Position de the`se - Université Paris

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Position de the`se - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE V
CONCEPTS ET LANGAGES
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Musicologie
Présentée et soutenue par :
Eiko SHIONO
le 6 décembre 2014
Les traditions japonaises dans les œuvres
de deux compositeurs français du XXIe siècle :
Laurent Martin et Jean-Luc Hervé
Sous la direction de :
M. le Professeur Jean-Marc CHOUVEL – Université de Reims
Membres du jury :
M. Augustin BERQUE – EHESS
M. Marc BATTIER – Université de Paris IV
Mme Marie-Pierre LASSUS – Université de Lille III
M. Pierre MICHEL – Université de Strasbourg
M. Jean-Marc CHOUVEL – Université de Reims
POSITION DE THÈSE
Notre étude porte sur l’analyse des influences de la culture japonaise par l’un
regard japonais, dans deux œuvres musicales composées par des compositeurs français
contemporains, Poèmes japonais de Laurent Martin (1959-) et Effet lisière de Jean-Luc
Hervé (1960-).
Introduction
En 1968, l’écrivain japonais Yasunari Kawabata (1889-1972) a fait scandale
lors du discours de remise du prix Nobel en déclarant son chauvisme. Kenzaburô Ôe
(1935-), vingt-six ans plus tard, à la même occasion, s’excuse et insiste sur le côté
moderniste de la société japonaise. Deux écrivains japonais montrent ainsi la mentalité
antinomique des Japonais de nos jours.
Au début du
XX
e
siècle, les Japonais mènent une vie tout à fait occidentale et
les jeunes rejettent la tradition, qui va à l’encontre de leurs aspirations.
C’est au tour des Français d’être attirés par la tradition japonaise. Beaucoup de
compositeurs français introduisent des éléments de la tradition japonaise dans leurs
activités artistiques.
Le choix de deux compositeurs français
Nous avons choisi Poèmes japonais (2002) de Laurent Martin et Effet lisière
(2003) de Jean-Luc Hervé comme objets de notre étude. Pourquoi ces pièces ?
Ce sont deux compositeurs de même génération qui composent chacun une
pièce musicale en quarts de ton. Ils étaient tous les deux pensionnaires de Villa
Kujôyama à Kyôto. Mais, leurs centres intérêt pour le Japon sont différents, Il nous a
paru intéressant de comparer leurs intérêts et leur orientation musicale face à la culture
japonaise.
Ces deux compositeurs français ont mis en lumière des aspects spécifiques de
la tradition japonaise. Ils découvrent des qualités dans un partimoine maltraité par la
société japonaise actuelle. Après avoir éclaici ces points d’intérêt des deux compositeurs,
nous étudierons leurs compositions. Ensuite, nous nous efforcerons de trouver le reflet
de la tradition japonaise dans leur œuvre.
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La particularité de la mentalité japonaise
Pour approfondir ce travail, il nous faut effectuer une analyse précise de la
culture des deux pays, la France et le Japon. De ce point de vue, on peut constater que la
particularité de la mentalité japonaise est marquée par l’emprunt et l’assimilation de la
culture venant de pays étrangers.
La comparaison de l’attitude des Français et des japonais face à la notion
d’esthétique
1) La directionnalité
Les Japonais ont tendance à développer leurs idées en s’appuyant sur des
choses concrètes. À partir des pratiques des activités artistiques, ils développent leur
pensée. Les Français font l’inverse. Pour eux, il y a d’abord les idées, qu’ils appliquent
ensuite à l’activité artistique. Nous nous appuierons sur la formule de Roland Barthes
(1915-1980), « Centre-ville, centre vide » dans son ouvrage intitulé « L’Empire des
signes (1970) », pour mieux comprendre ctte divergence forte et ce qu’elle implique
dans la conception de l’espace.
2) Rationalisme chez les Français
L’un des grands philosophes japonais, Tetsurô Watsuji (1889-1960), a
développé ses idées sur la culture dans le monde dans son livre intitulé, Fûdo : le milieu
humain (1935). Ce livre est traduit en français par Augustin Berque.
Selon Tetsurô Watsuji, les idées chez les Français reposent sur la raison. On
voit ainsi le reflet du rationalisme dans leurs œuvres artistiques, qui sont souvent bien
proportionnées dans leur structure et favorisent la symétrie. Le jardin du château de
Versailles en est une parfaite illustration. Dans le domaine musical, le même phénomène
se produit. Ce « cartésianisme » demeure chez les compositeurs français jusqu’à
aujourd’hui. Tetsurô Watsuji appelle cette caractéristique « l’adéquation à la règle » des
œuvres d’art.
