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DIAGONALES 006 Juin 2 4 ° N LOGEMENT : ENTRE SOLIDARITÉS ET EXCLUSIONS ité es lidar caiss a so s l e r d u on le po tiona ndati a gne o r n F a e a p l d’E e son Caiss ril 2001, ion d les et la v isses ls a e a u n n C p g e r tion ’Epa ique us l’im ontre la onda ses d tilité publ e, so te c à n is t è a u l La F C m u âge, d’ de les rité d r e a s n a u d n p a n li r o n i o e g s ct me. co Créé e, re ne pour la , des a t liées au d’illettris des n g r mo men lhaud d’épa s d’Eparg tions s Mi et d’isole es situa é de ses e e l s r is a d Ca à Ch rsit nce ial, ident dépenda ou encore r la dive o-soc à prés a ic e p p d d a é c e i s m e d e laris grâc ire et form e, au han singu anita services i s e d s r a l u ma tion secte ts et et onda tif du lissemen a r it et m s La F vention. c o ç lu b n a n t o ir r é no elle c e “ Savo d’inte eur à but au de 72 ons, i m s t e u a l s r c , com . ex n ré rateurs. Opé in s u a e l r r e e r e te è o lue. tr m elle g 50 collab lutte con tions de e l’illettris et les éva 8 la ac ontr nne ses 2 direct de me des tte c lectio . u l é ê s r e u s d m Acte vre elle- matière lle le gide u nts, e ns sous é n a e œ v , o ” n n e ir in datio réuss projets s fon r e pour u d e i r s ceu plu Finan rite enfin b Elle a Une Fondation au cœur des solidarités Une Fondation en rapide développement Son statut De 2002 à 2006, la Fondation est passée de : • Fondation reconnue d’utilité publique par décret du 11 avril 2001 • Fondateurs : les caisses d’épargne et la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne • Objet : agir contre toutes les formes de dépendance et d’exclusion sociale • Dotation initiale : 15,24 millions d’euros • Conseil d’administration présidé par Charles Milhaud 21 établissements et services à 72 établissements et services gérés, • 1 800 places d’accueil à 4 500 places d’accueil, • 985 collaborateurs à 2 850 collaborateurs, • 46,2 millions d’euros de ressources dont 2,5 millions d’euros de dons à 126* millions d’euros dont 5,8 millions d’euros de dons reçus. Ses modes d’intervention *chiffres bilan 2005 • Opérateur à but non lucratif du secteur sanitaire et médicosocial en sa qualité de gestionnaire d’établissements et de services • Acteur direct de la lutte contre l’illettrisme • Financeur de projets innovants • Organisateur de débats publics • Hébergeur de fondations sous égide La Fondation est désormais le premier réseau privé à but non lucratif de résidences accueillant des personnes âgées dépendantes. A la fin de l’année 2006, elle devrait être, avec près de 3 000 collaborateurs, la première fondation reconnue d’utilité publique par le nombre de ses salariés. • Dans ses actions de lutte contre l’illettrisme, la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité a développé le dispositif « Savoirs pour réussir », qui compte à ce jour, cinq sites accueillant plus de 500 jeunes de 17 à 25 ans fragilisés par la vie, pour leur permettre de reprendre goût à la lecture, l’écriture et le calcul. Fin 2006, cinq nouveaux sites devraient être opérationnels. www.fces.fr 2 3 SOMMAIRE p08 p58 Comment aménager le logement pour tous ? Emmanuelle Ladet, architecte et responsable du service immobilier à la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité p64 Comment organiser les nouvelles technologies autour du logement, des services et des loisirs accessibles à tous ? Jean-Pierre Paray, conseiller municipal à la mairie d’Eragny, chef de projet Emploi/Handicap p70 Comment penser le transport adapté à tous ? Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône Présidée par Jean-Yves Ruaux, rédacteur en chef de seniorscopie.com p75 Conclusion, Gérard-François Dumont Quels enjeux démographiques ? Catherine Bonvalet, adjointe au directeur de l’INED p76 Table ronde 3 COMMENT GARANTIR L’AUTONOMIE RÉSIDENTIELLE À CHAQUE GÉNÉRATION ? p78 Présidée par Pierre Dutrieu, directeur du développement durable et de l’Intérêt général, Caisse Nationale des Caisses d’Epargne p80 Quel est l’impact de la crise de la famille et des recompositions familiales sur le logement et sur les comportements des jeunes générations face au logement ? François de Singly, professeur à l’Université de Paris V Descartes p86 Grands séniors, comment avoir moins et être plus ? François de Witt, journaliste, auteur de « Appauvrissez-vous ! » p90 Vivre dans un immeuble comme les autres, avec un handicap très lourd, le projet Auton’Home à Issy-les-Moulineaux. André Santini, ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux p96 Conclusion, Pierre Dutrieu p98 Conclusion Ouverture Charles Milhaud, président de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité p15 p16 p18 p20 p24 Trois tables rondes Table ronde 1 VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION, QUEL IMPACT SUR LE LOGEMENT POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? Dans quels espaces résideront les personnes âgées dans les prochaines décennies ? Quels impacts pour l’aménagement des territoires ? Jean-François Ghekière, maître de conférence à l’Université de Lille 1 p30 Le maintien à domicile des personnes âgées : les enjeux et les axes de travail pour les bailleurs sociaux ? Juliette Furet, conseillère technique à l’Union Sociale pour l’Habitat p38 Conclusion, Jean-Yves Ruaux p42 « Déambulation » Une fiction distinguée par un jury de la Fondation p48 Table ronde 2 COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES ? p50 Présidée par le Recteur Gérard-François Dumont, président de l’association Population et Avenir p52 Comment aménager le logement pour tous ? Pierre-Henri Daure, directeur général de la FEDOSAD-Fédération Dijonnaise des œuvres de soutien à domicile 4 Didier Tabuteau, directeur général de la Fondation 5 la pour e n g r ux d’Epa es, a isses niversitair roiser a C u tion ir c onda nels, aux n, de ven ncepts F a l n o ” de rofessio datio les c ales p a Fon nfronter n l x o e u g a d ires “ Dia sent s, co Les ité propo x partena périence ecteur. s u r x juin a a e is de solid ux du ns et nger les o e j o i m n t e a u i a a c s n au sion asso ards, éch battre de essio ur s s e s e n g é : une ciale et u au secte les re lités et d r an a a es é p r n so s x au foi lusio relativ c x x s u e e ’ l u de atiqu es à nt lie tiques lié des thém o s Elle éma bre sur es th sur d e décem o-social. d ic mois e et méd ir a it san 6 7 Ouverture Mesdames, Messieurs, Chers amis, ’est avec plaisir que je vais ouvrir ce matin la IVe édition des Diagonales, qui est organisée par notre Fondation. Mises en place en décembre 2004, les Diagonales sont devenues un rendezvous, je l’espère attendu, pour les personnalités, les acteurs et les représentants des secteurs concernés que vous êtes. Avec ces rencontres, la Fondation a tenu parole, la parole des solidarités. Dès décembre 2004, les premières Diagonales ont pu se tenir, en présence de Catherine Vautrin, secrétaire d’Etat aux Personnes âgées, sur le thème de « Dépendances, handicaps, maladies : quelles convergences ? ». En juin 2005, les deuxièmes Diagonales ont porté sur « Les jeunes et l’exclusion », avec la participation de Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre la discrimination pour l’égalité. Le 5 décembre dernier, j’ai eu le plaisir d’accueillir Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille, pour les troisièmes Diagonales centrées sur « Dépendance, handicap, maladie : aider les familles, l’entourage et les professionnels ». C Charles Milhaud Président de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité 8 Transversales ou sources d’innovation, les Diagonales contribuent, deux fois par an, à mettre en exergue des points de convergence et permettent à la Fondation d’être force de propositions auprès des pouvoirs publics, lors de la préparation des évolutions techniques, sociales et réglementaires. Elles donnent lieu, à chaque fois, à la publication d’actes, dont la troisième édition est mise à votre disposition aujourd’hui. La IVe édition des Diagonales traite de la question du logement et de la mise en œuvre de ce droit fondamental de l’homme, inscrit d’ailleurs dans le préambule de la Constitution de 1946. Nous le savons, le logement est un vaste chantier, au sens propre du terme bien sûr, mais aussi au sens économique. En 2004, on estimait le parc à un peu plus de 30 millions de logements en France, dont plus de 25 millions de résidences principales. Sur le parc des résidences principales, on dénombrait 14 millions de propriétaires et 11 millions de locataires. Quant au marché immobilier, il a représenté, la même année, 860 000 transactions, 130 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La dépense nationale du logement s’est élevée à plus de 21 % du produit intérieur brut, soit près de 333 milliards d’euros, et a représenté 21 % de la consommation des ménages. 9 Mais le logement demeure également une priorité politique. Cette question est, en effet, au cœur de bien des politiques publiques. Plus de 6 millions de personnes sont aujourd’hui bénéficiaires des aides au logement en France et le logement représente 3 % des prestations sociales, soit près de 14 milliards d’euros. “... La dépense nationale du logement s’est élevée à plus de 21 % du produit intérieur brut, soit près de 333 milliards d’euros et a représenté 21 % de la consommation des ménages...” Enfin, il est à l’évidence un chantier social. Le septième rapport de la Fondation Abbé Pierre, de mars 2002, a évalué à 3 millions le nombre de personnes mal logées en France. Parmi elles : • 86 000 étaient sans domicile ; • 200 000 étaient hébergées à l’hôtel, en habitat précaire, ou par des parents et amis ; • 500 000 vivaient en habitat temporaire ou précaire ; • et 2 millions de personnes étaient installées dans les logements insalubres. La question du logement est ainsi au centre des préoccupations de bien des familles et particulièrement pour les jeunes générations. Elle peut, même, devenir source de souffrances lorsque le logement n’est pas adapté, notamment aux personnes les plus fragiles de notre société, que ce soit les personnes âgées ou les personnes touchées par la maladie ou le handicap. Voilà les enjeux auxquels cette journée voudrait faire face. Et la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité est là pleinement dans son rôle. Autour du logement peuvent se tisser des solidarités, qui favorisent l’insertion sociale et professionnelle, l’autonomie, les relations de voisinage et de citoyenneté. Mais peuvent également se forger des exclusions fortes, qui condamnent certains à demeurer à l’écart ou rester enfermés dans l’indifférence et parfois dans des formes de solitude insoutenable. 10 Pour éclaircir ces débats, la Fondation a fait réaliser un sondage TNS-Sofres. Ses conclusions sont instructives : 17 % des personnes interrogées ont déjà été confrontées à des problèmes de logement pour un proche âgé, malade ou handicapé. Plus d’une personne sur six est donc directement concernée par cette question. “... Pour éclaircir ces débats, la Fondation a fait réaliser un sondage : 17 % des personnes interrogées ont déjà été confrontées à des problèmes de logement pour un proche âgé, malade ou handicapé...” Cette proportion risque malheureusement d’être beaucoup plus importante à l’horizon 2040. De 2000 à 2040, le nombre de personnes de plus de 85 ans passera, sans doute, de 1,2 million à 3,7 millions. Tout laisse, en effet, à penser que cette proportion de personnes concernées par cette question augmentera, du fait du vieillissement de la population, mais aussi du fait du souhait, massivement exprimé également à travers ce sondage, en faveur de l’habitat individuel aménagé, permettant l’autonomie et le maintien du lien social. 82 % des personnes interrogées y sont favorables, contre 13 % pour une prise en charge en établissement spécialisé. Objet de campagnes de sensibilisation récurrentes depuis quelques temps, le maintien à domicile se voit ici incontestablement plébiscité. Pouvoir vivre chez soi, le plus longtemps possible, le mieux possible, constitue une attente forte chez les Français et ceci quelle que soit la tranche d’âge. En ce qui concerne les jeunes, les personnes interrogées font, là encore massivement, le constat d’une dégradation de leur situation en matière d’emploi bien sûr et en matière de logement. 84 % estiment que l’accession au logement est plus difficile actuellement pour les jeunes que dans les années 60-70. Ce constat est partagé par les jeunes bien sûr, à 78 %, mais il est conforté par les aînés de plus de 65 ans à plus de 85 %. Grands-parents et petitsenfants se retrouvent sur cette appréciation. Il faut également noter que la difficulté d’accéder au logement arrive juste après celle de trouver un emploi. 11 “... C’est vers une politique publique de proximité, portée par des bailleurs sociaux, que l’opinion publique se tourne pour résoudre les difficultés d’accès au logement...” Dernier point saillant de ce sondage, les collectivités locales, les sociétés d’HLM et le gouvernement sont les trois acteurs, les plus attendus, pour répondre au problème du logement des jeunes et des personnes âgées. C’est vers une politique publique de proximité, portée par des bailleurs sociaux, que l’opinion publique se tourne pour résoudre les difficultés d’accès au logement. Le défi est considérable pour notre société. Au-delà de la Fondation, le Groupe Caisse d’Epargne se doit d’être un acteur engagé dans ces perspectives, par chacune de ses caisses mais aussi par ses filiales de logement social. Pour revenir à la Fondation, elle est, à plus d’un titre, concernée par la question du logement : • d’abord, en qualité de gestionnaire d’un réseau de près de 70 établissements médico-sociaux qui accueillent 4 500 personnes âgées, et de 3 établissements sanitaires, qui soignent en soins de suite, médecine physique de réadaptation, plus de 4 000 patients par an, avant le retour à leur domicile ; • ensuite, par sa politique de mécénat, puisqu’elle soutient, dans le cadre de ses 11 opérations d’intérêt général, des projets en faveur de l’adaptation du logement et de la mise en réseau des services, dans le domaine de l’habitat et de la santé. La Fondation est, de plus, directement confrontée aux difficultés sociales que connaissent les jeunes de 18 à 25 ans, repérés en situation d’illettrisme, qu’elle accueille dans les cinq sites, aujourd’hui opérationnels de « Savoirs pour réussir ». Enfin, la Fondation essaie de faire œuvre utile grâce à des journées comme celle-ci, en tentant de faire émerger des solutions, en contribuant aux débats, et en cherchant à faire évoluer les comportements. Elle conclut également des partenariats avec les grands acteurs du secteur. 12 A titre d’exemple, par son partenariat avec la Confédération artisanale des petites entreprises du bâtiment, en mai 2005, la Fondation a permis la publication d’un guide pratique du logement adaptable et sa diffusion à l’ensemble des professionnels des PME et des artisans du bâtiment pour les sensibiliser à ces réalités. Ce document, véritable cahier des charges pour les petites entreprises du bâtiment, aide à mieux prendre en compte les questions d’adaptabilité et d’environnement, comme les besoins spécifiques des personnes malades, handicapées ou âgées, dans les projets de construction ou de réadaptation. Permettez-moi également de dire un mot du prix Confort de vie, décerné par la Fondation du Crédit foncier de France, le 18 mai dernier. Le premier prix de l’innovation technologique a été attribué au projet baptisé « Auton’home ». Unique à plus d’un titre, il s’agit de l’aménagement complet d’un logement pour qu’une personne atteinte de la maladie des os de verre, dans l’impossibilité de se mettre debout et de s’asseoir, puisse manger, dormir, se laver, recevoir, s’éclairer, travailler par Internet, en somme réaliser tous les gestes de la vie quotidienne à partir du sol. André Santini nous fera l’honneur de nous présenter, cet après-midi, cette très belle réalisation que la ville d’Issy-les-Moulineaux et un bailleur social local ont soutenue. Enfin, la Fondation a pour mission de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées. Elle compte aujourd’hui 4 500 abonnés dans ses services d’insertion au retour et au maintien à domicile. Elle finance, par ailleurs, des projets en faveur du maintien ou du retour à domicile grâce au label Habitat Senior Service, proposé par l’association Delphis. Six entreprises sociales pour l’habitat ont été retenues et ont bénéficié, chacune, d’un soutien significatif. Ces projets permettent d’améliorer la gestion des parcs de logements adaptés au vieillissement et au handicap, de garantir l’accessibilité des abords et des parties communes, de mettre en place des nouveaux services d’aide à domicile et d’assurer la formation du personnel du bailleur. Pour conclure, je voudrais insister sur les perspectives qui se dessinent et sur lesquelles il faudra continuer de travailler d’arrache-pied. D’abord, proposer des habitats évolutifs, non 13 seulement pour faciliter la vie des personnes à mobilité réduite, mais pour permettre, également, d’anticiper le vieillissement de la population. Dès leur conception, ces habitats seront pensés pour pouvoir s’ajuster au besoin en devenir des personnes. Ensuite, concevoir des évolutions, non plus uniquement en termes d’habitat, mais en termes d’environnement urbain. Il convient de développer une vision globale de la ville dans laquelle chacun se sente admis et dans laquelle l’exclusion régresse. Il faut reconsidérer les choses et parvenir à regarder les solidarités envers les aînés, envers les jeunes et envers les personnes qui souffrent de maladie et de handicap, non comme une charge mais comme un facteur de progrès pour tous. C’est le but de ces rencontres, c’est le but de ces diagonales et je vous souhaite donc une très bonne journée, merci. 