Des métiers au village Le maréchal-ferrant

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Des métiers au village Le maréchal-ferrant
Des métiers au village
Le maréchal-ferrant
Isabelle BERNARD-LESCEUX
Coordinatrice responsable
de l'asbl d'Millen à Beckerich (GDL)
Maréchal-ferrant vers 1900. Plaque de verre, Musée en Piconrue.
Souvent, sur la façade de son atelier, le maréchal-ferrant avait apposé son chef
d'oeuvre, le « Bouquet de Saint Eloi » qui était un ouvrage forgé composé de
tous les fers qu'il savait fabriquer, et confectionné à la fin de sa période d'apprentissage.
Le maréchal-ferrant ne se contentait pas de taper sur le fer. Homme à tout faire
pourvu que ce soit en métal, il réparait et fabriquait les outils des fermiers, aidait
les charrons à ferrer leurs équipages et, au besoin, se faisait serrurier. De la
famille mythique des forgerons, il jouait avec le feu qu'il savait maîtriser,
usée en
MPiconrue
Au village, l'atelier du maréchal-ferrant a toujours été le lieu de rencontres par
excellence. Il attirait les voyageurs et les villageois aimaient s'y retrouver pour
échanger les dernières nouvelles. Tout au long de la journée, c'est de son atelier
que provenaient les bruits sourds et lourds, retentissants et réguliers. Il se dégageait toujours sur les lieux une odeur caractéristique de corne brûlée.
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Devant la forge se dressait le travail à ferrer : tout un arsenal de poutres et de
treuils, de sangles et d'entraves qui permettaient de maintenir la bête à ferrer. C'était aussi et surtout le lieu indispensable où l'on remplaçait les fers des
bêtes usés à force de voyages. Le maréchal ferrait les chevaux, les ânes, les mulets
et les boeufs, entre autres, pendant la guerre quand ils remplaçaient les chevaux
réquisitionnés par l'armée.
­ otamment lors des phases complexes du ferrage. Il parlait aussi à l'oreille des
n
chevaux et jouait un rôle important auprès des animaux car il soignait au besoin
d'éventuels abcès ou blessures. Il était « l'expert en bêtes ».
Aujourd'hui, le maréchal-ferrant possède toujours toutes ces qualités. Il travaille
souvent en accord avec le vétérinaire pour confectionner des ferrures orthopédiques ou thérapeutiques. Il a gardé cette grande maîtrise de soi qui le caractérisait pour approcher l'animal et souvent le calmer, afin d'éviter de le sangler et
de le contraindre par la force à subir le ferrage.
Le travail du maréchal était pénible, il travaillait toujours courbé, et dangereux
car il n'était pas rare de voir un cheval nerveux ruer.
Un peu d’histoire
Le maréchal-ferrant a toujours été entouré d'une aura magique, et cela, pour
plusieurs raisons. La première est qu'il maîtrisait le feu et qu'il travaillait la
matière la plus recherchée et la plus meurtrière – celle qui servait à fabriquer des
armes – mais aussi la plus indispensable à la vie – celle qui permettait de faire
des outils. Il était le seul qui ferrait les chevaux, or le cheval faisait partie intégrante de la vie rurale. Il était le rouage essentiel des labours et des transports.
usée en
MPiconrue
Sans ferrage, il n'aurait jamais eu autant d'utilité que celle qu'il a eue durant plus
d'un millénaire dans l'agriculture. Les Grecs et les Romains ne connaissaient pas
la ferrure ce qui fut un gos handicap pour leur cavalerie.
Sous l'Ancien Régime, voilà comment on définissait le métier de maréchal-ferrant : « Le parfait maréchal enseigne à connaître la beauté, la bonté et les défauts
des chevaux, les causes et les signes de maladie, les moyens de les prévenir, le bon
et le mauvais usage de la purgation et de la saignée, la ferrure sur les dessins des
fers qui rétabliront les méchants pieds et conserveront les bons ». Ce qui rejoint l'étymologie du mot « maréchal », une adaptation du francique Mahrskalk, littéralement « le domestique qui soigne les chevaux ».
