prog_krivineValses - page.indd

Transcription

prog_krivineValses - page.indd
DIRECTION MUSICALE
JOHANN STRAUSS fils (1825-1899)
Ouverture de l’opérette
Die Fledermaus (La Chauve-Souris), op. 367
Allegro vivace – Allegretto – Tempo I° – Lento – Tempo di valse – Allegro – Andante
con moto – Allegro molto moderato – Tempo ritenuto – Tempo di valse – Allegro
moderato – Più vivo
Kaiser-Walzer (Valse de l’Empereur), op. 437
Introduction (Langsames Marschtempo) – Tempo di valse
Unter Donner und Blitz (Sous le tonnerre et les éclairs),
polka rapide pour orchestre op. 324
Polka
ANTONÍN DVORÁK (1841-1904)
Danse slave n° 16, op. 72 n° 8, en la bémol majeur
Grazioso e lento, ma non troppo, quasi tempo di valse
Danse slave n° 10, op. 72 n° 2, en mi mineur
Allegretto grazioso
Danse slave n° 1, op. 46 n° 1, en ut majeur
Presto
Entracte
JOHANN STRAUSS fils
Tritsch-Tratsch Polka, polka rapide pour orchestre op. 214
– Sans indication de tempo –
PIOTR ILYITCH TCHAÏKOVSKI (1840-1893)
Valse des fleurs, extraite du ballet Casse-Noisette
Tempo di valse
JOHANNES BRAHMS (1833-1897)
Danse hongroise n° 1, en sol mineur (orchestration de Johannes Brahms)
Allegro molto
Danse hongroise n° 5, en la mineur (orchestration d’Albert Parlow)
Allegro
Danse hongroise n° 17, en fa dièse mineur (orchestration
d’Antonín Dvorák)
Andantino – Vivace
JOSEF STRAUSS
Delirien-Walzer
(1827-1870)
Allegro maestoso – Tempo di valse
La Chambre Philharmonique
Emmanuel Krivine, direction musicale
Mercredi 20 décembre 2006 à 20h30
A chaque fois que l’année se meurt, les salles de concert résonnent d’un
répertoire plus léger et festif qu’à l’habitude, comme pour conjurer le temps
qui s’envole, inexorablement. Symphonies et concertos laissent place à des
pièces plus brèves, et la danse retrouve une place qu’on renâcle, le reste du
temps, à lui abandonner. Valses, marches et polkas prennent le devant de
la scène, ces pièces considérées souvent d’un œil suspect au motif qu’elles
séduisent un large auditoire et plaisent aux amateurs les moins chevronnés.
Ce jugement naît d’un malentendu : si elle parle au plus grand nombre,
cette musique n’en est pas moins d’une grande exigence pour ses interprètes.
Il n’est que de voir le soin avec lequel les plus grands orchestres l’abordent,
à commencer par l’Orchestre philharmonique de Vienne lors du traditionnel
Concert du Nouvel An. Les chefs qui excellent dans les valses de Johann
Strauss sont les mêmes qui, souvent, brillent dans la musique de deux autres
Viennois : Mozart – pour la grâce et l’élégance – et l’autre Strauss, Richard
– pour la science orchestrale. Emmanuel Krivine est de cette espèce-là :
mozartien et straussien (Richard) hors pair, il considère avec un respect et
une passion infinis ces valses et polkas viennoises, et plus généralement ces
danses et ballets de Brahms, Dvorák ou Tchaïkovski qui réclament d’égales
qualités de finesse et de bon goût. L’entendre dans ce répertoire, qui plus
est à la tête de sa merveilleuse Chambre philharmonique, est toujours la
promesse de lectures envoûtantes et racées.
On dit des Viennois que leur cœur bat à trois temps. Tout au long d’un XIXe
siècle riche en bouleversements politiques, la valse accompagna les heurs
et malheurs de l’empire des Habsbourg, qui connut dans ces années de
grandes heures de gloire, mais aussi de cruelles déconvenues. L’apogée de
cette danse correspond à celui de l’empereur François-Joseph Ier et de son
épouse Elisabeth, la fameuse Sissi, à partir du compromis de 1867 – qui
marquait l’apaisement des relations avec la bouillonnante Hongrie. A
l’inverse, les mauvaises langues prétendent que la mort de Johann Strauss
fils, en 1899, précipita à sa perte le règne de l’empereur d’Autriche et roi
de Hongrie.