14 Trois tables rondes ur les ent po m e g ur le lo pact s im l e n, qu pulatio o p la ent de s? ? illissem ie les âge ération V ? s n s u é e 1 o g r t u e r t u pou chaqu tions f la ville ielle à ir t o n généra v e e id c on ie rés ment c tonom u a l’ 2 - Com ir arant ment g m o C 3- 15 Première table ronde VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION, QUEL IMPACT SUR LE LOGEMENT POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? 1 INTERVENANTS Catherine Bonvalet Adjointe au directeur de l’INED Jean-François Ghekière Maître de conférence à l’Université de Lille 1 Juliette Furet Conseillère technique à l’Union Sociale de l’Habitat 16 17 Introduction Par Jean-Yves Ruaux Rédacteur en chef de Seniorscopie.com Jean-Yves Ruaux, vous êtes le rédacteur en chef de Seniorscopie.com, la lettre d’informations professionnelles du magazine Notre Temps. Vous êtes le grand témoin pour cette première table ronde. Qu’attendez-vous de cet échange puisque vous allez porter un regard à la fois distancié et global ? Jean-Yves Ruaux > Mon regard ne sera pas vraiment distancié mais plutôt impliqué, ne serait-ce que par l’intitulé même de cette première table ronde. En effet, l’impact de la question du logement pour les générations futures est lié au vieillissement de la population. Il s’agit sans doute du chantier le plus important auquel nous ayons à faire face. J’attends de ces échanges une définition des enjeux, de la pertinence des critères et des préconisations qui pourront en découler. Aujourd’hui, les « baby-boomers », arrivent à la retraite. Demain, dans vingt ans, ils entreront dans la grande vieillesse. Le pays sera confronté alors à une situation inédite avec la proportion de gens âgés la plus importante qu’il ait jamais connu. Resteront-ils intégrés à la vie sociale ou seront-ils confinés dans des « ghettos » pour vieux ? A cette question, s’ajoute le fait que cette génération du baby-boom ne veut pas entendre dire qu’elle deviendra vieille à son tour. Vieillir est pourtant ce qui arrivera à chacun d’entre nous. 18 19 VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION, QUEL IMPACT SUR LE LOGEMENT POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? Quels enjeux démographiques ? L e nombre de personnes âgées, très âgées même, augmentera considérablement dans les prochaines décennies. Selon les projections de l’INSEE, en 2050, plus d’un tiers de la population sera âgée de plus de 60 ans, contre un cinquième à l’heure actuelle. Cela représente 35 % de plus. En 1950, 11 % de la population avait plus de 65 ans, ils étaient 16 % en l’an 2000, et seront plus de 27 % en 2050. Il convient néanmoins de nuancer cette notion du vieillissement reposant sur le seul âge. Les critères liés à l’âge biologique évoluent et si, au moment de la Révolution française, la vieillesse se situait autour de 45 ans, aujourd’hui les personnes de 50-65 ans sont considérées comme des jeunes retraités, des « seniors ». Au cours des prochaines quarante années le nombre de personnes âgées de 75 ans et plus sera multiplié par trois. La population de personnes de plus de 85 ans passera, quant à elle, de 1 300 000 à 4 800 000 personnes. On verra de fait une génération de retraités de 65 ans qui devra prendre en charge une génération de retraités de 85 ans. En 2035, l’espérance de vie augmentera de vingt ans pour un homme et de trente-quatre ans pour une femme : il sera normal de voir grandir ses petits-enfants, voire ses arrière-petits-enfants. A ce jour, on estime que 30 000 familles comportent cinq générations. Catherine Bonvalet Adjointe au directeur de l’Institut national des études démographiques 20 L’INSEE, dans ses prévisions moyennes, établit l’espérance de vie, à la naissance, à 84 ans pour un homme et 91 ans pour une femme (une hypothèse optimiste prévoit une espérance de vie de 94 ans pour une femme). Les conséquences de l’allongement de l’espérance de vie ont un impact direct sur l’autonomie. 21 “... En 2035, le nombre de personnes âgées dépendantes oscillera entre 1 000 000 et 1 500 000 (...) ce qui représente une augmentation de 43 % par rapport à aujourd'hui....” A 60-65 ans, les personnes continuent d’habiter les mêmes logements que le reste de la population, et 73 % des retraités sont propriétaires. L’adaptation des logements est une question qui se pose au moment de la perte d’autonomie et de son corollaire, la survenue de la dépendance. A titre d’exemple, 5 % de ces personnes ont besoin d’aide pour sortir de chez elles : ce chiffre passe de 15 % pour les 70-79 ans, à 43 % pour les 80-89 ans, et 76 % au-delà de 90 ans. Tous ces indices ont poussé les chercheurs à distinguer dans l’espérance de vie, l’espérance de vie sans incapacité et l’espérance de vie avec incapacité. En 1991, l’espérance de vie avec incapacité était de 8 ans pour les femmes et de 5,6 ans pour les hommes, l’espérance de vie avec incapacité grave pour les femmes se situant autour de 2 ans. Toujours selon l’INSEE, en 2035, le nombre de personnes âgées dépendantes oscillera entre 1 000 000 et 1 500 000 – la prévision moyenne se situant autour de 1 200 000 – ce qui représente une augmentation de 43 % par rapport à aujourd’hui. Le baby-boom a entraîné un accroissement de la population, et les parents de ces nombreux enfants se trouvent, par conséquent, très entourés. Mais d’ici trente ans, on peut se poser la question de savoir qui prendra en charge la génération du baby-boom, qui ne disposera, à l’horizon 2050, que de 2,8 aidants potentiels pour les hommes et de moins de 2 pour les femmes ? Par ailleurs, on constate que si les hommes vivent moins longtemps, ils vivent plus entourés, et le problème se posera donc pour les femmes, pour ces veuves qui termineront leur vie seules. On compte aujourd’hui 160 000 personnes isolées, sans conjoint ni enfants. Une réflexion approfondie s’impose, en termes de solidarité familiale et de solidarité publique, sur la prise en charge de ces personnes âgées, sur l’opportunité d’un choix de déménagement ou d’un logement adapté à l’âge et à la perte d’autonomie. D’une façon plus générale face au défi du vieillissement, la question du rôle des politiques publiques et donc de celui des acteurs de l’habitat et de l’action sociale est fortement posée. Quelles seront leurs réponses aux besoins des personnes âgées de plus en plus nombreuses et notamment par rapport à : l’adaptation du logement, la demande de services de proximité, la demande de sécurité au niveau de l’immeuble, du lotissement, la demande de nouvelles structures, de mobilité et d’accessibilité à la ville, ce qui nécessite une réelle politique de transports publics, notamment en périurbain et dans le monde rural ? 22 23 VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION, QUEL IMPACT SUR LE LOGEMENT POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? Dans quels espaces résideront les personnes âgées dans les prochaines décennies ? Quels impacts pour l’aménagement des territoires ? Des espaces urbains épargnés par le vieillissement démographique mais soumis à une forte croissance de la population âgée Une inertie de la distribution spatiale du vieillissement démographique Jean-François Ghekière Maître de conférence à l’Université de Lille I 24 “... La disposition générale du vieillissement dans les départements français n’a guère évolué depuis plusieurs décennies...” Les recherches menées sur les dimensions spatiales du vieillissement démographique, à l’échelle des départements français, montrent une extrême stabilité des répartitions voire une légère diminution des inégalités spatiales au cours des deux dernières périodes intercensitaires. En effet, même si le vieillissement a progressé sur l’ensemble du territoire, la disposition générale du vieillissement dans les départements français n’a guère évolué depuis plusieurs décennies. Les départements les plus jeunes en 1968 demeurent très jeunes en 1999. Les départements les plus vieillis en 1968, le sont toujours en 1999. Ainsi, depuis plusieurs décennies, on oppose les espaces ruraux du Sud-Ouest et une frange littorale fortement vieillis aux zones urbaines et un Nord-Est français nettement plus jeunes. La persistance de cette configuration renforce l’idée que le vieillissement concerne peu les espaces urbains. 25 Une population âgée concentrée dans les espaces urbains Pourtant, la grande majorité de la population âgée réside dans les villes. Le département le plus peuplé en personnes âgées est le Nord avec 461 236 personnes âgées de 60 ans ou plus. Il est pourtant classé parmi les 10 départements les plus jeunes de France et possède 11 fois plus de personnes âgées que le département le plus vieilli de France, la Creuse. On ne peut donc évacuer les questions relatives aux personnes âgées et au vieillissement démographique dans les villes sous prétexte que ces dernières présentent des taux de vieillissement relativement faibles. Le renforcement de la concentration des personnes âgées dans les espaces urbains De plus, les plus fortes croissances de la population âgée de 60 ans ou plus, enregistrées entre 1990 et 1999, sont souvent observées dans les grandes villes françaises. Il y a clairement une opposition entre un Sud-Ouest de la France qui demeure certes très vieilli mais qui enregistre de faibles croissances de la population âgée de 60 ans ou plus fondés sur de faibles effectifs, et une France jeune et urbaine, qui, hormis Paris intra-muros, enregistre les plus fortes intensités de croissance fondées sur des effectifs considérables. On assiste donc à un renforcement de la concentration de la population âgée dans les villes françaises. Répartition spatiale des générations du baby-boom et anticipation de la gérontocroissance dans les 36 500 communes françaises La comparaison des inégalités de distribution de la population âgée actuelle et de la population qui entrera au sein de la population âgée au cours des deux prochaines décennies (quadragénaires et quinquagénaires actuels) est saisissante. En effet, au recensement de 1999, la population âgée de 60 ans ou plus apparaît sous-représentée dans toutes les zones urbaines françaises. Les quinquagénaires et quadragénaires se localisent préférentiellement dans les zones urbaines et plus précisément dans 26 toutes les banlieues des villes françaises. Les quadragénaires occupent préférentiellement une zone périphérique étendue autour des villes tandis que les quinquagénaires se localisent davantage dans les banlieues, relativement proches des centres-ville. L’arrivée des générations du baby-boom au sein de la population âgée devrait donc remodeler la distribution de la population âgée sur le territoire français. Un net accroissement de la population âgée en périphérie des villes françaises semble inévitable compte tenu de la faible propension à migrer des populations âgées. “... Dans la couronne externe de banlieue, les générations d’accédants à la propriété des années 1970 sont actuellement âgées de 40 à 54 ans. Elles constituent un important potentiel d’accroissement de la population âgée pour les années 2010-2030...” L’explication de l’inégale distribution des générations sur le territoire français relève du cycle de vie des ménages et des formes spatiales de la croissance urbaine prévalant depuis 1950. La croissance démographique s’est déversée au cours des années 1960 sur la première couronne de banlieue, puis sur la couronne externe de banlieue durant les années 1970 et, enfin, sur l’espace périurbain au cours des années 1980-1990. Les jeunes ménages, en quête de logements neufs, se sont tournés vers les constructions de la périphérie des villes. L’augmentation du nombre de personnes âgées que connaissent actuellement les espaces de proche banlieue, correspond à l’arrivée à l’âge de la retraite des premiers établissements de jeunes couples arrivés dans ces communes durant les années 1960. Dans la couronne externe de banlieue, le peuplement ayant été plus tardif, les générations d’accédants à la propriété des années 1970 sont actuellement âgées de 40 à 54 ans. Elles constituent un important potentiel d’accroissement de la population âgée pour les années 2010-2030. Formes spatiales de la gérontocroissance et aménagement des territoires urbains La question de l’adaptation des logements au vieillissement des individus peut être posée. En effet, la perte progressive de mobilité de l’individu âgé impose des aménagements au sein du logement. Or, les logements construits dans les proches banlieues des villes françaises ont été conçus pour de jeunes ménages. Il s’agit, le plus 27 “... La perte progressive de mobilité de l’individu âgé impose des aménagements au sein du logement. Or, les logements construits dans les proches banlieues des villes françaises ont été conçus pour de jeunes ménages...” souvent, de maisons de lotissement avec des chambres et une salle de bain à l’étage, un garage et un jardin. Ces logements sont souvent inadaptés au vieillissement des individus et demandent des aménagements considérables lorsque le résident âgé n’est plus capable de se rendre à l’étage. Le déménagement, dans un logement de plain-pied adapté, est également une solution. Il appartient donc aux aménageurs de développer des logements adaptés, physiquement et financièrement, aux personnes âgées, en banlieue, à proximité des lieux de vie actuels des jeunes personnes âgées et des services accessibles, si l’on désire répondre aux attentes de cette population. De même, les banlieues des villes françaises ont été conçues pour des populations jeunes et mobiles sur un principe de segmentation de l’espace entre des zones résidentielles, des zones commerciales, des zones d’activité ou encore des zones récréatives. Le fonctionnement de ces banlieues repose sur un recours quotidien à l’automobile. Or, les individus âgés dont la vue et les réflexes s’amenuisent avec l’avancée en âge ont tendance à limiter l’usage de l’automobile. Le vieillissement démographique des populations des banlieues demande une réorganisation des transports urbains. Le déplacement du vieillissement démographique pose également la question de l’adaptation de la localisation des équipements spécifiques. Les maisons de retraite, les laboratoires d’analyse, les spécialistes, les hôpitaux de long séjour se localisent préférentiellement au centre-ville. Dans les années à venir, les services devront s’adapter à la nouvelle position des individus âgés dans la ville. 