Le mot maréchal a ensuite pris deux sens différents : celui désignant l'artisan
chargé de ferrer les chevaux, et celui désignant l'officier préposé aux soins des
chevaux. Le mot maréchal-ferrant a été créé par la suite pour distinguer ces
deux métiers.
orthopédiste du cheval, il est l'ancêtre du vétérinaire. On le sollicitait
58 Véritable
non seulement pour la partie cornée des pieds mais aussi pour la dentition, la
castration, la saignée ou certaines affections des chevaux, des ânes et des vaches.
Chaque maréchal détenait un certain nombre de recettes voire de secrets bien à
lui qui lui permettaient de soigner les animaux mais, parfois aussi, les hommes.
Parfois, on leur amenait des nourrissons qui souffraient de convulsions. On les
plaçait nus sur l'enclume sur laquelle le maréchal martelait violemment puis il
faisait mine de frapper l'enfant. Les vibrations de l'enclume, la contraction et la
décontraction des nerfs du petit malade provoquaient souvent la guérison espérée.
Tributaire du monde paysan, le maréchal en subit l'évolution : diminution des
exploitations agricoles, mécanisation puis disparition du cheval de labour, les
forges se sont éteintes les unes après les autres mais les souvenirs sont restés bien
vivaces dans de nombreuses mémoires. Heureusement, la pratique croissante de
l'équitation a donné aujourd'hui un nouvel élan au métier. Et le fer à cheval est
toujours un porte-bonheur de nos jours !
La technique
La raison d'un fer est de protéger le sabot mais surtout de décupler la force
motrice du cheval en lui permettant une meilleure adhérence au sol sur lequel
il évolue. Pour que les chevaux puissent travailler et se rendre sur la route, il était
donc nécessaire de les ferrer.
Le jour de la visite chez le maréchal, le cheval était toujours un peu nerveux, La
première chose que devait faire le maréchal était de le rassurer.
Pour les bêtes les plus récalcitrantes, on les faisait entrer dans un genre de chevalet ou « travail », d'abord construit en bois puis en fer. En tendant la sangle en
dessous du ventre du cheval, on le soulageait de son propre poids. Il était alors
plus facile de lui prendre les pieds et de les accrocher au chevalet pour travailler
aisément. Chaque pied pouvait alors être immobilisé avec des lanières ellesmêmes fixées sur les montants de la cage.
Après avoir débroché le fer usagé et arraché les clous usés grâce à la mailloche
et au brochoir, il fallait ensuite tailler la corne du sabot à l'aide d'un « rognepied », outil plat et tranchant, ou d'un boutoir pour préparer la pose du nouveau
fer. Cela s'appelle « parer » le sabot, c'est à dire ôter l'excédent de corne du sabot.
Le maréchal utilisait toujours un brochoir fait pour sa main, tout l'art consistant à enfoncer les clous dans le sabot du
cheval sans le blesser. Huit clous de six à
sept centimètres chacun à enfoncer dans chaque fer. Pendant ce temps, le maréchal parle au cheval, le flatte, le rassure.
Les pointes qui dépassaient étaient coupées avec les tricoises. La partie restante
était repliée au brochoir dans la corne pour qu'elle ne dépasse pas. Un coup de
lime terminait le travail. La main ne devait rien sentir quand elle caressait le
sabot.
Le fer devait toujours dépasser un peu vers l'extérieur, pour une meilleure assise
du cheval. Par contre, à l'intérieur, il était dans le parfait prolongement du sabot
car il ne fallait pas que le cheval se blesse en marchant.
usée en
MPiconrue
Bouquet de Saint Eloi. Chef d'œuvre
réalisé par le maréchal-ferrant pour
devenir Compagnon.
Enseigne de maréchal-ferrant à Berdorf
(GDL). Photo d'Edmond Dauchot
(détail), 10 juin 1955.
