il est préférable que le greffon l'emporte en vigueur. S'il y a une grande différence entre le sujet et le greffon, on réussit difficilement la greffe. Pour amortir les effets de cette inégalité de vigueur, on a recours au surgreffage. Si, par exemple, on a un greffon très vigoureux et un sujet peu vigoureux, on greffe en pied sur le sujet une variété de vigueur intermédiaire, et sur cette variété on greffe en tête la variété vigoureuse à multiplier. Pour le greffage des pommiers à cidre, on a rarement besoin d'avoir recours à ce procédé. 4° Pour assurer le succès d'une greffe, on doit pratiquer des entailles très nettes, afin de ne pas endommager les tissus qui doivent, en se développant souder les deux parties. Les surfaces du sujet et du greffon qui sont mises [p. 51] en contact doivent coïncider le mieux possible, afin que les agents atmosphériques n'aient pas d'influence directe sur les tissus intérieurs. On maintient les surfaces en contact au moyen de ligatures, et on empêche les agents atmosphériques de décomposer les tissus mis à nu, en les recouvrant d'un engluement. » Différentes méthodes de greffage. On peut greffer de jeunes arbres dont la tige a déjà dépassé la hauteur à laquelle on veut faire développer les rameaux : c'est la greffe en tête. Les branches fructifères seules seront alors formées par le greffon ou les greffons, car souvent alors on en place plusieurs ; le sauvageon forme la tige. D'autres fois, on greffe sur le sauvageon rabattu à 10 ou 20 centimètres du sol : c'est la greffe en pied. La tige, comme les branches, sera dès lors formée par le développement du greffon. On a même essayé à différentes époques de poser la greffe sur la racine elle-même. La hauteur à laquelle on doit pratiquer le greffage dépend de la vigueur relative du greffon et du sujet. Ce que l'on désire, c'est obtenir le plus rapidement possible une tige droite et haute, bonne à former tête. Lorsque le greffon appartient à une variété plus vigoureuse que le sauvageon, il y a intérêt à greffer en pied, le plus près possible du sol. Lorsqu'au contraire l'égrain ou sauvageon est plus propre à donner en moins de temps une tige haute et vigoureuse, c'est en tête qu'il faut poser le greffon. Le surgreffage n'est que la combinaison de deux greffes successives. On pose d'abord sur le sauvageon un greffon destiné à former la tige, et sur lequel on greffera, dès qu'il aura pris une dimension suffisante, une nouvelle greffe qui fournira les rameaux fructifères. Dans les différents cas la greffe peut se faire, ainsi [p. 52] que nous allons le voir, en écusson, en fente ou en couronne. Outils et accessoires employés pour le greffage. Les outils nécessaires pour opérer la greffe sont simples et peu nombreux. Une serpette, un greffoir et une scie à main, dans le cas où on pratique la greffe en fente ou en couronne et que le sujet atteint déjà une certaine dimension. La serpette (fig. 4) est un instrument que tout le monde connaît. Le greffoir (fig. 5) est une sorte de couteau dont la lame, longue de 5 à 7 centimètres, est un peu arrondie à son extrémité antérieure, du côté tranchant. Au talon du manche est implantée une spatule ou onglet en buis, en ivoire ou en os. La scie (fig. 6) dont la lame est longue de 18 à 20 centimètres a les dents disposées de manière à ouvrir une large voie à la lame. Pour obtenir sûrement ce résultat, le dos de la lame est beaucoup plus mince que le côté coupant. Sans cet artifice, la scie couperait mal du bois vert et plein de sève. Lorsqu'on procède à la greffe en fente, il faut joindre à ces instruments un petit maillet de bois qui sert à frapper sur le dos de la serpette, pour fendre verticalement les grosses tiges des sujets, afin d'y placer le greffon. On doit également être muni d'un petit coin en bois dur, à [p. 53] l'aide duquel on tient la fente entr'ouverte pendant l'opération. Pour maintenir la greffe en place, on se sert de ligatures, qui doivent être à la fois résistantes et élastiques. Résistantes, pour qu'elles soient solides ; élastiques, pour qu'elles n'étranglent pas la greffe, lorsque celle-ci augmentera de diamètre. La laine filée est jusqu'à présent la meilleure ligature que l'on ait employée. Mieux que toute autre, elle réunit les qualités requises. Elle est résistante, souple et élastique et se prête bien au grossissement de l'arbre. On recommande de n'employer que de la laine blanche ou naturellement brune, la laine teinte pouvant contenir des substances nuisibles à la greffe. Le seul obstacle à son emploi est son prix élevé. Cet inconvénient l'empêche d'être d'un usage plus général. Dans les grandes pépinières, on obtient de très bonnes ligatures, d'une façon très économique, en employant la spargaine rameuse (sparganium ramosum) ou la Mosette des marais (typha lata folia), plantes qui croissent en abondance sur le bord des étangs, des mares et des cours d'eau [p. 54] peu rapides. Il n'est guère de contrées où l'on ne trouve l'une ou l'autre, souvent les deux. Ce sont les feuilles de ces plantes qui constituent les liens. On les récolte lorsqu'elles sont à peu près arrivées à leur complet développement. On les trie et les nettoie, puis on les fait sécher à l'ombre. Pour qu'elles ne soient pas cassantes, elles doivent sécher lentement. Lorsqu'elles sont bien sèches, on les lie en paquet et on les conserve dans un endroit bien sec. Quelque temps avant de les utiliser, on les fait tremper dans l'eau, et on les laisse égoutter avant de s'en servir. On emploie encore le coton filé, le raphia ou fibre du Japon. Ces deux substances constituent des liens solides et par suite faciles à mettre en place, mais aussi très peu élastiques et ayant le défaut d'étrangler la greffe, dès que la végétation est un peu active. D'où la nécessité de surveiller avec soin les greffes et de desserrer les liens à mesure de leur développement. Pour empêcher la décomposition des tissus mis à nu sur le greffon ou le sujet, on fait ordinairement usage d'un engluement. Un bon engluement doit rester insensible à l'action des agents atmosphériques. Il ne doit ni fendre ni se fondre sous l'action du soleil ; il ne faut pas que l'eau pluviale puisse le dissoudre ; et il est indispensable qu'il n'entre dans sa composition aucune matière capable d'attaquer les tissus végétaux. Ces engluements sont de compositions très différentes. Le plus répandu dans nos campagnes est connu sous le nom d'onguent de Saint-Fiacre. Il se compose d'un tiers de bouse de vache et de deux tiers d'argile. Cet onguent se fendille sous l'action de la chaleur ; de plus, il est très facilement entraîné par la pluie. Aussi après avoir entouré la greffe de cette matière gâchée avec de l'eau et réduite à l'état pâteux, on enveloppe le tout d'un vieux chiffon. On empêche ainsi le soleil de le fendre et l'eau de l'entraîner. [p. 55] Cette enveloppe est peu coûteuse, et à la portée de tout le monde, mais elle a l'inconvénient de servir de refuge aux pucerons lanigères. Les pépiniéristes font souvent usage de mastics qu'ils préparent eux-mêmes, et qu'ils emploient à chaud. Ces mastics, qui ont l'inconvénient de n'être malléables que quand ils sont chauffés, obligent les greffeurs à se munir d'un petit fourneau (fig. 7) pour maintenir le mastic à une plasticité convenable. Voici la manière de préparer un de ces mastics. On fait fondre d'une part et ensemble 1kg,250 Poix blanche 0kg,750 Résine D'autre part, on fait fondre Suif 0kg,250 On verse ensuite le suif fondu et bien liquide dans le premier mélange, en ayant soin d'agiter vivement pour que le mélange soit intime. On ajoute encore, pendant que le mélange est encore très chaud, 500 grammes d'ocre rouge. On met ce dernier ingrédient par petites fractions, en remuant bien la mixture ; lorsque la première fraction est intimement mélangée, on en ajoute une seconde, et ainsi jusqu'à la fin. Ce mastic doit être employé tiède ; plutôt froid que chaud, mais aussi plutôt liquide que déjà solide. Tous les pépiniéristes connaissent le mastic de [p. 56] Lhomme-Lefort et celui de Goussard : ce sont des mastics qui s'emploient à froid, c'est-à-dire qu'ils sont assez pâteux à la température ordinaire pour pouvoir facilement s'étendre sur la greffe. On se sert pour cette opération d'une spatule en bois. Ces mastics se durcissent à l'air et ne coulent pas sous l'action du soleil. Ce sont, sans contredit, les mastics les plus faciles à employer, mais ils ont l'inconvénient de coûter cher, et leur emploi constitue une dépense relativement considérable quand on en use de grandes quantités. Choix des greffons. Toutes les méthodes de greffage peuvent être employées pour les pommiers. La greffe en écusson à oeil dormant est celle que l'on pratique le plus généralement, en pied, sur les jeunes égrains. C'est en effet la méthode la plus facile à mettre en oeuvre sur les sujets de petites dimensions. Elle se soude mieux que la greffe en fente, altère moins le sujet, et c'est de beaucoup la plus facile à réussir. Elle a encore l'avantage de laisser le champ ouvert à une seconde opération, si la première n'a pas réussi. La greffe en écusson se pratique à la fin d'août. Lorsqu'au mois de mars, d'avril ou de mai suivant on s'apercoit que les écussons n'ont pas pris et se sont desséchés, on peut immédiatement greffer en fente ou en couronne. On a ainsi double chance de succès. Les écussons qui, au mois d'août, servent au greffage à oeil dormant, les rameaux qui, au printemps, sont employés pour le greffage en fente ou en couronne doivent toujours être pris sur du bois de la dernière végétation, mais ce bois doit être bien aoûté, c'est-à-dire bien mûr. On ne doit prendre les greffons que sur des arbres sains et vigoureux. Sur ces arbres, on choisira des rameaux de vigueur moyenne. Pris sur des gourmands, [p. 57] les greffons ne produiraient que des branches stériles ; de même que pris sur des sujets vieux et usés ils n'auraient qu'une végétation languissante et maladive. Ils doivent être exempts de toute tare ou maladie, chancre, exostose produite par le puceron lanigère, etc. Les greffons doivent porter des boutons bien mûrs, prêts à entrer en végétation. Les boutons qui ont encore une coloration verdâtre, indice d'une maturité imparfaite, doivent être rejetés ; ils sécheraient infailliblement. Pour permettre aux rameaux sur lesquels on prendra les greffons d'arriver à complète maturité, on les pince, c'est-àdire qu'on coupe leur extrémité une quinzaine de jours avant l'enlèvement des greffons. Les greffons en écussons sont utilisés en pleine sève. Ils se dessèchent rarement s'ils ont été bien choisis, protégés qu'ils sont contre l'évaporation par l'écorce du sujet qui les recouvre. Les sujets doivent également se trouver en végétation. Les recommandations que nous venons de faire s'appliquent également au choix des rameaux destinés à être greffés en fente ou en couronne. Pour la greffe en fente, la végétation du sujet doit être plus avancée que celle du greffon ; car si celui-ci ne trouvait pas une quantité de sève nécessaire à ses besoins, il se dessécherait. Pour la greffe en couronne, au contraire, sujet et greffon doivent se trouver en végétation. Greffe en écusson à oeil dormant. C'est en général au mois d'août que l'on peut pratiquer la greffe en écusson. Quelque temps avant le moment prévu pour cette opération, il sera bon de faire un binage dans la pépinière. Ce travail aura pour effet d'activer la circulation de la sève dans les égrains. En même temps qu'on effectuera ce travail, on enlèvera les petites branches qui pourraient gêner au moment de la pose des greffons. On se gardera, [p. 58] toutefois, de dégarnir les sujets, ce qui aurait pour résultat d'arrêter, ou tout au moins de ralentir beaucoup la circulation de la sève et de créer des conditions défavorables à la prise des greffons. L'époque favorable à l'écussonnage varie avec la localité, la nature du sol, l'exposition, et chaque année d'après la température et les autres conditions climatériques. La période de temps propice à la réussite du greffage ne dure souvent qu'une quinzaine de jours. Pour saisir le bon moment, il suffit cependant d'un peu d'expérience et de quelque attention. Si l'on écussonne trop tôt, les greffons peuvent se développer prématurément et la jeune pousse serait infailliblement gelée au cours de l'hiver. Un autre accident se produit quelquefois ; le sujet étant trop en sève, l'écusson est noyé. La sève, très abondante au début, semble se retirer les jours suivants et le greffon se dessèche, en dépit de l'expression noyé qui semble faire prévoir une autre fin. Rien n'est plus facile que de vérifier si le sujet est trop en sève. Si en détachant un peu d'écorce et en la soulevant légèrement, on aperçoit un liquide visqueux formant des filements, l'arbre est encore trop en sève. Le sujet est au contraire, bon à être greffé, si la surface du bois est seulement légèrement humide. Mais, par contre, si l'écorce se détache difficilement, et si le bois en dessous est à peu près sec, le sujet a passé sève, il est trop tard. Quand les étés sont très secs, la circulation s'arrête de bonne heure, et il faut souvent greffer dès la fin de juillet. Le rameau porte-greffe étant choisi en tenant compte des observations déjà faites à ce sujet, on supprime les deux extrémités de façon à ne prendre les greffons [p. 59] que sur le milieu du scion. Les boutons de l'extrémité étant insuffisamment mûrs et ceux près de la base étant en général plus ou moins oblitérés, on enlève les feuilles en coupant les pétioles à environ un centimètre du bois. La partie conservée du pétiole permettra de saisir l'écusson avec les doigts lorsqu'il sera séparé du rameau. On enlève doucement à la main les stipules qui bordent la base des feuilles ; le scion a alors l'aspect de la figure 8. L'effeuillage est pratiqué au moment où l'on sépare la branche de l'arbre qui l'a portée. Celle-ci est ensuite laissée au frais et soigneusement abritée du soleil. Si l'on emploie des scions ayant voyagé, et qui se sont un peu desséchés au cours du voyage, il faudra, trois ou quatre jours avant les employer, les entourer de mousse humide. Il sera même prudent de ne les faire voyager qu'ainsi entourés. C'est aussi enveloppés de mousse ou plongés dans un seau rempli d'eau, qu'on les portera à la pépinière. Le greffon se compose d'un fragment d'écorce muni d'un bouton à bois, les yeux fructifères ne sauraient convenir. Il a reçu le nom d'écusson, parce qu'il rappelle plus ou moins par sa forme un écusson d'armoiries. On le dit à oeil dormant, parce qu'il passera l'hiver sans se développer. Pour lever l'écusson on prend la branche porte-greffe dans la main gauche, et l'écussonnoir dans la main droite (fig. 9). On incise transversalement l'écorce à 12 à 15 millimètres au-dessus de l'oeil et à 15 [p. 60] à 18 millimètres au-dessous. Ensuite, on introduit la lame de l'écussonnoir un peu au-dessus du trait supérieur, puis on incise obliquement en entamant légèrement l'aubier ; la lame vient ressortir un peu au-dessous du trait inférieur. En levant l'écusson on doit enlever le moins de bois possible (fig. 10) ; si le bois recouvrait plus du quart de la surface intérieure, la reprise serait peu probable. Lorsque le bois est trop abondant, on peut tenter d'enlever une partie de l'esquille d'aubier ; mais il faut prendre garde à ne pas vider l'oeil du bouton, car il lui serait ensuite impossible de se développer, si le petit amas de tissu qui pénètre sous les écailles était enlevé. Avec un peu d'habitude, on arrive assez facilement à obtenir des écussons qui ne contiennent que très peu de bois. Il convient de n'enlever les écussons que juste au moment de les mettre en place ; les rameaux sur lesquels on les prend doivent donc toujours rester à la portée des greffeurs. L'endroit choisi sur le sujet pour poser l'écusson doit être bien lisse et bien uni. Quelques praticiens recommandent de placer le greffon à 5 ou 6 centimètres du sol, au plus ; d'autres, avec quelque apparence de raison, disent qu'il est préférable de le placer à une hauteur de 6 à 10 centimètres. Ils invoquent, en faveur de leur opinion, que le travail de l'ouvrier est plus facile, et qu'étant moins près de terre, le greffon a moins de chance d'être détruit par suite de pourriture. L'orientation de l'écusson n'a pas une grande influence sur la reprise du greffon, néanmoins l'exposition du midi paraît la plus favorable. Par contre, au nord, la jeune pousse se redresse mieux et plus vite, la tendance des tiges étant toujours de s'incliner un peu du côté du soleil. La plupart des pépiniéristes se préoccupent peu de l'orientation et placent généralement [p. 61] les greffons dans le sens de la ligne des arbres, afin que les hommes travaillant entre les lignes soient moins exposés à les endommager. Cependant chaque fois que le sujet est un peu incliné, il ne faut pas hésiter à placer l'écusson de façon à redresser la tige. A la place choisie pour l'écussonnage on fait une double incision en forme de T, qui entame seulement l'écorce (fig. 11). L'incision horizontale doit être suffisamment large pour que a greffe puisse être introduite facilement. On soulève l'une après l'autre, avec la spatule de l'écussonnoir, les deux lèvres de l'incision, pendant que l'on introduit dans la fente l'écusson que l'on tient par le pétiole avec la main gauche (fig. 12). Pendant qu'on tient les deux lèvres béantes, on fait [p. 62] descendre l'écusson (l'introduction se fait en général sans difficulté), de façon qu'il se trouve entièrement sous l'écorce et que sa face interne s'applique exactement sur le bois du sujet. Cette opération doit être faite rapidement et proprement, en évitant les déchirures et l'introduction de matières étrangères. L'écusson en place, il ne reste plus qu'à lier afin de maintenir les tissus en contact. En général, la ligature se fait en commençant par le haut. En commençant par le bas on risquerait de faire remonter l'écusson. Si on emploie de la laine ou du coton filé, on multipliera le nombre de tours. Avec un lien végétal, on fait d'abord deux tours pour le fixer, puis un ou deux tours en se rapprochant de l'oeil ; puis un autre passant sous le pétiole, enfin trois ou quatre trous en passant le bout sous l'avant-dernière spire pour la tendre et la fixer (fig. 13). Il faut avoir soin de ne pas recouvrir l'oeil de l'écusson, car ainsi emprisonné, il ne pourrait se développer ultérieurement, Le lien doit être modérément serré, mais cependant assez fixé pour ne pas bouger. Dans ce mode de greffage, il est inutile d'appliquer d'engluement, car les plaies, si la ligature est bien faite, ne sont pas exposées à l'action des agents atmosphériques. Un ouvrier, qui taille, place et lie lui-même les écussons, peut en faire de quarante à soixante à l'heure. Quelquefois on divise le travail, le greffeur place seulement l'écusson, les ouvriers qui le suivent font les ligatures. Un bon greffeur peut occuper deux lieurs, et peut arriver facilement à faire 100 à 150 écussons à l'heure. Dans ce genre de travail on doit plus s'attacher à la bonne exécution qu'à la rapidité du travail. Lorsqu'on se sert de greffons de plusieurs variétés, il faut noter avec soin, le nombre de rangs ou d'arbres greffés avec chaque variété. Souvent on se sert d'étiquettes en zinc sur lequel on peut écrire avec une solution contenant 10 % de sulfate de cuivre. Dans [p. 63] les grandes pépinières on greffe des lignes et des carrés entiers de la même variété. Pendant les jours qui suivent le greffage il faut bien voir comment se comportent les ligatures. Il est nécessaire de serrer aussitôt celles qui se relâchent. Pour celles qui se sont complètement déliées, il sera prudent de remplacer l'écusson. Plus tard, lorsque la reprise est faite si le bourrelet cicatriciel se trouve étranglé par la ligature il faut la desserrer ou la couper. Deux ou trois mois après le greffage, il sera bon d'enlever tous les liens, non pas qu'à ce moment, où la végétation est complètement arrêtée, ils puissent nuire à la greffe, mais parce que les liens pourraient servir de refuge à une foule d'insectes qui au printemps viendraient attaquer l'écusson et le faire périr. On recommande d'enlever pour l'hiver les couvertures de feuilles ou de paillis qui servaient pendant l'été à mettre le sol à l'abri d'une trop grande évaporation. L'hiver elles serviraient de refuge aux souris et aux mulots qui pourraient en peu de temps, avant même qu'on s'aperçoive de leurs ravages, détruire en partie la pépinière. Souvent, dès que les fortes gelées sont passées, on coupe le sujet à 7 ou 8 centimètres au-dessus du point où on a placé l'écusson. Cette opération ne doit pas être faite avant l'hiver, car si on la pratiquait alors que la végétation n'est pas encore complètement arrêtée, la sève subitement entravée dans sa marche se porterait sur le greffon, qui se développerait et dont la pousse tendre et herbacée serait détruite pendant l'hiver. Tandis que si le sujet a conservé sa tête, celle-ci continue à dépenser la sève, et s'il en reste pour le greffon une quantité suffisante pour qu'il se soude, il n'y en a pas assez pour qu'il se développe. La tête ayant été coupée au courant de l'hiver, lorsque le printemps revient, le greffon soudé se développe vigoureusement. A côté de lui, naissent des [p. 64] bourgeons, qu'il faut laisser en partie du moins, car ils aident à la circulation de la sève et par suite à la formation du bourrelet cicatriciel. Il ne faut cependant pas leur laisser prendre un trop grand développement, car ils pourraient affamer et tuer le greffon. On supprime, ras le tronc, les branches rapprochées du sol, l'on en conserve seulement deux ou trois dans le voisinage de l'écusson ; mais on a soin de les pincer, c'est-à-dire de couper leur extrémité, dès qu'elles ont atteint 12 à 15 centimètres de longueur. On les supprimera même lorsque la cicatrice sera bien fermée, ce qui arrive lorsque le greffon a 15 ou 20 centimètres de développement. Lorsque le greffon a atteint un développement suffisant, on le dresse verticalement en l'attachant à l'onglet (fig. 14). Si malgré cela il avait des tendances à se dévier, il faudrait lui donner un tuteur. Au mois de février, on passe une revue générale de la pépinière. On enlève les sujets qui sont morts et on les remplace par des plants repiqués de belle venue. [p. 65] Greffe en fente. En mars ou au commencement d'avril, on greffera en fente les sujets sur lesquels la greffe en écusson n'a pas réussi. Si l'on préfère appliquer la greffe en couronne il faudra attendre jusqu'en mai. Le moment propice pour la greffe en fente est celui où les boutons du sujet commencent à s'ouvrir. Il ne faut pas attendre, cependant, que la circulation de la sève soit trop active, car il arriverait, le même accident qu'à la greffe en écusson, le greffon serait noyé et se dessécherait. Lorsque les sujets à greffer sont trop en sève, on les pince, c'est-à-dire qu'on leur coupe la tête quelques jours avant de greffer. Lorsque la blessure ne pleure plus la circulation est suffisamment ralentie, pour que le greffage ait chance de réussir. On choisit comme greffon une pousse de l'année précédente bien aoûtée et portant des bourgeons bien constitués. On en prend la partie médiane, les deux extrémités étant rejetées pour les raisons déjà dites. La partie inférieure est taillée en lame de couteau. On a soin qu'il y ait un bouton sur le dos du scion, au point où commence la taille. Celle-ci aura de 4 à 5 centimètres de long. Le greffon devra porter trois yeux, le troisième, autant que possible correspondra avec le premier. Le greffon est taillé obliquement au-dessus du troisième bouton (fig. 15). Le greffon doit toujours être dans un état de végétation moins avancé que le sujet. Pour qu'il en soit sûrement ainsi, il suffira de détacher les greffons du pied mère un mois avant l'opération, et de les enterrer au pied d'un mur exposé au nord. Les greffons se conserveront parfaitement ainsi et leur végétation restera [p. 66] stationnaire, tandis que celle du sujet continuera à progresser. Si le contraire avait lieu, le greffon ne trouvant pas dans le sujet une quantité de sève assez abondante pour suffire à ses besoins, ne tarderait pas à se dessécher. On coupe le sujet à 8 ou 10 centimètres du sol. S'il a déjà été tronçonné il faut enlever le bois jusqu'au point où les tissus sont restés intacts et sans altération. La section, qui doit toujours être nette et sans déchirure, se fait avec une serpette et jamais avec un sécateur, car ce dernier instrument écrase toujours plus ou moins le bois. Si le tronc est déjà un peu fort on peut se servir d'une petite scie. La coupe se fait obliquement ; le point le plus haut se trouvant du côté où on veut placer la greffe. On le recoupe ensuite en bec de flûte, et on aplanit bien la partie horizontale. On place alors la pointe de la lame du couteau à greffer sur le milieu de la partie horizontale, et on l'enfonce dans le bois par une série de petits coups, jusqu'à ce que la fente atteigne la longueur du biseau du greffon (fig. 16). On introduit alors celui-ci par le haut, tandis qu'avec la pointe du couteau on tient la fente ouverte. Le talon du greffon reposera sur la coupe horizontale du sujet, et comme les écorces ont à peu près la même épaisseur on les fait concorder intérieurement. Un opérateur habile peut arriver à ne pas fendre le sujet du côté opposé à celui où il pose la greffe. En général, on préfère opérer pour les petits plants comme on doit le faire pour les grosses branches. Le sujet est coupé [p. 67] horizontalement, il est ensuite fendu par le milieu, sur une longueur de 5 ou 6 centimètres (fig. 17). Le greffon est ensuite introduit comme nous venons de le voir, dans la fente du sujet de manière que la surface intérieure des deux écorces se corresponde exactement. Dans la pratique, on incline le greffon légèrement vers le centre du sujet pour assurer le contact au moins en un point, celui où les deux écorces se croisent (fig. 18). Lorsque le sujet n'a été fendu que sur une face il se resserre généralement assez pour qu'il n'y ait pas besoin de ligature. S'il n'en est pas ainsi, on ligature comme nous l'avons vu faire pour la greffe en écusson. On enduit ensuite de mastic toutes les parties qui ont été tranchées, l'extrémité supérieure du greffon, celle du sujet et les deux côtés de la fente longitudinale. On ébourgeonnera le sujet comme nous l'avons expliqué précédemment en parlant de l'écussonnage. Si les deux ou trois bourgeons du greffon se développent, on choisit le plus vigoureux pour former la tige et l'on pince les deux autres. Dès que le rameau conservé est assez grand on l'attache verticalement contre un tuteur. [p. 68] Greffe en fente anglaise. A la greffe en fente simple on préfère souvent la greffe en fente anglaise, bien qu'elle soit plus compliquée, car elle offre beaucoup plus de chance de succès — les surfaces de cambium mises en contact étant beaucoup plus considérables. Pour pratiquer cette greffe on coupe le sujet suivant un biseau allongé de 5 à 6 centimètres, ou plus suivant son diamètre. On le refend obliquement de manière à obtenir une languette partant du tiers supérieur de la section. La même opération se pratique en sens inverse sur le greffon (fig. 19). Celui-ci est muni de trois boutons et coupé légèrement en biseau à sa partie supérieure [p. 69] comme pour la greffe en fente simple. On conserve un bouton à la partie inférieure du biseau du greffon et un second au sommet du biseau du sujet ; l'un et l'autre attirent la sève vers les points de soudure. Le greffon est placé en faisant glisser sa section sur celle du sujet, de manière que la languette de l'un pénètre dans la fente de l'autre. Le greffon se trouve ainsi solidement fixé sur le sujet (fig. 20). Pour terminer la greffe on fait une ligature et l'on recouvre les contours des surfaces en contact d'engluement. En général, on se préoccupe de rechercher un greffon qui ait le même diamètre que le sujet, afin que les écorces coïncident sur tout le périmètre de la section. Cette condition que beaucoup de gens croient indispensable, a empêché la greffe en fente anglaise de se propager comme elle aurait pu le faire ; mais il n'en est rien, on peut par ce moyen greffer en pied et même en tête des greffons et des sujets de diamètres différents ; on place alors le greffon sur le côté comme on le fait dans la greffe en fente ordinaire (fig. 21). Greffe en couronne. C'est par ces procédés que l'on greffe les jeunes sujets, mais on peut avoir besoin de greffer des sujets plus âgés. On se sert alors de la greffe en couronne. Pour ne pas avoir à revenir sur ce sujet nous donnerons tout de suite la description de ce procédé. La greffe en couronne se pratique au printemps, lorsque la sève circule suffisamment pour qu'on puisse séparer facilement l'écorce du bois. Les sujets sont bons à greffer lorsque leurs boutons se sont développés en bourgeons de 3 centimètres environ, c'est-à-dire en mai, sous nos climats. Dans la greffe en couronne, le bois n'est pas fendu et c'est un avantage, car le bois, même jeune, se [p. 70] guérit difficilement lorsqu'il a été fendu. Les greffons, car il y en a ordinairement plusieurs, sont disposés autour du tronc du sujet, auquel ils forment une couronne, de là le nom. Les greffons sont comme toujours formés d'un rameau de l'année précédente, bien aoûtés et munis de boutons bien constitués. Ces rameaux ont dû être coupés avant le départ de la sève, en janvier ou février, et enterrés au pied d'un mur à l'exposition du nord, afin de se conserver frais jusqu'à l'époque du greffage. Lorsque le moment de greffer est venu, on les déterre ; on les taille en bec de flûte à la partie inférieure sur une longueur de 5 centimètres environ. Au sommet de l'entaille, on forme un cran ou coche à angle droit. Ce cran pénètre à peu près jusqu'au centre du rameau ; en face, sur le dos, se trouvera un bouton. Le greffon est comme toujours muni de trois boutons, il est taillé comme d'habitude à la partie supérieure (fig. 22). Le sujet est coupé horizontalement à 8 ou 10 centimètres du sol, ou en tête, à une hauteur de 2 mètres environ ; suivant son diamètre il recevra un, deux, trois et même quatre greffons. Pour les placer, on fend l'écorce verticalement sur une longueur de 6 ou 8 centimètres. A l'aide de la spatule de l'écussonnoir, on détache l'écorce du bois, puis on introduit le greffon en glissant son bec de flûte sous l'écorce, sa surface plane étant bien appliquée sur le bois du sujet. On [p. 71] ligature ensuite et on recouvre de mastic les sections exposées à l'air (fig. 23). Il faut, dans la suite, ébourgeonner et surveiller les ligatures comme dans les cas précédents. Travaux dans la pépinière après le greffage. Lorsque l'opération du greffage est terminée il faut bêcher le sol, qui a été piétiné par les travailleurs. On doit se servir d'une fourche pour blesser le moins possible les racines des jeunes plants. Préparation des sauvageons pour le greffage en tête. Les sauvageons qui sont destinés à être greffés en tête sont recepés, c'est-à-dire coupés à 8 ou 10 centimètres du sol, lorsqu'ils ont atteint 1 centimètre 1/2 ou 2 centimètres de diamètre à la base. Ils atteignent généralement cette dimension à la fin de la deuxième année. Le recepage se pratique après que les fortes gelées ne sont plus à craindre. Pendant la végétation suivante, sur le tronçon de tige conservé, il se développe un certain nombre de bourgeons. Pendant le courant du mois de juin, on coupe ras du tronc tous ces bourgeons, excepté celui qui est le plus vigoureux et en même temps le plus droit. Le recepage fait affluer toute la sève des racines dans le bourgeon conservé, qui alors se développe avec une grande vigueur. Pour lui faire prendre une bonne direction, on l'attache verticalement d'abord à l'onglet, ensuite à un échalas. Greffage sur racines. Les Anglais ont fait beaucoup de bruit à propos d'un nouveau mode de greffage, dont le succès n'a pas [p. 72] été démontré. Il est bon néanmoins de connaître ce procédé. Un peu avant l'époque à laquelle on greffe en fente, dès que les froids sont sûrement passés, on arrache les sauvageons ; on les coupe au collet et sur la racine on pose un écusson, et l'on replante. Cette méthode ne paraît pas présenter beaucoup de chances de succès. CHAPITRE VI Formation de la tige des pommiers greffés en pied. — Formation de la tête des pommiers greffés en pied. — Choix des plants. — Formation de la tête des arbres greffés en tête. — Direction à donner aux branches formant la tête. Formation de la tige des pommiers greffés en pied. Les greffons se développent pendant l'été qui suit le greffage. Au printemps de l'année suivante on procédera à l'enlèvement de l'onglet des sujets écussonnés. Quelques pépiniéristes pratiquent l'ablation de l'onglet dès l'automne de la première pousse, mais il est préférable de laisser passer l'hiver et de ne faire cette opération qu'en mars, les plaies se recouvrent mieux lorsque la taille a lieu peu de temps avant la reprise de la végétation. L'ouvrier chargé d'enlever l'onglet doit être soigneux et habile ; il doit éviter, avec soin, d'entamer la jeune tige du greffon. Il se sert pour cette opération d'une serpette à manche fixe et à lame bien tranchante. Si ce travail se fait en mars, il faut en profiter pour enlever les arbres de mauvaise venue ; c'est-à-dire [p. 73] ceux qui ne poussent pas droit, ou qu'on n'a pu délivrer des chancres, en leur appliquant le traitement que nous décrirons plus loin. Ceux, sur qui la greffe n'a pas réussi, seront également enlevés et replantés à part. On les greffera à nouveau en pied ou on les laissera se développer, pour leur appliquer plus tard la greffe en tête. Dès que la végétation recommence, il faut veiller à ce que la jeune pousse se fasse bien dans le prolongement de la première. S'il arrive que le bourgeon terminal ne se développe pas bien, il faut l'enlever, on pince alors en taillant un peu au-dessous sur un oeil bien formé. Quand la jeune pousse aura atteint quelques centimètres, il sera bon de pincer les bourgeons au-dessous de celui qui forme la tige afin de lui permettre de mieux se développer. Le développement que prendra alors le bourgeon de tête donnera un plus facile écoulement à la sève, et le bourrelet qui se forme souvent au point de soudure prendra un moindre développement. Mais il faut se garder d'enlever ces bourgeons aussitôt qu'ils apparaissent comme on le fait quelquefois, car la tige s'accroîtrait trop rapidement en hauteur et pas assez en grosseur. Il faut les pincer dès qu'ils ont atteint 15 ou 20 centimètres. Cette opération se fait de juin à juillet, à mesure que le développement des arbres l'exige, car tous n'atteignent pas le même état en même temps. Il arrive qu'à la suite d'un premier pincement, il se développe des bourgeons anticipés au sommet du bourgeon primitif, on les pincera également dès qu'ils auront 10 à 12 centimètres (fig. 24). Si les arbres poussent vigoureusement, on en voit de nouveaux se développer à l'extrémité des bourgeons anticipés qu'on a pincés. Il faut alors au moins d'août pratiquer une taille en vert, opération qui consiste à couper chaque bourgeon primitif immédiatement au-dessus [p. 74] du bourgeon anticipé le plus rapproché de la base. Après avoir ainsi réduit le bourgeon, on fait subir le même traitement au bourgeon anticipé (fig. 25). En hiver tous les rameaux latéraux qui n'ont pas été taillés en été, sont taillés de la même façon. Et tous les rameaux, ceux taillés en été, comme ceux que l'on taille à ce moment sont raccourcis au-dessous du dernier bourgeon anticipé développé (fig. 26). Dès que la partie inférieure de la tige atteint 3 ou 4 centimètres de diamètre, et sans se préoccuper de la hauteur, on coupe les branches ras le tronc, sur le quart ou le tiers de la partie inférieure. Conservées trop longtemps sur cette portion de tige qui est maintenant suffisamment développée, ces branches absorberaient la sève, au détriment de l'accroissement de la flèche. Mais il ne faut pas faire ce dégarnissage trop tôt, car le pied ne grossirait plus et la tige en haut serait aussi grosse qu'en bas. Si, au contraire la taille a été conduite avec précaution, les arbres seront en queue de billard, forme à juste titre préférée (fig. 27). [p. 75] Formation de la tête des pommiers greffés en pied. Les arbres greffés sont arrêtés, en général, lorsqu'ils ont atteint 2 mètres de hauteur. On laisse la tête dépasser provisoirement cette hauteur de 30 ou 40 centimètres, puis on la rabat à 2 mètres en la coupant immédiatement au-dessus d'un oeil. Alors on coupe ras le tronc tous les rameaux latéraux en ne conservant que les trois ou quatre rameaux [p. 76] supérieurs qui serviront à former la tête (fig. 28). Si la tige était trop faible bien que parvenue à la hauteur à laquelle on doit l'arrêter, on laisserait des rameaux sur les parties encore faibles et on ne les supprimerait que plus tard (fig. 29). Une fois la tête des arbres greffés ainsi formée, on les laisse croître en pépinière pendant un, deux et quelquefois trois ans et plus, pour permettre aux blessures résultant de la suppression des rameaux de se cicatriser et à la tige d'acquérir les dimensions voulues pour que le pommier puisse être planté en plein champ. Choix des plants Les avis sont très partagés pour savoir quelle doit être la grosseur que doit avoir le jeune arbre au moment où il va être planté définitivement dans le verger. La bonne grosseur nous semble être de 10 à 15 centimètres de circonférence à un mètre du sol. Plus la variété est vigoureuse plus le plant ou ente doit être gros, mais avec les variétés à croissance lente on a peut-être plus de chance de réussir la plantation avec des arbres de 10 à 12 centimètres. Il faut rejeter les arbres de 9 centimètres et au-dessous. Le temps nécessaire pour obtenir des sujets bons à transplanter, varie évidemment beaucoup avec la nature du terrain, les soins qu'on a pris et les variétés greffées. Les arbres obtenus très vite, parce que le terrain était très riche naturellement ou qu'on lui a fourni en abondance les engrais azotés, ont le bois spongieux et l'écorce tendre. Ces arbres, lorsqu'ils sont transplantés dans un terrain moins riche, voient leur végétation se ralentir. Il sont prédisposés aux coups de soleil, à l'échauffement du pied ; ils meurent le plus souvent et presque toujours poussent mal. Les arbres, qui au contraire auraient poussé trop [p. 77] lentement ne donneraient guère un résultat meilleur. Le bois est serré et l'écorce est dure, ils ne sont pas exigeants sur le terrain, mais il est difficile de leur rendre une végétation vigoureuse. Ici, comme dans beaucoup de choses, c'est dans un juste milieu qu'il faut se maintenir. En moyenne, suivant les terrains et les variétés, il faut de six à dix ans pour obtenir des sujets bons à être transplantés. Les variétés qui ne peuvent arriver en neuf ou dix ans à la grosseur de 10 à 12 centimètres de circonférence, doivent être greffées en tête. Formation de la tête des arbres greffés en tête. Les arbres non greffés sont arrêtés à 2m,50 de hauteur. On coupe ras le tronc, comme nous avons vu précédemment les rameaux latéraux, et l'on laisse seulement ceux qui sont au sommet de l'arbre sur les 30 derniers centimètres à moins que la tige ait encore besoin de grossir, dans ce cas on laisse un plus grand nombre de branches comme nous l'avons dit, au sujet des arbres greffés en pied. Les pommiers qui doivent être greffés en tête, soit qu'ils n'aient pas été greffés, soit qu'ils doivent être surgreffés, subissent cette opération lorsque la tige a environ 2 centimètres et demi de diamètre au sommet. On emploie la greffe en fente ordinaire ou en fente anglaise, en mettant deux greffons. On emploie aussi la greffe en couronne, mais plus rarement, parce que [p. 78] le greffon qui n'est introduit que sous la peau risque d'être décollé par les oiseaux ou par les vents violents. De plus, comme cette greffe se pratique plus tard l'arbre étant en pleine sève, la décapitation du su et produisant l'arrêt brusque de la circulation peut faire naître des chancres. Pendant la végétation qui suit la greffe en tête, il faut supprimer les bourgeons qui se développent sur le sujet. Les greffons peuvent être décollés par les oiseaux qui viennent se percher dessus. Pour les mettre à l'abri de cet accident, on place un tuteur en arceau qui sert de perchoir, et qu'on utilise pour diriger les pousses du greffon (fig. 30). Si la greffe n'a pas réussi, on conserve au sommet trois ou quatre bourgeons, et l'on regreffera l'année suivante après avoir recoupé la tige au-dessous de ceux-ci. Direction à donner aux branches formant la tête. L'expérience a démontré que la lumière joue un grand rôle dans le phénomène de la fructification et que les fruits sont surtout abondants sur les branches bien éclairées. Il est donc nécessaire de donner aux arbres une forme telle que leur tête présente la plus grande surface possible aux rayons du soleil. Le pommier, abandonné à lui-même, se forme une tête plus ou moins sphérique, et les extrémités des branches sont seules suffisamment éclairées. Par une taille habile pratiquée, pendant les premières années, sur les rameaux qui doivent devenir les branches principales de l'arbre, on peut obtenir une tête creuse à l'intérieur ayant la forme d'un gobelet. Grâce à cette disposition, l'intérieur sera éclairé presque aussi bien que l'extérieur. Pour l'obtenir on laisse sur l'extrémité de la tige de l'arbre greffé en pied, ou sur le greffon de l'arbre greffé en tête se développer trois ou quatre rameaux, à qui [p. 79] l'on fait prendre une direction telle qu'ils forment des génératrices à peu près équidistantes d'un cône renversé. Si l'arbre a été greffé en tête et que l'on a posé deux greffons il faut supprimer le moins vigoureux. Car si on les laissait se développer tous les deux et que l'un soit moins vigoureux que l'autre, ce qui arrive presque toujours, on aurait un arbre mal équilibré dont la tête divisée en deux parties se développerait irrégulièrement. Si un arbre ainsi constitué se trouvait exposé à des vents violents, il se pourrait que par suite du décollement d'un des greffons, la tête soit brisée et soit séparée en deux parties. Cet accident pourrait également se [p. 80] produire si l'on ne laissait que deux branches à un arbre greffé en pied c'est pourquoi on laisse toujours trois ou quatre branches pour former la tête (fig. 31 et 32). Pendant que les bourgeons destinés à former les rameaux de la jeune tête grandissent, on doit les maintenir égaux en développement, en pinçant l'extrémité herbacée de ceux qui ont des tendances à pousser trop vigoureusement. Après l'hiver qui suit la formation de la tête, les trois ou quatre rameaux qui la composent sont taillés à 25 ou 30 centimètres de leur point d'insertion sur la tige ; on a soin de leur laisser à chacun deux boutons bien constitués. Si un ou deux des rameaux sont plus faibles que les autres on les taille plus longs afin de maintenir une égale vigueur entre tous les bourgeons de tête. Lorsque à l'extrémité de chaque rameau il se développe plus de deux bourgeons, on conserve seulement deux bourgeons situés latéralement et de chaque côté de la branche ceux qui poussent en dedans ou en dehors du gobelet sont supprimés de préférence. Si au début de la seconde année de la tête, celle-ci se compose de trois branches, elle en aura désormais six (fig. 33) et huit