28 29 VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION, QUEL IMPACT SUR LE LOGEMENT POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? Le maintien à domicile des personnes âgées : les enjeux et les axes de travail pour les bailleurs sociaux. “... En 1999, 25,6% des logements sociaux étaient occupés par des locataires de plus de 60 ans. 10,2% d’entre eux avaient plus de 75 ans...” Juliette Furet Conseillère technique à l’Union Sociale pour l’Habitat 30 e parc social compte aujourd’hui environ 4 millions de logements, accueillant des publics diversifiés parmi lesquels une part croissante de ménages à bas et très bas revenus. Les personnes âgées et très âgées, si elles sont moins représentées dans le parc social que dans l’ensemble des résidences principales, sont également en nombre important. En 1999, 25,6 % des logements sociaux étaient occupés par des locataires de plus de 60 ans. 10,2 % d’entre eux avaient plus de 75 ans. En moyenne, on compte 33,7 % de ménages de 60 ans et plus, dont 13,1 % de plus de 75 ans dans les résidences principales. Entre 1990 et 1999, leur nombre a fortement augmenté : la part des locataires de 75 ans et plus, dans le parc social, a augmenté de 33 % ; celui des personnes de 60 à 74 ans, de 20 %. Les personnes âgées logées dans le parc social se concentrent dans le parc ancien. Elles ont souvent vieilli avec le cadre bâti. Elles sont entrées dans le logement qu’elles occupent, il y a vingt, trente ou quarante ans, au moment de sa construction et elles y sont restées, parfois en sous-occupation, à la suite du départ de leurs enfants. Ce parc ancien n’est pas adapté au vieillissement, ses normes de construction elles-mêmes ne sont plus actuelles. L 31 “... On note également l’apparition d’une demande de logement social émanant de la part de personnes âgées. Cette dernière est motivée par la recherche d’un logement moins cher et adapté à une éventuelle apparition de la dépendance...” On connaît mal les caractéristiques de ces ménages qui sont très divers en fonction de leur histoire de vie, de leur âge, de leur situation familiale, économique et sociale. Leurs revenus se situent dans la moyenne des locataires du parc social, mais leurs taux d’effort sont supérieurs, car ils sont moins bien solvabilisés par l’APL. On note également l’apparition d’une demande de logement social émanant de la part de personnes âgées. Cette dernière est motivée par la recherche d’un logement moins cher et adapté à une éventuelle apparition de la dépendance. La baisse prévisible des ressources des personnes âgées à moyen terme, en lien avec la réforme des retraites, devrait se traduire par une croissance de ces demandes de logement social. Ces évolutions se traduisent dans le domaine de l’habitat par des besoins de services et d’adaptation des logements. En parallèle, le contexte institutionnel a beaucoup évolué ces dernières années. Les politiques publiques donnent la priorité au maintien à domicile et favorisent le développement des services à la personne. Ces derniers sont financés par des aides publiques via l’APA notamment. Ils le sont également par des caisses de retraite et des mutuelles ainsi que des aides des collectivités locales. Le plan de développement des services à la personne, mis en place en 2005, prévoit le financement de ces services par le biais de déductions fiscales. Une part importante des locataires âgés du parc social, à bas revenus, et donc non assujettis à l’impôt sur le revenu, ne pourra pas bénéficier de ce plan. Les financements publics et les dispositifs locaux de soutien à domicile établis par les collectivités locales joueront un rôle déterminant pour les personnes, dans les ensembles immobiliers concernés La décentralisation a imposé de nouvelles règles. Le conseil général est aujourd’hui responsable des politiques de gérontologie, centrées sur la prévention et l’accompagnement de la dépendance. Ces politiques portent principalement sur le développement des établissements médico-sociaux et des services. Les agglomérations se préoccupent également du vieillissement qu’elles commencent à intégrer dans les programmes locaux de l’habitat (PLH). Leur logique est différente de celle des conseils généraux. Il s’agit à partir de la prise en compte de la diversité des situations et des besoins en termes de revenus, d’âge, de situation de handicap ou de dépendance, de promouvoir des solutions diversifiées entre habitat plus ou moins adapté, comportant ou non des services, et établissements pour personnes valides ou dépendantes, dans un souci de complémentarité des solutions, sur leur territoire. Les programmes locaux de l’habitat font également le lien avec la politique de transports, d’équipement, d’urbanisme. 32 Les organismes d’HLM devraient progressivement pouvoir inscrire leurs politiques sociales et leurs stratégies patrimoniales et de développement en faveur du maintien à domicile, dans les orientations définies par l’autorité locale compétente en matière d’habitat, en articulation avec les politiques de gérontologie du conseil général. Les conseils locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC) et les maisons départementales des personnes handicapées sont les principaux outils opérationnels susceptibles d’intervenir pour favoriser la prise en compte du handicap dans l’habitat, que ce handicap soit ou non lié à l’âge. Une meilleure cohérence et des synergies seraient souhaitables entre ces outils. En effet, si les réponses concrètes divergent selon qu’il s’agit de personnes âgées ou handicapées, des liens existent en termes d’approche et de compétences à mobiliser pour apporter des solutions adaptées aux besoins. Il serait également souhaitable que ces instances s’ouvrent de manière plus large aux acteurs de l’habitat pour en comprendre les contraintes et les logiques d’intervention. Dans ce contexte général, les organismes d’HLM s’engagent résolument dans la voie du maintien à domicile. D’une part, face au souhait exprimé par la majeure partie des personnes vieillissantes, il est de leur responsabilité, dans un souci de qualité de service, de prendre en compte les attentes et besoins diversifiés de ces locataires et d’apporter des réponses à l’accompagnement du grand âge d’une partie d’entre eux. D’autre part, l’accueil des personnes âgées représente, pour les bailleurs sociaux, un enjeu de mixité sociale, car il permet de diversifier l’occupation sociale des ensembles immobiliers, de maintenir une vie sociale et des solidarités intergénérationnelles dans les quartiers. La prise en compte du vieillissement dans leur parc de logements amène les organismes à combiner trois niveaux d’intervention : • L’adaptation de l’habitat est nécessaire afin de prévenir les risques et de compenser les incapacités liées à une éventuelle montée de la dépendance. Les organismes répondent de longue date à des demandes individuelles – changement de baignoires par des douches, pose de barre d’appui, etc. Ils intègrent dorénavant la question du vieillissement et du handicap comme un volet structurant de leur stratégie patrimoniale. D’un certain point de vue, c’est la modernisation du parc qui est en jeu et doit évoluer vers un meilleur confort général. C’est également un exercice complexe car il s’agit de prendre en compte des besoins particuliers sans spécialiser de façon trop importante le parc. A la différence du parc de propriétaires-occupants où les logements peuvent être adaptés « sur-mesure », dans le parc 33 “... En parallèle, dans ces sites, les organismes adaptent progressivement le service locatif : nombre d’entre eux ont engagé des formations de leurs personnels sur la relation aux personnes âgées...” social, les interventions réalisées résultent d’un compromis entre la prise en compte d’une part de la spécificité des besoins individuels et, d’autre part, des contraintes techniques, économiques et de relocation ultérieure. L’offre de service peut en partie suppléer le défaut d’adaptation. Il convient à ce propos de mentionner que l’impact sur les charges locatives du fonctionnement de certains équipements, tels les ascenseurs par exemple, est un frein important à leur installation. Un nombre croissant d’organismes mène ainsi des démarches visant à identifier les ensembles immobiliers propices, en termes de caractéristiques de l’occupation sociale, d’environnement, de capacité d’évolution du cadre bâti, etc, à l’accueil ou au maintien dans leur logement de personnes vieillissantes. Ils donnent lieu à la définition d’objectifs d’amélioration des logements et des parties communes qui se concrétisent par un référentiel de travaux. Les logements concernés sont identifiés dans la base patrimoine des organismes. Il est nécessaire ensuite de mettre en place une filière spécifique d’attribution qui nécessite une négociation avec les réservataires de logements sociaux, villes, préfecture, employeurs… En parallèle, dans ces sites, les organismes adaptent progressivement le service locatif : nombre d’entre eux ont engagé des formations de leurs personnels sur la relation aux personnes âgées. D’autres envisagent une adaptation de leurs procédures concernant ces locataires, avec par exemple, un assouplissement du recours systématique au contentieux en cas de retard ou de non-paiement des loyers pour prendre en compte d’éventuels oublis. Le « label senior » en cours d’élaboration par un groupement d’organismes comporte d’autres actions telles une aide aux démarches administratives relatives au logement, une mise en relation des nouveaux arrivants dans un logement avec leur voisinage, le suivi des entreprises intervenant chez les personnes âgées en cas de travaux, etc. Ces adaptations du service locatif dépendent du contexte (organisation de la gestion locative et de proximité, présence de partenaires sur le site, densité et âge des locataires…). • La mise en place de services à la personne : du fait de leur proximité des locataires, les organismes d’HLM jouent un rôle clé dans la détection des besoins. Ils contribuent à leur mise en place en mobilisant les partenaires concernés, associations, collectivités locales, CCAS, conseil général, etc. Par exemple, à l’occasion d’une réhabilitation, dans le 14e arrondissement de Paris, trois bailleurs sociaux ont réalisé une enquête auprès des locataires qui leur a 34 permis d’identifier les besoins de travaux d’adaptation au vieillissement. L’enquête ayant fait apparaître des attentes en matière de service – dépannage, réalisation de petits travaux de bricolage, aide aux démarches administratives etc –, les organismes se sont rapprochés de Point Paris Emeraude pour étudier les réponses à apporter à ces besoins. Différentes options sont envisagées parmi lesquelles la mise en place d’un lieu d’animation dans un local au sein de l’îlot concerné. Des démarches similaires ont été mises en œuvre dans de nombreux sites, comme à Mérignac en Gironde, à Belfort, etc. • La question du lien social et de la lutte contre l’isolement. Cette dimension est essentielle pour le bien-être des personnes âgées. Les organismes d’HLM en contact quotidien avec les locataires, peuvent avoir un rôle de veille et d’alerte des partenaires dans le cadre de partenariats formalisés avec ces derniers. Ils peuvent également, dans une certaine mesure, encourager les solidarités de voisinage. Dans les quartiers, ils aident au développement d’actions intergénérationnelles de loisirs, d’animation en lien notamment avec les centres sociaux, les associations d’habitants. Des démarches sont en cours à Rennes ou à Saint-Malo par exemple. Aux Mureaux dans les Yvelines, ils participent à la mise en place d’un espace intergénérationnel de mémoire dans le cadre de l’opération de renouvellement urbain, aux Bougimonts. La sous-occupation est évoquée fréquemment comme une des difficultés du maintien à domicile des personnes âgées dans le parc social. Les personnes âgées isolées qui occupent de grands logements doivent-elles être « déménagées » dans des appartements plus petits ? Faut-il, comme le suggèrent certains, remettre en question le droit au maintien dans les lieux de ces locataires ? L’Union sociale pour l’habitat n’est pas favorable à une telle mesure. Des solutions peuvent être recherchées et mises en œuvre dans une approche négociée avec les personnes et les partenaires. Tout d’abord, il convient de regarder de plus près ces situations : certes, il peut y avoir sous-occupation par rapport à ce qui est pratiqué habituellement à l’entrée dans le parc social, mais si le logement est grand en type, il ne l’est pas toujours en surface surtout quand ce logement est ancien. Les locataires âgés y sont bien insérés et ont pu organiser autour d’eux dans un environnement familier de longue date un réseau informel d’aide de la part du voisinage. Par ailleurs, ce logement joue parfois un rôle d’accueil de petits-enfants, d’un fils ou d’une fille en cours de séparation ou venant de perdre son emploi. Il contribue à la lutte contre l’isolement de la personne âgée 35 et favorise les solidarités intergénérationnelles. Il est susceptible de limiter le besoin de services à financer par la puissance publique tant pour la personne âgée que pour ses descendants. Une réflexion plus approfondie pour apprécier les coûts et bénéfices sociaux de ces situations serait nécessaire. Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues – les enquêtes réalisées par les organismes le montrent – les personnes âgées, quand elles ne sont pas très âgées, ne sont pas plus attachées à leur domicile que les autres. Celles auxquelles on propose une offre adaptée en termes de qualité de service, de niveau de quittance, sont disposées à changer de logement. Le vrai problème réside dans notre capacité collective à produire une offre qui corresponde à ce besoin. Ceci renvoie aux politiques locales de l’habitat citées ci-dessus. “... La qualité de vie des personnes âgées dans leur logement suppose qu’on leur reconnaisse le droit à choisir leur lieu de vie...” Les organismes d’HLM développent également une gamme d’offres nouvelle et diversifiée à l’attention des personnes vieillissantes : logement locatif autonome, réflexions sur l’accession, formules intermédiaires entre logement et hébergement, parmi lesquelles les logements-foyers trouvent toute leur place. Le point marquant de ces opérations est la prise en compte des besoins d’usage liés au vieillissement. Elle se traduit le plus souvent par des travaux d’ingénierie préalables associant les usagers, des experts ainsi que les partenaires locaux de l’action en gérontologie. La Fondation des Caisses d’Epargne pour la solidarité contribue dans ce domaine à soutenir et à faire connaître des expériences innovantes susceptibles d’être reproduites. Enfin, les bailleurs sociaux concourent de manière non négligeable à la construction et à la gestion immobilière d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Le parc social joue et va jouer un rôle croissant d’accueil de personnes âgées et très âgées à ressources modestes et faibles. Les bailleurs sociaux se préparent à ce qui constitue un véritable bouleversement. Cela aura un impact sur l’ensemble de leurs activités de construction, d’attribution, de gestion locative, de gestion de proximité, etc. Les bailleurs sociaux ne sont cependant qu’un des maillons de la chaîne du maintien à domicile. La qualité de vie des personnes âgées dans leur logement suppose qu’on leur reconnaisse le droit à choisir leur lieu de vie. Elle sera également fonction des moyens dégagés par la puissance publique aux plans national et local pour leur conserver une place dans la société et répondre à leurs besoins de service. 36 37 Conclusion Par Jean-Yves Ruaux Rédacteur en chef de Seniorscopie.com e pense que le maître mot de notre réflexion doit être « anticiper ». Il faut devancer ce qui va se passer dans trente ans, afin d’y répondre de manière appropriée. Faute de quoi l’on se retrouvera dans la situation de La Ballade de Narayama, le film japonais de Shohei Imamura (1983), dans lequel la grand-mère gagne la montagne pour y mourir parce que sa communauté n’a plus les moyens de l’assumer. J Les HLM raisonnent en termes rationnels et anticipent, mais il faudrait que cela s’applique aussi au domaine privé, au parc résidentiel, puisque plus des deux tiers des retraités sont propriétaires. Je voudrais intervenir sur trois points, autour de trois mots clés : • intégration culturelle et symbolique ; • reconfiguration de l’habitat et des solidarités ; • repenser l’urbanité dans tous ses sens. Intégration culturelle et symbolique En 1900, on était vieux à 40 ou 45 ans, comme au XVIIe siècle car en deux siècles, cela n’avait pas beaucoup bougé. Puis, en deux générations, tout a changé. Lors de la création du magazine « Notre temps », en 1968, l’âge de la retraite était à 65 ans. Il coïncidait, peu ou prou, avec l’âge de la vieillesse. Les personnes de 60 ou 65 ans, considérées comme âgées, étaient dans un état de mort sociale. Le magazine « Notre temps » a été un succès parce que l’aspiration, le désir d’un groupe d’être fédéré par un titre ou d’être reconnu par une communication, avaient précédé la création du magazine. 