3) La beauté des incomplétudes chez les Japonais
Les Japonais ont une manière de penser très différente de cellle des Français.
L’esprit de « ne pas tout dire » est la vertu dans la société comme dans les œuvres d’art.
Pour créer un jardin, ils laissent les arbres à l’état sauvage. Dans la langue japonaise, on
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ne précise pas son intention. La suggestion est la vertu.
Surtout, on peut remarquer la beauté des incomplétudes, wabi (l’extrême
sobriété) et sabi (l’élégance de la simplicité), développée au Japon. Les maîtres de l’art
du thé sont le symbole du monde sophistiqué à l’époque Muromachi (1336-1573).
Poèmes japonais de Laurent Martin
Poèmes japonais est écrit pour deux guitares frettées en quarts de ton et pour
chant de femme en japonais. C’est une suite de pièces qui correspondent à un choix de
poèmes. Cette œuvre est constituée de plusieurs pièces. Les poèmes sont chantés en
japonais, et Junko Tahara, une satsuma biwaïste, assure la partie chant.
Junko Tahara est une musicienne venant de la musique traditionnelle japonaise.
Sa approche de la musique est donc différente de celles de musiciens français.
1) Littérature japonaise
La première préoccupation de Laurent Martin est la littérature japonaise. Il
s’intéresse à deux écrivains japonais de l’ère Taishô (1912-1926). Il a choisi un poème
de Junzaburô Nishiwaki (1894-1982) et trois poèmes et deux contes de Kenji Miyazawa
(1896-1993). Justement, ces deux écrivains n’expriment pas « tout » dans leurs écrits.
Dans « Deux histoires de farfadets », tirées des contes de Kenji Miyazawa, les épisodes
à la fois humoristiques et mystérieux sont racontés avec la musique.
2) La musique traditionnelle japonaise
La seconde préoccupation de Laurent Martin est la musique traditionnelle
japonaise. Il s’intéresse aux sons qui ne se trouvent pas dans les instruments
occidentaux, ainsi qu’à la technique de jeu qui permet des intervalles oscillants. Cette
technique crée un effet de quart de ton.
L’autre particularité de la musique traditionnelle japonaise est la présence de
genres musicaux. Historiquement, le genre de la musique traditionnelle japonaise est en
étroite liaison avec la société. Par exemple, le gagaku est un genre prévilégié parce qu’il
appartient à la musique des aristocrates. Ce carcan est encore présent au Japon. C’est
l’une des raisons de la difficulté de créer un nouveau style de musique adapté au monde
moderne et à même de permettre la collaboration avec les musiciens occidentaux.
3) Caractéristiques musicales de Poèmes japonais
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Dans Poèmes japonais, les poèmes et les contes sont parfois chantés, parfois
récités, accompagnés par les deux guitares. Celles-ci procurent une atmosphère
évoquant la musique de koto. Les quarts de ton sont traités harmoniquement. Nous
avons donc effectué l’analyse de la partition en nous appuyant sur les mouvements
harmoniques.
Le monde musical d’Effet lisière de Jean-Luc Hervé
4) Le paysage japonais
L’intérêt de Jean-Luc Hervé pour le Japon réside dans le paysage japonais. Il
relève trois points essentiels concernant la ville de Kyôto : l’étroite liaison avec
l’environnement naturel, le style de jardin shakkei et la notion de seuil dans la ville,
différente de celle de l’Occident.
5) La signification de la nature
L’acception du terme « nature » est décalée entre la France et le Japon. C’est de
toute évidence l’une des causes des différences entre la France et le Japon dans
l’agencement de la ville.
6) Le jardin japonais
Le style du jardin japonais varie selon les époques mais, dans l’ensemble, son
style est évidemment différent que celui du jardin « à la française ». Dans notre étude,
nous avons mis en lumière le style du jardin japonais dans l’ordre chronologique avec
les illustrations.
L’une des caractéristiques du jardin japonais est son étroite relation avec l’art
du thé. Car on a tendance à construire les maisons de thé dans le jardin. La maison de
thé est un lieu très important non seulement pour les hommes politiques, mais aussi
pour les artistes. C’est un lieu clos, isolé du monde. Le chemin pour y arriver est caché
parmi les arbres du jardin. À l’intérieur, les hommes politiques discutent en toute
confidentialité. Près de ces hommes politiques, les maîtres du thé organisent la
cérémonie du thé, en leur montrant toutes les élégances de conduite. Les maîtres du thé
sont également des constructeurs de jardin. Le grand maître du thé, Enshû Kobori
(1579-1647), est célèbre pour avoir construit le jardin de Katsurarikû.