si elle en avait quatre (fig. 34). On aura soin de maintenir ces rameaux écartés, s'il est besoin, à [p. 81] l'aide d'un tuteur en cerceau, de manière qu'ils prennent bien la forme du gobelet. A la fin de cette deuxième année de formation de la tête, l'arbre est presque toujours assez fort pour être planté en plein champ. CHAPITRE VII Influence du terrain sur la qualité du cidre. — Climat qui convient au pommier. — Disposition des plantations. — Plantations en bordures. — Plantations en plein. — Choix et emplacement des variétés suivant le mode de plantation. — Époques favorables à la plantation. — Préparation des trous de plantation. — Arrachage des entes. — Habillage des arbres. — Plantations à demeure. — Observations relatives au poirier. Influence du terrain sur la qualité du cidre. Le pommier est peu exigeant sur la nature du sol. Les sols très argileux, très calcaires ou très sablonneux sont les seuls qui ne lui conviennent pas. Dans les sols très argileux, très compacts et très humides, le cidre est de mauvaise qualité ; il noircit facilement lorsqu'il est exposé à l'air. Les cidres, obtenus avec des pommes qui ont poussé sur un sol très calcaire, possèdent un goût de terroir prononcé et s'aigrissent promptement. Dans les sols sablonneux, où les pommiers sont exposés à la sécheresse, le cidre est clair et très acide. Les terrains argilo-siliceux sont sans contredit ceux qui donnent les meilleurs cidres. D'après M. de Caumont, la qualité des cidres récoltés sur divers terrains offre des différences très grandes. Les cidres, comme les vins, sont plus ou [p. 82] moins alcooliques, plus ou moins délicats et savoureux, suivant les terrains d'où ils proviennent. « Si mes observations ne m'ont pas trompé, dit-il, la présence de fragments quartzeux ou siliceux dans les terrains est favorable à la production du bon cidre, de celui surtout dont le goût est plus agréable. Ainsi, les meilleurs crus des arrondissements de Bayeux et de Caen, sont situés dans le grès bigarré, terrain recouvert le plus souvent d'une grande alluvion de galets roulés de quartz, ou sur le lias ou l'oolithe inférieur, terrains calcaires, argileux, recouverts eux-mêmes de fragments quartzeux ou siliceux. Dans les arrondissements de Lisieux et de Pont-l'Évêque, les meilleurs crus sont situés sur la craie recouverte d'une argile avec silex nombreux dans le grès vert, souvent aussi dans la région de l'Oxford clay, mais quand celle-ci est recouverte des silex de la craie qui y forment un dépôt alluvial très considérable dans un grand nombre de localités. » Les sols modérément humides sont très favorables à la végétation du pommier, à la condition toutefois que le sous-sol soit perméable ; l'eau stagnante serait nuisible au pommier comme à tous les autres arbres. Climat qui convient au pommier. Au point de vue du climat, la contrée qui paraît le mieux convenir au pommier est celle où la culture de la vigne cesse d'être avantageuse. Un climat tempéré, un peu humide et brumeux, semble ne pas lui déplaire. Le pommier pousse sur les terrains exposés au nord comme sur ceux exposés au midi ; mais, à cette dernière exposition, il donne des fruits de qualité sensiblement supérieure. Les vents frais et secs du nord détruisent fréquemment les fleurs. En Normandie et en Bretagne, les grands vents d'ouest sont aussi très souvent préjudiciables aux pommiers. Ils empêchent la [p. 83] fécondation des fleurs au moment de la floraison ; ils brisent les branches chargées de fruits et les dépouillent avant qu'ils soient arrivés à complète maturité. Dans ces pays, lorsqu'on est obligé d'adopter l'orientation du couchant, il est bon de constituer une ligne d'abri. Les arbres à feuillage persistant sont indiqués pour cela. Lorsqu'on constitue cet abri au moyen d'arbres à feuilles caduques, il convient de choisir une essence dont le feuillage précoce soit suffisamment développé au moment de la floraison des pommiers et qui les dépasse en hauteur. Disposition des plantations. Les pommiers se plantent : 1° en bordures ou lignes isolées de chaque côté des chemins d'exploitation ; 2° en plein ou lignes rapprochées dans les cours des fermes, dans les herbages ou dans les terres labourées de qualité inférieure. Plantations en bordure. Les lignes d'arbres plantés le long des chemins doivent être placées suffisamment loin de l'axe de ceux-ci pour qu'une fois développés les pommiers ne gênent pas la circulation. On ne doit planter sur les deux côtés d'un chemin que lorsqu'il court du nord au sud ; dans les autres cas, il faut planter seulement sur une des rives, surtout lorsque les chemins longent une terre labourée. Les bordures qui abritent les terres au soleil levant et couchant ne nuisent que faiblement aux récoltes, tandis qu'une ligne d'arbres qui intercepte les rayons du soleil au midi cause aux plantes en général, aux céréales en particulier, un préjudice qui n'est pas compensé par la récolte des pommes. La distance à laquelle on doit placer les arbres en bordure dépend beaucoup de la nature du sol. Les pommiers, en effet, [p. 84] acquièrent un bien plus grand développement dans les terrains profonds, substantiels et suffisamment humides, que dans les sols secs et graveleux. De plus, les récoltes, fourrages ou céréales ont, dans les premiers terrains, plus besoin de recevoir l'action du soleil que dans les seconds. Dans les premiers, la distance sera au moins de 20 mètres ; pour les seconds, elle pourra être réduite à 16 mètres. Plantations en plein. Les plantations en plein se font en carrés ou en quinconces. Dans les cours des fermes et dans les herbages en sol léger exposés à la sécheresse, on peut planter les arbres en quinconces à des intervalles de 12 et même 10 mètres. Mais en général, il vaudra mieux laisser des intervalles de 15 et 20 mètres, afin qu'une fois arrivés à leur complet développement, les têtes laissent encore des espaces suffisants pour laisser pénétrer les rayons du soleil. Dans les terres labourées, il faudra planter les pommiers à 25 ou 30 mètres, afin que le soleil puisse mûrir les récoltes. Pour faciliter les labours, on plantera en carré au lieu de planter en quinconce. En Normandie et en Bretagne, les plantations se font ordinairement dans les cours de ferme et dans les pâturages, ce qui vaut mieux que de les mettre dans les champs labourés où ils nuisent toujours aux cultures. Dans les pâturages, les animaux enrichissent le sol de leurs déjections, ce qui contribue à entretenir la fertilité des arbres. « Il est certain, disent MM. de Bouteville et Hauchecorne que nous avons déjà souvent cités dans ce livre, que les places les plus convenables pour recevoir les plantations sont les pâturages dont l'importance même des revenus se trouve sensiblement augmentée par le produit des pommiers. On pourrait croire a priori, que cette situation est [p. 85] défavorable au développement des herbes et nuisible à leurs qualités ; mais il n'en est rien, car l'expérience de tous les jours prouve, dans les fermes cauchoises, que si l'herbe obtenue sous les pommiers est abondante, elle n'en est pas moins appétissante pour les animaux de l'espèce bovine et chevaline qui la recherchent avec ardeur : les premiers la consomment avec avidité, en s'engraissant rapidement, ou bien en fournissant un lait très abondant, très agréable au goût et très riche en beurre. Les rendements en herbe s'expliquent par la quantité normale d'humidité dont le sol reste toujours pourvu, grâce aux abris feuillés que les pommiers y procurent. Les qualités des fourrages s'expliquent elles-mêmes à leur tour, par une observation due à M. Bourgeois, membre de la Société d'Agriculture de France, qui a constaté que les chevaux — et probablement tous les animaux herbivores, — sont toujours plus friands du foin développé à l'ombre que de celui qui subit l'insolation pendant sa croissance. Pour expliquer ce fait, M. Chevreul assure que le foin qui reçoit les rayons du soleil est moins aromatique que celui qui ne le reçoit pas. » Sans nous élever contre les idées émises dans cette citation, nous ferons remarquer que l'herbe venue sous les pommiers, une fois réduite en foin, est molle et peu appréciée des chevaux sous cette forme. Dans les plantations en carré, le terrain est divisé comme un échiquier par les lignes de plantations. L'angle de chaque carré est marqué par un arbre (fig. 35). Dans ce mode de plantation, les arbres ne sont pas équidistants. Les têtes de pommiers peuvent arriver à toucher celles de leur voisin sur les lignes de plantations, mais laissent vide un grand espace sur le milieu du carré. Dans la plantation en quinconce, chaque arbre est également éloigné de tous ses voisins et occupe l'un [p. 86] des angles d'un triangle équilatéral. Lorsque les têtes viendront à se toucher, l'espace vide au milieu du triangle sera très restreint (fig. 36). Ce mode de plantation permet de mettre 110 arbres placés dans chaque ligne à une distance donnée, sur un terrain qui ne pourrait, dans les mêmes conditions, en contenir que 100 plantés en carré. Rien n'est plus simple que de tracer sur le terrain une plantation en carré. Lorsqu'on est fixé sur l'orientation à donner aux lignes, on en trace une première dans le sens choisi, de façon qu'elle traverse le champ dans sa plus grande longueur. Cette ligne sera déterminée par deux jalons A et B (fig. 35). Supposons que la distance entre les arbres doive être de 20 mètres. A partir du point A limite du champ [p. 87] on compte une demi-longueur soit 10 mètres ; on marque cette longueur par un jalon C. A 20 mètres de ce jalon, sur la ligne AB, on plante un second jalon D ; on place ainsi de suite de 20 mètres en 20 mètres ; les jalons E, F, G, H, etc. Cette première opération terminée, on élève, par chaque jalon, une perpendiculaire à la ligne AB. Sur chaque ligne de 20 mètres en 20 mètres à partir de la ligne AB et de part et d'autre on plante de nouveaux jalons. L'opération est terminée, on n'a plus qu'à creuser les trous à l'endroit où se retrouve chaque jalon. Pour tracer un quinconce l'opération n'est guère plus compliquée. On peut avoir recours à différentes méthodes, mais la suivante nous paraît la plus simple et la plus sûre. Nous supposons toujours que la distance [p. 88] entre deux arbres de la même ligne est 20 mètres. Il faut d'abord calculer quel doit être l'écartement de deux lignes parallèles d'arbres. D'après la définition que nous avons donnée du quinconce, les arbres occupent les sommets d'un triangle équilatéral. Soit trois arbres S, T, V placés dans ces conditions, (fig. 36) : la distance entre deux lignes parallèles est égale à la hauteur du triangle. Cette hauteur <ATTformule> D est la distance entre deux arbres. Pour le cas présent Sa la distance entre deux lignes parallèles = 0,866 X 20m = 17m,32. Comme précédemment nous déterminerons par deux jalons une ligne AB, dans la direction adoptée pour les lignes de plantations. A partir de A, on mesure 20 mètres ; on marque cette distance par un jalon C ; puis de 20 mètres en 20 mètres on pose successivement les jalons D, E, F, G, H, etc. Par un de ces jalons, choisi vers le milieu du champ on élève une perpendiculaire IJ à la première ligne. Sur cette ligne à partir de la ligne AB, et de part et d'autre, on marque par un jalon chaque longueur de 17m,32. C'est ainsi que sont posés les jalons k, K, m, M, n N etc. Par chacun des jalons k, K, m, M, on mène des parallèles à la ligne AB. Ceci fait sur les lignes désignées par un chiffre impair, lorsqu'on les comptes à partir de AB, on compte de part et d'autre, de k, m, n, des longueurs égales à une demi-distance, soit pour le cas présent 10 mètres. Les jalons V, X, Y, Z marqueront l'emplacement d'un arbre. A partir de ces jalons, en suivant toujours la ligne, il suffira de compter une distance entière pour avoir les emplacements successifs des autres arbres. L'emplacement de l'arbre T est ainsi fixé. [p. 89] Sur les lignes parallèles à AB et occupant un rang pair, il suffira de compter à partir des jalons K, M et N des distances entières. La place de l'arbre S, est ainsi obtenue. K, M, N marquent également des emplacements. Il est évident que par la plantation en quinconce le sol se trouve plus couvert que par la plantation en carré. La première méthode est préférée pour les cours et les herbages, la seconde pour les terres cultivées. Choix et emplacement des variétés suivant le mode de plantation. Lorsqu'on fait une plantation de quelque importance il est bon de réunir dans un même endroit les variétés qui mûrissent à la même époque. Et dans chacune des catégories grouper également les fruits doux et les fruits amers afin d'en faciliter le triage à la récolte. Lorsqu'on fait des plantations en bordure, il faut donner la préférence, aux espèces qui atteignent les plus faibles dimensions, surtout si le terrain est exposé aux vents violents. M. Nanot fait encore les recommandations suivantes : « 1° Placer au Nord les variétés qui atteignen t les plus hautes dimensions et graduellement en s'avançant vers le Midi celles qui s'élèvent de moins en moins. Les grands arbres défendent ainsi les petits des vents du Nord ; 2° Placer au Nord et à l'Ouest les variétés les plus rustiques ; 3° Planter à l'Est les variétés à végétation tar dive ; à cette exposition les jeunes pousses sont souvent détruites par les brusques dégels, au printemps ; 4° Mettre au centre et au Sud de la plantation les variétés les plus délicates ; 5° Grouper ensemble les variétés mûrissant à l a même époque, et, dans chacun de ces groupes, réunir [p. 90] les variétés à fruits doux et celles à fruits amers ; 6° Planter au Nord et à l'Ouest une ligne d'arb res pour abriter les pommiers, lorsque les vents violents de ces côtés sont à redouter ; 7° Placer au milieu des terres arables les vari étés tardives, pour qu'au moment de leur récolte les céréales, etc., soient déjà enlevées. » Époques favorables à la plantation. Les arbres perdent beaucoup d'eau par la transpiration des feuilles, c'est pour cela qu'on ne peut sans les faire périr les déplanter tant que la végétation est active. La transplantation doit s'effectuer à l'automne, lorsque la végétation a cessé ou au printemps avant qu'elle soit commencée. « Lorsqu'on arrache une plante, dit encore M. Nanot que nous venons de citer, ses poils radicaux qui adhèrent fortement aux molécules du sol sont détruits, quelque soin que l'on apporte dans cette opération ; et privée de ses organes d'absorption la plante ressemble à une bouture, comme cette dernière, elle se suffit à elle-même pendant quelque temps ; mais grâce à ses jeunes racines elle complète rapidement son système radiculaire quand elle se trouve placée dans des conditions favorables. » L'époque qui convient le mieux pour les plantations est l'automne, aussitôt que l'arbre s'est complètement dépouillé de ses feuilles. Pendant l'hiver l'arbre a le temps de prendre possession du sol, de nouveaux poils radicaux se développent dès que la température devient plus douce, et au printemps les arbres sont en état de végéter. Tandis que si l'on plante seulement au printemps, les premiers jours sont dépensés à renouveler les organes d'absorption et si, à ce moment, la sécheresse se fait sentir, les arbres souffrent beaucoup, la puissance absorbante des racines ne pouvant [p. 91] suffire à la dépense de l'évaporation par les feuilles. Il est cependant des cas dans lesquels il devient absolument nécessaire d'attendre le printemps pour faire les plantations, c'est lorsque le terrain est humide. Les racines pourriraient si elles restaient plongées tout l'hiver dans des eaux stagnantes. On attend alors pour procéder à la plantation que le terrain soit égoutté ; cela sans inconvénients, car il restera toujours assez d'humidité dans le sol et la sécheresse n'est pas à redouter. Lorsque le terrain sur lequel doit se faire la plantation est découvert et exposé aux vents violents, on doit encore préférer cette époque, car les arbres placés dans cette situation pourraient beaucoup souffrir de l'hiver. On doit choisir pour planter un jour doux et brumeux, dans lequel on n'a pas à redouter la dessiccation des racines. Si les eaux pluviales ont détrempé le sol, ou que la sécheresse et le froid l'ont durci, il faut attendre qu'il ait repris un état plus normal. Préparation des trous de plantation. La préparation du sol a une très grande importance ; car, quoi qu'on fasse, quelques précautions que l'on puisse prendre, les arbres se trouvent privés par la transplantation d'une certaine quantité de leurs racines, et le sol où on les plante à demeure étant presque toujours de moins bonne qualité que celui où ils ont été élevés, leur végétation se trouve toujours plus ou moins contrariée. Si, dans de telles circonstances, on se contente de pratiquer seulement une petite excavation, juste suffisante pour recevoir les racines du jeune arbre, celles-ci, déjà mutilées et ne rencontrant qu'un terrain de qualité médiocre, ne pourront prendre qu'un développement médiocre, l'arbre languira et finira par périr. Sans remédier absolument aux souffrances de [p. 92] l'arbre, une bonne préparation du sol les atténuera du moins dans une large mesure. Les trous destinés à recevoir les pommiers devront donc être de dimensions beaucoup plus grandes que celles qu'exige leur système radiculaire, surtout en largeur, car le pommier est un arbre à racines traçantes. En creusant un trou plus grand qu'il ne semble utile au premier abord, on favorisera le développement des racines qui croîtront d'autant plus rapidement que le sol sera plus meuble et plus fertile. La dimension des trous variera avec les terrains. Dans les terrains fertiles et meubles, un trou de 1 mètre de diamètre et de 35 à 40 centimètres de profondeur suffira. Dans les mauvais terrains, on donnera 2 mètres de diamètre et 60 à 80 centimètres de profondeur, surtout si le sol est humide. Lorsqu'on plante un pommier, il ne faut jamais perdre de vue que les racines des arbres de cette essence sont sujettes à s'échauffer et qu'elles ont besoin de se trouver dans le voisinage de l'air. Pour cela, même lorsqu'on se trouve dans un sol humide, il ne faut pas abuser du défoncement. Si l'on plantait dans un trou très profond, les racines, trouvant pendant les premiers temps une terre remuée et, par suite, perméable à l'air, s'enfonceraient plus qu'il ne convient, et lorsque la terre venant à se tasser, l'air leur manquant, elles s'échaufferaient. Cependant, dans les terrains très légers, on pourra sans inconvénient creuser les trous profondément ; le sol étant très perméable, l'accès de l'air sera toujours assuré et la masse de terre dans lequel se trouvera le pommier sera mieux à même de conserver l'humidité nécessaire à une bonne végétation. Dans les terres en culture, on se trouve dans les mêmes conditions, le labourage de la surface facilitant la pénétration de l'air. En outre, il est besoin que les racines se trouvent plus enfoncées, de façon à n'être pas atteintes par la charrue au moment des labours. [p. 93] Si la plantation se fait dans un herbage, on creuse un trou de 1m,50 à 2 mètres de diamètre, suivant la fertilité du sol, et de 40 centimètres de profondeur environ. On ameublit le fond sur une épaisseur de 10 à 15 centimètres, mais sans enlever la terre ainsi remuée. On a soin seulement d'enlever les grosses pierres qui pourraient s'y rencontrer. Avant de creuser, on a eu la précaution de dégazonner. Les mottes de gazon ont été mises en tas sur le bord du trou, les racines en l'air. Avec la terre extraite on forme d'autres tas, en ayant soin de séparer, s'il y lieu, la terre végétale de celle appartenant à la couche inférieure du sol. Si la plantation se fait dans une terre labourée, on donnera un peu moins de diamètre au trou et plus de profondeur. La terre sera toujours soigneusement séparée en plusieurs tas, suivant la qualité. Les trous doivent être creusés deux ou trois mois avant la plantation, afin que les agents atmosphériques aient le temps d'agir sur les nitrates et les phosphates du sol pour les rendre assimilables ; cela surtout dans les herbages. Si l'on a l'intention d'employer, au moment de la plantation, des composts, des curures de cours ou d'étangs, des marcs épuisés, il faut déposer ces engrais en tas près du trou aussitôt qu'il est creusé. Ces matières, ainsi exposées à l'air, auront le temps de perdre leur acidité et deviendront plus assimilables. Arrachage des plants. L'arrachage des plants est une opération qui demande de grandes précautions. Il faut s'attacher à ménager et à conserver les racines du jeune arbre, le chevelu, surtout, qui est la partie la plus utile pour la reprise. Pour cela, on commencera à creuser la terre assez loin du pied, pour que ces chevelus ne soient pas [p. 94] coupés ou brisés. On est souvent limité, en cette circonstance, par le voisinage des autres arbres ; aussi est-il avantageux, toutes les fois qu'on le peut, d'arracher plusieurs arbres à la fois. Lorsque le pied est suffisamment dégagé de terre, deux hommes tirent sur la tige sans brusquerie et sans secousses, tandis qu'un autre dégage doucement les racines qui peuvent encore tenir au sol. Qualités que doit présenter un jeune plant. Un plant, pour être dans de bonnes conditions, doit avoir de 10 à 15 centimètres de circonférence, à un mètre au-dessus du sol ; avoir la peau tendre, fléchissant légèrement sous la pression du doigt, d'un beau vert brun plus ou moins foncé suivant la variété, non pas d'un rouge brun marqué de gris. Si elle présente ce dernier caractère, elle a poussé trop lentement et son développement ultérieur sera difficile. La tête doit être formée de trois rameaux principaux au moins et de cinq au plus. On préférera les arbres provenant de terres de fertilité moyenne, et l'on rejettera absolument les arbres obtenus en trois ou quatre ans au moyen de fumures abondantes. Ces arbres se reconnaissent facilement au petit nombre de ramifications en disproportion avec la grosseur du tronc. La reprise de ces arbres serait difficile, et ils ne végéteraient jamais bien. Un bon sujet doit avoir, suivant les variétés et le mode de greffage, de six à dix ans. Si l'on n'est pas en mesure de planter dans un bref délai les arbres arrachés, il faut les mettre en jauge, séparément ou par paquets, dans une terre meuble. Si les plants doivent voyager, il faut les emballer avec soin pour qu'ils ne puissent pas se meurtrir et pour les mettre à l'abri de la gelée. [p. 95] Habillage des arbres. Avant de planter, il faut procéder à l'opération que les arboriculteurs désignent sous le nom d'habillage de l'arbre. Cette opération consiste à retrancher le quart environ des extrémités inférieures des trois ou quatre grosses racines, celles qui présentent la forme de pivots. On enlève également les racines brisées et les parties chancreuses. Cette opération doit se faire à l'aide d'une serpette bien tranchante, et jamais avec le sécateur, qui ferait des mâchures. Ces sections, autant que possible, doivent être faites en oblique. Pendant cette opération, il faut avoir soin de ménager le chevelu. En supprimant l'extrémité des grosses racines, on en arrête l'allongement ; le développement d'un grand nombre de radicelles qui en résulte augmente la puissance absorbante du sujet. La suppression des parties chancreuses a pour effet de remplacer ces plaies par des sections nettes qui se cicatriseront rapidement et cesseront d'être un foyer de pourriture et de désorganisation du système radiculaire. Ceci fait, il faut tailler la tête pour la mettre en rapport avec le pied. On pince au cinquième, et même au quart, les rameaux qui forment la tête, en proportionnant le volume de la tête à la quantité des racines conservées. Moins celles-ci sont abondantes, plus il faut tailler court. Les plus forts rameaux seront taillés plus courts que les plus faibles, afin de rétablir l'équilibre. Si l'on négligeait cet habillage, l'eau absorbée par les racines ne pourrait suffire à l'évaporation des feuilles, l'arbre deviendrait languissant et se ressentirait plusieurs années de cet état. Si cette opération est presque indispensable, il ne faudrait pas qu'elle soit faite avec exagération. Il serait [p. 96] très mauvais de supprimer les petites racines et de réduire le système radiculaire à trois ou quatre moignons de vieux bois. Il faudrait alors longtemps pour qu'un nouveau système pût se développer, car seules les petites racines émettent les poils radicaux, les véritables organes d'absorption. Il est également mauvais de supprimer la tête de l'arbre, même lorsque sa forme est défectueuse. Il ne faut pas oublier que les feuilles sont les organes qui transforment en matière végétale la matière minérale ; il y a donc intérêt à conserver trois ou quatre rameaux, deux seulement si l'on ne peut mieux, car sur ces rameaux naîtront aux premiers jours du printemps des bourgeons et des feuilles qui permettront à l'arbre de grandir et de se développer. Plantation à demeure. Les trous, ayant été creusés, comme nous l'avons dit, deux ou trois mois avant la plantation, sont, au moment de planter, légèrement bêchés sur le fond et sur les côtés. On mélange ensuite la bonne terre, dont on a fait des tas séparés, avec les engrais dont on dispose et qui ont été préalablement déposés près des tas de bonne terre. Si le terrain était gazonné, on commence par mettre les gazons au fond du trou, après les avoir divisés en fragments. Puis on jette le mélange de bonne terre et d'engrais. On remplit ainsi la fosse assez haut pour qu'en plaçant les racines sur ce remblai le collet de l'arbre se trouve à 4 ou 5 centimètres au-dessus du niveau du sol. On place alors l'arbre bien verticalement, on étale ses racines avec beaucoup de soin, à la main, pour éviter qu'elles soient collées les unes sur les autres ou recourbées, et on recouvre les racines de ce qui reste du mélange de terre végétale et d'engrais. On facilite le passage de cette terre entre les racines au moyen d'une petite baguette. On recommande quelquefois de soulever très légèrement l'arbre de bas en [p. 97] haut ; mais cette pratique a l'inconvénient de déranger les racines, de les amonceler, de les recourber et parfois même de les briser ; si on en use, ce sera avec douceur et précaution. On a l'habitude de tasser la terre avec les pieds autour d'un arbre qu'on vient de planter ; cette pratique est vicieuse : en plombant ainsi le terrain, on s'expose à casser les racines ou tout au moins à les meurtrir. Il suffira de tasser la terre à la bêche, de façon à maintenir la stabilité de l'arbre ; la pluie fera le reste. On achève ensuite de combler le trou avec la terre du sous-sol, lorsque le mélange de terre végétale et d'engrais n'a pas suffi. Si le terrain est léger ou un peu sec, on forme au pied de l'arbre une petite concavité destinée à retenir les eaux pluviales et les eaux d'arrosage. Dans les terrains légers, il faut planter les racines plus profondément que dans les sols compacts, afin que les arbres soient moins exposés à la sécheresse. Ainsi dans les sols légers le collet devra être enfoncé de 10 centimètres au-dessous du niveau du sol, dans les sols de consistance moyenne de 5 centimètres ; dans les terrains compacts humides, il doit être placé au niveau. Observations relatives au poirier. Le poirier se plaît dans les terrains argilo-siliceux et argilo-calcaires riches et surtout profonds, car les racines du poirier pivotent davantage que celles du pommier. En raison de cette particularité, les trous de plantation destinés au poirier peuvent être beaucoup moins larges, mais ils doivent être ameublis sur une plus grande profondeur. Le poirier végète mal dans les terrains sablonneux ou trop calcaires. Quant au climat, le poirier réussit partout où se plante le pommier. Cependant, les froids humides du [p. 98] nord-ouest lui conviennent moins qu'au pommier, et il redoute beaucoup moins la sécheresse que ce dernier arbre. Pour tout le reste, nous n'aurions qu'à répéter ce que nous avons dit au sujet du pommier. CHAPITRE VIII Soins à donner aux jeunes pommiers. — Armatures. — Couvertures. — Abri contre le soleil. — Fumures et labours. — Formation de la tête. — Élagage. — Outils d'élagage. Soins à donner aux jeunes pommiers. Il ne suffit pas d'avoir bien choisi les jeunes arbres, de les avoir plantés avec précaution, il faut, au début de leur nouvelle existence, les protéger contre les chocs, les mettre à l'abri des atteintes des animaux, les défendre contre l'action des vents violents et contre la sécheresse. Armatures. Pour les mettre à l'abri des chocs et des atteintes des animaux, on se sert d'armatures. Ces armatures doivent offrir une certaine résistance et présenter des gages de durée. Ce n'est guère qu'après sept ou huit ans que les arbres peuvent se passer de leur protection. Elles doivent donc pouvoir fournir une durée égale. Ce sera donc faire un mauvais calcul, que d'économiser sur leurs frais d'établissement. Cependant, si les armatures n'ont d'autre but que d'écarter les animaux, elles pourront être légères. En général, une armature doit être solide, peu encombrante [p. 99] et incapable de blesser les arbres, lorsqu'ils sont agités par le vent. L'armature le plus fréquemment employée dans nos campagnes se compose de trois pieux de 1m,60 environ de hauteur et ayant de 8 à 10 centimètres d'équarrissage (fig. 37). On dispose les trois pieux en triangle autour de l'arbre et on les enfonce de 25 à 30 centimètres de profondeur. Ils forment, autour de l'arbre, les arêtes d'un prisme triangulaire à côtés égaux, dont l'arbre occupe le centre. Ces trois pieux sont reliés au sommet et au milieu par des traverses qui les tiennent régulièrement [p. 100] écartés. Entre la tige et les traverses, en haut, on place des petits coussins de paille que l'on fixe solidement afin qu'ils ne puissent se détacher. On les visite de temps en temps pour s'assurer de leur bon état et les remplacer s'il y a lieu. Ces tampons empêcheront l'arbre agité par le vent de s'écorcher contre les traverses. Pour ne pas risquer de blesser les racines, on est obligé de planter les pieux à 30 centimètres du pied de l'arbre, ce qui fait que les animaux peuvent passer la tête à travers et ronger l'écorce. On remédie à cet inconvénient, en entourant l'arbre d'épines. On se sert quelquefois, au lieu d'épines, de paille. Cette dernière constitue une protection insuffisante et sert de refuge aux insectes. L'armature suivante (fig. 38) donne aussi de bons résultats. Elle se compose de deux pieux en bois grossièrement équarris faisant 12 centimètres de large sur 8 à 10 centimètres d'épaisseur. Les pieux sont enfoncés obliquement de chaque côté de l'arbre à une profondeur de 30 centimètres environ. Leur écartement au pied est de 65 à 70 centimètres et, en tête, de 15 à 18 centimètres. Ces pieux sont maintenus écartés au moyen de trois paires de traverses. La première paire est placée au sommet ; les autres sont placées au milieu et près du pied. Elles complètent, avec les pieux, l'entourage de l'arbre. Comme dans l'armature précédente, des tampons de paille empêchent le contact de l'arbre et du bois. Bien que les traverses soient plus rapprochées et permettent moins aux animaux de passer la tête, on peut encore entourer l'arbre d'épines ou compléter l'armature en clouant deux lattes sur la surface des traverses. Ce genre d'armature est surtout recommandable dans les terres en culture, où elle gênera moins les labours si on a soin de la placer parallèlement à la ligne du labour. Les armatures qui ont simplement pour but d'écarter les animaux n'ont pas besoin de présenter la même résistance. Elles se composent en principe d'une enveloppe [p. 101] épineuse capable de piquer les animaux sans les blesser sérieusement. La plus simple se compose d'un fagot d'épines lié autour de l'arbre. D'autrefois, on emploie trois ou quatre lattes armées de pointes, plantées en cercle autour de l'arbre, et maintenues par des fils de fer. Deux torons de paille, l'un placé au haut, l'autre au bas, maintiennent l'armature éloignée de l'arbre et l'empêchent d'être blessé par elle. Aujourd'hui, on trouve dans le commerce quantité d'armatures en fer feuillard qui remplissent bien les conditions voulues (fig. 39.) Couvertures. Pendant les premières années qui suivent la plantation, on aura soin de déposer au pied des arbres, en couches de 8 à 10 centimètres, des débris végétaux, des curures de cours, qui maintiendront la fraîcheur dans le voisinage des racines et en favoriseront le développement. Cette couverture se fait aussi avec des broussailles ou des feuilles sur lesquelles on place une assise de pierres de la grosseur du poing, pour empêcher la couverture d'être enlevée. Les broussailles placées entre le sol et les pierres facilitent la pénétration des agents atmosphériques jusqu'aux racines. Il faut avoir soin de mettre quelques mottes de gazon autour du pied de l'arbre pour empêcher les pierres de déchirer l'écorce. Abri contre le soleil. Il est bon parfois de protéger contre les ardeurs du soleil la tige des jeunes arbres ; car la peau pourrait se rider et se durcir à la suite d'une évaporation trop active de sa surface. Ce durcissement prématuré serait nuisible au jeune arbre et pourrait entraver son développement ultérieur. On badigeonne, dans ce but, l'écorce avec [p. 102] une bouillie épaisse faite d'argile délayée dans un lait de chaux. On exécute ce badigeonnage au mois de mars et on le répète pendant quatre ou cinq années consécutives. Dans la même intention, on entoure encore les jeunes arbres d'une corde de paille, mais il faut avoir soin d'enlever ces cordes aux approches de l'hiver et de les brûler, car elles servent de refuge à une foule d'insectes. Fumures et labours. Lorsque les pommiers sont plantés dans des terres en cultures, ils bénéficient des engrais et des labours du champ. Lorsqu'ils sont plantés dans des herbages où pénètrent les animaux, les déjections de ceux-ci suffisent souvent pour entretenir la fertilité, mais il sera bon de labourer le sol tous les ans, ou tout au moins tous les deux ans aux approches de l'hiver. On enlève la couche de gazon sur un ou deux mètres de circonférence autour du tronc suivant le développement de l'arbre. Les mottes de gazon sont déposées en tas et passeront ainsi l'hiver. Le sol dégazonné est labouré à la fourche, sur une profondeur de 10 à 15 centimètres ; en descendant plus profondément, on risquerait d'atteindre les racines. Les agents atmosphériques agissent sur le sol labouré et rendent assimilables une partie des éléments qu'il renferme. Au printemps, on remet en place les mottes de gazon. Dans les premières années de la plantation, pour activer le développement de la charpente des arbres, et plus tard, surtout dans les terrains pauvres, pour augmenter leur rendement, il conviendra, après le labour, de fumer les arbres. Lorsque les pommiers ont atteint de grandes dimensions, il ne faut plus se contenter de labourer et de fumer près du tronc des arbres, mais plutôt vers les extrémités radiculaires qui se trouvent à peu près [p. 103] rayonner à la même distance que les branches. Dans les plantations en plein, lorsque les têtes des arbres se rejoignent, il faut labourer et fumer sur toute la surface. « En pratiquant rigoureusement la loi de restitution des matières exportées, dit M. Nanot, les marcs de pommes devraient de préférence revenir aux arbres qui les ont produits. L'observation montre, en effet, qu'ils agissent très efficacement sur les jeunes plantations de pommiers, et l'analyse chimique nous en explique la raison en nous apprenant qu'ils renferment en moyenne 1/2 0/0 d'azote, c'est-à-dire autant que le fumier de ferme. Pour les employer sur les terrains granitiques, il faudra prendre certaines précautions, car leur acidité pourrait être nuisible à la végétation. Dans les terrains calcaires, on les répand à la surface du sol, et au moyen d'un labour on les mélange à la terre. Ici, on n'a pas à en craindre l'acidité, car le carbonate de chaux du sol la neutralise. Pour les utiliser sur les terrains pauvres en chaux, tels que ceux provenant de la décomposition des roches granitiques, on propose de mélanger les marcs de pommes et de poires avec de la chaux ou avec de la terre très riche en carbonate de chaux, avant de les employer comme engrais. Le mélange neutralise l'acidité et active la décomposition des matières ligneuses. On ne doit employer la chaux qu'avec beaucoup de réserve ; si elle est en excès, le marc peut être tellement décomposé qu'une partie de son azote est expulsée sous forme d'ammoniaque » [9]. D'après Isidore Pierre, le moyen le plus sûr et le plus commode de tirer avantageusement parti des marcs de pommes et poires consiste à les mélanger avec les fumiers de basse-cour. Ces derniers en facilitent la décomposition et les marcs par leur acidité tendent à [p. 104] s'emparer des vapeurs ammoniacales qui pourraient se dégager du fumier pendant une fermentation trop active. Dans les terrains granitiques toujours très pauvres en acide phosphorique, on pourra utiliser les marcs en mélange avec des phosphates de chaux. Mais le mélange ne doit pas être employé immédiatement après sa fabrication, il faudra pour en tirer tout l'effet utile, attendre deux ou trois mois avant de s'en servir. Par une action réciproque, la base du phosphate saturera l'acidité du marc, et l'acide phosphorique deviendra plus assimilable. Pour préparer ce compost, on dispose une couche de 20 centimètres de marc, sur laquelle on répand du phosphate de chaux en poudre. On recouvre d'une nouvelle couche de marcs, que l'on saupoudre comme précédemment, et ainsi de suite. On met de 15 à 20 kilogrammes de phosphate par 100 kilogrammes de marcs. Au bout de deux ou trois mois, on emploiera le mélange seul ou en combinaison avec du fumier. Les engrais chimiques, aujourd'hui si largement et si justement entrés dans la pratique agricole, ont aussi été appliqués au pommier. M. Heuzé préconise un engrais ainsi composé : Nitrate de soude 75 kil. Superphosphate de chaux 150 — Chlorure de potassium 75 — Sulfate de chaux ou plâtre 300 — ___ 600 kil. à répandre à raison de 400 grammes par mètre carré. D'après M. Heuzé, cette fumure donne à la végétation des pommiers et des autres arbres fruitiers une ampleur admirable et une production fruitière considérable. Nous n'avons aucune peine à reconnaître les bienfaits [p. 105] qui peuvent résulter d'un pareil engrais, mais il faut avoir soin de proportionner la dose d'après la nature du terrain et de l'arbre lui-même. Un excès de nitrate pourrait activer démesurément la pousse des feuilles au détriment de la fructification. Formation de la tête. Si l'on entoure les jeunes pommiers des soins que nous venons d'énumérer, ils se développeront avec rapidité. Lorsqu'ils ont été mis en place, leur tête était composée de trois, quatre ou cinq rameaux disposés [p. 106] de façon à former un cône. Ces rameaux ont été raccourcis au moment de la plantation, comme nous l'avons indiqué en parlant de l'habillage. Pendant la première année de la plantation, l'arbre ne développera que de faibles rameaux (fig. 40). L'année suivante, avant la reprise de la végétation, on pincera les branches à 25 ou 30 centimètres du tronc, en ayant [p. 107] soin de conserver à l'extrémité de chaque rameau deux boutons bien constitués, qui constitueront deux rameaux (fig. 41). La deuxième année, ces deux rameaux seront seuls conservés et pincés à 25 ou 30 centimètres de la fourche, en laissant toujours à l'extrémité de chaque rameau deux bourgeons bien constitués. On agira de même la troisième année, et la tête sera formée (fig. 42). Pour opérer la taille, on se sert d'une serpette et d'une échelle double, les arbres étant trop faibles pour supporter le poids d'un homme. Pendant la végétation il faut veiller à ce que l'un des rameaux ne s'allonge pas au détriment des autres. Si le cas se présentait, il faudrait pincer le rameau trop vigoureux pour en arrêter le développement. Élagage. La tête étant formée, les arbres vont entrer dans la période de production. Pendant cette période il faudra de temps en temps, tous les deux ou trois ans, procéder à l'élagage des arbres. Cette opération consiste à raccourcir ou à supprimer certaines branches. On ne doit pas laisser s'écouler plus de trois années entre chaque élagage, car si l'on attendait plus longtemps, les branches seraient devenues trop grosses et leur suppression produirait des blessures difficiles à cicatriser. L'élagage doit être pratiqué à la fin de l'hiver quelques jours avant la reprise de la végétation ; les plaies résultant de la suppression des branches commencent bientôt à se cicatriser, et ont peu de chance de se carier, restant peu de temps exposées aux intempéries. L'élagage doit supprimer : 1° Les branches mortes. Si la branche entière est desséchée, on la coupe ras le tronc. Si seulement une partie est atteinte, on pratique la section au-dessous du point où les tissus sont altérés. [p. 108] 2° Les rameaux qui se développent à l'intérieu r du gobelet, qui empêcheraient les rayons du soleil de pénétrer à l'intérieur de l'arbre et détruiraient la disposition que l'on s'est efforcé de lui donner depuis qu'il est planté. On coupe ces rameaux à 15 centimètres de leur insertion sur la branche mère, et l'on conserve autant que possible une petite ramification à leur extrémité. Cette petite ramification servira à vivifier la partie du rameau conservée et produira des fruits dans l'avenir. 3° Les prolongements des branches principales qui tendent à prendre plus de développement que les autres sont raccourcies de façon à conserver la symétrie de l'arbre. 4° Sur les variétés à branches retombantes, les branches qui se rapprochent trop de terre seront coupées au point où elles abandonnent l'horizontale. Dans les terres en culture les ombres nuisent aux récoltes, et elles gênent la circulation. Dans les herbages elles viennent à la portée des animaux qui les brisent. On a soin de conserver à leur extrémité une petite branche d'appel qui prend une direction ascendante. 