La valse puise ses origines dans les danses tournantes en vogue dans les
campagnes de Bavière et d’Autriche depuis le Moyen Age et stylisées
sous la forme du Ländler. Elle naît aux environs de 1750 de la figure
finale du Ländler, où le garçon et la jeune fille, après avoir tournoyé à
bonne distance, se rapprochent en se tenant par les épaules. En quelques
décennies, la valse s’impose comme la danse de société à la mode.
Jusqu’alors marchés, ses pas sont désormais glissés, tandis que son tempo
1
s’accélère. Elle doit son succès à deux éléments. D’une part, en ces
années suivant la Révolution française, elle vient à point nommé briser
certaines barrières de classe. Elle conquiert aussi bien la noblesse que la
bourgeoisie – qui prend à Vienne une importance croissante – et produit
sur les uns et les autres les mêmes effets d’ivresse, sans considération de
classe ou de rang. C’est en Autriche l’une des premières manifestations du
principe bourgeois d’égalité. Par ailleurs, la valse est la première danse de
société où l’homme et la femme se meuvent aussi rapprochés : le couple
s’enserre avant de partir dans son tournoiement ininterrompu, jusqu’à
approcher la transe. Cette perception nouvelle, érotique, de la danse met
en émoi les moralistes, et ce n’est pas un hasard si Liszt fera de la valse la
danse du diable dans ses Méphisto-Valses.
En 1815, le Congrès de Vienne se déroule sur fond de valse. Pour distraire
et occuper les légions de têtes couronnées et de diplomates réunis, avec
épouses et suites, dans la capitale autrichienne, on organise toutes sortes
de festivités : revues militaires, représentations théâtrales, concerts et
surtout bals en tous genres. Le vieux prince de Ligne lâche : « Le Congrès
ne marche pas, il danse. » Après les bals mémorables du Congrès de
Vienne, le nombre de fêtes dansantes ne cessera de croître, notamment
dans les salons du Palais impérial, les Redoutensäle.
En quelques semaines, la nouvelle danse envahit l’Europe. Dès 1816 paraît
à Londres une Description of the Correct Method of Waltzing. Un moment
clef dans l’histoire de la valse est la publication en 1819 d’une première
partition « savante », émanation de l’un des plus brillants compositeurs
du moment : l’Allemand Carl Maria von Weber. Composée à l’origine pour
piano, son Invitation à la danse (Aufforderung zum Tanz) connaît un rapide
engouement, gagnant notamment Paris, où elle est orchestrée par Hector
Berlioz. Weber y fixe la forme reprise plus tard, avec quel brio, par Johann
Strauss fils : une introduction développée, une succession de danses, et
enfin une longue coda reprenant des thèmes entendus précédemment.
Amis, puis rivaux, Joseph Lanner (1801-1843) et Johann Strauss père
(1804-1849) forment deux orchestres qui répandent la valse en Autriche
et lui donnent son visage moderne. Ils obtiennent un succès croissant,
faisant tourner les têtes au son de danses de leurs propres compositions.
Johann Strauss devient si célèbre qu’il obtient, en 1835, le poste de
directeur de la Musique des Bals de la Cour.
Le Printemps de peuples, en 1848, fait éclater les revendications des
minorités nationales de l’Europe, et tout particulièrement de l’Empire
austro-hongrois. Hongrois et Tchèques ébranlent fortement l’édifice des
Habsbourg, mais leurs révolutions sont matées, laissant des frustrations
durables. Vienne n’en continue pas moins de valser. La valse connaît une
2
vogue sans précédent avec l’avènement de Johann Strauss fils, bientôt
désigné comme le « roi de la Valse ». Né en 1825, le jeune homme est
destiné par son père à une carrière de banquier. Mais il préfère étudier
le violon et la musique et, en 1844, se présente au public viennois avec
son propre ensemble, qui fait rapidement une ombre sévère à l’orchestre
de son père. A la mort de ce dernier, en 1849, Johann fils fusionne les
deux formations et ce nouvel orchestre triomphe dans toute l’Europe et
aux Etats-Unis.
