Le dilemme du prisonnier

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Le dilemme du prisonnier
Le dilemme du
prisonnier
EMMANUEL PETIT - PROFESSEUR AGRÉGÉ DE SCIENCES
ÉCONOMIQUES - UNIVERSITÉ MONTESQUIEU BORDEAUX IV
31.05.2013
Table des
matières
Objectifs
5
Introduction
7
I - L'histoire du dilemme : dois-je avouer mon crime ?
9
A. Le dilemme..................................................................................................9
B. Des aveux très rationnels.............................................................................10
C. Le rôle du contexte.....................................................................................11
II - La solution théorique
13
A. Jeu à un coup.............................................................................................13
B. Solution dans le cas d'un dilemme répété.......................................................14
C. ... un nombre fini n de périodes ...................................................................14
D. ... un nombre infini de périodes....................................................................15
III - Le dilemme dans sa version expérimentale
17
A. Le protocole...............................................................................................17
B. Les principaux résultats expérimentaux.........................................................18
IV - Comment favoriser la coopération ?
19
A. Les enjeux.................................................................................................19
B. Les mécanismes individuels..........................................................................20
1.
2.
3.
4.
1
2
3
4
-
Ne pas être
Ne pas être
Pratiquer la
Ne pas être
envieux :.................................................................................................20
le premier à faire défection :.......................................................................20
réciprocité dans la coopération comme dans la défection :..............................20
trop malin :..............................................................................................21
C. Les mécanismes institutionnels.....................................................................21
1. 1 - Augmenter l'importance de l'avenir par rapport au présent..............................................21
2. 2 - Modifier les gains des joueurs......................................................................................21
3. 3 - Modifier les préférences individuelles............................................................................21
3
D. Une application du dilemme au cartel de l'OPEP..............................................22
V - Quiz
23
VI - Références
27
A. Références de base.....................................................................................27
B. Pour aller plus loin.......................................................................................27
Solution des exercices
29
Glossaire
33
4
Objectifs
1. Proposer une analyse synthétique et pédagogique du dilemme du
prisonnier
2. Donner une intuition de la stratégie rationnelle utilisée en théorie
des jeux dans le cadre d'interactions sociales
3. Montrer l'existence de préférences sociales et notamment de
comportements de coopération
4. Montrer les principaux résultats expérimentaux issus du dilemme
ainsi que leur interprétation
5
Introduction
Le dilemme du prisonnier est une situation de dilemme social dans laquelle les intérêts
individuels s'opposent aux intérêts collectifs. C'est une situation que l'on rencontre très
souvent dans la société, qu'il s'agisse du problème des économies d'énergies, du paiement
de la redevance audiovisuelle ou plus généralement de la participation au financement des
biens publics. Par exemple, nous espérons tous bénéficier d'infrastructures publiques de
qualité (écoles, universités, hôpitaux, etc.) sans avoir pour autant à en supporter le coût.
En économie, le dilemme du prisonnier est fondamental car il prend le contre-pied de la
célèbre « main invisible » formulée par Adam Smith (cf. Adam Smith) au 18ème siècle dans
laquelle la recherche par chacun de l'intérêt personnel conduit à l'harmonie sociale.
Le dilemme du prisonnier a été proposé par deux mathématiciens, Melvin Dresher et Merril
Flood, pour tester le concept d'équilibre inventé par John Nash en 1950, et qui est au centre
de la théorie des jeux.
Albert Tucker, un autre mathématicien, rend le dilemme populaire, lors d'un séminaire au
département de psychologie de l'Université de Stanford en 1950.
L'appellation vient de l'anecdote racontée par Tucker...
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7
L'histoire du
dilemme : dois-je
avouer mon crime
?
I-
Le dilemme
I
9
Des aveux très rationnels
10
Le rôle du contexte
11
A. Le dilemme
Vous êtes un brigand de grand chemin...
Vous avez été pris en flagrant délit de
vol d'une voiture en compagnie de
votre
complice.
Vous
encourez
chacun 1 an de prison.
Le procureur vous suspecte du
cambriolage d'une banque et vous
encourez 4 années de prison
La matrice des gains
supplémentaires.