5° Les rameaux qui se développent sur la tige et le collet doivent être coupés ras le tronc. On profite du moment où l'on fait l'élagage pour diriger les ramifications qui déforment le gobelet en s'inclinant à l'extérieur ou à l'intérieur ; on les maintient en position normale au moyen de liens d'osier. Lorsqu'elles sont trop nombreuses et qu'elles se recouvrent on peut en supprimer un certain nombre ; on maintient les autres écartées au moyen de baguettes. [p. 109] Outils d'élagage. Pour ces opérations d'élagage, on se sert d'un instrument désigné sous le nom de ciseau à ébrancher. Cet outil consiste en une lame très tranchante et large portant sur le côté une lame courbe également très tranchante sur sa face concave (fig. 43). Cet outil est emmanché sur un bâton de 2 mètres ou 3 mètres. Pour couper les branches un peu grosses, on place le tranchant du ciseau audessous de son empâtement, et avec un maillet on frappe l'extrémité du manche. Lorsqu'on a de très grosses branches à couper, on a recours à la scie. L'élagage des petites branches peut se faire avec un échenilloir. C'est un sécateur emmanché au bout d'une perche de 3 mètres ou 3m,50 de longueur (fig. 44). Une corde est attachée à l'extrémité du manche de la lame, afin que l'homme, qui est à terre et qui tient avec la main droite la perche, et avec la main gauche la corde, puisse faire fonctionner l'instrument. M. Aubry a modifié le sécateur échenilloir d'une manière fort heureuse. La lame se trouve placée en dessus au lieu d'être en dessous comme dans le modèle précédent. [p. 110] Cette modification (fig. 45) améliore l'outil d'une façon notable. La coupe est plus nette et se fait bien plus facilement, ce qui s'explique : la branche, par son propre poids, ouvre la coupe et dégage la lame, dont l'action se trouve facilitée par l'écartement de la plaie, ce qui est précisément l'inverse de ce qui avait lieu avec l'ancien échenilloir. [p. 111] CHAPITRE IX Maladies et accidents des pommiers et des poiriers. — Ulcères. — Carie. — Asphyxie et pourriture des racines. — Étranglement de la tige. — Tige décortiquée. Greffe américaine. — Les insectes nuisibles. — Insectes s'attaquant aux bourgeons. — La chématobie hiémale. — La lisette ou taille-bois. — La tenthrède comprimée. — Les pucerons. — Les insectes s'attaquant aux feuilles. — La chenille commune. — Le liparis cul-doré. — Le liparis dispar. — Le Bombyx livrée. — L'yponomeuta. — La tenthrède allante. — La tenthrède du poirier. — Insectes qui s'attaquent aux fleurs. — L'anthonome. — La cétoine noire. — Insectes s'attaquant aux fruits. — La pyrale. — Le Rhynchite Bacchus. — Insectes s'attaquant au bois, à l'écorce ou se nourrissant de la sève. — Le gâtebois. — Le scolyte. — Le puceron lanigère. — Insectes s'attaquant aux racines. — Le hanneton. — Parasites végétaux du pommier. — Le gui. — Le chancre. — Le fusicladium dentriticum. — L'asteroma. — Le pernospera glandiiformis. — Le phyllosticha mali. — Les mousses et les lichens. Maladies et accidents des pommiers et des poiriers. Les pommiers et les poiriers sont, comme tous les végétaux, sujets à des maladies. Les insectes par leurs ravages, les plantes parasites par leur action épuisante, peuvent également leur causer de graves préjudices. Nous allons étudier successivement les remèdes à porter au mal, et les moyens d'écarter et de détruire les insectes et les végétaux parasites. Ulcères. Lorsqu'un arbre porte une plaie qui pénètre jusqu'au ligneux et que cette plaie reste exposée à l'action de l'air, l'humidité et l'eau de pluie ne tardent pas à altérer les couches extérieures de l'aubier. Bientôt un liquide [p. 112] de couleur brune et d'une grande âcreté s'échappe de la blessure. Cet écoulement empêche la formation des bourrelets sur le bord de la plaie, et celle-ci, au lieu de diminuer, s'étend sans cesse en altérant progressivement l'écorce environnante et le corps ligneux. C'est à cette maladie qu'on a donné le nom d'ulcère ou de gouttière. Le remède le plus efficace, voire même le seul à employer dans cette circonstance, est le suivant : on enlève jusqu'au vif toute la partie de l'écorce qui est altérée ainsi que le bois décomposé, afin qu'il en résulte une plaie bien nette. On laisse exposée à l'air, pendant un jour ou deux, la plaie mise dans cet état. Dès qu'elle est un peu desséchée, on la recouvre complètement d'un engluement : mastic à greffer, onguent de Saint-Fiacre, onguent de Forsyth. Nous avons donné la composition des premiers ; voici la composition de l'onguent de Forsyth : Bouse de vache 500 grammes. Plâtre 250 — Cendres de bois 350 — Sable siliceux — 30 De ces engluements, le mastic à greffer serait certainement le meilleur, car les autres se fendillent sous l'action de la chaleur ou sont entraînés par les pluies, mais il coûte cher et son emploi en grande quantité donnerait lieu à une dépense assez considérable. Du Breuil recommande l'emploi de la résine, mais avec la condition de renouveler de temps en temps cet engluement jusqu'à ce que la plaie soit cicatrisée. Quelques personnes emploient le goudron de gaz ou coaltar pour recouvrir les plaies des arbres. Cette pratique est des plus mauvaises. Le coltar contient en effet de l'acide phénique et d'autres substances corrosives qui détruisent souvent les tissus végétaux avec lesquels on les met en contact. [p. 113] Carie. Les ulcères longtemps abandonnés à eux-mêmes peuvent dégénérer en carie (fig. 46). Dans cette maladie, le corps ligneux exposé à l'action de l'air subit une décomposition lente assez semblable à la pourriture sèche. Il arrive que la maladie atteint tout le corps ligneux de l'arbre, qui devient complètement creux. Si le mal n'est pas trop avancé, il faut, comme lorsqu'il s'agit d'un ulcère, raviver la plaie et la couvrir d'engluement jusqu'à guérison complète. Lorsque l'arbre est devenu creux, il devient impossible de réparer les dégâts causés par la maladie ; mais on peut conserver l'arbre en le mettant à l'abri des causes du mal : l'air et l'humidité. A cet effet, on remplit la partie creuse de l'arbre avec du mortier de chaux et de sable et des pierres, et l'on recouvre les lèvres de la plaie d'onguent de Forsyth (fig. 46). Avant d'appliquer l'onguent, il faudra enlever avec soin toutes les parties d'écorce et de bois desséchées, de façon que les bords de la plaie, mis à vif, puissent développer des bourrelets qui tendront à fermer l'ouverture. [p. 114] Asphyxie et pourriture des racines. Lorsque les arbres ont été plantés dans un terrain très compact ou que le sol a été surhaussé, il peut arriver qu'après avoir prospéré pendant plusieurs années, ils deviennent peu à peu languissants. La cause de ce dépérissement est le manque d'air. Les racines, ne trouvant plus l'oxygène nécessaire à leur absorption, l'empruntent à leurs propres tissus. Une fermentation intra-cellulaire prend naissance, les matières amylacées sont transformées en sucre, puis en alcool, et ce dernier coagulant les matières albuminoïdes, provoque la mort de la plante. Dès que les arbres placés dans ces conditions présentent un caractère maladif, il faut se hâter de biner vigoureusement le sol ou d'enlever le remblai si le terrain a été exhaussé. D'autres causes peuvent amener la désorganisation des racines. S'il arrive que l'eau soit en excès dans le sol, l'air ne circule plus entre ses molécules, et les matières organiques qui y sont contenues subissent une fermentation putride ; elles dégagent des gaz méphitiques qui empoisonnent les racines. Étranglement de la tige. Il arrive parfois que les jeunes arbres, qui dans la pépinière se trouvaient plus ou moins abrités du vent et des rayons du soleil, supportent mal l'action de l'air et de la chaleur, lorsqu'ils sont plantés en plein champ. Leur écorce se dessèche, se durcit et perd sa souplesse et son élasticité. Elle comprime les tissus placés au-dessous d'elle et empêche la sève d'arriver jusqu'à la tête de l'arbre. La croissance de l'arbre est arrêtée, et il ne se développe plus ni du tronc ni des branches. Cet accident ne se produira pas, si, comme nous l'avons recommandé au chapitre des plantations, on a eu soin [p. 115] d'enduire la tige d'un mélange de chaux éteinte et d'argile. Mais si par manque de précaution, les arbres se trouvent dans cet état fâcheux, il importe d'y porter remède sans retard. Pour cela, il suffit de pratiquer avec la pointe de la serpette, une ou plusieurs incisions verticales, suivant la grosseur de l'arbre. Ces incisions pénètrent jusqu'au corps ligneux et s'étendent depuis la tête jusqu'au collet. L'arbre reprend aussitôt son développement normal, et il arrive que deux ou trois mois après l'opération, on peut constater que la fente s'est ouverte, souvent de plus d'un centimètre. Tige décortiquée. — Greffe américaine. A la suite d'un accident ou d'une atteinte des animaux, une tige peut se trouver complètement dépouillée de sa peau sur une hauteur telle que les bourrelets cicatriciels ne peuvent se rejoindre. La circulation de la sève est interrompue et l'arbre est condamné à périr si l'on ne parvient à la rétablir (fig. 47). Par l'opération connue sous le nom de greffe américaine, on peut porter remède au mal. Sur l'arbre lui-même ou sur un voisin de même essence on prend une portion de rameau d'un an, un peu plus longue que l'anneau d'écorce enlevée. On taille ses deux extrémités en bec de flûte de 4 à 5 centimètres de long, et on en glisse une sous le bord supérieur de l'écorce et l'autre sous le bord inférieur. Pour faciliter l'introduction de ce greffon d'un nouveau genre, on fend l'écorce aux points d'insertion. Le greffon doit être [p. 116] placé verticalement ; ses deux extrémités se soudent avec les deux bords de la plaie de la tige et la sève peut circuler en passant par ce rameau. On place ainsi sur le pourtour de l'arbre trois ou quatre de ces greffons, suivant le diamètre de la tige. Les insectes nuisibles. Dans cette revue des insectes qui s'attaquent au pommier et au poirier, nous avons adopté une classification qui n'a rien de scientifique, mais qui a l'avantage d'être simple, suffisamment rationnelle et de réunir dans une même catégorie les ennemis qui s'attaquent à une même partie du pommier, sans nous préoccuper de la famille à laquelle appartiennent ces ennemis. Parmi ces ennemis du pommier, les uns détruisent les bourgeons, d'autres dévorent les feuilles, d'autres s'attaquent aux fleurs, d'autres aux fruits, d'autres s'en prennent à l'écorce et sucent la sève des arbres, d'autres enfin entament les racines. C'est le point sur lequel ils exercent leurs déprédations qui nous servira à les classer. La rapidité étonnante avec laquelle la plupart de ces ravageurs se multiplient et se propagent cause souvent la destruction complète de la récolte. Il est donc de l'intérêt des agriculteurs de s'opposer à la multiplication d'ennemis, dont les dégâts se produiraient plus fréquemment encore, si l'on ne faisait rien pour les combattre. Insectes s'attaquant aux bourgeons. La chématobie hiémale. — Un des plus redoutables ennemis du pommier, car il détruit à la fois les bourgeons, les fleurs et les feuilles et finit en peu d'années [p. 117] par tuer l'arbre, est le géomètre ou chématobie hiémale (chématobia brumata, — LIN). A l'état d'insecte parfait, la chématobie femelle (fig. 48) a l'aspect d'une mouche plutôt que celui d'un papillon. Elle est d'un gris noirâtre sur le dos et verdâtre sur l'abdomen. Sa tête petite porte deux yeux noirs assez gros et une trompe recourbée. Son corps est recouvert de petites écailles noires et blanches. Les ailes avortées et réduites à deux paires de moignons ne lui permettent pas de voler. Mais elle est très agile pour grimper le long du tronc et des branches malgré son lourd abdomen chargé de plus de deux cents oeufs. Le mâle (fig. 49) est gris fauve ; il est ailé et vole au crépuscule à la recherche des femelles. Après la fécondation, la femelle dépose ses oeufs sous les petites folioles blanches de lichen qui végètent sur l'écorce des brindilles âgées de deux ou trois ans. Les oeufs, d'abord verts, ne tardent pas à prendre une couleur orangée. Ils ont à peine deux à trois dixièmes de millimètre de diamètre. Ils passent l'hiver abrités sous le lichen. Les éclosions commencent vers la mi-avril. Aussitôt éclose, la chenille arpente la brindille, et dès qu'elle a trouvé un bourgeon gonflé de sève, elle le perce, et tout en le dévorant se creuse un abri contre les intempéries. Elle se nourrit ensuite de feuilles tendres ; puis, lorsque les bourgeons à fleurs apparaissent, c'est sur eux que les jeunes chenilles jettent leur dévolu. Lorsqu'elles les ont dévorés, elles se contentent des feuilles adultes. Au cours de ses voyages sur le pommier à la recherche de sa nourriture, il arrive fréquemment que la chenille tombe à terre. Cette chute ne lui est malheureusement [p. 118] pas fatale ; elle a vite fait de regagner le tronc de l'arbre d'où elle est tombée, ou celui d'un pommier voisin. Vers le milieu de juin, les chenilles ont acquis une longueur de quinze millimètres environ. Tout à coup, elles disparaissent, ne laissant que la trace de leurs dévastations. Elles ne sont cependant pas mortes, mais elles se sont laissé descendre vers le sol au moyen d'un fil de soie, sécrété par elles, et elles se sont enfoncées à une profondeur de cinq ou dix centimètres suivant la nature plus ou moins compacte du terrain. Dans le sol, la chenille se transforme en une chrysalide jaunâtre, longue de un centimètre, enfermée dans un cocon formé de terre agglutinée dans de la soie. La chrysalide reste à cet état jusqu'en novembre, moment où elle se transforme en papillon. Nous avons vu que les femelles sont incapables de voler. Pour aller pondre leurs oeufs, elles doivent grimper le long des troncs. C'est le moment de les [p. 119] prendre. On attache une bande de papier quelconque large de 20 centimètres autour du tronc à 1m,50 du sol. Le papier est attaché au moyen de deux ficelles posées l'une à la partie inférieure, l'autre à la partie supérieure de la bande. On badigeonne la bande avec du goudron de Norwège épais ou tout autre mélange gluant. M. Lecoeur, qui a fait une étude très intéressante de la chématobie, a donné la composition d'un mélange qui reste gluant pendant dix jours : Goudron de Norvège 10 kilog. Huile minerale à graisser les essieux 2 — Huile de poisson — 2 Les femelles en grimpant viennent s'engluer et la ponte ne peut se faire. On se sert du même procédé pour empêcher les chenilles qui sont tombées de remonter sur l'arbre. Afin de rendre la guerre plus efficace, il faut secouer les pommiers infectés afin de faire tomber le plus de chenilles possible. M. Lecoeur recommande de se faire suivre, pendant cette opération, d'une bande de poules qui sont très friandes des chenilles de la chématobie. La guerre à la chématobie ne peut être efficace qu'aux dates suivantes : 1° Pour les chenilles, du 15 mai au 15 juin et particulièrement du 25 mai au 15 juin. 2° Pour les papillons, du 25 octobre au 10 déce mbre et plus particulièrement du 10 au 25 novembre. Il faut veiller avec soin à ce que la bande soit toujours gluante. La lisette ou taille-bois. — Les arboriculteurs désignent ordinairement sous les noms de taille-bois, coupebourgeons ou lisette, un petit charançon d'un bleu métallique, dont le nom scientifique est rhynchites conicus (fig 50). Sa tête est longue et terminée par un grand rostre, ses antennes ont onze articles ; son corselet [p. 120] est étroit ; ses élytres larges et bombées postérieurement. Sa longueur totale est de 3 à 4 millimètres. Ce coléoptère s'attaque, dès les premiers jours du printemps, aux extrémités tendres des jeunes pousses. En mai ou en juin, on peut s'apercevoir qu'un certain nombre de jeunes tiges ont été coupées à quelques centimètres de leurs extrémités ; l'auteur de ce méfait est la femelle du rhynchites. Elle introduit son oeuf dans l'extrémité du rameau, qu'elle coupe ensuite avec sa trompe quelque peu au-dessous du point où elle a déposé son oeuf. L'oeuf se développe dans la partie coupée, pour donner, l'année suivante, un nouveau charançon. Chaque tige coupée ne contient qu'un seul oeuf, et comme chaque femelle en pond un grand nombre, les dégâts peuvent être considérables. Cependant ils sont en général assez peu importants sur les pommiers, le rhynchites s'attaquant de préférence au poirier. Comme moyens de défense : écraser l'insecte chaque fois qu'on le rencontre et rechercher les jeunes bourgeons coupés afin de détruire l'oeuf qu'ils contiennent. Le procédé le plus sûr est de brûler tous les bourgeons coupés. Le pique-bourgeon. — La tenthrède comprimée ou pique-bourgeon (cephus compressus) est un insecte de l'ordre des hyménoptères qui pond ses oeufs à l'extrémité des jeunes rameaux herbacés du poirier. La larve descend dans l'étui médullaire, le rameau sèche et disparaît. On reconnaît la piqûre de l'insecte à la flétrissure immédiate de la sommité herbacée ; il faut la couper aussitôt, l'écraser ou la brûler, l'oeuf est ainsi anéanti. Les larves du cephus compressus qui naissent en mai se développent lentement jusqu'en septembre ou octobre, époques où elles tissent un mince cocon dans lequel [p. 121] elles demeurent engourdies l'hiver pour se métamorphoser au printemps de l'année suivante. Pucerons. — Les jeunes pousses sont aussi attaquées par deux pucerons : les pucerons verts, aphis mali, et les pucerons gris, aphis cratoegi, de la famille des Hémiptères-homoptères. Le genre de vie de ces insectes est à peu près le même, On les voit apparaître vers le mois de mai, ils se tiennent sous les feuilles nouvelles, qu'ils roulent en forme de coquille à mesure qu'elles se développent. La sécrétion mielleuse qu'ils produisent donne une apparence de maladie et de saleté aux arbres envahis. Il est très probable que les pucerons s'attaquent surtout aux arbres souffrant pour une cause quelconque. Ils sont généralement accompagnés de fourmis, auxquelles certaines personnes imputent une partie des dégâts. Il n'en est rien cependant, les fourmis ne vivent pas directement du pommier, mais du liquide sucré sécrété par les pucerons. Les pucerons sont pour les fourmis à peu près ce que sont pour nous les vaches laitières. Les pucerons sont d'abord peu nombreux, mais leur nombre s'accroît rapidement ; alors les feuilles se contournent, s'enroulent et sèchent, la branche dépérit et se tord. Pour se débarrasser de ces hôtes incommodes, il est bon d'élaguer dans la mesure du possible, à l'époque de la taille, de brûler les branches enlevées de façon à détruire le plus d'oeufs que faire se peut, de recueillir et de brûler les feuilles qui tombent. Pour atteindre les pucerons restés sur les branches qu'on a laissées, il faut, à l'aide d'un pulvérisateur, asperger les feuilles avec du jus de tabac à 12° Baumé, additionné de neuf fois so n volume d'eau. Une seule opération suffirait pour faire mourir ces pucerons, mais la destruction n'est pas complète parce que les oeufs résistent au traitement. Il est nécessaire de recommencer deux ou trois fois pendant la saison de mai à fin juillet. [p. 122] Au lieu du jus de tabac, M. Vasillière, professeur d'agriculture du département de la Gironde, préconise la dissolution suivante : Savon noir, 2 kilogrammes ; Carbonate de soude, 2 kilogrammes ; Pétrole, 1 litre ; Eau, 100 litres. On fait dissoudre le carbonate de soude et le savon noir dans l'eau tiède et, après refroidissement, on ajoute le pétrole en agitant. Il recommande de faire la pulvérisation le soir, de façon à éviter une évaporation trop considérable, et, si la chose est possible, pulvériser de bas en haut de façon à atteindre la face inférieure des feuilles. Insectes s'attaquant aux feuilles. Les insectes s'attaquant aux feuilles appartiennent presque tous à la famille des lépidoptères ou papillons, et c'est à l'état de larves ou chenilles, qu'ils commettent leurs dégâts. Les insectes de cette famille qui s'attaquent aux pommiers sont nombreux. La chenille commune. — C'est d'abord la chenille commune (fig. 51) ou chenille du Liparis chrysorrhoea (fig. 52), papillon blanc nocturne qui se montre en juillet. La femelle dépose ses oeufs sur les écorces, les uns à côté des autres par plaques recouvertes de poils roux. L'éclosion de ces oeufs a lieu en septembre. Lorsque le froid commence à se faire sentir, les petites chenilles, qui n'ont pas encore eu le temps de faire beaucoup de mal, se groupent et construisent à l'extrémité [p. 123] des rameaux des bourses très apparentes en hiver, alors que les arbres sont dépouillés de feuilles. Lorsque reviennent les beaux jours, elles sortent de leur abri hivernal et dévorent le parenchyme des feuilles jusqu'au milieu de juin, époque à laquelle elles se transforment en chrysalides. Leurs dégâts sont souvent considérables. Le moyen, le plus efficace de les prévenir, est de pratiquer avec soin l'échenillage, au cours de l'hiver. Les mésanges et les coucous sont les seuls oiseaux qui se nourrissent de la chenille commune. Le Liparis cul-doré. — Un proche parent du Liparis chrysorrhoea est le Liparis auriflua (fig. 53 et 54). Cet insecte a les mêmes moeurs que le précédent, les époques de ses métamorphoses sont les mêmes. Durant l'hiver, les [p. 124] chenilles se réunissent dans les bourses qu'on peut détruire par l'échenillage. Le Liparis disparate. — Le Liparis dispar (fig. 55), bien que de la même famille, a des moeurs un peu différentes. Il est plus gros. La femelle au ventre énorme est un grand papillon blanchâtre, au corps brun jaunâtre, aux ailes blanc jaunâtre avec des lignes en zigzags bruns et irréguliers. Le mâle, plus petit, a 43 millimètres d'envergure. Il est gris cendré ou brunâtre avec des zigzags bruns sur les ailes. La femelle dépose ses oeufs sur les branches, par plaques recouvertes de poils roux ; mais ceux-ci n'éclosent qu'au printemps. On peut les détruire soit en grattant les arbres pendant l'hiver, soit en les badigeonnant avec un lait de chaux. Il ne faut pas chercher à écraser les pontes d'un seul coup et sur place. Le mieux est de les recueillir par un raclage soigneux et de les brûler. Les chenilles nées au printemps se dissimulent assez bien au milieu du feuillage dont elles se nourrissent. Pour les détruire on se sert d'un pulvérisateur à l'aide duquel on asperge les arbres avec un liquide ainsi composé : eau, 100 litres ; savon noir, 1 kilogramme ; sulfure de potassium, 400 grammes. Ce liquide n'a aucune action fâcheuse sur la végétation. Le Bombyx-livrée. — Le Bombyx-livrée (fig. 56) (Bombyx neustria) est un papillon dont la couleur varie du roux ferrugineux au fauve clair. Dans la première variété les ailes supérieures sont traversées par deux lignes blanches ; dans la seconde, par deux lignes brunes. L'envergure des ailes est de 25 à 28 millimètres. La femelle plus grande que le mâle dépose ses oeufs en [p. 125] spirales régulières autour (fig. 57) des petites branches. Les chenilles (fig. 58) naissent en mai ; elles sont d'abord sociables, c'est-à-dire qu'elles vivent en troupe, c'est le moment de les détruire ; mais comme les précédentes, elles sont peu apparentes dans la feuillée. Après leur dernière mue, elles se dispersent et sont peu faciles à atteindre. A ce moment, elles sont d'une couleur noirâtre, garnie de poils roussâtres assez clairsemés. Elles portent sur le vaisseau dorsal une raie blanche et de chaque côté trois bandes d'un roux fauve ; ce sont ces bandes qui ont fait donner à la chenille son nom vulgaire de livrée. On emploie pour les combattre les moyens que nous avons indiqués pour le liparis dispar. Un des plus redoutables ennemis du pommier est l'yponomeute du pommier (yponomeuta malinello), [p. 126] (fig. 59) appelé vulgairement teigne. En quelques jours, les arbres revêtent l'apparence qu'ils auraient si on avait exposé leurs branches à un feu violent. Si le pommier est complètement dépouillé de ses feuilles avant qu'elles ne soient prêtes à se métamorphoser en chrysalides, les chenilles filent des soies à l'aide desquelles elles descendent à terre, pour gagner d'autres arbres du voisinage sur lesquels elles recommencent leurs ravages. L'yponomeuta malinella est un très petit papillon crépusculaire à ailes supérieures blanches, tachées de noir. [p. 127] La chenille de couleur gris clair, longue de 10 à 12 millimètres, vit en société dans de grandes toiles (fig. 60) qu'elle tend sur les petites branches du pommier. La chrysalide est jaunâtre et sa coque est attachée à la toile commune. Les oeufs déposés sur les écorces, par les femelles, dans le courant de l'été, éclosent au printemps suivant, en mai et juin ; les jeunes chenilles, sorties d'une ponte, se tissent immédiatement la toile commune et elles commencent à ronger le parenchyme des feuilles ; ce serait le moment le plus favorable pour les détruire, mais il n'est guère de moyen pratique pour opérer cette destruction. Il faut donc opérer lorsqu'elles sont encore en larves, comme nous avons conseillé de le faire pour les deux chenilles précédentes. Pour le surplus, il faut s'en remettre aux bons offices des auxiliaires que nous donne la nature, tous les petits oiseaux, et en particulier les mésanges et les fauvettes. Cependant, comme toutes ces chenilles donnent naissance à des papillons nocturnes ou crépusculaires, on détruira un grand nombre de ces derniers, en allumant dans les soirs d'août, dans le voisinage des pommiers, des feux vifs et clairs. La Tenthrède allante. — La Tenthrède allante (fig. 61) à larve de limace ou sangsue (Tenthredo adumbrata), [p. 128] ainsi nommée par l'aspect de la larve oblongue noirâtre gluante qui se colle sur les feuilles de poirier (fig. 62) et en ronge le parenchyme. La cendre, la poussière de chaux saupoudrées sur la larve peuvent la tuer. La tenthrède du poirier. — On confond souvent avec la tenthrède allante la lyda pyri ou tenthrède du poirier à corps jaune brun chez le mâle, noir bleuâtre chez la femelle. Les insectes parfaits éclosent au mois de mai ; ils déposent sur la face inférieure des feuilles des oeufs oblongs recouverts d'un enduit, d'où éclosent des larves jaunes à tête noire. Ces larves se réunissent au nombre d'une dizaine, dans une toile qui enveloppe plusieurs feuilles dont elles dévorent le parenchyme, et elles accroissent leurs ravages de proche en proche ; au moment de se transformer en nymphes, elles glissent à terre au moyen d'un fil soyeux, et s'y forment une coque où elles passent l'hiver, pour éclore au printemps. On trouve ces larves sur les poiriers. Pour les détruire, on enlève les toiles où elles sont réunies, ou bien on les flambe avec une torche de paille ou un fourneau, ou bien on bassine les branches avec un mélange d'eau et de pétrole ou une lessive concentrée de savon noir que l'on projette à la pompe. Insectes qui s'attaquent aux fleurs. L'anthonome. — Après la chématobie, le plus redoutable des ennemis du pommier est l'anthonome du pommier (anthonus pomarum) (fig. 63). C'est un petit charançon oblong, brun, avec une bande grisâtre, transverse, sur les élytres ; il est long de 4 à 5 millimètres et large de 2 ; sa tête porte une trompe très longue et effilée. L'anthonome, à l'état parfait, passe l'hiver dans les fissures de l'écorce du tronc. Dès les premiers beaux [p. 129] jours, il sort de sa retraite, monte sur les branches ou s'envole sur les arbres voisins. Quand les boutons à fleurs apparaissent, la femelle les perce avec sa trompe, puis pond un oeuf dans chacun (fig. 64). Peu de jours après, cet oeuf donne naissance à une larve blanchâtre, à tête noire, qui se développe très rapidement dans l'intérieur du bouton, dont elle ronge le coeur ; de sorte que la fleur, au lieu de s'ouvrir, devient brune, se fane et prend l'aspect d'un clou de girofle. Puis la larve ayant atteint son développement, se transforme en chrysalide et celle-ci se change bientôt en un insecte parfait qui est le charançon. Cette transformation a lieu dans la fleur elle-même. Quelques semaines se sont écoulées et les jeunes charançons s'échappent de la fleur à la recherche de nouveaux bourgeons floraux. Au moment de la floraison, rien n'est plus facile que de constater la présence de l'anthonome : en secouant les branches sur un parapluie ouvert et renversé, on recueillera les charançons. [p. 130] Deux procédés pratiques et efficaces sont employés pour combattre l'anthonome. Le premier est un traitement d'hiver ; il consiste à racler les écorces et à badigeonner le tronc et les branches principales avec un lait de chaux contenant un peu de sulfate de cuivre ; quelques-uns recommandent la bouillie bordelaise pour cet usage, afin de détruire les anthonomes refugiés sous l'écorce en attendant le printemps. Le second traitement se fait au printemps, un peu avant la floraison, au moment où paraissent les boutons à fleurs ; il consiste en fumigations de soufre. On emploie un brûleur quelconque, un entonnoir, ou même un vieux seau en fer-blanc, dans lequel on enflamme du soufre et que l'on promène entre les branches : il suffit d'un kilogramme de soufre canon par gros arbre ; il faut un quart d'heure pour l'opération. Il est peut-être bon d'opérer en deux fois à deux ou trois jours d'intervalle. On a encore proposé, comme moyen de destruction efficace, de secouer, au moment de l'accouplement, les branches des pommiers au-dessus de grands draps. On écrase ou l'on brûle les insectes recueillis. Mais toutes ces mesures ne seront efficaces que si elles se font d'une façon générale. Pratiquées isolément, elles ne donneront que de faibles résultats. La cétoine noire. — Un autre insecte qui s'attaque aux fleurs et cause parfois de grands ravages est la petite cétoine noire (cetonia marmorata) (fig. 65). Cet insecte dévore le pollen des étamines. L'arbre semble devoir porter une récolte abondante, car les fleurs s'épanouissent en grand nombre, mais elles ne sont pas fécondées et la récolte est nulle. Les cétoines pondent leurs oeufs dans les amas de matières organiques en décomposition qui se trouvent près des vergers. [p. 131] Pour cette raison peut-être serait-il sage d'éviter de charrier les marcs de pommes au pied des arbres, car ces marcs peuvent être un lieu propice à la ponte et à l'éclosion des cétoines. Dans les herbages, sur les chemins, les bouses déposées par les bestiaux contiennent souvent de nombreuses larves de cétoines. Il est donc difficile d'atteindre et de détruire les larves de la cétoine noire, mais on peut détruire de grandes quantités de ces insectes en les faisant tomber le matin sur un drap lorsqu'ils sont encore engourdis par la fraîcheur de la nuit. Les insectes ainsi recueillis sont brûlés. L'apion. — L'apion du pommier (fig. 66) est un petit coléoptère de couleur bleu foncé qui pond dans la fleur du pommier et la détruit. Pour le détruire, on procède comme pour l'anthonome. Insectes s'attaquant aux fruits. La pyrale des pommes et des poires. — Tout le monde connaît les fruits véreux. Ce ver, ou plutôt cette larve, qui vit dans les pommes et les poires, où elle creuse des galeries remplies de déjections, est la larve d'une pyrale dont le nom scientifique est carpocapsa pomonella (fig. 67). Cet insecte est un petit lépidoptère de 18 millimètres d'envergure, aux ailes supérieures gris cendré varié de brun, avec un écusson chocolat circonscrit par une ligne d'or rouge ; les ailes inférieures sont brunes. Les fruits atteints par la larve de la pyrale (fig. 68) ont une maturité précoce, mais ils sont sans suc et sans saveur. Lorsque les fruits tombent sur le sol, le ravageur abandonne alors la pomme qui l'a abrité et nourri et [p. 132] s'enfonce dans la terre pour y passer la saison rigoureuse ; il s'y change en chrysalide, d'où sortira au printemps l'insecte parfait sous forme de papillon. Un serfouissage pratiqué pendant l'hiver dans tout le verger, et principalement au pied des arbres, peut en ramenant les chrysalides à la surface, les exposer à l'action des intempéries, à la pluie et au froid et en faire périr ainsi un grand nombre. Le Rynchite Bacchus. — Le Rynchite Bacchus, un proche parent du rynchite conicus que nous avons signalé, s'attaque au fruit des pommiers et des poiriers. C'est un petit insecte long de 4 à 5 millimètres, rouge, couvert de duvet, avec un reflet vert doré. La femelle perce au printemps les jeunes fruits, y dépose un oeuf et entaille le pédoncule, pour que le fruit tombe bientôt. La larve éclôt dans le fruit et s'en nourrit ; lorsqu'elle arrive à son développement complet, elle sort du fruit qui est tombé, s'enfonce en terre pour se changer en nymphe. On doit lutter contre cet insecte en enlevant les poires noircies et en ramassant celles qui sont tombées pour les brûler. [p. 133] Insectes s'attaquant au bois, à l'écorce, ou se nourrissant de la sève. Le gâtebois. — Le cossus ligniperda, ou gâtebois, est un gros papillon gris, avec des hachures blanchâtres et noires ; il a 7 centimètres d'envergure. Sa chenille, très grosse et très grande, vit dans les troncs d'arbre et se fixe quelquefois sur les pommiers. Elle est d'une couleur rougeâtre, luisante, plus foncée en dessus. Elle exhale une odeur vireuse des plus désagréables. Elle vit souvent trois ans, creusant toujours sa galerie, jusqu'au coeur de l'arbre, avant de se chrysalider. Sa présence se manifeste par l'apparition, à l'extérieur, d'une quantité considérable de débris provenant du creusement de sa galerie. La matière ainsi expulsée ressemble à de la sciure de bois mouillée. Pour débarrasser de cette chenille les arbres attaqués, on introduit dans le trou un fil de fer recourbé, qu'on retourne plusieurs fois afin de l'extraire ou de la tuer. Ce qui n'est pas toujours facile, les galeries étant souvent longues et contournées. M. Lancelevée a imaginé un procédé aussi pratique qu'ingénieux. Il imbibe de benzine un petit morceau de ouate et l'introduit dans la galerie, dont il ferme l'ouverture avec un peu de terre glaise. L'insecte périt immédiatement ; un ou deux jours après, on nettoie et on cicatrise la plaie au goudron de bois ou au mastic à greffer. Le scolyte. — Le scolyte (scolytus rugulosus), petit coléoptère au corps cylindroïde, brusquement tronqué en arrière, vit sous l'écorce des pommiers et des poiriers ; les larves détruisent l'aubier en y traçant des galeries allongées accompagnées d'une quantité de culs-de-sac latéraux. Leurs dégâts sont parfois considérables, mais il est bon de remarquer qu'ils n'atteignent que les arbres déjà malades, ou tout au moins ceux qui ont reçu des chocs ou des coups de soleil. Dès qu'on constate leur présence, il faut enlever toutes les parties [p. 134] atteintes de l'écorce et badigeonner la plaie avec du goudron de bois étendu d'un cinquième d'alcool. On brûle avec soin les écorces enlevées. Le puceron lanigère. — Bien autrement graves et autrement redoutables sont les atteintes du puceron lanigère, ou blanc meunier (fig. 69 et 70). Ce petit insecte laisse des traces durables de son passage, et, de plus, il est à peu près impossible d'en débarrasser les arbres qu'on a laissé envahir. Sa multiplication rapide rend en effet la lutte difficile ; une seule femelle peut dans une année donner naissance à huit générations et à 636.000.000 d'individus. Il faut donc procéder à la destruction de ce parasite aussitôt que sa présence est révélée. Le puceron lanigère (Schizoneura lanigera) perce avec une sorte de trompe, dont il est armé, l'écorce des arbres pour se nourrir de leur sève. On le rencontre assez rarement dans les plantations faites en plein champ, mais il est assez fréquent dans les pépinières qu'il ne tarde pas à détruire si on le laisse se propager. Le puceron lanigère est brun rougeâtre, mais la femelle est revêtue d'une sorte de duvet blanc qui la rend facile à voir et à reconnaître. Dès que le puceron lanigère a vécu quelque temps sur une branche, il y produit des petites nodosités (fig. 71) dans lesquelles sont renfermés ses oeufs. Si on ne détruit pas ces nids au fur et à mesure de leur apparition, ces exostoses grossissent [p. 135] et finissent par acquérir un volume relativement considérable. On se débarrasse des pucerons lanigères en les touchant avec un pinceau imbibé de pétrole, mais le pétrole a l'inconvénient grave de faire périr l'arbre, où tout au moins la branche sur laquelle on a opéré. Le seul moyen pratique est de les écraser. Ces pucerons sont très fragiles et la moindre pression suffit pour les détruire. Les oeufs seuls résistent : il faut frotter assez fort avec un pinceau en crin un peu dur, ou avec une brosse en chiendent que l'on trempe dans une émulsion concentrée de savon noir. Cette dissolution a pour double but de retenir les pucerons qui pourraient tomber sans être écrasés et de dissoudre une sorte de vernis qui les protège. Nous indiquerons cependant une méthode préventive signalée par M. Vial ; cette méthode consiste à étendre sur tout l'arbre un corps gras liquide quelconque, huile ou glycérine, deux fois par saison, en octobre et en novembre après la chute des feuilles et au début de la végétation dès que les boutons commencent à grossir. Les kermès. — Les kermès sont des Hémiptères qui se collent pour ainsi dire sur les branches des arbres fruitiers et en sucent la sève jusqu'à les épuiser. Ils s'attaquent assez rarement aux arbres en plein vent ; cependant, comme on les rencontre quelquefois dans les vergers, nous avons cru devoir en parler. Le petit kermès (Aspidiotus) qui se fixe sur le poirier et le pommier et ressemble à une coquille minuscule qui saille ou à une pellicule de son. On rencontre des arbres qui en sont littéralement couverts. La destruction de l'insecte est facile en hiver, dès la chute des feuilles, avant la montée de la sève. On racle les parties couvertes de kermès avec une spatule en bois ou le dos de la serpette ; puis on badigeonne avec une eau de lessive ou une dissolution de nicotine dans un lait de chaux. [p. 136] Insectes s'attaquant aux racines. Le hanneton. — Les vers blancs, mans ou turcs (fig. 72). qui sont les larves du Melolontha vulgaris ou hanneton (fig. 73) attaquent parfois l'écorce des racines de pommiers au point que ces racines se trouvent presque entièrement dépouillées ; l'arbre souffre ou meurt. C'est surtout dans les pépinières que ces atteintes sont désastreuses, car les grands arbres ont en général des racines trop puissantes pour que les ravages des mans apparaissent d'une façon bien sensible. Le hanneton vit trois ans, et comme la plupart des insectes revêt trois formes différentes. La femelle pond en mai, et quelques semaines après la ponte, les larves éclosent et commencent leurs ravages, se développent rapidement et, en septembre, elles ont déjà 10 à 11 millimètres de long. Aux premiers froids, elles s'enfoncent dans la terre, à une profondeur assez grande pour être à l'abri des gelées ; elles descendent quelquefois à 30 et 40 centimètres. Dès le printemps, les larves remontent et s'attaquent aux petites racines. Si elles ont affaire à un jeune plant, elles ont bientôt détruit le chevelu, et s'attaquent à la peau des grosses racines qu'elles dépouillent jusqu'au collet. L'arbre qui a commencé à dépérir meurt alors complètement. [p. 137] A l'automne, les larves redescendent pour hiverner une seconde fois. Au mois d'avril elles remontent et sont alors d'une voracité extraordinaire, mais, dès le mois de juin, elles cessent de manger et pour la troisième fois regagnent les profondeurs du sol, où elles se transforment en chrysalides. La chrysalide se transforme à son tour et devient hanneton. C'est dans les premiers jours d'avril qu'on les voit sortir du sol et s'envoler sur les arbres dont ils dévorent les feuilles. Mais si les larves étaient friandes des racines du pommier, l'insecte parfait préfère le marronnier, le hêtre, etc., et dédaigne le pommier. La vie des hannetons est à peine d'un mois de durée. A la fin de la première semaine de leur existence, ils s'accouplent et aussitôt après le mâle meurt. La femelle s'enfonce dans la terre pour déposer ses oeufs. Elle choisit un terrain meuble et recouvert de végétation, comme une prairie, un champ de céréales, afin que les jeunes larves aussitôt écloses aient leur nourriture assurée. Afin de détruire les hannetons, les préfets de quelques départements ont rendu des arrêtés rendant le hannetonnage obligatoire. Mais si le décret est facile à rendre, il est plus difficile à faire exécuter. Meilleur paraît être le système des primes ; dans certaines communes, les enfants des écoles primaires, conduits chaque matin par l'instituteur, ramassent des centaines de kilogrammes de hannetons. On ne saurait trop encourager cette manière de faire. Un procédé simple est celui qui consiste dans le ramassage des vers blancs derrière la charrue, mais on ne laboure pas partout. Depuis quelques années, on est parvenu à détruire complètement les vers blancs dans quelques pépinières, en employant le sulfure de carbone ou mieux la benzine. Ce procédé, découvert par M. Crozette-Desnoyer, inspecteur [p. 138] des forêts, a été appliqué par lui avec succès pour la destruction des vers blancs dans les pépinières de l'État, à Fontainebleau. On injecte la substance au moyen d'un outil, appelé pal injecteur. L'instrument doit être réglé de manière que le liquide asphyxiant se trouve déposé à quelques centimètres au-dessous du niveau des larves, afin que les vapeurs en se dégageant puissent les atteindre. Il faut de deux à trois injections par mètre carré. Ce procédé, très efficace dans les terres légères comme les sables de Fontainebleau, est absolument sans effet dans les terrains argileux et compacts et peu efficace même dans les terres de consistance moyenne. Un autre moyen de combattre les hannetons est le suivant. Il est constaté que la femelle choisit pour pondre un endroit où la terre est meuble ou nouvellement remuée. Si l'on prépare dans une pépinière, de petites parties de terrain de un mètre carré environ, bien ratissées, où la terre soit bien meuble et bien exposée au soleil, Immédiatement toutes les femelles se donnent rendez-vous en cet endroit et pondent dans ces sortes de pièges tous leurs oeufs. Il suffit donc ensuite à l'aide d'une pelle d'enlever cette terre sur une épaisseur de dix centimètres, pour avoir détruit d'un seul coup toute la ponte d'une année. Tout récemment, on a découvert un parasite de la larve du hanneton, qui est un champignon microscopique appelé botitris tenella. Cultivées dans des laboratoires, les semences de ce champignon se trouvent actuellement dans le commerce. Lorsqu'on a constaté la présence des vers blancs, on répand cette semence dans le sol et les larves ne tardent pas à être infectées et à périr. Voici comment on opère. On se procure de la semence de Botrytis tenella, soit en s'adressant à un laboratoire, soit en recherchant dans les champs un mans mort de [p. 139] cette moisissure, qui se présente sous l'aspect d'une poudre blanche, on prend des parcelles de cette poudre que l'on sème sur des morceaux de pommes de terre cuits dans du jus de pruneaux. Au bout de deux ou trois jours, ces morceaux de pommes de terre deviennent rouge-brique, puis si l'on a soin de les placer dans un lieu obscur, au bout d'un mois le champignon s'est développé en si grande quantité, que les fragments de pomme de terre deviennent tout blancs ; cette coloration blanche est due aux spores du Botrytis tenella ; on a donc ainsi le champignon parasite cultivé et pur. On écrase le morceau de pomme de terre que l'on mélange avec de la fécule, de façon à rendre la masse pulvérulente, et l'on obtient ainsi une poudre blanche dont le plus petit atome suffit pour détruire un mans ou un hanneton. Pour infecter des vers blancs, voici le moyen le plus pratique : Prendre des terrines à semis ou des pots à fleurs ordinaires ; les humecter en les laissant tremper plusieurs heures dans l'eau. Placer au fond une épaisseur de terre d'un centimètre au plus, mouiller légèrement et placer sur le sol les vers blancs à infecter. Prendre [p. 140] les cultures de champignon dans les tubes, les gratter légèrement au-dessus des vers blancs, de manière que tout ce qui s'en détache tombe sur eux. Jeter également sur les vers blancs le résidu de la culture, couvrir le pot avec une planche et le mettre dans la terre fraîche ou humide ; recouvrir le tout de mousse humide. Au bout de quatre à six heures, retirer les vers blancs, les mettre dans des pots avec de la terre un peu humide. On visitera les pots quinze jours après, tous les vers qui seront morts, durcis et rosés, ou couverts d'une moisissure blanche seront infectés. Ces vers infectés seront enterrés superficiellement dans les sols où on a constaté la présence de vers blancs ; ils ne tardent pas à produire la moisissure blanche qui produit les spores, germe de la maladie des vers blancs. Si l'on n'a pu la première fois infecter qu'un petit nombre de vers blancs, on devra se servir de ceux-ci