Johann Strauss fils composera plus de cent soixante-dix valses, au
firmament desquelles brille la Valse de l’Empereur. Cette admirable
construction symphonique voit le jour à l’automne 1889, à l’occasion
d’une série de concerts dirigés par Strauss pour l’inauguration d’une
nouvelle salle de concert berlinoise, le Königsbau. Elle devait s’appeler
Hand in Hand (Main dans la main), en référence au pacte entre l’Autriche
et l’Allemagne signé au mois d’août précédent dans la capitale allemande.
Mais elle est présentée au public sous son titre définitif de KaiserWalzer, sans que l’on sache le motif de ce changement. Peut-être est-ce
l’avisé Fritz Simrock qui en fit la suggestion à Strauss, chacun des deux
monarques pouvant se reconnaître dans ce titre et y satisfaire sa vanité.
Cette valse était la première partition que Strauss publiait chez le célèbre
éditeur berlinois, auquel Brahms venait de le présenter (comme il l’avait
déjà fait pour Dvorák, nous le verrons plus loin). Néanmoins, la première
partition éditée (une réduction pour piano) porterait les seules armes de
l’Autriche… A sa création, le 21 octobre 1889, l’œuvre reçoit un accueil
triomphal et suscite ce commentaire dans la presse : « La Kaiser-Walzer
commence dans le genre prussien et guerrier, on croit vraiment voir et
entendre défiler la garde du vieux Fritz – mais ensuite... tout retrouve le
style léger et l’élan typiquement viennois. »
Après une introduction puissante, « Dans un tempo de marche lente », les
quatre valses se déploient dans un contraste très efficace de couleurs et de
caractères. L’optimisme et la majesté restent néanmoins toujours de mise,
jusqu’à la coda où un touchant solo de violoncelle précède l’étincelante
conclusion, avec cuivres en fanfare et roulements de timbales.
A partir de 1871, inspiré par le modèle français d’Offenbach, Johann
Strauss se mit à composer des opérettes. La troisième, La Chauve-Souris,
est de loin la plus populaire. Pourtant, elle fit un flop à sa création, le jour
de Pâques, le 5 avril 1874 au Theater an der Wien de Vienne. Strauss n’y
était pour rien, et se tailla même un beau succès personnel. Mais l’heure
n’était pas à la plaisanterie : l’année précédente, la bourse de Vienne s’était
effondrée, entraînant de nombreuses ruines et une vague de suicides.
Après onze soirs, le directeur du théâtre laissa la scène à Adelina Patti,
3
dans un mélodrame de Verdi dont le caractère tragique convenait mieux au
marasme ambiant : Ernani. Les amis de Strauss parvinrent à imposer une
reprise de La Chauve-Souris, sans plus de succès – seul Gustav Mahler
réussirait enfin à l’imposer à Vienne. En attendant, La Chauve-Souris
déchaîna l’enthousiasme en Allemagne. Mais, à Paris, elle se heurta à
un problème inattendu. Les librettistes, Richard Genée et Carl Haffner,
avaient puisé leur inspiration dans une pièce d’Henri Meilhac et Ludovic
Halévy, Le Réveillon. Les deux poètes – connus par ailleurs pour leur
collaboration à la Carmen de Bizet – s’opposèrent à l’utilisation du livret,
obligeant à sa réécriture entière par Alfred Delacour et Victor Wilder et
à de nombreux aménagements dans la partition. Inutile de préciser que
l’opérette, ainsi tripatouillée, ne rencontra qu’un maigre succès…
Depuis lors, cet ouvrage plein d’esprit et de panache a pris sa revanche. Son
étincelante ouverture, pot-pourri de thèmes à venir, adopte une structure
très habile qui mêle une sorte de forme sonate sans développement à
l’esprit d’une forme ternaire ABA. La succession des différents thèmes est
présentée deux fois : tout d’abord dans une tonalité changeante qui rompt
toute monotonie (on progresse de quarte en quarte), puis dans la tonalité
principale de la majeur. Avant l’exposition du dernier thème s’élève un
lancinant solo de hautbois, le seul dans une tonalité mineure et un tempo
plus alangui. Seul thème à ne pas être réexposé, il forme le cœur vibrant
de ce morceau à la grâce presque mozartienne et à l’énergie débordante.