Le procureur n'a cependant aucune preuve du cambriolage et ne peut vous
incarcérer que s'il obtient des aveux.
Il vous conduit l'un et l'autre dans une cellule isolée (pour que vous ne puissiez pas
communiquer) et vous propose le marché suivant :
 Si l'un des deux avoue et que l'autre non, le premier aura une remise de
peine d'un an (et sera donc libre) alors que le second sera lourdement
condamné (7 ans)
 Si les deux avouent, ils subiront une peine de 5 ans
 Si aucun des deux n'avoue, chacun purgera la peine de 1 an de prison pour
le vol de la voiture
Alors ? Que décidez-vous ? Vous avouez ou vous niez ???
Vous trouverez la solution proposée par l'économiste sur la page suivante.
Le point de vue plus nuancé du psychologue sera vu ensuite, en analysant le rôle
9
L'histoire du dilemme : dois-je avouer mon crime ?
du contexte.
B. Des aveux très rationnels
D'après l'économiste, vous êtes incapable de savoir ce que va faire votre complice.
On peut en convenir.
En revanche, vous pouvez sans doute prendre une décision que vous ne serez pas
à même de regretter.
Ce sera le cas si vous avez le sentiment d'avoir pris la meilleure décision quelle que
soit l'option choisie par votre partenaire.
Si c'est bien cela que vous souhaitez faire, alors vous allez avouer, votre complice
aussi, et vous passerez 5 années en prison à vous morfondre...
Simulateur : Selon la matrice des gains...
Reportez-vous dans la vignette placée
sur la droite et commencez par
imaginer que votre complice va
avouer.
Qu'avez-vous intérêt à faire ?
 Si vous avouez vous-même,
vous prendrez 5 ans de prison
La matrice des gains
 Si vous niez, vous en prenez
pour 7 ans
 Si votre complice avoue, vous avez donc intérêt à avouer
Imaginez maintenant que votre complice a nié.
 Si vous avouez, vous êtes libre !
 Si vous niez, vous avez 1 an à purger
 Vous avez donc encore intérêt à avouer.
Vous l'avez compris ! Quelle que soit l'action entreprise par votre
partenaire, votre intérêt est rationnellement d'avouer.
Comme vous êtes tous les deux rationnels, la solution du dilemme fait la joie du
procureur.
En revanche, pour la collectivité des 'brigands', la solution rationnelle débouche sur
la situation la plus défavorable.
Voyons maintenant ce qu'en pensent les psychologues.
C. Le rôle du contexte
Pour le psychologue, il est difficile de supposer in abstracto que les individus vont
se comporter de façon rationnelle et avouer (comme le suppose l'économiste) sans
prendre compte le contexte dans lequel s'inscrit la décision mais aussi la
personnalité des acteurs.
Face à ce dilemme, vous êtes en effet nombreux à indiquer que vous seriez prêt à
nier car vous supposez que vous seriez solidaire de votre complice. C'est ce que
font, dans le cadre du laboratoire, environ la moitié des participants.
10
L'histoire du dilemme : dois-je avouer mon crime ?
Remarque : Des expériences contextualisées en laboratoire
Les expériences en laboratoire effectuées par les psychologues ont montré que le
contexte jouait un rôle crucial dans la prise de décision.
 Remplacez ainsi dans la version précédente du dilemme “avouer” par
“dénoncer” et “nier” par “coopérer”, et vous obtiendrez une proportion
beaucoup plus substantielle de prisonniers qui seront libres au bout d'un an
seulement...
 On a ici une version très simple de ce que Daniel Kahneman (cf. Daniel
Kahneman) et Amos Tversky appellent « l'effet de présentation ».
En psychologie, mais aussi en économie, le dilemme est encore l'objet de travaux
novateurs. Les enjeux qui y sont associés sont en effet fondamentaux.
11
La solution
théorique
II -
II
Jeu à un coup
13
Solution dans le cas d'un dilemme répété...
14
... un nombre fini n de périodes
14
... un nombre infini de périodes
15
En théorie des jeux, l'étude de la solution théorique du dilemme s'effectue lorsque
que l'on suppose que le jeu est joué une seule fois (« à un coup »), ou lorsque la
séquence est répétée un nombre fini de fois ou un nombre infini de fois.
