Les conditions légales de l`archivage électronique en Suisse

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Les conditions légales de l`archivage électronique en Suisse
A
11.2014
Les conditions légales de l’archivage
électronique en Suisse
comptes du 24 avril 2002 (Olico). Selon l’Olico, il existe
trois manières de conserver les documents comptables:
(i) sur papier, (ii) électroniquement ou (iii) par un moyen
comparable (à la conservation électronique).
Sous réserve du rapport de gestion 1 et du rapport de
révision – qui doivent être conservés en format papier,
les autres documents peuvent être conservés sous forme
électronique: cela comprend, entre autres, les contrats,
les commandes, les factures, la correspondance papier
et électronique (art. 958f CO).
Alexandre de Boccard
Fabien Gillioz
Associé, LL.M.
Associé, LL.M.
1. Introduction
La conservation et l’archivage de documents électroniques n’ont jamais été autant d’actualité et utilisés
qu’à ce jour, ce notamment pour des raisons de rationalisation de coûts, d’espace et de temps. Plusieurs
questions se posent en pratique au niveau du cadre légal.
La présente contribution a pour objectif de présenter
les principales exigences légales suisses en matière
d’archivage électronique. Elle ne se veut en aucun
cas exhaustive.
2. Une société a-t-elle le droit d’archiver
ses documents sous forme électronique?
De manière générale, une société établie en Suisse a le
droit de conserver et d’archiver ses documents sociaux
sous format électronique, pour autant qu’elle respecte
les conditions légales prévues dans différents textes de
loi applicables en fonction du type de données concernées. Il n’existe en effet pas de loi cadre traitant de la
conservation et de l’archivage électroniques.
Les principes de base sont consacrés dans différentes
lois spéciales, par exemple en matière de comptabilité
et de données du personnel. Domaines qui seront
principalement abordés dans la présente contribution.
2.1 En matière comptable
Les principes généraux de conservation et d’archivage
figurent dans le Code des obligations et l’Ordonnance
concernant la tenue et la conservation des livres de
L’une des conditions est que le lien avec les transactions
et les autres faits sur lesquels portent ces documents doit
être garanti et que leur lecture reste possible en toutes
circonstances (art. 957f CO). Une deuxième condition
est le respect du principe de la régularité qui instaure
un devoir général de diligence (art. 957 al. 3 CO et art.
2 al.2 Olico). En vertu de ce principe, les livres et les
pièces comptables doivent être conservés avec soin et
ordre ainsi que tenus à l’abri des effets dommageables.
Les livres et les pièces comptables doivent en outre
pouvoir être vérifiés et consultés dans un délai raisonnable. Troisièmement, le respect du principe de l’intégrité (art.3 Olico): la conservation électronique doit
garantir que les documents ne puissent être modifiés
sans que la modification soit apparente.
Par ailleurs, lorsque que l’on souhaite archiver électro­
niquement des documents comptables, il convient
de signaler ou séparer les informations actuelles (faisant
l’objet d’une conservation électronique) et les informations archivées (faisant l’objet d’un archivage
électronique), de telle sorte que la distinction entre
ces deux types de documents soit possible (art.7 Olico).
En matière de supports d’information, l’Olico distingue
deux types de supports: les non-modifiables (par
exemple les supports papier) et les modifiables (par
exemple les supports électroniques). Un support
d'information est considéré comme modifiable dès
qu’il est possible de modifier voire de supprimer son
contenu sans qu’une telle information puisse être
prouvée.
Les supports modifiables nécessitent une protection
accrue, comme par exemple la présence d’une signature numérique et d’un système d’horodatage prouvant
le moment d’enregistrement des données en question
sans falsification. Ces exigences concrétisent le principe
d’intégrité mentionné précédemment.
1 Comprend le bilan, le compte de résultat et les annexes.
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Les documents pouvant être conservés
sous forme électronique (liste non-exhaustive)
Les documents devant obligatoirement
être conservés sur papier et signés
a. Livre de compte
a. Rapport de gestion
–L ivre principal incluant
le journal et les comptes
b. Pièces comptables
– Notes internes
–Factures
–Bilan
– Compte de résultat
–Annexes
b. Rapport de révision
c. Correspondances
–Courriers
–Courriels
d. Autres
– Contrats
– Commandes
Une migration vers un autre support est possible
(art. 10 Olico), à condition que les informations restent
complètes et exactes et que la disponibilité et la
lisibilité continuent de satisfaire les exigences légales.
La migration doit également faire l’objet d’un procèsverbal.
2.2 En matière de données du personnel
La Loi fédérale sur la protection des données du 19
juin 1992 (LPD), son ordonnance d’application (OLPD)
ainsi que le Guide du Préposé fédéral à la protection
des données et à la transparence2 s’appliquent aux
données personnelles concernant un employé.
Plusieurs questions se posent en pratique. Une société a-t-elle le droit de conserver électroniquement les
contrats de travail de ses employés? A-t-elle le droit
d’archiver les courriels des employés?