dès qu'ils seront couverts de moisissure pour en infecter d'autres. Les figures 74, 75 et 76 représentent un hanneton et ses larves tués par le Botrytis tenella. Parasites végétaux du pommier. Le gui. — Au premier rang des parasites végétaux du pommier se trouve le gui (viscum album de Linné) (fig. 77). Tout le monde connaît cette plante d'un vert glauque, qui végète en grosses touffes sur les branches des pommiers ; on la trouve aussi sur les peupliers et plus rarement sur les chênes. Le fruit est une baie de couleur blanche ou jaunâtre dont certains oiseaux, les grives en particulier, sont très friands. La pulpe des baies du gui est gluante ; on utilise même parfois ses propriétés adhésives pour fabriquer la glu. Lorsque les oiseaux en ont mangé, ils essuient leur bec englué aux écorces de l'arbre, ils [p. 141] déposent ainsi des graines qui ne tarderont pas à fructifier. Le gui se propage encore par les excréments des oiseaux, qui rejettent la graine avalée sans qu'elle ait perdu ses propriétés germinatives. La graine germe dès que la température atteint 15 degrés ; elle lance ses premières racines entre l'écorce et le bois en profitant d'une fente ou le plus souvent en décomposant l'écorce. La plante, d'abord très petite, s'accroît assez rapidement la seconde année. On voit alors la végétation devenir moins vigoureuse au-dessus du point où le gui a pris racine : et, si on le laisse se développer, la branche ne tarde pas à périr. Un pommier portant plusieurs touffes du parasite cesse bientôt de produire des fruits et finit par mourir au bout d'un petit nombre d'années. [p. 142] Les racines, qui se développaient dans le principe entre l'écorce et le bois, ne tardent pas à envoyer des ramifications qui pénètrent jusqu'au coeur de l'arbre en suivant les rayons médullaires. L'action épuisante du gui doit principalement tenir à ce fait, que sa végétation n'étant pas interrompue par l'hiver, elle absorbe pendant la mauvaise saison le peu de sève qui circule encore dans l'arbre et laisse les tissus se dessécher, constituant ainsi une entrave à la reprise de la végétation printanière. Pour détruire complètement le gui, il faudrait donc détruire l'écorce et les tissus de l'arbre atteint. Il est impossible de recommander une méthode aussi radicale qui ferait à l'arbre des blessures aussi nuisibles que le gui lui-même. Il faut se contenter de couper la tige du parasite ras l'écorce, et renouveler l'opération chaque fois que l'on s'aperçoit de la formation de nouvelles tiges. La plante ainsi mutilée ne tarde pas à dépérir, puis à disparaître totalement. La destruction du gui est, comme on le voit, relativement facile, mais elle ne saurait être efficace que si elle est générale. Quelques préfets, usant de la loi du 24 décembre 1888, ont rendu des arrêtés prescrivant la destruction obligatoire du gui ; mais malheureusement les maires, chargés de faire exécuter l'arrêté, n'ont ni l'autorité, ni les moyens, ni souvent même la volonté de faire exécuter les règlements de police générale. Le chancre. — Le chancre (fig. 78) est une maladie à laquelle sont sujets les arbres à fruits à cidre. On a longtemps ignoré sa cause et son origine. Aujourd'hui on sait qu'elle est due à une désorganisation des tissus sous l'influence d'un champignon microscopique, le nectria ditissima. Certaines variétés de pommiers, dont la peau est tendre, sont plus exposées à être atteintes de chancres. Mais ceux-ci peuvent se développer sur toutes les variétés [p. 143] lorsque l'écorce a été déchirée accidentellement et qu'elle est par ce fait devenue plus sensible. Si l'on greffe un rameau d'arbre chancreux sur un sujet sain, il n'est pas rare de voir ce greffon périr de la maladie et la transmettre au pied qui l'a nourri. Maintenant que l'on connaît l'origine cryptogamique du mal, il n'y a plus lieu de s'étonner de son caractère contagieux. Lorsque les chancres se développent spontanément, c'est le plus souvent à l'aisselle d'une petite branche qu'ils apparaissent d'abord. Il est alors facile de suivre l'évolution de la maladie. On voit d'abord apparaître une petite tache brune qui grandit rapidement. Bientôt l'écorce se déchire irrégulièrement et laisse apparaître des centres de désorganisation. Ces points grandissent et montrent à leur pourtour une sorte de renflement spongieux et pulvérulent de couleur brune. La peau est d'abord atteinte, mais bientôt le ligneux lui-même se désorganise jusqu'à la moelle. La plaie grandit toujours et finit par s'étendre sur toute la circonférence de la branche ou de la tige (fig. 76), et la partie placée au-dessus de la plaie se dessèche. On attribuait autrefois la présence des chancres à une gène dans la circulation de la sève. « Si des sauvageons vigoureux, élevés dans un sol riche et humide, sont greffés en tête et sur place, presque toutes ces tiges deviendront chancreuses pendant l'été qui suivra cette opération. Mais si ces arbres sont transplantés à l'automne dans la pépinière et qu'on les greffe au printemps suivant, ils ne seront pas atteints par cette altération. Dans le premier cas, la sève, très abondante dans ces arbres, se trouve restreinte dans des limites trop étroites, par suite du retranchement de la [p. 144] tête pour pratiquer la greffe. Alors cette sève rompt ses vaisseaux, il y a extravasation, mélange des fluides, fermentation et apparition des chancres sur les points de la tige où ces désordres se produisent. Si, au contraire, les arbres sont déplacés avant le greffage, ils perdent une grande partie de leur vigueur, la sève est moins abondante et l'on peut impunément les étêter [10]. » Nous savons aujourd'hui que l'origine et la cause des chancres est tout autre, mais les observations précédentes ont cependant leur valeur. Un arrêt subit de la circulation favorise le développement de la maladie et rend le sujet plus propre à recevoir les atteintes. L'excès d'humidité du sol semble aussi favoriser l'apparition des chancres, même sur des arbres qui n'ont subi aucune amputation d'importance. L'apparition de la maladie dans cette circonstance peut être attribuée à un phénomène du même ordre que le précédent. Les racines absorbant outre mesure, la tête ne peut suffire à la dépense de la sève, la circulation se trouve embarrassée. D'après ce qui précède pour prévenir les chancres, il faut : Mettre les arbres à l'abri des chocs et des atteintes des animaux qui peuvent meurtrir les tissus et briser les branches ; et lorsqu'on taille les arbres ne leur faire que des plaies bien nettes, en se servant d'une serpette et jamais d'un sécateur. Ne jamais prendre de greffons sur des arbres chancreux. Éviter de faire des retranchements considérables sur des arbres vigoureux. Assainir par des drainages les terrains humides plantés de pommiers. Il y a quelques années encore on appliquait avec [p. 145] plus ou moins de succès le traitement suivant : Avec un instrument bien tranchant, on coupait les tissus dont la décomposition était commencée. Puis on frottait les plaies nettes, que l'on venait de faire, avec des feuilles d'oseille. L'acide oxalique, contenu dans l'oseille, cautérisait la plaie, qui séchait ; deux ou trois jours après, on l'enduisait de mastic à greffer. On pratiquait aussi des incisions longitudinales dans le voisinage de la partie atteinte, afin d'activer la végétation près des parties malades. Ce traitement, dont le succès laissait beaucoup à désirer, a été abandonné. L'on emploie aujourd'hui soit le goudron de bois, soit la bouillie bordelaise. Comme précédemment, on enlève le plus complètement possible les parties malades, et lorsque la plaie est bien propre, on la badigeonne avec un peu de goudron de bois, auquel on a ajouté un cinquième de son volume d'alcool de bois, afin que le liquide adhère mieux et s'introduise plus facilement dans les fentes de la plaie. Après un ou deux traitements on obtient généralement une complète guérison. Cependant on a remarqué que le goudron semble brûler les tissus et la plaie est toujours longtemps avant de se cicatriser ; c'est alors qu'on a songé à la bouillie bordelaise. On prépare une bouillie épaisse (pour 10 litres d'eau, 600 grammes de sulfate de cuivre et 500 grammes de chaux) que l'on applique au pinceau. On doit à chaque traitement bien agiter le liquide avant de s'en servir la bouillie ainsi préparée est sans action sur les tissus et l'on peut par suite multiplier les applications. Le sulfate de fer en dissolution concentrée donne aussi de bons résultats. On a remarqué que les arbres à végétation moyenne sont moins sujets aux chancres que les variétés très ou peu vigoureuses. Certains arbres sont tellement prédisposés au chancre que tout traitement devient superflu, de nouveaux chancres apparaissent avant que [p. 146] ceux en traitement soient guéris. Il ne faut pas hésiter à les arracher. Le Fusicladium dentriticum. — Le mildew et le black-rot, qui causent de si grands dégâts dans les vignobles, ont appelé l'attention sur tous les micro-organismes qui attaquent les végétaux. En 1887, les maladies cryptogamiques des arbres fruitiers sévirent avec tant d'intensité que la récolte fut à peu près totalement perdue et que beaucoup périrent ; depuis cette époque on a étudié les cryptogames microscopiques, cause de la maladie des pommiers. Récemment, les pommiers furent ravagés par la maladie en Normandie et en Bretagne. Dans l'Aveyron, où l'on cultive la pomme à couteau sur une vaste échelle, la maladie détruisit à peu près la récolte et tels propriétaires qui vendaient 10, 12 et 15.000 francs de pommes, n'en récoltèrent pas même pour leur consommation. Cette maladie était occasionnée par un champignon microscopique le Fusicladium dentriticum. Ce champignon, comme tous les champignons en général, se multiplia en 1890 avec une rapidité effrayante, grâce à des pluies fréquentes alternant avec des jours chauds et humides. Le Fusicladium dentriticum se montre sur les feuilles du pommier par taches ayant beaucoup de ressemblance avec celles produites sur les feuilles des vignes par le black-rot, avec cette différence que l'on ne rencontre pas sur ces taches les petits et nombreux points noirs qui caractérisent le black-rot. Mais on observe en plus sur les feuilles des pommiers des taches marbrées que l'on dirait avoir été produites par un mélange de cendre et de suie, et où paraît toujours dominer la couleur de suie. Tous les fruits qui, dès la floraison, sont atteints par ce parasite, tombent. C'est aussi le Fusicladium dentriticum qui produit la tavelure des pommes, surtout chez les variétés de table, [p. 147] telles que la reinette du Canada, les Calvilles, la Réale, la Rambour d'été, la Grand-Alexandre, etc. La bouillie bordelaise à 20 0/0 de cuivre et 1 0/0 de chaux par hectolitre d'eau, employée dès la floraison, préserve complètement les pommiers des atteintes de la maladie. On se trouvera très bien de faire un second traitement dès que les fruits ont noué, c'est-à-dire un mois après le premier. Le succès de ce traitement est certain, à la condition de l'appliquer préventivement. Néanmoins, l'on peut très avantageusement atténuer la maladie après son apparition en faisant un traitement immédiat au moyen de pulvérisateurs assez puissants pour projeter la bouillie bordelaise sur les pommiers les plus élevés. Il serait très utile de cueillir les fruits et les feuilles malades et les brûler afin de détruire les germes de la maladie qu'ils portent en grand nombre. Le traitement avec la bouillie bordelaise devra toujours se faire par un temps calme et beau, le matin après la disparition de la rosée ; car le remède pour être efficace, doit sécher et rester adhérent aux feuilles et aux fruits le plus longtemps possible. L'asteroma mali. — Un autre champignon microscopique non moins redoutable, est l'asteroma mali. Connu depuis longtemps des mycologues, il a été signalé dans la Mayenne, où il faisait de très sérieux dégâts, en 1888, par M. Leizour, professeur départemental d'agriculture. L'asteroma mali a beaucoup d'analogie avec le mildew de la vigne. Il apparaît vers le mois de juin, lorsque les conditions climatériques sont favorables à son développement, c'est-à-dire lorsqu'il y a, comme nous venons de le dire plus haut, des alternatives de chaleur et d'humidité. Il se propage rapidement, les feuilles brunissent, se recroquevillent et sèchent. En août et septembre, les arbres sont complètement privés de feuilles ; la récolte est, par suite, perdue. Une ou deux [p. 148] invasions de la maladie suffisent pour faire périr les arbres. La bouillie bordelaise appliquée préventivement est, comme pour le cas précédent, un moyen certain d'arrêter le fléau. Après l'apparition du mal, il faut faire un premier traitement, puis un second quelques jours après. L'emploi des fortes fumures paraît donner de bons résultats, comme moyen d'empêcher le retour de la maladie. Le peronospora glandiiformis. — Le peronospora glandiiformis, de Berkeley, est encore un petit champignon qui végète sur les feuilles et les jeunes pousses du pommier. Il est remarquable par sa couleur blanche, et quelquefois les pépiniéristes le désignent sous le nom de blanc ou meunier, dénomination que nous avons vue appliquer aussi parfois au puceron lanigère. Ce parasite se développe le plus souvent sur les très jeunes plants non greffés, mais aussi quelquefois sur des arbres greffés même âgés. Il est vrai qu'il n'envahit tout le sujet que lorsque celui-ci est de petit développement. Le mal n'est donc grave que lorsqu'il atteint la tige d'un jeune sujet. On doit couper, autant que faire se peut, toutes les branches atteintes du blanc, les recueillir avec soin et les brûler ; sur celles qu'on n'a pu couper, faire un traitement à la bouillie bordelaise. Le phyllosticta mali. — Cette même année 1888, si propice au développement des maladies cryptogamiques, MM. Prilleux et Delacroix ont découvert un nouveau parasite du pommier. Ce parasite, placé à la face supérieure des feuilles, présente l'aspect de macules assez petites, brunâtres, à bord épaissi plus coloré. Les feuilles qui portent un nombre un peu considérable de macules ne tardent pas à tomber, et l'arbre, dépouillé de ses feuilles, ne peut conduire à bien la maturation des fruits. MM. Prilleux [p. 149] et Delacroix ont donné à ce nouveau champignon le nom de phyllosticta mali. Le traitement à la bouillie bordelaise paraît donner un bon résultat. Les mousses et les lichens. — Nous avons recommandé de racler les écorces de pommier dans le but de détruire les larves et les oeufs de certains insectes qui s'y cachent ; cette mesure aura aussi l'avantage de détruire les mousses et les lichens et devra s'étendre à toutes les branches d'une certaine dimension. Lorsque les arbres vieillissent, ou que leur végétation souffre pour une raison ou pour une autre, le tronc et les branches principales se couvrent de mousses et de lichens (fig. 79), qui entravent la végétation au grand détriment d'un arbre déjà fatigué. Pour enlever ces végétations parasitaires sur les jeunes sujets ou les branches moyennes d'un vieil arbre on se sert de brosses en chiendent ou en fils métalliques. [p. 150] Sur les troncs à écorces rugueuses on se sert de raclettes en acier. La forme de ces instruments varie : tantôt ce sont des lames à deux tranchants, montées perpendiculairement sur une poignée à main (fig. 80), tantôt la lame est triangulaire, un des côtés est droit, les autres présentent des courbures plus ou moins accentuées. La forme de l'instrument importe du reste fort peu ; ce qu'il faut éviter, par exemple, avec le plus grand soin est d'attaquer les parties vives de l'arbre. Avec ces lames dures il n'est pas toujours facile de pénétrer dans les creux. M. Gransjin a imaginé une sorte de décortiqueur-émoussoir (fig. 81) à dents mobiles, qui se compose essentiellement de six dents en fil d'acier, recourbées et émoussées à leurs extrémités. Ces dents qui sont flexibles et obéissant à la pression plus ou moins forte de la main permettent de nettoyer le fond des concavités. La vieille écorce enlevée à la main, on complétera l'opération en recouvrant d'un lait de chaux les parties nettoyées. Pour éviter la réapparition des mousses, il faut s'efforcer de rendre aux arbres une végétation puissante. Pour cela il sera bon de les fumer abondamment. On conseille encore de répandre au pied de l'arbre du sulfate de fer en poudre, à raison de 7 à 8 grammes au mètre carré. On utilise aussi directement avec beaucoup de succès, le sulfate de fer pour la destruction des mousses sur les arbres. On emploie alors une dissolution de 5 à 10 % de sulfate de fer dans l'eau, suivant que les [p. 151] arbres sont plus ou moins âgés et couverts de lichens. On enduit l'arbre avec un pinceau. On peut se servir pour l'opération d'une pompe d'arrosage à laquelle on adapte une lance semblable à celle des pulvérisateurs. CHAPITRE X Rendement du pommier et du poirier. — Époques de maturité. — Récolte des pommes et des poires. — Classement des pommes. — Conservation des pommes. Rendement du pommier et du poirier. Lorsque les pommiers et les poiriers ont été convenablement traités, ils commencent à donner quelques fruits vers la sixième année de plantation. Après quinze ans de plantation, la production est déjà importante, et l'on estime généralement que les pommiers sont en plein rapport vers l'âge de vingt-cinq ans et les poiriers vers l'âge de trente ans. Arrivés à cette période de leur existence, les arbres se couvrent quelquefois d'une telle quantité de fruits que les branches se courbent jusqu'à terre et se rompent même. Pour éviter cet accident, il faut soutenir chaque branche à l'aide d'une perche fourchue plantée en terre, et supportant le rameau vers son milieu. Il est rare de voir les pommiers fructifier en abondance deux années consécutives ; une année de bonne récolte est presque toujours suivie d'une année de stérilité relative. Les poiriers ne sont pas soumis à ces intermittences, ou du moins leur effet est moins marqué. Il est bien difficile d'évaluer la production moyenne [p. 152] d'un pommier. Elle varie avec les lieux, le climat, la richesse du sol, la variété, l'âge de l'arbre, les soins dont il a été entouré, et une foule de circonstances accidentelles qui favorisent ou empêchent la fructification. Du Breuil estime qu'en moyenne, dans les années fertiles, un pommier âgé de trente à quarante ans donne 12 hectolitres de pommes. Ces 12 hectolitres, toujours d'après le même auteur, doivent donner 3 hectolitres de bon cidre. La production des poiriers est non seulement plus régulière, mais elle est encore en général beaucoup plus abondante. Les poires sont plus juteuses et plus riches en sucre ; elles donnent, à volume égal, une fois plus de jus que les pommes. 2 hectolitres de poires peuvent donner environ 1 hectolitre de poiré ; de celui-ci on peut tirer de 12 à 13 litres d'alcool. Époques de maturité. Les pommes à cidre mûrissent, suivant la variété, à des époques très différentes, qui vont de fin septembre jusqu'au milieu de janvier. Il faut distinguer pour les pommes deux époques de maturité. Celle à laquelle les fruits sont bons à être cueillis, et celle à laquelle, ayant parachevé leur maturation, ils sont bons à brasser. M. Power nous semble avoir heureusement désigné ces deux périodes de la vie du fruit, sous le nom de première et deuxième maturité, faisant remarquer, en passant, que les deux maturités peuvent se confondre. Les pommes qui arrivent à leur deuxième maturité de septembre à novembre sont au point voulu pour être cueillies : lorsque, par un temps calme, les fruits sains, non véreux, commencent à tomber d'eux-mêmes ; lorsqu'ils commencent à jaunir ; lorsqu'ils exhalent une odeur agréable ; lorsque les pépins ont acquis une couleur foncée. Pour la plupart de ces [p. 153] pommes, les deux maturités que nous avons précédemment distinguées coïncident ou se suivent de très près. Les pommes qui arrivent à leur deuxième maturité en décembre ou en janvier doivent être cueillies lorsqu'elles ne grossissent plus et que les froids de l'hiver commencent à se faire sentir. Si l'on laissait ces fruits sur l'arbre pendant une partie de la saison froide, ils perdraient une grande partie de leur valeur, ne pourraient plus ensuite que mûrir difficilement. La deuxième maturité, ou maturité complète, marque le point où les fruits sont arrivés à l'apogée de leur développement et de leur richesse en sucre et en parfum. A ce moment, ils donneront le cidre le meilleur, le plus riche alcool ; car la richesse du cidre en alcool est intimement liée, on le sait, à la richesse saccharine des fruits. La teneur en sucre des fruits verts est nulle, tandis que la teneur des fruits mûrs atteint de 15 à 18 %, en moyenne. Les fruits blets, c'est-à-dire ceux qui ont passé la maturité, commencent à s'altérer par une fermentation intra-cellulaire. Cette fermentation détruit le sucre, en sorte que les fruits pourris n'en contiennent plus. Aussi, les cidres faits avec des pommes incomplètement mûres ne se conservent pas, ils sont sans parfum, pauvres en alcool, brunissent à l'air. Ils sont souvent d'un goût acidulé déplaisant. Ceux faits avec des pommes ayant dépassé la maturité complète sont également peu riches en alcool et ne se conservent pas. Il en est de même des poirés faits avec des poires vertes ou blettes. Récolte des pommes et des poires. La récolte des pommes et des poires est une opération qui réclamerait plus de soins qu'on ne lui en accorde d'ordinaire. Les cultivateurs ne se rendent généralement pas compte de l'influence que peuvent avoir [p. 154] ces soins sur la qualité de la boisson. Et cependant la qualité du cidre dépend presque autant des précautions prises au moment de la récolte, que de la manière dont il est fait. Lorsque les pommes ou les poires ont atteint le degré de maturité qui convient, il faut choisir pour les ramasser un temps sec, ou tout au moins un jour sans pluie et attendre que la rosée ou l'eau qui les recouvre ait disparu. Les fruits rentrés mouillés ne tarderaient pas à fermenter et à pourrir. Quelque temps avant l'époque de la maturité normale, les fruits véreux se détachent de l'arbre. Il faut les ramasser chaque jour et les brasser immédiatement, car ils sont très sujets à pourrir. Ils donneront toujours un cidre médiocre et incapable de se conserver. Pour faire tomber les pommes, un homme monte sur l'arbre. Il doit avoir soin de se déchausser, afin de ne pas endommager l'écorce. Il secoue les branches à la main. Souvent ce moyen ne suffit pas. On emploie alors une longue fourche que l'on manie du pied de l'arbre et avec laquelle on secoue les branches de bas en haut. On se sert quelquefois d'un crochet, mais c'est un procédé qu'il convient d'éviter, car, en imprimant de fortes secousses de haut en bas, on risque de détacher du tronc les branches de l'arbre. A plus forte raison doit-on éviter le gaulage qui a l'inconvénient de blesser les arbres et les fruits et de détruire les jeunes pousses, espoir de récoltes futures. Classement des pommes. A la récolte, il faut classer et emmagasiner à part les pommes douces, amères ou acides. Les fruits altérés par une cause quelconque ne doivent être, sous aucun prétexte, mélangés aux fruits sains. Lorsqu'on le peut, il faut faire un tas de chaque variété, et en tout cas ne [p. 155] réunir ensemble que des pommes de même saveur arrivant en même temps à la deuxième maturité. Conservation des pommes. Les pommes sont emmagasinées dans des greniers, des celliers, sous des hangars, etc. L'endroit choisi doit être sec et aéré. Les pommes doivent y être à l'abri de la gelée. Il est très important qu'il en soit ainsi, car les pommes gelées deviennent impropres à la fermentation alcoolique. Si l'on craint que les pommes ne soient suffisamment garanties on les recouvre de paille. Les tas ne doivent pas avoir plus de 50 ou 60 centimètres d'épaisseur. En couches trop épaisses, elles risqueraient de s'échauffer et de fermenter. Il faut de temps en temps visiter les tas pour s'assurer que les pommes ne pourrissent pas. S'il arrive que les pommes s'échauffent, on les refroidit et on les aère en les changeant de place. On peut, avec avantage, ménager dans les tas des galeries d'aération, formées de planchettes ou de fascines. Suivant la variété et un peu aussi suivant la température les pommes mettent en général de huit jours à six semaines pour passer de la première à la seconde maturité. Avant d'être mises en tas pour être conservées, les pommes aussitôt après la récolte doivent être étendues en couches minces, pendant deux ou trois jours, dans un lieu aéré. On dit que l'on les fait ressuer. Lorsqu'elles ont ressué, c'est-à-dire lorsqu'elles ont perdu l'excès d'eau de constitution qui apparaît à la surface sous forme de buée, pendant les jours qui suivent la récolte, on les met en tas. Si l'on manquait de faire ressuer les pommes, on risquerait de les voir pourrir. Lorsque l'abondance des pommes est telle qu'on ne peut toutes les abriter, on les met en tas dans les vergers. [p. 156] On les fait d'abord ressuer en les étendant en couches de faible épaisseur sur des lits de paille. Le ressuage terminé, on étend une couche épaisse de paille sur le point où l'on veut établir le tas et l'on y porte les pommes. On donne, en général, au tas la forme d'un toit et on le recouvre de paillons qui le protègent contre la pluie et permettent à l'eau de s'écouler. Tout autour du tas, on creuse une petite rigole pour recevoir les eaux qui s'écoulent du paillis et détourner celles qui pourraient provenir du sol voisin. Toutes les indications que nous venons de donner dans ce chapitre s'appliquent également aux pommes et aux poires. [p. 157] DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE PREMIER Choix et mélange des pommes. — Choix des poires. — Influence de la maturité des fruits sur la qualité du cidre et du poiré. Analyse des moûts. — Eau contenue, densité des fruits. — Préparation des liqueurs d'épreuves. — Dosage de l'extrait sec. — Dosage du sucre. — Dosage du tannin ou acide tannique. — Dosage de l'acidité. — Dosage du mucilage. — Emploi du densimètre. — Vente et achat des pommes et des poires. Choix et mélange des pommes. Dès que les pommes ont atteint leur maturité complète, il faut procéder à la préparation du cidre. On reconnaît facilement que les pommes ont parachevé leur maturation à la couleur de la peau, qui jaunit et se recouvre de petites taches, à la couleur foncée des pépins et surtout à l'odeur éthérée, agréable et pénétrante que dégagent les fruits. Les pommes à cidre ont été classées, au point de vue du goût, en trois catégories : les pommes douces, les pommes amères et les pommes acides. La saveur des fruits est loin d'être indifférente à la qualité du cidre. Les pommes acides ne donnent qu'un liquide aigre, brûlant à la gorge, désagréable au goût, et souvent nuisible à la santé. Les pommes douces, dont la saveur n'est point relevée par une pointe d'amertume, c'est-à-dire les pommes pauvres en tannin, font un cidre qui n'est pas sans agrément dans les premiers mois de [p. 158] sa fabrication, mais qui devient amer et qui file dès qu'il a terminé les phases ordinaires de la fermentation. Seules les pommes à la fois douces, amères et parfumées sont capables de donner un cidre de bonne qualité, généreux, agréable, salubre et capable de se conserver longtemps : ce qui s'explique par la bonne constitution élémentaire de ces fruits qui contiennent, dans un harmonieux rapport, le sucre, le tannin et les matières albuminoïdes. Bien qu'avec les variétés de pommes douces-amères employées seules on puisse obtenir un cidre excellent, on aura plus de chance d'obtenir une boisson de choix par le mélange de plusieurs variétés. « Les principes de l'assortiment consistent à choisir des fruits mûrissant à la même époque et qu'on mélange sous le rapport de la saveur, dans des proportions différentes, selon la nature du cidre qu'on se propose de recueillir. C'est ainsi que l'assortiment des fruits pour les cidres de conserve se fera, de préférence, en employant une partie de fruits doux contre deux de fruits amers. L'assortiment le plus convenable pour les cidres gracieux se composera de variétés prêtes à brasser en octobre et choisies parmi les plus parfumées d'entre celles à suc doux-amer. Les boissons de ménage qui plaisent le plus généralement proviennent d'une partie de fruits amers sur deux de fruits doux et parfumés [11]. » M. Truelle, que nous avons déjà eu l'occasion de citer et qui s'efforce toujours de donner une conclusion pratique à ses savantes et laborieuses recherches, a publié le tableau suivant qui pourra nous guider dans le choix des pommes toutes les fois que nous aurons recours à l'analyse chimique. [p. 159] IMPORTANCE DES PRINCIPES CONTENUS DANS LES MOUTS DE POMMES Sucre total. Éléments utiles. Tannin au-dessus de 2 grammes. Matières pectiques. Éléments gr indifférents. Tannin jusqu'à 1 ,99. Acidité jusqu'à 2 grammes. Matières pectiques au delà de 12 grammes. Éléments nuisibles. Acidité au delà de 2 grammes. Choix des poires. Quant au choix des poires destinées à faire du poiré devant être consommé comme boisson, il doit être exclusivement fait dans les variétés riches en tannin. Les autres doivent être réservées pour la production de l'alcool. Le tableau précédent pourra servir de guide pour la combinaison des éléments dans les jus de poires à poiré ; pour les poirés destinés à la distillation, M. Truelle donne le suivant : IMPORTANCE DES ÉLÉMENTS CONTENUS DANS LES MOUTS DE POIRES A DISTILLER Éléments utiles. Sucre total. Tannin au-dessus de 4 grammes. Matières pectiques à quelque dose que ce soit. Éléments Tannin au-dessous de 4 grammes. indifférents. Acidité au-dessous de 5 grammes. Éléments nuisibles. Acidité à partir de 5 grammes. Influence de la maturité des fruits sur la qualité du cidre et du poiré. Tous ces fruits, pommes et poires, doivent être employés au moment où ils ont atteint leur complète [p. 160] maturité. Mais il faut se garder d'attendre qu'ils soient blets et même pourris comme on le fait trop souvent. Car c'est un préjugé fort enraciné, même chez des gens d'une certaine instruction, qu'au moment du brassage les pommes doivent, pour donner de bon cidre, contenir une certaine quantité de pommes pourries. Quelques auteurs de valeur, comme de Brébisson, vont même jusqu'à donner des proportions de fruits pourris et de fruits sains qui, d'après eux, sont nécessaires pour donner un cidre de bonne qualité. Nous ne saurions trop nous élever contre un préjugé si préjudiciable à la qualité et à la conservation des cidres. Les fruits blets ont perdu presque tout leur parfum et une partie notable de leur sucre. Les fruits pourris donnent une boisson d'un goût détestable, qui s'éclaircit difficilement et tourne facilement à l'aigre. Il suffit, pour se rendre compte des inconvénients qu'il y a à employer des fruits dont la maturité est incomplète ou trop avancée, de consulter le tableau suivant : COMPOSITION CHIMIQUE DES POMMES PRISES A DIFFÉRENTS ÉTATS DE MATURITÉ ÉTAT DE MATURATION COMPOSITION DES POMMES VERTES MURES DLETTES Eau 85,50 83,20 Matière sucrée 4,90 11,00 7,95 Tissu végétal 5,00 3,00 2,06 Gomme 4,01 2,10 2,00 Albumine 0,10 0,20 0,06 Acides malique, pectique, tannique, gallique, chaux, acétates alcalins, matières huileuses et azotées 0,49 0,50 0,60 100,00 76,22 TOTAL 100,00 [p. 161] Les fruits blets ont perdu, par évaporation, une partie de leur eau de constitution. Analyse des moûts. 63,55 Nous avons vu que, d'après MM. de Bouteville et Hauchecorne un jus ou moût de pommes de bonne qualité doit contenir de 17 à 18 0/0 de sucre ; 0,5 à 0,6 0/0 de tannin ; 1,4 à 1,5 0/0 de mucilage, et 0,1 0/0 d'acide malique et tartrique. La teneur en sucre indiquée par ces auteurs est un peu élevée et se rencontre rarement. Les pommes dont les jus contiennent de 15 à 16 0/0 de sucre peuvent être réputées d'excellente qualité. Elles sont, du reste, d'autant meilleures qu'elles contiennent plus de sucre. Les proportions des autres matières essentielles données par de Bouteville et Hauchecorne semblent les plus convenables. Comme on rencontre rarement ces proportions dans une pomme, les mélanges de fruits doivent tendre à ramener les moûts vers ce jus type. L'analyse chimique est seule capable de donner sur ce point des renseignements précis. Sans doute, l'analyse ne saurait permettre de saisir tous les éléments qui peuvent influer sur la qualité des cidres, mais elle permet de se rendre compte si les pommes contiennent en quantité suffisante les principes indispensables pour obtenir une boisson de bonne qualité. Son concours est des plus précieux pour guider dans les mélanges de fruits, grâce auxquels il est possible d'obtenir à l'aide de deux ou plusieurs variétés de pommes un cidre supérieur à celui que chacune d'elles était incapable de donner séparément. On objectera que l'analyse chimique donne souvent des différences considérables dans la composition de fruits de même variété venus dans des conditions à peu près identiques, et qu'il faudrait multiplier les analyses. Ceci est évident, mais ce n'est pas une objection sérieuse. [p. 162] Il ne faut raisonner que sur des moyennes, car beaucoup de causes peuvent influer sur la richesse en éléments utiles dans une même variété : l'âge de l'arbre, la fertilité du sol, le climat et les conditions climatériques qui ont présidé au développement et à la maturation des fruits. Les jeunes arbres donnent des fruits plus aqueux et moins riches en sucre. Dans un sol très riche en azote les fruits sont volumineux mais relativement pauvres en sucre et en tannin. Et comme tous les fruits, les pommes n'ont toutes leurs qualités que si la maturité a été favorisée par le soleil et la chaleur. On est assez généralement d'avis qu'il faut autant que possible, pour avoir une idée assez exacte de la valeur d'une variété, prendre les fruits sur des arbres ayant, au moins, quinze ou vingt ans. Les fruits soumis à l'analyse doivent être sains, pris au moment où ils commencent à tomber de l'arbre et conservés dans un lieu sec et aéré, à l'abri de la gelée, jusqu'au moment où ils ont atteint leur complète maturité. Les substances qu'il y a lieu de doser dans les jus des fruits à cidre sont les suivantes : le sucre, le tannin, le mucilage et l'acidité. Plus les pommes sont riches des premières substances, plus leur valeur est grande. Quant à l'acide, s'il en faut, pas trop n'en faut, et l'analyse révélera si les fruits en contiennent trop. L'analyse chimique d'un fruit peut être faite par différentes méthodes, et, suivant celle employée, les résultats pourront présenter des différences assez notables. Il serait bon que l'on adoptât une méthode uniforme, afin que les résultats fussent absolument comparables. La méthode que nous allons donner est celle indiquée par M. Grandeau dans son Traité d'analyse des matières agricoles. Elle a été recommandée par beaucoup de chimistes éminents et adoptée par la plupart des stations agronomiques. [p. 163] Eau contenue. — Densité du fruit. Les fruits étant arrivés à leur complète maturité, on en choisit un ou deux de grosseur moyenne qui serviront à déterminer la quantité d'eau que contiennent les fruits. Voici comment on opère pour obtenir ce premier résultat : On détermine d'abord la densité des fruits. La densité est égale au poids divisé par le volume d=p/v Il faut donc peser une des pommes que nous venons de choisir, on obtient ainsi le poids p. Pour obtenir le volume on prend un vase à niveau constant (fig. 82) qui contient de l'eau, on y plonge la pomme que l'on maintient complètement immergée au moyen d'une aiguille. L'eau qu'elle déplace s'écoule par la tubulure du vase. On la recueille dans une époussette graduée [p. 164] en centimètres cubes. L'eau déplacée par la pomme s'élève d'abord dans le vase, mais le niveau ne tarde pas à se rétablir par suite de l'écoulement, et il suffit de lire sur l'éprouvette le nombre de centimètres cubes d'eau déplacés et l'on a le volume v. En divisant p par v on a la densité d. Pour avoir une donnée plus exacte on peut recommencer l'opération avec un second fruit, on obtiendra une seconde densité d', peut-être un peu différente de la première ; en prenant la moyenne des deux chiffres obtenus on aura une approximation plus grande. D (densité moyenne) = d + d' / 2 on peut avoir de même le poids et le volume moyen des fruits. V = v + v' / 2 et P = p + p' / 2 Les pommes qui ont servi à évaluer la densité son ensuite soigneusement essuyées et coupées en tranches, avec un couteau à lame d'argent. On pèse dix grammes de ces tranches, et on les porte dans une étuve après les avoir mises dans une capsule en porcelaine. La température de l'étuve ne doit pas dépasser 100°, afin que les tranches ne soient pas calcinées. On laisse les tranches dans l'étuve jusqu'à ce que l'évaporation de l'eau qu'elles contiennent soit complète, ce que l'on reconnaît lorsque deux pesées faites à une demi-heure d'intervalle indiquent le même poids. Il faut environ de cinq à huit heures, suivant l'épaisseur des tranches. On ne commencera les pesées qu'au bout de six heures et on les fera de demi-heure en demi-heure. En déduisant [p. 165] le poids des tranches desséchées, restant dans la capsule, des 10 grammes, on obtiendra la perte résultant de l'évaporation, c'est-à-dire le poids d'eau contenu dans 10 grammes de fruits. Densité du jus. Pour continuer l'analyse, on pèse 500 grammes de fruits, et si l'on compte le nombre de fruits qui entrent dans ces 500 grammes, on a une nouvelle donnée pour établir le poids moyen : P = 0,500 / N Ces 500 grammes de pommes sont pilés dans un mortier de marbre. La pulpe est ensuite versée dans un vase de verre soigneusement taré. Il faut avoir soin de bien verser tout le contenu du mortier. Si le poids n'est plus exactement 500 grammes, on pile un petit morceau de pomme et on ajoute dans le récipient en verre la quantité de pulpe nécessaire pour arriver juste au poids de 500 grammes. La pulpe est ensuite versée dans un petit sac en toile grossière que l'on ferme solidement et que l'on porte sous une petite presse capable, néanmoins, de fournir une pression assez considérable. On presse lentement et progressivement. Si l'on veut obtenir un bon résultat, il faut mettre une heure pour faire cette opération. Au bout de ce temps, on desserre, on retire le sac, on l'ouvre, on vide la pulpe sur une plaque de verre, on l'émiette à la main et on la serre de nouveau. Cette seconde pression doit durer environ trois quarts d'heure. On sort de nouveau la pulpe, on l'émiette et on la soumet à une nouvelle pression qui dure une demi-heure. Le marc peut alors être considéré comme complètement épuisé. On le pèse et on peut le jeter. [p. 166] Le jus a été recueilli dans une éprouvette graduée en centimètres cubes ; on en note le volume. On le remue avec un agitateur en verre pour bien mélanger les jus provenant des pressées successives, et lorsqu'il est bien en repos, on en prend la densité au moyen d'un aéromètre centésimal marquant de 1040 à 1100°. Préparation des liqueurs d'épreuve. Ceci fait, on prend 80 centimètres cubes de ce jus et on l'étend d'eau distillée jusqu'à ce que le volume total soit exactement de 400 centimètres cubes. On obtient ainsi la liqueur A qui va servir à doser successivement l'extrait sec, le sucre, le tannin et le mucilage. On met de côté 50 centimètres cubes de cette liqueur et on filtre le reste sur un filtre en papier blanc. Les 50 centimètres cubes mis en réserve sont additionnés de 2 centimètres cubes d'une dissolution à 23 0/0 de sous-acétate de plomb, qui a pour effet de précipiter les matières pectiques. On laisse reposer, et, lorsque le liquide est clarifié, on ajoute une goutte de la dissolution de sous-acétate pour s'assurer que toutes les matières pectiques ont été précipitées. Si cette goutte ne produit aucun trouble dans le liquide, la précipitation est complète ; si, au contraire, il se produit un petit nuage, on ajoute quelques gouttes de sous-acétate, on agite, on laisse reposer et l'on essaie de nouveau. Lorsqu'on s'est assuré que la précipitation a été complète, on ajoute de l'eau distillée pour compléter le volume à 100 centimètres cubes, on agite et on filtre. Le liquide filtré sera la liqueur B. Dosage de l'extrait sec. On appelle extrait sec la matière solide qui reste lorsqu'on a fait évaporer un liquide. L'extrait sec du moût de pomme contient du sucre, du tannin, du mucilage et des sels. [p. 167] Pour doser l'extrait sec, on prend 100 centimètres cubes de la liqueur A et on les met dans une capsule de porcelaine. On évapore ensuite au bain-marie ou bain de sable ; lorsque la liqueur commence à épaissir, on la porte à l'étuve et on l'y laisse jusqu'à ce que le poids cesse de diminuer, ce que l'on constate, comme nous l'avons vu, lorsqu'il s'agissait de tranches de pommes, par des pesées faites de demi-heure en demi-heure. Cette opération demande de huit à dix heures. Comme la liqueur A ne contient que 1 cinquième de jus pur, il faudra multiplier par 5 le poids du résidu obtenu pour avoir le poids d'extrait sec contenu dans 100 centimètres cubes de jus pur. Dosage du sucre. Le sucre se rencontre dans les fruits sous deux états différents : 1° A l'état de sucre cristallisable ou saccharo se ; 2° A l'état de sucre non cristallisable ou gluc ose. La détermination de la quantité de sucre contenue dans un fruit est basée sur la propriété que possède la glucose de réduire le cuivre d'une solution de tartrate cupro-potassique. Le sucre cristallisable ne jouit pas de cette propriété ; mais, comme on peut le transformer en glucose, on arrive facilement à doser le sucre total contenu dans le fruit. Pour faire la transformation, il suffit de maintenir en ébullition pendant quelques minutes la dissolution de sucre cristallisable additionnée d'acide sulfurique. Le sucre perd sa propriété de cristalliser, il est interverti, suivant l'expression consacrée, et peut réduire le cuivre de la solution cupro-potassique. Si l'on veut obtenir une très grande précision, on recueille sur un filtre l'oxyde de cuivre. On lave le précipité avec de l'eau distillée, puis on le dessèche, et on le calcine avec le filtre ; on le pèse. Le poids de [p. 168] cuivre réduit sert à calculer la quantité de sucre que contenait le jus examiné. Mais cette méthode est longue et demande de nombreuses et délicates manipulations. On arrive plus vite et plus facilement au même résultat en opérant par la méthode dite par liqueur titrée. Préparation de la liqueur cupro-potassique. — On emploie d'ordinaire la liqueur de Fehling ; nous donnerons la préférence à la liqueur de Neubauer qui en diffère peu, du reste, en raison de sa très grande inaltérabilité. Voici comment il faut opérer pour préparer cette liqueur. On pèse 34gr,65 de sulfate de cuivre pur et sec, on les dissout dans 200 centimètres cubes d'eau distillée et l'on mélange cette liqueur avec une solution de 173 grammes de tartrate double de soude et de potasse pur (sel de Seignette) dans 480 centimètres cubes de lessive de soude de 1,14 de densité. On agite le mélange et on l'étend d'eau distillée à la température de 15° centigrades , de manière à obtenir un litre de liquide. Cette liqueur doit être conservée à l'abri de la lumière. 