Voir aussi le 4e de couverture.
Le nouveau fer était chauffé dans la
forge grâce à des tricoises, sortes de
pinces coupantes permettant la manipulation du fer rougi. Lorsqu'il virait au
rouge sombre, le maréchal le posait sur le
sabot, l'ajustait puis passait au brochage
en utilisant de nouveau le brochoir et la
mailloche. Il fallait ensuite « étamper »
c'est à dire percer un trou dans le fer
pour permettre le passage du clou. Les
étampures ou trous des fers sont réalisés
à l'aide de la pointe de section. Lorsque le
maréchal-ferrant jugeait que le fer était
ajusté, il le trempait dans l'eau froide
avant de le clouer ou de le brocher (c'est
à dire d'enfoncer le clou) au pied du
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­cheval avec des clous à tête carrée.
Le coupe-queue lui permetait de couper la queue du cheval par souci d'esthétisme mais aussi d'efficacité car l'animal attelé aux limons pouvait, avec sa
queue, bloquer les rênes servant à le diriger.
usée en
MPiconrue
Quand le cheval était trop nerveux, un serre-nez ou tord-nez, long bâton terminé par une boucle de corde passée sur son naseau, permettait de le maîtriser
en tirant dessus. L'abaisse-langue le contraignait à garder la bouche ouverte
pour les soins dentaires.
Maréchal-ferrant à Beckerich durant les années 30.
Photo de la Commission culturelle de Beckerich.
Le ferrage d'un cheval demandait entre une heure et une heure et demie de
travail pour peu que le maréchal doive changer les quatre fers en même temps.
Une ferrure tenait entre un et trois mois. Tout dépendait des travaux faits par le
60 cheval. Le maréchal avait donc un rythme de travail régulier. L'hiver, il fallait
cependant ferrer les chevaux plus souvent car ils parcouraient de longues distances pour aller chercher le bois au fond des forêts.
Quand un cheval ou un âne avait un défaut au pied, le maréchal-ferrant essayait
de le compenser en confectionnant un fer orthopédique adapté.
Par temps froid ou quand il neigeait, laitiers et médecins, obligés de se dépacer
coûte que coûte malgré les intempéries, demandaient au maréchal de mettre des
crampons à glace sur les fers de leurs chevaux.
Le maréchal jouait aussi les dentistes. Avec un pas d'âne, il maintenait la bouche
de l'animal ouverte, pour lui arracher une dent. Il lui arrivait aussi de limer les
dents qui avaient une fâcheuse tendance à pousser trop vite.
La forge
Au milieu de l'atelier du maréchal trône l'enclume. Carrée d'un bout, pointue de
l'autre, elle est entourée d'outils. Au fond se dressent l'immense soufflet et la
hotte, au-dessus du brasero. Dans un baquet d'eau
trempe la panouille qui servira à humecter les charbons autour du feu. Sur l'établi, à côté d'un gros
étau, voisinent pinces, limes, marteaux, scies et
burins, confectionnés par le maréchal lui-même.
Sur les murs s'alignent des fers préparés d'avance.
Le métier de maréchal était très prenant car il se
chargeait aussi de la réfection des outils agricoles et
domestiques.
Dans un atelier de maréchal-ferrant, rien ne disparaissait : tout morceau de fer était récupéré et recyclé. Les fers neufs étaient forgés en reprenant les
anciens. C'était bien souvent les apprentis qui Timbre publié par les P&T
avaient la charge de faire des « lopins », sortes de en 2012. L'illustrateur est
masses formées de plusieurs morceaux de fer réu- Jacques Doppée (B).
nis, en les chauffant. Après avoir chauffé à blanc les vieux fers, ils les soudaient
ensemble (ils les « corroyaient ») en les frappant avec un marteau de forgeron.
Des lopins ainsi obtenus, le maréchal tirait de nouveaux fers. Parfois, néanmoins, ils fabriquaient des fers avec du fer neuf en barre. Ce « fer du maréchal »
est plus malléable que le fer ordinaire. Tourné à chaud, il ne cassera pas.