38 Aujourd’hui, il nous faut intégrer mentalement le fait que les gens au-delà de 70, 75 ou 80 ans sont des citoyens de plein droit. Pourtant, après 50 ans, vous êtes déjà considéré comme vieux dans de nombreux domaines. Celui des ressources humaines, par exemple ! Nous devrons faire preuve de beaucoup de volontarisme pour que le plan Emploi senior, présenté la semaine dernière au Conseil économique et social, entre dans les faits. L’intégration culturelle et symbolique implique de changer l’image que nous avons des aînés. Les Américains disent « The sixties is the new thirties » : « La soixantaine est la nouvelle trentaine. » Il se passe des choses autour de la soixantaine qui autrefois se produisaient à la trentaine, telle que la formation de nouveaux couples par exemple. Reconfigurer habitat et solidarité Depuis plusieurs années, l’Association des retraités américains (www.aarp.org), une importante organisation, avec 35 millions d’adhérents, mène des campagnes auprès de ses membres. Elle leur transmet le message suivant : « Vous avez 45 ans ou 50 ans, vous êtes propriétaires, vous avez de l’argent, c’est maintenant qu’il faut songer à adapter votre logement, à aménager un appartement de plain-pied, à le pourvoir éventuellement de rampes d’accès, de mains courantes, à créer une salle de bains au rez-de-chaussée, etc. » Ce discours passe mal et ces jeunes adultes ne veulent pas l’entendre. Reconfigurer le champ d’intervention des solidarités signifie reconfigurer le domaine associatif français. Nous sommes dans un pays doté d’un Etat fort à l’égard duquel nous avons conservé une attitude quasi religieuse. L’Etat se méfie énormément du secteur associatif, alors que dans des pays à système fédéral, plus décentralisé, le poids du secteur associatif est accru et la coopération s’en trouve facilitée. De nouveaux réseaux, de nouvelles formes de solidarités vont devoir s’instaurer mais elles ne pourront pas être de la seule responsabilité de l’Etat ou du domaine public. Un Etat « modeste », c’est aussi un Etat qui ne cherche pas à légiférer sur tout. De nouvelles solidarités naissent autour du logement. Etendues, elles aideraient à régler les problèmes financiers que les jeunes générations rencontrent. Vous connaissez sûrement des personnes de 75 ans qui ont vieilli dans leur logement. Elles ont vu partir leurs enfants. Puis leur mari a disparu. Et elles se retrouvent 39 seules dans de grands appartements privés ou HLM qu’elles auraient profit à partager, avec une étudiante, plusieurs peut-être… Mme Vautrin, secrétaire d’Etat aux personnes âgées, a d’ailleurs mené en 2004, une action sur l’habitat intergénérationnel avec les étudiants de Sciences-Po. Cette expérience offre une réelle complémentarité, économique pour l’étudiant, relationnelle, pratique et affective pour la personne âgée. N’oublions pas non plus que les régions vont vieillir plus vite que la capitale. Le géographe Armand Frémont évoque la migration vers la « France du plateau de fruits de mer ». En effet, le littoral français fait l’objet de grosses spéculations immobilières de la part des seniors, et les jeunes salariés sont rejetés dans l’arrière-pays. 40 % de la population de Nice, aujourd’hui, a plus de 60 ans. Dans 20 ans, ce sera 60 % de plus de 60 ans, dont 25 % de plus de 80 ans, de même à Dinard, à Biarritz, etc. Le Centre, le Sud-Ouest, le Massif central, le centre de la Bretagne, la ChampagneArdenne sont également composés de populations vieillissantes. Une politique volontariste de réimplantation de services, de médecins, sera nécessaire si l’on veut maintenir ces populations, parfois isolées, à leur domicile. Repenser les urbanités L’urbanité, ce n’est pas seulement l’urbanisme, mais aussi la relation entre le politique et les générations. Un maire de 70 ans aura peut-être du mal à se projeter, lui-même, dans la vieillesse. Il préférera investir dans les sociétés de gymnastique, les actions auprès de la jeunesse, dans ce qui est bon pour sa communication. L’urgence est plus ingrate. Elle consiste à réaménager sa ville, à repenser ses transports en fonction de l’évolution démographique. En 2030, la France comptera 20 millions de plus de 60 ans et seulement 14 millions de moins de 20 ans. Mais ce qui profite aux personnes âgées profite également aux jeunes mamans ou aux personnes handicapées. Edmond Hervé, maire de Rennes, a mis en place un métro accessible à tous, contre les avis quasi unanimes de ses partisans, comme de son opposition. Il a tenu bon. Aujourd’hui, aux Lices, le grand marché du samedi, on rencontre 40 aussi bien des gens avec des poussettes, que des personnes âgées, même avec des déambulateurs, ou des handicapés en fauteuil. Le métro a été équipé d’ascenseurs. Ils vont directement de la chaussée aux quais. Les accès doux du trottoir à la chaussée ont été multipliés… Et la société locale a, un peu, réintégré ses oubliés qui ont retrouvé ainsi une certaine mobilité. L’urbanité recouvre également les politesses, les politesses intergénérationnelles. Les baby-boomers d’aujourd’hui seront les vieux de demain mais ils ne pensent pas suffisamment à leurs héritiers dont ils seront les débiteurs. Je fais référence aux pensions et retraites dont ils vont bénéficier mais qui seront payées par leurs enfants, voire leurs petits-enfants. On se plaint du manque de civisme dans les jeunes générations. L’urbanité, en ce cas, s’appelle « transmission » : des savoirs, des politesses, des traditions, le sens du service public. S’il est vrai qu’il devient difficile de payer un agent fonctionnaire pour tenir quatre heures par jour le bureau de poste local, rien n’empêche – comme cela se fait en Angleterre – que le bureau de poste fasse aussi épicerie, stationservice… pour maintenir, ainsi, dans la localité, un service utile à tous. Il faut aussi simplifier les démarches, à l’instar des pays du Nord, offrir aux usagers un guichet unique pour leur permettre de résoudre l’ensemble des questions et des difficultés qui surviennent. Il faut rompre avec ce « parcours du combattant » souvent imposé par la complexité du système français et sa logique administrative. Il continue à pénaliser notamment les handicapés en dépit de la loi de 2005. Une loi dont l’application totale n’est pas prévue, notamment l’accès des commerces, avant dix ans ! 41 Déambulation : une fiction distinguée par un jury de la Fondation > « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel. » Le vers de Baudelaire propose un défi : confronter un paysage urbain à l’émotion qu’il suscite. Ce défi est devenu une collection de livres. Pour le relever, les étudiants du master 2 d’édition 2005-2006 de l’université de Rennes-II se sont faits auteurs, photographes, maquettistes, attachés de presse, éditeurs. Un jury réuni par la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité a distingué la fiction que Célia Auffret a consacrée à Pontoise et dont elle a donné lecture au cours des Diagonales de juin 2006. Contact : professeur Pierre Bazantay ([email protected]) “ Célia Auffret Etudiante du master 2 d’édition 2005-2006 de l’université de Rennes-II 42 Déambulations Il franchit en sautant le portillon sans prendre le temps d’y introduire son ticket de carte orange. (…) L’ascension du chemin des gares commence : la côte est rude mais Baptiste ne sent plus l’effort ! Il gravit les escaliers quatre à quatre et contourne la cathédrale par la gauche. Arrivé en haut, dans la rue de Gisors, il ralentit légèrement, à bout de souffle, et franchit les grilles du parc des Lavandières. (…) Entre moulin et lavoir, un petit bol d’air au milieu de la banlieue parisienne ! Il s’écroule sur son banc habituel, celui près de la haie d’acacias, planqué au fond du jardin. Son pouls cogne encore dans ses tempes, il suffoque et tousse. L’air et le froid piquant du mois de janvier lui brûlent les poumons. Petit à petit, l’oxygène retrouve sa route et sa respiration se fait plus régulière. Il se penche en avant pour se prendre la tête dans les mains. Mais, tout compte fait, il se redresse et fouille dans la poche de son blouson. Il en sort un paquet de Camel, en prend une et l’allume aussitôt. Il souffle bruyamment la fumée et profite de la sensation presque 43 étourdissante de la première bouffée de cigarette. Un peu d’apaisement, enfin ! Il cherche alors à comprendre ce qui l’a amené dans cet endroit alors qu’il rentrait paisiblement dans son home sweet home. (…) Après le cours, Baptiste était monté dans le bus 45 qui l’emmenait jusqu’à la gare de Pontoise. En traversant les voies ferrées, sur le pont, son portable avait sonné. Elsa… Quelques cigarettes plus tard, il remet son sac sur son dos, sort du parc et ne se décide toujours pas à rentrer chez lui. Il habite à deux pas pourtant, mais il a besoin d’air ! Il descend alors toute la rue de Gisors en passant devant le tribunal de grande instance. ( …) Baptiste s’engage vers le quai, passe devant un restaurant et s’arrête un instant devant la « Sirène à la licorne ». (…) Il aime toujours le discret sourire de la jeune femme et ne peut s’empêcher de l’apparenter à Elsa… Ils s’étaient rencontrés au mois de janvier dernier, il y a presque un an. Emilie, une copine de lycée, fêtait ses vingt-cinq ans au Latina Café. (…) Baptiste avait tout de suite remarqué la jeune fille qui s’était assise à ses côtés. Elle était petite, avec de longs cheveux blonds frisés et des yeux bleus-gris. Les traits de son visage étaient fins, sa bouche charnue et elle regardait tout autour d’elle d’un air vaguement triste. Elle s’appelait Elsa. La soirée s’était déroulée joyeusement dans les rires et la danse, quelques mojitos et piña coladas aidant. Les filles avaient bruyamment investi la minuscule piste et se trémoussaient. Quant à Elsa, elle était restée sur le fauteuil rouge, discrète et observatrice, fumant cigarette sur cigarette. Elle avait d’abord échangé quelques mots avec Baptiste mais surtout de nombreux regards. Elle le trouvait charmant, avec ses yeux noirs pourtant très doux et ses cheveux tout en bataille, frisés, bruns qui lui donnaient un air de bohème. Elle était surtout attirée par l’aspect paradoxal de son physique : un regard d’enfant dans un grand corps d’homme, plutôt bien fait par ailleurs. Vers trois heures du matin, à la fermeture du bar, chacun était rentré chez soi, légèrement titubant. Sauf Elsa qui avait glissé sa main dans celle de 44 Baptiste pour ne plus la lâcher et qui l’avait suivi jusqu’à chez lui. Il s’approche des quais et s’assoit sur un des bords de l’Oise, ses jambes flottant au-dessus de l’eau. De là, il peut contempler le panorama qui s’offre à lui de la limite d’Auvers-surOise, jusqu’au grand Parc des Larris : la rivière et de ses berges, le scintillement timide de la lumière se reflétant sur la surface de l’eau, quelques vieux bateaux en bois immobilisés, la mélodie du courant qui file doucement, le parfum discret des fleurs et des herbes folles couvrant les berges… Baptiste aime retrouver ces sensations et voudrait pouvoir reproduire ce qui se présente sous ses yeux. Mais il n’est pas dessinateur pour un sou, peintre encore moins. Elsa et lui avaient commencé à vivre ensemble une jolie histoire, pleine de passion. (…) Ils avaient appris à se connaître, partagé de grandes discussions, des fous rires, des longs moments de tendresse, de plaisir et quelques engueulades… Elle était venue habiter chez lui quelques semaines plus tard, 8 place du Grand Martroy, face à la cathédrale, premier étage porte à gauche. Elle avait illuminé son appartement avec ses jeans, ses films, son maquillage et même sa brosse à dent ! Les autres n’avaient pas bien compris que tout arrive si vite. (…) Baptiste se lève et fait quelques pas le long de la rivière. Il profite de la vue des remparts qui font face à l’Oise. Il les aime surtout de nuit, éclairés par quelques lumières d’un jaune pâle presque orangé et prenant ainsi un aspect impénétrable. (…) Plus tard, il avait repris ses vieilles habitudes : les sorties entre copains, quelques cours à la fac, le bazar dans l’appartement, son boulot pas très passionnant de pion au lycée, les longues heures sur sa guitare… Elsa devenait presque banale à ses yeux, de plus en plus transparente. Elle faisait tellement partie de son quotidien qu’il ne ressentait plus le manque de sa présence ni même de désir particulier. Elle, elle lui donnait de plus en plus, comblant le vide qu’il créait, attentionnée, amoureuse mais ressentant très 45 lucidement la dégringolade de ses sentiments à lui. Elle se fit alors lointaine, pleurait souvent et lui faisait des reproches, constamment. Leur relation avait basculé petit à petit, sans que ni l’un ni l’autre ne s’en rendent vraiment compte. En quelques mois à peine, la passion qui animait Baptiste s’était envolée comme elle était venue, sans crier gare. Il lui cacha la vérité d’abord puis prit la décision de rompre, ne voyant plus où tout cela pouvait les mener. Après une nuit de larmes et sans sommeil à ses côtés, Elsa prit ses valises et repartit d’où elle était venue. (…) Il n’avait plus entendu parler d’elle pendant un long moment. Aucune nouvelle. Les chauds mois d’été étaient derrière eux et la rentrée avait eu lieu la veille. En rentrant du lycée après sa journée de pion, il avait trouvé dans son courrier, coincée entre un prospectus pour Carrefour et une facture SFR, une lettre d’Elsa. Il l’avait ouvert, curieux, se demandant ce qu’elle pourrait bien avoir à lui dire… Il n’y avait pas trouvé de plaintes, de pleurnichages ni même de colère : « Baptiste, je repousse ce moment depuis quelques semaines. Mais je crois qu’il est temps pour moi de t’informer de ce qui arrive : je suis enceinte. Cela fait plus de trois mois qu’un enfant de nous grandit dans mon ventre et j’ai décidé de le garder. Tu sais ce que cela représente pour moi d’être mère. Je ne veux rien t’imposer, libre à toi de décider la place que tu tiendras pour ce bébé. Je t’embrasse. Elsa. » Dépité, il rentre chez lui, se sentant plus isolé que jamais, encore lourd de ce secret. (…) La nuit commence à tomber et la cathédrale est illuminée. Saint-Maclou, drôle de nom pour une cathédrale, ça lui fait plutôt penser au magasin de moquette ! Il a déjà visité ce lieu, pas pour y faire quelques veines prières mais à la recherche de traces du passé. (…) De splendides vitraux et de 46 peintures, une tribune d’orgue de Cavaillé-Coll (56 jeux), un buffet de 1716 en bois sculpté. (…) Régulièrement, les cloches le réveillent. (…) Il se sent bien d’habitude chez lui… C’est pour cela qu’il avait choisi d’emménager au-dessus de la place du Grand Martroy. Ici, il était à proximité de tout : boulangerie, tabac, cinéma Utopia, librairie. (…) Qu’est-ce qu’elle comptait lui offrir à cet enfant ? Il avait toujours évité de répondre à la lettre… Il s’en voulait terriblement de son attitude, de sa lâcheté mais il avait tellement peur de tout ça. Il était encore à peine un adulte et il devrait s’occuper d’un enfant ? Laisser tomber sa vie d’étudiant pour endosser de si graves responsabilités, c’était pas pour lui tout ça ! (…) Mais cet appel il y a quelques heures avait totalement semé le trouble. Quand il a décroché, la voix d’Elsa au bout du téléphone était si douce et souriante ! Elle lui annonçait juste comme ça que le bébé allait naître dans quelques jours ; elle venait de l’apprendre par sa gynéco, une question de taille du col de l’utérus ou un truc comme ça… Elle avait l’air heureuse en tout cas. Il n’a pas trop su quoi dire, a bafouillé un « suis content pour toi » et a raccroché. Et tout est remonté à la surface, d’un coup ! Tout ce qu’il enfouissait depuis plusieurs mois a envahi son cœur et son cerveau, à lui en donner le tournis. Il était en train de se faire rattraper par la réalité et par ce bébé qui arrivait pour de bon. Alors il s’est mis à courir jusqu’au bout du pont puis dans la gare pour tenter de fuir encore et encore tout ça, cette idée d’être père et que dans ce monde bientôt allait venir un petit être issu de lui. Il se sentait tellement minable, odieux, lâche, égoïste, frileux, immature ! Comment avait-il pu la laisser toute seule avec ça ?! Il avait honte, terriblement. 47 ” Deuxième table ronde COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES 2 INTERVENANTS Pierre-Henri Daure Directeur général de la FEDOSAD-Fédération Dijonnaise des œuvres de soutien à domicile Emmanuelle Ladet Architecte et responsable du service immobilier à la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité Jean-Pierre Paray Conseiller municipal à la mairie d’Eragny, chef de projet Emploi/Handicap Pierre Jamet Directeur général des services du conseil général du Rhône 48 49 L Introduction Par Gérard-François Dumont Professeur à la Sorbonne, président de l’association et de la revue Population et Avenir e thème de cette table ronde est un enjeu, car il nous confronte à trois types d’effets : un effet d’âge, un effet de période et un effet de génération. L’effet d’âge. La demande de logement en taille ou en localisation varie en fonction de l’âge. La question ne se pose pas pour un bébé ou un jeune enfant qui suit ses parents, elle se pose lorsqu’étudiant ou jeune actif, la demande porte sur des bassins d’emploi assez larges, sur des villes universitaires. Elle se pose à nouveau lorsque l’on se marie, l’on fonde un foyer qui va s’agrandir, entraînant fréquemment un déménagement en zone périurbaine ou para-urbaine. Vient ensuite la migration au moment de la retraite. Bien que largement minoritaire, elle provoque le choix d’un nouveau domicile dans des territoires jugés attirants par les retraités ou pour des populations vivant auparavant loin des aménités urbaines ; d’un retour dans les centresville dont les services sont appréciés. A cet effet de l’âge s’ajoute l’effet de période et donc les différents aspects du vieillissement de la population. Pour simplifier, dans la France des années 2006 et les suivantes, il s’agit d’abord de l’héritage démographique, c’est-à-dire de l’accroissement de la population de personnes âgées, phénomène que j’ai dénommé « gérontocroissance », et dont les effets géographiques sont extrêmement variables. Certains territoires connaissent même une gérontodécroissance sous l’effet de mouvements migratoires, alors que la grande majorité des territoires enregistre des pourcentages élevés de gérontocroissance. Ensuite, l’effet de période, dont on ne sait s’il durera, tient à la différence de longévité selon les sexes et à la disparité d’espérance de vie entre conjoints. Ce dernier aspect est l’un des facteurs fondamentaux de la montée d’un nombre de logements occupés par une personne seule. Enfin l’effet génération. Les comportements familiaux des années 2000 ne sont pas les mêmes que ceux des années 1960 : moins de mariages, davantage de divortialité, poursuite de la décohabitation, augmentation des familles recomposées et monoparentales. Sous l’ensemble cumulé de ces effets, et sauf des changements structurels difficilement prévisibles, toute réflexion prospective conduit à envisager pour la France des années 2030 un besoin de logements accru d’au moins 30 %. Les Territoires face au vieillissement en France et en Europe, de Gérard-François Dumont, Ellipses, 2006. 