La valse n’était pas seule à faire tourner les têtes viennoises. Moins
voluptueuse, plus piquante, la polka vient de la Bohême voisine ; à lui seul,
Johann Strauss fils en composa quelque cent soixante : polkas simples,
polkas « schnell » (polkas rapides), polkas « mazur » au parfum polonais
ou polkas françaises, qui toutes brillent par leur esprit et leur verve
étourdissante. Composée en 1858, Tritsch-Tratsch Polka (littéralement
« Polka Cancans ») est un clin d’œil à un nouvel hebdomadaire satirique,
Humoristisch-satyrische Wochenschrift Tritsch-Tratsch (Hebdomadaire
humoristique-satirique Cancans). Dès le second numéro, paru le 7 mars
1858, la revue inaugura sa nouvelle rubrique « Personnalités viennoises
célèbres » avec un portrait et une caricature du compositeur, ce qui dit
assez le prestige dont il jouissait. L’œuvre, qui décrit le commérage de
Viennoises au marché, répond également aux rumeurs d’aventures galantes
qui avaient accueilli Strauss à son retour d’une tournée triomphale en
Russie. Elle fut créée le 24 novembre de la même année dans une salle
richement décorée de l’auberge Zum Großen Zeisig (Au Grand Pinson),
située sur le glacis du Burg, et l’événement, largement annoncé dans la
presse, fit grand bruit.
Commencé en novembre 1867, Sous le tonnerre et les éclairs fut créé le 16
4
février 1868 dans le cadre du bal annuel donné par l’association d’artistes
viennois Hesperus. L’auteur pensait l’intituler Sternschnuppe (Etoile
filante), en hommage à l’honorable société – Hesperus (nom allemand
d’Hespéros) désignait en effet, dans la Grèce antique, le premier astre
apparaissant le soir (la planète Vénus, l’étoile du Berger). Le titre définitif
correspond bien mieux au caractère de cette polka virevoltante, ponctuée
de coups évocateurs de grosse caisse et de cymbales.
Outre les Johann père et fils, la dynastie Strauss comptait deux autres
membres éminents : Josef et Eduard, les deux jeunes frères du roi de la
Valse. Josef Strauss fit une carrière d’ingénieur et d’architecte avant
de rejoindre, dans les années 1850, l’orchestre familial. Bien lui en
prit : il laisse une œuvre peut nombreuse, mais d’une grande qualité.
Delirien-Walzer (1867) compte parmi ses valses les plus réussies, aux
côtés de Sphären-Klänge (Musique des sphères) et Dorfschwalben aus
Österreich (Hirondelles villageoises d’Autriche). Comme ces deux pages
éminemment poétiques, Delirien (Délire) témoigne du goût de Josef
pour les expérimentations harmoniques. L’introduction est une peinture
saisissante de divagations mentales dont on ne sait au juste si elles sont
produites par la fièvre ou l’abus de substances illicites. Les participants
au congrès de médecins qui avait passé commande de la partition
apprécièrent certainement que tout rentre ensuite dans l’ordre : remis sur
pied par leurs bons offices, le malade est bientôt apte à danser la valse la
plus radieuse qui soit.
Pendant que Vienne dansait, les pays voisins n’étaient pas en reste. Mais,
en cette période où les nations d’Europe redécouvraient leurs racines, leur
culture, leur langue, leur originalité, on vit émerger des formes musicales
nationales très typées, inspirées des danses populaires. En Hongrie, la
source d’approvisionnement ne fut pas l’authentique chant paysan tel
que le redécouvriraient Béla Bartók et Zoltán Kodály dans la première
décennie du XXe siècle, mais plutôt la forme élaborée et urbaine que les
orchestres tsiganes avaient donnée aux danses rustiques : le verbunkos.
Ce style musical tire son nom de l’allemand Werbung (recrutement), car il
trouve son origine dans les danses de recrutement militaire du XVIIIe siècle,
caractérisées par une section lente et langoureuse et un mouvement qui
s’accélère, jusqu’à un finale enivrant. Le verbunkos domina la musique
hongroise du XIXe siècle, prenant notamment une forme plus stylisée sous
le nom de csárdás. Pour toute l’Europe, il symbolisa la nation hongroise.