10 centimètres cubes de cette liqueur correspondent théoriquement à 0gr,05 de glucose supposée sèche. Vérification du titre de la liqueur de Neubauer. Quand on opère avec la méthode par liqueur titrée, il faut toujours vérifier le titre du liquide cupro-potassique, ce qu'on fait de la manière suivante : On pèse 2 grammes de sucre candi blanc, finement pulvérisé et bien sec ; on les dissout dans 35 ou 40 centimètres cubes d'eau très légèrement acidulée, préparée en employant 1,8 à 2 centimètres cubes d'acide sulfurique hydraté, de 1,12 de densité, pour un litre d'eau. On chauffe cette dissolution dans un tube fermé, placé dans un bain de paraffine, maintenu pendant trois heures entre 130° et 135°. L'interversion du sucre e st [p. 169] complète au bout de ce temps. On étend d'eau à un volume déterminé de façon à obtenir une dissolution contenant seulement 0,25 0/0 de sucre et on contrôle le titre de la liqueur en suivant les précautions suivantes : Comme essai préliminaire, dans une capsule de porcelaine, on verse 10 centimètres cubes de la liqueur cupro-potassique et 40 à 50 centimètres cubes d'eau distillée. On porte le liquide à l'ébullition et l'on y verse goutte à goutte, à l'aide de la burette graduée (fig. 83) la solution à un titre connu de sucre interverti. On ajoute de la liqueur sucrée, tant qu'il y a réduction du sel de cuivre (précipitation de protoxyde de cuivre) ; on s'arrête au moment où l'addition d'une goutte de liquide sucré ne produit plus de trouble ; la liqueur de la capsule doit alors être incolore. On filtre quelques gouttes du contenu de la capsule, on acidule, avec l'acide chlorhydrique ou l'acide acétique, le liquide filtré, et, par l'addition d'une goutte de ferrocyanure de potassium, on s'assure que tout le cuivre a disparu de la liqueur. S'il se produit du cyanure de cuivre, on ajoute quelques gouttes de liqueur sucrée dans la capsule. Si pour atteindre la réduction complète, on a employé exactement 10 centimètres cubes de liquide sucré (correspondant à 0,05 de sucre interverti), comme on peut craindre d'avoir ajouté plus de liquide sucré qu'il n'en fallait pour la réduction complète des 10 centimètres cubes de liqueur cupro-potassique, on répète l'essai sur 10 centimètres cubes de liqueur cupro-potassique étendue à 50 centimètres cubes, en employant tout de suite 10 centimètres cubes de liqueur sucrée ; on répète l'essai au cyano-ferrure de potassium, si le liquide filtré est exempt de cuivre ; on procède à un [p. 170] troisième essai en n'ajoutant d'abord que 9,6 centimètres cubes, par exemple, de liqueur de Neubauer, puis un quatrième avec 9,8 centimètres cubes et l'on arrive, par tâtonnements, à fixer exactement le titre de la liqueur cupro-potassique. Dosage. — On opère à peu près comme pour le titrage de la liqueur sucrée. Dans une capsule de porcelaine, on verse la quantité de liqueur cupro-potassique correspondant à 0gr,05 de glucose. Cette quantité a été déterminée par les essais précédents. On ajoute 40 à 50 centimètres cubes d'eau distillée. On porte le liquide à l'ébullition et on y verse goutte à goutte à l'aide de la burette graduée (fig. 83) la liqueur B à éprouver. On ajoute de cette liqueur, tant qu'il y a réduction du sel de cuivre. On s'arrête au moment où l'addition d'une goutte de la liqueur B ne produit plus de trouble ; la liqueur de la capsule doit alors être incolore. On lit sur l'éprouvette la quantité de liqueur B qu'il a fallu pour réduire la totalité du cuivre de la liqueur de Neubauer contenue dans la capsule. Ce volume de liqueur B dépensé contient 0gr,05 de glucose. S'il était de 40 centimètres cubes, chaque centimètre cube contient 0gr,00125 ; et comme la liqueur B ne contient que 1/10 de moût pur, chaque centimètre cube de moût contiendrait 0gr,0125, et chaque litre 12,5 grammes de glucose ou sucre réducteur. Il suffit donc, pour obtenir le poids en grammes de sucre réducteur contenu dans un litre de moût, de diviser 500 par le nombre de centimètres cubes de liqueur B dépensée pour obtenir la réduction. Lorsqu'on veut s'assurer que tout le sucre a été bien réduit, on opère comme nous avons dit à l'occasion de l'essai de la liqueur cupro-potassique. Dosage du tannin ou acide tannique. La méthode la plus simple et la plus rapide est celle de Lowenthall modifiée par Neubauer. Cette méthode [p. 171] est fondée sur la rapide oxydation de l'acide tannique en dissolution sous l'influence de composés qui abandonnent facilement l'oxygène. On fait agir l'acide tannique sur le permanganate de potasse. Pour rendre la décoloration plus apparente, on ajoute une solution de carmin d'indigo. Pour effectuer ce dosage, il faut préparer les réactifs suivants : 1° Solution d'indigo. — On fait dissoudre dans de l'eau distillée froide 30 grammes de carmin d'indigo en pâte en agitant fréquemment le mélange. On filtre le mélange et l'on ajoute de l'eau, de manière que le volume total soit 1.000 centimètres cubes. On met dans un flacon, on bouche hermétiquement et l'on chauffe la liqueur à 70° au bain-marie pendant une heure. L'action de la chaleur empêche la production de moisissures et assure la conservation de cette solution. Le carmin d'indigo doit être tout à fait pur et notamment exempt d'indigo rouge. Sans cela la réaction finale est difficile à constater à cause de la nuance brune ou rougeâtre qui se produit avec l'indigo impur. Avec une liqueur de carmin d'indigo pur, la couleur verdâtre passe instantanément au jaune d'or pur à la fin de la réaction. En chauffant la liqueur, il importe de ne pas dépasser notablement la température de 70°, car on pourrait décomposer le carmin d'indigo. 2° Solution d'acide oxalique. — On fait dissoudre 1gr,515 d'acide oxalique pour un litre d'eau. Un centimètre cube de cette liqueur, produit le même effet sur la dissolution de permanganate de potasse que 0gr,01 de tannin. On préservera la solution oxalique des moisissures en la portant à 70° pendant quelques heures. 3° Solution de permanganate de potasse ou liqueur de caméléon. — On obtient cette liqueur en faisant dissoudre 4gr,20 de permanganate de potasse pur, cristallisé et sec dans de l'eau distillée et en ajoutant ensuite suffisamment d'eau pour amener le volume à [p. 172] 1.000 centimètres cubes. Cette liqueur ne doit pas être filtrée sur papier. Au cas où il serait absolument nécessaire de la filtrer, on doit se servir d'un entonnoir garni d'un tampon d'amiante. Titrage de la liqueur de caméléon. — Il faut commencer par amener la liqueur de caméléon à un titre tel, que la quantité nécessaire, pour que la décoloration par l'acide tannique se produise, soit représentée par un nombre simple, ce qui facilitera les calculs. On prend un centimètre cube de la liqueur oxalique, 100 centimètres cubes d'eau et 10 centimètres cubes d'acide sulfurique. On essaie avec la liqueur de caméléon jusqu'à ce qu'on obtienne une teinte rose persistant pendant deux minutes. La quantité de liqueur de caméléon employée est d'environ 2 centimètres cubes. Il faut pour la simplicité des calculs que cette quantité soit exactement ce chiffre. Si on a dû en employer davantage, c'est que la liqueur est trop faible, il faut lui ajouter une très petite quantité de permanganate ; si, au contraire, on en a employé moins, on lui ajoute un peu d'eau, et cela jusqu'à ce qu'on arrive à employer juste 2 centimètres cubes, comme correspondant à 0gr,01 de tannin. Par suite, l'emploi d'un centimètre cube de caméléon indiquera la présence de 0gr,005 d'acide tannique. Il faut encore établir la quantité de liqueur de caméléon nécessaire pour décolorer le carmin d'indigo que l'on emploie. Pour cela, dans un verre à réaction on met 190 centimètres cubes d'eau, 5 centimètres cubes de solution d'indigo et 5 centimètres cubes d'acide sulfurique étendue au dixième. A ce mélange on ajoute progressivement et en agitant le liquide, la solution de permanganate. La liqueur, bleu foncé au début, passe successivement par les teintes vert foncé, vert clair, vert jaunâtre et prend finalement, par l'addition des dernières gouttes de liqueur de caméléon, une belle teinte jaune d'or. Vers la fin de la réaction, il faut ajouter la [p. 173] liqueur de caméléon avec beaucoup de précaution et agiter constamment la liqueur, car sans ces précautions, on peut facilement dépasser la réaction finale. Si l'indigo est bien pur, le virement du vert au jaune d'or est presque instantané. La quantité de caméléon ainsi employée devra être déduite de la quantité totale employée dans l'opération du dosage. Dosage. — On prend 50 centimètres cubes de la liqueur A filtrée, on y ajoute 5 centimètres cubes d'acide sulfurique étendue au dixième et de l'eau de façon à ramener le volume total à 200 centimètres cubes. On titre alors le mélange avec la liqueur de caméléon. On se sert de l'éprouvette graduée (fig. 83), dont la graduation donne le nombre de centimètres cubes dépensé. On déduit de ce nombre la quantité précédemment trouvée comme servant à la décoloration de l'indigo. La différence, multipliée par 0,005 donne la quantité d'acide tannique contenue dans 50 centimètres cubes de liqueur A. Or, comme celle-ci ne contient que 10 centimètres cubes de moût pur, il faudra multiplier le nombre trouvé par 100 pour avoir la quantité d'acide tannique contenue dans un litre de moût. Dosage de l'acidité. On connaît la propriété qu'ont les acides de rougir la teinture de tournesol ; on sait aussi que la teinture de tournesol rougie par les acides est ramenée au bleu par les bases. C'est sur ce double phénomène qu'est basé le dosage de l'acidité des moûts. En général on prend pour mesure de l'acidité le poids d'acide sulfurique monohydraté qui serait nécessaire pour neutraliser la même quantité de base. Mais il est préférable d'employe l'acide oxalique. Les avantages de l'acide oxalique sont, en effet, nombreux. Il se trouve à peu près pur dans le commerce, et on peut le purifier complètement en traitant l'acide du commerce par une [p. 174] quantité d'eau insuffisante pour le dissoudre en entier, puis filtrant, faisant cristalliser et égouttant les cristaux. Il est inaltérable à l'air ; il n'est ni déliquescent, ni efflorescent, tandis que l'acide sulfurique étant très avide d'eau, absorbe, quand on débouche le flacon, un peu de vapeur d'eau de l'atmosphère. Comme l'acide dominant dans la pomme est l'acide malique nous rapporterons le total de l'acidité à ce dernier. On obtient des différences plus grandes dans les chiffres exprimant l'acidité. Il est, du reste, facile de ramener le titre obtenu par rapport à l'acide malique à celui en acide sulfurique. Il suffit de multiplier par la fraction 49/67 le titre en acide malique pour avoir celui en acide sulfurique. Inversement en multipliant par 67/49 le titre en acide sulfurique on a celui en acide malique. Pour procéder au dosage il faut préparer les réactifs suivants : 1° Dissolution oxalique. — On fait dissoudre 45gr 02 d'acide oxalique dans 500 grammes d'eau et l'on complète ensuite le volume à un litre. 10 centimètres cubes de ce liquide représentent l'acidité d'un gramme d'acide malique. 2° Dissolution alcaline normale. — On prend onze centimètres cubes de soude à 28° Ba umé et on l'étend d'eau distillée de façon à obtenir un volume d'un litre. Titrage de la dissolution alcaline. — On prend dix centimètres cubes de la dissolution oxalique, et on y ajoute de l'eau de façon à compléter le volume à cent centimètres cubes. On y ajoute quelques gouttes de teinture de tournesol qui rougit. On titre la soude en la versant goutte à goutte jusqu'à ce que la teinture passe au bleu. On doit faire une correction de 0,2 centimètres cubes qui sont nécessaires pour faire passer au bleu la teinture de tournesol. Il faut que, cette correction faite, [p. 175] 100 centimètres cubes de la dissolution de soude correspondent à 10 centimètres cubes de la liqueur oxalique et par suite à 0,01 d'acide malique. Dosage. — On prend 50 centimètres cubes de la liqueur A filtrée, on y ajoute de l'eau distillée de façon à amener le volume total à 100 centimètres cubes. On y verse quelques gouttes de teinture de tournesol, puis on titre avec la dissolution de soude jusqu'à ce que la coloration passe au bleu. Supposons que l'essai ait nécessité l'emploi de 4,2 centimètres cubes de dissolution sodique. Par la correction, ce chiffre se trouvera réduit à 4 centimètres cubes. L'acidité malique de 50 centimètres cubes de la liqueur A ou de 10 centimètres cubes de moût sera 4 X 0,01 = 0,04 et celle d'un litre de moût 4 grammes. L'acidité par rapport à l'acide sulfurique de ce litre de moût sera 4 X 49/67 = 2,925. Dosage du mucilage. On fait réduire par évaporation lente dans une capsule en porcelaine 100 centimètres cubes de la liqueur A, jusqu'à 25 ou 30 centimètres cubes. On ajoute alors 50 centimètres cubes d'alcool à 80°, qui pré cipite les matières pectiques. Le précipité est soigneusement recueilli sur un filtre préalablement taré, puis lavé à deux reprises avec de l'alcool à 80°. On fait sécher à l 'étuve, on pèse, et du poids obtenu, on déduit celui du filtre. La différence représente le poids de mucilage contenu dans 100 centimètres cubes de liqueur A ou dans 20 centimètres cubes de moût. En multipliant par 50, on obtient le poids de mucilage contenu dans un litre de moût. Emploi du densimètre. L'analyse chimique demande des connaissances spéciales, que possèdent rarement les producteurs de [p. 176] cidre. MM. de Bouteville et Hauchecorne ont préconisé une méthode sommaire d'essai des moûts qui peut donner parfois des indications utiles. Cette méthode qui est à la portée de tout le monde repose sur l'emploi du densimètre. Le densimètre ou aréomètre (fig. 84), est un petit appareil en verre qui indique par la quantité plus ou moins grande dont il s'enfonce la densité du liquide dans lequel il est plongé. MM. de Bouteville et Hauchecorne, les auteurs de la méthode, ont supposé qu'il existait une relation constante entre la densité du liquide et sa richesse en sucre. Il n'en est malheureusement pas ainsi, et la densité d'un liquide varie avec la totalité des matières qu'il contient en dissolution. Or, dans les moûts, le sucre est associé au tannin, au mucilage, à des acides et à des substances salines qui s'y trouvent en quantité très variable. On n'a donc, par l'emploi du densimètre, qu'une donnée approximative éloignée. « Sans abandonner le densimètre, dit M. Lechartier, on doit se rappeler que cet instrument ne donne que le poids du litre de moût au moment où on le consulte, que les renseignements fournis se rapportent essentiellement à la totalité des matières que le jus tient en dissolution et qu'il y a des réserves à faire quant au poids du sucre à déduire du degré densimétrique. Les écarts observés sont-ils accidentels ? Est-il possible de les atténuer, en modifiant dans une certaine mesure les tables dont on se sert actuellement ? Dans la pratique de l'extraction des moûts pour la fabrication des cidres, de même que dans une première [p. 177] comparaison des moûts que peuvent donner diverses espèces de pommes, l'emploi du densimètre s'impose. Nous n'avons pas d'instrument qui puisse le remplacer et fournir aussi rapidement un renseignement approximatif pour les besoins de l'industrie cidrière. » Répondant à ses propres questions, M. Lechartier a établi une table donnant avec une approximation plus grande que la table de Bouteville et Hauchecorne le poids de sucre contenu dans un litre de moût dont on connaît la densité. Nous donnons cette table en comparaison avec celle de Bouteville et Hauchecorne. TABLEAU INDICATIF DU POIDS DE SUCRE CONTENU DANS UN LITRE DE MOUT DE POMMES ET DU VOLUME EN CENTIÈME D'ALCOOL ABSOLU QU'IL PRODUIRA PAR LA FERMENTATION POIDS TITRE POIDS DU SUCRE correspondant ARÉOMÈTRE DU SUCRE DENSIMÈTRE par litre de moût en alcool BAUMÉ d'après M. Hauchecorne d'après M. Lechartier. 13°0 11°5 12°0 11°5 Grammes % Grammes 1100 207 12.4 239 1099 206 12.4 237 1098 205 12.3 234 1097 204 12.2 231 1096 202 12.1 229 1095 201 12.1 226 1094 199 11.9 223 1093 198 » 221 1092 196 11.8 217 1091 195 11.7 215 1090 193 11.6 213 1089 191 11.5 210 1088 188 11.3 207 1087 186 11.2 205 [p. 178] 11°0 1086 184 11.0 202 1085 182 10.9 199 1084 180 10.8 197 1083 178 10.7 194 1082 175 10.5 191 1081 173 10.4 189 1080 171 10.3 186 1079 169 10.1 183 10°5 10°0 9°5 9°0 8°5 8°0 7°5 7°0 1078 167 10.0 181 1077 165 9.9 178 1076 163 9.8 175 1075 160 9.6 173 1074 158 9.5 170 1073 156 9.4 167 1072 154 9.2 165 1071 152 9.1 162 1070 150 9.0 159 1069 148 8.9 157 1068 146 8.8 153 1067 144 8.6 150 1066 142 8.5 149 1065 140 8.4 146 1064 138 8.3 143 1063 136 8.2 141 1062 134 8.0 138 1061 131 7.9 135 1060 129 7.7 133 1059 127 7.6 130 1058 125 7.5 127 1057 123 7.4 125 1056 120 7.2 122 1055 118 7.1 119 1054 117 7.0 117 1053 114 6.8 114 1052 111 6.7 111 1051 109 6.5 109 1050 106 6.4 106 1049 104 6.2 103 1048 102 6.1 101 [p. 179] 6°5 6°0 5°5 5°0 4°5 4°0 3°0 2°0 1°0 1047 100 6.0 98 1046 98 5.8 95 1045 95 5.7 93 1044 93 5.6 90 1043 91 5.5 88 1042 88 5.3 85 1041 86 5.2 82 1040 84 5.0 79 1039 82 4.9 77 1038 80 4.8 74 1037 78 4.7 71 1036 76 4.5 69 1035 74 4.4 » 1034 72 4.3 » 1033 70 4.2 » 1032 68 4.1 » 1031 66 4.0 » 1030 63 3.8 » 1029 61 3.7 » 1028 59 3.5 » 1027 57 3.4 » 1026 55 3.3 » 1025 53 3.2 » 1021 45 2.7 » 1020 42 2.5 » 1015 31 1.9 » 1014 29 1.7 » 1010 21 1.3 » 1007 15 0.9 » 1005 10 0.6 » L'emploi du densimètre peut permettre de suivre la marche de la fermentation, et ce n'est pas là un de ses moindres avantages. Si le brasseur a pris soin de noter la densité du moût [p. 180] au moment de le mettre en fermentation, il lui sera facile de se rendre compte de la quantité d'alcool obtenu et de celui qui reste à obtenir. Le jus pesant primitivement, par exemple, 1078 au densimètre, il doit fournir 10 litres d'alcool par hectolitre. Au moment où on l'observe à nouveau, il ne pèse plus que 1040, ce qui promet encore 5 litres d'alcool. La fermentation est donc arrivée à la moitié de son développement. Vente et achat des pommes et des poires. C'est le plus souvent chez le cultivateur que les pommes et les poires sont transformées en boissons. Chacun fait son cidre et son poiré. La provision de la famille assurée, le reste est vendu. Mais nombre de cultivateurs récoltent une quantité de pommes de beaucoup supérieure à leurs besoins ; ils ne veulent pas s'embarrasser des soucis que donnent la fabrication, la conservation et la vente du cidre ; ils vendent leurs pommes. Ces pommes sont achetées le plus souvent par des commerçants, qui spéculent sur le bénéfice que leur donnera le brassage ; aussi à côté de la fabrication domestique rencontre-t-on une fabrication véritablement industrielle. Nous devons dire quelques mots de ce commerce des pommes. On a proposé de n'acheter les pommes qu'à la densité du jus, comme cela se pratique pour la betterave. Mais immédiatement se présente une grosse difficulté. Les pommes, dans la plupart des cas ne sont pas complètement mûres au moment où la vente s'effectue ; leur achat fait à la densité c'est-à-dire en prenant pour base la quotité des principes utiles qu'elles renferment, aurait pour conséquence forcée de retarder les payements, et les ventes se font partout au comptant. Il [p. 181] faudrait donc changer les habitudes actuelles du commerce ce qui est assez difficile à réaliser. Dans l'état de la question les seules garanties que puisse demander l'acheteur, sont : 1° que les pommes soient cueillies à maturité ; 2° qu'elles soient li vrées par espèces séparées : 3° qu'elles soient réc oltées sans gaulage ; 4° que la provenance soit indiquée et gar antie. CHAPITRE II Composition du cidre. — Cidre pur. — Cidre gracieux ou mousseux, pommé crémant. — Cidre de ménage. — Petit cidre de presse. — Cidre limousin. — Poiré. — Cidresse. — Cidre de ménage obtenu par macération ou lixiviation. — Doit-on écraser les pépins ? — Emploi de l'eau. Composition du cidre. La consommation du cidre s'est notablement accrue, depuis quelques années, dans les quatre grands centres de population, particulièrement à Paris. Cependant nous devons signaler à l'heure actuelle, un arrêt dans la vulgarisation de cette boisson. Cet arrêt nous l'attribuons à la mauvaise qualité d'un grand nombre de cidres. Un cidre pur contient, au moins : Alcool 5 à 6 0/0 Extrait à 100° par litre 30gr, Cendres 2gr,8 Pour apprécier un cidre il est utile de doser : l'alcool, les matières sucrées, les cendres, l'acide acétique, l'extrait, les matières pectiques. Il est essentiel que la teneur en alcool soit accompagnée de la teneur en sucre et en acide acétique. [p. 182] En effet, beaucoup de cidres sont consommés alors qu'ils contiennent encore des quantités relativement fortes de principes sucrés, qui s'élèvent quelquefois à 50 et même 60 grammes par litre. Ces cidres qui ne renferment que 2 à 4 0/0 d'alcool, présenteraient une teneur de 6 et 8 0/0 si la fermentation était complète. Ce sont d'excellents cidres. En cela, le cidre se distingue nettement de la plupart des vins dont la fermentation a été prolongée assez longtemps pour que le sucre contenu primitivement dans le jus de raisin ait presque entièrement disparu. D'autres cidres complètement fermentés, possèdent une saveur acétique. Ces cidres ont subi un commencement de décomposition, et la présence de l'acide acétique dénonce une perte en alcool. Dans beaucoup de cidres encore sucrés la saveur acétique n'est pas sensible bien qu'une altération se soit déjà produite. Lorsqu'il s'agit de décider si un cidre est pur ou s'il a été additionné d'eau, il est indispensable de connaître la teneur en acide acétique et en alcool, afin d'en déduire la teneur primitive en sucre ; car il est nécessaire de comparer le poids de sucre primitivement contenu à celui de l'extrait sec. Les cidres purs sont rares, les bons cidres du commerce contiennent en général 20 0/0 d'eau. Cidre pur. Les cidres sont rarement purs, avons-nous dit, les cultivateurs normands et bretons semblent éprouver comme un besoin irrésistible de les mouiller. Demandez-leur la raison : C'est que le cidre pur monte à la tête, vous répondent-ils. Et si vous ajoutez : « Mouillez s'il vous convient les cidres que vous destinez à votre consommation, mais laissez purs ceux que vous destinez à la vente. » Ils [p. 183] vous diront : « Nous faisons des cidres comme on nous les demande, et puis si nous les faisions purs, nous ne pourrions jamais nous y retrouver, et les prix qu'on nous offrirait ne seraient pas en rapport avec le coût de la marchandise. » Il est incontestable que les cidres gracieux contenant 20 0/0 d'eau, alors qu'ils sont encore légèrement sucrés constituent une agréable boisson, mais ils ne peuvent ni se conserver longtemps, ni se transporter au loin. Ces cidres sont demandés par la clientèle locale, mais en s'obstinant à les fabriquer presque exclusivement, on renonce à l'extension de l'usage du cidre en dehors des pays qui le préparent. Les cidres purs sont obtenus par pressurage des pommes réduites à l'état de pulpe plus ou moins fine. En général, on laisse cuver la pulpe pendant douze ou quinze heures avant de la porter au pressoir. On la soumet ensuite à une pression graduée jusqu'à ce qu'elle ait rendu environ 70 0/0 du poids des fruits employés. Ce cidre, que l'on prépare le plus ordinairement avec des pommes de deuxième et de troisième saison, se conserve très bien pendant plusieurs années, lorsqu'il a été fait avec soin. Bien qu'on ait peu de tendance en Normandie à fabriquer les cidres purs, il y a peu de maisons, parmi celles où l'on fait du cidre la boisson habituelle de la famille, qui ne tienne en réserve, pour les années de disette, une pièce ou deux de cidre pur. Cette réserve sera utilisée, le moment venu, pour faire des mélanges avec des cidres pauvres ou même avec de l'eau pure. C'est ainsi, du reste, que l'on procède dans les villes soumises à un droit d'octroi. On introduit des cidres purs, faits avec des moûts pesant 1075 en moyenne et contenant 9 à 10 0/0 d'alcool ; puis, les droits acquittés, on les dédouble par addition d'eau de façon à les ramener à une teneur en alcool de 5 à 6 0/0 et quelquefois moindre. [p. 184] Cidre gracieux ou mousseux, pommé crémant. Les cidres purs obtenus à l'aide de moûts pesant au densimètre une moyenne de 1075 sont loin d'être une boisson de table agréable. Si l'on veut savourer le parfum de la pomme, si l'on veut déguster un cidre délicat et plaisant, c'est le pommé crémant qu'il faut choisir. Ce cidre est fait avec des variétés qui mûrissent à fin octobre et première quinzaine de novembre. On choisit les fruits les plus sucrés et les plus parfumés. Les jus pèsent de 1052 à 1060. Ces cidres sont gracieux ou mousseux. La différence de l'un à l'autre tient seulement au mode de conservation. Les cidres mousseux ont été conservés en bouteilles, les cidres gracieux sont gardés en fûts. « Les meilleures proportions à employer pour obtenir 6 hectolitres de pommé sont 12 hectolitres de fruits parfaitement mûrs et sains qui, écrasés, mis à cuver douze à quinze jours, sont pressurés de façon à tirer 3 hectolitres de jus pur (24 seaux). Le marc démoûté est arrosé de 26 seaux de bonne eau, il cuve de quinze à vingt heures et est pelleté de temps à autre ; on le pressure à nouveau, on recueille facilement un hectolitre de moût à 7° Baumé environ que l'on mélange au premier jus extrait, on fait fermenter ; on soutire d'abord entre deux lies et on reçoit le cidre dans deux fûts très propres et purgés d'air, où il est additionné de suite d'une solution de 250 grammes de cachou par fût [12]. » Cidre de ménage. Le bon cidre de ménage, bien préparé et bien conservé, est limpide et clair, d'une belle couleur ambrée, [p. 185] d'un goût piquant et agréable. C'est une boisson salubre, désaltérante ; celle qui convient le mieux à l'habitant des villes, qui, par sa vie affairée ou très sédentaire, est souvent prédisposé au fonctionnement irrégulier de l'appareil digestif. Pour préparer le cidre de ménage, on emploie d'ordinaire 20 hectolitres de pommes de deuxième ou de troisième saison assorties, de manière à donner un moût de 1045 de densité, ou 22 hectolitres de fruits de première saison, en vue de recueillir 12 hectolitres de boisson. Après avoir préparé et nettoyé avec un soin extrême les appareils et les vaisseaux qui doivent servir à préparer le cidre ou à le recevoir. On extrait de la pulpe, par pressurage, environ 4 hectolitres de jus, qu'on répartit par portions égales dans les pièces. On démoûte ensuite le marc et on l'additionne de 4 hectolitres et demi d'eau ; on laisse macérer douze à quinze heures, on remet sur le pressoir et on extrait 4 hectolitres de jus que l'on répartit comme précédemment. Après quoi nouveau démoûtage du marc, nouvelle addition d'eau et nouvelle extraction de jus. Petit cidre de presse. Souvent dans les ménages laborieux et économes on réduit la quantité de pommes employées. Pour obtenir comme précédemment 12 hectolitres de boisson, on emploie seulement 16 hectolitres de pommes de deuxième ou de troisième saison ou 18 hectolitres de fruits de première saison. Dans les années de disette lorsque les pommes atteignent des prix élevés on réduit même encore ces quantités, respectivement à 12 et 14 hectolitres. Pour obtenir 12 hectolitres de cidre on opère comme pour les cidres de ménage, et l'on fait trois et même quatre pressurages précédés d'addition d'eau et de [p. 186] macération. Quelquefois après chaque démoûtage les marcs sont repassés au broyeur. Lorsque l'opération est bien conduite on obtient encore des cidres alcoolisés à 3 0/0. Ce titrage peut être remonté par addition de sucre, comme on le verra lorsque nous traiterons du sucrage des moûts. Cidre limousin. En Limousin on a planté depuis quelques années beaucoup de pommiers. On y prépare le cidre d'une façon qui nous paraît tout à fait rationnelle. Les pommes broyées sont pressées sans addition d'eau, on obtient un premier jus pur que l'on fait fermenter à point. C'est le premier cidre, dit cidre de conserve. Les marcs après ce premier épuisement sont jetés dans des fosses et additionnés d'une quantité d'eau égale à la quantité de jus pur enlevée. On laisse cuver pendant douze ou vingt-quatre heures et l'on porte au pressoir. Le cidre que l'on obtient est mis en fermentation et se rapproche beaucoup du cidre gracieux. On peut mouiller le marc une deuxième fois et obtenir un petit cidre de ménage très agréable. Poiré. Le poiré se prépare comme le cidre, à cette différence près que les pulpes de poires sont pressées immédiatement et sans subir de macération préalable. Le poiré pur est une boisson très alcoolique et très excitante, parce qu'en général elle contient peu de tannin. On peut admettre que la qualité d'un poiré dépend surtout de sa richesse en tannin, c'est pourquoi nous n'avons cessé de recommander les variétés de poires les plus riches en acide tannique. [p. 187] On peut préparer un poiré capable de bien se conserver en fûts, en procédant de la manière suivante : Après avoir exprimé les fruits et démoûté le marc, on arrose celui-ci de bonne eau, dans la proportion de 12 à 15 litres par hectolitre de fruits employés. On repasse au broyeur la pulpe ainsi humectée et l'on presse vigoureusement. Le produit de cette seconde pression est ajouté à celui de la première. Cidresse. On appelle cidresse, une boisson tirée d'un mélange de pommes et de poires. Cette boisson ne peut se conserver longtemps. On obtient une bonne cidresse, en employant 12 hectolitres de poires mélangées à 2 hectolitres de pommes pour recueillir 12 hectolitres de liquide. Cidre de ménage obtenu par lixiviation. Dans les petits ménages où l'on ne possède pas de pressoir on procède à la préparation du cidre par une méthode tout à fait différente de celle employée pour la fabrication des cidres que nous venons d'énumérer. Les pommes ayant été écrasées, la plupart du temps au pilon, on les met dans des cuves ouvertes, ordinairement constituées par un baril défoncé ou par un demi-baril. On les additionne d'eau et on laisse macérer pendant un jour ou deux puis on soutire. Le jus extrait est mis en tonneau, et remplacé dans les cuves par une nouvelle quantité d'eau. On procède de la même façon jusqu'à complet épuisement du marc. Par cette méthode, on obtient avec 6 hectolitres de pommes, 6 hectolitres de cidre titrant environ 4° d'alcool. [p. 188] Cidre commercial préparé par lixiviation. La méthode par lixiviation que nous venons de décrire sommairement a reçu dans ces dernières années quelques applications industrielles. Dans quelques grandes brasseries de cidre on a élargi et perfectionné la méthode que l'on applique alors sur une grande échelle. Les partisans de la fabrication du cidre par macération se font fort d'extraire par 100 kilogrammes de pommes de 75 à 80 litres de jus pesant de 1040 à 1050, alors qu'avec le pressoir on n'extrait que 60 à 70 litres de jus dans les mêmes conditions. Nous nous étendrons dans un prochain chapitre sur cette fabrication actuellement à l'ordre du jour ; mais nous donnerons la priorité à la description de la fabrication usuelle par pressurage. Doit-on écraser les pépins ? Avant d'entrer dans les détails de la fabrication des cidres et des poirés, nous devons dire quelques mots d'une question fort controversée : doit-on écraser ou ne doit-on pas écraser les pépins ? Les pépins des pommes et des poires contiennent deux huiles. La première volatile et essentielle, identique à celle des amandes amères ou de noyau ; l'autre est fixe, insipide, et par conséquent incapable de communiquer un mauvais goût au cidre. Les partisans de l'écrasement des pépins soutiennent que lorsque ceux-ci ont été écrasés, le cidre se conserve mieux, qu'il est moins sujet à durcir, qu'il a meilleur goût, et qu'il est beaucoup plus alcoolique. Il est difficile de donner un démenti aux premières de ces affirmations, mais la dernière est certainement erronée, ainsi que l'a démontré M. Berjot, de Caen. Il a extrait tous les pépins contenus dans une masse [p. 189] de marcs ayant donné 1600 litres de cidre. Le poids de ces semences s'élevait à 15 kilogrammes. Elles furent décortiquées et donnèrent 8kg,250 d'enveloppes et 6kg,750 d'amandes. En admettant que dans ces amandes la teneur en sucre atteint 9 0/0, ce qui est certainement un maximum, on aura 607gr,5 de sucre qui, par une bonne fermentation, donnera à peine 0l,250 d'alcool. Cependant il semble établi que les cidres faits avec des pommes dont les pépins ont été écrasés enivrent facilement. Cette propriété d'après M. Hauchecorne doit être attribuée à l'essence de noyau qui agit d'une manière intense sur le cerveau. La plupart des auteurs qui ont écrit sur la fabrication du cidre recommandent, au contraire, d'éviter le broyage des pépins, l'huile essentielle communiquant au moût un goût amer et peu agréable. Comme conclusion on peut dire que pour les cidres de qualité supérieure, il vaut mieux ne pas écraser les semences, afin de ne pas masquer le goût fin de certains crus renommés. Pour les cidres de seconde qualité il n'y a aucun inconvénient et même quelquefois il y a avantage à écraser les pépins, l'essence pouvant donner une sorte de bouquet à ces cidres qui en manquent et dissimuler le goût de terroir. Lorsque les cidres doivent être distillés, il est indispensable de broyer les semences. L'essence du pépin, en passant à la distillation, communique à l'eau-de-vie un goût de noyau caractéristique. En vieillissant, cette essence se décompose insensiblement en acide benzoïque, qui donne à l'eau-de-vie de cidre et de poiré ce parfum balsamique estimé et recherché des amateurs. Emploi de l'eau. En moyenne 100 kilogrammes de pulpe contiennent 83 kilogrammes d'eau et 12 kilogrammes de matières [p. 190] solubles, c'est-à-dire 95 kilogrammes de matières extractibles. Par compression on obtient rarement plus de 70 kilogrammes de moût. C'est-à-dire que plus de 26 % du jus et par conséquent 26 % de la matière sucrée reste dans les marcs. Nous venons de voir que l'on additionne ordinairement ces marcs épuisés par une première pression, d'une certaine quantité d'eau, et qu'on les presse à nouveau après macération. Dans la préparation du pommé crémant, la quantité d'eau ajoutée au marc est à peu près égale à celle du jus extrait par la première pression. En supposant, ce qui est certain, que nous obtenions à la deuxième compression de 100 kilogrammes de marc macéré 70 kilogrammes de jus, nous extrairons 74 % du sucre à ce moment contenu dans les marcs, c'est-à-dire 26 X 0,74 = 19,24 % du sucre total contenu dans les pommes. Nous avons donc extrait par ces deux pressions 93,24 % du sucre total. Il en reste encore dans les marcs 6,76 %. Si l'on procède, comme pour les cidres de ménage, à un nouveau trempage et à une nouvelle macération, on pourra encore en extraire 5 % et le marc sera bien près d'être épuisé. On doit rechercher pour mouiller les cidres des eaux pures et limpides. On ne saurait trop s'élever contre un préjugé encore répandu dans beaucoup de campagnes, savoir : que les eaux de mares sont préférables pour préparer les boissons aux eaux claires des sources. Les mares sont souvent situées à proximité des fumiers et contiennent en dissolution tous les égouts des écuries. Leurs eaux qui renferment les germes de toutes les affections putrides peuvent porter le trouble au sein des organismes les plus robustes. Beaucoup de cultivateurs sont persuadés que la fermentation décompose et anéantit toutes les substances qui pourraient être nuisibles ou simplement désagréables, en un mot qu'elle détruit [p. 191] toutes les impuretés. Il n'en est malheureusement pas ainsi ; les eaux malsaines communiquent au cidre un goût désagréable, et peuvent y déposer une foule de germes morbides. CHAPITRE III Concassage des pommes. — Bocard. — Tours à piler. — Râpes. — Concasseurs. — Pressoirs à vis en bois. — Pressoir à vis en fer. — Effet utile des pressoirs. — Presse hydraulique. — Installation industrielle pour la fabrication du cidre par compression. Concassage des pommes. Il y a une centaine d'années on se servait pour le concassage des pommes du bocard et du tour à piler. Le premier de ces instruments n'est plus employé, le second tend à disparaître. On se sert aujourd'hui presque exclusivement de concasseurs et de râpes. Bocard. Nous dirons seulement quelques mots de cet appareil, dont la description n'a plus qu'un intérêt historique. Le bocard se composait d'une série de pilons battant dans une même auge, chaque pilon était formé d'une flèche verticale en bois, guidée verticalement entre deux paires de moises horizontales. Le soulèvement des pilons était obtenu au moyen d'un arbre à cames placé en avant des batteries. Les cames étaient rangées en hélices le long de l'arbre de manière à soulever les pilons alternativement. [p. 192] Tours à piler. Bien que différent dans les détails de leur construction, les tours à piler se composent essentiellement d'une meule tournant dans une auge. Quelquefois l'auge est annulaire. Elle est alors formée par une sorte de canal circulaire de 10 à 20 mètres de circonférence (fig. 85), en pierre ou en bois, ayant une profondeur de 30 centimètres environ et des bords légèrement évasés. Les pommes sont déposées dans l'auge sur une épaisseur de 10 à 15 centimètres. Elles sont écrasées par une meule verticale en pierre ou en bois dur de 1 mètre à 1m,60 de diamètre et de 15 à 30 centimètres d'épaisseur. La meule est montée sur un arbre horizontal qui pivote autour d'un axe vertical planté au centre de l'auge. Elle est mise en mouvement par un cheval attelé à l'extrêmité libre de l'arbre horizontal. [p. 193] D'autres fois l'auge n'a plus que 2 mètres à 2m,50 de diamètre, et la meule au lieu d'être entraînée directement par le cheval, est commandée par un manège. L'auge n'a plus la forme d'un canal mais celle d'une cuvette. Le conducteur qui suit le cheval doit sans cesse repousser sous la meule les fruits qui ont tendance à remonter le long des parois de l'auge. Souvent on dispose derrière la meule deux racloirs qui ramènent les fruits dans leur chemin, et suppléent au travail du conducteur. [p. 194] Les meules en pierre sont plus énergiques que les meules en bois. On est souvent obligé de charger ces dernières. Les meules réduisent les pommes en une bouillie difficile à exprimer et donnant un jus tourbeux, lent à s'éclaircir. Elles écrasent les pépins. Râpes. Les râpes à cidre offrent dans leur construction quelque analogie avec les râpes de sucrerie (fig. 86). Elles se composent, en général, d'un cylindre ou tambour en bois, de 40 centimètres de diamètre et de 30 à 50 centimètres de long. Les lames de scies placées dans le sens des génératrices du cylindre sont espacées de 15 à 18 millimètres. Le tambour tourne avec une vitesse de 800 à 900 tours à la minute. Les pommes sont versées dans une trémie, et viennent tomber entre le cylindre et une planche en bois dur, qui remplit une fonction analogue à celle du contre-batteur dans les batteuses à blé. Maintenues par cette planche les pommes sont attaquées par les dents des scies et réduites en pulpe fine. La plupart des cellules ont été déchirées et n'offrent aucune résistance à l'écoulement des jus. Mais l'extraction en est malgré cela assez difficile, car la masse devient compacte sous la pression. Comme lorsque les pommes ont été écrasées à la meule, les moûts sont tourbeux et lents à s'éclaircir. Les râpes déchirent les pépins à moins que les dentures de scies ne soient très grosses. On obtient un meilleur résultat en remplaçant les scies par des pointes disposées en hélice sur le cylindre et distantes les unes des autres de 20 millimètres environ. La saillie de ces pointes doit être de 8 à 10 millimètres environ. Les râpes dépensent peu de force, et font beaucoup [p. 195] de travail. Une râpe dont le tambour à 30 centimètres de largeur peut être facilement mise en marche par deux hommes et broyer 100 kilogrammes de pommes en deux ou trois minutes. Concasseurs. Le concasseur le plus employé (fig. 87), se compose de deux séries de cylindres en fonte dure ou en acier. La première série est armée de longues dents qui s'engrènent et divisent grossièrement les pommes. Les fragments passent ensuite au travers de la deuxième série de cylindres, qui complète le broyage. Ces seconds [p. 196] cylindres sont tantôt unis, tantôt armés de cannelures. Ils peuvent être à volonté, éloignés ou rapprochés suivant que l'on veut broyer plus ou moins finement, ce qui permet de ne pas écraser les pépins. Les cylindres ont de 15 à 25 centimètres de large, et de 12 à 15 centimètres de diamètre. Avec de semblables concasseurs deux hommes peuvent broyer 100 kilogrammes de pommes en huit ou dix minutes. Pressoirs à vis en bois. Lorsque les pommes ont été réduites en pulpe, on en extrait le jus au moyen de pressoirs. Le vieux pressoir à coin qui fut longtemps l'outil de nos pères, a complètement disparu. Les pressoirs à vis en bois et à cabestan, qui succédèrent au pressoir à coin cèdent place à leur tour au pressoir moderne à vis en fer. Cependant on en trouve encore un assez grand nombre en usage. Les pressoirs à vis en bois (fig. 88) se composent de deux montants massifs en bois de chêne, réunis en bas et en haut par des entretoises robustes. Sur la plus basse de ces entretoises, solidement moisées sur les montants, auxquels les relient encore de forts boulons en fer, est posée la maie ; l'autre entretoise sert de point d'appui à la vis et reçoit l'écrou. On opère la pression en faisant descendre la vis, qui agit sur un plateau, audessous duquel se trouve la matière à essorer. Prise entre le plateau et la maie, cette matière laisse échapper le jus qu'elle contient. Le plateau est guidé dans les montants du pressoir et sert lui-même de guide à la vis dans son mouvement de descente. Cette disposition, que l'on retrouve dans quelques pressoirs modernes très perfectionnés, n'est pas sans présenter certains avantages, surtout lorsqu'il s'agit [p. 197] de traiter des marcs de pommes, et c'est le cas qui nous intéresse, mais elle a l'inconvénient d'être coûteuse et de rendre les appareils peu transportables. Pressoirs à vis en fer. Dans la disposition la plus communément acceptée de nos jours (fig. 89), le pressoir se compose d'une [p. 198] plate-forme ou maie supportée par une forte traverse appelée quelquefois sous-marc, base et fondement de la machine. La vis, en effet, est attachée sur cette traverse, qui doit être capable de résister à l'effort déployé pendant le travail. La vis traverse le maie en son centre ; elle porte un écrou qui, par sa descente, produira la pression. Dans le premier système, l'écrou était fixe, et la vis mobile pouvait descendre pour le serrage, monter une fois l'opération terminée ; ici, tout au contraire, la vis est fixe et l'écrou, par son mouvement descensionnel ou ascensionnel, produit le serrage ou le desserrage. L'appareil est plus simple, plus léger, par suite plus transportable ; les montants ont disparu et les deux entretoises se réduisent à la traverse qui supporte la maie. En revanche, la vis, qui n'est plus, comme dans le premier système, guidée en deux points, mais prise seulement à l'une de ses extrémités, risque d'être faussée plus facilement. La traverse sur laquelle est fixée la vis, reçoit aussi [p. 199] les pieds du pressoir, dont la hauteur est calculée de façon à ce que la manoeuvre soit facile. Pour se solidariser avec la traverse, la vis est terminée à sa partie inférieure par une large tête en fonte, coulée sur la vis elle-même, et qui s'appuie sur le dessous de la traverse. La face supérieure de la traverse supporte la maie. La maie doit être résistante, étanche, durable