50 51 COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES ? Comment aménager le logement pour tous ? Pierre-Henry Daure Directeur général de la Fédération Dijonnaise des œuvres de soutien à domicile (FEDOSAD) 52 “... La possibilité de créer un quartier de 40 hectares s’est offerte, et nous l’avons imaginé pour que les générations s’y croisent et y vivent ensemble...” e programme que je vais présenter ici a été réalisé, en 2002, en Bourgogne, en partenariat avec une association, un prestataire – l’office HLM – et une municipalité. Nous l’avons baptisé « Générations : un rêve, une histoire, une réalité ». Notre président Michel Thiry a été adjoint au maire de Dijon, chargé des affaires sociales de la ville pendant vingt-quatre ans. Le « Bonjour voisin » qui illustre notre charte est son initiative. Il habite le centre-ville. Ses voisins avaient un petit garçon de 5 ans qui, échappant le matin aux bras de sa maman avant de partir à l’école, venait sonner à sa porte. Sitôt la porte ouverte, il disait : « Bonjour voisin ! ». C’est ce petit garçon qui a fait naître l’idée. L « Générations » est le résultat de la volonté d’hommes et de femmes de créer un lieu de croisement des générations : Michel Thiry, Rémi Delatte, maire de Saint-Apollinaire, et Maddy Guy, présidente de l’OPAC. La Côte-d’Or compte 500 000 habitants, le grand Dijon représente 22 communes et 250 000 habitants, 151 000 habitants peuplent Dijon. La possibilité de créer un quartier de 40 hectares s’est offerte, et nous l’avons imaginé pour que les générations s’y croisent et y vivent ensemble. Le quartier « Générations » est donc un quartier neuf avec, au centre, une ferme ancienne. La commune de Saint-Apollinaire, qui comptait 5 000 habitants en 2000, en a 7 000 aujourd’hui. 53 “... L’architecture a été pensée pour que les cheminements obligent les habitants à se croiser, à se saluer, à se parler...” Au moment de la conception du programme, l’intergénération n’était pas un concept à la mode, et il a fallu cinq ans pour que ce projet devienne réalité. Les élus, les trois partenaires, le comité de pilotage – composé de représentants de la commission des aînés, de la commune, des parents d’élèves, des habitants de Saint-Apollinaire, des techniciens, des politiques de l’OPAC, des élus et des techniciens de la ville – et la FEDOSAD ont travaillé en concertation. L’ensemble comprend des logements sociaux, des services à la petite enfance et de petites unités de vie pour les personnes âgées, un restaurant scolaire, une salle de quartier, un point accueil et un accueil de jour qui a été soutenu par la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité. « Générations » n’est pas une « Sun City », le site n’est pas équipé de miradors, ni entouré de fils barbelés, ni gardé par des chiens, comme en Californie ; c’est un espace, ouvert, aéré, qui favorise la mixité sociale que nous voulions. Les rez-de-chaussée des immeubles sont consacrés soit aux espaces pour la petite enfance, soit aux logements pour les personnes âgées. Les 76 logements sont occupés pour moitié par des retraités, pour l’autre par des jeunes couples avec un enfant de moins de 5 ans. Les locataires bénéficient d’un bail de trois ans au moins. C’est la venue d’un deuxième enfant, d’un changement professionnel, qui pousse les jeunes couples à partir, emportant avec eux l’esprit « Générations ». L’architecture a été pensée pour que les cheminements obligent les habitants à se croiser, à se saluer, à se parler. Les systèmes d’interphone mis en place facilitent la communication entre les appartements et sont reliés aux services communs. Trois critères doivent être impérativement remplis pour bénéficier de ces logements sociaux : la condition de ressources, le critère d’âge – retraité ou jeune avec un enfant de moins de 5 ans –, et la signature de la charte « Bonjour voisin », signée également par le maire, le président de la FEDOSAD et le président de l’OPAC. 54 “... Les 76 logements sont occupés pour moitié par des retraités, pour l’autre par des jeunes couples avec un enfant de moins de 5 ans...” Le point accueil et services est le centre névralgique de l’ensemble : lieu d’information, de coordination, d’animation, de médiation pour régler les éventuels litiges entre locataires. Yvette, employée municipale de Saint-Apollinaire, que tous connaissent, anime ce point d’accueil. Les locaux sont loués à l’OPAC par la FEDOSAD. J’ai toujours soutenu que « l’intergénération ne se décrète pas, elle se vit ». Dans cette optique, une convention lie les trois partenaires et donne les moyens budgétaires d’offrir bon nombre d’animations, comme le karaoké, pour tout public ; enfants, adolescents et personnes âgées s’y retrouvent avec le même plaisir. La municipalité offre également un multi-accueil, ou garderie, une ludothèque, un restaurant scolaire et une salle de quartier. Le même esprit anime l’ensemble des installations et des équipements : mélanger les générations. La ludothèque est ouverte à tous. Jeunes et personnes âgées viennent jouer sur place ou emprunter les quelque 950 jeux mis à leur disposition. Le restaurant scolaire accueille, en deux services, les 120 enfants du groupe scolaire et reçoit les personnes âgées le mercredi. La salle « Générations » est équipée par la FEDOSAD de matériel de vidéoprojection. C’est une salle communale mise à disposition des particuliers, associations, etc. L’OPAC détient 8000 logements sur 20 communes et, depuis 1988, nous travaillons ensemble à la réalisation de petites unités de vie. La FEDOSAD est une association créée en 1956. Elle propose un service d’aide à domicile – près de 500 000 heures en prestataires et mandataires – ; des soins à domicile pour les personnes âgées, handicapées ou contaminées par le VIH ; un service de gardes de nuit itinérants ; un service d’hospitalisation à domicile de 35 places ; un service SOS chute ; des domiciles protégés où vivent, en appartement, quatre ou cinq personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, accompagnées 24 heures sur 24 par des professionnels ; des petites unités de vie à Saint-Apollinaire au sein de « Générations » ; un établissement de type EHPAD pour personnes fortement dépendantes. 55 “... Une convention lie les trois partenaires et donne les moyens budgétaires d’offrir bon nombre d’animations, comme le karaoké, pour tout public ; enfants, adolescents et personnes âgées s’y retrouvent avec le même plaisir...” La FEDOSAD gère un service de téléalarme et un appartement de coordination thérapeutique pour personnes atteintes du VIH. Depuis 1988, elle gère également des domiciles protégés, ces petites unités de vie dans lesquelles ces personnes vivent comme à la maison et où les familles peuvent venir quand elles le peuvent ou quand elles le veulent. A Saint-Apollinaire, le domicile protégé héberge 6 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et jouxte le domicile collectif de 14 personnes âgées physiquement dépendantes. Le rapprochement de ces deux entités a permis d’employer deux équipes de jour et un professionnel commun aux deux établissements pour la nuit. Les enfants du quartier et les personnes âgées participent à des activités communes, tout en conservant des espaces d’intimité pour préserver la tranquillité de ceux qui le souhaitent. En décembre 2005, un restaurateur s’était impliqué dans un projet de restaurant dans le quartier. Il s’est désisté et nous avons dû réadapter les bâtiments qui lui avaient été réservés, et qui sont devenus l’accueil de jour. Les personnes sont prises à domicile le matin et reconduites le soir ; le coût du transport est intégré dans le prix de l’APA. Un point mensuel est fait en liaison avec les services de la mairie, de l’OPAC et le FEDOSAD ; un bilan trimestriel a lieu avec les services de la petite enfance. Les animations réalisées dans le quartier sont faites en collaboration avec le service social et culturel de la ville et avec le centre de loisirs. Les pouvoirs publics (DDE, DDASS, la CPAM, la CRAM, le Conseil général, la CAF, le Grand Dijon) se sont fortement impliqués dans la réalisation et le suivi du projet qui traduit bien l’art de vivre et de bien vieillir en Bourgogne. 56 57 COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES ? Comment aménager le logement pour tous ? aste sujet qui m’amène d’emblée à le recentrer sur la question liée au cœur de métier de l’architecte et qui pose la question signifiante de l’acte de concevoir. « Concevoir », c’est former : au sens de former un enfant, un concept, une idée. L’intervention du concepteur permet à une idée de se matérialiser, et toute la difficulté réside dans ce cheminement, de l’idée à l’objet. V Emmanuelle Ladet Architecte et responsable du service technique de l’immobilier de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité 58 Le logement pour tous certes… mais le logement pour qui ? Tout individu a le droit au logement, quelle que soit cette personne, son âge, sa catégorie sociale, son origine, son identité. Ce droit apparemment inaliénable, n’est pourtant pas une évidence. L’un des paradoxes se situe dans l’origine même de la formation d’un projet de logement. Les « résidents » prennent très rarement part au projet et à la réalisation de leur habitat. Le logement idéal, dont le cahier des charges aura été clairement exprimé, est une exception réservée au domaine de la commande privée. On peut également se poser la question du logement… par qui ? Qui « commande » le projet ? Celui que l’on nomme dans le langage du bâtiment le maître d’ouvrage : acteur principal, celui par qui tout arrive, qui porte et commande le projet. Il peut avoir différents statuts : particulier, promoteur, aménageur, E.S.H., commune… Il peut donc être une personne identifiée ou être représenté par plusieurs personnes, représentant elles-mêmes une société, une institution… qui sera ou ne sera pas utilisateur du projet. 59 Le maître d’ouvrage fait appel à un maître d’œuvre pour formaliser son projet. C’est un architecte ou un ingénieur ou une équipe d’architectes ou d’ingénieurs, voire les deux associés. Une fois les acteurs réunis, une autre étape importante intervient dans ce périlleux processus d’élaboration par l’expression des besoins, à travers la rédaction d’un cahier des charges, qui sera lui-même traduit en programme technique et architectural. enveloppes, qui créeront la transition. A travers les époques, ces enveloppes se sont multipliées : de la grotte à la villa, nous sommes passés d’un lieu de vie unique à une multiplicité de lieux aux fonctions différenciées, aux franchissements contrôlés mais l’acte fondateur reste le même : l’individu doit s’abriter… dans son appartement, sa maison, et bien s’abriter, c’est mieux appréhender le monde. Le logement est un objet d’emblée complexe. Il concerne chacun de nous, dans notre dimension la plus intime. C’est pourquoi au mot « logement », je préférerais le mot « habitation », au sens de « vivre dans, résider ». Cette habitation est non pas isolée mais implantée dans un environnement, dont elle est issue et avec lequel elle dialogue. Elle dispose également d’une échelle, à ramener aux dimensions de l’individu qu’elle abrite. Enfin, on parlera de la nécessité pour celui-ci de s’approprier cette habitation, qui devrait former l’enveloppe subtile chargée de l’entourer, le protéger, sans l’enfermer. Je ne pourrai pas vous parler d’habitat sans vous parler de l’échelle d’un lieu, de la dimension du corps humain, dans son rapport mesuré à l’objet qui l’entoure. Le Corbusier, éminente figure de l’architecture du siècle dernier, a nourri une réflexion approfondie à ce sujet et en a tiré un outil de mesure, dépassant la notion métrique, selon lui inadaptée pour étalonner les dimensions humaines. Il a ainsi formulé une composition de dimensions, permettant de décliner les bases d’une échelle humaine : le « Modulor ». Et il l’utilisa dans de nombreux projets, dont l’unité d’habitation de la Cité radieuse à Marseille. A travers ce projet, commandé par l’Etat après la guerre pour reloger rapidement des personnes sans ressources, Le Corbusier a développé une réflexion complète sur le logement collectif. Il est parti de la cellule d’habitation pour former un ensemble de logements et a travaillé à l’articulation de fonctions différentes et complémentaires : habitat, commerces, équipements… dans un même bâtiment. J’en reviens donc à cet individu et à la manière dont il doit être logé. Je parle de l’homme, corps et âme, de ce que j’ai nommé « son enveloppe » ; cellule élémentaire de vie d’une personne, ce qu’elle est supposée lui apporter d’essentiel : un abri, un support, une attache. Pour tous, un logement qui assure le minimum vital considéré. Le droit au logement, dans la droite ligne du respects des droits de l’homme. Cette habitation ouvre le champ de l’intimité de la personne, à travers sa manière d’être, l’expression de ses envies, de ses désirs… Elle doit être à l’image de son ressenti et l’architecte a en charge de modéliser cette représentation. Cette modélisation, cette « prise en compte » ne peut s’envisager seule, sortie de tout contexte. Cette enveloppe à habiter est une sphère vide si elle n’interfère pas avec l’espace qui l’entoure. De l’espace privé à l’environnement qui l’entoure, l’espace public, quelle est la nature des échanges ? Ils sont multiples, variés et dépendent de la volonté, voire de la capacité même de l’individu. Il y a bien une réelle réciprocité dans les échanges mais cela ne se fait pas toujours sans heurts, ou sans peur. Suivant le cas, la cellule intime sera protégée par une, voire plusieurs 60 “... La réussite d’un logement dépend non seulement de son intégration à l’environnement mais également de la manière dont les occupants s’approprient les lieux...” Aujourd’hui, celui-ci continue à être habité, certes non plus par des locataires à revenus modestes, mais par des propriétaires aisés. C’est ainsi que l’on peut affirmer que la réussite d’un projet de logement dépend non seulement de son intégration à l’environnement mais également de la manière dont les occupants s’approprient les lieux, données que le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre ne « maîtrisent » absolument pas. Certes le logement doit être habitable mais avant tout habité. Enfin, je terminerai par le logement destiné aux personnes en perte d’autonomie, cadre resserré de mon intervention en tant qu’architecte à la Fondation, qui s’apparente plus à un rôle de « passeur », de traducteur des besoins auprès des maîtres d’ouvrage et des concepteurs en charge de réaliser nos projets. 