A. Jeu à un coup
Pour résoudre le dilemme dans un jeu non répété (c'est-à-dire, joué une seule
fois), on utilise la notion de stratégie dominante.
Une stratégie est dominante si elle correspond au choix que j'ai intérêt à faire
quelle que soit la stratégie adoptée par l'autre joueur.
Dans le dilemme, comme nous l'avons vu, chaque joueur rationnel a une stratégie
dominante bien identifiée : « avouer ».
La solution d'équilibre en stratégies
dominantes (et solution de Nash) est
donc non coopérative (D, D).
La solution est non optimale pour la
société (considérée ici comme la
somme des deux joueurs). La
solution optimale serait (C, C).
Le dilemme du prisonnier incarne
l'idée fondamentale selon laquelle la
La matrice des gains
confrontation
des
intérêts
individuels ne débouche pas nécessairement sur l'optimum collectif.
13
La solution théorique
B. Solution dans le cas d'un dilemme répété...
Dans un jeu à un coup, les joueurs jouent une seule fois simultanément. Que se
passe-t-il si l'on suppose que le jeu est répété sur plusieurs périodes ?
La répétition du jeu peut inciter l'un des joueurs à « signaler » à l'autre qu'il est
prêt à coopérer au premier tour pour l'inciter à faire de même aux tours suivants.
On peut alors envisager que la solution théorique soit celle de la coopération et non
celle de la défection. Mais, il faut cependant distinguer le cas dans lequel le
dilemme est répété un nombre fini de fois, de celui dans lequel il est répété un
nombre infini de fois.
C. ... un nombre fini n de périodes
Pour résoudre ce problème, on utilise l'induction à rebours.
Définition
La méthode de l'induction à rebours implique que l'on se place à la dernière période
du jeu, que l'on identifie les stratégies des joueurs à cette période, puis que l'on
remonte le temps jusqu'à la première période du jeu.
Au dernier tour (jeu à un coup), l'équilibre de Nash du jeu du dilemme du
prisonnier est (D, D) : les joueurs ont intérêt à ne pas coopérer et à avouer.
A l'avant dernier-tour, le joueur pourrait envisager d'envoyer un signal à l'autre
joueur (en coopérant) lui indiquant qu'il est prêt à coopérer.
En coopérant à l'avant-dernier tour, le joueur développerait ainsi une réputation
de joueur « coopérant ».
Cependant, anticipant le comportement de l'autre joueur au dernier tour du jeu
(défection), les joueurs ne gagnent rien à essayer de coopérer à l'avant-dernier
tour.
L'équilibre de Nash du jeu répété à l'avant dernier-tour est donc (D, D).
On continue le raisonnement en remontant le jeu de période en période jusqu'au
premier tour du jeu...
Dans un dilemme des prisonniers répété dont le nombre fini de tours est connu à
l'avance, l'équilibre de Nash consiste à avouer à chaque tour.
Remarque
Cette solution implique cependant que la méthode de l'induction à rebours soit
cohérente.
Ce que le paradoxe de l'examen surprise remet en cause.
Voir le paradoxe de l'examen surprise (cf. Le paradoxe de l'examen surprise).
A votre avis, ai-je tort ou raison ? (cf. L'induction à rebours)
D. ... un nombre infini de périodes
Lorsque l'on ne connaît pas la durée pendant laquelle le jeu est répété, chaque
14
La solution théorique
joueur peut être incité à adopter une stratégie de réputation en coopérant.
En coopérant, il essuie à court terme des pertes importantes mais peut escompter
une rente perpétuelle de gains futurs (à long terme) lorsque les deux joueurs
coopèrent.
La stratégie de réputation fonctionne par conséquent si la « préférence pour le
présent » des joueurs n'est pas trop élevée.
Ainsi, lorsque l'on considère un nombre infini de périodes, on peut montrer que si la
préférence pour le présent est relativement faible, il existe une paire de stratégies
d'équilibre de Nash telle que chaque joueur a intérêt à coopérer.