7) le shakkei
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Le shakkei désigne le jardin associé au paysage. C’est l’un des concepts
typiques du jardin japonais. Dans le shakkei, on trouve trois plans : le premier plan, le
second plan et l’arrière-plan. Ce concept consiste à mettre en relief l’arrière-plan au
détriment du second plan. Généralement, l’arrière-plan est occupé par des montagnes.
Jean-Luc Hervé est attiré par ce concept. Le jardin d’Entsûji, l’un des jardins les plus
celèbres de shakkei à Kyôto, illustre particulièrement bien ce concept.
8) la question du seuil, dedans et dehors
La distinction entre l’intérieur et l’extérieur de la maison est très forte au Japon.
Mais, dans la maison, chaque pièce est peu séparée des autres. En revanche, la ville est
ouverte quasiment sans limites – cette notion de bordure est différente en France.
Historiquement, la ville est entourée de remparts. Mais, les Français accueillent les gens
facilement à l’intérieur de leur maison. La distinction entre l’intérieur et l’extérieur de la
maison est plus faible. La maison en France est plus ouverte sur le dehors.
9) Effet lisière
Influencé par ces notions, Jean-Luc Hervé a réalisé l’installation musicale Effet
lisière, écrite pour deux violons et électronique avec un dispositif vidéo. L’œuvre a été
créée à Hakusasonsô à Kyôto. C’est l’ancienne résidence avec jardin du peintre japonais
Kansetsu Hashimoto (1883-1945). Ce projet comporte deux phases : le parcours
musical dans le jardin et le concert à l’intérieur. Au cours de la première phase, les
auditeurs sont invités à flâner dans le jardin, où la musique électroacoustique est
installée à plusieurs endroits. L’écran vidéo est fait flotté sur la surface de l’étang du
jardin. La seconde phase a lieu à l’intérieur de l’atelier du peintre. C’est le concert
ordinaire.
« Lisière » signifie pour Jean-Luc Hervé le seuil en termes biologiques. Dans
la lisière, il y a plusieurs espèces de végétaux ou d’animaux qui se mélangent. Inspiré
par l’agencement de la ville de Kyôto, Jean-Luc Hervé applique cette notion de seuil à
sa musique.
La musique de la seconde phase peut se diviser en deux parties. Elle est
caractérisée d’abord par le motif du chant de l’uguisu, un oiseau typique du Japon, puis
ce motif se développe et se transforme pour aller jusqu’à la gamme ultrachromatique.
Les trois instruments, les deux violons et l’électronique rejoignent l’idée des trois plans
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du jardin, shakkei.
Conclusion
Laurent Martin et Jean-Luc Hervé sont ainsi fascinés par la tradition japonaise
et ils ont bien mis ces essences japonaises dans leur musique. Laurent Martin a ouvert
une nouvelle voie musicale, en utilisant une chanteuse japonaise. Jean-Luc Hervé est
quant à lui influencé par le jardin japonais shakkei et il a concrétisé son intérêt pour le
Japon dans son projet d’installation musicale. Pourtant les éléments musicaux des deux
compositeurs restent principalement français. La musique reste construite logiquement,
calculée rationnellement, porte la marque de la culture français. De ce point de vue, ils
ne perdent pas leur identité malgé leur affection pour la tradition japonaise.
Les musiciens japonaises de la même génération ont tendance à procéder dans
l’ordre inverse. Ils fondent d’abord leur pensée à partir de la culture occidentale. Ensuite,
ils reviennent à la culture japonaise. Désormais, les Japonais doivent retourner à leur
point de départ. D’abord, il leur faut réfléchir sur leurs origines, même si la base de leur
culture est fondée sur des éléments empruntés à d’autres pays. Il leur faut trouver leurs
propres identités sans mépris, mais aussi sans narcissisme. Il leur faut consolider leur
conscience de soi. Ensuite, chacun pourra établir sa propre culture à partir de cette base.
Si les Japonais continuent de se tromper dans l’ordre du processus, ils éprouveront
toujours un sentiment d’infériorité vis-à-vis de la culture occidentale. Car le
chauvinisme qu’on trouve chez certains, écrivains ou artistes, n’est que la réaction de ce
sentiment face à la culture occidentale.
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