et facile à nettoyer. Elle est le plus généralement constituée comme le représente la gravure (fig. 89), par une plate-forme, faite de forts madriers de chêne, de hêtre, ou d'un autre bois dur. La maie est plus souvent munie de rebords en bois, mais quelquefois aussi on se contente de tracer une rigole dans l'épaisseur des madriers. Les madriers sont assemblés à rainure et languette, et quelquefois aussi à plat-joint ; dans tous les cas, ils sont maintenus serrés par des tiges à écrou en fer, qui traversent la maie dans toute sa largeur. Il arrive que les maies ne soient pas étanches d'elles-mêmes ; il faut alors les calfater, mastiquer les trous, après avoir fortement serré les écrous des tringles d'assemblage dont nous venons de parler. De temps à autre, il sera bon de s'assurer que ces écrous sont à fond de serrage. Lorsque le bois présente des fissures, des fentes ou des noeuds, ce qu'il est bon d'éviter avec soin, car le nettoyage devient plus difficile, on garnit ces défectuosités d'un mastic composé de résine fondue avec un peu de suif et de cendre fine. Ce mastic doit être employé à chaud. Depuis quelques années, on cherche à propager les maies métalliques, qui ont l'avantage d'être toujours étanches, mais qui ont l'inconvénient de coûter cher et de demander un autre genre d'entretien ; car si elles ne sont pas peintes avec soin et si le métal est à nu, elles peuvent noircir les jus, l'acide tannique attaquant le fer et formant un composé noir, qui n'est autre que l'encre à écrire. [p. 200] Certaines de ces maies sont en fonte et doivent être rigoureusement écartées, car elles résistent rarement longtemps au travail qu'on exige du pressoir. D'autres, en forte tôle de fer et consolidées par des poutres en fer à double T, jouant le rôle de sous-marc, peuvent rendre de bons services et être acceptées sous réserve des observations que nous avons présentées. Les pommes broyées ou râpées, destinées à être pressées, sont jetées immédiatement sur la maie, ou mieux sur une claie en bois reposant sur la maie dite claie de fond, qui joue le rôle de drain et facilite l'écoulement du liquide. Quelquefois, on forme, tout autour de la maie, à quelque distance du bord, une espèce d'enceinte en paillasson et c'est dans cette enceinte que l'on entasse et pile le marc. Le chargement fait, on recouvre la pulpe d'un plancher sur lequel on empile les bois de charge et enfin le mouton ou blair, pièce de bois en une ou deux parties qui embrasse la vis et sur laquelle agit l'écrou qui fait le serrage. Après qu'on a opéré une légère pression, on enlève le paillasson et l'on recoupe avec un grand couteau le marc qui dépasse le plancher supérieur et l'on continue le serrage. Le drainage est très souvent complété par la division du marc en assises horizontales au moyen de couches de paille ou de claies d'osier, ou mieux de claies de chêne ou de hètre fraîchement coupées et munies de leur peau. Le bois vert abandonne au jus une certaine quantité de tannin, et facilite la conservation du cidre. La paille a le défaut de donner au cidre un goût désagréable. Quelques cultivateurs pressent le marc de pommes après l'avoir introduit dans des sacs en toile ou en crin ; c'est une méthode excellente, très propre à faciliter l'écoulement du jus, mais qui a l'inconvénient d'être coûteuse. [p. 201] Les pressoirs sont généralement vendus munis d'une claie circulaire cage ou danaïde. C'est une enveloppe verticale, que l'on pose sur la maie, comme le paillasson dont nous avons parlé plus haut. Elle est formée de liteaux de bois placés verticalement et espacés de un à deux centimètres. Les liteaux sont réunis par deux ou trois cercles en fer, ou plutôt par des demi-cercles, car la claie est en deux parties ; la jonction se fait au moyen de clavettes, de verrous ou de charnières. Le chargement s'effectue comme dans le paillasson, mais comme la claie est haute et relativement étroite, la masse du marc est trop épaisse, inégalement chargée, et par suite on risque de tordre la vis. Cette claie très commode lorsqu'on presse des vendanges est moins employée lorsqu'on traite des pommes ou des poires broyées. Pour retirer d'une manière pressée, telle que le marc de pommes, la plus grande quantité possible de jus, il importe de diviser la matière autant qu'on le pourra. C'est cette raison qui a conduit à l'interposition de claies en bois, de paillassons, etc., à la mise en sacs. Plus la matière sera divisée plus elle présentera de surface à l'échappement des jus, plus celui ci sera abondant. Lorsque l'on comprime des pommes broyées ou concassées, il se produit un phénomène assez remarquable. Les parties extérieures de la masse pressée, ou celles qui sont en contact avec des drains, les claies, etc., laissent d'abord écouler leur jus. Les jus de l'intérieur s'échappent ensuite en les traversant, mais ils entraînent avec eux des particules ténues qui sont cependant trop grosses pour traverser la croûte extérieure déjà relativement sèche et comprimée. Elles s'arrêtent, et peu à peu il se forme une couche pariétale dense et résistante qui empêche la compression ultérieure de la masse centrale et par suite l'écoulement du jus. Les agriculteurs fabricants de cidre savent fort bien [p. 202] à quoi s'en tenir à ce sujet, aussi pratiquent-ils souvent ce qu'ils appellent le remaniage. Lorsque l'écrou a été serré à refus et que l'égouttement du liquide a complètement cessé, on retire le gâteau ; on le brise aussi complètement que possible et l'on pratique une nouvelle serrée absolument comme avec des pommes n'ayant pas encore passé au pressoir ; une nouvelle quantité de cidre s'écoule alors. Il en serait de même recommençât-on deux et trois fois encore. Il est inutile de dire que la quantité de jus ainsi extraite irait chaque fois en diminuant. Aussi est-il préférable, au lieu de pratiquer ce remaniage à sec, de jeter le marc pressé dans des fosses, dans des barriques défoncées ou dans un récipient quelconque, d'y ajouter une quantité d'eau pure égale à la quantité du jus que l'on a obtenu et de laisser macérer pendant douze ou vingt-quatre heures. Pressant ensuite on obtiendra un jus presque aussi bon que le premier, et que le plus souvent on mélange avec lui. Un des moyens les plus propres à atténuer le feutrage des parois, est de presser avec lenteur, agissant par intermittences et laissant entre chaque serrée s'écouler quelques minutes de façon à ce qu'un certain équilibre d'humidité puisse s'établir dans la masse. Effet utile des pressoirs. L'effet utile d'un pressoir est proportionnel à la force qui agit à l'extrémité du levier, à la longueur de ce levier et inversement proportionnel au diamètre et au pas de la vis. Dans le calcul d'une vis, il faut tenir compte des frottements qui peuvent être considérables et influer d'une façon fâcheuse sur l'effet utile. Lorsqu'on dispose d'une force P, on peut calculer l'effet utile U que l'on peut obtenir d'un pressoir ; cette formule tient compte des frottements. [p. 203] <ATTformule> L est le bras ou longueur du levier de la puissance P. r est le rayon moyen de la surface hélicoïdale en contact. h est le pas de l'hélice ; c'est l'espace parcouru, suivant l'axe de la vis, pour une révolution de l'écrou. f est le coefficient de frottement. Ce coefficient varie avec les matières en contact. Il est de 0,13 pour fer sur fer légèrement graissé. [p. 204] Les surfaces se rodent dès qu'il n'y a pas d'enduits. Pour cette raison, il faut éviter de mettre un écrou en fer sur une vis en fer. Le coefficient est de 0,19 pour fer sur fonte ou sur bronze, les surfaces étant légèrement graissées ; il est de 0,54 pour chêne sur chêne sec, et de 0,44 pour chêne sur chêne savonnés à sec. Si, au lieu de connaître la force P, c'est la pression à atteindre qui se trouve déterminée, on peut avoir à calculer l'effort P qu'il est nécessaire de développer. <ATTformule> La figure 91 représente une vis à lanterne. Le levier s'engage dans une douille ou lanterne, et les hommes qui le poussent, produisent le serrage en tournant autour du pressoir. La figure 90 représente une modification de la lanterne appliquée à l'écrou. Le mécanisme comprend un déclic qui permet de revenir en arrière, sans être obligé de retirer la barre de serrage ou levier. L'effort appliqué à l'extrémité du levier agit directement sur l'écrou. Divers mécanismes ont été imaginés pour multiplier cet effort et, par suite, augmenter l'effet utile d'une force donnée. Une des dispositions les plus connues est celle de l'écrou du pressoir universel, inventé il y a une vingtaine d'années par M. Mabille, et construits aujourd'hui par un grand nombre de constructeurs, depuis que le brevet Mabille est tombé dans le domaine public. Nous décrivons ce seul écrou, parce que la plupart de ceux qui existent reposent sur le même principe et ne sont, en général, que des modifications plus ou moins heureuses de l'écrou du pressoir universel. L'écrou Mabille (fig. 92 et fig. 93) se compose, de trois pièces principales. L'écrou proprement dit qui porte un plateau circulaire horizontal, dont la couronne est percée [p. 205] de trous rectangulaires ; la tête du levier, sur lequel viennent s'emmancher deux bielles, organes de propulsion ; enfin, le siège ou crapaud, qui supporte les deux autres pièces principales et sert à transmettre la pression. Lorsqu'on imprime au levier un mouvement d'oscillation, les bielles sont alternativement poussées en avant ou ramenées en arrière. A chaque oscillation, un des cliquets que porte l'extrémité de chaque bielle fait prise, entraîne le plateau dans son mouvement en avant et fait ainsi tourner l'écrou. Pour nous rendre compte de l'avantage qu'il peut y avoir à employer ce système ou un autre analogue, appliquons la formule [13] au calcul de l'effet utile d'un pressoir à lanterne et d'un pressoir universel. Nous supposerons que dans les deux pressoirs : P, l'effort exercé, est de 50 kilogrammes. L, la longueur du levier, est de 4 mètres. r, le rayon moyen de la surface hélicoïdale, est de 0,050. [p. 206] h, le pas de l'hélice, est de 0,030. [p. 207] f égale 0,19, la vis étant en fer et l'écrou en fonte. Ces données sont communes aux deux pressoirs, mais dans le pressoir Mabille il en est deux autres qui entrent en jeu : R, le rayon du plateau mesuré jusqu'à l'axe des trous de la couronne, égale 0m,400. La distance entre l'axe autour duquel se meut la tête de bielle et point d'attache des bielles, qui égale 0,100. Pour le pressoir à lanterne on a : Effet utile U = <ATTformule> = 10.900 kilogrammes. Dans le pressoir Mabille, le levier qui agit directement sur l'écrou a une longueur égale au rayon R du plateau. La force F qui agit à l'extrémité de ce levier est : <ATTformule> = 174.400 kilogrammes. Avec le même effort on obtient un effet utile 17 fois plus grand. La pression obtenue à l'aide des pressoirs à lanterne serait absolument insuffisante si on ne la rendait plus énergique en exerçant la traction sur le levier au moyen d'un cabestan ou d'un treuil fixé entre un mur ou sur le sol. La pression produite par le serrage se transmet sur toute la surface du marc à essorer. Si cette pression atteint de 10 à 12 kilogrammes par centimètre carré, on peut espérer tirer de 65 à 70 0/0 du jus. Il faut régler la surface sur laquelle on empile le marc de façon à pouvoir atteindre cette pression. [p. 208] On a vu que la pression totale produite ou l'effet utile du pressoir est inversement proportionnel au diamètre et au pas de la vis. Il y aurait intérêt à réduire autant que possible l'un et l'autre. On est limité dans cette voie par la résistance du métal. La tension à laquelle le fer peut être soumis ne doit pas excéder 6 kilogrammes par millimètre carré ; pour l'acier cette tension sera 9 kilogrammes au maximum. Dans ces conditions, pour supporter une charge de 170.000 kilogrammes le diamètre du corps de la vis, c'est-à-dire le diamètre mesuré dans le fond des filets ne devrait être que de 160 millimètres pour une vis en acier, et 195 millimètres pour une vis en fer. Le nombre des filets en prise doit être suffisant pour que la surface de résistance à l'arrachement soit au moins égale à la section de la vis. On doit préférer les vis en acier aux vis en fer, pour la raison que les vis en acier peuvent être de plus petit diamètre. En général, les vis des pressoirs à cidre sont trop faibles. Les constructeurs poussés par les besoins de la concurrence, les acheteurs dans un esprit d'économie mal conçue tombent dans une commune erreur. Les presses hydrauliques. Dans les presses à vis, la compression est limitée par l'énorme disproportion entre le travail dépensé et le travail utilisé. Ce dernier diminue, en effet, considérablement à mesure que la pression augmente. La presse hydraulique seule permet d'obtenir dans de bonnes conditions des pressions fortes. Dans les grandes brasseries de cidre, les presses hydrauliques pourraient être utilisées avec avantage, bien que leur prix d'installation soit assez élevé. Sous sa forme la plus élémentaire (fig. 94), la presse hydraulique se compose d'un cylindre dans lequel se meut un piston du type appelé plongeur. La tête du [p. 209] piston supporte un plateau mobile sur lequel se place la matière à comprimer. Le cylindre fait corps avec une large base en fonte reliée par quatre tirants solides avec un sommier dont la face inférieure sert de plateau fixe. Les tirants ou colonnes servent en même temps de guide au plateau mobile. [p. 210] La pression s'exerce en refoulant de l'eau dans le cylindre à l'aide d'une pompe. L'eau déplace le piston plongeur et l'oblige à exercer sur la matière une pression égale à l'effort exercé sur le piston de la pompe multiplié par le rapport entre les sections du plongeur et du piston. Les volumes de déplacement devant être les mêmes, il en résulte que les chemins parcourus par les deux organes mobiles sont en raison inverse du même rapport. Les pertes dues aux frottements ne dépassent pas 15 à 20 0/0, alors que les pertes dues aux mêmes causes dans les presses à vis peuvent s'élever à 70 0/0. La compression s'opère avec lenteur, ce qui est une condition favorable à l'écoulement du jus. Avec une presse hydraulique on peut obtenir de 85 à 90 0/0 du jus contenu dans les pommes ; c'est-à-dire qu'on peut extraire 75 à 80 kilogrammes de jus pour 100 kilogrammes de pommes. Installation industrielle pour la fabrication du cidre par compression. Dans les installations agricoles, le pressoir et le concasseur sont installés indifféremment sous le premier bâtiment venu. Généralement ils sont amovibles et on les transporte suivant les besoins. Nous avons dit qu'il existait des brasseries industrielles de cidre ; quelques-unes ont une importance considérable. Les figures 95 et 96 donnent une vue en élévation et un plan d'une des plus remarquables et des plus récentes installations. Les pommes sont reçues et emmagasinées dans le grenier A, dont le plancher et deux des côtés sont fermés de liteaux en bois, laissant l'air librement circuler à travers la masse. Par une coulotte a les pommes se rendent à un élévateur [p. 211] B, qui les verse dans le concasseur C au moyen d'une chaîne à godet qui passe dans la gaine b. De chaque côté de l'atelier sont disposées 8 cuves de pressage H montées sur des wagonnets. Ces cuves ont une disposition particulière ; nous allons les décrire. Elles se composent d'une première cuve en bois cerclée de fer, qui ne diffère en rien des cuves ordinaires dans lesquelles on fait tremper les marcs. A l'intérieur une deuxième cuve, fermée de claies circulaires ou danaïdes que nous avons décrites à l'occasion des pressoirs. Sur une voie ferrée JJ roule un truc K. Ce truc est successivement amené devant chaque cuve, et la cuve est poussée dessus. Par ce moyen [p. 212] elle est facilement conduite sous la trémie du concasseur C. Celui-ci est mis en mouvement et la cuve intérieure est remplie de pulpes. Lorsqu'elle est pleine, elle est conduite sous la presse hydraulique. Les jus s'échappent, se logent d'abord dans le vide annulaire et de là sont conduits par un tuyau dans une fosse G. La cuve pressée est ramenée à sa place et l'on recommence successivement la même opération avec les autres. Les moûts qui se sont accumulés dans fosse maçonnée G sont repris avec une pompe et [p. 213] envoyés dans les cuves de fermentation. Ce premier jus pur sert à faire des cidres champagnisés. Lorsque les cuves pleines de marcs épuisés ont été ramenées à leur place, on les remplit d'eau au moyen d'une conduite I qui règne de chaque côté de l'atelier. Après 24 heures de macération, on pressera de nouveau et on obtiendra de la même manière que précédemment un moût qui fera le cidre de commerce. On ramène les cuves à leur place, on remplit d'eau une seconde fois ; on presse encore et on obtient un troisième jus qui donne un petit cidre très marchand. CHAPITRE IV La diffusion. — Préparation ménagère du cidre par lixiviation. — Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases ouverts. — Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases clos. — Installation industrielle pour la fabrication du cidre par diffusion. La diffusion. Nous avons déjà dit qu'on pouvait préparer le cidre sans pressoir, en opérant par lixiviation ou déplacement. Cette méthode est souvent désignée sous le nom de brassage à l'alambic. Originairement pratiquée dans les petits ménages, elle a été appliquée depuis quelques années dans certaines grandes brasseries, comme procédé industriel de fabrication, sous le nom de méthode par diffusion. Cette méthode, en effet, a une assez grande analogie avec celle employée pour l'extraction du jus sucré de la betterave. Comme cette dernière, elle est basée sur le phénomène d'osmose qui se produit entre deux liquides d'inégale densité, séparés par [p. 214] une membrane organique. La cloison poreuse qui sépare les deux liquides est ici représentée par les cellules des pommes coupées en cossettes ; les deux liquides sont l'eau qu'on ajoute, et le jus sucré contenu dans les fruits. Les phénomènes d'osmose sont soumis à quelques lois simples qu'on peut résumer comme suit : 1° Lorsque deux liquides de densité différente sont séparés par une membrane organique, il s'établit à travers cette membrane deux courants dirigés en sens inverse : l'un, du liquide le moins dense vers le plus dense ; l'autre, du liquide le plus dense vers le moins dense. 2° La vitesse des deux courants n'est pas la m ême. Le courant le plus rapide se dirige du liquide le moins dense vers le liquide le plus dense. 3° Les vitesses des courants sont maxima au mo ment où le phénomène commence à se produire. Les courants vont en se ralentissant, à mesure que les densités des deux liquides se rapprochent l'une de l'autre. Aussitôt que les deux solutions sont également denses on n'observe plus aucun mouvement dans la masse. C'est ce même phénomène qui entre en jeu pour donner des jus sucrés, lorsqu'on fait macérer les marcs épuisés par une première compression. Préparation ménagère du cidre par lixiviation. Dans les petits ménages on opère de la manière suivante : dans une barrique défoncée, (fig. 97), on introduit 50 kilogrammes de pommes grossièrement concassées. Sur les pommes, on verse environ 20 litres d'eau. Pour empêcher le marc de flotter et par suite de noircir, on le recouvre d'une sorte de couvercle maintenu par une cale placée sous une traverse clouée à la futaille. Au bout de douze heures, on soutire 20 litres de jus que l'on reverse sur le marc. Douze heures après, on [p. 215] soutire à nouveau 20 litres de jus, mais cette fois ils sont versés dans le tonneau où se fera la fermentation. Pour remplacer le moût extrait, on verse sur le marc 20 litres d'eau. Après douze heures, on soutire 20 litres de moût que l'on porte au tonneau et que l'on remplace par 20 litres d'eau versés dans la cuve de macération Douze heures plus tard, on soutire tout le moût contenu dans la cuve et on le joint aux soutirages précédents. Pour faciliter l'égouttage des marcs, on charge de pierres ou d'autres matières lourdes le couvercle qui empêchait les jus de surnager. Pour que les soutirages se fassent facilement, il faut avoir soin de mettre une petite grille devant l'ouverture du robinet, afin d'empêcher la pulpe de venir l'obstruer. D'après ce que nous savons des phénomènes de iffusion, le jus des pommes et l'eau se mélangent intimement. Lorsqu'on soutire, on obtient un liquide qui dose en principes solubles autant que celui qui reste à l'intérieur des cellules. Mais ce liquide ne contient que la moitié du sucre contenu dans les pommes. En effet on ne retire guère, à moins qu'on n'ait recours à la compression, qu'une quantité de moût égale à celle qu'on retirerait directement et sans macération, sous [p. 216] l'action du pressoir, et cette quantité est à quelque chose près l'équivalent en volume de l'eau ajoutée. Le marc retient donc la moitié du moût. M. Nanot a perfectionné cette méthode afin d'arriver à un épuisement plus complet des pommes et d'obtenir un cidre plus riche en alcool. Nous lui empruntons la description de son procédé. « Nous prenons, par exemple, 150 kilogrammes de pommes réduites à l'état de pulpe ; nous les divisons en trois lots de 50 kilogrammes ; chacun de ces lots est placé dans une demi-barrique. Nos trois demi-barriques ou cuves sont ensuite disposées en gradins sur une espèce d'escalier tel qu'on le voit sur la figure 98 et communiquent entre elles par des robinets dont l'ouverture intérieure est protégée par des petites grilles convexes. Il faut avoir soin de recouvrir les cuves, non pas simplement pour empêcher les marcs de flotter, mais pour diminuer l'oxydation de la matière ; sans cette précaution, la masse restant longtemps exposée à l'air [p. 217] (3 fois par 24 heures), on obtient un cidre qui noircit dans la suite. Première manipulation. — Nous versons 50 litres d'eau dans la cuve supérieure ou n° 1. Après 24 heures de macération : Deuxième manipulation. — Nous faisons passer le liquide de la cuve n° 1, en ouvrant le robinet, dans la cuve n° 2 située au-dessous. Nous versons 50 litres d'eau dans la cuve supérieure ou n° 1. Après 24 heures de macération : Troisième manipulation. — Nous faisons passer le liquide de la cuve n° 2 d ans la cuve n° 3 située au- dessous, le liquide de la cuve n° 1 dans la cuve n° 2. Nous versons 50 litres d'eau dans la cuve n° 1 . Après 24 heures de macération : Quatrième manipulation. — Nous soutirons le liquide de la cuve n° 3. Nous faisons passer le liquide de la cuve n° 2 dans la cuve n° 3 et le liquide de la cuve n° 1 da ns la cuve n° 2. Nous enlevons la cuve n° 1, et nous remplaçons sa pulpe épuisée par des pommes nouvellement concassées ; puis, au lieu de la remettre en haut de l'échelle, nous la mettons en bas. Pour cela on remonte les cuves n° 2 et n° 3 d'un gradin. La cuve n° 2 devient n° 1. — n° 3 — n° 2. — n° 1 — n° 3. Nous faisons ensuite passer le liquide de la cuve n° 2 dans la cuve n° 3 et celui du n° 1 dans le n° 2. Puis nous versons 50 litres d'eau dans la cuve supérieure n° 1. Toutes les 24 heures, on recommence cette dernière manipulation. [p. 218] Le liquide que l'on soutire toutes les 24 heures de la cuve inférieure est déversé dans le tonneau où il doit fermenter pour se transformer en cidre. Avec cette disposition, les pommes sont beaucoup plus épuisées ; elles ne renferment plus, lorsqu'on les abandonne, que le quart environ des principes utiles et le liquide que nous soutirons peut atteindre une richesse alcoolique égale aux trois quarts de celle du jus pur, et, en tous cas, bien supérieure à celle que l'ancien procédé permettait d'obtenir [14]. » Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases ouverts. Depuis quelques années, on a fait beaucoup de bruit autour de ce procédé, qui ne saurait donner des cidres purs, mais qui peut être avantageux pour la préparation des cidres de commerce. Au lieu d'être réduites en pulpes plus ou moins fines, les pommes destinées à la diffusion sont coupées en cossettes. On se sert pour cela d'un coupe-racines. La forme de ces instruments varie beaucoup. Les plus simples se composent d'un disque ou plateau vertical en fonte, monté sur un arbre horizontal mis en mouvement à l'aide d'une manivelle. Le disque est percé, suivant la direction de ses rayons ou un peu obliquement à cette direction, d'ouvertures étroites appelées lumières. C'est dans ces lumières que viennent se placer les lames tranchantes qui y sont maintenues par des boulons. En arrière du plateau se trouve une trémie dont le fond est incliné vers le disque. Les pommes sont jetées dans la trémie et viennent s'appuyer contre le plateau, où elles sont, grâce au mouvement de rotation, [p. 219] coupées en cossettes, sur une épaisseur égale à la saillie des lames sur la face interne du disque. Dans certains coupe-racines, les couteaux sont fixés sur un cône ou sur un cylindre dans le sens des génératrices. Dans ce cas, le cône ou le cylindre occupe le fond de la trémie. La figure 99 représente un couperacines à cylindre ; ce type est celui qui se prête le mieux aux gros travaux. Si le système du coupe-racines importe peu, on peut affirmer, sans crainte d'être taxé d'exagération, que du choix judicieux des couteaux dépend le succès d'une bonne fabrication. Les couteaux qui nous semblent les plus propres à donner un bon travail sont constitués par une lame ondulée en tôle d'acier fondu (fig. 100). A l'aide d'une lame de cette forme, les pommes sont coupées en petits prismes carrés de 10 millimètres de côté. [p. 220] Les pommes, ainsi divisées, sont portées dans l'appareil de diffusion. Cet appareil se compose ordinairement de seize macérateurs cubant 8 à 9 hectolitres chacun. Ces macérateurs ont environ 75 centimètres de diamètre et 2 mètres de hauteur. Ils sont disposés généralement en cercle et communiquent entre eux par une tubulure qui part de la partie inférieure de l'un pour déboucher un peu au-dessus de la partie moyenne de l'autre. Les orifices de chaque tubulure sont recouverts d'une petite grille en toile métallique qui empêche les cossettes d'y pénétrer et de les boucher. Chaque tubulure porte un robinet à trois eaux qui permet d'établir à volonté la communication entre deux macérateurs consécutifs, d'interrompre cette communication, de faire écouler le liquide à l'extérieur. La figure 101 représente une vue schématique et développée d'une batterie. Chaque macérateur reçoit de 300 à 350 kilogrammes de cossettes de pommes. L'opération est continue et se poursuit sans interruption pendant toute une campagne de fabrication. Il est facile de suivre la marche du travail. Tous les macérateurs, de 1, 2, 3... à 15, sont en communication. La cuve 16 seule ne communique pas avec les autres, elle est en chargement. Le moût s'échappe du macérateur 15. On le recueille pour le porter aux cuves de fermentation. Le macérateur 1 est alimenté d'une façon continue avec de l'eau pure provenant d'un réservoir placé au centre de la batterie, si cette batterie est circulaire. L'alimentation est réglée de telle sorte que le niveau se maintienne constant [p. 221] dans le macérateur 1. Dès que le chargement du macérateur 16 est terminé, on interrompt la communication entre les macérateurs 1 et 2. On cesse d'alimenter le 1 et on dirige le courant d'eau d'alimentation sur la cuve 2. En même temps, on fait communiquer la cuve 16 avec la cuve 15, et l'on fait échapper le moût de la cuve 16. La circulation se fait maintenant de 2, 3, 4... à 16. La cuve 1 se trouve isolée. On enlève le marc épuisé qu'elle contient et on la remplit de cossettes fraîches, après l'avoir soigneusement nettoyée. Lorsqu'elle a reçu sa charge de cossettes fraîches, on opère exactement comme on l'a fait après le remplissage de la cuve 16. On interrompt la communication des cuves 2 et 3, on alimente sur la cuve 3, on met en communication les macérateurs 16 et 1, on fait écouler le moût par le macérateur 1. La cuve 2 est vidée, nettoyée, remplie à nouveau de cossettes fraîches, et les manipulations décrites se répètent indéfiniment de cuve en cuve. On voit que l'écoulement des jus a toujours lieu par la cuve chargée des cossettes les plus fraîches, et que l'alimentation se fait sur les cossettes les plus épuisées. L'eau pure se trouve d'abord en contact avec des cossettes très peu riches en matières solubles, auxquelles elle prend ce qui reste. A mesure qu'elle s'enrichit, elle vient en contact avec des [p. 222] cossettes toujours plus riches, jusqu'à ce qu'elle s'écoule après avoir traversé des cossettes fraîches. Par cette lixiviation méthodique, on extrait, théoriquement au moins, à peu près tout le sucre contenu dans les pommes, et on doit obtenir des jus presque aussi denses que ceux qui s'écoulent du pressoir. Pour que le liquide de la cuve 1 puisse passer dans la cuve 2, il faudra que la charge, dans la cuve 1, soit supérieure à celle de la cuve 2 ; de même, pour que le liquide de la cuve 2 passe dans la cuve 3, et ainsi de suite. Par conséquent, lorsque quinze macérateurs sont en travail, la charge du liquide sur le macérateur 1 devra être assez élevée pour que la circulation puisse se faire au travers des quinze cuves. C'est pour cela que l'on donne à ces cuves beaucoup de hauteur et un diamètre relativement faible. Le moût qui s'écoule est limpide, à peu près exempt de matière en suspension. Il fermente bien et le cidre se clarifie facilement. Par contre, la marche des macérateurs est assez difficile à bien conduire ; il faut beaucoup de soin et d'attention, car la moindre négligence pourrait compromettre le travail. Il faut surtout veiller avec le plus grand soin à ce que la température ne s'élève pas dans les macérateurs, ce qui amènerait nécessairement un commencement de fermentation, et par suite un arrêt, ou tout au moins un ralentissement dans la circulation du liquide. En effet, si la fermentation commençait dans une cuve quelconque, les cossettes se couvriraient de bulles d'acide carbonique, la densité de la masse aqueuse diminuerait et, par suite, la différence de charge qui est nécessaire entre deux macérateurs consécutifs, pour que le coulage puisse se faire régulièrement, serait fort amoindrie. La fermentation gagnant de proche en proche, il pourrait arriver que le coulage ne puisse plus s'effectuer que sur un nombre restreint de macérateurs. [p. 223] La nécessité où l'on se trouve d'opérer à basse température empêche qu'on puisse se servir d'eau tiède, ce qui augmenterait la solubilité de la glucose et permettrait de diminuer le nombre des macérateurs. Il ne faut pas oublier que la glucose est trois fois moins soluble que le sucre cristallisable. Avec une batterie à cuves ouvertes ayant les dimensions précitées, on obtient de 40 à 50 hectolitres de cidre par 24 heures. Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases clos. M. Nercan a proposé de remplacer les cuves ouvertes par des macérateurs clos et capables de supporter une pression de une atmosphère et demie environ (fig. 102). Les pommes sont coupées en cossettes comme pour le travail en vases ouverts. La circulation dans les macérateurs et la marche du travail sont à peu près identiques. Les macérateurs, après avoir été remplis de cossettes, sont hermétiquement fermés. L'eau qui sert à l'alimentation arrive en charge, sous une pression de 1 à 1 1/2 atmosphère, ce qui assure une circulation régulière en dépit des fermentations, qui se produisent, du reste, difficilement en vase clos. Ce procédé permet d'employer [p. 224] l'eau tiède, d'opérer plus rapidement et de diminuer la dimension des cuves en hauteur et d'en restreindre le nombre. Lorsqu'on se sert d'eau tiède, il faut la maintenir à une température qui n'excède pas 50°, ca r si on atteignait la température de 60°, on transformerait la pectose insoluble en pectine soluble qui rendrait les cidres gras. Installation industrielle pour la fabrication du cidre par diffusion. La méthode de fabrication du cidre par diffusion est peu usitée dans les petites installations, mais il existe d'importantes brasseries établies d'après ce système. [p. 225] Les figures 103 et 104 donnent une vue en élévation et un plan d'une de ces installations. Le bâtiment a trois étages. Au troisième, un coupe-racines A pour couper les pommes en cossettes. Les pommes sont élevées jusqu'à cet appareil au moyen d'un élévateur mécanique. Une coulotte a, qui peut se déplacer en décrivant un cercle complet, conduit les cossettes dans les macérateurs C. Une distribution d'eau B, également rotative, peut, tour à tour, alimenter tous les macérateurs. Ces macérateurs sont placés au deuxième étage ; ils sont disposés en cercle. Ils communiquent entre eux [p. 226] au moyen d'une conduite. La communication peut toujours être interrompue entre deux ou plusieurs macérateurs. Ces macérateurs portent un orifice à la partie inférieure qui sert à vider les marcs épuisés. Ceux-ci tombent dans un wagonet roulant sur une voie circulaire dans le rez-de-chaussée. L'opération se passe, comme nous l'avons précédemment décrit. Les macérateurs sont tour à tour remplis. Le plus épuisé reçoit l'eau d'alimentation, qui passe dans le voisin, et ainsi de suite ; elle sort riche au maximum des matières sucrées, après avoir traversé le macérateur le plus récemment chargé. Les jus sucrés se rendent dans la fosse D où ils sont pris par une pompe qui les envoie aux cuvées de fermentation. CHAPITRE V Les levures. — Fermentation des cidres et des poirés. — Sucrage des moûts. Les levures. Le jus des pommes étant extrait par compression ou par diffusion, il faut le faire fermenter pour obtenir le cidre. Le phénomène de la fermentation alcoolique est aujourd'hui bien connu, grâce aux travaux de Pasteur. La fermentation alcoolique est une réaction chimique dans laquelle la glucose, la lévulose, la maltose ou la lactose se transforment en alcool sous l'influence [p. 227] d'un corps organisé ou levure, qui ne fournit rien de sa propre substance aux produits de la réaction, ceux-ci étant formés uniquement aux dépens de la matière fermentescible. La saccharose (sucre de canne ou de betterave) se transforme en glucose sous l'influence de la levure et devient dès lors fermentescible. L'alcool et l'acide carbonique sont les produits dominants de l'altération du glucose sous l'influence de la levure, tellement que dans la pratique on n'admet comme exacte que la formule de dédoublement suivante : C6 H12 O6 = 2 C O2 + 2 C2 46 O Glucose Acide carbonique Alcool Généralement, la fermentation alcoolique se produit spontanément dans les moûts de pommes, mais on peut déterminer la fermentation alcoolique en ajoutant de la levure au moût comme à tout autre liquide sucré. La qualité du produit fermenté est intimement liée à la nature du ferment. La réaction produite est la résultante du ferment ; tel ferment, telle réaction. Ces phénomènes, mis en lumière par Pasteur, ont révolutionné les industries où la fermentation joue un grand rôle, la brasserie de bière en particulier. Car les brasseurs de bière, les premiers, ont su profiter des progrès de la science. Actuellement, on peut dire qu'ils dirigent leur fermentation sûrement et à leur gré. Les viticulteurs et après eux les fabricants de cidre commencent également à envisager leurs fabrications sous des points de vue nouveaux et cherchent à les mettre plus en rapport avec les progrès de la microbiologie. Comme les autres ferments alcooliques, les ferments alcooliques ou levures du cidre sont formés de cellules qui bourgeonnent, dès qu'elles se trouvent dans un milieu favorable, et donnent, sur leurs côtés les plus larges, un ou deux renflements, qui, lorsqu'ils ont [p. 228] acquis la grandeur de la cellule primitive, s'étranglent et se séparent d'elle pour donner eux-mêmes naissance à des bourgeons nouveaux. M. Kayser a étudié spécialement les levures du cidre et il est parvenu à en isoler plusieurs. Il a pu ainsi constater des différences remarquables dans les produits obtenus en ensemençant un même moût de pommes avec diverses levures. Ces levures se différencient d'ailleurs sous bien d'autres rapports. Telle levure laisse beaucoup de sucre intact, telle autre transforme presque la totalité du sucre en alcool et ne s'arrête qu'en présence de quantités d'alcool relativement fortes. Telle levure exige pour bien fonctionner une température relativement élevée, telle autre préfère une température basse. Il en est qui communiquent au liquide un bouquet délicat et une saveur fine, d'autres lui laissent un goût plat ; les unes sont des levures à cidre sec : telle le saccharomyces mali Risler ; les autres, des levures à cidre doux : telles les accharomyces mali Duclaux et la levure apiculée. M. Kayser est un jeune savant aussi modeste que consciencieux, dont les travaux sur le cidre, encore à leur début, auront un jour, nous n'en doutons pas, une importance capitale pour nos agriculteurs. Comme le brasseur de bière, le brasseur de cidre pourra, dans un avenir qui n'est peut-être pas bien éloigné, être maître de sa fermentation et la diriger suivant ses besoins. La réalisation de ce desideratum présente plus d'une difficulté. Dans les moûts de pommes, nous trouvons, en effet, beaucoup de ferments réunis, bons et mauvais, et suivant que l'un ou l'autre arrive à dominer, le cidre sera plus ou moins agréable au goût, plus ou moins parfumé, de conservation plus ou moins longue et la fermentation se fera plus ou moins bien. Il semble même que, dans chaque région, il y a plusieurs [p. 229] espèces de levures qui dominent, qui y sont pour ainsi dire dans leur milieu de prédilection, qui s'y trouvent, en un mot, dans les meilleures conditions de reproduction : ce sont les levures indigènes. Il se peut parfaitement que suivant les conditions météorologiques de l'année, telle ou telle levure sera la dominante et imprimera au cidre un cachet particulier, non seulement parce qu'elle a mieux résisté aux intempéries atmosphériques, mais encore parce que, pour les mêmes raisons, elle trouve un milieu plus approprié (plus acide, etc.) que pour toute autre espèce de levure. Il s'agirait de posséder toujours, non seulement la levure la mieux appropriée au milieu et en suffisante quantité, mais encore la levure qui fournirait un produit recherché par certaines classes de consommateurs. Comment le fabricant de cidre pourra-t-il obtenir ce double desideratum ? C'est en imitant le brasseur, en faisant prendre possession du moût par une levure déterminée ; c'est en ayant recours à l'ensemencement artificiel. Il lui faudra alors se débarrasser autant que possible des ferments naturellement attachés après la pomme, soit en stérilisant le moût partiellement par un chauffage de 60° à 70°, températures auxquelles les l evures résistent rarement, soit encore en soumettant les pommes à un grand lavage pour enlever la majeure partie des ferments, soit peut-être par un filtrage avec des filtres spéciaux ou encore en ensemençant une levure déterminée en quantité suffisante pour prendre possession du terrain. Il se présentera dès lors une difficulté : celle d'avoir ces levures en suffisante quantité. Mais il s'installera des fabriques de levures ; les appareils propagateurs de levures ne manquent pas aujourd'hui : on n'a que l'embarras du choix. Une cidrerie bien installée devra même fabriquer ses levures comme cela se fait dans beaucoup de brasseries. [p. 230] Quelle quantité de levure faudra-t-il par hectolitre de moût ? Cette question n'a guère été étudiée jusqu'à présent ; ce n'est, du reste, que dans la pratique qu'on pourra trouver la solution. Si l'on se base sur les procédés usités en brasserie, où le moût est pour ainsi dire stérile et où l'on pratique depuis longtemps les soins de propreté nécessaire, on peut admettre qu'un litre à un litre et demi de levure, à l'état relativement épais, suffirait pour ensemencer un hectolitre de moût. Cette levure servirait d'abord à former de véritables pieds de cuve avec du moût qu'il serait bon de stériliser partiellement. Ces pieds de cuve pourraient mettre en fermentation de plus grandes quantités de moût. Il sera essentiel de bien mélanger cette levure au moût par une bonne agitation qui facilitera en même temps l'aération du moût. A l'heure présente, les curieux, les amis du progrès qui se trouvent parmi les fabricants de cidre peuvent se procurer des ferments purs et tenter des fermentations d'après les indications qu'on vient de lire. Qu'ils n'oublient pas qu'il est essentiel de maintenir une température convenable (de 15 à 20°) ; on a, en effet, souven t remarqué que le moût froid sortant du pressoir et arrivant dans une cuve de fermentation arrêtait la fermentation ; ceci était uniquement dû à un refroidissement trop brusque et trop exagéré. Quelle raison empêchera de maintenir la pièce de fermentation à une température modérée par un chauffage quelconque ? Peut-être aussi pourrait-on faire passer le moût, sortant du pressoir, préalablement à travers une série de tuyaux (serpentins) plongeant dans l'eau tiède, avant d'arriver dans les cuves de fermentation. Peut-être encore pourrait-on essayer les réfrigérants en poche employés en brasserie et plongeant dans les cuves, avec cette différence qu'on y ferait passer de l'eau chauffée au lieu de l'eau glacée. Ce sont là des conditions qui permettraient au fabricant [p. 231] de cidre de se rendre plus facilement maître de la marche de la fermentation et qui ne pourraient avoir que d'heureux résultats. Mais, bien entendu, c'est à la pratique de dire ici le dernier mot. Quant à la conservation des levures d'une année à l'autre, elle doit être considérée comme hors de doute ; M. Kayser a conservé des levures au delà d'une année et dans des condition excessivement défavorables, choisies à dessein. Fermentation des cidres et des poirés. Pour le moment, la fermentation du cidre et du poiré est abandonnée à la seule action des agents naturels. Le moût est ordinairement introduit dans des tonneaux bien nettoyés, francs de goût et placés dans des celliers où la température est uniforme. Bientôt la fermentation se déclare avec une certaine énergie. Elle dure plusieurs semaines. Sous l'action des levures, le sucre contenu dans le moût se transforme en alcool qui reste dans le cidre et en acide carbonique qui se dégage. C'est au dégagement intense de l'acide carbonique qu'est due l'ébullition du moût qui se produit pendant la fermentation. Au lieu de faire fermenter le cidre dans des tonneaux, où l'air nécessaire à la fermentation pénètre difficilement, il serait préférable de faire fermenter les moûts de pommes dans de grandes cuves ouvertes. C'est ainsi, du reste, que l'on procède dans l'île de Jersey, dont les cidres ont acquis une juste réputation. Par suite du large contact de l'air, la fermentation tumultueuse est beaucoup plus rapide dans les cuves ouvertes que dans les tonneaux. Elle dure quatre ou cinq jours seulement, une semaine au plus. Cette fermentation active a l'avantage de mettre obstacle aux fermentations secondaires. Les celliers, dans lesquels sont placés les tonneaux ou [p. 232] les cuves de fermentation, ont, le plus souvent, une température suffisamment uniforme mais un peu basse, 12 à 15° centigrades. La température qui paraît la plus convenable à la fermentation du cidre est celle de 15 à 20°. Il y aurait donc intérêt à chauffer les locaux ou les moûts, comme nous l'avons déjà recommandé. Quelle que soit la température à laquelle s'opère la fermentation, il faut écarter