En particulier, la stratégie que l'on peut appeler la« stratégie de représailles » ou
du talion (« œil pour œil, dent pour dent ») conduit à la solution de Nash à chaque
période du jeu.
Cette stratégie s'énonce de la façon suivante : « coopérer au tour actuel tant
que l'autre joueur n'a pas dénoncé l'accord au tour précédent, sinon
dénoncer l'accord de façon définitive ».
15
Le dilemme dans
sa version
expérimentale
III
III -
Le protocole
17
Les principaux résultats expérimentaux
18
A. Le protocole
Sous une forme neutre, dans le cadre
du
laboratoire
expérimental,
le
célèbre dilemme du prisonnier est
présenté de la façon suivante.
 Vous jouez avec un partenaire
anonyme qui joue en même
temps que vous et avec lequel
vous
ne
pouvez
pas
communiquer.
La matrice des gains
 Votre
objectif
est
de
maximiser vos gains.
 Vous avez deux choix possibles : C ou D.
 La matrice des gains vous est présentée à droite.
 La matrice respecte la convention suivante : dans chaque case, dans la
parenthèse, les gains du joueur 1 apparaissent en premier et ceux du joueur
2 en second. Par exemple, si le joueur 1 choisit l'option C et que le joueur 2
choisit l'option D, le joueur 1 ne gagne rien (0) et le joueur 2 gagne 4 euros.
Simulateur : Supposez maintenant que vous êtes le joueur 1, quel
est votre choix ? C ou D ?
Consultez ensuite les principaux
expérimentalistes en laboratoire.
résultats
obtenus
par
les
économistes
17
Le dilemme dans sa version expérimentale
B. Les principaux résultats expérimentaux
Le jeu du dilemme du prisonnier a été testé en laboratoire de très nombreuses fois
(sans doute plus de 2000 réplications à ce jour).
 Lorsque le jeu est joué une seule fois, ce qu'on appelle un « jeu à un coup »,
on observe en moyenne que la stratégie de coopération (C) est utilisée
par environ 50% des joueurs.
Contrairement à la prédiction issue de la théorie des jeux (cf. Prédiction issue de la
théorie du jeu), les individus sont prêts à coopérer pour obtenir le gain qui
maximise celui de la communauté des joueurs.
 Cependant, lorsque le jeu est répété (sur un nombre fini de périodes, par
exemple 10 à 20 séquences), le taux de coopération initialement à 50%
décline progressivement au fur et à mesure de la répétition du jeu.
 Enfin, on observe également un comportement de « fin de jeu » : à
l'approche de la dernière période du jeu (qui est connue par les
participants), les joueurs jouent plus massivement la défection (D), le taux
de coopération chute fortement (autour des 10%). Le comportement de "fin
de jeu" semble donc impliquer que les participants utilisent effectivement la
méthode d'induction à rebours (cf. tableau de la matrice des gains, vu sur la
page précédente) mais seulement sur une courte période lorsqu'ils
entrevoient la fin possible de la coopération.
Les résultats du dilemme révèlent ainsi que des comportements pro sociaux
peuvent naître spontanément en dépit de l'incitation à rechercher son intérêt
personnel dans le jeu.
Ils interrogent également les chercheurs en sciences sociales sur la définition
d'outils permettant de maintenir cette coopération qui produit des résultats
bénéfiques pour la société.
18
Comment
favoriser la
coopération ?
IV -
IV
Les enjeux
19
Les mécanismes individuels
20
Les mécanismes institutionnels
21
Une application du dilemme au cartel de l'OPEP
22
Robert Axelrod (2006) propose la stratégie de « coopération conditionnelle »
(jouer C lorsque l'autre a joué C, mais jouer D lorsqu'il a joué D) qui a été testée au
cours d'un tournoi informatique.
Le jeu s'apparente à un tournoi dans lequel chaque programme est confronté à tous
les autres, à lui-même et à un programme aléatoire jouant au hasard. Certaines
stratégies consistent à faire défection tout le temps, ou à coopérer au contraire de
façon systématique ; d'autres stratégies sont beaucoup plus complexes et
sophistiquées.
