le tRibunal fédéRal viRe anti-lOcataiRe

Transcription

le tRibunal fédéRal viRe anti-lOcataiRe
VOS DROITS
décisions juridiques fédérales
le tribunal fédéral
vire anti-locataire
Sans crier gare, le
Tribunal fédéral vient
de rendre trois arrêts
vraiment défavorables
aux locataires. Détails.
François Zutter
Avocat répondant
Asloca Genève
Dans notre précédent numéro
(DAL 210), nous avions salué
une décision du Tribunal
fédéral en ce qui concerne les
congés économiques. Nous
devons maintenant dénoncer
trois décisions récentes qui
sont clairement défavorables
aux locataires:
1. Admission
des contrats de durée
déterminée en chaîne
Le Tribunal fédéral a malheureusement annulé l’arrêt
de la cour de Justice interdisant les contrats de bail de
durée déterminée en chaîne,
arrêt dont nous avions parlé
en novembre 2012 (DA L
207, p. 6). Dans son arrêt du
26 février 2013, rendu après
une délibération publique,
le Tribunal fédéral a estimé
qu’il n’y avait rien d’illicite à
imposer à un locataire quatre
contrats de durée déterminée
à la suite l’un de l’autre.
Lors des délibérations, un
seul juge sur cinq considérait
qu’il s’agissait d’un abus de
droit de la part du bailleur,
ce d’autant plus que celui-ci
avait expressément avoué en
audience qu’il s’agissait d’une
pratique voulue dans le cadre
de la gestion de son parc immobilier afin d’être libre de
garder les locataires ou de les
faire partir.
Les autres juges ont laissé
entendre qu’ils pourraient
changer d’avis éventuellement
si un autre cas leur était présenté. Malheureusement il
s’agissait là d’un cas d’école et
il est regrettable que les juges
n’aient pas saisi cette occasion
pour condamner cette pratique
déloyale (ATF 4A_609/2012).
2. Protection
des spéculateurs
Dans un arrêt du 28 février
2013, le Tribunal fédéral a
annulé un arrêt de la Cour de
Justice du canton de Genève
qui avait condamné la spéculation immobilière. En effet,
cette dernière avait annulé
un congé donné à une locataire par un propriétaire qui
avait acheté sept apparte-
l’activité économique du propriétaire. Et il a également
retenu qu’il n’y avait pas une
d isproportion choqua nte
entre les intérêts en présence
puisque les locataires ne présentaient pas de problèmes
humains particulièrement
pénibles contrairement à un
autre cas qui s’était produit en
2010 (ATF 4A_484/2012).
3. Les avocats de
l’ASLOCA empêchés
de défendre leurs clients
au Tribunal fédéral
A Genève, les locataires
peuvent être défendus devant
le Tribunal des baux et loyers
non seulement par un avocat
inscrit au barreau mais égale-
“
Le Tribunal fédéral
approuve la spéculation
immobilière et la précarisation
des locataires
”
ments pour un peu plus de
4 millions de francs en 2006 et
en avait revendu six dans les
quatre années suivantes pour
un montant de près de 7 millions de francs! Il ne restait
plus que l’appartement de la
locataire concernée qui avait
reçu son congé en 2009.
Le Tribunal fédéral a malheureusement annulé l’arrêt
de la Chambre d’appel, validé
le congé, mais accordé à la locataire une prolongation de
bail maximale de 4 ans. Il a
retenu que l’activité de spéculateur était licite et que les
juges genevois avaient entravé
ment par un mandataire professionnellement qualifié tel
qu’un employé de l’ASLOCA.
Actuellement onze avocats,
également avocats indépendants inscrits au barreau, travaillent à l’ASLOCA Genève.
Depuis 40 ans, l’ASLOCA
défend les locataires devant le
Tribunal des baux et loyers
et, quand une affaire se poursuit au Tribunal fédéral, c’est
un avocat de l’ASLOCA qui
défend le locataire concerné
à titre personnel puisque les
mandataires professionnellement qualifiés ne peuvent
pas plaider devant le Tribunal
fédéral. Ce système n’a jamais
dérangé personne. Alors que
personne ne le lui demandait, le Tribunal fédéral a
soudain décidé, dans un arrêt
du 12 avril 2013, qu’un avocat
de l’ASLOCA ne pouvait pas
continuer à défendre le locataire, à titre personnel, devant
le Tribunal fédéral car il manquerait d’indépendance par
rapport à son employeur.
En d’autres termes, le
Tribunal fédéral indique que
l’ASLOCA pourrait donner
des ordres à son employéavocat, ordres qui seraient incompatibles avec une défense
indépendante du locataire.
Cette position est absurde; on
ne voit concrètement pas quel
cas pourrait se présenter dans
lequel les intérêts du locataire
ne seraient pas correctement
défendus par l’avocat qui l’a
précisément défendu, au sein
de l’ASLOCA, pendant toute
la procédure cantonale.
On n’oubliera pas que les
locataires avaient, devant la
procédure cantonale, expressément mandaté l’ASLOCA
pour les défendre. Cette décision est d’autant plus choquante que le Tribunal fédéral
a rendu cette décision sans
donner au préalable l’occasion de pouvoir s’exprimer sur ce sujet ni aux locataires concernés ni à l’avocat
concerné. En matière de droit
d’être entendu, on fait mieux.
Manifestement, le Tribunal
fédéral a confondu l’ASLOCA
Genève avec une assurance de
protection juridique, assurance qui aurait un intérêt à ce que
la procédure ne s’éternise pas.
Or, précisément, l’ASLOCA
Genève n’est pas une assurance de protection juridique: en
cas de défense par l’ASLOCA,
le locataire verse des honoraires (ATF 4A_38/2013).
Droit au logement • Septembre 2013 - n° 211 — 5