avec soin toutes les causes qui pourraient la modifier, les variations brusques de température pouvant occasionner des fermentations secondaires, qui altéreraient le cidre. Au dessous de 8° centigrades la fermentation c esse. A 10° elle a peine à s'établir ; pour la faci liter on fouette les moûts, une ou deux fois par jour, durant cinq minutes, avec un balai d'osier. Si ce moyen ne réussit pas, il faut absolument en venir à chauffer les moûts. Si on ne veut pas se résoudre à les chauffer d'une façon permanente, il faut tout au moins chauffer une certaine quantité de moût, qu'on verse ensuite dans le tonneau. Cette addition de moût chaud élève la température de la masse et facilite la fermentation. On peut aussi accélérer la fermentation en versant du moût pris dans un autre tonneau en pleine activité ; mais ce moyen ne saurait réussir que si la température du moût dans le tonneau dont on désire activer la fermentation est assez élevée pour que l'activité de la levure additionnée ne subisse pas d'arrêt. La fermentation comprend deux périodes distinctes. Dans la première, qu'on désigne sous le nom de fermentation tumultueuse, le dégagement de l'acide carbonique est abondant. Les moûts se couvrent d'une écume brune qui fait bientôt place à une mousse blanche et abondante. D'abord le moût est trouble, mais bientôt il commence à se clarifier ; les matières lourdes se déposent et forment la lie, les matières légères entraînées par l'acide carbonique qui se dégage forment [p. 233] écume à la surface. Cette écume est vulgairement désignée sous le nom de chapeau. La durée de la fermentation varie beaucoup avec la température et les procédés employés. Lorsqu'on fait fermenter en tonneau, à une température de 12 à 15 degrés, elle dure de quatre à six semaines ; dans une cuve ouverte, sous une température de 15 à 20 degrés, elle peut être achevée en une semaine. Dans la seconde période qui se poursuit, après le soutirage, pendant plusieurs mois, la fermentation se manifeste seulement par un léger dégagement d'acide carbonique. Lorsqu'on fait fermenter les cidres en tonneau, il faut laisser un vide suffisant pour que l'écume qui forme le chapeau puisse s'y amonceler. Celle-ci protège les cidres contre l'action trop accusée de l'air. Cependant, lorsqu'on ne veut pas soutirer les cidres, il est préférable de remplir les tonneaux jusqu'à la bonde, et de les maintenir dans cet état tant que dure la fermentation tumultueuse. Ainsi remplis, les tonneaux laisseront dégager par la bonde toute l'écume qui se produit du commencement à la fin de la fermentation tumultueuse, et celle-ci ne risquera pas plus tard de gâter le cidre en tombant au fond lorsqu'elle ne sera plus soutenue par le dégagement de l'acide carbonique. Vinification des cidres et poirés. Se basant sur le principe établi par Pasteur que la nature de la fermentation est la résultante de la nature du ferment, on a pensé à faire fermenter les cidres et les poirés avec des levures de vin. Les résultats ont été assez médiocres. Cependant avec des ferments de vin blanc mis dans des moûts de poirés préalablement stérilisés, on a obtenu une boisson qui a [p. 234] la plus grande analogie avec le vin de Chablis. C'est une question qui demande à être étudiée. Sucrage des moûts. Lorsque les cidres contiennent moins de 5 à 6 0/0 d'alcool, c'est-à-dire lorsqu'ils titrent moins de 5 à 6 degrés, ils ne peuvent se conserver longtemps et tournent facilement à l'aigre. Or, cela a lieu toutes les fois que les fruits sont insuffisamment mûrs, ou simplement aussi lorsqu'on emploie seules des variétés de pommes pauvres en sucre. Pour améliorer la qualité de ces cidres pauvres en alcool on a recours au sucrage des moûts avant la fermentation. Le sucrage est également employé pour relever le titre des cidres de ménage lorsque les pommes sont chères et que pour cette raison on les emploie avec parcimonie. D'après ce que nous avons vu précédemment et si nous nous en rapportons au tableau de la page 177, un jus de pommes, pour donner un cidre normal et de bonne qualité, titrant 5 ou 6 degrés, doit peser au densimètre de 1040 à 1047, ce qui correspond à 5°,5 ou 6°,5 de l' aréomètre Baumé. Toutes les fois que les moûts présenteront une densité moindre, il sera nécessaire de recourir au sucrage. Une addition de 17 à 18 grammes de sucre par litre de moût augmentera la richesse alcoolique du cidre de 1 0/0 ou de 1 degré. Si donc l'on veut augmenter de 1, 2 ou 3 degrés le titre d'une boisson, il faut ajouter par litre de moût, 1, 2 ou 3 fois 17 grammes de sucre. Nous avons déjà indiqué comment il fallait s'y prendre pour évaluer la densité d'un jus. Lorsque le jus de pommes ou moût s'échappe du pressoir, on en filtre une petite quantité au travers d'un linge fin, puis après avoir versé dans une éprouvette [p. 235] la liqueur filtrée, on y plonge l'aréomètre ou le densimètre, et on lit la densité au point d'afleurement du liquide sans tenir compte du ménisque, c'est-à-dire de la petite surélévation du liquide au contact de l'aréomètre. L'addition du sucre doit se faire avant la fermentation, c'est-à-dire pendant qu'on remplit le tonneau ou la cuve où doit fermenter le moût. On fait dissoudre la quantité de sucre à ajouter dans un peu d'eau bouillante et l'on verse le tout dans le tonneau ou la cuve. On ne doit employer que des sucres purs de canne ou de betterave ; la glucose du commerce coûte meilleur marché, mais peut communiquer au cidre un goût qui le déprécie ; elle a du reste l'inconvénient de noircir le cidre, à cause de la petite quantité d'acide sulfurique qu'elle contient toujours. Il faut employer du sucre non raffiné qui coûtera meilleur marché ; le sucre dit n° 3 de Pari s est plus avantageux. Lorsqu'on augmente la richesse en sucre d'un jus de pommes, il est prudent d'ajouter du tannin et de l'acide tartrique, à raison de 2 à 3 grammes de tannin par hectolitre et de 10 à 20 grammes d'acide tartrique, pour éviter que les cidres ne tournent à la graisse. CHAPITRE VI Soutirages. — Clarification des cidres. — Les fûts, leur nettoyage et leur entretien. — Conservation du cidre en fûts. — Conservation du cidre en bouteille ; cidre très mousseux, cidre pétillant, cidre tranquille. — Cidres champagnisés. — Chauffage des cidres. — Congélation des cidres. — Celliers et caves. Soutirages. Lorsque le chapeau est à peu près complètement formé et ne s'accroît plus que très lentement, la fermentation [p. 236] tumultueuse est terminée. Il faut soutirer le cidre, c'est-à-dire le transvaser sans sa lie dans une autre futaille. Soutirer à ce moment s'appelle soutirer entre deux lies. Nul traitement n'est plus propre à donner au cidre de la qualité, ni plus capable d'assurer sa conservation ultérieure. Cependant, il n'est pas rare de rencontrer des gens qui prétendent que le soutirage fait aigrir le cidre et que cette boisson se conserve mieux sur sa lie. Il est facile de se convaincre de la fausseté dangereuse de cette opinion, malheureusement très accréditée. Les matières qui forment le chapeau moisissent et s'aigrissent au contact de l'air. Dès que la fermentation tumultueuse est terminée, le chapeau n'étant plus soutenu par la poussée de l'acide carbonique s'affaisse et tombe au fond du tonneau. Le cidre devient trouble, perd son parfum et souvent même s'aigrit à la suite de cet accident. Comme c'est en général vers le mois de mars que le chapeau tombe, et par suite que les cidres s'altèrent, beaucoup de cultivateurs croient reconnaître en cette occurrence l'influence de la lune. « Oh ! gens candides, qui croyez à l'influence maligne de la lune sur la qualité de votre boisson, croyez plus fermement encore au bon génie, le soutirage ; mettez en pratique ses judicieux préceptes, et vous boirez de bon cidre à toutes les lunes [15]. » Lorsqu'on laisse le cidre sur sa lie, on n'a pas seulement à redouter la fermentation acétique qui lui est communiquée par le chapeau aigri ; la fermentation butyrique ne tarde pas à se manifester par suite de la décomposition des matières albumineuses qui constituent les lies, et le cidre n'est plus bon à rien, pas même à faire du vinaigre. Les Anglais et les Américains soutirent plusieurs fois le cidre pur et au moins une fois les boissons de ménage. [p. 237] A Jersey, on soutire dès que la fermentation tumultueuse est terminée ; on laisse un vide dans les fûts ; la fermentation se continue lentement, et lorsque le dégagement d'acide carbonique est tel qu'une bougie allumée, introduite par la bonde dans le vide du tonneau, s'éteint, on se hâte de faire passer le liquide dans d'autres futailles. On renouvelle ces transvasements jusqu'à ce qu'aucun dégagement n'ait plus lieu, c'est-à-dire jusqu'à ce que la fermentation soit terminée. « Ainsi préparé, disent MM. J. Girardin et Morière, le cidre se conserve parfaitement pendant plusieurs années ; il supporte facilement le transport par mer et possède une saveur piquante très agréable que l'on rencontre rarement dans nos cidres de France [16]. » Si partisans que nous soyons des soutirages, nous pensons que le dernier doit être fait avant que la fermentation complémentaire soit parachevée et qu'il est imprudent d'attendre que les boissons ne renferment plus de sucre. En effet, lorsque le cidre est arrivé à ce point, le soutirage lui fait perdre une partie de l'acide carbonique qu'il tenait en dissolution. Or, il lui est désormais impossible de régénérer cet acide carbonique, puisqu'il n'y a plus de sucre à transformer. Il a donc perdu un des éléments les plus utiles de sa conservation. Lorsque pour une raison ou pour une autre on sera amené à soutirer des cidres qui ont achevé de fermenter, il sera bon de leur ajouter une petite quantité de sucre ou de cassonade afin de faire renaître une légère fermentation qui restituera l'acide carbonique disparu. La présence de l'acide carbonique n'assure pas seulement la conservation du cidre ; elle le rend plus agréable au goût et plus digestif. Les cidres piquants, gracieux, c'est-à-dire suffisamment chargés d'acide carbonique [p. 238] dissous, sont très recherchés. Cette richesse en acide carbonique place le cidre au premier rang parmi les boissons salubres. Elle dépend uniquement de l'époque choisie pour opérer la fermeture des fûts. Clarification des cidres. Immédiatement après le premier soutirage, il faut coller le cidre si l'on veut obtenir une bonne et prompte clarification. Mais il faut se garder, comme l'ont fait certains publicistes, d'assimiler le cidre au vin et de se servir pour le coller des ingrédients qui servent d'ordinaire pour ce dernier. Pour coller le vin, on se sert généralement de blancs d'oeuf ou de gélatine ; employer ces matières pour le cidre serait aller absolument à l'encontre du but qu'on se propose d'atteindre. Le collage du vin repose sur ce fait que l'alcool, le tannin et les acides du vin jouissent de la propriété de coaguler le blanc d'oeuf et de précipiter la gélatine. « Dans le collage il arrive donc ceci : les substances albuminoïdes, — blanc d'oeuf et gélatine, — qu'on ajoute au vin y forment de suite un abondant précipité qui ne tarde pas à se déposer au fond du tonneau, et ce précipité entraîne avec lui toutes les parties de lie ou de ferment que le soutirage a pu laisser dans le vin à l'état flottant. Comme action mécanique, le collage fournit de bons résultats, surtout s'il est aidé par un peu de sel de cuisine qui donne plus de poids à la colle et plus de fixité aux lies ; mais comme action chimique, il laisse beaucoup à désirer. D'abord, il introduit dans le vin des substances de nature albuminoïde qui peuvent elles-mêmes développer un mouvement de fermentation, ainsi que l'ont démontré les expériences de M. Bouchardat ; en outre, ces matières ne sont précipitées que parce qu'elles se sont combinées avec quelques unes des matières constituantes [p. 239] du vin les plus nécessaires à sa conservation, l'alcool, le tannin ou les acides. Mais si le vin ne supporte déjà le collage à l'albumine ou à la gélatine sans voir modifier d'une façon appréciable l'équilibre existant entre ses principaux éléments, quelle résistance offrira donc le cidre qu'on sait être moins richement doté sous ce rapport que le vin, dans l'état actuel de la composition moyenne des fruits de pressoir ? Il sortira de cette épreuve assurément très affaibli, sinon entièrement dépouillé des principes qui doivent assurer sa longévité [17]. » Le seul mode de clarification ou de collage qui convienne au cidre est l'emploi du cachou. Le cachou est une substance gommeuse extraite de différents arbres du genre acacia, il est très soluble dans l'eau, mais il forme avec la pectine un composé insoluble qui entraîne par sa précipitation une partie des matières tenues en solution ou en suspension dans le cidre à la faveur de ce dernier corps. Le composé formé par le cachou et la pectine n'entraîne en se précipitant aucun atome des éléments utiles à la bonne constitution du cidre. Pour coller les cidres purs, on emploie 65 grammes de cachou par hectolitre ; pour les cidres gracieux, mousseux ou de ménage, il suffit de 50 grammes. On fait dissoudre à froid le cachou dans quelques litres de la boisson à coller, puis l'on verse dans les tonneaux. Pour les cidres mousseux qui ont besoin de présenter une limpidité exceptionnelle, on complète l'action du cachou par une addition de colle de poisson ou ichtyocolle. On ne doit employer que la colle pure provenant de la vessie natatoire du grand esturgeon et non celle qui est faite avec la membrane intestinale du mouton ou du veau. On emploie la colle de poisson à raison de [p. 240] 2 grammes par hectolitre de cidre. La colle est coupée en lanières très minces qu'on met dissoudre dans de l'eau bouillante, on ajoute à la dissolution un volume égal de pommé et le tout est versé dans la pièce et mélangé intimement par agitation. Cette colle est sans action chimique sur le cidre. Le réseau très délié qu'elle forme au sein du liquide se resserre au contact de l'alcool qui crispe seulement le tissu fin et tenace dont elle est formée, sans y rester lui-même combiné. Le collage pratiqué dans ces conditions, loin d'affaiblir le cidre, comme il arriverait avec les blancs d'oeuf et la gélatine, ne fait, au contraire, que le débarrasser des substances seules qui pouvaient compromettre sa conservation. Le moment le plus propice pour coller le cidre est celui du premier soutirage. C'est en effet, pendant la période calme qui succède à la fermentation tumultueuse, que s'opère la combinaison intime du tannin contenu dans le cachou avec les différentes matières sur lesquelles il doit tout particulièrement agir. Les fûts, leur nettoyage et leur entretien. La propreté des fûts, dans lesquels on entonne le cidre, a la plus grande influence sur sa bonne conservation. Les tonneaux grands ou petits destinés à recevoir les moûts, les cidres ou les poirés doivent être minutieusement visités, et nettoyés avec le plus grand soin. S'ils sont d'une capacité suffisante pour qu'on puisse y pénétrer, on ne manquera pas de le faire. Avant de descendre dans un tonneau qui a déjà contenu du cidre, il faut s'assurer qu'il ne renferme pas de gaz méphitique ou capable d'asphyxier. Pour cela il suffit d'introduire dans le tonneau une bougie allumée : si elle continue à brûler, on peut descendre sans crainte ; si, au contraire, elle s'éteint, il est indispensable d'aérer la futaille [p. 241] en y insufflant de l'air au moyen d'un soufflet. Le tonneau est soigneusement lavé intérieurement à la brosse, puis rincé à plusieurs eaux. Pendant qu'il est encore humide, on y fait brûler une mèche soufrée. On emploie environ 2 centimètres de mèche par hectolitre de capacité. Si le fût est trop petit pour qu'un homme puisse y descendre, il sera prudent de le défoncer, afin de pouvoir le brosser. Souvent on se contente d'y introduire une chaîne et de procéder à plusieurs rinçages en agitant le tonneau dans tous les sens. De beaucoup le premier procédé est le plus sûr. Si les tonneaux sont depuis longtemps vides, les rinçages à l'eau pure sont en général insuffisants pour les rendre francs de goût et d'odeur. Dans ce cas, il faut les brosser et les laver avec un lait de chaux. Le procédé le plus efficace pour désinfecter les tonneaux moisis ou pourris consiste à leur donner un lavage à la brosse avec de l'eau additionnée au dixième d'acide sulfurique (vitriol liquide ou huile de vitriol du commerce) ou d'acide chlorhydrique (esprit de sel). Si le lavage est insuffisant, il faut remplir les futailles de cette eau acidulée et l'y laisser séjourner pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures. Lorsque l'emploi de ces moyens est insuffisant pour enlever toute trace de mauvaise odeur, il faut recourir au chlorure de chaux. On emploie le chlorure en dissolution dans l'eau à raison de 30 à 35 grammes par hectolitre. Avant d'entonner le cidre dans des tonneaux désinfectés à l'eau acidulée ou au chlorure, il faut à plusieurs reprises les laver à grande eau. Le meilleur moyen d'avoir toujours des fûts en bon état est de les nettoyer et de les soufrer aussitôt qu'ils sont vides. Si l'on n'a pas cette précaution, les parois des tonneaux sont promptement envahies par des végétations cryptogamiques. Ils prennent un goût de moisi, si les futailles contenaient des boissons légères, un goût [p. 242] d'aigre si elles avaient renfermé un cidre pur. Par le soufrage les fûts sont remplis d'acide sulfureux qui a la propriété d'empêcher les fermentations. Aussitôt qu'un tonneau a été soufré ou méché, suivant l'expression courante, il faut avoir soin de le fermer hermétiquement. Lorsque les fûts ont été bien nettoyés avant le soufrage, et bien bouchés après, il suffit la plupart du temps de les rincer lorsqu'on veut s'en servir. Au lieu du soufrage on emploie quelquefois le flambage pour conserver les fûts en bon état. Comme le soufrage, le flambage s'oppose au développement ultérieur des fermentations, mais il est plus coûteux. Par contre, il a l'avantage de ne communiquer aucun goût aux fûts. Pour cette raison on doit le préférer, lorsque les fûts doivent être remplis à nouveau aussitôt après l'opération. Pour flamber un fût, on imprègne d'alcool un petit paquet d'étoupe auquel on met le feu. On introduit par la bonde cette étoupe enflammée, et maintenue au bout d'un fil de fer. Pendant et après la combustion la bonde doit être soigneusement fermée. Si l'on a de la vapeur à sa disposition, l'introduction d'un jet dans le fût bien fermé est un des meilleurs moyens de stérilisation. Conservation du cidre en fûts. D'après M. Morière, les cidres faits avec des pommes de première saison sont bons à boire du quatrième au sixième mois ; ceux faits avec les pommes de deuxième saison, du sixième au dixième mois ; enfin celles de troisième saison donnent des cidres buvables du dixième au quinzième mois. Les cidres de France, même les meilleurs, ne se conservent pas en général plus de trois ou quatre ans, lorsqu'ils sont gardés dans des tonneaux. Cependant, dans le pays de Caux, on arrive à faire [p. 243] vieillir les cidres en les nourrissant. Chaque année, ou tout au moins tous les deux ans, on soutire le cidre, en ayant soin de laisser de côté le peu de lie qui s'est déposée. On fait le plein dans le nouveau tonneau avec du moût ou du jus doux de pommes de même cru. On dit que par cette opération on nourrit le cidre. Ainsi traités, affirment MM. de Bouteville et Hauchecorne, les cidres peuvent arriver à une longévité séculaire sans perdre aucune de leurs qualités. En général on tire le cidre à la pièce, au fur et à mesure qu'on le consomme. Si cette boisson ainsi traitée reste quelque temps en vidange, elle s'aigrit sous l'influence de l'air. Pour éviter cet inconvénient, il suffira de verser dans la barrique une certaine quantité d'huile à manger. Elle surnage à la surface et préserve le cidre du contact de l'air. La couche d'huile doit avoir de 2 à 3 millimètres d'épaisseur. M. Nanot recommande de prendre la précaution suivante lorsqu'on tire le cidre à la pièce : placer la cannelle au milieu du fond pendant les premiers jours, ne la mettre au bas que lorsque le niveau est descendu au-dessous du premier trou. En perçant dès le début à la partie inférieure, on augmenterait les chances de décomposition du cidre, car en tirant la première moitié, chaque fois que l'on vient remplir une bouteille, la masse entière du cidre est agitée par l'abaissement du niveau. Conservation du cidre en bouteilles. Le cidre mis en bouteille se conserve beaucoup plus longtemps qu'en fût. Tel, qui en tonneau se fût conservé à peine deux ans, se trouve après cinq ans et plus de bouteille, vif, pétillant, généreux et limpide. On a pu conserver des cidres très bons pendant quinze et vingt ans ; comme le vin, le cidre acquiert de la qualité en vieillissant en bouteille. La transformation opérée [p. 244] est souvent telle que le plus habile connaisseur, mis en face de plusieurs tonneaux, ne pourrait indiquer, dans la plupart des cas, celui d'où est provenu la bouteille qu'on lui présente. « Tout est modifié, s'écrie le docteur DenisDumont, couleur, saveur, force en alcool, degré de fermentation, proportion des acides et des gaz... ; ce n'est plus le même liquide. Il est plus limpide, plus clair, il est transparent comme de l'eau-de-vie ; il se couvre dans le verre d'une fine mousse, tantôt discrète, tantôt abondante comme celle du champagne. A votre gré, il sera doux et sucré, ou bien au contraire fort, amer, alcoolique ; il offrira au besoin toutes les qualités intermédiaires. La quantité d'acide carbonique dont on peut graduer les proportions, le rendra léger, stimulant, mousseux comme le champagne ; ou bien, si vous le préférez, il restera le liquide simplement tonique et réparateur que nous avons étudié. Il se pliera à toutes les fantaisies, à tous les caprices de votre goût pour peu que votre main soit délicate et exercée [18]. » En aucun cas le cidre ne sera mis en bouteille avant que la fermentation tumultueuse soit achevée. S'il en était autrement, les bouteilles seraient infailliblement brisées, car il n'existe pas, à notre connaissance, de champenoises capables de résister à l'énorme pression produite par le dégagement de l'acide carbonique durant cette période de la fermentation. Mis en bouteille aussitôt après le premier soutirage, le cidre sera aussi mousseux que du champagne. Il sera d'autant moins spumeux que la fermentation complémentaire sera plus avancée au moment du bouchage. Aussi, suivant qu'on désire un cidre très mousseux, simplement pétillant ou tout à fait tranquille, on règle la mise en bouteille sur la fermentation. [p. 245] Cidre très mousseux. — Pour avoir du cidre très mousseux, on met en bouteille aussitôt après le premier soutirage, alors que la fermentation tumultueuse vient de cesser. A ce moment le cidre est encore très doux, très sucré. Sa fermentation continuera dans les bouteilles, mais son évolution sera lente, et il faudra attendre longtemps avant de le boire. En revanche il se conservera pendant de longues années, sucré, gracieux et mousseux. Il ne devra être logé que dans des bouteilles à champagne ou dans de forts cruchons à bière, car la quantité d'acide carbonique qui se dégagera est considérable, et la pression sera énorme. Les bouteilles seront fortement bouchées avec des bouchons de choix, et ficelées comme les bouteilles de champagne. Pendant six mois au moins, c'est-à-dire pendant toute la durée de la fermentation secondaire, elles seront tenues debout. Si l'on ne prenait cette précaution, un grand nombre d'entre elles éclateraient. Vers le mois d'août, au plus tard à l'automne, elles seront définitivement couchées. Cidre pétillant. — Pour avoir du cidre pétillant, on met en verres, lorsque le cidre va devenir piquant et agréable à boire, c'est-à-dire de six semaines à deux mois après le premier soutirage ; l'époque peut varier d'après une foule de circonstances. A ce moment le cidre est plus alcoolique, mais il est encore légèrement sucré. La fermentation continuera bien après la mise en bouteille, elle se fera même plus rapidement que dans le premier cas, mais la quantité d'acide carbonique dégagée sera beaucoup moins grande. Il n'est plus besoin de champenoise pour les renfermer, les bouteilles d'eaux minérales peuvent suffire. Il sera cependant prudent de lier les bouchons et de laisser les bouteilles debout pendant quelques semaines. Ce cidre, qui sera bon à boire beaucoup plus vite que le précédent, peut être considéré comme le type du cidre en bouteilles. Il est capable de se conserver fort longtemps. [p. 246] Cidre tranquille. — On procède à la mise en bouteilles lorsque la fermentation est complète ou à peu près. Le cidre a perdu sa saveur douce et sucrée, mais il est vif, fort, net de goût. Mis en bouteille à ce moment, il ne sera jamais mousseux ; il contiendra cependant plus d'acide carbonique que le cidre conservé dans les fûts, mais le dégagement ne sera jamais assez abondant pour mettre en péril les bouteilles, même ordinaires. Ce cidre est d'ordinaire celui que l'on préfère pour l'usage de la table. Il est toujours avantageux de mettre le cidre en bouteilles, ne fût-ce que quelques semaines. Telle est l'action de la bouteille sur cette boisson, que ces quelques semaines suffisent pour lui faire subir une amélioration appréciable. Cidres champagnisés. Nous venons de voir comment on peut préparer du cidre mousseux. Cette boisson pétillante, rafraîchissante, très agréable, a toujours été recherchée. C'est un champagne économique qui peut souvent rivaliser avantageusement avec certains vins mousseux fabriqués de toutes pièces. Depuis quelques années, ces cidres ont acquis une certaine vogue. Leur écoulement facile a excité les appétits des commerçants peu scrupuleux qui se sont mis à fabriquer des cidres mousseux, souvent inférieurs en qualité aux cidres communs que l'on boit au tonneau. Ces cidres n'ont le plus souvent de commun avec les vrais cidres mousseux que l'apparence, mais ils se vendent facilement sous des noms pompeux, tels que Champagne normand, etc. On emploie pour les fabriquer toutes espèces de cidres. On attend qu'ils aient terminé leur fermentation, afin qu'en les additionnant avant la mise en bouteilles d'une quantité donnée de sucre, on ait toujours un produit [p. 247] également mousseux. Si on employait du cidre qui ne soit pas complètement fermenté et qui contînt encore du sucre naturel, on ne saurait au juste quelle quantité de sucre il faut ajouter ; on risquerait de faire une addition trop importante qui donnerait un excès d'acide carbonique ; la pression deviendrait trop forte et les bouteilles seraient brisées. Lorsque les négociants veulent corser le cidre pour le présenter à une exposition, par exemple, ils mettent dans chaque bouteille, avant le bouchage, un petit verre de cognac ou de bonne eau-de-vie de cidre. La fabrication des cidres champagnisés que nous venons d'indiquer donne des produits relativement bons, mais malheureusement elle n'est pas la plus suivie. Dans la plupart des usines à cidres champagnisés, on vise surtout à produire bon marché. On prend le premier cidre venu : vieux, nouveau, doux, acide, peu importe ; on corrige par des mélanges et en le travaillant convenablement ses défauts les plus saillants, puis on le rend mousseux en le saturant, sous une forte pression, de gaz acide carbonique, exactement comme les siphons d'eau gazeuse. Des boissons ainsi préparées ne peuvent être que mauvaises. Il est à présumer qu'elles ne sont pas étrangères au mouvement de recul qui s'est produit dans le développement de la consommation du cidre. Chauffage des cidres. Les expériences de Pasteur ont prouvé toute l'importance du chauffage pour la conservation des vins, soit qu'on l'applique à des vins légers qui ne possèdent pas des qualités suffisantes pour supporter des transports lointains, soit qu'on l'emploie pour des vins plus complets qui, parvenus à leur maximum de leur perfection, peuvent ensuite être conservés à l'abri de toute altération. [p. 248] Le chauffage pour les cidres pouvait avoir une importance égale. M. Lechartier a fait une série d'expériences qui prouvent que, si le chauffage est inapplicable aux cidres en bouteilles, on peut l'employer avec profit à la conservation des cidres en fûts. On sait qu'une grande partie des cidres se conservent mal au bout d'un certain nombre de mois. Après la transformation totale du sucre en alcool, lorsque toute fermentation lente a cessé et qu'il ne se produit plus dans leur masse un dégagement lent et régulier de gaz acide carbonique, ils deviennent facilement le siège d'une fermentation acétique, dès que la surface du liquide est en contact avec l'air extérieur. D'autre part, dans les grandes villes éloignées des pays de production, le consommateur accepte difficilement les cidres parés et durs ; il réclame une boisson conservant encore cette saveur qu'il doit à la présence d'une petite quantité de sucre et du gaz acide carbonique. Pour satisfaire à ce desideratum il suffirait d'arrêter la fermentation. Le chauffage du cidre peut donner ce résultat. En effet, le cidre chauffé entre 60 et 65 degrés dans un appareil à circulation continue analogue à ceux qui sont employés pour les vins cesse de fermenter. Les fûts destinés à le recevoir ensuite doivent être préalablement stérilisés à l'intérieur par un chauffage à la vapeur. Les cidres chauffés acquièrent un goût de cuit qui rappelle celui de la pomme cuite et qui les rendrait impropres à la consommation si on ne parvenait à le faire disparaître. Ce qui est facile pour les cidres en baril, mais impossible pour les cidres en bouteille. Aussi avons-nous dit que le chauffage était inapplicable à ces derniers. Les cidres chauffés sont reçus dans des barils parfaitement stérilisés ; ils se conservent alors aussi longtemps qu'on le veut, pourvu qu'une cause étrangère ne vienne [p. 249] les altérer. Ils possèdent la saveur de cuit dont nous avons parlé. Lorsqu'on veut les consommer ou les livrer au commerce, il suffit pour les débarrasser de ce goût de provoquer une fermentation nouvelle, ce qui est facile. Il suffit d'ajouter au cidre chauffé du cidre conservé en bouteille ou de la levure. Une fermentation alcoolique régulière se produit dans la masse du liquide, le goût de cuit disparaît et le cidre reprend sa saveur primitive. Le cidre peut être alors livré en baril ou mis en bouteilles. Ce procédé est applicable à tous les cidres, même à ceux qui ne contiennent que 3 à 4 % d'alcool. Congélation des cidres. L'industrie des vins a utilisé avec succès la congélation pour concentrer et corser ses produits. On s'est demandé si l'industrie cidrière pourrait tirer parti d'un semblable procédé. La question a de l'importance ; les cidres de certaines régions sont faibles et se trouvent ainsi dans un état d'infériorité relativement aux produits d'autres contrées, tant au point de vue de leur richesse que de leurs qualités de conservation et de leur aptitude à supporter les transports. M. Lechartier s'est encore chargé des essais dans cette voie. Ces essais ne sont pas sortis du domaine du laboratoire, mais, tels quels, ils peuvent donner un renseignement utile. Le vase qui contenait le cidre ayant été placé dans un milieu réfrigérant, la température descendit à 3 ou 4 degrés au-dessous de zéro. Le cidre contenu dans le vase se prit alors en une masse poreuse. Vers la partie supérieure, la congélation était moins complète. Le vase fut alors retiré du mélange réfrigérant, et le liquide non congelé fut versé sur un entonnoir ; on y versa également le bloc de glace qui possédait alors [p. 250] une belle couleur jaune, due au liquide interposé entre la masse des cristaux. Peu à peu le liquide s'étant écoulé, la coloration s'affaiblit et bientôt il ne restait plus sur l'entonnoir qu'une glace incolore, composée presque exclusivement d'eau. — Elle fut rejetée. Les cidres ainsi concentrés furent mis en bouteilles ; quelques mois après, ils furent dégustés. Ils étaient bons et corsés. Par leur couleur foncée, leur qualité, leur force et leur saveur, ils se rapprochaient beaucoup des cidres les plus riches. Celliers et caves. Nous ne pouvons terminer ce chapitre sans dire quelques mots des caves et des celliers où l'on conserve les cidres. La cave est certainement le local le plus propre à la conservation des cidres et des poirés. La température d'une cave doit être constante et aussi basse que possible. Pour cela, elle doit être creusée à 4 mètres de profondeur au moins, voûtée en maçonnerie et avoir une porte qui s'ouvre au nord. L'atmosphère doit y être plutôt sèche qu'humide, et l'on ne doit jamais voir l'eau suinter sur les murailles. Autant que possible, une cave doit être creusée dans un terrain sec et imperméable à l'eau. Si l'on ne peut disposer que d'un sol humide, il faut maçonner toutes les parois, aussi bien le sol que la voûte, à la chaux hydraulique, ou mieux encore au ciment. Dans une cave, l'air doit pouvoir se renouveler facilement, afin d'enlever l'excès d'humidité, l'acide carbonique, etc... En conséquence, il faut ménager des soupiraux, que l'on ouvre lorsque la température extérieure diffère peu de la température normale de la cave. Si la température de la cave est constante, les phénomènes de la fermentation ne tardent pas à cesser [p. 251] au sein du liquide. Ce repos est favorable à l'éclaircissement du cidre. Pour la même raison, une cave doit être garantie de tout ébranlement, les moindres trépidations pouvant mettre le liquide en mouvement et l'empêcher de s'éclaircir. Elle doit donc se trouver éloignée des voies ferrées et des routes où passent de gros chariots. Très souvent on met dans les mêmes caves que le cidre des légumes, des fromages, des viandes, etc. C'est une très mauvaise coutume ; il arrive que ces matières végétales ou animales fermentent, dégagent des gaz qui vicient l'air et peuvent communiquer un mauvais goût aux boissons qu'on conserve dans le même local. Souvent les caves font défaut et le cidre est conservé dans des celliers. Un bon cellier doit être sec, suffisamment abrité pour que la température ne s'abaisse jamais au-dessous de 0° en hiver et ne s'élève pas au-dessus de 15° en été. Les celliers sont ordinairement établis en rez-de-chaussée ; néanmoins, afin d'atténuer les variations de température, on les enterre quelquefois un peu. Un cellier doit être exposé au nord, peu éclairé et entouré d'épaisses murailles. Comme dans les caves, on doit éviter de conserver dans les celliers toute matière végétale ou animale susceptible de fermenter. CHAPITRE VII Comment on prévient les maladies du cidre. — Apreté. — Acidité. Viscosité ou graisse. — Noircissement. — Trouble. Comment on prévient les maladies du cidre. Les maladies du cidre sont dues, la plupart du temps, à une fabrication défectueuse. Si l'on observait les préceptes que nous avons donnés au cours de cet ouvrage, [p. 252] les maladies qui portent atteinte à la qualité du cidre se borneraient à quelques altérations provenant de la mauvaise qualité des fruits. « En effet, soutirez et cachouez votre cidre et jamais il ne sera ni trouble ni graisseux ou visqueux, ni sujet à noircir, en présence de l'air ; fermez exactement les tonneaux lorsque la boisson est encore sucrée et jamais elle ne s'acidifiera, dût votre fût rester trois mois en perce [19]. » Lorsque les fruits sont de mauvaise qualité, ou insuffisamment mûrs, une addition de sucre devient nécessaire pour assurer la conservation du cidre. On sucre les moûts comme nous l'avons vu précédemment. Lorsque les fruits sont bons, suffisamment mûrs et récoltés avec soin, une fabrication soignée et intelligente donnera certainement un liquide dont la conservation est assurée. Si l'on emploie des eaux de mares renfermant des matières organiques, il peut se produire dans la masse du cidre une fermentation putride qui lui communique un goût détestable et peut même le rendre nuisible à la santé. Il n'y a aucun moyen de guérir un cidre dans lequel la fermentation putride a pris naissance ; mais on pourra toujours l'éviter en employant des eaux pures et en écartant avec soin les eaux chargées de détritus de matières organiques. Apreté. Les cidres sont quelquefois âpres ou surs, parce qu'ils contiennent un excès d'acide malique. C'est qu'ils ont été fabriqués avec des fruits insuffisamment mûrs ou naturellement acides. Dans les deux cas, on neutralisera en partie l'acidité ou l'âpreté en mettant 40 à [p. 253] 50 grammes de tartrate de potasse par hectolitre de cidre, suivant le degré d'âpreté du liquide. Il ne faut pas confondre l'âpreté qui est un accident plutôt qu'une maladie avec l'acidité qui est la maladie la plus grave, parmi celles qui peuvent atteindre le jus fermenté de la pomme. Acidité. L'acidité est due à la transformation plus ou moins complète en acide acétique de l'alcool contenu dans le cidre. Le cidre tend à se convertir en vinaigre, et, consommé dans cet état, il peut être très nuisible à la santé, causer des inflammations d'intestins et de véritables empoisonnements, avec aigreurs et coliques intestinales violentes. Prévenir vaut mieux que guérir, et il est toujours facile, avec quelques soins, d'empêcher les cidres de tourner à l'aigre. La seule précaution à prendre est d'empêcher le cidre de se trouver en contact avec l'air atmosphérique. Nous supposons que les fûts dans lesquels le cidre a été mis ont été, au préalable, nettoyés avec un soin méticuleux, flambés ou soufrés. Le moyen le plus simple d'éviter le contact de l'air est de maintenir dans le tonneau une certaine pression d'acide carbonique. Le cidre doit être soutiré entre deux lies, c'est-à-dire avant que la fermentation soit complètement achevée. La fermentation continue après le soutirage, et, si le tonneau a été bien fermé, l'acide carbonique qui s'est dégagé protège le cidre contre la rentrée et, par conséquent, le contact de l'air. En dehors de cette valeur préservatrice, nous avons vu que l'acide carbonique donne au cidre cette qualité si recherchée qu'on nomme le piquant, et qui est due à la présence de l'acide carbonique en dissolution. Le cidre est alors plus agréable au goût et plus digestif. Si, au contraire, le cidre est soutiré, ou si les tonneaux [p. 254] sont fermés lorsque la fermentation est parachevée, rien ne s'oppose plus au contact de l'air, et le cidre est bien exposé à aigrir si l'on ne parvient à le protéger. Nous avons donné le moyen d'arriver à ce résultat en versant dans le fût une petite quantité d'huile. Lorsque le fût est en vidange, nous avons indiqué comme une pratique avantageuse de placer d'abord la cannelle au milieu du fond. Si par oubli ou par négligence, les précautions que nous venons d'indiquer n'ont pas été prises en temps utile, si le cidre devient aigre, on peut neutraliser l'acide soit comme précédemment au moyen du tartrate de potasse, soit à l'aide du bicarbonate de soude, employés en quantité suffisante pour neutraliser complètement l'acide. L'acide acétique neutralisé n'a plus aucune action nuisible sur l'organisme ; le cidre est devenu inoffensif, mais il a perdu une partie de ses qualités toniques et nutritives. Il est devenu plat, l'acide acétique s'étant formé aux dépens de l'alcool. On peut le remonter en y ajoutant 1 à 2 kilogrammes de sucre par hectolitre et en faisant renaître la fermentation après l'avoir changé de tonneau. Si l'acidité se déclare dans un fût en vidange, et que, vu le peu de temps qui s'écoulera jusqu'au jour où il sera consommé en entier, on n'ait pas à redouter que le mal empire beaucoup, on peut le corriger de la façon suivante : Au moment de tirer la boisson, on introduit dans la carafe une pincée de bicarbonate de soude. L'acide acétique est neutralisé, il se dégage de l'acide carbonique qui rend le cidre gazeux et le convertit instantanément en une boisson agréable et salubre. Le moyen est simple et peu coûteux. Viscosité ou graisse. Le cidre devient parfois filant, visqueux et gras ; on dit alors qu'il tourne à la graisse ou qu'il est [p. 255] atteint de viscosité. Cette maladie, résultat d'une mauvaise fabrication, est due à la présence dans le cidre d'un excès de matières gommeuses alors qu'il y a pénurie de tannin. Il faut, pour parer à cette maladie, ajouter au cidre un kilogramme de sucre ou un demi-litre d'alcool par barrique, ou mieux 50 à 60 grammes de cachou dissous dans un litre d'eau. On peut encore remplacer le cachou par 12 ou 15 grammes de tannin. Mais le meilleur remède serait celui qui, préventivement, empêcherait les cidres de tourner à la graisse, et ce remède serait de favoriser la première fermentation en ajoutant du sucre au jus sortant du pressoir. Noircissement. Parfois les cidres noircissent, on dit alors qu'ils se tuent. Ils perdent la couleur ambrée et prennent une teinte plus ou moins bleuâtre. Cette altération de la couleur peut avoir plusieurs causes. Parfois elle est produite par l'utilisation de futailles malpropres ou d'eau de mauvaise qualité contenant des matières ammoniacales ou de la chaux. Ces bases saturent l'acide malique d'abord, puis, sous leur influence, les matières extractives du cidre absorbent énergiquement l'oxygène de l'air et se convertissent en un principe colorant brun foncé. On restituera à la boisson sa belle couleur blonde en mélangeant avec elle 20 à 25 grammes d'acide tartrique par hectolitre. D'autres fois, le noircissement du cidre est dû à la présence dans le liquide d'oxyde ferreux, qui, au contact de l'air, passe à l'état de peroxyde et colore la boisson en brun. Cet oxyde est généralement introduit dans le cidre par l'eau qui sert à sa fabrication, mais il peut aussi provenir de fruits récoltés sur un terrain ferrugineux. En jetant 20 à 25 grammes de tan par hectolitre de cidre, on permettra la formation d'un [p. 256] tannate insoluble qui se déposera au fond de la barrique ; l'acide tartrique a le même effet. Le noircissement ne se produit pas lorsque le cidre est saturé d'acide carbonique et surtout lorsque les tonneaux ont été soufrés. Trouble. Les cidres sont encore sujets à un autre accident qui les rend troubles. C'est-à-dire que la clarification ne se fait pas ; la boisson est lente à s'éclaircir, à se parer. Ce défaut de clarification est dû au peu de richesse des jus en sucre ou à une mauvaise fermentation. C'est surtout dans les années pluvieuses, lorsque la maturation des fruits a été incomplète, que cet accident se produit. Il faut alors soutirer le cidre et y ajouter environ 5 à 600 grammes de sucre par hectolitre. La fermentation se ranime et le cidre se clarifie promptement. En Normandie, on emploie parfois pour clarifier les cidres des sel de plomb, la céruse, par exemple. Il est inutile de dire que cet usage est des plus dangereux. La clarification au blanc de céruse constitue une falsification justiciable des tribunaux. Les personnes qui consomment le cidre ainsi falsifié ressentent des douleurs aiguës vers la région abdominale. Ces douleurs présentent tous les symptômes des coliques de plomb et peuvent même amener la mort. On emploie aussi les cendres pour clarifier le cidre ; cet usage est mauvais, on rend la boisson alcaline et on la prédispose au noircissement ; on détruit en outre la saveur aigrelette et piquante qui caractérise le cidre. [p. 257] CHAPITRE VIII Cidres et poirés à distiller. — Emploi des marcs. — Utilisation des lies. — Les appareils à distiller. — Distillation à l'alambic. — Rectification à l'alambic. — Perfectionnement apporté aux alambics. Cidres et poirés à distiller. Dans les années d'abondance, lorsqu'on ne peut écouler les cidres et les poirés qu'à des prix insuffisamment rémunérateurs, on les distille. L'eau-de-vie que l'on obtient est comparable aux bonnes eaux-de-vie de vin pour la finesse, le moelleux et le parfum. Dans ces bonnes années on distille toutes espèces de cidres, mais en particulier ceux faits avec les pommes tombées et avec les fruits de première saison. Ces cidres en effet ne se conservent pas bien et se vendent à vil prix, surtout, lorsque ceux provenant des pommes tardives, qui sont meilleurs de garde, abondent sur le marché. Dans les autres années on ne distille que les gros cidres et les poirés très riches en alcool. Ce serait une erreur grossière de penser que la distillation est destinée à permettre de tirer profit de tous les cidres avariés. Les cidres et poirés aigres ne sont pas bons pour la distillation ; leur alcool est transformé en acide acétique. Les cidres visqueux, noirs ou troubles donnent des eaux-de-vie ayant souvent un mauvais goût. Avant la distillation et après dégustation, les bouilleurs habiles classent les cidres en diverses catégories. Ils recueillent à part les eaux-de-vie de chaque catégorie, afin d'établir une première, une deuxième, et une troisième qualité. [p. 258] Époque de la distillation. Nous savons que les cidres de première saison fermentent plus rapidement que ceux de deuxième et troisième saison. Ceux de première saison peuvent être distillés six semaines à deux mois après avoir été fabriqués, vers la fin décembre. Ceux de troisième saison, fabriqués en décembre ou en janvier, sont bons à distiller en mars ou en avril au plus tôt. Les poirés se distillent à la même époque. Mais si l'on désire distiller plus tôt ces boissons, on peut activer leur fermentation en additionnant les moûts de levure de bière. Les jus extraits du pressoir ou des macérateurs sont placés dans des cuves ouvertes. On verse dans les cuves de la levure de bière préalablement diluée dans une petite quantité de jus. La température est maintenue entre 15 et 20°, pendant tout le temps qu e dure la fermentation, c'est-à-dire pendant huit ou dix jours. Au bout de ce temps les moûts sont généralement bons à distiller. Quelquefois, la masse pulpeuse, obtenue par le concassage des pommes, est tout entière soumise à la distillation. Pour en accélérer la fermentation, on ajoute à cette masse un peu d'eau chaude tenant en dissolution du sucre et un ou deux millièmes d'acide sulfurique. L'acide régularise la marche de la fermentation. Cette distillation de la masse pulpeuse en son entier n'est pas à recommander, surtout si l'on n'a à sa disposition que des alambics à feu nu. Emploi des marcs. Les marcs de pommes sont souvent traités de cette manière. Ils donnent une bonne eau-de-vie : Ils renferment une quantité d'alcool qui est très variable suivant leur épuisement, ou le nombre de fois qu'ils ont [p. 259] été pressés et la quantité d'eau qui a été employée pour faciliter l'extraction des matières solubles. 