61 “... Encore aujourd’hui et pour des constructions neuves, la plupart des logements sont inadaptables alors qu’il suffirait d’intégrer des normes simples dès l’origine, pour répondre en temps utiles à une situation de perte d’autonomie...” Quelle place pour le logement de ces personnes dans ce paysage déjà complexe et peu lisible de l’habitat en général ? Ont-elles réellement le choix de leur logement ? Le choix existe mais il est généralement plus restreint et dépend beaucoup des moyens de la personne. Lorsqu’elles ont un logement, en location ou en propriété, et que survient la perte d’autonomie, elles ne peuvent pas toujours le conserver, voire l’adapter. L’adaptation d’un logement existant se réduit bien souvent à quelques expériences ponctuelles dans des programmes complets de logements dits « normaux ». Encore aujourd’hui et pour des constructions neuves, la plupart des logements sont inadaptables alors qu’il suffirait d’intégrer des normes simples dès l’origine, pour répondre en temps utiles à une situation de perte d’autonomie. La sensibilisation à ce sujet auprès des acteurs de la construction reste à parfaire. Le fait d’habiter en établissement (EHPAD, FAM…) est souvent le dernier recours après le maintien à domicile. Dans ce délicat contexte, peut-on encore parler d’habitat pour ces personnes ? Je répondrai oui dans la mesure où la personne accueillie l’est, au-delà de ses problèmes vécus à l’instant de son « admission », en tant que personne sensible, à travers son histoire personnelle, ses besoins et son projet de vie. L’établissement est donc bien un espace condensé de vie de la personne, qui peut ou ne peut pas en sortir… Cet espace pluriel devra donc être organisé pour regrouper toutes les fonctions vitales que l’on retrouve dans chaque habitat mais également les espaces semi-collectifs et collectifs, qui le raccroche à l’environnement. L’établissement n’est pas une entité autonome mais l’abri d’une multiplicité d’individus au contact d’un milieu, rural ou urbain, social et culturel. Cet habitat adapté, qui abrite un corps sensible et un esprit libre, et pour lequel je citerai un extrait du livre de Merleau-Ponty L’Œil et l’esprit : « Un corps humain est là, quand entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un œil et l’autre, entre la main et la main se 62 fait une sorte de recroisement, quand s’allume l’étincelle du sentant sensible, quand prend ce feu qui ne cessera de brûler jusqu’à ce que tel accident du corps défasse ce que nul accident n’aurait suffi à faire ». Cet habitat doit permettre la continuité de la vie de la personne, dont le corps ou l’esprit altéré est à maintenir éveillé. Celui-ci, de par la vision altérée de sa propre personne, aura plus de difficulté qu’un autre à projeter son habitat. C’est notre rôle, en tant que concepteur, d’être au plus près des réponses à apporter. “... Une réflexion est née et a donné lieu à la réalisation de maisonnées ou de petites unités de vie différenciées dans un même lieu, permettant d’accueillir des personnes avec des besoins et des attentes caractérisées...” La Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité, à travers la gestion du premier réseau d’établissements privés à but non lucratif français, développe une réflexion sur la ou les prises en charge de ces personnes, non seulement à travers les soins mais également à travers leur lieu de vie. La plupart des établissements de la Fondation accueillent 60 à 80 personnes et il est parfois difficile de parler de préservation de l’intimité à ces échelles. Au fil du temps et des besoins, une réflexion est née et a donné lieu à la réalisation de maisonnées ou de petites unités de vie différenciées dans un même lieu, permettant d’accueillir des personnes avec des besoins et des attentes caractérisées. Les Cantous en sont un exemple. L’élaboration de ces programmes spécifiques dépendent avant tout du projet développé par l’établissement, en relation avec le projet de vie des personnes accueillies. Ainsi, il n’y a pas un modèle mais des projets. Cette réflexion est pour ma part fondamentale et quotidienne, nourrie des réflexions transversales et connexes des autres collaborateurs du projet : directeurs (trices), équipe soignante, médecins… C’est ainsi que les projets évolueront en fonction des attentes et au plus près des demandes. 63 COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES ? Comment organiser les nouvelles technologies autour du logement, des services et des loisirs accessibles à tous ? ragny est une ville de 17 000 habitants, située dans le Val-d’Oise et qui fait partie de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise. Le centre médical Jacques Arnaud est, en Ile-de-France, l’un des principaux centres pour personnes handicapées touchées par différents types de handicap. C’est un centre de rééducation fonctionnelle, qui propose un suivi personnalisé tant sur le plan physique que psychologique, et un centre de rééducation professionnelle, qui dispense des formations et des requalifications professionnelles à des personnes en situation de handicap. E Jean-Pierre Paray Conseiller municipal à la Mairie d’Eragny, chef de projet emploi/handicap, représentant Madame Dominique Gillot, maire d'Eragny 64 L’expérience qui a été menée a consisté en l’aménagement d’un logement neuf pour une personne handicapée, tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation qui s’est produit le 12 août 2001 – la date a son importance. Il s’agit d’un ouvrier du bâtiment d’origine polonaise vivant en France depuis dix ans, et sans emploi au moment de sa prise en charge. Il vivait à Achères, avec sa compagne et son fils, dans un logement social situé au troisième étage, sans ascenseur. Depuis le 29 janvier 2002, il est resté au centre de rééducation fonctionnel Jacques Arnaud où il avait été opéré pour un prix de journée de 465 €. A partir du printemps 2003, il ne relevait plus, sur le plan médical, d’une hospitalisation. Dès septembre 2002, les services sociaux de l’hôpital ont saisi les associations et les maires pour trouver un appartement adapté à son handicap dans la mesure où il ne pouvait pas réintégrer son appartement d’origine. 65 “... Une fois équipé le cadre intérieur, il était indispensable que la personne handicapée puisse être aussi autonome à l’extérieur et qu’elle ne reste pas prisonnière de son habitation. Les voies d’accès en ville doivent être repensées....” En janvier 2003, un premier appartement est visité à Eragny. Le projet s’avère irréalisable, l’appartement se trouvant dans une cité en pleine reconstruction et les travaux d’aménagement étant beaucoup trop importants. Les institutions spécialisées sont alors saisies et permettent la visite d’un autre logement situé dans la même commune. Le bailleur, estimant l’affaire trop compliquée, y a installé une autre personne beaucoup moins lourdement handicapée. C’est à ce momentlà que le maire Madame Gillot est saisie de l’affaire par le Docteur Paul Le Nouvel, médecin-chef de l’établissement Jacques Arnaud, qui insiste sur l’aspect inutilement coûteux et psychologiquement intenable du maintien à l’hôpital de cette personne. Nombre de rencontres ont lieu avec des bailleurs de la ville, le « site pour la vie autonome » et la Cotorep, afin d’envisager une solution adaptée. Antin Résidence nous a permis de travailler sur ce projet d’adaptation dans le cadre d’un programme neuf dans la ville. Le retour à domicile de cette personne, en situation de handicap total, a été conditionné par la mise en place des conditions minimales d’autonomie et de sécurité. L’acquisition d’un fauteuil roulant électrique pour 10 000 €, d’un fauteuil de douche, d’un lit électrique double et d’un soulève-malade, la prise en charge en location par la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, dont il relevait toujours à ce moment-là, ont représenté un coût total de 17 000 €. La CIIAF, « site pour la vie autonome » des Yvelines, a été sollicitée. Cet organisme coordonne les aides financières du département, de la Caisse primaire d’assurance maladie, du conseil général, du conseil régional Ile-de-France et de la CAF des Yvelines, pour un montant de 500 €. Le logement à son origine était neuf, situé au rez-de-chaussée, donnant sur un jardin privatif, composé de deux chambres et d’un séjour, et les normes d’accessibilité ont été respectées. Les travaux entrepris ont été néanmoins coûteux : il a fallu motoriser les volets, 66 rendre les interphones accessibles à une personne en fauteuil, modifier la porte d’entrée de l’appartement, installer une rampe d’accès pour le jardin, adapter les sanitaires et la cuisine, ainsi que l’ouverture des portes pour laisser passer un fauteuil. L’ensemble des aménagements architecturaux a été défini par l’équipe technique d’évaluation labellisée avec le « site pour la vie autonome », afin que la personne puisse être tout à fait autonome en l’absence de son fils ou de sa compagne. “... Tous les dispositifs ont été prévus sur le plan financier, mais leur complexité décourage locataires et propriétaires....” Cependant, une fois équipé le cadre intérieur, il était indispensable que la personne handicapée puisse être aussi autonome à l’extérieur et qu’elle ne reste pas prisonnière de son habitation. Les voies d’accès en ville doivent être repensées, les « bateaux » abaissés afin de permettre à un fauteuil roulant de descendre du trottoir. Il faut que les salles municipales soient accessibles et que les personnes handicapées puissent ainsi être intégrées dans la vie de la commune. Pour un montant total de travaux de 40 000 €, la répartition des financements s’est établie de la façon suivante : Antin Résidence a pris en charge 4 000 €, la PALULOS, 14 000 €, le conseil régional d’Ile-de-France, 4 500 € (soit près de 12 %), la caisse primaire 12 %, le conseil général 12 % également et l’ALGI, 11 %. Il faut souligner que le montage d’un dossier financier est très complexe et le temps passé en démarches empêche bien souvent les bailleurs sociaux de nous suivre. Les aides existent et l’ensemble des aides et des aménagements réalisés sont aujourd’hui déductibles de la taxe foncière. Les collectivités territoriales peuvent à présent récupérer l’impôt de compensation de la taxe foncière. Tous les dispositifs ont été prévus sur le plan financier, mais leur complexité décourage locataires et propriétaires. Les délais de prise en charge sont tels que, dans le cas présent, la municipalité d’Eragny a assumé le loyer de 400 € par mois. Entre la prise de décision et l’intégration de la personne dans l’appartement, il s’est écoulé cinq mois. 67 “... Dominique Gillot, comme moi-même, avons beaucoup de mal à mobiliser les maires sur ces questions de handicaps, et de vieillissement qui restent des domaines tabous et montrent à quel point un travail de psychologie collective reste à faire en France....” La municipalité a signé en décembre 2003 la charte « Ville handicap » qui permet aux personnes handicapées d’être accueillies, au même titre que les autres, dans chacune des manifestations de la ville. Des rencontres avec la Cotorep nous ont permis de connaître le nombre total d’adultes handicapés à Eragny ; ils sont au nombre de 430 dont 300 de moins de 60 ans. En revanche, le nombre d’enfants handicapés n’est pas répertorié. La communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise compte 180 000 habitants – ils seront 210 000 à l’horizon 2015 –, dont 3 200 personnes handicapées. Dominique Gillot, comme moi-même, avons beaucoup de mal à mobiliser les maires sur ces questions de handicaps, et de vieillissement qui restent des domaines tabous et montrent à quel point un travail de psychologie collective reste à faire en France. Tout particulièrement en Ile-de-France, où les rapports humains sont plus ardus, plus difficiles. Enfin, les relations entre élus et services sont complexes. Bien que n’étant pas en position hiérarchique, les élus sont la représentation de la population et avec la nouvelle loi du 11 février 2005, les députés, toutes tendances confondues, ont constaté que 40 % de la population qui les consultaient sur des problèmes pénibles étaient des personnes handicapées. A Eragny, malgré les efforts de la municipalité, nous sommes contraints à une contribution de 8 000 € en ce qui concerne l’emploi auprès du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans les collectivités territoriales, alors que sur 17 000 habitants nous employons 400 agents en équivalent temps plein, avec de nombreuses personnes handicapées n’ayant pas à ce jour accompli les démarches pour être reconnues administrativement. Les maires doivent prendre conscience de cette question s’ils ne veulent pas voir les impôts locaux exploser. 68 69 COMMENT CONCEVOIR LA VILLE POUR TOUS LES ÂGES ? Comment penser le transport adapté à tous ? Pierre Jamet Directeur général des services du conseil général du Rhône 70 “... Faciliter le déplacement de celui qui part de son domicile pour se rendre là où son intérêt l’amène – travail, école, magasins, médecin – devrait être chose normale pour tous. Or, ce n’est pas le cas...” e département du Rhône est particulièrement légitime pour illustrer ces questions de transports, puisqu’il participe à l’organisme qui gère les transports urbains de l’agglomération lyonnaise. Par ailleurs, depuis plus de quatorze ans, des transports à la demande ont été mis en place dans la zone non urbaine. L Beaucoup reste à faire, non seulement dans les domaines du vieillissement et du handicap, mais pour les personnes en situation de dépendance qui ne peuvent pas vivre seules. Les transports sont révélateurs de cette problématique. Aujourd’hui, il n’existe aucune cohérence ni coordination entre spécialistes et normes. Faciliter le déplacement de celui qui part de son domicile pour se rendre là où son intérêt l’amène – travail, école, magasins, médecin – devrait être chose normale pour tous. Or, ce n’est pas le cas. Quatre paramètres permettent d’appréhender le problème du déplacement : L’organisation des équipements de transport. Nous avons investi dans des bus à plancher bas et des feux sonores pour non-voyants. De gros efforts sont consentis, mais il n’en reste pas moins que la SNCF a encore beaucoup à réfléchir et à progresser en matière de transports urbains quotidiens. 71 Les services organisés, parmi lesquels les services réguliers tels que le métro, le bus… et les services spéciaux (minibus pour personnes âgées…). La question est de déterminer si les personnes en situation de dépendance doivent les utiliser ? “... Le manque d’échanges, de concertation, de coordination, et donc de cohérence entre les différents services techniques, est l’une des causes des inadaptations initiales des habitations...” Le mode de gestion des services à la demande doit être mis en question, notamment, pour les enfants handicapés. Cette procédure fait suite à la loi du 11 février 2005 sur le handicap. Autrefois, lorsque les enfants ne pouvaient pas prendre les transports en commun ils faisaient appel à un taxi dont le coût était assumé par le département. Les maisons départementales des personnes handicapées se donnent trois ans pour généraliser un système d’accompagnants dans les transports en commun, dont malheureusement tous les enfants handicapés ne pourront pas bénéficier. Ces accompagnants seront recrutés parmi les 32 000 bénéficiaires du revenu minimum d'insertion, ce qui permettra, à la fois, de réintroduire les handicapés dans le droit commun – comme le prévoit la loi – et de réinsérer ces personnes par des formations favorisant le rétablissement du lien social. Le manque d’espaces adaptés constitue une autre difficulté. D’importants progrès ont été réalisés en matière de qualité architecturale, environnementale, mais encore combien de personnes en situation de dépendance sont-elles dans l’incapacité de sortir de leur résidence ou de leur appartement ? Les fonctionnaires qui s’occupent d’urbanisme et d’aménagement ne sont pas ceux qui s’occupent du logement. Ils travaillent chacun de leur côté. Le manque d’échanges, de concertation, de coordination, et donc de cohérence entre les différents services techniques, est l’une des causes des inadaptations initiales des habitations. 72 “... Ne pourrait-on pas une fois pour toutes faire des portes de 90 cm au lieu de 80 cm ? Installer des interphones à une hauteur telle que les personnes en fauteuil roulant, mais aussi les enfants, puissent les atteindre ?...” Nous devons nous appliquer à gérer la transversalité, sur le terrain, sur des unités territoriales, à tous les niveaux de responsabilités. D’ailleurs, l’exemple suivant le montre bien : lors de la construction d’un collège, l’ingénieur qui construisait le parking en avait affiché le plan, le soumettant, ainsi, à l’examen de tous. Ce sont les médecins de PMI, les travailleurs sociaux du service à l’enfance qui lui ont fait remarquer que les enfants ne pouvaient être déposés comme le suggéraient ses plans ; il en a tenu compte et a rectifié sa conception. La transversalité est facilitée lorsque les services sont réunis dans un même bâtiment. Le traitement des questions relatives au transport ou au logement pour les personnes handicapées ou en situation de dépendance ne relève pas du « technique », mais du fonctionnel, de l’usage quotidien. Les maisons du handicap, la mise en place de commissions départementales d’accès au droit, sont, à mon sens, une excellente occasion de pouvoir disposer enfin d’un guichet unique, destiné à faciliter la vie de ces personnes, tant en matière de logement que de transport. Il est vrai que l’absence de prise en considération des handicaps lors de la construction des logements me met en colère. Ne pourrait-on pas une fois pour toutes faire des portes de 90 cm au lieu de 80 cm ? Installer des interphones à une hauteur telle que les personnes en fauteuil roulant, mais aussi les enfants, puissent les atteindre ? Eviter les marches de trois centimètres dans les rez de chaussée ? Nous devons avoir présent à l’esprit qu’il s’agit toujours de l’argent public qui est investi lorsqu’il faut refaire ou défaire ce qui vient d’être construit. 