En matière de rapports de travail, l’article 13 al.1 LPD
autorise le traitement de données personnelles s’il est
justifié par un intérêt prépondérant public ou privé ou
encore si la personne concernée donne son consentement. Le Préposé fédéral à la protection des données
et à la transparence reconnaît qu’il existe un intérêt
prépondérant pour l’employeur qui traite les données
pertinentes au travail de son personnel dans les limites
imposées par l’article 328 b CO, à savoir uniquement
dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes
du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à
l’exécution du contrat de travail.
Il n’existe pas de règles spéciales dans la LPD qui
traitent de la conservation et de l’archivage électroniques. Il faut donc se référer aux règles générales.
Avant d’examiner les conditions de traitement de
données sous l’angle de la LPD, il est nécessaire
de définir deux notions importantes à la LPD, la
notion de « données personnelles » et la notion de
« traitement ».
A teneur de l’article 3 lit. a LPD, les « données personnelles » sont toutes les informations se rapportant à
une personne identifiée ou identifiable. Cette notion
est par conséquent très large.
L’article 7 al. 1 LPD impose une sécurité particulière
en matière de traitement de données personnelles.
Le maître des données doit protéger les données
en question contre tout traitement non autorisé par des
mesures organisationnelles et techniques appropriées.
Les exigences minimales de sécurité
sont édictées par le Conseil fédéral (art. 7 al. 2 LPD).
L’article 8 de l’OLPD nous donne un peu plus de détail
sur les exigences de sécurité. Cette disposition impose
au maître des données d’assurer la confidentialité,
l’intégrité et la disponibilité des données traitées.
Les principaux risques sont la perte accidentelle,
la falsification, le vol ou encore les erreurs techniques
(art. 8 OLPD).
L’article 9 OLPD quant à lui instaure des mesures particulières à prendre lorsque l’on traite des données personnelles. Il est notamment nécessaire de procéder
à des contrôles de sécurité ou de bon fonctionnement
du système.
Pendant la durée de travail de l’employé, un dossier
personnel peut être établi par l’employeur. Ce dossier
ne doit contenir que les données essentielles à l’exécution du contrat de travail. Les dossiers « gris » concernant des informations confidentielles sur l’employé sont
interdits. Selon le guide du Préposé fédéral à la protection des données, ces dossiers du personnel contiennent
généralement les coordonnées de l’employé, ses
références, son contrat de travail, les mesures disciplinaires prises à son encontre, les données relatives à son
salaire et à ses assurances, ses arrêts de travail et ses
vacances. Il est recommandé de faire le tri régulièrement
dans les dossiers du personnel afin d’en retirer les
documents inutiles (généralement tous les deux ans).
2 Guide pour le traitement des données personnelles dans le secteur du travail du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence,
état au mois de mai 2011.
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Ces dossiers ne doivent être traités que par le service
du personnel, de même qu’ils ne doivent être consultés
que par les services fondés à les utiliser selon les
fonctions qu’ils exercent.
L’archivage de courriels des employés est considéré
comme un traitement de données. Il est ainsi possible
pour un employeur d’archiver la correspondance électronique de ses employés, à condition de respecter la
LPD. Le traitement de courriel de l’employé doit également respecter les dispositions relatives au droit du
travail. A titre d’exemple, l’employeur ne peut pas
utiliser les courriels afin de surveiller le comportement
de son employé.
Enfin, on notera que la LPD offre un droit d’accès à
l’employé qui souhaite consulter son dossier personnel
(art. 8 al. LPD). L’employeur ne peut qu’exceptionnellement refuser ce droit (art. 9 al.4 LPD). L’employé n’a,
à l’inverse, aucun droit à consulter les notes personnelles
de son employeur le concernant.
En résumé, il est possible de conserver électroniquement
les données du personnel pour autant que les conditions
générales de la LPD, résumées ci-dessus, soient
respectées.
3. Combien de temps doit-on conserver les
documents ?
3.1 En matière comptable
La durée de conservation est de 10 ans dès la fin de
l’exercice annuel (art. 958 f CO), sous réserve de règles
spéciales. En matière fiscale par exemple, les documents
commerciaux nécessaires en matière de dégrèvement
de l’impôt sur les biens immobiliers doivent être conservés pendant 20 ans (art. 70 al.1 LTVA).
3.2 En matière de données du personnel
Les données du personnel doivent être conservées
pendant la durée des rapports de travail.
Selon les directives du Préposé fédéral à la protection
des données et à la transparence, lorsque l’engagement
de la personne concernée a pris fin, seules des données
indispensables peuvent être conservées et donc archivées électroniquement. Tel sera le cas des données
que l’employeur doit conserver en vertu d’une obligation
légale mais aussi les données dont la conservation est
dans l’intérêt de l’employé (par exemple, les documents
nécessaires à l’établissement d’un certificat). Les données dont l’employeur a besoin lorsqu’il existe un litige
en cours peuvent également être conservées. La durée
de conservation est normalement fixée à 5 ans mais cela
peut également être 10 ans si la loi le prescrit. Lorsque
leur conservation n’est plus requise, les données doivent
être détruites3.