100 kilogrammes de marcs pressés une seule fois, sans addition d'eau, fournissent deux, trois ou quatre litres d'eau-de-vie, suivant la nature des pommes employées. Dans beaucoup de régions, en Limousin en particulier, où les marcs de pommes pressées une seule fois sont jetés sur le tas de fumier, on aurait grand intérêt à distiller les marcs. On distille les marcs de deux manières ; soit en nature, soit après les avoir transformés en piquette : 1° Pour les distiller en nature, à leur sortie du pressoir, ils sont émiettés et versés dans des tonneaux défoncés d'un côté et plantés ; après les avoir fortement tassés on les mouille avec autant d'eau tiède qu'ils peuvent en absorber, soit environ 150 litres par 100 kilogrammes de marcs. Ensuite, on les fait fermenter rapidement. Pour activer la fermentation on place les tonneaux dans un cellier tempéré et on les laisse ouverts pendant les premiers jours. Si la fermentation s'effectue lentement, il faut remuer la masse avec une pelle et verser dessus de la levure ou du cidre pris dans un autre tonneau en pleine fermentation. Après la fermentation complète des marcs, on soumet la masse à la distillation. Pour qu'ils ne s'attachent pas aux parois de l'alambic et ne s'y carbonisent pas, on verse quelques litres d'eau et on dépose de la paille au fond de la chaudière, pour prévenir le contact direct de la matière avec la surface de chauffe. La paille est avantageusement remplacée par une vieille toile, ou encore mieux par une grille ; 2° Pour distiller les marcs transformés en piquette, on commence par en extraire, au moyen d'un pressoir, tout le jus qu'ils renferment. Voici comment on fabrique la piquette : Le marc, au sortir du pressoir, est émietté et versé dans un tonneau, puis humecté avec 80 à 90 litres d'eau [p. 260] par 100 kilogrammes. On laisse macérer pendant 12 ou 15 heures en ayant soin de pelleter la masse de temps à autre. Ensuite on reporte cette masse sur le tablier du pressoir, et l'on en extrait par pression un volume de piquette qui est sensiblement égal à celui de l'eau additionnée. Si après le pressage le marc renferme encore du sucre (par exemple s'il n'a été pressé qu'une première fois sans addition d'eau pour en extraire du cidre pur et une deuxième fois avec addition d'eau pour donner un premier volume de piquette), on le presse une troisième fois, après l'avoir fait macérer 12 à 15 heures dans 40 à 50 litres d'eau par 100 kilogrammes de pulpe. Le marc épuisé est jeté sur le fumier. Les deux liquides retirés à chaque pressage sont réunis dans un tonneau et mis en fermentation. On doit prendre toutes les précautions nécessaires pour les faire fermenter rapidement. Placer le tonneau dans un endroit tempéré, ajouter de la levure et brasser de temps en temps. Dès que la fermentation est complète, on distille comme si on avait à traiter du cidre. Utilisation des lies. Sans fournir une eau-de-vie de haut goût, une bonne lie fraîche et ne sentant pas l'acide butyrique donne une eau-de-vie assez agréable. Les gens du peuple la préfèrent souvent à celle de cidre. Souvent les flegmes provenant de la distillation des lies compactes ne sont pas limpides ; ils doivent leur teinte opaque à une huile essentielle tenue en suspension. Cette huile grasse a une saveur brûlante et désagréable qui se développe sur la langue au bout de quelques minutes. Quel que soit le soin que l'on mette à rectifier, à l'alambic, l'eau-de-vie de lie, elle conserve toujours un goût qui est loin d'être agréable. Les lies ne peuvent guère être distillées à l'alambic à feu nu. Elles risquent fort en en effet de se prendre [p. 261] au fond, et si cet accident arrivait le produit serait imbuvable. On a bien imaginé des agitateurs dans le but d'empêcher les lies de brûler, mais il sera plus sage de se servir d'un alambic à bain-marie. Lorsque les lies sont épaisses, on doit avant de les soumettre à la distillation les additionner d'eau ou de cidre. Si elles ont tendance à mousser ou à se dilater il ne faut emplir la cucurbite qu'aux deux tiers. Les appareils à distiller. Dans les distilleries de grains, de betteraves, de pommes de terre, on possède de puissants appareils de distillation, très compliqués et très perfectionnés, qui donnent de premier jet des eaux-de-vie rectifiées et suffisamment concentrées. Ces appareils dont la production [p. 262] est énorme, dont l'installation est très coûteuse, sont en général établis dans des usines très importantes et demandent pour les conduire des ouvriers spéciaux. Ils servent rarement à la distillation des cidres. Leur description sortirait du cadre de cet ouvrage. Ceux de nos lecteurs qui désireraient en étudier le fonctionnement [p. 263] pourront consulter les nombreux ouvrages spéciaux qui existent sur ce sujet. Nous nous contenterons de décrire ici les appareils simples, à la portée des cultivateurs, et à l'aide desquels les bouilleurs de cru habiles arrivent à préparer d'excellentes eaux-de-vie. Ces appareils appelés alambics se composent de trois parties essentielles : 1° La cucurbite, chaudière ou marmite dans laquelle on place le liquide à distiller ; 2° Le chapiteau, tête d'alambic ou couvercle de la curcurbite qui se termine par un bec ou tuyau d'allonge dans lequel circulent les vapeurs qui se rendent dans le réfrigérant ; 3° Le réfrigérant ou condensateur dans lequel se liquéfient les vapeurs. A la base de ce réfrigérant, se trouve un robinet par lequel s'écoule le liquide condensé ; à l'intérieur, on trouve un serpentin ou tube contourné, baignant dans l'eau froide du réfrigérant. Cette eau, pour être toujours à une basse température, afin de liquéfier les vapeurs se renouvelle constamment. Elle est fournie par un réservoir élevé, et débouche à la base du réfrigérant ; une fois échauffée, elle sort par un robinet placé à la partie supérieure. Parmi les alambics les uns sont à eu nu (fig. 105), c'est-à-dire que la cucurbite reçoit directement l'action des flammes du foyer. D'autres sont chauffés au bain-marie (fig. 106). La flamme chauffe une bassine pleine d'eau dans laquelle plonge la partie inférieure de la cucurbite. Distillation à l'alambic. La conduite de l'opération est des plus simples. Voici du reste les manipulations auxquelles elle donne lieu. 1° Remplir la chaudière ou cucurbite aux trois quarts, fermer hermétiquement tous les joints ; [p. 264] 2° Remplir d'eau froide le réfrigérant ; 3° Mettre en chauffe. L'ébulition ne tarde pas à se produire et la distillation commence. Pendant la distillation, le bouilleur n'a plus qu'à diriger le feu. Il doit chauffer lentement pour éviter les coups de feu qui chasseraient du liquide dans le réfrigérant. L'opération se continue jusqu'à ce que le liquide obtenu ne renferme presque plus d'alcool ; le degré alcoolique est constaté au moyen d'un alcoolomètre ou par la dégustation. Le liquide restant appelé rebio n'est pas assez riche pour être considéré comme flegme. On vide la chaudière et on la remplit avec du nouveau cidre qui est distillé comme le premier. Et ainsi de suite jusqu'à la fin. Rectification à l'alambic. Avec les alambics simples une première opération ne donne pas de l'eau-de-vie mais seulement de la petite eau ou flegme à bon degré, que l'on remet dans l'alambic pour la rectification ou repasse. Pendant la rectification, on ne laisse pas comme pendant la première distillation, couler tout le liquide dans le récipient ; on fractionne les liquides en trois. Celui de tête, très riche en éthers, a mauvais goût, ainsi que celui de queue, qui renferme des huiles essentielles ou empyreumatiques. On les recueille à part. Le liquide de coeur ou du milieu a seul bon goût. Les petites eaux, ou liquide de tête et de queue, doivent être rectifiées par une troisième opération. Le fractionnement du liquide est une opération très difficile à bien faire avec l'alambic simple ; il s'agit d'obtenir une forte proportion de liquide de coeur ou bon goût, titrant un degré alcoolique élevé. C'est en [p. 265] réglant le chauffage que les personnes très expérimentées et connaissant bien leur appareil arrivent à ce résultat. En résumé, avec l'alambic simple, on obtient à la première opération de la petite eau qui doit être rectifiée par une seconde distillation appelée la repasse. C'est seulement pendant la repasse que l'on sépare du coeur les mauvais goûts de la tête et de la queue. Pour obtenir une bonne eau-de-vie, avec l'alambic simple, il faut une grande pratique de l'instrument afin d'éviter les coups de feu, les entraînements de mauvais goûts, etc., qui se produisent au moindre excès de chauffage. Pour distiller avec ces appareils, tout est dans la conduite du feu ; on n'a pas d'autre moyen pour régler le degré de l'eau-de-vie ; il faut apporter à l'opération une très grande attention pour, en distillant très lentement, retarder autant que possible l'arrivée des mauvais goûts de queue. Et cela entraîne parfois des lenteurs désespérantes. Perfectionnements portés aux alambics. La conduite des alambics à feu direct ou feu nu exige beaucoup d'attention et beaucoup de soin. Il faut chauffer doucement et opérer avec précaution pour ne pas carboniser les dépôts qui ne manquent pas de se faire lorsqu'on distille des cidres. Il faut redoubler de soin lorsqu'on distille la pulpe elle-même ou des marcs. L'alambic à bain-marie est plus facile à diriger, on n'a avec lui à redouter ni l'effervescence d'un liquide surchauffé, ni la carbonisation des dépôts ou des pulpes. La distillation peut être conduite avec une régularité mathématique. Mais il est plus lent que celui à feu nu, il distille environ un tiers en moins de liquide dans le même laps de temps. Il est à recommander pour la rectification des flegmes. [p. 266] Dans le but d'économiser le combustible et d'obtenir des flegmes plus riches en alcool, on munit parfois les alambics d'un chauffe-jus (fig. 106). Cet accessoire est placé entre la cucurbite et le condensateur, sur le prolongement du tuyau d'allonge. C'est une sorte de réservoir traversé par un serpentin. On le remplit du liquide à distiller. Les vapeurs qui s'échappent de la cucurbite, au lieu de se rendre directement au condenseur, traversent le serpentin du chauffe-jus. Une partie de ces vapeurs se condensent ; la chaleur, qu'elles dégagent par cette condensation, chauffe, à travers le serpentin, le liquide du réservoir qui, ainsi, se trouvera chaud en arrivant à la cucurbite. D'autre part, comme c'est surtout de la vapeur d'eau qui s'est condensée, les vapeurs qui se rendent au serpentin sont plus alcooliques et les flegmes que l'on obtient sont plus riches. Les eaux résultant des vapeurs condensées dans le serpentin du chauffe-jus font retour à la cucurbite. Poursuivant l'application de cette idée, condensation anticipée de la vapeur d'eau, quelques constructeurs d'alambics offrent des appareils qui permettent d'obtenir [p. 267] sans repasse, par une seule distillation, une eau-de-vie de bon goût, titrant 60 et 70 degrés. La figure 107 représente un de ces appareils qui constitue un des perfectionnements de l'alambic Deroy. Sur le chapiteau, dont la forme a été modifiée en raison de sa nouvelle destination, on étend une simple toile d'emballage que l'on maintient humectée avec de l'eau qui arrive du réfrigérant par un tuyau et un robinet. Un diaphragme intérieur oblige les vapeurs qui se dégagent à lécher en couche mince toute la surface interne du chapiteau refroidie par la vaporisation de l'eau qui mouille la toile. En augmentant ou en diminuant (en ouvrant plus ou moins le robinet), la quantité d'eau versée sur la toile, on fait varier la température du chapiteau. Plus la température est basse, plus le degré alcoolique de l'eau-de-vie est élevé. Par le refroidissement du chapiteau, on provoque la condensation des vapeurs aqueuses qui retombent dans la chaudière en entraînant les huiles empyreumatiques qu'elles véhiculent, de sorte qu'il n'arrive au col-decygne que des vapeurs riches en alcool et épurées. On obtient ainsi au premier jet de l'eau-de-vie bon goût, de 50 à 70 degrés. On peut encore augmenter l'efficacité de ce système très simple de rectification, en ajoutant sur le chapiteau une lentille (fig. 107), qui a pour but d'augmenter la surface de condensation et de permettre aux vapeurs d'eau en excès qui auraient franchi le chapiteau, de venir s'y condenser. Comme le chapiteau, la lentille est entièrement recouverte d'une toile que l'on maintient humectée pendant toute la durée de l'opération par un filet d'eau qui provient du réfrigérant et arrive dans la collerette au moyen d'une conduite spéciale. Si l'on désire rectifier les eaux-de-vie par une deuxième repasse, il suffit de ne pas rafraîchir la surface extérieure du chapiteau et de la lentille, si l'appareil est muni de cet accessoire. [p. 268] L'eau chaude provenant du chapiteau s'écoule dans le rebord de la chaudière et y forme un joint hermétique qui dispense l'opérateur de luter ces deux pièces. CHAPITRE IX Le vinaigre de cidre et de poiré. — Le vinaigre en général. — La fabrication du vinaigre de cidre et de poiré et les appareils employés. — Conservation du vinaigre. Le vinaigre de cidre et de poiré. En apportant quelques soins à la fabrication du vinaigre de cidre et de poiré, on peut obtenir un produit ayant un arome excellent et en tout point comparable au vinaigre de vin. La fabrication du vinaigre de cidre a acquis depuis quelques années une assez grande importance dans l'Amérique du Nord. La culture des pommiers à cidre et plus particulièrement des pommiers à fruits de table a pris dans ce pays un développement incroyable. La plupart de ces fruits sont desséchés dans des appareils désignés sous le nom d'évaporateur, dont nous dirons quelques mots plus loin. Les déchets de cette fabrication, qui se composent des peaux et des coeurs, sont utilisés pour la fabrication du vinaigre ; on y joint le pomme tombées et celles en partie pourries. On emploie aussi des cidres de bonne qualité. Pour que le vinaigre de cidre se conserve bien, il faut qu'il contienne de 60 à 70 grammes d'acide acétique monohydraté par litre de liquide ; c'est-à-dire que le cidre ayant servi à le fabriquer marque 7° à 8° alcoolimétriques. Lorsque les cidres sont trop faibles, on les remonte par l'addition d'alcool. [p. 269] Le vinaigre en général. L'acide acétique est un produit de l'oxydation de l'alcool ; mais dans les phénomènes de l'acidification, un agent actif intervient entre l'air et l'alcool. Cet agent est le ferment acétique ou mère de vinaigre, composé d'organismes microscopiques, qui agissent à la façon des levures dans la transformation du sucre en alcool. Le nom scientifique de ce ferment est : mycoderma aceti. L'acide acétique étendu d'eau constitue le vinaigre ; mais ce produit dont l'usage est général dans l'économie domestique, contient aussi des matières mucilagineuses ; d'autres acides tels que l'acide tartrique et l'acide malique ; des sels, des huiles essentielles : en un mot, de toutes les matières que l'on rencontre dans le jus des fruits. Ce sont ces matières qui donnent au vinaigre un arome et un goût particulier, qui accusent son origine et constituent sa qualité. Pour que l'acétification se produise bien et dans de bonnes conditions, il faut d'abord que l'alcool soit suffisamment étendu d'eau. Le liquide à transformer en vinaigre ne doit pas en contenir plus de 10 0/0. Il doit offrir de larges surfaces à l'action de l'air. La température doit être maintenue entre 25° et 28° centigrade s sans jamais dépasser 30°. La température la plus favorable est 28°. La fabrication des vinaigres de cidre et de poiré et les appareils employés. Pas plus que nous n'avons décrit les grands appareils et les méthodes savantes de distillation, nous ne décrirons ici les procédés à l'aide desquels on obtient le vinaigre dans les grandes fabriques de ce produit. Le cadre de notre ouvrage ne comporte pas cette étude. Nous indiquerons simplement dans ce chapitre les procédés [p. 270] à l'aide desquels le producteur de cidre peut utiliser les déchets de sa fabrication, ou même, sous l'influence des circonstances, transformer sa récolte entière en un bon vinaigre marchand. Méthode d'Orléans. — L'appareil utilisé dans cette méthode est un simple tonneau, fortement cerclé, d'une contenance de 200 à 230 litres. Il doit être placé dans un local aéré dont la température soit constamment maintenue de 25 à 28°. Le fond antérieur du tonneau est percé de deux trous. L'un, fait pour introduire le cidre et soutirer le vinaigre, a 5 ou 6 centimètres de diamètre ; l'autre, qui a pour but unique de donner libre sortie à l'air pendant le remplissage, est un simple trou de vrille. Au début de l'opération, on remplit les tonneaux jusqu'à moitié d'un bon vinaigre. Ensuite, on y verse, au moyen d'un entonnoir, 10 litres de cidre ; puis on laisse huit jours en repos. Au bout de ce temps, on ajoute 10 nouveaux litres de cidre, ainsi pendant quinze jours encore. Enfin, huit jours après la dernière addition, la réaction est terminée ; on soutire, à l'aide d'un siphon, 40 litres de vinaigre. On recommence l'addition de cidre par 10 litres et de huit jours en huit jours on soutire de nouveau 40 litres de vinaigre, et ainsi de suite. Si le vinaigre est clair, il peut être consommé ou livré au commerce ; sinon, on le filtre sur des copeaux de hêtre. Par cette méthode, un tonneau de 200 litres donne quarante litres de vinaigre tous les quarante jours, soit, en moyenne, un litre par jour. Il faut proportionner le nombre de tonneaux à la quantité de vinaigre qu'on veut produire. Méthode hollandaise. — On a deux grandes futailles de 3 mètres de hauteur sur 1 mètre de diamètre, placées verticalement l'une à côté de l'autre. A 30 centimètres du fond de chacune d'elles, se trouve un double fond en bois, percé de trous. On place sur ce double fond des copeaux de hêtre, on en garnit les futailles jusqu'au [p. 271] haut. La première de ces futailles est complètement remplie de cidre, la deuxième est laissée à moitié. Comme précédemment, elles sont placées dans un local dont la température est maintenue entre 25 et 28°. Les fonds supérieurs n'existent pas et l'air pénètre librement dans les tonnes. Au bout de vingt-quatre heures, on soutire la moitié du cidre contenue dans le premier tonneau et on la verse dans le deuxième, de manière à remplir ce dernier. Vingt-quatre heures après, on fait l'opération inverse et ainsi de suite pendant quelques semaines. La transformation du cidre est complète au bout d'un mois. Si le soutirage était fait toutes les douze heures, l'opération marcherait plus vite et le vinaigre pourrait être bon au bout de quinze jours. Méthode américaine. — La méthode suivante est très employée aux États-Unis de l'Amérique du Nord ; elle donne d'excellents résultats. L'appareil (fig. 108) est un cylindre ou tambour en bois ayant environ 1m,50 de hauteur et 75 centimètres de diamètre. Il est fortement cerclé à l'aide de quatre cercles en fer, auxquels on peut donner du serrage à l'aide d'un boulon à écrou. Le cylindre porte, à ses deux bouts, des fonds comme un baril. Il est suspendu sur un tréteau au moyen de deux axes fixés sur les parois à égale distance des deux fonds. A la même hauteur que les axes et perpendiculairement à ceux-ci, sont percés deux trous que l'on peut boucher à volonté avec des bondes. Chaque fond porte un robinet. Le cylindre est rempli de copeaux de hêtre. Pour commencer l'opération, on y introduit 25 à 30 litres de fort vinaigre ; et après avoir fermé bondes et robinets, on fait tourner le cylindre jusqu'à ce que les copeaux soient bien imprégnés de vinaigre. Lorsqu'il en est ainsi, on remplit le cylindre de cidre jusqu'à la hauteur des bondes. On le ferme et on lui fait décrire un demi-tour. Puis on le laisse en repos après avoir enlevé les bondes et ouvert le robinet du fond supérieur. [p. 272] Huit heures après, on ferme robinet et bondes et l'on fait faire un autre demi-tour à l'appareil. Puis on ouvre encore le robinet du fond supérieur et on enlève les bondes. Cette opération est ainsi répétée de huit heures en huit heures pendant douze ou quinze jours. Au bout de ce temps le vinaigre est généralement prêt. Méthode dite des ménages. — A l'aide des trois méthodes que nous venons d'indiquer on peut préparer des quantités de vinaigre fort importantes. Celle qui [p. 273] suit n'est guère employée que pour les usages domestiques. Cette méthode consiste à remplir un tonneau posé verticalement sur un de ses fonds et qui une première fois a été mouillé et rempli avec du vinaigre. Au fur et à mesure que, par un robinet en bois placé au fond inférieur, on enlève une certaine quantité de vinaigre, on ajoute par la partie supérieure une quantité de cidre égale. On couvre la partie supérieure d'un couvercle qui ne ferme pas hermétiquement afin de donner libre accès à l'air. Conservation du vinaigre. Lorsque la fermentation acétique est terminée, si le vinaigre n'est pas très clair on le filtre sur des copeaux de hêtre. Puis on le met en fût ou en bouteille. L'un et l'autre de ces récipients doivent être bien nettoyés avant le remplissage et bien bouchés après. Le vinaigre doit être conservé dans un lieu frais et obscur ; cette dernière recommandation doit surtout être observée lorsque le vinaigre est en bouteille. Lorsque les bouteilles sont mal bouchées, le vinaigre se trouble au contact de l'air, et se remplit d'anguillules, parfois visibles à l'oeil nu, qui lui font perdre toute sa force et son arome. Ces anguillules se développent aussi parfois dans les barils, même lorsque de temps en temps on procède à des soutirages. Si malgré toutes les précautions prises, le vinaigre se trouble, il faut le porter à l'ébullition en vase clos et le filtrer ensuite. [p. 274] CHAPITRE X Conservation des pommes vertes dans les celliers. — Conservation des pommes par dessiccation. — Utilisation des pommes et des mares pour l'alimentation du bétail et comme engrais. Conservation des pommes vertes dans les celliers. Le prix de vente des pommes à couteau va en augmentant à mesure que l'on s'éloigne de l'époque à laquelle ces fruits atteignent leur maturité normale ; on a donc intérêt à ralentir autant que possible les phénomènes de la maturation. En général, on n'a pas le même intérêt à conserver les pommes à cidre. Cependant ceux qui se livrent au commerce des pommes à cidre, commerce qui a pris un développement assez considérable, peuvent avoir aussi intérêt à retarder l'époque de la maturation. Nous avons déjà indiqué les précautions à prendre pour préserver les pommes de la pourriture pendant la période de temps qui s'écoule entre la première et la deuxième maturité. Nous allons exposer rapidement par quels artifices on peut prolonger la durée de cette période. L'air, la chaleur, la lumière favorisent la maturation des fruits. Il ne faut donc seulement accorder, à ceux qu'on veut conserver, que la quantité stricte de ces éléments nécessaires pour prévenir un autre genre d'altération. 1° L'atmosphère du local ne doit pas être reno uvelée, afin que l'acide carbonique qui se dégage des fruits les maintienne dans une atmosphère moins riche en oxygène. [p. 275] 2° La température doit être aussi basse que po ssible, sans descendre jamais à 0°. Elle doit être fixe, car si elle était variable, les tissus des fruits étant alternativement contractés et dilatés, la maturation serait accélérée. Cette dernière sera d'autant plus lente que la température sera plus basse et plus stable. 3° La lumière ne doit pas pénétrer dans le loc al où l'on conserve les fruits. Son action favorise les phénomènes qui conduisent à la maturation. Si à l'observation des conditions ci-dessus énoncées on joint les précautions que nous avons déjà recommandées, on retardera certainement la maturation des fruits de quelques jours. Conservation des pommes par dessiccation. Depuis fort longtemps, en Touraine et en Anjou, on conserve les pommes et les poires en les desséchant au four. Les produits ainsi préparés sont connus sous le nom de fruits tapés. On les emploie pour la confection des tartes et des marmelades. Dans les années d'abondance, le même traitement est parfois appliqué aux fruits à cidre et, par ce moyen, on les conserve pour les années de disette. Avec eux on prépare des boissons assez agréables. Les Américains ont transformé cette industrie de la dessiccation des pommes et lui ont donné une importance presque invraisemblable. Le seul État de New-York prépare, bon an, mal an, de 18 à 20 millions de kilogrammes de pommes sèches, ce qui représente 180 à 200 millions de kilogrammes de pommes vertes. Les deux tiers de ces fruits sont des fruits de table et sont destinés à préparer des marmelades ou à être utilisés par la pâtisserie. Le troisième tiers est destiné à préparer des boissons. Une bonne partie de ces derniers fruits est importée en France où elles sont connues [p. 276] sous le nom de pommes amirales. L'Allemagne s'est aussi adonnée à cette fabrication et nous envoie les pommes de Hambourg. La même industrie commence à se pratiquer en France. Nous laisserons de côté la description du mode de préparation que les Américains appliquent aux fruits de table ; nous nous bornerons à donner quelques détails sur la préparation bien simple des pommes à boisson. Les pommes sont coupées en tranches de 4 à 5 millimètres d'épaisseur au moyen d'un petit appareil. Cette petite machine se compose d'une série de couteaux horizontaux placés en échelons à la suite les uns des autres. Les pommes, guidées par une espèce de buttoir, sont poussées à la main contre les couteaux qui les coupent en tranches. Les tranches sont ensuite placées sur des claies en treillage et portées dans les appareils de séchage désignés sous le nom d'évaporateurs. Ces évaporateurs sont très nombreux en Amérique et en Allemagne ; nous avons construit le premier qui ait été établi en France. Nous avons eu le bonheur de le voir réussir au delà de nos espérances. Voici la description de cet appareil telle qu'elle a été faite par M. Nanot, directeur de l'école d'horticulture de Versailles, au congrès de la Société pomologique de France, à Marseille, en 1891 : « Frappé des difficultés que nous éprouvions dans la conduite de nos appareils (à sécher les fruits) M. Tritschler a cherché à réunir, dans un évaporateur qui porte son nom, toutes les qualités éparses dans divers appareils et surtout à éviter les graves défauts qu'on y rencontre. Presque tous les petits appareils en usage ont des calorifères dont la surface de chauffe est notoirement insuffisante et dont la marche est par conséquent peu économique. Toutes les personnes qui se sont servies [p. 277] d'appareils à dimensions restreintes se sont heurtées aux difficultés qu'occasionne la conduite du feu. Cette difficulté relativement surmontable lorsqu'on se sert de bois, devient impossible à vaincre lorsqu'on se sert de la houille, qui est le cas le plus fréquent, étant donné le bon marché relatif de ce combustible. Veut-on diminuer la température du courant chaud, on n'a d'autres ressources que de diminuer le feu, mais on risque de l'éteindre, sans arriver à produire la température basse désirée, et si l'on y arrive on ne la produit que par à-coup et de la façon la plus irrégulière. Dans l'évaporateur de l'ingénieur Tritschler, l'inventeur a eu surtout pour but d'éviter ces inconvénients. Le calorifère se compose d'un foyer en fonte, surmonté d'une chambre de combustion également en fonte. Les parois de cette chambre sont munies à l'extérieur de cannelures et d'un revêtement métallique qui triple déjà l'étendue des surfaces de chauffe, c'est déjà une amélioration notable, mais l'inventeur ne s'est pas arrêté là et la surface ne se réduit pas aux parois de la chambre de chauffe ; les gaz de la combustion, au lieu de s'échapper directement dans la cheminée, parcourent un double circuit de tuyaux placés dans le compartiment inférieur de la caisse, et ne se rendent qu'ensuite à la cheminée. Grâce à cette disposition la surface rayonnante, beaucoup plus considérable que dans les autres appareils, permet aux gaz chauds de se bien dépouiller de leur chaleur et de donner une économie notable de combustible. La caisse en bois est presque horizontale ; une de ses extrémités repose sur le calorifère et l'autre sur un chevalet. Elle est divisée en deux compartiments superposés : le supérieur est utilisé pour sécher les fruits, et l'inférieur, pour loger les tuyaux dans lesquels circule la fumée et pour conduire l'air chaud qui se rend du calorifère au compartiment supérieur réservé au séchage. [p. 278] Cette disposition est très ingénieuse ; non seulement elle permet d'utiliser une plus grande somme de chaleur, mais aussi d'avoir une température plus égale en bas et en haut dans la chambre de séchage, par suite une dessiccation égale sans danger de brûler les fruits. Les claies chargées de fruits sont introduites par une des extrémités, pour venir sortir par l'autre ; pour les avancer il suffit de les pousser à la main. L'évacuation de l'air saturé d'humidité se fait par la partie la plus élevée au-dessus du calorifère. Le tirage est activé par une cheminée d'appel qui enveloppe la cheminée, et par un régulateur spécial aussi simple qu'ingénieux, qui permet de faire varier, d'activer ou de diminuer à volonté le courant, et qui lui donne surtout une régularité absolue et une égale intensité dans tous les points de la chambre de chauffe. La conduite de l'appareil devient dès lors très facile ; les résultats sont moins aléatoires et les fruits moins sujets à être détériorés par l'insuffisance ou l'inattention du personnel » [20]. Au sortir de l'évaporateur, les pommes séchées sont mises dans des tonneaux en bois blanc, et sont prêtes à expédier. Si nos lecteurs désirent s'initier plus complètement à cette fabrication des fruits desséchés, ils pourront consulter l'ouvrage que nous avons publié en collaboration avec M. Nanot : Traité pratique du séchage des fruits et des légumes. Utilisation des pommes et des marcs pour l'alimentation du bétail et comme engrais. Dans les cas d'abondantes récoltes les pommes peuvent être directement employées à l'alimentation des [p. 279] animaux. Il suffit de les couper comme les carottes et les betteraves avec un coupe-racine. A la station agronomique de Honhenheim, en Allemagne, on a fait des expériences sur l'alimentation des vaches, des moutons et des porcs au moyen des pommes. Des essais d'assez longue durée ont permis de constater que les vaches consomment ces fruits avec plaisir, et donnent un lait abondant et d'excellente qualité. Les pommes coupées étaient mélangées à de la paille hachée. On les introduisit dans la ration en proportion variant de 1/5 à 3/4. On supposait que 225 kilogrammes de pommes avaient la même valeur nutritive que 100 kilogrammes de foin. Les animaux mangent ce mélange avec avidité. Il ne faut pas cependant en donner des quantités trop fortes, et surtout trop répéter de semblables repas. Les dents de l'animal pourraient en être fatiguées et il refuserait ce genre de nourriture. Les pommes employées seules peuvent produire la météorisation. Il faut donc les donner par petites quantités et mélanger avec des matières sèches et encore mieux les faire légèrement cuire. Les marcs épuisés constituent un aliment meilleur que les pommes elles-mêmes. Il faut seulement qu'ils n'aient encore subi aucune fermentation acétique ou butyrique. D'après les auteurs allemands, 3 kilogrammes de marc épuisé équivalent à un kilogramme de foin. Lorsqu'on donne le marc aux porcs, il convient de le laisser tremper quelques heures dans l'eau chaude. La meilleure manière de conserver le marc de pommes est de le mettre en silos après l'avoir salé. On choisit, pour installer le silo, un sol imperméable et à l'abri de l'invasion des eaux pluviales. On y ouvre une tranchée, dont les dimensions varient naturellement avec la quantité de marc qu'on a à conserver. On recouvre de paille le fond et les parois du silo. On jette dans [p. 280] le silo le marc saupoudré de sel, à raison de 500 grammes par hectolitre de marc. On tasse le marc, on le recouvre de paille et l'on ferme le silo en se servant de la terre extraite au moment du creusement. On dispose cette terre en talus pour permettre l'écoulement des eaux. Le pied du talus est lui-même entouré d'un petit fossé. Le marc ainsi conservé est très apprécié des animaux et n'entraîne jamais aucun accident. Nous avons indiqué précédemment l'emploi du marc comme engrais additionné de phosphate ou d'autres matières fertilisantes. FIN [p. 281] TABLE DES MATIERES PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE PREMIER Pages. 1 2 4 8 9 9 Cidre, poiré, cormé Le cidre et le poiré avant l'époque moderne Importance de la fabrication du cidre en France Consommation du cidre en France Importation et exportation du cidre Le cidre considéré comme boisson hygiénique CHAPITRE II Le pommier et ses variétés Création des variétés nouvelles Multiplication du pommier par greffe Préparation des graines Conservation des graines 11 12 13 13 16 Époque des semis Choix de l'emplacement Préparation du terrain Modes d'ensemencement Semis provisoire Soins à donner aux semis, Éclaircissage du semis Multiplication du pommier par boutures Reproduction du poirier à poiré 18 18 19 20 21 22 23 24 24 CHAPITRE III Avantages du repiquage Déplantation des jeunes pommiers Classement des plants Époque du repiquage Conservation des plants Emplacement de la pépinière 25 26 26 27 27 28 [p. 282] Préparation du sol Habillage des plants Replantation Soins à donner à la pépinière CHAPITRE IV Classification des pommes à cidre au point de vue de la saveur et de la richesse en sucre en tannin et en acide Composition d'une pomme de bonne qualité Composition d'une pomme médiocre Avantages de l'analyse chimique Principes utiles des pommes à cidre Classification des pommes par rapport à l'époque de maturation Quelques observations au sujet du choix des variétés Liste des meilleures pommes à cidre Poires à poiré Classification des poires à poiré Liste des meilleures poires à brasser CHAPITRE V Le greffage et ses avantages Conditions à remplir pour réussir une greffe Différentes méthodes de greffage Outils et accessoires employés pour le greffage Choix des greffons Greffe en écusson à oeil dormant Greffe en fente Greffe en fente anglaise Greffe en couronne Travaux dans la pépinière après le greffage Préparation des sauvageons pour le greffage en tête Greffage sur racines CHAPITRE VI Formation de la tige des pommiers greffés en pied Formation de la tête des pommiers greffés en pied Choix des plants Formation de la tête des arbres greffés en tête Direction à donner aux branches formant la tête [p. 283] CHAPITRE VII Influence du terrain sur la qualité du cidre Climat qui convient au pommier Disposition des plantations Plantations en bordure Plantations en plein Choix et emplacement des variétés suivant le mode de plantation Époques favorables à la plantation Préparation des trous de plantation 29 30 31 33 34 36 37 38 38 40 40 44 46 46 47 48 49 51 52 56 57 65 68 69 71 71 71 72 75 76 77 78 81 82 83 83 84 89 90 91 Arrachage des plants Qualités que doit présenter un jeune plant Habillage des arbres Plantation à demeure Observations relatives au poirier 93 94 95 96 97 CHAPITRE VIII Soins à donner aux jeunes pommiers Armatures Couvertures Abri contre le soleil Fumures et labours Formation de la tête Élagage Outils d'élagage 98 98 101 101 102 105 107 109 CHAPITRE IX Maladies et accidents des pommiers et des poiriers Ulcères Carie Asphyxie et pourriture des racines Étranglement de la tige Tige décortiquée. — Greffe américaine Les insectes nuisibles Insectes s'attaquant aux bourgeons Insectes s'attaquant aux feuilles Insectes qui s'attaquent aux fleurs Insectes s'attaquant aux fruits [p. 284] Insectes s'attaquant au bois, à l'écorce ou se nourrissant de la sève Insectes s'attaquant aux racines Parasites végétaux du pommier CHAPITRE X Rendement du pommier et du poirier Époques de maturité Récolte des pommes et des poires Classement des pommes Conservation des pommes 111 111 113 114 114 115 116 116 122 128 131 133 136 140 151 152 153 154 155 DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE PREMIER Choix et mélange des pommes Importance des principes contenus dans les moûts de pommes Choix des poires Importance des éléments contenus dans les moûts de poires à distiller Influence de la maturité des fruits sur la qualité du cidre et du poiré Analyse des moûts Eau contenue. — Densité du fruit Densité du jus Préparation des liqueurs d'épreuve Dosage de l'extrait sec Dosage du sucre Vérification du titre de la liqueur de Neubauer Dosage du tannin ou acide tannique Dosage de l'acidité Dosage du mucilage Emploi du densimètre Tableau indicatif du poids de sucre contenu dans un litre de moût de pommes Vente et achat des pommes et des poires [p. 285] CHAPITRE II Composition du cidre Cidre pur Cidre gracieux ou mousseux, pommé crémant Cidre de ménage Petit cidre de presse 157 159 159 159 159 161 163 165 166 166 167 168 170 173 175 175 177 180 181 182 184 184 Cidre limousin Poiré Cidresse Cidre de ménage obtenu par lixiviation Cidre commercial préparé par lixiviation Doit-on écraser les pépins ? Emploi de l'eau CHAPITRE III Concassage des pommes Bocard Tours à piler Râpes Concasseurs Pressoirs à vis en bois Pressoirs à vis en fer Effet utile des pressoirs Les presses hydrauliques Installation industrielle pour la fabrication du cidre par compression CHAPITRE IV La diffusion Préparation ménagère du cidre par lixiviation Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases ouverts Fabrication industrielle du cidre par diffusion en vases clos Installation industrielle pour la fabrication du cidre par diffusion [p. 286] CHAPITRE V Les levures Fermentation des cidres et des poirés Vinification des cidres et poirés Sucrage des moûts CHAPITRE VI Soutirages Clarification des cidres Les fûts, leur nettoyage et leur entretien Conservation du cidre en fûts Conservation du cidre en bouteilles Cidres champagnisés Chauffage des cidres Congélation des cidres Celliers et caves CHAPITRE VII Comment on prévient les maladies du cidre Apreté Acidité Viscosité ou graisse Noircissement Trouble CHAPITRE VIII Cidres et poirés à distiller Époque de la distillation Emploi des marcs Utilisation des lies Les appareils à distiller Distillation à l'alambic Rectification à l'alambic Perfectionnement portés aux alambics [p. 287] CHAPITRE IX Le vinaigre de cidre et de poiré Le vinaigre en général La fabrication des vinaigres de cidre et de poiré et les appareils employés Conservation du vinaigre 185 186 186 187 187 188 188 189 191 191 192 194 195 196 197 202 208 210 213 214 218 223 224 226 231 233 234 235 238 240 242 243 246 247 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 258 260 261 263 264 265 268 269 269 273 CHAPITRE X Conservation des pommes vertes dans les celliers Conservation des pommes par dessication Utilisation des pommes et des marcs pour l'alimentation du bétail et comme engrais 274 275 278 [1] Propriétés médicales et hygiéniques du cidre, par le docteur Denis-Dumont.[retour] [2] Propriétés médicales et hygiéniques du cidre, par le docteur Denis-Dumont.[retour] [3] Cours d'Arboriculture, par A. Du Breuil.[retour] [4] Botanique agricole, par Schribaux et Nanot.[retour] [5] Cours d'Arboriculture, par M. A. Du Breuil.[retour] [6] Le Cidre, par L. de Bouteville et A. Hauchecorne.[retour] [7] Culture du pommier à cidre, par M. Jules Nanot.[retour] [8] Le Cidre, par L. de Bouteville et Hauchecorne.[retour] [9] Culture du pommier à cidre, par Jules Nanot.[retour] [10] Cours d'arboriculture, par A. Du Breuil[retour] [11] Le Cidre, par de Bouteville et Hauchecorne.[retour] [12] Le Cidre, par de Bonteville et Hauchecorne.[retour] [13] Culture du pommier à cidre par Jules Nanot.[retour] [14] Le Cidre, par de Bouteville et Hauchecorne.[retour] [15] Leçons élémentaires de Chimie, par J. Girardia et Morière.[retour] [16] Le cidre : de Bouteville et Hauchecorne.[retour] [17] Propriétés médicales et hygiéniques du cidre, par le docteur Denis-Dumont.[retour] [18] Le Cidre, par de Bouteville et Hauchecorne.[retour] [19] Le Séchage des fruits, conférence faite au Congrès pomologique de Marseille, par M. Jules Nanot. — La Pomologie française, bulletin de la Société pomologique de France, 1892, nos 1 et 2.[retour]