Axelrod (2006) obtient que la stratégie Donnant-Donnant (ou de « coopération
conditionnelle ») est celle qui s'impose dans un monde où les joueurs font face à
des dilemmes du prisonnier répétés.
A. Les enjeux
Le dilemme du prisonnier est l'un des jeux économiques les plus connus sur le plan
expérimental. Les expériences montrent que des comportements coopératifs,
bénéfiques pour la société, peuvent exister contrairement à la prescription
théorique. Ceci conduit à poser la question centrale de savoir s'il peut exister des
mécanismes individuels ou institutionnels capables d'instaurer la coopération entre
des individus au sein de la société, des institutions, de l'entreprise ou même de la
famille ?
Cette question est au centre du travail de Robert Axelrod dans son ouvrage ...
Exemple : Le dilemme du prisonnier s'illustre très fréquemment
dans la vie réelle
Nous sommes ainsi fréquemment confrontés à des situations dans lesquelles notre
19
Comment favoriser la coopération ?
intérêt individuel rentre en conflit avec l'intérêt collectif : redevance audiovisuelle,
impôts, économies d'énergies, participation à des œuvres caritatives, etc.
Les champs d'application de ce dilemme se trouvent aussi bien en économie de
l'environnement, en sciences politiques ou bien encore en sciences de gestion,
domaines dans lesquels la notion centrale de coopération fait l'objet de nombreux
travaux expérimentaux.
B. Les mécanismes individuels
Au niveau individuel, Robert Axelrod [2006] donne 4 conseils à un joueur confronté
à un dilemme du prisonnier :
1. 1 - Ne pas être envieux :
Le fait d'être envieux accentue la
tentation de la stratégie noncoopérative car au lieu de raisonner
par rapport à ses propres gains,
chaque joueur se met à raisonner par
rapport aux gains qu'obtiendra son
partenaire.
Un joueur envieux aura ainsi plus de
difficulté à se contenter de gagner 3
euros (solution coopérative) s'il sur
La matrice des gains
pondère la différence entre ce qu'il
obtient et ce que l'autre joueur gagne [(C,D) ou (D,C)].
2. 2 - Ne pas être le premier à faire défection :
Une stratégie bienveillante consiste à ne pas attaquer le premier. Une stratégie
offensive de défection déclenchera assez souvent un cycle vicieux défavorable à
celui qui l'a entreprise le premier.
3. 3 - Pratiquer la réciprocité dans la coopération
comme dans la défection :
La stratégie de représailles permanentes (solution de Nash) est cependant trop
dure et donc pénalisante dans le jeu. Les représailles ne peuvent pas s'entendre ici
comme étant une logique de parfaite réciprocité. Si une réaction à une défection
tend à conduire à des réactions en chaîne, une indulgence mesurée peut être
souhaitable. Par contre, si la stratégie de l'autre est de faire défection pour
exploiter des règles accommodantes, alors une attitude ferme est sans doute
préférable.
4. 4 - Ne pas être trop malin :
Une stratégie trop complexe peut nuire à l'obtention d'un résultat coopératif. Cela
vient du fait que le dilemme du prisonnier est un jeu interactif dans lequel l'autre
20
Comment favoriser la coopération ?
joueur va s'adapter à votre stratégie. La réaction en chaîne qui se produit est en
fait difficile à prévoir et aucune stratégie ne peut être efficace dans ce cadre.
Contrairement au jeu des échecs, l'objectif du jeu du dilemme n'est pas de battre
l'autre mais de récupérer le maximum de gains pour soi.
La stratégie complexe est aussi une stratégie peu lisible, ce qui peut conduire à une
stratégie floue, contrairement à la stratégie du « donnant-donnant » qui a le mérite
de la simplicité et de la clarté.
C. Les mécanismes institutionnels
Au niveau institutionnel, Robert
d'encourager la coopération :
Axelrod
[2006]
envisage
trois
manières
1. 1 - Augmenter l'importance de l'avenir par rapport
au présent
La préférence pour le présent concerne la façon dont on pondère des gains futurs
par rapport à des gains présents. Augmenter l'importance de l'avenir par rapport au
présent peut donc faciliter la coopération à long terme (voir l'application au cas de
l'OPEP).