73 Conclusion Par Gérard-François Dumont Professeur à la Sorbonne, président de l’association et de la revue Population et Avenir epuis des décennies nous avons créé trop de segmentation dans les projets d’urbanismes et de logements. Une segmentation entre logement ancien et neuf qui est devenue un facteur automatique de ségrégation dans la géographie des habitants. Une segmentation dans la localisation des nouveaux quartiers qui aboutit à l’éclatement total des communes et ne facilite ni la mobilité ni l’échange entre les générations. L’offre foncière est en cause. Une forte partie de notre population fait pression sur les élus pour que ceux-ci verrouillent les plans locaux d’urbanisme, ce qui entraîne une forte diminution de l’offre foncière, alors que la demande en logements augmente de 30 %. Les cités, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ont des densités beaucoup moins fortes que celle des immeubles haussmanniens et ne sont absolument pas en situation de surpopulation. Troisième élément dont il faut tenir compte : celui de la fluidité du marché. Le système français ne facilite pas le déménagement quelle que soit la catégorie de personnes et aurait intérêt d’être amplement simplifié, à l’instar de la Belgique où il suffit de signaler son déménagement à la mairie pour que les autres administrations en soient automatiquement informées. Enfin, dernier point, il faut instaurer de nouvelles solidarités entre les âges, entre les générations, entre les diverses catégories socioprofessionnelles ; faciliter la proximité, jumeler par exemple maison de retraite et école, ce qui est extrêmement utile en matière de lutte contre l’illettrisme. Peut-être, faudrait-il également, renoncer à cette fâcheuse habitude de « saucissonner » par âge, par catégorie. Cette sur-segmentation engendre, non seulement un communautarisme d’âge, mais aussi un communautarisme idéologique ou religieux. Ce qui fait la force de vie des populations, quelle que soit la situation personnelle de handicap, c’est la possibilité qui leur est offerte de vivre dans une ambiance où règne la concorde sociale, et où les solidarités par âge puissent s’exercer naturellement. D 74 75 Troisième table ronde COMMENT GARANTIR L’AUTONOMIE RÉSIDENTIELLE À CHAQUE GÉNÉRATION ? 3 INTERVENANTS François de Singly professeur à l’Université de Paris V Descartes François de Witt journaliste, auteur de « Appauvrissez-vous ! » André Santini ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux 76 77 Introduction Par Pierre Dutrieu Directeur du développement durable et de l’Intérêt général, Caisse Nationale des Caisses d’Epargne ardon de commencer par un exemple personnel qui illustre le thème de cette table ronde. J’ai quatre enfants majeurs, et je suis caution pour leur logement. Quand on est jeune, aux difficultés et aux contraintes, s’ajoute le sentiment d’une totale absence d’autonomie. Il est vrai qu’en France, la situation est telle que lorsqu’un Français naît, il a déjà 17 000 € de dettes. P Saint-Exupéry disait à peu près : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Force est de constater, qu’aujourd’hui, nous l’empruntons à fort intérêt. La situation est grave et sans tomber dans la « déclinologie », il faut bien admettre que si nous poursuivons cette politique de déficits budgétaires, cela se fera obligatoirement au détriment d’autres choses. Favoriser ces politiques de déficits, c’est renoncer demain à d’autres moyens. Le logement fait partie de la vie de tous les jours, sur le plan budgétaire comme sur le plan psychologique. La propriété du logement est un facteur de sécurisation, un élément d’autonomie, d’accomplissement de soi. On constate que ces questions de logement touchent d’abord les catégories extrêmes, jeunes, personnes âgées, dépendantes, handicapées et que très vite elles deviennent source d’inégalité, voire d’exclusion. Le rapport de l’observatoire des Caisses d’Epargne indiquait d’ailleurs que pour les générations à venir, l’itinéraire patrimonial risquait d’être encore plus escarpé. J’attends de cette table ronde des réponses sur l’avenir : est-il porteur d’espoir ? Sur la solidarité intergénérationnelle, sur les expériences menées du type Locapass – qui permet d’éviter les systèmes de cautions exorbitantes – sans oublier l’aspect purement financier du problème et le rôle que les Caisses d’Epargne, avec le Crédit Foncier et les Banques populaires, peuvent être amenés à jouer dans le futur, sur le plan du logement comme sur celui de l’aménagement des habitations, pour favoriser l’autonomie des personnes. 78 79 COMMENT GARANTIR L’AUTONOMIE RÉSIDENTIELLE À CHAQUE GÉNÉRATION ? Quel est l’impact de la crise de la famille et des recompositions familiales sur le logement et sur les comportements des jeunes générations face au logement ? François de Singly professeur à l’Université de Paris V Descartes 80 “... L’autonomie – autonomos – est la création de son propre monde ; l’indépendance est la possession de ses propres ressources...” omment garantir l’autonomie « spatiale » à chaque génération, y compris à la génération des 30-50 ans, supposés être autonomes spatialement ? Les enquêtes indiquent que les individus ne sont pas tous autonomes spatialement, sans même évoquer les SDF. Mais que recouvre le terme d’autonomie ? Certainement pas le simple fait d’avoir un logement. Il existe une confusion permanente sur deux notions philosophiques que sont l’autonomie et l’indépendance et qui sont très différentes. L’autonomie – autonomos – est la création de son propre monde ; l’indépendance est la possession de ses propres ressources. Une automobile peut rendre possible une indépendance spatiale, mais ne garantit pas l’autonomie. D’un point de vue philosophique, l’autonomie ne s’octroie pas. Les conditions de l’indépendance pour les enfants peuvent être créées : l’argent de poche est un bon exemple. L’autonomie d’un proche n’est pas toujours satisfaisante : un adolescent qui veut montrer qu’il a son monde à lui écoutera « sa » musique qui est différente de celle de ses parents. C 81 “... L’important est d’avoir un espace à soi, même s’il n’est pas à l’intérieur de la sphère privée...” L’acceptation au sein des relations intergénérationnelles de l’autonomie des enfants marque l’un des grands changements de ces dernières décennies. On attribue à la chambre individuelle pour l’enfant ou l’adolescent un rôle constitutif de « monde à soi ». Or, on constate, qu’en l’absence des parents, c’est la chambre parentale qu’ils investissent. La question se pose dans les mêmes termes pour les couples : quelle est l’indépendance spatiale des membres d’un couple, combien de conjoints occuperaient-ils des chambres séparées s’ils en avaient la possibilité ? Le bureau est sans doute le seul lieu d’autonomie spatiale, interne au logement qui est possible d’avoir pour les membres d’un couple. Cependant, il existe d’autres moyens pour échapper au risque d’enfermement, notamment celui d’avoir accès à d’autres espaces non partagés avec le partenaire, par exemple le lieu de travail. L’important est d’avoir un espace à soi, même s’il n’est pas à l’intérieur de la sphère privée. Pourrait-on envisager d’accueillir ses parents chez soi lorsque les enfants sont partis ? Souvent ce sont les parents qui ne veulent pas envisager cette solution : parce que les rythmes de vie ne sont pas les mêmes, les heures de repas ou les retards deviennent sources de conflit. En revanche, lorsque le lien familial n’existe pas, alors la « cohabitation intergénérationnelle » devient possible puisque les risques de dépendance (au sens philosophique) existent moins. Il en va de même pour les quartiers. Dans les années 1950-1960, au moment de la construction des HLM, les ouvriers ont découvert avec bonheur l’eau chaude, mais ils ont perdu les relations de voisinage qu’ils avaient dans le quartier peu salubre qu’ils quittaient. L’autonomie recouvre la totalité du monde, pas seulement le logement ; les cafés maintenaient le lien social, or ils ont disparu des cités, suite à des règlements. Le lien social ne peut exister sans espace. Le lien social à l’intérieur même de la famille s’est également modifié. Il y a trente ans, dans une famille nombreuse, les vêtements passaient de l’aîné au plus jeune. Le marché capitaliste est venu casser cela. Aujourd’hui, dans la même famille nombreuse, le niveau d’aspiration est tel, que chacun des enfants exige sa playstation, son téléphone portable. Un tiers des enfants de milieux populaires, en région parisienne, ne disposent pas de chambre individuelle, mais 60 % possèdent la télévision dans leur propre chambre. Dans les milieux plus favorisés, les enfants disposent d’une chambre individuelle, mais n’y ont pas la télévision. La structuration masculin-féminin redevient très importante. En ce moment de Coupe du monde, le garçon invitera son père à regarder le football dans sa chambre, tandis que la mère et la fille regarderont un feuilleton dans l’autre chambre. La montée de l’individualisme n’affecte pas les familles recomposées ou monoparentales. Les familles recomposées autorisent à l’enfant une plus large autonomie de mouvement grâce aux règles de vie différentes dans chacune des cellules familiales qui l’hébergent à tour de rôle. Où se situe l’arbitrage entre autonomie et indépendance ? Cela ne concerne pas seulement les jeunes, mais aussi les femmes. Mon premier livre Fortune et infortune de la femme mariée (1), montre, entre autres, que bon nombre des femmes surdiplômées ne trouvent jamais de mari ; et que de nombreux hommes petits agriculteurs ne trouvent pas d’épouses. Dans toutes les sociétés dites « traditionnelles », le célibat est la représentation de la pauvreté, ce sont les pauvres qui sont célibataires, les ouvriers agricoles, les filles cadettes. Aujourd’hui, il existe un célibat de femmes fortement dotées (culturellement). Son interprétation renvoie soit à un processus d’exclusion de ces femmes par les hommes, soit à un processus de refus de ces femmes du mariage et des inégalités associées. (1) PUF, 2004. 82 83 “... La maîtrise des horaires est l’une des premières marques de l’autonomie : pouvoir décider de ses heures de repas, de coucher, du moment où l’on regarde la télévision...” Quant à la maîtrise des horaires, elle est l’une des premières marques de l’autonomie : pouvoir décider de ses heures de repas, de coucher, du moment où l’on regarde la télévision, en pleine nuit, si on le souhaite. Or, précisément, cette maîtrise du temps, des horaires, est impossible dans les maisons de retraite. De la même façon, comme le montrent les enquêtes réalisées auprès de jeunes adultes, leur rêve est de voir partir les parents pour le week-end, afin de pouvoir disposer à la fois du lieu et du temps en l’absence des contraintes imposées par les parents. Au-delà de ces remarques qui peuvent, à l’écrit, paraître décousues, il faut retenir que l’enfer est pavé de « bonnes intentions », que les individus contemporains ne veulent pas vivre, même au grand âge, dans des relations de proximité relationnelle afin d’éviter une dépendance affective et qu’ils rêvent de rester indépendants spatialement pour continuer le plus longtemps possible à être autonomes, à avoir un monde à eux, peu contrôlé par autrui. La nostalgie des modèles de relations entre les générations n’a aucune utilité car elle ignore que les individus ont changé (quel que soit leur âge). Il faut donc dessiner des politiques qui prennent en compte cette nouvelle définition des individus, jeunes ou moins jeunes, ce qui, malheureusement, est peu souvent le cas. 84 85 COMMENT GARANTIR L’AUTONOMIE RÉSIDENTIELLE À CHAQUE GÉNÉRATION ? Grands seniors, comment avoir moins et être plus ? n a prêté à Guizot la fameuse phrase : « Enrichissez-vous ! » Je suis son descendant – non son héritier – et ne trouvant pas de titre à mon livre, mon éditeur, de guerre lasse, a suggéré Appauvrissez-vous (1) ! Je suis un journaliste patrimonial, spécialiste des questions d’argent. La France est riche, très riche même, le total du patrimoine des Français est de 8 000 milliards d’euros, fortement concentrée entre les mains des seniors, des plus de 50 ans. Je ne pense pas que l’on puisse modifier le comportement de nos parents, mais nous pouvons modifier le nôtre pour nous diriger vers une nouvelle politique vis-à-vis de l’argent, à l’égard de nos familles et du monde, une politique que j’appellerai « vivre riche et mourir fauché ». 0 “... Le total du patrimoine des Français est de 8 000 milliards d’euros, fortement concentrée entre les mains des seniors, des plus de 50 ans...” François de Witt Journaliste, auteur de « Appauvrissez-vous ! » 86 Aujourd’hui, un enfant naît toutes les 41 secondes, et toutes les 37 secondes une personne passe le cap de la cinquantaine. Notre pays vieillit. Nous entrons dans un monde nouveau, dominé numériquement ou tout du moins largement composé de quinquagénaires (30 % de la population en 2000, 45 % en 2050). Dans 50 % des familles, le chef de famille est un senior dont le niveau de vie est de 30 % supérieur à celui des juniors. 67 % des ménages qui déclarent un patrimoine supérieur à 450 000 € ont plus de 50 ans, et 80 % des actifs gérés par l’AFER, une association d’assurés vie, sont entre les mains de seniors dont 87 % sont redevables de l’ISF. L’économiste André Babeau nous apprend que la théorie économique voudrait que lorsqu’on est jeune on prenne un crédit, qu’ensuite, pendant la période où l’on est le plus productif, on accumule et épargne, et quand on est âgé, on tire sur son épargne pour financer ses vieux jours, puisque les retraites sont insuffisantes. En France, 87 les choses ne se déroulent pas ainsi. Les chiffres de taux d’épargne indiqués par André Babeau démentent cette théorie dite du cycle de vie. Les personnes de 50-59 ans épargnent 18 % de leurs revenus, ce chiffre baisse un peu au moment de la retraite, et, à 80 ans, le taux d’épargne atteint 20 %. Dans les maisons de retraite, il peut atteindre 50 à 60 %. Les seniors continuent d’accumuler au même rythme que s’accroît cette population. Le déséquilibre patrimonial entraînera, à terme, de fortes tensions entre générations, que ne compensent ni les transferts intergénérations ni même les donations. “... Les seniors continuent d’accumuler au même rythme que s’accroît cette population. Le déséquilibre patrimonial entraînera, à terme, de fortes tensions entre générations...” Quelles sont les raisons de cette accumulation ? Que conseiller comme placement à une personne de 90 ans ? Le pouvoir de l’argent est le dernier qui reste. Il permet aux parents de priver les enfants d’autonomie et donc de les garder sous la main. Philosophiquement à quoi cela sert-il d’économiser jusqu’à la fin de ses jours ? Montaigne écrivait : « Mais un père atterré d’années et de maux, il se fait tort, et aux siens, de couver inutilement un grand tas de richesses. Il est assez en état, s’il est sage, pour se coucher, non pas jusqu’à sa chemise, mais jusqu’à une robe de nuit bien chaude ; le reste de ses pompes, de quoi il n’a plus que faire, il doit en doter volontiers ceux à qui, par ordonnance naturelle, cela doit revenir. » Telle est toute la philosophie de mon livre. Il faut, à partir d’un certain âge, changer de politique patrimoniale, cesser d’accumuler. L’accumulation est remplie d’effet négatifs. Elle rend notamment ces personnes vulnérables aux escrocs en tous genres, qu’il s’agisse des accompagnants de personnes âgées, dont le récit alimente en faits divers les journaux, ou les milieux financiers, gérants de capitaux, tentés de spolier les personnes âgées peu averties ou simplement fragiles. Il est de notre responsabilité collective de protéger ces personnes, de les aider à gérer et à faire bon usage de leur capital, sans les priver de leur argent. Il nous faut prendre conscience collectivement que ces « tas d’or » ne sont pas productifs et contribuent à faire baisser le taux de croissance. Voilà pourquoi, à mon sens, on devrait à partir d’un certain âge, décider de « vivre riche et de mourir fauché ». Ma définition de la richesse est celle-ci : quelqu’un est riche lorsqu’il a devant lui plus d’argent qu’il ne pourra en dépenser jusqu’à la fin “... Il nous faut prendre conscience collectivement que ces « tas d’or » ne sont pas productifs et contribuent à faire baisser le taux de croissance. (...) On devrait à partir d’un certain âge, décider de « vivre riche et de mourir fauché »...” de sa vie. La richesse n’est donc pas un seuil qualitatif, mais un seuil relatif qui entraîne des choix : lorsqu’on est âgé vaut-il mieux être locataire ou propriétaire ? Faut-il doter ses enfants ? Donner à des causes caritatives ? Une prévision importante a été faite aux Etats-Unis, en 1999, sur les droits de succession et leur évolution sur une cinquantaine d’années, de 1990 à 2040. Ce que l’on appelle « le transfert de 10 000 milliards de dollars ». L’Etat américain va prélever des sommes substantielles sur les successions américaines entre 2010 et 2030. Merrill Lynch et Cap Gemini ont mené une enquête sur les millionnaires dans le monde. Le patrimoine transmissible de ces millionnaires, pour les quarante prochaines années, n’est pas de 10 000 milliards de dollars, mais de 100 000 milliards de dollars, ce qui démontre que le patrimoine progresse plus vite que le revenu. Est-il utopique d’envisager de modifier ces comportements, ces habitudes, ces modes de vie et de pensée ? Quelles solutions peuton offrir ? La rente viagère représente une réponse. Elle est la transformation du capital en tranches de capital qui sont versées chaque mois jusqu’à notre décès. Pendant les vingt ans qui vous restent à vivre vous disposez de 5 % de votre capital versé tous les ans. Il est de fait que plus les personnes âgées vieillissent, plus elles se sentent immortelles et pensent avoir besoin d’un « matelas ». La rente viagère suffit largement à assurer les besoins, elle est, de plus, fiscalement intéressante, car moins imposée que d’autres revenus. Je pense qu’il est indispensable de convaincre ces personnes que la générosité est la meilleure arme dont elles disposent pour s’intégrer, se faire accepter et aimer des générations plus jeunes. Je citerai Montaigne pour conclure : « Je laisserai à mes enfants, moi qui suis à même de jouer ce rôle, la jouissance de ma maison, et de mes biens, mais avec la liberté de m’en repentir, s’ils m’en donnaient l’occasion. Cela doit être un grand contentement à un père de mettre lui-même ses enfants en train de gouverner ses affaires. » Et enfin : « Quand je pourrais me faire craindre, j’aimerais encore mieux me faire aimer. » (1) Bourin éditeur, 2004. 