C’est lui irrigue des œuvres aussi différentes que la « Marche hongroise »
de La Damnation de Faust de Berlioz, les Danses bohémiennes de Pablo de
Sarasate et bien sûr les Rhapsodies hongroises de Liszt.
5
Johannes Brahms succomba également au charme de cette musique
sous l’archet d’Ede Reményi, un violoniste hongrois banni de son pays
pour avoir participé à la Révolution de 1848, amnistié en 1860 et nommé
alors violon solo de l’empereur François-Joseph. Les deux musiciens
firent connaissance à Hambourg en 1851 et partirent deux ans plus
tard pour une tournée commune. C’est alors que le virtuose hongrois fit
connaître au compositeur hambourgeois des airs en vogue dans son pays,
qui inspirèrent plus tard deux cahiers de Danses hongroises pour piano
à quatre mains. Le premier cahier fut publié en 1869 avec beaucoup
de succès, ce qui encouragea Reményi à réclamer des droits d’auteur.
La polémique qui s’ensuivit conduisit Brahms à publier en 1874, dans
l’Allgemeine Musikalische Zeitung, la sources de ces dix premières danses
(le manuscrit original de la version à quatre mains signalait pourtant :
« Danses hongroises arrangées par J. Brahms » !).
Le véritable vainqueur, dans le conflit opposant Brahms à Reményi, fut
l’éditeur Simrock. En 1870, deux ans après avoir repris les rênes de
l’entreprise familiale, Fritz Simrock, petit-fils du fondateur, transféra
le siège de l’entreprise de Bonn, trop provinciale, à Berlin – un choix
judicieux, puisque la capitale prussienne allait bientôt devenir celle de
l’empire. Le jeune directeur avait pour ambition d’imposer sa maison
comme l’un des principaux éditeurs européens, et comptait sur l’aura
de Brahms, son compositeur vedette, pour parvenir à ce rang. Le succès
du premier recueil de Danses hongroises constitua une avancée non
négligeable dans cette entreprise. Simrock persuada Brahms d’orchestrer
trois d’entre elles (les nos 1, 3 et 10), publiées en 1874. Il obtint enfin un
second cahier de onze nouvelles danses en 1880, mais Brahms refusa
de faire de nouvelles orchestrations. D’autres compositeurs, au nombre
desquels Antonín Dvorák, se chargèrent des orchestrations manquantes.
Ces danses forment une parenthèse dans l’œuvre de Brahms : le maître
de la grande forme, l’artisan de structures minutieusement pesées à
la cohérence inébranlable se laisse ici prendre au charme de cette
musique imprévisible, composée de brefs épisodes juxtaposés. Les
trois danses au programme de ce concert reprennent les principaux
éléments du verbunkos, notamment la pulsation marquée en pizzicatos
par les contrebasses, l’accompagnement en contretemps dans les voix
intermédiaires et l’alternance entre sections aux caractères tranchés :
le lassú (partie lente fantasque et passionnée) et le friss (partie vive au
tempo strict). Seule la n° 17 affiche clairement cette disposition, mais on
en trouve la trace dans la n° 1 (avec l’opposition entre l’Allegro molto et
le Vivace) comme dans la n° 5 (où lassú et friss se fondent dans un tempo
unique, Allegro, sans perdre toutefois leur personnalité propre). Dans les
sections correspondant au lassú, on retrouve les mélodies dévolues chez
6
les Tsiganes au violon solo ou à la clarinette, languides et majestueuses
à la fois avec leurs rythmes pointés, leurs motifs plaintifs en tierces
parallèles, leurs ornements séducteurs, le caractère oriental et un brin
sauvage de leurs gammes mineures avec deux secondes augmentées. Les
parties plus vives empruntent également de nombreux traits au friss du
verbunkos : le caractère enjoué, des rythmes marqués, riches en syncopes
et en contretemps, et de vives formules d’accompagnement en croches ou
doubles croches rappelant le jeu du cymbalum. Dans le second cahier, ce
net parfum magyar s’accompagne d’une écriture plus polyphonique, d’une
texture plus riche, traduisant un degré d’assimilation supérieur au propre
style de Brahms.