Cela peut se faire en rendant les rencontres entre les partenaires d'un contrat plus
durables et plus fréquentes. C'est ce qui a été décidé au niveau de l'Organisation
Mondiale du Commerce et qui a permis, dans une certaine mesure, de faciliter les
accords d'échanges internationaux.
(Vous aurez davantage d'information plus bas)
2. 2 - Modifier les gains des joueurs
L'État peut modifier la matrice des gains auxquels l'individu est confronté en lui
imposant une amende supplémentaire (taxe) en cas de stratégie de défection ou
une récompense (subvention) en cas de coopération.
Les travaux expérimentaux récents sur la coopération montrent ainsi que les
mécanismes de punition, de sanction ou même d'exclusion, augmentent très
substantiellement le taux de coopération (parfois même jusqu'à 100%). En
revanche, ces mécanismes coûtent cher et peuvent être délicats à mettre en
œuvre.
3. 3 - Modifier les préférences individuelles
Un autre moyen de faciliter la coopération est de modifier les préférences
individuelles des agents économiques. On joue ici sur l'éducation sociale ou
morale des joueurs. Les préférences des joueurs doivent en particulier intégrer non
seulement leur propre bien-être mais aussi celui des autres.
L'approche par le concept d'équilibre équitable de Rabin (1993) illustre cette
idée. Soient x1 et x2, les paiements respectifs des joueurs 1 et 2, on écrit la
fonction d'utilité ou de gain du joueur 1 de la façon suivante :
U1 = U1 (x1, x2) = x1 + α x2.
où α est un coefficient d'envie ou de sympathie.
Dans cette formulation simplifiée du modèle de Rabin (1993), si le joueur 1 anticipe
21
Comment favoriser la coopération ?
une action bienveillante de la part de son partenaire jeu (la coopération), il en
conçoit de la sympathie et sera prêt à la réciprocité. Un équilibre de coopération
peut ainsi naître.
Une autre possibilité consiste à jouer sur la moralité des joueurs et sur le rôle des
émotions morales. Des travaux expérimentaux ont ainsi montré que des joueurs
qui font défection et qui en ressentent de la culpabilité sont incités à modifier leur
comportement et à adopter la coopération.
D. Une application du dilemme au cartel de l'OPEP
22
V-
Quiz
V
Exercice 1
[Solution n°1 p 29]
Le dilemme du prisonnier a été inventé par l'économiste John Nash, pour tester son
concept d'équilibre en théorie des jeux.
Vrai
Faux
Exercice 2
[Solution n°2 p 29]
On peut résumer la stratégie dominante par la phrase : « je fais du mieux que je
peux quelle que soit la stratégie adoptée par mon partenaire ».
Vrai
Faux
Exercice 3
[Solution n°3 p 29]
Susciter l'envie chez les joueurs est une bonne façon d'inciter à la coopération.
Vrai
Faux
Exercice 4
[Solution n°4 p 30]
En laboratoire, dans un jeu joué une seule fois, environ 75% des participants
coopèrent.
23
Quiz
Vrai
Faux
Exercice 5
[Solution n°5 p 30]
Les résultats expérimentaux obtenus pas les psychologues ont montré que le
contexte dans lequel s'effectue la décision modifie la proportion de joueurs qui
coopèrent dans le dilemme du prisonnier.
Vrai
Faux
Exercice 6
[Solution n°6 p 30]
Le comportement de « fin de jeu » correspond à une diminution drastique de la
coopération à la fin de la période de jeu.
Vrai
Faux
Exercice 7
[Solution n°7 p 30]
C'est Albert Tucker, un psychologue, qui a rendu le dilemme du prisonnier
populaire.
Vrai
Faux
Exercice 8
[Solution n°8 p 30]
Dans le dilemme du prisonnier, la solution rationnelle de défection est moins
bénéfique pour la société que la solution coopérative.
Vrai
Faux
Exercice 9
[Solution n°9 p 31]
En laboratoire, en économie, les stratégies sont présentées sous une forme neutre
(A ou B).