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4. Doit-on conserver les originaux une fois les
documents numérisés ?
Lorsque les bases légales sur la conservation de données sont rigoureusement observées, les originaux n’ont
plus besoin d’être conservés en format papier, à l’exception toutefois de certains documents comptables comme
nous l’avons expliqué ci-dessus, qui doivent obligatoirement exister en version papier (art. 958f CO).
Une manière de réduire le risque de responsabilité d’une
société en matière de conservation est de consulter une
société spécialisée en matière d’archivage électronique
afin de vérifier la fiabilité du système informatique utilisé.
5. Quelle est la force probante d’un document
archivé numériquement ?
Tant en matière comptable qu’en matière de données
personnelles, il est important que les prescriptions
légales en matière de conservation soient observées
si l’on entend utiliser un document archivé électroniquement comme moyen de preuve.
Dans le Code de procédure civile, les moyens de
preuves sont traités à l’article 168 CPC, qu’il faut mettre
en relation avec les articles 177 et 178 du CPC.
L’article 168 CPC énonce de manière exhaustive les
moyens de preuve admis en procédure civile, tels que
les titres. Les titres sont : « des documents, tels les écrits,
les dessins, les plans, les photographies, les films, les
enregistrements sonores, les fichiers électroniques et
les données analogues propres à prouver des faits pertinents » (art. 177 CPC).
Selon l’article 178 CPC, la partie qui invoque un titre doit
en prouver l’authenticité si la partie adverse la conteste
sur la base de motifs suffisants. Un document archivé
électroniquement peut, par conséquent, très bien être
utilisé comme moyen de preuve. Selon la doctrine, il faut
toutefois noter que sa force probante sera beaucoup
plus grande si les bases légales quant à sa conservation
ont été rigoureusement observées4.
En résumé, il convient d’avoir un système informatique
performant permettant facilement de démontrer que
la conservation et l’archivage ont été effectués conformément aux exigences légales applicables.
3 Guide pratique pour le traitement des données personnelles dans
le secteur du travail, état au mois de mai 2011, p.14.
4 Lukas Fässler, « Clic informatique »: gérer et archiver électroniquement
les informations du mandat, Revue de l’avocat 2013, p.239.
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6. Responsabilité 7. Conclusion
6.1 En matière comptable
Au vu de ce qui précède, la conservation et l’archivage électroniques sont des processus de conservation
autorisés, que cela soit pour des documents comptables
(sous réserve de certains documents tels que le rapport
de gestion et de révision) ou pour des données relatives
au personnel de son entreprise (données personnelles),
pour autant que le système informatique utilisé permette
de démontrer que les conditions légales de conservation
soient respectées. Il conviendra également de contrôler
régulièrement si le système de conservation et
d’archivage est toujours compatible avec la législation
en vigueur.
En matière de comptabilité, il existe une responsabilité
civile ainsi qu’une responsabilité pénale. Par exemple,
une action en dommage et intérêts est possible lorsque
les données concernées sont endommagées ou modifiées. Le Code pénal réprime en outre celui qui viole
l’obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP)
et celui qui n’observe pas les prescriptions légales sur
la comptabilité (art. 325 CP).
6.2 En matière de données du personnel
La responsabilité incombe au maître du fichier, soit
la personne qui décide du but et du contenu du fichier.
Celui-ci doit donc veiller à ce que les dispositions de
la LPD soient respectées. Cette responsabilité existe
quand bien même le maître du fichier confie le traitement de données à des tiers (art. 10a al.1 let.a LPD).
Il existe plusieurs actions ou mesures possibles en cas
d’atteinte à la personnalité. Selon l’article 15 LPD,
la personne atteinte peut demander la rectification,
la destruction ou encore la non communication à des
tiers. Selon les cas, elle peut également intenter une
action en dommages et intérêts.
Selon l’article 29 al. 1 let.a LPD, lorsqu’un mode de
traitement de données est susceptible de porter atteinte
à un grand nombre de personnes, le Préposé fédéral
peut agir seul ou à la demande d’un tiers.
De notre point de vue, la conservation et l’archivage
électroniques sont des solutions inéluctables et précieuses pour les entreprises de toute taille, qui, d’une
part, sont régulièrement à la recherche d’espace pour
entreposer leurs archives et qui, d’autre part, ont
tendance à négliger le risque de dégradation et de
perte lié à la conservation sous format papier.
Le contenu de ce document ne peut pas être assimilé
à un conseil juridique. Si vous souhaitez obtenir des
informations complémentaires sur le sujet, l’Etude
Ochsner & Associés répondra volontiers à vos questions.
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Enfin, il est possible d’engager des poursuites pénales
pour violation du devoir de discrétion sur la base de
l’article 35 LPD.
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