Les Danses hongroises connurent une digne postérité au travers des
Danses slaves d’Antonín Dvorák. Ces pièces naquirent en effet grâce
à l’entremise de Brahms, qui, après s’être enthousiasmé pour les Duos
moraves lors d’un concours dont il était juré, avait vanté les mérites de
son cadet auprès de Fritz Simrock. Celui-ci publia tout d’abord quelques
duos, puis, devant leur succès, commanda à son nouveau poulain des
danses, dans l’espoir de renouveler la réussite artistique et commerciale
des Danses hongroises. Dvorák se mit rapidement au travail : huit danses
pour piano à quatre mains virent le jour du 18 mars au 7 mai 1878, et
l’orchestration était achevée le 22 août. Le jeune musicien confia à son
mentor : « M. Simrock m’a demandé de composer quelques Danses slaves.
N’étant pas certain de la manière de les aborder, je me suis procuré vos
Danses hongroises, que j’ai pris la liberté de choisir comme modèle de mes
propres danses. »
La publication des danses propulsa Dvorák sur la scène internationale.
La réussite financière fut considérable. Simrock ne versa à l’auteur que
300 marks, mais Dvorák se rattrapa en obtenant, grâce aux danses, de
nombreuses commandes. Désireux de renouveler ce succès, Simrock passa
commande, huit ans plus tard, d’un second recueil de danses. Dvorák, qui
était entre-temps devenu un compositeur adulé, se montra tout d’abord
réticent. Mais il trouva finalement beaucoup de bonheur à composer
ce second lot, achevant le travail en un mois (du 4 juin au 9 juillet
1886). L’orchestration, en revanche, traîna en longueur : commencée en
novembre, elle ne fut achevée qu’au mois de janvier suivant, la veille de
la création. Le succès de l’Opus 72 égala celui l’Opus 46.
Au contraire de Brahms, Dvorák parle ici sa propre langue et n’a pas
besoin de s’appuyer sur des mélodies existantes. Le premier cahier
puise dans les rythmes populaires bohémiens et moraves, à l’exception
de la danse n° 2, une dumka (ballade fantasque originaire d’Ukraine).
Le second cahier, œuvre d’un compositeur mûr et adulé, témoigne d’une
7
science harmonique et orchestrale beaucoup plus variée et éprouvée. Il ne
s’agit plus de colorer un original en « noir et blanc » : en les orchestrant,
Dvorák repense chacune des danses et en fait de véritables petits tableaux.
L’Opus 72 déploie également une palette de danses beaucoup plus vaste,
s’élargissant aux rythmes polonais, serbes ou ukrainiens – Dvorák avait
pris le soin de choisir le terme générique de danses slaves, sans plus
de précision géographique. Le compositeur ne désigna pas lui-même
les danses populaires que cachaient ses pièces, mais les exégètes s’en
sont chargés par la suite. L’Opus 46 n° 1 est une furiant exubérante,
l’Opus 72 n° 2 une dumka teintée de nostalgie et de bouffées de passion,
et l’Opus 72 n° 8 une sousedská (une « danse de voisins ») fleurant bon la
valse, avec son élégance, sa majesté et ses harmonies recherchées.
En Russie, le XIXe siècle vit également émerger une musique nationale,
grâce au pionnier Mikhaïl Glinka et à la formidable génération qui suivit,
menée par Piotr Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Nikolaï RimskiKorsakov. Toutefois, ces trois musiciens n’entretenaient pas le même
rapport à la russité. Si Rimski et Moussorgski la revendiquaient fermement
– bien qu’employant des moyens différents –, Tchaïkovski se coulait plus
docilement dans le style occidental que lui avait transmis son maître,
Anton Rubinstein, un compositeur fortement influencé par la tradition
romantique allemande. Cette divergence de point de vue constitua même
la différence fondamentale entre le conservatoire de Saint-Pétersbourg,
fief de Rimski-Korsakov (qui y enseigna la composition à partir de 1871),
et l’établissement rival de Moscou, où le jeune Tchaïkovski enseigna à
partir de 1865.