24
Quiz
Vrai
Faux
Exercice 10
[Solution n°10 p 31]
La « coopération conditionnelle » consiste à coopérer lorsque l'on anticipe que son
partenaire va coopérer.
Vrai
Faux
25
VI -
Références
VI
A. Références de base
Axelrod Robert, Comment réussir dans un monde d'égoïstes : théorie du
comportement coopératif, Odile Jacob, 2006.
Eber Nicolas, Théorie des Jeux, Dunod, 2007.
Eber Nicolas, Le Dilemme du prisonnier, La Découverte, Collection « Repères »,
2006.
http://ecopsycho.gretha.u-bordeaux4.fr/
B. Pour aller plus loin
Matthew Rabin, Incorporating Fairness into Game Theory and Econometrics,
American Economic Review, 83, p. 1281-1302, 1993.
Mark White, Kantian Ethics and the Prisoner's dilemma, Eastern Economic Journal,
35, p. 137-143, 2009.
Alain Wolfesperger, Sur l'existence d'une solution kantienne du problème des biens
publics, Revue Economique, 50, p. 879-902, 1999.
27
Solution des
exercices
> Solution n°1 (exercice p. 23)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
Il s'agit de deux mathématiciens, Melvin Dresher et Merril Flood. L'objectif était
cependant le test du concept théorique inventé par Nash.
> Solution n°2 (exercice p. 23)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
Une stratégie dominante correspond à la meilleure stratégie quelle que soit celle
choisie par mon partenaire. Il s'agit d'une stratégie dite « sans regret » puisque l'on
fait du mieux que l'on peut.
> Solution n°3 (exercice p. 23)
Vrai
Mauvaise réponse.
Faux
Bonne réponse.
C'est le contraire. C'est parce que les joueurs sont envieux qu'ils ont tendance à
vouloir obtenir davantage que leur partenaire. L'envie favorise donc la défection.
> Solution n°4 (exercice p. 23)
29
Solution des exercices
Vrai
Mauvaise réponse.
Faux
Bonne réponse.
Le taux de coopération est d'environ 50%, ce qui est déjà beaucoup.
> Solution n°5 (exercice p. 24)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
Cette affirmation est vraie. Si l'on modifie le contexte du dilemme, par exemple en
évoquant les termes de coopération ou au contraire de trahison, plutôt que des
stratégies neutres (A ou B), les résultats expérimentaux varient substantiellement.
Dans ce cas précis, les individus auront ainsi sans doute tendance à coopérer
davantage.
> Solution n°6 (exercice p. 24)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
Ce comportement indique que les individus adoptent la logique de l'induction à
rebours, mais seulement à la fin de la période dans un dilemme répété.
> Solution n°7 (exercice p. 24)
Vrai
Mauvaise réponse.
Faux
Bonne réponse
C'est bien Tucker. Sauf qu'il était mathématicien.
> Solution n°8 (exercice p. 24)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
C'est tout l'enjeu, en termes de politiques publiques, du dilemme du prisonnier.
30
Solution des exercices
> Solution n°9 (exercice p. 24)
Vrai
Bonne réponse.
Faux
Mauvaise réponse.
La pratique en économie expérimentale consiste à éviter toute forme de contexte.
> Solution n°10 (exercice p. 25)
Vrai
Mauvaise réponse.
Faux
Bonne réponse.
Pas tout à fait, c'est lorsque l'on constate que l'autre joueur a coopéré à la période
précédente que l'on coopère.
31
Glossaire
L'effet de présentation
L'effet de présentation indique une tendance naturelle à modifier notre jugement ou
notre comportement en fonction de la façon dont l'information nous est présentée.
L'homo oeconomicus
Le très célèbre homo œconomicus correspond à la façon dont l'économiste
représente l'individu en tant que personne pensante et agissante dans l'univers
économique. L'homo oeconomicus est rationnel, autonome, doté d'un parfait librearbitre et toujours à la recherche de son intérêt personnel.
Le contexte
En psychologie expérimentale, le contexte de la décision est ainsi pris en compte
lors de la définition d'un protocole. En revanche, l'économiste cherche à rendre le
contexte de l'expérimentation le plus neutre possible.
33