Les clous à cheval étaient faits à la main par les cloutiers, d'autres artisans
spécialisés.
Les outils du maréchal-ferrant
Le marteau à ferrer ou brochoir appelé
aussi mailloche servait à poser le fer sur
le sabot du cheval mais aussi à enlever
les clous avec son côté « arrache-clous ».
Coupe-queues, sortes de grands ciseaux aux
lames spécialement étudiées pour couper le crin
en une seule fois.
Les tricoises sont des pinces coupantes
ou tenailles dont se servait le maréchal
pour enlever les anciens clous et pour
couper les nouveaux clous au ras du
sabot.
L'enclume, élément clé de l'équipement du
maréchal-ferrant, était toujours personnel à l'artisan qui l'utilisait.
Les tenailles, de formes et de tailles adaptées à la
diversité des besoins du maréchal, elles sont
indispensables pour ne pas se brûler.
Le coupe-queue et brûle-queue : pour des raisons
d'hygiène, la queue des chevaux était parfois
coupée par le maréchal-ferrant avec un « coupequeue » puis cautérisée avec un brûle-queue.
Tenaille ayant appartenu au
dernier maréchal-ferrant de
Beckerich, aujourd'hui conservée au Moulin de Beckerich.
Photo I. Bernard.
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usée en
MPiconrue
La lime à gros grains est utilisée pour
arrondir le bord inférieur du sabot et
mieux l'adapter au fer.
Les boutoirs : des ciseaux tranchants pour tailler la corne du pied.
Le rogne-pied : réalisé souvent dans un morceau de sabre, réputé pour sa solidité, il permettait de préparer le sabot en le rognant avant la pose du fer.
Et l'indispensable tablier de cuir !
Le saint patron
C'est saint Eloi, comme pour les forgerons car il est le saint patron de tous les
ouvriers qui utilisent un marteau.
La légende raconte qu'Eloi, maréchal-ferrant de renom, avait inscrit sur sa porte
la devise suivante : « Maître sur Maître et Maître sur tous ». Pour le punir de son
orgueil, Jésus se présenta à son atelier en
se faisant passer pour un compagnon
forgeron. Mal accueilli, finalement
embauché, il fut mis au défi de ferrer un
cheval peu commode. Jésus alla à l'animal, lui coupa un pied, mit le pied à
l'étau, cloua un fer neuf dessus puis
remit miraculeusement le pied en place.
Ebahi, Eloi tenta de l'imiter mais ne parvint qu'à estropier l'animal. Réalisant
soudain qui était en face de lui, Eloi se
repentit et retira l'enseigne de sa porte.
Saint Eloi est fêté le 1er décembre.
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MPiconrue
Le fer à cheval
Le fer à cheval est toujours aujourd'hui
l'un des porte-bonheur les plus populaires.
Dès l'Antiquité grecque et romaine, il est
considéré comme porteur de chance car
il est fabriqué en fer, métal réputé pour
repousser les mauvaise esprits. De plus,
sa forme en croissant de lune, en fait un
62 symbole de fertilité et de chance.
Pour les chrétiens, le fer à cheval se rapproche par sa forme de la lettre C qui
symbolise le Christ.
Avec les symboles de prospérité et de chance, le
fer à cheval augure le bonheur pour la nouvelle
année. Carte postale, début xxe siècle, en couleurs et relief. Musée en Piconrue.
C'est pour se protéger des tempêtes que les Ecossais l'accrochent au mât de leur
bateau. Pour les Anglais, il protège de la violence, de l'adultère et même du
­braconnage.
Un fer à cheval, trouvé par hasard, passe pour être plus bénéfique, surtout si
c'est dans un chemin creux, et que, de surcroît, ses deux extrémités sont dirigées
vers l'heureux destinataire et les clous tournés vers le sol !
Prochain article : lavandière, un travail réservé aux femmes des villages
d'autrefois...

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