Casse-Noisette, ballet en deux actes créé le 6 (18) décembre 1892 au Théâtre
Mariinski de Saint-Pétersbourg, témoigne parfaitement du cosmopolitisme
de son auteur. Le livret, œuvre d’Ivan Vsevolojski et Marius Petipa, s’inspire
d’un conte d’E.T.A. Hoffmann (Der Nußknacker und Mausekönig, c’est-àdire Le Casse-Noisette et le Roi des souris), via son adaptation en français
par Alexandre Dumas père, sous le titre Histoire d’un casse-noisette. La
musique, composée de février 1891 à mars 1892, puise à toutes sortes de
traditions. Dans la succession des « Danses caractéristiques », on trouve
par exemple aussi bien un « Trépak », danse russe frénétique, que des
« Danse chinoise » ou « Danse arabe » issues d’un Orient de fantaisie. Le
7 (19) mars 1892, quelques mois avant la création du ballet, Tchaïkovski
avait présenté au public une suite d’orchestre constituée de huit numéros.
Le dernier d’entre eux est la fameuse « Valse des fleurs », commencée dans
la délicatesse d’une harpe concertante pour finir dans l’étourdissement du
tutti orchestral.
8
BIOGRAPHIE
EMMANUEL KRIVINE
DIRECTION MUSICALE
D’origine russe par son père et polonaise par sa mère, Emmanuel
Krivine commence très jeune une carrière de violoniste : premier prix
du Conservatoire de Paris à seize ans, pensionnaire de la Chapelle
musicale Reine-Elisabeth, il étudie avec Henryk Szeryng et Yehudi
Menuhin et s’impose dans les concours les plus renommés.
En 1965, sa rencontre avec Karl Böhm à Salzbourg donne un tournant
décisif à sa carrière : il délaisse peu à peu l’archet pour la baguette.
Chef invité permanent du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio
France de 1976 à 1983, il occupe ensuite le poste de directeur musical
de l’Orchestre national de Lyon de 1987 à 2000. Il a également dirigé
l’Orchestre français des jeunes pendant onze ans.
Depuis son départ de l’Orchestre national de Lyon, il multiplie les
concerts et les tournées avec les meilleures formations, notamment les
Berliner Philharmoniker, le Concertgebouw d’Amsterdam, le London
Symphony Orchestra, le London Philharmonic Orchestra, le Chamber
Orchestra of Europe, le NHK de Tokyo, le Yomiuri Nippon Symphony
Orchestra, les orchestres de Boston, Cleveland, Philadelphie, Los
Angeles etc.
L’année 2004 est marquée par la naissance d’un nouvel orchestre,
la Chambre philharmonique, dont Emmanuel Krivine accepte avec
enthousiasme d’être le chef principal. Créé par un groupe de musiciens venus des quatre coins de l’Europe, cet ensemble se consacre à la
découverte et à l’interprétation d’un répertoire allant de l’époque
classique et romantique jusqu’à nos jours, choisissant les instruments
appropriés à chaque œuvre et à chaque époque. Après les concerts à la
Folle Journée de Nantes 2004, qui portèrent cet ensemble sur les fonds
baptismaux, la Chambre philharmonique a su, au travers de projets
ambitieux, démontrer la singularité de sa démarche et gagner progressivement une large reconnaissance, notamment au travers de sa première
réalisation discographique (la Messe en ut mineur de Mozart, parue chez
Naïve en novembre 2005).
Invité privilégié de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg depuis
2001, Emmanuel Krivine a construit avec cette formation une relation
très étroite. Depuis le début de la saison 2006/2007, il en est le directeur
musical.
