Juppé super-star: les médias ont la mémoire qui flanche

Transcription

Juppé super-star: les médias ont la mémoire qui flanche
Juppé super-star: les médias ont la
mémoire qui flanche
Les médias ont réussi le tour de force de faire passer Alain Juppé,
habitué des hautes sphères du pouvoir, pour une quasi révélation
politique. Jack Dion rappelle que le consensus réuni autour d’Alain Juppé
– qui fut honni du temps où il était Premier ministre – n’est peut-être
qu’un signe de plus de la décrépitude du pouvoir sarkozyste.
A en croire ce qui s’écrit dans les gazettes, la révélation politique de
l’année s’appelle… Alain Juppé. Le Figaro l’a même catalogué du titre d’ «
homme providentiel ».
Un peu partout, on entend des hommages dithyrambiques et des commentaires
flatteurs, comme si le nouveau ministre des Affaires étrangères avait, tout
au long de sa (déjà longue) carrière, effectué un sans faute, ou qu’il
incarnait une relève en forme de rupture fantasmatique. Certains vont même
déjà jusqu’à le présenter comme une alternative éventuelle à un Sarkozy
incapable de trouver un quelconque second souffle.
Cette vision digne d’un conte pour enfants confirme simplement que les
commentateurs n’ont pas de mémoire, à moins qu’ils ne réécrivent le passé
afin d’occulter leurs propres turpitudes.
Nul ne doute que le maire de Bordeaux ait une stature qui fera oublier les
frasques de ses prédécesseurs, qu’il s’agisse de Bernard Kouchner et de ses
compromissions, ou de Michèle Alliot-Marie et de ses amitiés particulières en
Tunisie. Juppé est déjà passé par la case Quai d’Orsay, et il y a fait montre
d’un professionnalisme certain, à une époque où la France n’avait pas encore
rejoint le camp atlantiste et faisait entendre une petite musique originale
sur la scène internationale. Il y revient alors que Paris a réintégré la
direction de l’Otan et brille par ses ratés diplomatiques, avec pour mission
de rattraper une partie du temps et du terrain perdu. Vaste défi.
En attendant de juger le successeur de MAM aux actes, on peut au moins
rappeler qu’il n’est pas vraiment un nouveau venu. Le maire de Bordeaux (et
qui entend le rester, au nom du droit au cumul qui est l’une des tares de la
caste politicienne) a même un passé qui devrait inciter ses laudateurs à un
peu plus de circonspection.
Passons sur l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, en 1995, empêtré
dans une histoire de logement assez obscure, et qui disait : « Je suis droit
dans mes bottes ». Oublions celui qui proposait, en 1996, de céder Thomson
pour 1 franc symbolique au sud-coréen Daewo, en lançant à la télévision,
geste à l’appui : « Thomson, ça ne vaut rien ! ». Laissons de côté l’affaire
des emplois fictifs de la ville de Paris, où il a payé pour d’autres,
curieusement oubliés par la justice. Retenons seulement le Juppé qui dut
affronter un mouvement social massif en novembre/décembre 1995, et qui en est
sortie par la porte de la déroute. Du 24 novembre au 15 décembre, Alain Juppé
symbolisa une intransigeance totale, avant de retirer le plan qui portait son
nom sur les retraites et la sécurité sociale, à la suite d’un mouvement
massif.
A l’époque, Juppé personnifia des comportements que l’on retrouvera dans
d’autres circonstances, notamment à l’occasion du référendum sur le projet de
constitution européenne : l’arrogance des dominants, sûrs d’eux et
dominateurs ; le mépris du peuple ; le refus de prendre en compte tout avis
contraire et l’expression systématique d’une bien pensance considérée comme
la Bible des temps modernes.
Durant ce mouvement, il était de rigueur de dire au vulgum pecus qu’il n’y
avait pas d’alternative – antienne reprise par tous les penseurs alors bien
en cour, et qui le sont encore aujourd’hui (le monde des éditorialistes se
renouvelle très peu). Face aux grévistes, aux syndicalistes et aux
manifestants, de doctes esprits dénonçaient le « corporatisme » des
opposants, incapables de comprendre qu’il n’y avait pas d’autres choix
politiques possibles, et que le plan Juppé était forcément la bonne réponse
puisque c’était la seule envisageable.
On peut d’ailleurs penser que si le ministre des Affaires étrangères garde
aujourd’hui une certaine notoriété médiatique, c’est parce qu’il disait tout
haut ce que l’élite pensait tout bas.
En vérité, un autre phénomène explique le retour en gloire de Juppé : la
décrépitude avancée du sarkozysme. Du coup, des hommes que l’on croyait
enterrés à jamais retrouvent des vertus insoupçonnées. C’est une ruse de
l’histoire qui peut réserver d’autres surprises.
Source :©
Juppé super-star: les médias ont la mémoire qui flanche

Documents pareils