88 89 COMMENT GARANTIR L’AUTONOMIE RÉSIDENTIELLE À CHAQUE GÉNÉRATION ? Vivre dans un immeuble comme les autres, avec un handicap très lourd : le projet d’Auton’Home à Issy-les-Moulineaux. a ville d’Issy-les-Moulineaux est signataire de la charte Ville handicap depuis le 29 juin 2000. Depuis, notre ville s’est vue par deux fois récompensée pour ses actions en faveur des personnes handicapées. En 2005, elle a été récompensée au congrès des villes de France par le prix « Action, innovation, accessibilité des communes ». En effet, la loi sur le handicap du 11 février 2005 prévoit l’accessibilité aux personnes handicapées de tous les logements neufs et dans certains cas, des logements existants. Nous avons donc reçu ce prix pour l’accessibilité à la mairie avec la mise en place d’un nouveau système : le système IRIS (Information et réception des Isséens). Nous recevons actuellement environ 8 000 appels téléphoniques par jour et plus de 2 000 courriels. Notre population est stable et les loyers, relativement élevés dans notre commune, imposent deux rémunérations dans le foyer. Les deux parents travaillant, se pose alors le problème des crèches. Pour tenter de réconforter les mamans, qui avaient l’impression d’abandonner leurs enfants aux structures, nous avons installé des webcams dans les crèches pour leur permettre, à partir de leur bureau, de contacter la directrice et de voir ce que font leurs enfants. L André Santini Ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux 90 91 Les HLM sont un office public et peu de choses sont faites pour les handicapés. Or, lorsque vous travaillez pour les handicapés, vous vous apercevez que la communauté entière en bénéficie, les personnes âgées, les mères de famille. “... Toutes les fonctionnalités du logement ont été repensées pour être réalisées depuis le sol pour une personne incapable de se tenir debout ou même assise. Les solutions retenues s’inspirent de la maison japonaise (...) et sont alliées aux technologies de pointe...” Le 18 mai 2006, l’OPHLM que je préside, Arc-de-Seine Habitat – représentant 6 000 logements entre Issy-les-Moulineaux et Meudon – a reçu le premier prix « Confort de vie », de 45 000 €, décerné par la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité et le Crédit Foncier de France pour le projet Auton’home. Ce projet d’aménagement d’un logement a été conçu par un architecte concepteur, en étroite collaboration avec le locataire, qui est atteint de la maladie des os de verre. A 46 ans, alors qu’il vivait toujours au domicile de ses parents, âgés respectivement de 76 et 86 ans, dans un appartement situé au 6e étage, il a souhaité devenir autonome. Cet homme vit par terre, car il ne peut pas vivre autrement. Comment peut-on l’imaginer vivre en immeuble HLM ? Toutes les fonctionnalités du logement ont été repensées pour être réalisées depuis le sol pour une personne incapable de se tenir debout ou même assise. En prévision de la deuxième phase de l’évolution de sa maladie, celle où il sera totalement dépendant et tributaire d’une personne qui viendra vivre à ses côtés, il a fallu, dès la conception du projet, prévoir les équipements minimum. Les solutions retenues s’inspirent de la maison japonaise : vie au sol, continuité des espaces, portes coulissantes. Elles sont alliées aux technologies de pointe en matière de domotique, d’automatisation, de communication. Jamais l’OPHLM n’avait eu un tel cahier des charges pour tant de handicaps réunis. Intéressé par le caractère innovant et exemplaire du projet, ses dimensions humaines et sociales, l’office a mis à disposition de ce locataire un logement en rez-de-chaussée, en plein centre d’Issy-les-Moulineaux, et a assuré le financement des travaux. Le coût total de ce logement s’élève à 112 000 € pour une personne. Les collectivités territoriales, la Ville, le conseil général ont contribué chacun à hauteur de 10 000 €, et le prix de 45 000 € a très largement 92 contribué au financement. Les travaux sont en voie d’achèvement. Le loyer s’élève à 312 € charges comprises. Le montant résiduel pour le locataire devrait se situer autour de 76 € après déduction des APL. Cela coûte beaucoup moins cher que la prise en charge dans une institution spécialisée. “... Lorsque vous travaillez pour les handicapés, vous vous apercevez que la communauté entière en bénéficie, les personnes âgées, les mères de famille...” D’une manière générale, la Ville s’emploie à favoriser la concertation avec les personnes handicapées au sein de la mission Handicap, qui se réunit plusieurs fois par mois et traite de sujets divers : accessibilité à l’espace public, scolarisation. Nous nous inspirons des cas qui nous sont soumis, et nous les traitons en les adaptant aux autres problématiques que nous rencontrons. Un petit garçon de 7 ans, devenu aveugle à la suite d’une méningite, nous a fait progresser dans la crèche d’abord, puis à la maternelle. Toutes nos écoles sont adaptées aux handicapés et nous avons soixante-sept enfants handicapés accompagnés d’assistants qui les aident, car si les moyens matériels sont indispensables, les moyens humains le sont encore plus. Deux de nos résidences, situées en centre-ville, incluent des logements pour personnes à mobilité réduite ; ce qui leur permet de vivre dans un immeuble normal, entourées de voisins normaux. Quatorze logements de type F2, regroupés autour d’un ascenseur, sont équipés d’aménagements adaptés pour les toilettes, la cuisine, etc. Un ascenseur commun les relie entre eux et les locataires disposent au rez-de-chaussée de deux salles modernes : une salle de soins avec Internet, et une salle à manger, pour les fêtes et les anniversaires. Les repas, préparés par une société spécialisée, sont servis à domicile. Dès 1996, nous réalisions quatorze logements, et, en 2003, nous avons ouvert cinq studios et dix F2 pour les personnes handicapées physique. Cet espace de vie collective dispose d’une maîtresse de maison du CCAS. Le locataire paye un loyer, reçoit une quittance et se trouve donc intégré comme n’importe quel autre individu de l’immeuble. C’est une formule intermédiaire entre le maintien à domicile et l’institution. Une troisième résidence est en cours de réalisation dans un nouveau quartier et devrait être achevée en 2007. 93 “... Il faut beaucoup d’observation, d’imagination, de volonté, de ténacité, de persévérance et une bonne utilisation des crédits disponibles pour réaliser des projets qui, avant tout et c’est ce qui est primordial pour nous, respectent la dignité des personnes...” Nous avons fait nôtre la devise des paralysés de France : « On est tous fait pour aimer la vie. » Nous avons voulu et pu, sans moyens considérables, mener à bien des réalisations et nous sommes fiers d’avoir pu rendre service à quelqu’un dans le cadre du projet Auton’Home et prendre ainsi le relais des parents qui s’inquiétaient : « Quand nous ne serons plus là, que va-t-il devenir ? » D’autres réalisations sont en cours, notamment sur le site de l’hôpital de Corentin-Celton. Construit à titre provisoire, en 1867, par un élève de Viollet-le-Duc, cet hôpital représente 70 000 m2 en plein cœur de la ville. C’est un lieu extraordinaire, mais aussi un mouroir où s’entassaient quarante-deux personnes par chambre, une véritable honte. Nous avons pu passer un accord et avons construit au total 1 200 logements dont beaucoup sont en secteur libre. De très beaux logements entourent un jardin composé de mille roses, préservées grâce à un horticulteur qui a su les faire revivre. L’entretien et la surveillance sont financés par les résidents, qui obtiennent en échange la clé qui leur donne accès au parc. Nous avons construit des logements sociaux et une nouvelle résidence de cent trente-cinq chambres pour personnes âgées. La vente des vieilles résidences a permis sa réalisation, et seul le financement du terrain reste à trouver. Nous allons également monter un studio de télévision qui sera animé par les enfants de l’école élémentaire située à côté, et qui produira le journal télévisé de la maison de retraite à 13 heures, offrant le soir cette mixité intergénérationnelle que les personnes âgées, nous l’avons constaté, aiment. Tout comme elles apprécient le bruit des enfants à l’école : aussi avons-nous installé une de nos maisons au-dessus d’une école, ce dont elles sont très heureuses. Pour conclure, il faut beaucoup d’observation, d’imagination, de volonté, de ténacité, de persévérance et une bonne utilisation des crédits disponibles pour réaliser des projets qui, avant tout et c’est ce qui est primordial pour nous, respectent la dignité des personnes. 94 95 Conclusion Par Pierre Dutrieu directeur du développement durable et de l’Intérêt général, Caisse Nationale des Caisses d’Epargne e cet après-midi riche, je tirerai quelques éléments qui m’ont paru particulièrement pertinents. La définition de l’autonomie et ses implications dans les comportements des générations à venir. La proposition assez philosophique du choix de « l’appauvrissement » qui me semble apporter une solution cohérente au transfert de générations. L’idée de « rente viagère » qui, si elle ne résout sans doute pas tout – tout le monde n’a pas de patrimoine à transmettre – est une piste intéressante particulièrement dans le domaine du logement. D Par ailleurs, Monsieur Santini nous a montré à travers l’exemple de cette personne atteinte de la maladie des os de verre, que ce qui est pensé, anticipé, voulu, peut être réalisé, sans moyens financiers considérables, à partir du moment où les projets sont conçus et élaborés en concertation avec la personne qui en sera la bénéficiaire. L’internet qui a été évoqué brièvement est également un média très apprécié par les personnes handicapées, car, disent-elles, leurs correspondants ne voient pas qu’elles sont handicapées. Enfin, ce que je retiendrai, pour conclure, c’est qu’il faut beaucoup de volonté, de ténacité, d’opiniâtreté, pour concevoir et mener à bien ces expériences qui nous ont été présentées au long de cette journée. 96 97 “Anticiper ” e voudrais remercier tous les orateurs qui ont accepté de participer à cette journée, ainsi que l’assistance qui nous a rejoints depuis ce matin pour suivre cette quatrième édition des Diagonales. Ces Diagonales sont ce moment de débat que nous organisons deux fois par an pour essayer de jouer notre rôle de « poil à gratter », pour inviter à la réflexion sur les sujets qui sont les nôtres, à savoir la lutte contre toutes les formes de dépendance, puisque c’est là l’objet ambitieux de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité. J Ce quatrième thème était un peu différent des thèmes précédents. Nous avons lors des sessions précédentes, beaucoup travaillé sur les générations, sur le temps. Nous nous sommes intéressés aux enjeux des âges de la vie, à la durée de séjour dans des établissements, aux liens entre les générations, aux solidarités dans le temps, aux jeunes en situation d’illettrisme. Et en vous écoutant aujourd'hui, je repensais à la phrase de Jules Lagneau, qui disait, à propos de l’espace et du temps : « L’étendue est la marque de ma puissance, le temps est la marque de mon impuissance ». Nous avons aujourd’hui pris le parti d’examiner ces problèmes à travers le prisme de l’espace et des territoires. Les interventions ont été complémentaires et toujours passionnantes, souvent très attachantes, parfois même humoristiques, et je voudrais vraiment remercier tous ceux qui ont donné à cette notion d’espace, de si belles illustrations. Si l’espace est la marque de notre puissance, qu’avons nous fait de cette puissance ? Comment avons-nous usé de notre pouvoir ? Si on ne peut pas agir sur le temps, on peut agir sur l’espace. Or que peut-on constater ? Le peu que nous avons fait pour rendre la ville Didier Tabuteau Directeur général de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité 98 99 et le logement accessibles aux personnes qui ont une difficulté, un handicap, une maladie grave, une usure liée à l’âge. Toutes les présentations qui ont été faites montrent les enjeux qui nous attendent en matière de construction. Ce matin, on évoquait le caractère inéluctable de la demande de 30 % de logements supplémentaires d’ici à 2030, ne serait-ce de part l’évolution des structures familiales et de la démographie. “... N'attendons pas d’avoir 80 ans pour préparer la jeunesse de nos enfants et de nos petits-enfants. Ouvrons les yeux, imaginons, puisons dans le passé, dans les expériences, dans les innovations, dans les initiatives...” Nous avons aussi constaté notre propension à regarder l’espace comme un lieu de chantier et de construction, et non comme un lieu de services et d’accompagnement des personnes. Nous avons vu également les difficultés de l’organisation des transports pour « casser » l’espace, pour rapprocher les habitants dans les territoires. Nous avons mieux identifié les questions de mobilité dans leur globalité. Ce matin, ont été évoquées les transformations qui se produisent dans les zones urbaines et les zones rurales. On nous a parlé de la migration de la France vers les plateaux de fruits de mer. D’ailleurs, il nous a été indiqué que dans un deuxième temps, la migration avait lieu vers les plateaux techniques spécialisés des hôpitaux ! A propos de ces évolutions spatiales, François de Singly a dit : « Le quartier doit être pensé au même titre que le logement ». C’est un assez beau résumé de nos débats. Il nous a aussi mieux fait comprendre la notion d’autonomie, sa différence avec la notion d’indépendance. Comment permettre à chacun d’assumer ou d’exercer son autonomie ? Enjeu considérable que la ville et les territoires n’ont pas encore pris nettement en compte. Une personne dans la salle a dit : « On prépare sa retraite à 40 ans et sa vieillesse à 60 ans ». J’ajouterai en conclusion : n’attendons pas d’avoir 80 ans pour préparer la jeunesse de nos enfants et de nos petits-enfants. Ouvrons les yeux, imaginons, puisons dans le passé, dans les expériences, dans les innovations, dans les initiatives. Elles sont nombreuses, elles sont importantes. Elles fleurissent. La Fondation essaye de les soutenir. Essayons simplement de faire que ces innovations ne mettent pas quinze ans à prendre corps mais qu’elles deviennent des réalités au plus vite. Je voudrais enfin, remercier Peggy Olmi, qui a réussi à tenir le rythme de la journée, malgré quelques contretemps, dans des conditions que nous avons tous appréciées. Pour finir, je voudrais rappeler la phrase de Sainte-Beuve : « Vieillir est encore la meilleure façon que l’on ait trouvé de vivre longtemps ». Puisque nous sommes appelés à vivre longtemps, il faut retenir un mot, celui que cette journée a mis en exergue : « anticiper ». 100 101 DIAGONALES LOGEMENT : ENTRE SOLIDARITÉS ET EXCLUSIONS Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité Reconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat le 11 avril 2001 5, rue Masseran - 75007 Paris www.fces.fr