10
LA CHAMBRE PHILHARMONIQUE
Violons I
Marieke Blankestijn
Matilda Kaul
Christophe Robert
Armelle Cuny
Fabien Roussel
Jasmine Eudeline
Miho Kamiya
Martin Reimann
Catherine Montier
Françoise Duffaud
Violons II
Frédéric Bardon
Anne Maury
John Wilson Meyer
Karine Gillette
Nathalie Descamps
Hélène Houzel
Heide Sibley
Altos
Catherine Puig
Ingrid Lormand
Laurence Duval
Delphine Blanc
Lucia Peralta
Serge Raban
Violoncelles
Nicolas Hartmann
Emmanuel Girard
Sergeï Istomin
Thomas Pitt
Frédéric Baldassare
Pauline Warnier
Contrebasses
David Sinclair
Elise Christiaens
Michael Willens
Bret Simner
Flûtes
Alexis Kossenko
Amélie Michel
Catherine Puertolas
Hautbois
Christian Moreaux
Jean-Marc Philippe
Clarinettes
Nicola Boud
Ernst Schlader
Bassons
David Douçot
Étienne Buet
Cors
Antoine Dreyfuss
Emmanuel Padieu
Pierre-Yves Madeuf
Pierre Turpin
Trompettes
Guillaume Jehl
Gilles Mercier
Trombones
Laurent Madeuf
Antoine Ganaye
Cédric Vinatier
Tuba
Arnaud Boukhitine
Timbales
Stéphane Pélégri
Percussions
Emmanuel Curt
Dominique Lacomblez
Nicolas Martynciow
Harpe
Fabrice Pierre
11
LA CHAMBRE PHILHARMONIQUE
Née sous l’égide d’Emmanuel Krivine, la Chambre philharmonique se
veut l’avènement d’une utopie. Orchestre d’un genre nouveau, constitué
de musiciens issus des meilleures formations européennes et animés
d’un même désir musical, la Chambre philharmonique fait, du plaisir
et de la découverte, le cœur d’une nouvelle aventure en musique. Dotée
d’une architecture inédite (instrumentistes et chef se côtoient avec les
mêmes statuts, le recrutement par cooptation privilégie les affinités),
et d’un fonctionnement autour de projets spécifiques et ponctuels, la
Chambre philharmonique est aussi un lieu de recherches et d’échanges,
retrouvant effectifs, instruments et techniques historiques appropriés à
chaque répertoire.
Depuis ses débuts à la Folle journée de Nantes en 2004, la Chambre
philharmonique a connu un engouement partout renouvelé (Cité de la
musique à Paris, Opéra royal de Versailles, Arsenal de Metz, MC2
à Grenoble, Corum à Montpellier, Opéra de Monte-Carlo, Palau de la
Música Catalana à Barcelone, ...), notamment aux côtés d’Andreas
Staier, Emanuel Ax, Christophe Coin, Sandrine Piau, Véronique Gens
et Alexander Janiczek, et s’ouvre à la musique d’aujourd’hui en commandant des créations à des compositeurs : Bruno Mantovani en 2005
et Yan Maresz en 2006.
Premier enregistrement de l’orchestre, la Messe en ut mineur de Mozart
parue en novembre 2005 marque le début d’une collaboration avec
Naïve. Elle a réuni le chœur Accentus, Sandrine Piau, Anne-Lise
Sollied, Paul Agnew, Frédéric Caton et a donné lieu à une importante
tournée.
La seconde parution discographique de la Chambre philharmonique et
Emmanuel Krivine (fin 2006) est consacrée à Mendelssohn.
Mécénat Musical Société Générale est le mécène principal de la
Chambre philharmonique.
La Chambre philharmonique est subventionnée par le ministère de la
Culture et de la Communication.
Production : Instant Pluriel.
12
L'OPÉRA NATIONAL DE LYON REMERCIE POUR LEUR GÉNÉREUX SOUTIEN, LES ENTREPRISES
MÉCÈNES ET PARTENAIRES
Mécènes principaux
CIC Lyonnaise de Banque
Les jeunes à l’Opéra
Mécène fondateur
Fondation d'entreprise La Poste
Partenaire du projet Kaléidoscope
2006-2009
Caisse des Dépôts
Partenaire des
Journées Portes Ouvertes
Club Entreprises de l'Opéra de Lyon
Membre fondateur
Partenaires d’échange
CONTACT GERSENDE DE PONTBRIAND
Tél. : 04 72 00 45 38
[email protected]
Membres associés
Membres associés
Partenaires médias
Rédaction Sophie Gretzel
Opéra national de Lyon
Place de la Comédie 69001 Lyon
Directeur général : Serge Dorny
0 826 305 325 (0,15€/ mn)
fax + 33 (0) 4 72 00 45 46
WWW.OPERA-LYON.COM
L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville
de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône.