La Cagoule, une société secrète en de sombres

Transcription

La Cagoule, une société secrète en de sombres
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La Cagoule,
une société secrète en de
sombres temps
par Memento Mouloud
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Figure 1 Jean Filliol p. 5
Figure 2 Écrire l’Histoire p. 6-7
Figure 3 La Terreur selon saint Blanchot p. 8-9
Figure 4 Les grands cimetières sous la lune p. 10-14
Figure 5 Du Sphinx et de Monsieur Sarrault, président du conseil p. 15
Figure 6 Corps à corps p. 16
Figure 7 CSAR p. 17
Figure 8 La Police des ombres p. 18
Figure 9 Le klan, le klan, la cagoule p. 19-20
Figure 10 Et Artaud vint p. 21-22
Figure 11 Désert p. 23
Figure 12 Portulan p. 24
Figure 13 13 février 1936 : attentat contre Léon Blum p. 25-26
Figure 14 Männerbünde p. 27-28
Figure 15 Archives spectrales p. 29
Figure 16 Le juge Béteille p. 30
Figure 17 Clio p. 31-32
Figure 18 Camelots du Roi p. 33
Figure 19 Acéphale p. 34-37
Figure 20 PNRS p. 38
Figure 21 Rue Caumartin p. 39
Figure 22 Bandera Jeanne d’Arc p. 40
Figure 23 Mystère du nom p. 41
Figure 24 Listes et codes p. 42
Figure 25 Pozzo p. 43-44
Figure 26 L’Organisation p. 45
Figure 27 French Cancan p. 46
Figure 28 Boulevard Picpus p. 47
Figure 29 Putsch manqué p. 48-49
Figure 30 L’homme qui voulait éteindre le rire des juifs p. 50-51
Figure 31 Au pays du grand mensonge p. 52-58
Figure 32 Directives aux abonnés p. 59
Figure 33 Opérations « homo » p. 60-66
Figure 34 Coup d’Etat constitutionnel p. 67
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Figure 35 Les chevaliers du glaive p. 68
Figure 36 L’Ange Gabriel p. 69
Figure 37 Croisade p. 70-71
Figure 38 16 novembre 1937 : perquisitions p. 72
Figure 39 Roman national p. 73-74
Figure 40 La tentation bactériologique p. 75
Figure 41 Le professeur Alibert p. 76
Figure 42 l’AF contre Fantomas p. 77
Figure 43 La quête p. 78
Figure 44 La Croix et le Croissant p. 79-82
Figure 45 Le détour espagnol p. 83
Figure 46 Hommage à la Catalogne p. 84-90
Figure 47 Les destinées sentimentales p. 91-93
Figure 48 Une idée fausse de l’Homme p. 94-95
Figure 49 Le tueur et la poire à lavement p. 96-97
Figure 50 Alice p. 98
Figure 51 Le fils du sergent p. 99-100
Figure 52 Le beau Fifi p. 101-102
Figure 53 Los encapuchados p. 103
Figure 54 Rapport Chavin p. 104
Figure 55 Laetitia/Yolande p. 105-106
Figure 56 Dagorre p. 107-108
Figure 57 Le style cagoulard p. 109-110
Figure 58 Contacts transalpins p. 111
Figure 59 Dépression p. 112-113
Figure 60 Trafiquant d’armes p. 114
Figure 61 La fin du magistère maurrassien p. 115-116
Figure 62 Le quart d’heure de gloire du PPF p. 117
Figure 63 Le prétendant p. 118
Figure 64 La disparition p.119
Figure 65 Satellites p. 120
Figure 66 La belle Hélène p. 121
Figure 67 Les Mitford p. 122-123
Figure 68 Le juif Süss p. 124-127
Figure 69 Jouissances de l’exode p. 128-130
Figure 70 Marie-Louise, avorteuse p. 131-134
Figure 71 Les parents terribles p. 135
Figure 72 L’attentat contre le président Laval p. 136-139
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Figure 73 Synarchie p. 140-141
Figure 74 L’année Darlan p. 142-148
Figure 75 Aryanisation p. 149-150
Figure 76 Martine Carol p. 151
Figure 77 Barbarossa p. 152-156
Figure 78 Le silence de la mer p. 157-161
Figure 79 Le Duce comme modèle p. 162-166
Figure 80 Saint-Paul d’Eyjeaux p. 167
Figure 81 Area Bombing p. 168-170
Figure 82 L’ère du soupçon p. 171-174
Figure 83 La filière l’Oréal p. 175
Figure 84 Khaliastra p. 176-180
Figure 85 Los adolfins p. 181
Figure 86 La Ferdine p. 182-184
Figure 87 Necessary Evil p. 185-186
Figure 88 Arriba España p. 187
Figure 89 La mort comme imminence p. 188-190
Figure 90 La Kabbale et le mal radical p. 191-192
Épilogue gnostique p. 193-194
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Ce serait aussi l’histoire de Jean Filliol, tueur du CSAR. De cet homme qui ne tient que la
place infra-paginale des références dans les livres d’Histoire, on fit un tueur méthodique froid,
cruel. On le retient dans le fétiche de la baïonnette homicide, sexe d’acier enfonçant sa lame
sanglante dans la chair des victimes. On fit aussi ce qui s’est toujours fait avec ce genre de
tueur, la manie des adjonctions et des références bibliques, on fit donc le cultivé, le
sermonneur, on asséna. C’était comme l’ange exterminateur, on n’en savait rien mais on
dégoisa une maxime, de quoi épeler le nom de Dieu au moment d’égorger, on fit donc du
bonhomme un fou.
Je ne sais ce qu’était cet homme et je vous laisserai juge de ce parcours étrange qui s’efface
aujourd’hui que ces histoires sentent la cave à charbon, soit un lieu qui n’a plus cours. Ces
Dieux, ces murs, ces épithètes et ce Roi ont disparu tout à fait, je ne dis pas de nom car les
noms résistent, c’est leur fonction, je dis de fait.
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Il n’y a pas d’écriture de l’Histoire qui ne traîne son cortège de sang, de mémoire et puis ce
quelque chose du chamane qui s’en va déterrer de quoi tremper de frousse le juste et l’assis. Il
n’y a pas d’écriture de l’Histoire qui ne soit un acte de défiance. Les Universités ont bien
tenté d’édifier des règles, de chasser l’exemplum, de transcrire dans la positivité et l’ennui
l’investigation d’un seul.
Elles n’auront réussi qu’à peindre de gris l’équivalence, pointer du néant d’un nous, la corolle
des siècles. De l’utilité de l’Histoire pour la vie, cette enquête, son intitulé, sa zébrure brise
d’un coup sec toute la nervure d’Institution qui dit « Tais-toi et applique », qui dit la méthode,
qui dit les critiques, qui sépare en interne et en externe la face sourde du Dehors et les plis qui
l’épousent, contigus et hagards et qu’on appelle dedans parce qu’il faut bien qu’on sacrifie au
mythe de l’Intériorité insondable, de l’Intériorité qui se dévoilera, de l’Intériorité glorieuse ou
mesquine ou infâme.
L’Institution énonce l’unanimité des vérités acquises, le sens giratoire des colloques qu’on
emprunte, son compte en main, avec publications à venir et corrections à la marge, traque des
revues et traductions en anglais, collection de bonneteau en attendant le siège.
Partir d’un point et tracer la parallèle, attendre et voir, pousser la position vers le contrefort,
c’est le trajet de toutes les thèses, parler, parler, parler, commenter le pénultième, addentum
sur addentum, le dépôt accumule les sédiments érudits sur le plateau calcaire effondré et aux
lézardes saillantes.
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Épousseter les morts, prosopopée et vampires, les petits stylets historiens ont ceci de commun
qu’ils noient le cursus honorum universitaire de considérations inutiles : vengeance des
peuples, soif de la raison, progrès des connaissances ; toujours Clio a besoin de béquilles.
Clio, muse boiteuse, diable impécunieux et malheureux, pauvre Bacchus de foire, brisant de
son doigté de vieille fille, l’hymen trop blanc des mythes nationaux.
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Ce récit s’ouvrirait sur l’arrestation en novembre 1937 des membres de la Cagoule avec en
voix off un texte de Maurice Blanchot sur le terrorisme comme seule politique possible afin
d’éradiquer le Front Populaire ; ça s’appelait le salut public, ça appelait la terreur, c’était né
avec Blum.
Vallat, dans un coin, criait, « ce vieux pays gallo-romain il est livré à un juif, un juif le
gouverne ». Blanchot, il avait écrit tout ça dans une revue de Thierry Maulnier qui s’appelait
Combat, c’était Lesueur qui payait comme Lesueur payait sa part à la Cagoule, c’était dans le
même immeuble que ça s’écrivait.
Plus tard Blanchot fit silence et devint communiste, je veux dire communiste du silence une
autre manière d’aristocratie diaphane. Maulnier qui avait commencé par un Racine terminait
en costume d’académicien ; c’était ça Maulnier le goût des honneurs et de la pompe, une
plume plombée, comme déchue d’avoir trop servie. Quand on le lit, on sent tellement l’agrégé
qu’on étouffe de rhétorique vieux XIXème, on en coince.
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On y verrait des hommes menottés sortis brutalement de leurs foyers, des hommes arrêtés au
bureau, des caches d’armes dévoilées, donc des sorties, des apparitions, des déterrements avec
des nuées d’hommes en noir, en gris, et des couleurs qui alterneraient ce gris et le marron des
plaines lourdes d’argiles.
Ce texte de Blanchot, je vous en donne un extrait, « Il est nécessaire qu’il y ait une révolution,
parce qu’on ne modifie pas un régime qui tient tout, qui a ses racines partout, on le supprime,
on l’abat. Il est nécessaire que cette révolution soit violente, parce qu’on ne tire pas d’un
peuple aussi aveuli que le nôtre les forces et les passions propres à une rénovation par des
méthodes décentes, mais par des secousses sanglantes, par un orage qui les bouleversera afin
de l’éveiller. Cela n’est pas de tout repos, mais justement il ne faut pas qu’il y ait de repos.
C’est pourquoi le terrorisme nous apparaît actuellement comme une méthode de salut public
».
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Dans les grand cimetières sous la lune, Bernanos se définit autant qu’il cherche à définir les
évènements dont il fut le témoin. Antonyme de l’imbécile, de l’Orgon moderne, bourgeois
cocu, médiocre, tenaillé par la haine, incapable de penser par soi-même, intrépide têtard de la
pensée de meute, l’écrivain figure cet ancien combattant de 14-18 (« J’ai vu beaucoup mourir
») chevaleresque, dépourvu de ressentiment envers les allemands, à l’opposé des « croisés de
Majorque », franquistes fervents qui nettoyèrent, jusqu’au dernier homme, les tranchées
républicaines. Catholique, il reste fidèle au message de saint Paul à propos de la dialectique
entre la Loi et sa transgression qui trouve son dépassement dans l’amour, aussi affirme t-il, «
nul ne peut offenser Dieu cruellement qui ne porte en lui de quoi l’aimer et le servir ».
Le style et la thématique de Bernanos appartiennent à la pensée réactionnaire française. Il
emprunte donc à de Maistre et à Baudelaire, une langue qui tressaute à grands renforts de
maximes qui ne souffrent pas la contestation, cela va de la « la prière est la seule révolte qui
se tienne debout », au misanthropique, « l’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe
sensible », à l’apophtegme, « il n’y aura jamais une légitimité de l’Argent ».
Bien sûr, Bernanos partage avec ses anciens amis de l’Action Française et ceux qu’ils
nomment « les petits mufles de la nouvelle génération réaliste » une position d’extranéité
envers les peuples attardés dans la contrefaçon passéiste. Il dira « on ne se met aisément qu’à
la place de ses égaux. A un certain degré d’infériorité, réel ou imaginaire, cette substitution
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n’est plus possible ». Si tout est dans le réel et l’imaginaire, il n’en pourfend pas moins les
hérétiques et déviants. Si les arabes sont qualifiés de pouilleux, ils le sont en compagnie des
franquistes et des maurrassiens, tous compromis par une série d’actions monstrueuses ou
dégradantes. Nègres et gitons funèbres dansent sur le cadavre des combattants de 14, des juifs
échangent l’encre anonyme du billet à ordre contre le sang versé comme si Bernanos citait
Marx et son aphorisme le judaïsme c’est l’argent, les femmes se délectent de l’hémoglobine
des gladiateurs comme au cirque, la pantomime renifle et se déhanche au balcon tandis que
dans la fosse, s’agitent encore, en tas distincts, des hommes dont on a brûlé la victoire en
holocaustes de champagne, fox-trot sur Douaumont.
De Morand à Céline, le refrain antisémite crépite comme le choeur de la victoire mutilée, on
se bouscule dans le rôle du coryphée parce qu’on tient la République pour responsable, pour
corrompue, pour désarmée, on voit la jeunesse du monde en uniforme, on s’extasie, pourquoi
pas nous, Doumergue, Pétain, le ridicule cacochyme, le vieillard sinistre à toutes les mises,
Bernanos a flairé le parfum d’Apocalypse, avec Majorque comme terrain de jeu, il dira vos
fascistes, c’est la femme écarlate.
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Son témoignage démarre par la phrase suivante, « j’ai vu là-bas à Majorque… », phrase d’un
témoin, pas d’un enquêteur. Ce qu’il perçoit, une entreprise de terreur, le retour des jacobins
déguisés en cristeros, la définition en est cristalline, « tout régime où les citoyens, soustraits à
la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’Etat
».
Dès lors, il évoque l’« extermination systématique des suspects » menée en collaboration avec
l’ensemble des notables de l’île, femmes comprises. Il note la fonction centrale des délations
dans ce système illimité d’épuration dont il fournit à la fois une description sensible et
raisonnée. Pour ce qui est de l’immonde, il mentionne ces « hommes noirs et luisants, tordus
par la flamme», pour ce qui est des chiffres, il dévoile l’ampleur des exécutions collectives en
donnant le nom du charnier de Manacor (200 exécutions) et donne pour bilan des paseos pour
le mois de mars 1937, trois mille assassinats qu’il réduit à la fréquence suivante, quinze
disparitions par jour, auxquels s’ajoutent les prisons pleines et les camps improvisés.
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Or, cette épuration n’aurait jamais, sans la complicité des prêtres et des fidèles, pris l’aspect
d’un devoir religieux, devoir qui sert de moteur infini à la Terreur. C’est donc une guerre
impie qui est menée car « on ne saurait aimer Dieu sous la menace ». De fait, sous couvert
d’une croisade, Georges Bernanos dénonce une opération d’hygiène sociale destinée à
liquider ce qu’il nomme les pauvres malcontents avant que les « incurables » soient à leur tour
exécutés en masse. Cette guerre ne menace pas seulement la France mais se présente sous le
signe d’une fin des temps.
Ce qui s’annonce, la fin de l’homme de bonne volonté submergé par les homoncules
(propagandistes, ingénieurs et soldats, protagonistes de la mobilisation totale qui descend
jusqu’aux joueurs de billes). A ce tableau s’ajoute la rupture de la relation des hommes avec
Dieu qui ne peut déclencher que la haine universelle, parfait retournement de cet amour dont
témoigne la mort du Christ. Dès lors, redevenir enfant à la manière de sainte Thérèse, est pour
Bernanos une nécessité inscrite dans l’économie du salut.
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Parce qu’il inscrit cette guerre dans l’économie du salut, Bernanos se moque des politiques
qui justifient la terreur des uns par celle des autres en se trouvant toujours très malins et très
réalistes broyés qu’ils sont par une posture de spectateur de cricket, il évoque l’idéalisme de la
Phalange vue de loin et par les yeux de son fils engagé auprès des camizas azules, il resserre
le
nœud
autour
de
l’Eglise,
du
Christ,
de
son
retrait.
Le « prince de ce monde vient » comme dit l’Evangile de Jean, la guerre qu’il voit c’est le
fruit de sa vigne pourrie dont les sarments seront brûlés, il désespère des gens de droite,
bornés, aveugles, insensibles à tout, adeptes d’une force qu’ils n’ont pas et qui feront d’eux de
pauvres fétus pour un vent qui n’est pas celui du Paraclet.
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Il y aurait des scènes au Sphinx. Pour le moment un plan récurrent : Sarrault monte un
escalier précédé par un jeune homme. A chaque retour du plan, même silhouette du jeune
homme mais jamais le même visage.
Sarrault est ce ministre qui s’éleva si fort contre le franchissement du Rhin par les troupes
verts de gris du gentleman Hitler qu’elles demeurèrent l’arme au poing, campant sur la ligne
Siegfried, rigolarde et gloutonne en attendant de dévorer le Limousin.
Sarrault était donc ce genre de radical épais qui fréquentait un bordel où de jeunes hommes
aussi offraient comme on dit leurs charmes. Je ne sais si Sarrault ressemblait au Charlus de la
guerre poursuivi par mille gouapes à chaque coin de rue, imaginons le bonhomme, place de la
Concorde accosté, ravitaillé en baisers et palpations, déjà suffocant, imaginons l’homme qui
prononça la dissolution des ligues, avec ses bretelles pendantes jeté sur un lit, pompant le dard
d’un inconnu, baleine affalée et blanche, de cette peau grasse qu’attisent les repas et les vins,
les cigares et la marmaille étrange qui virevolte autour des ministères, du Palais Bourbon et
du Sénat.
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Le principe est d’alterner les peaux qui se frottent, les corps à corps, les bouches qui se
happent et les meurtres.
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Des hommes du CSAR, de leurs complices on ne verrait que des silhouettes, des complets qui
passent, des noms lâchés, parce que le nom du csar c’est encore un autre nom de la cagoule,
on verra donc que tout s’ébroue dans le vague des indéfinitions.
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De la police, se devinent des couloirs, des fiches, des bureaux
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La séquence se clôt sur la chanson de Gainsbourg le klan, le klan, la cagoule, ça vient donc
bien après l’étoile du sheriff comme il disait, ça vient dans le souffle de rock aroud the
bunker, ça vient dans l’ajustement des porte-jarretelles, dans le charme des cabarets de
Weimar où vient s’achever le rêve de Louis II, il faut revoir et accoler le Ludwig et les
Damnés de Visconti pour savoir que tout cela se tient, la fin des tabous, l’indistinction des
sexes, le matriarcat, l’hédonisme, la destruction des familles, la mise hors la loi des Pères, la
culture au service de la vie, le crachat sur les rites chrétiens, la haine des juifs, le
sentimentalisme en fourrure et l’entassement des corps comme un pied de nez aux bourgeois,
comme le dit Serge Ginzburg, de la steppe d’où il vient et des toiles brûlées une à une :
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Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,
Autour de nous le sang coule, relax baby be cool,
A la morgue il y a foule, relax baby be cool,
Relax baby be cool
Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,
Tout le monde il est maboule, relax baby be cool,
Tous les cons sont faits de moule, relax baby be cool,
Relax baby be cool
Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,
Ne t'en fais donc pas poupoule, relax baby be cool,
Pas de quoi avoir les moules, relax baby be cool,
Relax baby be cool
Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,
Bientôt désertée la boule, relax baby be cool,
Comme le crâne de Yul Brünner
Relax baby be cool
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Puis, il y eut Artaud. Ce dernier ne voulait pas seulement en finir avec le jugement de Dieu
mais avec le caractère inoxydable de la syntaxe française. Il partageait ce but avec Céline et
tous les deux, de conserve, comme deux parallèles finissent par se rejoindre, en vinrent à
conjoindre Révolution et antisémitisme, comme si le discours antisémite portait le désir
révolutionnaire à son point d’incandescence et le discours révolutionnaire, le désir récurrent
d’en finir avec les juifs.
De là, la fascination du nazisme et d’Hitler absorbant dans le trou noir de sa foi, les fragments
d’une religion de la modernité. Néanmoins, Céline écrivit une œuvre, Artaud, un théâtre de la
cruauté qui ne trouva aucun tréteau pour l’accueillir. Ainsi dans le manifeste n°3 de la
Révolution surréaliste, Artaud s’en prend à « nos scribes qui continuent encore pour quelque
temps à écrire, nos journalistes de papoter, nos critiques d’ânonner, nos Juifs de se couler
dans leurs moules à rapine, nos politiques de pérorer et nos assassins judiciaires de couver
leurs forfaits. Venez, sauvez nous de ces larves ».
En 1947, dans une lettre à Jacques Prével, il précise sa pensée « je commence à en avoir chié
de Kafka, de son ésotérisme, de son symbolisme, de son allégorisme et de son judaïsme,
lequel contient en germe et en petit toutes les foutoukoutoupou potroneries qui n’ont cessé de
m’emmerder depuis six années que j’en entends parler et qui vont cesser immédiatement de
m’emmerder parce que je n’en entendrai plus jamais parler. C’est par-dessus tout dans Kafka
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un retour du vieil esprit youpin que je poursuis (j’en ai autant pour le nom chrétien). Ce vieil
esprit d’une insupportable youpinerie qui nous a une première fois asséné la kabbale et une
deuxième fois la genèse de l’Ancien Testament. Je ne connais pas au monde de plus énorme
pot pourri de sanieuses calembredaines, de puantes pitreries glandulaires et testiculaires que
l’orchitisme phallique de la Cabbale ; insurrection larvaire d’un psoriasis d’anges spirituels
démis. Démis comme anges et démis comme esprits ».
Rêve d’anges asexués, plongée dans les délices de la castration et de la scatologie, haine
primaire du judaïsme et du christianisme, toute une virtualité révolutionnaire dont la
modernité a recueilli la substantifique moelle.
Si Breton pouvait croire aux haricots sauteurs s’animant sous l’effet d’une force intérieure, ou
aux guéridons gyrovagues afin d’en appeler à l’esprit de Lénine, il ne se commit jamais dans
l’antisémitisme, c’est encore Bataille qui donne une des clés pour atteindre Artaud, « il ne
riait jamais, il n’était jamais puéril et, bien qu’il parlât peu, il y avait quelque chose de
pathétiquement éloquent dans le silence un peu grave et terriblement agacé qu’il observait ».
Il suffit donc d’écouter sa causerie du Vieux Colombier en 1947 pour savoir de quelles
tessitures d’asiles était tapissé son silence.
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En contrepoint, des insertions de déserts de sable balayés par le vent
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Comme son prédécesseur, l’Eglise catholique, le socialisme eut sa variante gnostique dont
Lénine fut le porte-voix le plus accompli. C’est cette variante qui finit par s’imposer et
recouvrir toute une tradition qui fut mise en miettes, détruite et comme défigurée avant que
des hommes comme Benjamin, Gramsci ou Debord tentent d’en refaire un portulan au sein
des temps obscurs puis simplement troublés.
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13 février 1936
Attentat contre Blum, c’est l’occasion de la dissolution des camelots du Roi par le
pensionnaire du sphinx, A. Sarrault. Le sphinx est un bordel bi-sexuel, peut-être Sarrault a-t-il
pris la décision une queue frétillante lui déchirant le derrière, peut-être l’a t-il prise une
bouche ventousant son anus, les livres d’histoire sont muets là-dessus, c’est dommage.
Les livres d’histoire sont toujours un peu timide, ils évitent le sang, la merde et le séminal, ils
leur préfèrent la statistique qui éloigne, plonge dans l’oubli des chiffres et la sentence froide
des corrélations dont on sait qu’elles ne disent rien qu’une chose bête et sans âmes, ces deux
phénomènes évoluent de concert, et alors, ben rien, ils évoluent.
Le 13 février, des ouvriers, des terrassiers qui retapaient une façade sauvent la mise du futur
président du conseil. Filliol mène la troupe des agresseurs, c’est un dissident, sa carte de
l’Action Française gît dans les arrondissements chics de la capitale, il veut en découdre, il
possède le goût du sang et de la sueur.
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Le gentleyoutre comme l’appelait Maurras quand il ne lui adjoignait pas le syntagme de
chamelle parfumée, est dans la Citroën B-12 de Georges Monnet, boulevard St-Germain, il se
noie dans la foule des obsèques de Bainville, l’homme des conséquences politiques de la paix,
celui qui annonce la prochaine guerre implacable si l’Allemagne, si le jeune Reich prussien
n’est pas démantelé.
La B12 est malmenée, la cocarde parlementaire attise la colère puis on reconnaît le soufflet
normalien à son port mi-ridicule, mi-mondain, ça revient vite sous le paletot, c’est l’homme
de Moscou, c’est l’homme du mépris, c’est la juiverie incarnée, c’est l’homme de la guerre à
venir car pour la première fois de leur histoire récente, les français ont peur du défi fasciste,
ont peur de la défaite à venir, ils sont entrés en défaillance permanente, ils s’abaissent à
plaisir, ils leur faut une icône à sacrifier, l’homme qui reçoit en robe de chambre est la proie
rêvée.
Maurras disait c’est un homme à fusiller dans le dos, Filliol répond à seriner gaiement. Blum
est blessé, les Monnet s’interposent, se battent, deux agents tirent le déguingandé sur la
chaussée, l’arrachent aux coups de cannes, aux coups de pied, aux insultes, on continue à le
frapper, on distribue crachats, quolibets, coups, cravaches, parapluies, on se rue, enfin des
ouvriers, des terrassiers, comme on l’a dit le tirent dans la cour intérieure d’un immeuble de la
rue de Lille, ils le tiennent en sûreté, Filliol, les yeux luisants sait que la comédie est finie,
entre ses dents, ils murmure, acte 1.
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En 1927, paraît un livre de Lily Weiser traitant des Männerbünde (les sociétés masculines).
Elle perçoit derrière les rites d’initiation une lutte entre générations, les rites ayant pour
fonction de réprimer non seulement les pulsions mais l’aversion des jeunes envers leurs pères.
Des sagas islandaises, elle extrait le groupe des berserkirs, jeunes guerriers initiés.
Ces hommes en proie à la fureur destructrice sont aussi des entités capables d’assumer une
forme animale (l’ours, le loup), ambivalence qui les rattachent à Odhinn, aux croyances sur
les loups-garous, mais aussi au vieux mythe de l’armée des morts dont ils sont la figure
incarnée.
Otto Höfler, en 1934, reprend le canevas dans une perspective national-socialiste affirmée
écartant tout lien avec le chamanisme pour rouler sur l’exclusive fonction souveraine de
Wodan/Odhinn. Il est évident que les positions du chercheur étaient proches de celles de
Krebs, exclu du parti national-socialiste en 1933 et qu’elles furent donc exécutées dans la
revue Rasse en 1936.
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Côté français les choses se passaient au sein du Collège de sociologie où Alexandre Kojève
observait le programme de magie du tandem Caillois/Bataille avec des yeux amusés. On y
trouve un chamane assez bouffon en la personne de Bataille dont la conférence « Hitler et
l’ordre teutonique » semble perdue, un chamanologue tel que Alexandre Lewitsky fusillé par
les nazis en 1942, un conjuré sans conjuration en la personne de Caillois dont le vent d’hiver
sonne encore comme un appel à l’insurrection des esprits forts enfin un historien des sectes,
comme Hans Mayer.
Très inspirés par les recherches de Mauss, ces hommes avaient comme contrepoint érudit,
Georges Dumézil qui dans Mythes et dieux des germains revient sur les berserkirs « ils
assument dans la vie des sociétés germaniques cette fonction de fantaisie, de tumulte et de
violence qui n’est pas moins nécessaire à l’équilibre collectif que la fonction conservatrice
(ordre, tradition, respect des tabous) qu’assument les hommes mûrs et éventuellement les
vieux ». Ce que tous avaient en commun, c’est de ne pas jamais imaginer qu’un jour, il n’y
aurait plus que des berserkirs de tous âges.
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15
Le fonds de la sûreté ne contient que des revues de presse sur la Cagoule (CAC,1, 34, 3530 à
3534). On y ajoute le dossier d’instruction de l’affaire (ADP, 212/79/3), et aux Archives
Nationales (CARAN) en F7, 14672 à 14674, 14815 et 14816, 15343. Or il y eut 102 inculpés
en 1939. On annone disproportion, disparitions, le complot est comme vidé de ses archives, il
plane à jamais dans les limbes du discours historique. Des allumés le reprennent en
psalmodiant, ils disent la synarchie, ils ont pour violoniste Coston, l’antisémite forcené, celui
qui n’en finit jamais de débusquer le quart, le tiers, le dixième de juif, celui qui aimerait bien
que le juif soit bleu et même fluo et même clignotant.
Pour contrebassiste et contrepoint du côté des fosses communes staliniennes, un journaliste
d’après-guerre, Ullmann, peint Goering en initié. Après tout Hermann était le genre de gars à
vendre des cartouches rouillés aux républicains espagnols tout en entraînant la Luftwaffe
avant de spolier la bourgeoisie juive aux abois de Bohême vendant son mobilier et ses parts
dans la débâcle qui suivit les accords de Munich. Quand Wallenstein rencontre le séducteur
des brasseries, ça devrait résumer la vie du Dauphin, grand forestier du IIIème Reich.
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16
le juge Béteille est le magistrat instructeur de l’affaire, le magistrat enfouisseur, « vous devez
sauver l’état-major », ce sera fait.
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On met du temps à se défaire, à s’éloigner, à ne plus prononcer les pourquoi l’Histoire,
pourquoi le Temps, mais juste un pourquoi la Fable car toute narration est un songe, une
parure d’escroc.
Par delà bien et mal, par delà les éternelles scories, par delà les perpétuelles apories du « Que
s’est-il donc passé ?, où va-t-on ? Qui suis-je ? ». Celui qui tient du chant de son récit, celui-ci
est l’aède, il accompagne de sa mélopée le désastre du temps, il pilote, empoigne les yeux
hagards vers ses contrées où l’innocence disparaît à nouveaux frais pour revenir oublieuse des
fautes et d’elle-même.
L’Histoire est faite pour les enfants, elle est déniaisement, routine vermeille, poinçon de honte
au milieu des fumées et des holocaustes des peuples satisfaits ou engourdis ou réjouis de
haine partagée.
Toujours, Clio s’invite au repas, les convives ne la chassent pas, ils lui proposent de s’asseoir
et de se taire.
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On lui clôt donc la langue soit que la promesse qu’elle porte bourgeonne encore et soit trop
forte pour des générations putréfiées, incapable de répondre à l’appel lancé du fond des âges,
soit que le son même de l’épopée sur clavecin critique sonne trop machine de guerre, tribu
perdue de vociférateurs impécunieux qu’on s’empresse de coiffer d’une tiare d’académicien
parce qu’il faut bien aux convives quelques accommodements.
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Le 9 décembre 1935, démission collective de la 17ème équipe des camelots du roi dirigée par
Jean Filliol. Il y a là Deloncle, Jacques Corrèze, Aristide Corre. Ces hommes sont du temps
des manifestes, ils ne partent jamais sans un petit papillon explicatif et ronéotypé, trempé dans
de l’encre à taper les mots d’ordre. Leur départ se traduit donc par une lettre à l’attention de
Maurras qui les dénonce dans l’Action Française du 30 décembre 1935. Bénouville est de la
section, il sera aussi de Caluire, de Dassault, des amis mitterandôlatres, il sera de partout où
bave le nom du CSAR.
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Le culte du néo-paganisme, Georges Bataille entreprit de le bâtir sous la forme d’une société
secrète : Acéphale. L’ensemble des rites qui la soudait n’est pas connu, ni même l’ensemble
des membres qui y furent liés. On a beaucoup balbutié, beaucoup raconté, beaucoup déliré, on
a dit que Colette Peignot, alors atteinte de tuberculose et compagne de Georges Bataille, y fut
sacrifiée, on a donc fait de Bataille, à l’instar de Souvarine, un monstre, « un détraqué sexuel
» en proie à des « obsessions libidineuses », des « élucubrations sado-masochistes » toutes
choses altérant selon le cher Boris la chimie de l’intellect dépendant d’une saine morale futelle conventionnelle.
Quand on aura compris que Colette Peignot fut la femme de Souvarine que ce dernier
prétendait sauver des fantasmagories du bon docteur berlinois Trautner qui la sortait un collier
de chien autour du cou, que cette femme fut internée sous les bons auspices du chef de
clinique psychiatrique Weil, père de la gentille philosophe à lunettes rondes Simone, on voit
quel passif de haine opposait les deux hommes.
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Voici ce qu’affirmait Bataille avant de fonder une religion nouvelle, « Fascisme et
nietzschéisme s’excluent, s’excluent même avec violence dès que l’un et l’autre sont
considérés dans leur totalité : d’un côté la vie s’enchaîne et se stabilise dans une servitude
sans fin, de l’autre souffle non seulement l’air libre, mais un vent de bourrasque ; d’un côté, le
charme de la culture humaine est brisé pour laisser la place à la force vulgaire ; de l’autre, la
force et la violence sont voués tragiquement à ce charme ».
On voit donc le motif d’une telle société, prendre acte de la force et de la violence, laisser
pourrir sur pied la morale de vieille fille édentée avec laquelle les démocraties entendaient
combattre le fascisme mais trouver le moyen de convertir cette force et cette violence non en
une servitude suicidaire mais en un acte de souveraineté qui a pour site la mort de Dieu et
pour enjeu de soutenir l’assertion suivante, « Tout exige en nous que la mort nous ravage ».
Des rites qui avaient cours dans cette société secrète, on ne connaît que peu de choses.
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En premier lieu, l’interdiction de serrer la main d’un antisémite. En deuxième lieu,
commémorer place de la Concorde tous les 21 janvier la décollation de Louis XVI, attentat
contre la souveraineté monocéphale dont le fascisme serait l’héritier au nom du principe
suivant, « la seule société libre est la société bi ou polycéphale qui donne aux antagonismes
fondamentaux de la vie une issue explosive constante mais limitée aux formes les plus riches
».
Pour le reste, on doit se reporter au témoignage de Pierre Klossowski et à un texte de Georges
Bataille dont le statut n’est pas clair, entre onirisme noir et simple sténogramme du sacrifice
d’une femelle gibbon.
Dans le premier cas, la vingtaine de membres de la secte se rend à Saint-Nom-La-Brétèche
avec l’impératif de méditer en secret et de n’en parler à personne au cours d’une communion
d’un genre particulier au pied d’un arbre foudroyé.
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Dans la cérémonie du sacrifice mi-ridicule, mi-cruelle, m-orgiaque, on a une femelle gibbon
enterrée vivante la tête en bas et l’anus suspendu, comme symbole palpitant du ciel renversé.
On atteint au sommet de la bouffonnerie sacrificielle dès lors qu’est déléguée une femme nue
se tortillant dans les excréments de la bête tandis que les participants auraient été « détraqués
par l’avidité du plaisir ».
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Le siège du PNRS : 31 rue Caumartin, on y trouve Robert Lefranc de la société Ripolin qui
finance le parti et sert de façade. On trouve dans l’immeuble les locaux de l’Insurgé et de
Combat. S’y croisent Claude Roy, Maurice Blanchot et Thierry Maulnier. En 1945 le
souvenir est éclipsé, comme dissous, la vareuse pétainiste a tout administré au vaporeux, la
noyade se drape dans le brouillard d’Ile de France, un diadème de fuite, une chanson de
Nerval, Sylvie court sur l’île d’amour, la coupole de Chantilly luit comme au premier jour.
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Lors du Front Populaire que ses ennemis désignaient du nom de Frente Crapular, Filliol et
Moussous font le coup de poing contre les grévistes. Dans le même temps le Parquet, donc le
Ministère de l’Intérieur, donc le gouvernement, ordonnent une perquisition au siège de la rue
Caumartin, le 20 juin 1936. Dans son torchon sur le docteur Martin, Pierre Péan situe la
perquisition le 10 juin mais Péan ne cesse de tergiverser, flageoler dans l’imprécision, il
enfume, c’est sa fonction.
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Il existe en 1937 une bandera Jeanne d’Arc pour laquelle recrute François de Boisjolin,
rédacteur à la Libre Parole de Coston. Ces nationalistes peints dans le bleu de la Phalange
sont présents au sein du CRAS qui sert de paravent à des trafics d’armes. On y trouve la fine
fleur antijuive grimée en Quijote, il manque Pierre Ménard, numéro invisible de l’armada de
Borges.
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Michelin, Lemaigre-Dubreuil auraient financé la Cagoule qui dispose de 3 noms : CSAR,
OSAR, OSARN, Quel est donc le vrai nom, nul ne le sait, le secret en procession.
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Des listes codées d’adhérents du CSAR sont saisies en janvier 1938, le code 1001 signalait le
groupe dirigeant (les deux frères Deloncle, le général Dusseigneur, Corrèze, Filliol, Corre).
Chez Aristide Corre, très imprévoyant pour un homme versé dans les sociétés secrètes, les
listes saisies le 16 septembre 1937, dans le cadre d’enquêtes sur le trafic d’armes, n’étaient
pas codées. La liste totale des adhérents comprend 70 pages, la police n’a plus qu’à secouer la
nasse.
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Le mode d’adhésion à l’organisation est tortueux, compliqué et prend la forme d’un mystère :
s’y mêlent des prestations de serment et la façade légale de l’UCAD, une franc-maçonnerie
retournée, un imaginaire de cryptes et de capes, la jésuitière des pamphlétaires furieux du
XIXème siècle avec le nom de Mussolini comme cache-sexe et la chevalerie en stuc pour
héritage.
Cette UCAD est présidée par le général Dusseigneur (chef des services militaires du cabinet
de Laurent-Eynac), le vice-président est Pozzo di Borgo. Le secrétaire de Duseigneur est
Douville-Maillefeu. Voici pour les accréditations.
Pozzo, noble corse de vieille obédience, possède avec le marquis de Montcalm des immeubles
à Paris. Il est marié à une américaine Valérie Norrie, il fume les terres comme on disait dans
la noblesse désargentée et il les fume bien. Quant au père de Chiappe il fut avocat à Ajaccio et
conseiller de la famille Pozzo di Borgo, gérant de leurs biens. Le monde parisien affiche son
étroitesse, on dit le monde pour dire, ceux qui comptent et se comptent.
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Chiappe est préfet de police jusqu’en janvier 1934, Pozzo di Borgo fait le tour des propriétés,
hôtel particulier au 51 rue de l’Université et château à Dangu (Eure). La police l’interroge et
le relâche le 5 mars 1938, il a sali de la Rocque, il l’a peint en quémandeur de fonds secrets,
sa mission s’achève.
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L’organisation a 4 bureaux : interne (Deloncle) ; renseignements (Martin) ; opérations et
instruction militaire (Georges Cachier) ; transports, ravitaillement, matériel (Jean Moreau).
C’est le calque exact de l’armée française. Comme un duplicata.
A la base, la cellule (de 7 à 12 hommes) ; 3 cellules forment une unité avec 3 agents de
liaisons, 2 chefs ; 3 unités forment un bataillon ; 3 bataillons forment un régiment ; 2
régiments forment une brigade= 54 cellules= entre 378 et 658 hommes.
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En France, l’Histoire est née de la Révolution, elle est la grande prêtresse de la continuité,
l’institutrice du présent, la donzelle gérontophile que la République couve de son sceptre, la
sage-femme du peuple.
Clio french cancan est le fanal de la populace devenue peuple et peuple un, populace
souveraine, populace frappée d’un blason de majesté aux trois couleurs qui vient se substituer
à l’azur semé de fleurs de lys d’or, car la populace veut qu’on l’honore, veut qu’on la salue,
qu’on lui dépose les particules et les donjons, qu’on lui énumère le Trésor des Eglises, qu’on
fasse de tout le dépôt, l’immense Musée des objets perdus que viendra consulter le peuple qui
manque, le peuple à trouver, le peuple législateur du futur, le peuple éduqué à la recherche de
son supra-sensible, à la recherche de son fantôme, à la recherche de la Liberté.
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Un des dépôts d’armes les plus importants se trouve dans un garage Boulevard de Picpus
(12ème arrondissement) : La police y découvre 832 grenades, 6 mitrailleuses, 42 fusilsmitrailleurs allemands, 49 fusils semi-automatiques italiens, 80 fusils de guerre, 45 fusils de
chasse, des munitions.
Les armes allemandes sont de marque Schmeisser, Beretta côté italien. Les armes du 90 Bd
Picpus (chez le garagiste Gaston Jeanniot ancien des Croix de feu) proviendraient d’un vol
commis à la caserne Théremin d’Hame à Laon le 18 juin 1937 (selon la complotiste LacroixRitz) or cette assertion est incompatible avec la liste des armes retrouvées
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Le putsch manqué date du 15-16 novembre 1937. Il est précédé d’une rumeur préalable de
putsch communiste colportée par les membres du CSAR et ceux des réseaux Corvignolles qui
oeuvrent dans les casernes avec pour prétexte la mise en fiches des subversifs. La Cagoule
inaugure ce qui deviendra un classique de l’intoxication mais aussi un classique de la lâcheté
militaire et gantée, celle qui prévaut en France avec sa pensée de chambrée mise en musique
par Alibert et clavecinée par le vieillard marmoréen.
Pétain l’Incarnat comme va l’appeler Céline, ou le Père pétrin.
Pendant ce temps, Jünger de l’autre côté du Rhin découvre la légende du grand forestier, le
prophète de la mobilisation totale, le visionnaire placide des orages d’acier, le laudateur du
Travailleur, va chercher dans la forêt des odes germaniques, la figure du Rebelle, il s’y tient
avant le combat qui s’annonce.
En France, il y a donc préparation ratée d’un putsch qui devient avec le temps, dissolution
pure et simple de la Cagoule dans le brouillard épais de la chambre crapular qui donne les
pleins pouvoirs au taureau du Vaucluse, à l’âme damnée de la régénération, au républicain de
sanisette, Daladier.
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« Dans ma vie, j’ai souvent été prophète et la plupart du temps on m’a tourné en dérision. Au
temps de ma lutte pour le pouvoir, c’étaient surtout les juifs qui riaient de m’entendre
prophétiser que je serais un jour le chef de l’Etat et du peuple allemand tout entier, puis que,
entre autres choses, j’apporterais sa solution au problème juif. Je crois que ces rires creux
d’alors restent en travers de la gorge de la juiverie d’Allemagne »
30 janvier 1939
« Je n’ai aucunement le désir d’oublier ce que j’ai dit, que si le reste du monde était plongé
dans une guerre générale par la juiverie, c’en serait fini du rôle de la juiverie en Europe. Les
juifs peuvent rire aujourd’hui, comme ils ont ri de mes prophéties antérieures ; mais les mois
et les années qui viennent prouveront que j’ai eu raison »
30 janvier 1941
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« J’ai dit que si la juiverie trame une guerre mondiale pour anéantir les peuples aryens
d’Europe, alors ce ne sont pas les peuples aryens qui seront anéantis mais la juiverie.
Naguère, en Allemagne, les juifs ont ri de ma prophétie. J’ignore s’ils rient encore
aujourd’hui, ou si l’envie de rire leur a passé ! Mais à présent, je ne peux aussi qu’assurer :
partout, l’envie de rire leur passera »
30 septembre 1942
D’où une nouvelle définition d’Hitler, l’homme qui voulait éteindre le rire des juifs.
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Les traits de l’idéologie communiste sont connus. C’est une idéologie salvatrice dont le parti
est le seul interprète, une pseudo-science infaillible qui entend accoucher du monde nouveau
en détruisant de fonds en combles l’ancien, une morale qui définit le bien en fonction du seul
objectif proclamé, la venue du socialisme, une manière de dénégation du réel où chaque
obstacle dans la construction de la société sans classes est interprété comme un complot
contre-révolutionnaire, une résurgence réitérée de ce même passé honni qui, à chaque fois,
mérite d’être éradiquée, un manichéisme en acte où s’opposent impérialisme et communisme,
bourgeoisie et prolétariat, réactionnaires et révolutionnaires, fascistes et anti-fascistes, un
mensonge obèse qui finit par tout avaler et ne demande que la participation de tous,
maquillant d’un onirisme de facture réaliste, la corruption, la gabegie, la soumission aveugle
et la dépravation morale de toute une société saisie dans un cauchemar sans fin.
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Le socialisme dès son origine, notamment chez l’inventeur du terme Pierre Leroux, adepte
d’une théorie du circulus (en fait du fumier humain comme matérialisation de la fraternité en
transit), a logé le mal dans la propriété privée. Dans les faits, suite à la révolution
bolchévique, tout devient propriété publique, propriété d’Etat, et les gens ne conservent que
leurs vêtements, une partie de leur mobilier et un jardin potager comme viatique. Il n’y eut
jamais de riches dans les Etats du bloc socialiste mais une série de privilégiés bénéficiant
d’avantages codifiés ou non. Avec la propriété privée ce n’est pas seulement l’économie de
marché qui disparaît mais le droit véritable auxquels se substituent la planification et le troc
ainsi que l’arbitraire le plus complet. L’asymptote d’un tel idéal c’est la fin de la famille
bourgeoise, dans laquelle « la famille transforme l’enfant en un être égotiste, l’encourageant à
se croire le centre de l’univers ». Suivant les conseils de Zlata Lilina, spécialiste soviétique de
l’éducation, l’ABC du communisme recommandait donc aux militants l’abandon par les
parents du possessif moï pour désigner leurs enfants, leur enjoignant d’atteindre enfin l’amour
rationnel, celui d’une « famille sociale ».
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Tout régime communiste s’est échiné à poursuivre les ennemis du socialisme ou du peuple
selon les formules consacrées. Si l’ennemi de classe pouvait être mis hors de combat à la
vitesse des exécutions de masse, on sait qu’il survivait parmi la progéniture puis se
métamorphosait en attentistes, en hooligans, en satiristes, en infidèles à la ligne de masse
définie par le parti. L’ennemi du peuple pouvait se cacher parmi le kolkhozien, le komsomol,
le policier, le soldat, le bolchévik. Partout le bacille contre-révolutionnaire se lovait. Dès lors,
dans les dictionnaires russes, la dénonciation (donos) était définie comme une vertu civique
s’apparentant à la révélation « d’actes illégaux ». Comme le disait Sergueï Goussev, futur
membre de la Commission centrale de contrôle, « Lénine nous a appris que chaque membre
du Parti doit devenir un agent de la Tcheka, autrement dit observer et rédiger des rapports ».
La police politique ne chômait guère empilant les rapports, les dossiers, s’épuisant en
entretiens, écoutes et recoupements, exigeant des aveux parfois délirants.
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Les opérations mobiles de tuerie ont toujours eu lieu dès lors que la révolution communiste se
confondait avec la guerre civile. Si les chars et les gaz de combat vinrent à bout des cosaques,
Vladimir Zazoubrine a retracé le parcours d’une Tchéka en 1923 et sa besogne ordinaire : les
camions livrant leur fournée à exécuter, la balle dans la nuque pour chaque condamné, la cave
comme stand de tir, les camions venant ramasser les cadavres, une noria interminable et
motorisée.
La déportation en camps de travail eut pour cible soit des peuples entiers, soit des catégories
sociales désignées comme des ennemis du socialisme par le Parti. Les conditions de départ
étaient si précipitées, le côté far East si prononcé qu’il y eut des cas où tout le monde, le
terminus atteint, mourait de faim et parmi ce tout le monde, il faut compter les gardiens et les
chiens. Si les camps comptaient 20 mille pensionnaires en 1928, leur nombre atteint le million
en 1934, suite à la collectivisation dont Staline eut à cœur de modérer le rythme en mettant en
garde les cadres du Parti devant le vertige d’un succès qui avait la famine pour corollaire.
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On sait que le plus grand des camps, le Belbaltag, comptait 100 mille détenus en 1932. Sa
tâche déclarée était le percement d’un canal de 227 km reliant la Baltique à la mer Blanche.
Bien entendu, les planificateurs n’avaient ni relevés corrects du terrain, ni machines. La
profondeur prévue, 3,6 mètres le rendait inutilisable, mais Staline en avait fait une priorité
chargée de démontrer la supériorité du socialisme. Sans dynamites, ni machines, le canal fut
creusé à la hache, à la scie, à la masse. Dès le premier hiver 1931-1932, le quart des
prisonniers était mort à la tâche. Chef de chantier et détenu, Dimitri Vitkovski note « l’été, des
cadavres qui n’ont pas été ramassés à temps, il ne reste plus que les os, ils passent dans la
bétonneuse, mélangés aux galets ». C’était ce chantier que choisit Staline pour y déléguer des
« ingénieurs des âmes humaines » conduits par Gorki, chargés d’y expliquer les principes du
réalisme socialiste. Toutefois, certaines colonies du Goulag étaient conçues selon le terme de
Berzine, un bolchévique letton, comme une « forme expérimentale de développement
industriel » et Chalamov note dans les récits de la Kolyma « à l’époque il y avait si peu de
cimetières pour détenus que l’on eût pu croire que les habitants de la Kolyma étaient
immortels » tant et si bien que le camp fut démantelé. La bigarrure du Goulag allait donc d’un
traitement décent des prisonniers à une annihilation pure et simple.
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Les exécutions judiciaires connurent leur apogée durant la grande Terreur de 1937-1938 où
selon des statistiques incomplètes 681 692 personnes furent assassinées et d’autres exécutées
pour « crimes contre l’Etat ». Le Goulag comptait 1 881 570 pensionnaires sans compter les
140 mille décès enregistrés dans les camps et le nombre indéterminé de disparus durant les
transports. A titre de comparaison, si les opérations anti-koulaks de 1929-1932 entraînèrent
près de 600 mille arrestations, « seuls » 35 mille détenus furent liquidés. Staline, d’une
logique implacable, était persuadé que les puissances fascistes (Allemagne nazie et régime
militaire japonais) allaient s’unir afin de dévaster l’URSS avec la neutralité bienveillante des
puissances occidentales, moyennant en quoi il fit exécuter la quasi-totalité des officiers
expérimentés de son armée.
Ainsi fit-il cette confidence à Romain Rolland qui ne broncha pas « Nos ennemis des cercles
capitalistes sont inlassables. Ils s’infiltrent partout ». De la guerre d’Espagne il tira la
conclusion qu’il fallait non seulement liquider la cinquième colonne et les espions et ennemis
fascistes mais aussi toute opposition intérieure. Ce qu’entendait Staline par le terme de
cinquième colonne, la directive 00447 se chargea de l’éclaircir : 669 929 anciens koulaks
furent arrêtés et la moitié exécutés sous le prétexte fourni par le NKVD qu’une organisation
monarchiste blanche (la ROVS) préparait, clandestinement, un soulèvement en liaison avec
une invasion japonaise de la Sibérie.
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Le NKVD poussa si loin son auto-intoxication qu’il dénombra dans l’Altaï 22 mille membres
de la ROVS mis hors d’état de nuire. Que l’homme soit une proie et non un prédateur, nul
mieux que le scénariste Valeri Frid ne l’indique « nous étions tous semblables à des lapins qui
reconnaissent le droit du boa constricteur à les avaler ; quiconque tombait sous l’empire de
son regard avançait très calmement, avec un sentiment de perte dans la bouche ». Toute la
population était compromise dans cet exercice de loterie où le gagnant avait droit à son lot
spécial : une balle dans la nuque.
Ainsi, selon un haut responsable de la police, un employé de bureau soviétique sur cinq était
un informateur du NKVD, un autre évaluait ce peuple de mouchards dans les grands centres
urbains à 5% de la population totale. Evidemment le spectre était large allant d’une famille
sur sept d’informateurs dans Moscou à un informateur pour 17 mille habitants à Kharkov.
Reste que l’exercice était profitable et rétribué en argent, places, logement, rations spéciales et
immunité confondant la morale socialiste et celle du Milieu.
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Voici ce qu’affichait le CSAR dans ses directives internes qui flamboient comme un
communiqué d’état-major :
« Avertissement. Il est rappelé à tous de la façon la plus instante que le secret absolu doit
être rigoureusement observé. Il est particulièrement nécessaire que les membres des
familles de nos abonnés soient tenus en dehors de toute activité ayant trait à notre
organisation et n’en deviennent sous aucun prétexte les confidents ».
On le voit les conjurés sont des abonnés, on emprunte au vocabulaire de l’usage, des services
publics, on veut servir, on courbe l’échine, on tend l’oreille.
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33
Les actions avérées du CSAR sont les suivantes :
23-24 janvier 1937
Meurtre de Dimitri Navachine : Jean Filliol le tue à l’arme à feu (5 mm et 22 long rifle avec
douilles Imperial Chemical ) et à l’arme blanche. Depuis les derniers jours de l’année 1936, il
est suivi par les hommes du CSAR.
L’homme des soviétiques était proche de Spinasse et d’Anatole de Monzie qui, tous deux,
finiront dans la collaboration suivant la pente fatale qui conduit du pacifisme au nihilisme
final ; du pseudo-acquiescement à l’ordre des faits ou des choses ou du monde.
Comme avocat, il provoqua la déroute judiciaire des Grands Moulins de Paris, organisation
des céréaliers qui escroquait ses fournisseurs et bien entendu l’Etat, toujours bonne poire (via
des compensations versées lors des ventes de blé).
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Il est retrouvé le 25 janvier 1937 au matin sur l’avenue du Parc des Princes près du bois de
Boulogne. En 1926, Navachine avait pris la direction de la Banque commerciale pour
l’Europe du Nord, 26 avenue de l’Opéra, c’est donc une créature bolchévique en mascara,
doublon de la tchéka, connaisseur des manières Ninotchka, mais en costume trois pièces.
En 1930, il quitte ses fonctions de direction, c’est un franc-maçon affiché. Il se lie à Jean
Coutrot, navigue comme chez lui chez Worms et Paribas, deux banques d’affaires
particulièrement férues de manœuvres de couloirs et de confections de ministères avec jetons
de présence dans tout ce qui s’avère nécessaire à l’exercice d’un pouvoir si minime soit-il.
Il vit près de la porte d’Auteuil, 28 rue Michel-Ange. Navachine avait donc de l’entregent et
des ennemis. Pour quel débiteur s’effectua ce meurtre, le mystère plane et les coups pouvaient
partir de partout. Dans tous les cas, c’est le premier de la série, il annonce donc l’entrée en
lice du CSAR, le prodrome de la stratégie de la tension que l’organisation promeut.
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16 mars 1937
Provocations lors de la manifestation de Clichy, la police tire sur la foule, bilan : 5 morts, 200
blessés. Lors de ce véritable massacre, la contre-manifestation contre la réunion du PSF dans
un cinéma de la ville était emmenée par les masses hagardes et transies du Front Populaire.
La tactique est claire, radicaliser les membres du PSF, les pousser vers le PPF de Doriot, les
diligenter vers l’action directe. Que le sang coule et coule encore, sous le pont Mirabeau et
ailleurs encore, sillon bouillonnant.
17 mai 1937
Selon Bourdrel, Laetitia Toureaux est assassinée à la baïonnette coupée en deux et aiguisée.
C’est la signature de Filliol, égale à celle des plasticiens d’aujourd’hui.
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9 juin 1937
Assassinat des frères Rosselli : réutilisation de l’arme blanche qui a tué Navachine. Le
meurtre est commandité par les services secrets italiens.
Méténier, futur charlatan sis auprès du Père pétrin, médecin de son état, auvergnat, lié aux
Michelin, rencontre le commandant Navale à Nice le 22 mars 1937 afin de préparer
l’assassinat contre l’achat de 100 fusils semi-automatiques Beretta.
Le 10 juin 1937 on retrouve la voiture abandonnée des frères Rosselli près de Bagnoles de
l’Orne, une bombe inexplosée sous le capot. Selon Pierre Péan, le 11 sur le chemin Bagnoles
de l’Orne/Couterne, on retrouve les cadavres de Carlo (4 coups de poignards) et de son frère
de 17 ans.
Premier constat, il est établi que Péan raconte des billevesées puisque Nello Rosselli, historien
de métier, venait d’être sorti des prisons du Duce (source : V. Serge). Ce n’est donc plus un
adolescent comme le prétend le singe vert du reportage historique.
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Deux voitures suivaient les frères Rosselli, une 402 noire avec 4 personnes dont Filliol et un
cabriolet décapotable de deux places. Dans la capitale, Rosselli vivait au 79 rue Notre dame
des champs. A Bagnoles de l’Orne en Normandie, sur les lieux qui précèdent l’assassinat, la
femme de Carlo est présente.
Lors du meurtre, le vieux coup de la panne est mis en scène et le Times tente de salir Carlo
dès le 14 juin. Bertolucci met en scène le meurtre dans le conformiste adapté de Moravia. Une
Italie fasciste de dépravés et de névrosés mais aussi d’artistes éviscérés, un Trintignant,
disciple ignoble conduisant les hommes de la Cagoule, séduisant via la femme du professore
(Stefania Sandrelli parfaite) une Dominique Sanda ambiguë, sur le fil du rasoir.
Une esthétique blanche comme un catafalque. Côté français néant, la mort du brigadiste passe
comme un soufflet, rien à dire, rien à écrire, rien à filmer, bâton merdeux, Belgique de
Baudelaire aux trois couleurs.
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29-30 juillet 1937
Destruction d’avions militaires américains destinés à l’Espagne républicaine sur l’aéroport de
Toussus-le-Noble près de Paris. Un avion détruit, 2 autres endommagés.
La surveillance date d’avril 1937. Sur la demande du colonel Ungrilla, Péan prétend que 3
avions sont détruits sur le tarmac de l’aéroport de Toussus-le-Noble le 29 août 1937. Selon
Bourdrel, c’est Filliol qui aurait déposé les charges de plastic qui est alors un explosif
nouveau expérimenté par un fermier américain sourcilleux sur la destination de ses impôts. Le
gars s’estimait lésé puis ruiné par l’école pompant ses arpents, il entreprit de la plastiquer
méthodiquement et la fit sauter, élèves compris avant que son caisson y passe aussi.
Premier perdant radical, premier libéral paranoïaque, une histoire édifiante comme dit l’autre.
Ajoutons que Jean Gradis, fondé de pouvoir de la banque Neuflize (ex PSF) participe au
sabotage.
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11-12 septembre 1937
Des bombes sont placées aux sièges de la CGPF et de l’UIMM, 2 policiers tués. Une bombe
explose le 11, 4 rue de Presbourg, siège du patronat dans le quartier de l’Etoile. De même, le
siège de l’UIMM saute 45 rue Boissière. C’est ce dernier attentat qui tue deux agents de la
paix.
Meténier et Filliol ont monté l’attentat, premier essai convaincu d’une stratégie de la tension.
Ces types innovent sur la voie terroriste qui mène à la constitutionnalité. Plus tard, en
disciples consciencieux, les généraux argentins appeleront cela le processus de réorganisation
nationale, c’était en 1976.
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34
Les hommes de la Cagoule théorisent le coup d’état constitutionnel (ceux de Mussolini et
Hitler) et cherchent leur voie propre écartant les coups d’état extra-constitutionnels (celui des
bolchéviks) et les pronunciamientos.
Il ne s’agit pas de s’égarer sur le terme constitutionnel car ce type de coup d’Etat a pour
mode, le combat de rue, l’usage des grenades et des armes automatiques qui distinguent
fusiliers et grenadiers. Ils ont pour objectifs, les lieux stratégiques, symboliques et
opérationnels : radios et édifices.
« Communiqué n°1, le maréchal Pétain appelle au calme… »
Le coup d’Etat constitutionnel replace la décision et le combat au cœur de la politique, il la
restitue à la guerre civile, il énonce, là gît le pouvoir constituant.
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35
Dès l’automne 1936 Dusseigneur et Deloncle sont à Rome, puis, en avril-mai 1937, sous une
fausse identité, Deloncle y retourne. D’autres vont y chercher des armes. Le contact passe,
notamment par le colonel Emmanuele Santo, du contre-espionnage italien, via Méténier de la
société des enfants d’Auvergne, ancien de Michelin.
De plus le groupe niçois des chevaliers du glaive joue un rôle essentiel dans la liaison
clandestine avec l’Italie, via Maurice Juif qui est directeur des docks saint Roch à Nice et
Joseph Darnand qui est propriétaire d’une société de transport.
Le dernier étant déjà prêt à liquider le premier.
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36
Gabriel Jeantet se rend en Allemagne par deux fois lors de l’été 1937. Son aîné, Louis est lié
par alliance aux Violet frères (Byrrh). Claude se vit offrir un poste au ministère des affaires
étrangères en 1935.
On est donc du sérail chez les Jeantet, pas vraiment marginaux. Gabriel, arrêté et écroué, fut
libéré en décembre 1939 sur l’instance de Daladier (qui eut pour maîtresse Jeanne de Crussol
dont l’ami personnel Daniel Serruys, de la banque Lazard, deviendra haut-commissaire à
l’économie nationale).
Il reviendra menacer ses concierges, Mr et Mme Lavergne car l’ange Gabriel n’est pas tendre
avec les balances.
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37
Loustanau-Lacau, commandant, avait fondé les réseaux Corvignolles au sein de l’armée
secondé par le colonel Groussard du 2ème bureau, en contact avec le CSAR dès la fin de
1936.
Porté sur les profits et les appointements, il empocha 1,5 millions de francs dans un projet
cagoulard bidon. Deloncle possédait un laissez-passer pour la cartoucherie militaire de la
Seine à Saint-Denis durant la période qui court de septembre à octobre 1936. Jean Chrétien
officier de l’état-major est aussi de la partie.
Selon Chrétien, Loustanau était lié au PPF, Groussard à l’Action Française. Ils ont pour cible
les réseaux d’aide à l’Espagne républicaine (réseaux Gaston Cusin, et la nébuleuse Pierre Cot
avec Labarthe et Jean Moulin).
Une guerre civile froide de réseaux est en place, on réglera ses comptes à la baignoire et à
l’arme blanche, dans les coulisses et la rue déserte, la paille des prisons et les terrains vagues,
on va se tuer entre français au nom d’une Cause supra-nationale, au nom de la vieille idée de
Croisade, on veut le pouvoir à tout prix et la Justice qui va avec, le sentier passe par la fosse
commune, on appelle ça l’Histoire.
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38
C’est le 16 novembre 1937 au matin que la police mène une série de perquisitions qui
entraîne la découverte de caches d’armes.
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Clio french cancan est une oraison permanente de noms et de batailles, de dates et de liturgies.
On y croise les sentinelles, les ossuaires et les martyrs, une Eglise écrivante de théologiens
positivistes tient le cahier des charges des temps nouveaux.
Elle énumère son catéchisme :
Tu pleureras au sacre de Reims car le peuple y était assemblé noyant le Roi de ses
acclamations
Tu inonderas Valmy de ton émotion
Tu iras souffrir en compagnie des poilus à Verdun avec ton appareil électronique à zoom
automatique
Tu gémiras de la défaite du 22 juin 1940 en conspuant le nom honni du maréchal Pétain
Tu devras, tu devras, tu devras…
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L’Ecole implore et la liturgie chassée des rues et des pavés s’accomplit entre les quatre murs
de la salle de classes où se respire l’air raréfié du supra-sensible. Tous ensemble, les hussards,
en prêt à porter, chantent la Gloire émancipatrice de la République comme on chantait du
temps de Du Bellay, la France mère des arts.
Bien sûr, on rappelle dans un murmure pleurnichard les zones d’ombre qui finissent par
recouvrir d’un linceul troué toute la surface des invocations. On verse l’encens de la Nation
qui n’a pas froid aux yeux, l’encens d’un prêtre positif et réflexif rangé des voitures
idéologiques qui administre les pénitences et les autorisations, qui exorcise, chasse les esprits
malins, les simulacres par milliers afin que reverdisse la pelouse lustrale du roman national.
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Le centralien Henri Philippe Roidot obtient un emploi à l’Institut Pasteur comme stagiaire en
bactériologie. Dès lors, il se perfectionne dans la connaissance des poisons et s’intéresse aux
bacilles tétaniques et butoliques.
Il fuit la France pour l’Italie le 15 janvier 1937. Il se révèle alors un agent infiltré de la
Cagoule au sein d’une tripotée de vigilants antifascistes qui ne découvrent les activités et les
commandes étranges de leur employé que par inadvertance.
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Selon le bon docteur Martin, Raphaël Alibert serait de la direction de la Cagoule avec
Groussard et Dusseigneur
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C’est Pujo de son bureau de l’Action Française qui nomme le CSAR, la Cagoule pour
ridiculiser l’organisation, il la baptise donc avec grand sorcier et croix en flammes.
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Le colonel Heurteaux du Service de Renseignement de l’armée de l’air et Lemaigre-Dubreuil
collectaient selon Péan, auprès des patrons en panique, des ingénieurs en furie et des
chevaliers de Krogold rangés en bataillons noirâtres.
Ils y raflaient les fonds nécessaires à la colonie insurrectionnelle. Auraient cotisé, Renault,
Pavin (Lafarge), Gibbs, Violet (Byrrh), le beauf de Jeantet, les banques protestantes de la
rue de Provence, Mirabaud, Hottinguer, de Neuzflize, enfin Pierre Michelin, une sorte de
sainte Assurance contre le front rouge.
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44
Gaston Cusin est nommé le 12 août 1936 par Blum, Monsieur intervention secrète en
Espagne. Cerutti, dit Pierre Allard, est l’interlocuteur du Komintern, il est en contact avec
Gretchko du NKVD. Un ancien d’HEC épaule le bonhomme, il se fera un nom du côté de
France-Navigation, on l’appelait Georges Gosnet. Côté soviétique, c’est Krivitski implanté
dans la patrie du fromage impeccable qui coordonne l’aide soviétique à l’Espagne
républicaine lâchée par tous.
Un homme combat quelque part en Aragon, les anarchistes ont Durutti en tête, ils marchent en
milices décimées devant Saragosse inexpugnable, on y fusille tous les matins devant les murs
d’enceinte. Simone Weil, ses parents aux trousses, pleure la mort d’un petit nationaliste, elle
trouve Durutti méchant, elle croyait que la Révolution portait des dentelles et une convention
de Genève comme couche absorbante.
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Les plus lucides des républicains savent l’alliance avec les soviétiques inéluctable, ils savent
la liberté piétinée par les hommes de l’Internationale et du NKVD, mais c’est trop tard. Les
maures, la phalange, la légion tout concourt à la guerre totale, la bandera d’en face porte,
frappée de noir, le viva la muerte de Milan Astray, Unamuno s’épaissit en silence.
« Les hommes qui commandaient n’ont jamais nié que les arabes achevèrent les blessés de
l’hôpital républicain de Tolède. Ils se vantaient de la manière dont avaient été jetées deux
cents grenades sur des hommes sans défense.
Jamais, ils ne nièrent qu’ils avaient promis, aux arabes, des femmes blanches, en cas d’entrée
dans Madrid. Assis, près d’un bivouac du campement, je les entendis débattre du caractère
d’une telle promesse ; certains convenaient qu’une femme, même avec des idées
communisantes, pouvait être espagnole.
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De même, El Mizian, seul officier supérieur arabe de l’armée espagnole, ne nia pas cette
pratique. Il se trouve que je me trouvais, avec lui, non loin de Navalcarnero, quand deux
gamines qui ne devaient pas avoir 20 ans, durent comparaître devant lui. Une d’entre elles
travaillait dans une usine barcelonaise et on découvrit une carte syndicale dans son sac de
cuir.
La
seconde,
de
Valence,
prétendait
ne
pas
avoir
d’opinion
politique.
Mizian les interrogea afin d’obtenir des informations puis les conduisit dans un petit édifice
qui avait servi d’école et où logeait une quarantaine de soldats arabes.
Quand elles arrivèrent près de la porte, des hululements se firent entendre, surgis de la gorge
des hommes de troupe. J’assistai à une telle scène, horrifié et inutilement indigné.
El Mizian souria avec condescendance lorsque je protestai devant ce qui venait d’arriver,
disant “ Oh, elles ne vivront pas plus de quatre heures ! ”. Je suppose que Franco pensait que
les femmes devaient être offertes aux arabes ».
John T Whitaker cité par Herbert Rutledge Southworth dans el mito de la cruzada de Franco.
82
Pas moins de soixante deux mille marocains épaulèrent Franco dans sa croisade recrutés à
coups d’huile d’olive, de kilos de sucre et de soldes par des caïds dont certains, Abdeljalek
Torres pour le citer, espéraient une autonomie future, voire l’indépendance.
On connaît leur mode de combat, exécution des adversaires, liquidations des politiques et des
syndicalistes, viol ou tonte des femmes, castration de certains, incendies d’Eglises parfois, en
un mot un assaut barbare mais ordonné.
Partout, dira Bernanos, l’Europe, la chrétienté, livrée aux barbares par les saintes démocraties
en rut, républicaines, monarchistes ou fascistes.
83
45
Gabriel Jeantet et Eugène Deloncle avaient leurs entrées en Espagne, Croisade oblige.
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46
Dans son Hommage à la Catalogne, Orwell use d’une sorte d’antilyrisme comme procédé. Il
ne s’agit pas pour lui d’exalter les actes des révolutionnaires ou de présenter en un tourbillon
de formules plus ou moins poétiques l’héroïsme et l’abnégation de combattants mus par
l’espoir mais de rendre compte de l’expérience de la piétaille, de ceux qu’on ne voit jamais, à
ras du prosaïsme quotidien, de là l’insistance sur les odeurs de la guerre (pissat, avoine
pourrie, excréments, denrées avariées, puanteur abominable, boue nauséabonde) comme si ce
composé devait susciter une sorte d’écœurement donc de distance.
Suivent, les désagréments multiples d’une vie répétitive, les poux, la coexistence avec les rats,
la boue grasse dans laquelle on s’enfonce, la recherche de brindilles pour le feu, les meubles
brisés, les maisons dévastées et la blessure qui le contraint à l’évacuation. Les protagonistes
de ce conflit sont dévalorisés, du côté républicain, une armée d’enfants et d’adolescents, du
côté franquiste de pauvres bougres aux baraquements miséreux et grignotant un quignon de
pain.
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La guerre attirerait systématiquement la racaille, ce qui est le retournement d’un lieu commun
à propos des révolutions comme mises en scène des plus vils malfaiteurs, des comédiens de
foire applaudis par des hordes d’hommes féroces et de femmes éhontées, un vaste bordel de
sperme et de sang, un carnaval hideux. Pourtant, Georges Orwell admet qu’il ne peut réfréner
« le sentiment pernicieux dont il est si difficile de se défaire, que la guerre, en dépit de tout,
est bien chose glorieuse ».
Toutefois l’essentiel, à ses yeux, n’est pas dans cette expérience dégrisée de combattant au
coude à coude avec le mono azul, l’uniforme des miliciens. L’écrivain l’affirme, le centre de
gravité de son témoignage tient dans ces journées de Barcelone où s’affrontèrent miliciens du
POUM et de la CNT, d’un côté, l’ensemble des forces de l’ordre gouvernementales, milices
de l’UGT et du PSUC, de l’autre. Comme il l’énonce « c’était peut être de l’histoire mais on
n’en avait pas l’impression ».
La fin de la Révolution, car il s’agit de cela, se manifeste, en premier lieu par des signes. La
présence dans Barcelone d’officiers de l’armée populaire en uniforme de parade et l’arme au
ceinturon, l’indifférence d’une population autrefois enthousiaste envers le déroulement d’une
guerre qui semble ne plus lui importer, le retour des différences de classe en général c'est-àdire des signes distinctifs d’une certaine hiérarchie sociale.
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A ce stade Orwell est aveugle à plusieurs « conquêtes révolutionnaires » telles que le système
collectif de transports, ou d’éducation, la quasi-éradication de toute emprise catholique dans
la capitale catalane, enfin le rationnement qui touche de plein fouet la zone républicaine où
vivent plus des 2/3 des espagnols.
Les journées d’affrontement se soldent par un amoncellement de barricades, des tirs isolés, le
vacarme des explosions sans qu’on puisse discerner une mobilisation totale dans chaque
camp. Mais la signification de ces journées est claire : elle marque la fin de la liberté
d’expression au sein du camp républicain. Comme il le constate tristement, « il ne vous était
plus possible, comme auparavant, de différer à l’amiable et de n’en pas moins aller ensuite
boire un coup avec quelqu’un qui était censément votre adversaire du point de vue politique ».
Aussi la peur est un affect qui gagne les combattants antifascistes allemands et italiens, les
prisons s’emplissent, un régime de suspicion et de délation se met en place, les arrestations,
les mises au secret se multiplient, le POUM est dissous, Andres Nin, son dirigeant, liquidé,
Orwell évoque, « l’atmosphère de cauchemar de cette époque » et ce « sentiment abominable
qu’on allait peut-être être dénoncé à la police secrète par quelqu’un, jusqu’alors votre ami ».
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Les grands gagnants de cet affrontement sont dès lors les communistes, via les brigades
internationales qu’ils contrôlent et les services de sécurité sur lesquels ils ont la haute main.
Orwell néglige dans son intrigue ce fait massif : à partir d’octobre 1936, l’URSS est la seule
puissance qui s’engage auprès de l’Espagne républicaine de manière franche et massive. Elle
envoie deux mille conseillers soviétiques sur place, alimente en matériel de guerre le
gouvernement de Valence, met sur pied, la colonne vertébrale de l’armée populaire
républicaine, le Cinquième Régiment qui compte près de 70 mille hommes en avril 1937,
échafaude, via les organisations du PCF, dans le seul hexagone, 50 bureaux de recrutement
pour les Brigades Internationales, crée en avril 1937 la compagnie France-Navigation, confiée
à Giulio Ceretti et à Georges Gosnet, afin d’alimenter en matériaux de guerre français, et ce
de manière clandestine, le camp républicain.
Dès lors, la surprise n’est pas tant que les communistes aient exigé le contrôle de la stratégie
républicaine, gagner la guerre avant de procéder à des réformes structurelles, mais le fait que
le tournant ne se soit opéré qu’aux alentours de l’été 1937, au moment même où l’URSS était
secouée par les grandes purges qui virent une quasi-dislocation du PC d’URSS.
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De fait, Orwell ne met jamais en lumière ce trait de la guerre civile espagnole qui tient à la
fonction des communistes, comme gestionnaires d’une guerre où la mobilisation des soldats
nécessite celle de l’arrière y compris dans sa dimension policière, où les manœuvres du
théâtre d’opérations trouvent leur pendant dans les opérations secrètes des services de sécurité
jusqu’aux confins des lignes ennemies, où le rationnement et la logistique sont aussi
importants que l’ardeur des soldats dans les tranchées, première manifestation d’une guerre
industrielle que refusaient les milices espagnoles aux premiers jours de la Révolution .
Lorsque Orwell affirme qu’il « est impossible que personne ait pu passer plus de quelques
semaines en Espagne sans être désillusionné » il est plus que certain qu’il ne voit pas que la
mystique du socialisme, comme il nomme l’idée d’égalité, ressemble plus dans cette forme de
guerre industrielle à la mystique fasciste du Ernst Jünger du Die Arbeiter qu’à l’illusion
lyrique d’hommes se délivrant d’un geste d’une oppression pluriséculaire .
A ces angles morts et distorsions s’ajoute, une certaine cécité envers le processus
révolutionnaire dans ses dimensions sociale et religieuse. En effet, Orwell signale la vétusté
des instruments agraires dont se servent les paysans aragonais et c’est bien une des seules
occurrences d’une mention des structures matérielles de ce pays, à l’exception d’un champ de
pommes de terre abandonné par ses exploitants.
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D’un autre côté, l’écrivain note la rareté des inscriptions religieuses sur les tombes d’un
cimetière près du front. Cela aurait dû l’alerter sur la véritable ferveur iconoclaste et
profanatrice qui enflamma la Catalogne et l’Aragon aux premiers jours de la Révolution. A
Barcelone, à l’exception de trois églises, toutes sont pillées et saccagées, les cercueils de la
sagrada familia et des religieuses de la Visitation ouverts afin d’annoncer le règne de l’égalité
devant la mort. A Lerida où passa Orwell, ce sont 85 religieux qui sont fusillés entre juillet et
août 1936, à Barbastro (Aragon) que traverse Orwell, 123 des 140 membres du clergé de la
paroisse sont exécutés dont l’évêque assassiné selon un rituel particulièrement cruel qui
démarre par une castration, se poursuit par des insultes et s’achève au cimetière où le prélat
agonisa une heure durant.
Au total, durant le seul été 1936, ce sont deux mille membres du Clergé qui seront assassinés
dans la seule Catalogne sur 6800 victimes au total dans toute l’Espagne. On voit donc que
cette explosion fut à la fois brutale, soudaine et réduite dans le temps, elle marque moins une
volonté de sécularisation qu’une forme messianique de rupture qui vient rompre
l’ordonnancement de l’ensemble des rites religieux. Or ce geste est inséparable du nouvel
ordre social mis en place par les anarchistes, ordre où s’agencent la collectivisation des terres,
des industries et des services.
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Il est possible qu’Orwell ait été victime d’un contre-sens auprès de ses contemporains. En
effet, là où il suggère que l’expérience révolutionnaire est fugitive et doit absolument
s’éduquer si elle veut être autre chose qu’un feu provisoire bientôt défait dans les cendres
d’une dictature implacable, les contemporains antifascistes perçoivent surtout l’usage que fera
de son ouvrage la cinquième colonne tapie dans tous les pays démocratiques, présence
sournoise et propice aux soupçons qui rendit parfaitement crédible, auprès des cercles
antifascistes, l’existence de cette sorte de Bête fabuleuse fabriquée par les procès de Moscou,
l’hitléro-trotskyste.
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Il y aurait un lien entre l’OVRA, la police secrète au service du Duce, le SIM du général
Roatta, barbouzes à médaillons fidèles à la dynastie des Savoie et l’Abwehr de Canaris,
chaîne dans laquelle se situe la Cagoule. En 1944 la liquidation de Deloncle par les balles de
la Gestapo dénoue le lien et sa nature, 20 juillet 1944 ? Exécution de Ciano ? Pendaison de
Mussolini ?
On peut emprunter le chemin des mœurs particulières comme les appelait Roger Peyrefitte.
On découvre alors que Deloncle était un homosexuel discret donnant sa femme en gages au
beau Jacques Corrèze. Aussi le Guide suprême de la Cagoule se révèle aimanté par le neveu
de l’Inspecteur Bonny, clef de voûte de la Gestapo française, un certain Jean-Damien Lascaux
qui sert d’appât pour le compte de Daniel Fernet alias « Duval ».
Si les Croix de feu ont droit au sobriquet de froides queues, on découvre sur le revers du
CSAR des tatas hautes en couleur et romanesques.
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Du côté des couleurs, Jean Fontenoy, membre du MSR de Deloncle en 1941, opiomane,
alcoolique, très en jambes avec les allemands portés sur l’amour grec revus par Arno Breker,
bretteur émérite, aimant les coups de feu et la bagarre prêt à périr éventré sur une baïonnette
soviétique.
Du côté du larmoyant, François Sentein qui fit libérer Jean Genet du camp des Tourelles le 14
mars 1944 avant d’être remercié devant le comité d’épuration par l’orphelin incandescent qui
le chargea de plus belle avant d’écrire Pompes funèbres. On ne sait s’il lui lança son
apostrophe célèbre, « assieds toi sur ma bite et causons » mais ce qui est certain, c’est que le
beau Jean n’hésita pas à charger la mule pour sauver ses miches.
On dira c’est humain, on n’en aura pas moins oublié que Genet a toujours manqué à la simple
morale pour se camoufler derrière le tutu en béton de la création comme si celle-ci écrasait la
première, comme si elle relevait du même ordre. La saloperie du quotidien reste toujours la
saloperie même pour celui qui transfigure la vie dans ces fragments d’éternité que sont les
œuvres.
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Celui qui prétend qu’une œuvre se mesure à l’aune de la morale usuelle est un benêt, celui qui
voudrait sacrifier le souci d’autrui à l’œuvre est inconséquent.
Dans les deux cas, on est incapable de voir en quoi ces ordres sont comme l’ombre portée du
spirituel et du profane, ce qui fait que l’homme est homme et non un fétu emporté dans les
vespasiennes du Temps.
Pour revenir à nos cagoulards, doit-on croiser la série tatas énigmatiques, l’Europe gay-cuir et
battle-dress avec une Europe des services secrets et des barbouzes écumant le continent de
règlements de comptes en trafics d’alcôves ?
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48
Au tournant des années 1930, Bataille rejoint la Critique Sociale de Souvarine avec Jean Piel,
Leiris, Queneau, Jean Bernier, et Colette Peignot (sous le pseudo de Claude Araxe) qui
finançait la revue. Celle-ci liée au Cercle Communiste Démocratique attire Simone Weil qui
perçoit tout de suite le conflit central entre la ligne Souvarine et la ligne Bataille, lignes qui
passent par la conquête d’une femme qui en sortira ravagée, Colette Peignot.
Bataille entend conserver le feu de l’insurrection qu’il conçoit comme l’état permanent d’une
République et la résultante d’un état immoral de l’homme assurant, par la honte qu’il ne
manque pas d’inspirer, un mouvement perpétuel. Une telle approche de la Révolution
rencontrait l’orbe du fascisme car la pensée de Bataille était contre, tout contre le fascisme.
Simone Weil, sous le choc de l’accession d’Hitler au pouvoir dont elle est une des seules à
percevoir les conséquences, note « il est inutile et déshonorant de fermer les yeux. Pour la
deuxième fois en moins de 20 ans, le prolétariat le mieux organisé, le plus puissant, le plus
avancé du monde, celui d’Allemagne, a capitulé sans résistance. La portée de cet
effondrement dépassé de beaucoup la limite des frontières allemandes ».
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Bataille bricole sa théorie du fascisme. Il va chercher chez Durkheim une conception du sacré
où le sain et le souillé se mêlent, sauvant le prolétariat pour conclure que le fascisme n’est pas
révolutionnaire car il se veut intégrateur d’une seule face du sacré, la plus noble.
Que le nazisme soit la tentative conjointe de produire un homme épuré et un homme-déchet,
sans doute Bataille l’a compris, mais plus tard, trop tard, d’où son repli sur l’expérience
intérieure. Dès l’automne 1935, André Masson lui écrivait « je crois que se réclamer si peu
que ce soit du marxisme est une erreur, c’est se réclamer d’un échec […] je suis sûr que tout
ce qui reposera sur le marxisme sera sordide parce que cette doctrine repose sur une idée
fausse de l’homme »
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Jean Filliol fut arrêté par la police à deux reprises, la première après le meurtre des Rosselli, la
seconde parce qu’il perdait des cartouches d’un véhicule. Dans les deux cas, il fut relâché.
Le fion tout encrassé, occlusion intestinale tassée, une poire de lavement entre les cuisses, le
tueur avançait, il ne parlait pas, aphasique, il grognait, les paroles se muaient en un boyau
épais de merde, cela lui labourait le ventre à chaque embardée d’acier dans le corps affaissé et
saignant, c’est l’étron à la fenêtre que Filliol avait repris l’arme de son père brisée pour la
planter dans le squame putrescent des ennemis de Dieu, qui n’étaient que les victimes d’un
sacrifice. Celui qui vient, quand tous les chats sont gris.
Car Jean Filliol était de ceux qui voulaient les juifs clignotants et les autres, un trait sans
équivoque à la pointe de l’iris, un trait qui désigne, il voulait du référent à sa haine fécale qu’il
prenait pour une sentence divine.
La vérité des gestes de Filliol est dans l’écart.
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Il tue sans commettre d’homicide, ce qui le tient dans l’exception à la règle juridique, mais
aussi sans célébrer de sacrifice, ce qui le maintient hors du sacré. Il appartient lui, sa merde
occluse et ses victimes à la sphère souveraine de la violence fondatrice en attente d’un ordre à
venir, celui des camps.
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Après le coup d’Etat manqué de novembre 1937, Filliol comme Jeantet et les Marton sont
hébergés à San Remo.
Filliol a une femme Alice/Françoise.
Il la suspend du haut d’une loggia chaque soir, par les pieds, par rage et plaisir, pour lui sentir
le moite du front, pour dériver la sueur, pour s’éventer en tout puissant, en ordonnateur de vie.
Il la tient trois mètres au dessus du sol, il gueule qu’il la lâchera, on le supplie, il jouit des
suppliques.
Il se vante d’avoir éviscéré un juif pour lui dérober sa carte d’identité, gratuitement il va sans
dire. Filliol n’est pas Shylock, puis Jean rejoint San Sebastian où il alimente les brigades
carlistes, orphelines du prétendant.
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51
Filliol est déclaré à la mairie de Bergerac sous les auspices d’un policier. C’est le fils d’un
sergent qui travaille à la caserne de Bergerac. Études médiocres, il déménage à Angoulême,
même lycée que Claude Roy ou François Mitterrand, lugubre.
Claude Roy dans ses mémoires décrit ainsi son Thélème, « j’ai rarement rencontré plus
grande densité de demi-déments, de maniaques, de névrosés, que dans le périmètre du lycée
d’Angoulême, pendant mes six années de réclusion ».
Suivent les portraits de professeurs, une folle sadique aux joues fardées, un ivrogne porté sur
les confidences gastriques et conjugales, « succession surprenante de maniaques, de
tortionnaires tordus, et de guignols en chaire ».
Puis Filliol devient papetier et monte à Paris, il eut deux enfants. Selon Coignard et Guichard,
il est employé aux messageries Hachette.
100
Après chaque meurtre, il prierait « Seigneur, faudra t-il qu’on les égorge tous ? », encore le
mythe, la rondelle catholique, le Moïse du pauvre et des brebis égarés, la grande faucheuse
toutefois, car de Moïse il faut effacer le nom à l’ombre de la Croix, il faut effacer jusqu’aux
cornes énigmatiques qui le symbolisent hors de la série des démons.
101
52
Comme tous les voyageurs de commerce, Filliol aime la compagnie de certaines femmes.
Il les arrache de bordels en bordels, du mascara et du rimmel sur les chemises, du rouge à
lèvres à la pointe du gland, du sperme coagulé dans des cavités sacrées qu’il devait prier le
rectum encombré, l’aspirine solide, les bourses pleines.
Comme tous les violents c’était à ses heures perdues, une loque pantelante, un pauvre
nounours minable quémandant sa ration de pansements à Bobonne.
Dans sa chambre de San Sebastian où s’active Alice/Françoise, entre deux tournées de coups
de poing et de coups de pieds, on trouve du bicarbonate, du sulfate de soude, de la quinine, de
la clamine, de l’idiotine, tous produits estampillés Bayer, IG Farben donc.
Suivent les formes, cachets, comprimés, compresses, bouteilles d’eau chaude et différents
modes d’administration bien répertoriés, flacons, fioles, sachets, seringues, ampoules.
102
L’homme qui veut bouffer un youpin à chaque déjeuner est une pharmacie ambulante
accompagnée de son infirmière, l’Ogre est un petit enfant sanguinaire qu’on appelle le beau
Fifi.
103
53
Le nom espagnol des conjurés de la Cagoule, los encapuchados rend compte du caractère de
l’entreprise entre Zorro et un épisode de Cantinflas.
104
54
Le rapport Chavin, du nom du préfet commis à la Sûreté générale par Darlan, aurait été
rédigée par un dénommé Husson qui sous le pseudo de Geoffroy de Charnay relance le mythe
de la Synarchie dans l’après-guerre. Aussi Le mythe tient la synarchie pour la fondatrice de la
Cagoule.
105
55
Assassinée par les cagoulards en mai 1937, Laetitia Toureaux était italienne et se faisait
appeler Yolande. Elle devait travailler à arracher des maxillaires son accent, elle trimait à
l’usine le jour, fréquentait les bals musette le soir et oeuvrait pour l’agence de détectives
Rouff.
Elle voulait le dehors des néons prolétaires, pas le flon-flon et musette mais la piste de la vie à
tout prix, la grande valse et les bas de chair.
Gabriel Jeantet fut son amant, cela suffit à la peindre en donneuse, cela suffit pour la Cagoule,
à moins qu’on ne l’ait dénoncée. Gabriel a dû approuver, baisser la tête, regarder ses
chaussures et, entre deux poignées de main gantées avec svastika, il lui ait sorti des lèvres, la
formule, je dirai le formulaire d’exécution.
Filliol se chargea de la besogne avec célérité.
106
C’est comme danseuse qu’elle connut les officiers d’extrême droite que charmait la jeune
italienne ouvrière délicate, un peu ramasseuse d’hommes et croqueuses de mitaines et
portefeuilles, cocotte au temps où les Odette de Crécy allaient rencontrer l’Histoire,
d’archives et de balles perdues. Elle fut la première des âmes vives sur l’almanach.
C’est comme fait divers qu’elle finit dans un wagon de cette ligne que j’emprunte au
quotidien, coincé dans les boucles d’une Marne qui charrie ses rêves de calicots. Pour
paraphraser Eluard, on pourrait écrire comme épitaphe :
Yolande rêvait de bains de lait
De belles robes d’uniforme frais
De belles tentures de calicots impurs
Un jour il n’y aura plus de cette misère
Dans les jardins de la jeunesse
Yolande a rêvé de défaire
Fut défaite
Par l’affreux nœud coulant des rêves de richesse
107
56
Selon les carnets d’Alexandre Corre, dit Dagorre, Filliol aurait proposé, en guise de
provocation, la liquidation du staff de l’Action Française (Maurras, Pujo, Daudet) et ce afin
d’interdire le PCF, accusé parfait, porteur comme on dit en Bourse.
Thibault, un camelot du 17ème que ce genre d’esprit plaçait en génuflexion éternelle fut
menacé deux fois, donc on le fit taire, « tu n’ as rien vu, rien entendu ou tu mourras, tu es
notre chose, la terreur dans tes yeux, n’oublie pas ce voile là ».
Les obsessions de Dagorre : la baisse du franc et des rentes, l’amoralité, la racaille rouge, le
débarquement des « sidis », le complot judéo-bolchévique emmené par l’employé de
l’ambassade soviétique Souritz.
Il partage ses phobies avec les rentiers, les épargnants, les retraités spoliés par la politique
désastreuse du Front Populaire qui provoque une dévaluation monétaire de 37 %, une
thésaurisation panique de l’or, une accélération de l’inflation, un alourdissement des charges
sociales pesant sur des PME exsangues.
108
Daniel Guérin écrivit, « de toute évidence, si le Front Populaire persévérait dans cette voie, il
finirait par dresser contre lui, avant longtemps, la plus grande partie de la petite bourgeoisie ;
il fournirait lui-même au fascisme, jusqu’alors impopulaire, une base populaire »
109
57
Le style des coups de fil cagoulards rappelle le Cocteau du testament d’Orphée : « Va au 11,
Minerve te dira le lieu et le cuisinier, l’heure », le style des énoncés, la rhétorique Alexandre
Dumas « les 90 juifs du gouvernement à la solde de Moscou ».
Le serment de la Cagoule : « Je jure fidélité et obéissance. Toute contravention à la règle
entraîne la peine de mort ». L’adhérent est appelé l’abonné, il prête serment, le bras tendu.
Qu’un abonné puisse être condamné à mort est d’une bouffonnerie qui échappe apparemment
au sens du ridicule du staff cagoulard. Fidélité et obéissance renvoient à la première des
vertus chrétiennes, contravention emprunte au vocabulaire juridique, règle sort du domaine
monastique, peine de mort, de la sentence qui suit la désertion ou la trahison, la Cagoule
annonce donc ce qu’elle est une instance de souveraineté qui entend restaurer un ordre
chrétien.
Le code de la Cagoule userait de trois ouvrages : Les mémoires de Raymond Poincaré,
L’Histoire de France de Bainville et Reading in money and banking de Chester Arthur
Philipps. Le 1er chiffre indique la page de l’ouvrage, le 2ème la ligne où se reporter, le 3ème
la position de la lettre dans la ligne. De plus, les ingénieurs de l’organisation y ajoutent le goût
des schémas et des plans.
110
A la villa « La futaie » à Rueil-Malmaison, une prison est construite afin d’y interner avant
jugement les ennemis du peuple, où l’on voit que les brigades rouges ont trouvé dans les
vieilles recettes de la Cagoule une partie de leur répertoire. La question reste, qui leur a
transmis un tel répertoire ?
111
58
Trois hommes assurent le contact de la Cagoule avec les autorités de l’Italie fasciste : Le
général Roatta du SIM, Emmanuele Santo, l’homme du contre-espionnage et le chef de
cabinet du comte Ciano, Filippo Anfuso. En outre, les italiens avaient des relais à Marseille,
Perpignan, Saint Jean de Luz.
112
59
Arrêté par la Sureté, Jean Filliol ne fut pas cuisiné comme l’étaient les truands, menottes sur
le radiateur et tabassage en règle jusqu’à ce que l’évanouissement s’en suive. Voici le genre
d’interrogatoire mené par le commissaire Belin « pourquoi avez-vous arrangé un alibi avec
MB (son dentiste) ? », puis face au mutisme de Fifi, il tente de le mener en bateau d’une
manière aigre-douce (« MB est à coté, vous trompiez votre femme, n’est-ce pas ? »). Dès lors,
les policiers le laissent une demi-heure seul dans la pièce, enfin ils lui parlent d’un accident
avec deux victimes et s’empressent de le libérer.
Filliol au moment des arrestations est déprimé, seule Pierrette l’a planqué et Orain l’a conduit
sous la neige et la pluie hors de Paris malgré les barrages si bien qu’il ne trouve dans les rangs
de la Cagoule qu’un ramassis de dégonflés craignant la police.
Filliol prétend avoir besoin de femmes, il dira « ma femme ne m’intéresse que lorsque j’en ai
connu d’autres, je suis comme ça » qui sonne chanson de marin ou de bistrot. Il se prétend
atteint de bougeotte mais s’attache à Eugène qu’il adule, à Alice/Françoise qui le soigne, à la
famille qui l’a couvé.
113
Proche de l’occlusion intestinale, Filliol subit, de la part de Françoise/Alice des lavements,
fantasme de sodomie, entrepôt gastrique, grande bouffe ?
A la frontière espagnole, sur le chemin de l’exil, Jean Filliol porte la mère de Corre sur son
dos et cueille des fleurs de France à la frontière, il a la tripe sentimentale le genre à rouler sa
bosse des cailloux dans les poches, larmes aux yeux et le nom de maman à la bouche, comme
susurré.
114
60
Maurice Juif (assassiné à la mi-décembre 1936, son corps est découvert le 8 février 1937 à
Corrialo en Italie) et Léon Jean-Baptiste (assassiné le 26 octobre 1936, sa valise est
découverte à Bruxelles) sont des trafiquants d’armes qui opéraient pour le compte de la
Cagoule en Belgique. Devant des soupçons d’escroquerie, un émissaire du CSAR débarque et
enquête. Juif et Jean-Baptiste achetaient leurs armes à Froment, ami de Degrelle, chef des
rexistes d’Anvers et administrateur de la société ARMAT (24 place Meir). Les deux hommes
liquidés, Gabriel Jeantet reprit les contacts avec Froment.
115
61
Les départs de l’Action Française commencent en janvier 1930 par l’exclusion des dirigeants
parisiens dont Henri Martin. Jean de Fabrègues est de la fournée. La rupture s’opère sur la
question corporative, qui est celle de l’action sociale, donc de l’action tout court. D’autre part,
au sein du salon de la comtesse de Castellane, Mussolini passe pour un rempart de la
monarchie alors que Maurras entretient une correspondance mielleuse avec Poincaré,
poursuivant la chimère bleue horizon de l’Union sacrée d’août 1914 voire l’espoir d’un ordre
français s’imposant à l’Europe via la vassalisation de la Ruhr.
Les départs de 1930 sont le premier symptôme de la désaffection des composantes de la droite
française envers le magistère maurrassien qui s’impose entre 1913 et 1926. En effet, la
condamnation pontificale de 1926 a paru, dans un premier temps, renforcer la solidarité
envers les membres d’un mouvement catholique auxquels certains prêtres allèrent jusqu’à
refuser les sacrements.
116
Toutefois, l’indignation passée, le ravage d’une telle condamnation apparaît nettement
puisque l’Action Française perd, à la fois, une partie du public catholique gagné aux thèses de
la démocratie chrétienne et la jeunesse intellectuelle qui entend se trouver de nouveaux pères
tutélaires (Bernanos en fut un) ou une école d’énergie flirtant peu ou prou avec le fascisme.
Aussi, en avril 1937, Maurras enjoint Maulnier de rompre avec la Cagoule évoquant des
«liens désastreux ». Mais, les anciens de l’Action Française passaient pour des intellectuels,
des entités trop raffinées, trop subtiles, en un mot des efféminés vieillissants, de vieilles
rombières, des pouffiasses pontifiantes, à éliminer.
Sur les murs de Paris selon Claude Roy on voyait sur une affiche, un pochard, avec comme
slogan « Un pernod pour Arthur ». Maulnier selon Cl. Roy « grand dadais myope et timide
qui couvrait à la Coupole des pages et des pages… » ; J-P Maxence « un fol hérissé de
cheveux pointus en perruque de clown 1900, dents gâtées et débit fébrile », des diaphanes, des
timides prêts à l’insurrection.
117
62
Dès décembre 1936, une campagne s’ouvre à droite contre le colonel de la Rocque (sur fonds
d’aide au PPF et à la Cagoule). C’est la défaite législative de Doriot à Saint-Denis en juin
1937 qui marque la régression du plus célèbre des communistes passé à l’ennemi. Wendel de
son comptoir sidérurgique, dès la fin du mois de juin 1937, annonce au leader du PPF la fin
du soutien financier du Comité des Forges.
118
63
Les deux frères La Roque travaillaient pour le prétendant et Alibert fut le professeur du comte
de Paris qui comptait sur les Ligues, la complicité de l’armée et la sympathie des classes
moyennes pour s’emparer du pouvoir. On attend disait-il « de jeunes âmes ardentes, des corps
sains, une parole facile, la discipline personnelle d’un militaire, l’attitude devant la vie d’un
chef, d’un organisateur, de quelqu’un qui manie de l’humain ». Convaincu de l’inertie du
vieux Charles, entre le 22 novembre et le 3 décembre 1937, le Prince rompt avec l’Action
Française.
Jean de Fabrègues comme Thierry Maulnier ont collaboré au Courrier Royal, de plus le comte
de Paris a entretenu des relations avec Lemaigre-Dubreuil et le général Lavigne-Delville
(chroniqueur militaire de l’Action Française), il n’est pas impossible que l’entreprise
cagoularde lui ait été rapportée et qu’il a pensé s’en servir afin d’accéder au trône.
119
64
E. Deloncle eut droit à deux perquisitions : la première au 2 avenue Rodin (XVIème) le 16
septembre 1937 alors que Badin est commissaire principal ; l’autre le 20 novembre du fait du
commissaire Emile Jobard. Bien sûr à lire le nom du tandem, Badin/Jobard on se dit que du
côté de la Sûreté, l’heure était à la franche rigolade.
La majorité des archives de la Cagoule étaient au 78 rue de Provence. Elle semblent depuis
s’être volatilisées.
Une partie des fonds de l’enquête judiciaire a disparu sur une péniche évacuée en direction du
Tarn et Garonne avant l’arrivée des allemands, cela se passait durant la débâcle mais des
fonctionnaires furent assez consciencieux pour amasser les cartons bien tassés dans une cale
de navire filant doux vers Montauban.
120
65
Les organisations satellites de la Cagoule sont les suivantes : à Clermont-Ferrand (Les enfants
d’Auvergne), à Lille (Le nord patriotique), à Lyon (le lyonnais réveillé), à Nice (les chevaliers
du glaive), à Nancy (le cercle bleu blanc rouge).
Le fils Michelin est tué lors d’un accident de voiture en 1937
121
66
Dans l’atmosphère saturée de sperme de la drôle de guerre, Hélène de Portes, maîtresse de
Reynaud mène la danse gouvernementale. Le propre beau-frère de la Dame, va t-en guerre en
septembre 1938, l’a désormais convertie à l’apaisement informe des intrigues du jour à son
corps pas très défendant et via un agent nazi, Otto Abetz. C’est elle qui pousse Baudouin au
secrétariat général du gouvernement, c’est elle qui téléphone, réquisitionne et foudroie.
Dans l’histoire des genres telle qu’elle s’énonce aujourd’hui de tels épisodes sont comme
évités, perdus, on ne sait où les mettre, que vient faire cette Diane en kit et son Henri II de
boulevard sinon rappeler qu’en République ne s’épuisent jamais dans la lueur des boudoirs
que des catins fortunées toujours à la recherche d’un rôle.
122
67
La liaison entre Unity Mitford et A. Hitler ne figure pas dans les livres d’Histoire. On la dit
platonique et intéressée. Un historien britannique prétend qu’Hitler conserva Unity auprès de
lui afin de propager des rumeurs dans les élites britanniques.
Pourtant lorsque cette dernière se tira une balle dans la tête, lors de la déclaration de guerre en
septembre 1939, le Führer vint non seulement à son chevet à plusieurs reprises mais lui permit
de quitter le pays.
Albert Speer plus perspicace remarqua tout de suite que l’adulation de la jeune anglaise pour
ce bavarois d’adoption lui plaisait, que le petit caporal aimait les deux yeux écarquillés et
cette bonne humeur espiègle où il pouvait discerner le parfum d’amour qui montait du pays et
plus largement des cavités utérines de la race aryenne disséminée.
Unity rendit folle ses parents et toute l’Angleterre quand elle envoya à l’organe du
pornographe Julius Streicher, Der Stürmer, sa lettre où elle voulait annoncer au monde entier
qu’elle haïssait les juifs et ce au moment où Mosley opérait son tournant antisémite et se
mariait dans le plus grand secret à Berlin.
123
Car entre temps, Diana était devenue, non seulement, une intime d’Hitler avec lequel elle
passait seule à seul, de longues soirées, mais aussi avec Magda Goebbels, divorcée du
millionnaire Quandt, et triste épouse d’un homme dont elle ne pouvait se séparer sur ordre
d’Hitler.
Lors des Jeux Olympiques, Diana fut de toutes les fêtes, elle dîna dans un bivouac SS,
contempla Goering en justaucorps jaune safran, fut de la party de clôture de Goebbels avec
ses deux mille invités. Le nazisme ressemblait vu du prisme des deux sœurs à un happening
coloré où de beaux garçons sains de corps et d’esprit gambadaient tenus en laisse par une
noblesse d’excentriques et de non-conformistes.
124
68
En 1940, sort le Juif Süss de Veit Harlan, une adaptation-trahison de l’ouvrage de Lion
Feuchtwanger. Le film voulait démontrer par une succession de fondus-enchaînés intensifs la
nocivité intemporelle du juif. François Vinneuil, alias Lucien Rebatet, dans Je Suis Partout y
vit une « œuvre d’une portée vaste et sérieuse », il voulait dire un prélude au règlement
définitif du problème juif et du problème français, le fondement esthétique d’une refondation
de la communauté des hommes, de la communauté raciale. Feuchtwanger avait tracé le destin
de Joseph Süss Oppenheimer, juif de cour du XVIIIème siècle selon une optique opposée, le
juif était la victime expiatoire éternelle, la victime avec un grand V, l’agneau du monde.
Les destins de ces deux hommes se croisent donc. Dans les années 1920, Lion Feuchtwanger
est un auteur à succès et qui, malgré les exils en France et aux Etats-Unis, le restera toute sa
vie. Veit Harlan débute comme acteur aux côtés d’Alexandre Moissi et sous la direction de
Max Reinhardt. Il est alors l’ami du comédien communiste Hans Otto que les SA
défénestreront un jour de novembre 1933. Sa première femme est juive, visiblement rien ne le
destine à devenir le cinéaste le plus populaire du Troisième Reich
125
Le nazisme transforme le destin des deux hommes, l’un devient un idiot utile de la
propagande communiste, le second le jouet de Goebbels et de sa future femme, Kristina
Söderbaum. Quelque bourgeoise qu'ait été l’existence de Feuchtwanger durant les années
1930, il n’en joue pas moins un rôle essentiel dans les rouages de la propagande antifasciste
que mettent en scène le Kremlin et le talentueux Willy Münzenberg. Il occupe la direction
avec Brecht de Das Wort et participe au Congrès pour la Défense de la Culture. Lorsque
l’Emergency Rescue Committee donnera pour mission à Varian Fry de sauver les artistes
exilés en France, il figure en bonne place sur une liste de 200 noms. Aussi, après un passage
dans le camp des Milles, où, à 55 ans, il est astreint à effectuer des travaux à la fois pénibles et
inutiles, il gagne les Etats-Unis à bord du Nea Hellas qui débarque son lot de réfugiés
célèbres le 13 octobre 1940.
Après quelques essais concluants, Goebbels commande à Veit Harlan, dès 1939, un film qui
s’inscrit dans la propagande antisémite du régime consécutive à la Nuit de Cristal. Le Juif
Süss n’est donc qu’un des quatre opus chargé d’expliquer à la communauté du peuple, comme
on dit en langage nazi, la ligne du régime en matière de judéophobie. Entre novembre 1939 et
mars 1940, le scénario est ficelé avec l’aide de deux co-scénaristes. Lors du tournage, tous les
plans sont supervisés par Goebbels qui apporte donc sa touche d’artiste raté. Bien entendu, la
réalité historique est travestie.
126
Ainsi dans le film, Joseph Süss viole Dorothéa, la fille du président de la Diète du
Wurtemberg alors que dans la véritable histoire, c’est le grand-duc qui la pousse au suicide
par ses avances répétées. De même, dans le film, Süss est condamné pour commerce charnel,
dans la réalité pour crime contre l’Etat, en fait contre les grands féodaux qui ne lui pardonnent
pas ses tentatives de rationalisation de l’administration des hommes et des choses.
Ce film, au succès considérable, compte 607 plans. Trois juifs orchestrent le complot, Süss,
son secrétaire Lévy et le rabbin. Les 3 évitent la caméra, tous sont mats de peau et le cheveu
frisé ou ondulé. A ses trois personnages s’opposent Sturm, Roeder et Faber, les bons aryens.
Au chapitre de l’antisémitisme expliqué aux allemands de 1940 et à tous les peuples de
l’Europe occupée ensuite, les groupes de juifs sont composés d’hommes, le plus souvent
vieux, ils accaparent donc à leur profit les filles nubiles et jettent, à la manière de Süss, leur
dévolu sur les femmes des gentils qu’ils corrompent (les courtisanes), séduisent (la duchesse)
ou violent (Dorothéa).
127
Le juif constitue donc par son existence un péril à la fois sexuel et racial car les femmes
aryennes, de part leur faiblesse de caractère, sont incapables de leur résister, c'est là le point
faible du dispositif aryen, retour à Pandora. Quant à la seule juive qui apparaît dans le film, le
corsage débraillé, elle côtoie un vieillard (les juifs sont aussi incestueux) et suce un objet nonidentifié (les juives sont lubriques), ce qui explique le goût des juifs pour les aryennes et celui
des aryens pour de telles cochonnes.
Quant au procédé filmique, l’usage répété des fondus enchaînés illustre la capacité de
métamorphose qui est celle du juif, car le juif n’a aucune substance, c’est une anti-race. Aussi
Harlan multiplie les métaphores et les transitions. On voit donc les papillotes et le caftan de
Süss disparaître au profit d’un accoutrement des plus raffiné (le Juif c’est Houdini), l’or qu’il
possède se transformer en ballerines destinées à ruiner le prince via des dépenses somptuaires
(le juif est maître de l’usure et des désirs), son sabir de ghetto se transmuer en un usage raffiné
du français (le Juif est cosmopolite) destiné à masquer ses appétits sexuels voraces par une
courtoisie qui n’est que feinte, car le véritable amour n’a pas besoin de parole, c’est une
question de race.
128
69
Dans cette masse grouillante de l’exode, le quart de la population civile française s’engouffre,
carrioles, voitures, camions, motos, tout est bon pour la cohue, les allemands y poussent, ils
traînent à l’aval de leur descente cette masse apeurée de pleureuses qui n’en finit pas de fuir,
tout se négocie, le vin, le pain, une grange où dormir, on siphonne la ville en maquignon, on
la saigne, on la vide, la France se découvre pour ce qu’elle est, une meute entourée de hyènes,
tandis que dans le ciel bleu d’acier les stukas pilonnent les colonnes en zig-zag des réfugiés.
Le frisson de la désagrégation est alors une trouée d’inconscient, la machinerie des corps mise
à nu dans l’espace déchirant de la vie qui tient dans le taffetas des tissus et des organes
ponctués de soubresauts.
C’était quoi Vichy ? Sinon le règne du Père de la Horde, une perversion intégrale des rites du
serment et de l’idée de Service, l’assomption des voyous de la Milice, avec un flux permanent
de jouissances inentravées.
D’abord Pétain, le vieillard libidineux qui montait dans les ascenseurs avec ses petites
secrétaires pour qu’elles lui astiquent le manche avec ardeur, le vainqueur de Verdun qui
envoyait les poilus à la mort en devisant sur un coin de table avec sa maîtresse du moment,
genre « en ce moment je pense à tes cuisses chaudes et à ta bouche fardée qui aspire mon
gland, l’offensive va commencer, j’aimerai bien perforer ton anse mais le devoir m’appelle ».
129
Cet homme qui exigeait le serment des fonctionnaires, ce vieux rite féodo-vassalique qui
comprend l’hommage, le baiser et la remise du fief. Le Maréchal avait bien sûr réduit le
serment à l’hommage, donc à une sorte de vœu monastique ordonné à une seule règle, suivre
en tout point le caprice de Philippe Pétain, nous Maréchal de France.
Idem pour l’idéologie du service indexée sur le Bien commun, sur la fonction protectrice de
l’Etat et que Vichy raccorde au culte des chefs, ce qui en détruit totalement l’efficace
puisqu’il n’y a plus de service que subordonné à la volonté et à la jouissance de tous les chefs
définis par Vichy.
En
premier
lieu
les
fonctionnaires
d’autorité
et
les
chefs
d’entreprise.
Le naufrage de l’Eglise de France commence là, quand elle obtient pour son soutien à
l’entreprise la plus crapuleuse, la plus libidinale qu’ait connu ce pays, le sauvetage financier
de son réseau scolaire.
Une affiche résume Vichy, on y voit un Père, une Mère, un Enfant, on y lit dans un premier
temps l’exaltation de la famille. Quand on fouille on découvre que le père est homosexuel, la
mère, une lesbienne déclarée, l’enfant, un pauvre hère qu’on a sorti de l’orphelinat. Vichy dit
ce qu’il est du mauvais théâtre de Boulevard, un décor en trompe l’œil ce que Truffaut
appellera le cinéma qualité France.
130
Quant à la Milice, c’est encore le Jean Genet de Pompes funèbres qui en parle le mieux. Un
collecteur de vieilles tantes vengeresses, de jeunes hommes apeurés qui attendent qu’un beau
viking les encule en utilisant le ceinturon et le costard Waffen-SS rutilant, un masochisme
permanent qui éclate en de brusques embardées sadiques et dans une cupidité sans frein.
En face, les résistants, les antifascistes. Des types pas drôles qui croient à la morale, qui vont à
la mort presque sereinement ne sachant pas d’où viendront les balles et les tortures qui les
achèveront, des catholiques qui glissent au communisme parce qu’ils y voient la seule Eglise
encore debout, une alliance étrange entre ceux qui pissaient sur le drapeau et la Gueuse avant
guerre et ceux qui vivaient drapés dans une rigueur tempérée d’un humour un peu vache, les
voici les troupes de l’antifascisme, une virilité qui oscillait entre Humphrey Bogart et Albert
Camus.
Jouisseurs et gnostiques contre réfractaires et le reste, au milieu, comme d’habitude.
131
70
Dans une thèse publiée en 1938, Les délits contre la natalité, le juriste Xavier Tallet estimait à
500 mille le nombre d’avortements annuels dans la France de la IIIème République. Défini
par le code Napoléon de 1810 comme un crime puis un délit par la loi de 1923 qui entendait
retirer des assises le jugement de tels cas qui se soldaient aux ¾ par des acquittements,
l’avortement connaissait des modalités diverses.
Du côté des remèdes de bonnes femmes, au rayon herboristerie, l’absorption d’armoise,
d’aloès, d’absinthe, de camomille et de cannelle était assez répandue, les plus téméraires
penchant pour ces véritables poisons qu’étaient l’apiol, la rue, le genévrier et le thuya.
Lorsque l’embryon avait pris ses proportions naissantes, une alternative s’imposait : soit le
percement de la poche amniotique, soit le décollement par injection vaginale ou intra-utérine.
Dans le premier cas, un instrument pointu et métallique était requis (aiguille à tricoter, épingle
à chapeau, tringle de rideaux, baleine de parapluie, stylet, bougie Chaumel), dans le second,
on usait d’une canule relié à un récipient rempli d’un liquide irritant (eau savonneuse, iode,
vinaigre, arnica, glycérine, éther, vin de quinquina, ergot de seigle, liqueur de Fehling).
Parfois un curetage hospitalier accomplissait l’acte final d’une séquence que les praticiens
baptisaient du nom anodin de fausse-couche.
132
De telles opérations n’étaient pas anodines puisque qu’1/5ème des femmes déposées à l’Institut
médico-légal parisien en 1941 furent victimes de faiseurs/faiseuses d’anges qui se formaient
parfois en syndicats ou en réseaux si on tient au vocabulaire moderne.
Si Madeleine Pelletier, en libertaire qu’elle était, agissait en militante féministe désireuse
d’éradiquer toute progéniture à venir, d’autres avaient pour vocation d’arrondir les fins de
mois en concurrence avec les sages-femmes qui avaient joui d’un certain monopole jusqu’aux
premières lueurs de l’entre-deux-guerres. Ainsi, dans une affaire levée en 1942 dans le sud du
département de la Vendée, on trouve dans ce syndicat local, côté praticiens : deux médecins
étrangers, une sage-femme, une institutrice suppléante et une veuve de guerre, assistés, côté
rabatteurs, de deux cartomanciennes, d’un directeur de colo, d’un agent d’assurances, d’un
gendarme et d’un chômeur.
Marie-Louise n’était pas seulement avorteuse, mais officiait comme Madame Claude libérale
auprès des services de la Wehrmacht en mal de petites fraulein. Elle avait donc transformé
son appartement de Cherbourg en clinique et en bordel, prélevant sa dîme sur les clientes en
activité et créant une sorte de Monoprix pour l’usage de la canule et celle de son tralala.
133
Marie-Louise avait cette particularité de cohabiter avec ses trois hommes : un ancien quartiermaître à la retraite, un manœuvre sur remorqueur et le chef d’un chantier de l’organisation
Todt. Côté rabatteuses : des cartomanciennes, dont l’une pensionnait un gigolo algérien
ramassé en fond de calle et une autre versée dans le catéchisme pour avoir fréquenté le
couvent de la Vierge-Fidèle dans le Calvados.
D’après son ex-mari, il arrivait à sa femme entre deux séances, l’une jambes en l’air, l’autre
agenouillée en position bricolage, de brandir dans la cuisine des fœtus dont elle demandait à
son mari de se débarrasser dans un jardin de la cité coloniale. Lorsque cette femme fut
exécutée pour sa mauvaise vie, les allemands avaient été effacés du tableau, les amants
comme relégués derrière les teintures et le mari classé dans la rubrique victime avec ces
femmes de rien, femmes particulièrement fécondes, épouses de prisonniers ou employées des
services d’occupation allemands qui voulaient arrêter la série des enfantements ou cacher la
faute devant le grand absent ou l’opinion.
134
En 1988, Claude Chabrol en fit un film, il y réglait ses comptes avec Vichy et la méchante
Eglise. Derrière la prière de sa Marie-Louise de celluloïd, son « je vous salue Marie pleine de
merde… », blasphème pour mou du bulbe, s’effaçaient les uniformes des allemands, le côté
jouisseuse sans cervelle de la petite paysanne mais aussi la fin de Louise M que l’avorteuse
avait traitée comme ses autres clientes mais qui en était morte.
135
71
Jean Filliol n’hésite pas à bastonner Reggiani après une représentation des Parents Terribles
au Gymnase en novembre 1941. Alors que le poète aux bouclettes de moutons sages est sous
la protection des autorités allemandes, la presse collaborationniste s’insurge contre une œuvre
qui trace la déchéance de la figure paternelle. Selon le biographe officiel de Cocteau, Filliol
aurait jeté des rats sur la scène afin d’interrompre la représentation, tout en tenant Reggiani
par la robe de chambre. Le critique de Je suis Partout, vitupère contre les grands-pères des
latrines et les grandes-tantes de la petite secousse, dépassant Drieu qui se contentait de pointer
de son mépris les « pédés précieux » sur lesquels s’abattait la vieille condamnation grecque
contre la passivité.
On recense une attaque à la boule puante et à la bombe lacrymogène. Cela, le biographe en
mal de sensation forte et très oublieux de la fierté de Cocteau envers ses ventes dans le grand
Reich, ne le dit pas, l’honneur est sauf.
136
72
Une source prétend que Jean Filliol revient d’Espagne en 1941, qu’il est soupçonné d’avoir
participé à l’attentat contre Laval et Déat la même année puis qu’il fut interné une année
durant au camp de saint Paul d’Eyjeaux près de Limoges ; une autre source situe son
internement en novembre 1942 et les causes de cette mesure administrative dans le fait qu’il
aurait accusé un membre de l’ambassade allemande d’être un franc-maçon, il aurait été sorti
un an plus tard du camp sur intervention de Darnand ; Laval lui-même aurait donné l’ordre de
l’interner en novembre 1942 et Darnand de le libérer au printemps 1944.
Une seule chose est sûre, de 1941 à 1944 c’est l’appareil SS qui le tient en appendice, je le
soupçonne de se secouer dans un château l’autre sous le nom de Restif, en ulmard
contorsionniste, dernier avatar du maquis brun, toujours aiguilleur vers le train d’enfer qui
conduit tout le beau monde dans un compartiment du Kaiser vers la dépouille de Bichelonne.
Marx-Dormoy, l’ancien ministre de l’Intérieur du Front Populaire qui diligenta les enquêtes
contre le CSAR, est assassiné, le 26 juillet 1941, par Vaillant, Meynier, Guichard et une
femme, Annie Mouraille. On efface donc les protagonistes après que les archives ont disparu.
137
Selon Henri Amouroux, le double attentat contre Laval et Déat du 27 août 1941, fut perpétré à
la caserne Desbordes de Versailles vers 18 heures, par Paul Colette (« grand garçon roux »). Il
blesse Laval près du cœur, Déat à l’estomac et au colon, enfin le colonel Duruy et le
légionnaire Besset. La scène se déroule lors d’une remise de drapeau à la LVF et le grand
roux eut le temps d’extraire de son 6.35 Unic, 5 balles qui attinrent toutes leurs cibles.
Laval, pendant une demi-heure fut laissé sans soins, ce qui déclenchera tous les mécanismes
de paranoïa critique dont il était capable. Paul Colette est condamné à mort le 1er octobre
1941 puis gracié sur l’instance de Laval le 3, enfin déporté en janvier 1943 à Neue-Brenien,
Mathausen puis dans trois autres camps allemands. Le parcours du meurtrier le range parmi
les activistes de droite.
En effet, Paul Colette est né le 12 août 1920, c’est un ancien adhérent du PSF mais aussi un
marin qui avait acheté son flingue le 1er juillet 1941 à Bône, ce qui suppose pour le moins une
certaine préméditation. Ce qui emmène par glissement à la thèse du complot visant à abattre
le « Président ». Laval aurait été attiré à la réunion par un coup de fil de l’adjoint de Deloncle
au MSR, Vanor ( alias Van Ormelingen ancien fonctionnaire colonial).
138
Pour sa part, Cointet dans sa biographie de Laval prétend que tout s’est passé vers 18 heures
30, que 5 personnes furent blessées, que Colette était ouvrier-ajusteur et qu’il ne fut transféré
en Allemagne qu’en février 1944. Reste que l’hypothèse d’un complot cagoulard visant à
abattre Laval et Déat d’un seul tenant suppose la complicité allemande et pour le moins la
neutralité de l’équipe Darlan.
En effet, lors de l’année 1941 le désir d’Abetz est de créer un parti collaborationniste unique,
aussi l’hypothèse d’un attentat contre Déat/Laval en phase avec l’ambassade allemande n’est
pas à écarter comme purement fantaisiste. Socialiste de formation, Déat y verra la main d’une
société secrète européenne, la Synarchie, la Cagoule jouant le rôle de cache-sexe de ce
complot immense dont lui, Déat, aurait su déjouer et dénouer les fils et intentions.
Le 23 septembre 1941, Antoinette Massé dite Tania, secrétaire générale du Mouvement social
de l’entraide des femmes françaises d’Eugène Deloncle disparaît. Elle fut assassinée alors
qu’elle devait se rendre à un rendez-vous important dont la nature n’est pas précisée.
Le 12 octobre 1941 : la rupture intervient entre le MSR d’Eugène Deloncle et le RNP de
Marcel Déat
139
Au sein du MSR, siègent le général Lavigne-Delville, Eugène Schueller, Georges Soulès
(futur Raymond Abellio après son passage en Suisse). En mai 42, Georges Soulès débarque
Deloncle et Schueller se retire. C’est la fin de l’option collaborationniste du côté d’Eugène
Deloncle.
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73
Selon Kuisel, le pacte synarchique est un tract martiniste. La filière du tract passe par le
colonel Heurteaux qui le donne à Groussard qui le refile à Martin qui le transmet à Pétain. Or
tout démarre avec un suicide, daté du 19 mai 1941. Suicide qui serait la preuve de l’existence
d’un méta-complot qui aurait fini par liquider l’un de ses initiateurs, le polytechnicien Jean
Coutrot, membre d’X-Crise qu‘il est assez mal venu de confondre avec X-Files. Reste que
Pierre Constantini et Jean Mamy (l’Appel et Au pilori) reçoivent le tract le 5 juin 1941.
Le commissaire Chavin prend alors possession d’un rapport signé Raoul Husson sur la
synarchie entre la fin juillet et le début du mois d’août 1941. C’est à ce moment que
Constantini et Déat relancent la polémique, depuis Paris, et alimentent véritablement la
rumeur du complot.
Du 8 au 16 août 1941, la Gestapo, intriguée, entreprend quinze perquisitions en rapport avec
l’existence du complot synarchique (Raoul Husson, Jean Coutrot, Gérard Bardet, Jacques
Branger et sa maîtresse Nicole Terkon, René Gillouin sont concernés). Parmi les secrétaires
de Coutrot, l’un, Franck Théalet, meurt une semaine avant le suicide de son patron dans un
hôpital. Le second, Yves Moreau, un mois après Coutrot. Toutefois ce dernier a le bon goût
de s’éteindre à son domicile. Henri Brûlé, le beau-frère de Coutrot meurt d’une crise
cardiaque après un entretien avec Gabriel Leroy Ladurie.
141
La série des coïncidences est telle qu’on peut se demander si Coutrot et ses adjoints n’ont pas
été éliminés pour prouver l’existence d’un complot ou, deuxième hypothèse plus saugrenue,
parce que certains, dont les membres de la Gestapo, ont réellement cru à l’existence d’une
conjuration, à large échelle, impliquant l’Empire français.
En mars 1942 Pierre Pucheu renvoie Chavin et place en détention le docteur Martin. En effet,
le 5 janvier 1942, le directeur de cabinet de Pucheu, Yves Paringaux avait été retrouvé, mort,
sur une voie de chemin de fer près de Provins. Le ministre de l’Intérieur en avait conclu que la
Cagoule était toujours active. De fait, Pucheu était un ancien du comité des Forges mais aussi
du PPF de Doriot, un appointé des soirées Gabriel Leroy Ladurie et autres joyeux drilles de la
banque Worms qui se retrouveront aux commandes de l’Etat français après la venue au
pouvoir de Darlan. Il a du raisonner en fonction des réseaux politiques qu’il connaissait.
La seule mention de Groussard et de Martin lui indiquaient que la Cagoule était pour quelque
chose dans cette opération d’intoxication qui le plaçait lui et ses amis sur la sellette alors
même que la chasse aux sociétés secrètes était un leimotiv du gouvernement.
142
74
Né à Nérac, la ville où il ne reste plus qu’une aile du château de la Reine Margot dont
Shakespeare fit le décor d’une de ses pièces, fils d’un député de la IIIème République, le futur
amiral Darlan fait une carrière de cabinet auprès des ministres de la Marine des différents
gouvernements des années folles. C’est le Front Populaire qui le propulse chef d’état-major
général. Dans un mémorandum de janvier 1939, il se dit partisan d’une paix armée avec
l’Italie et l’Allemagne afin de laisser cette dernière « libre d’agir à l’est ».
En juin, il est amiral de la flotte. C’est lui, comme ses prédécesseurs, qui orientent la marine
vers une voie sans issue, celle des croiseurs lourds (19) et des cuirassés (7). Cette flotte
reconfigurée autour de la défense de l’Empire totalise en 1939, 545 mille tonnes dont 68
destroyers et 40 sous-marins mais aucun porte-avions efficient (les deux étaient prévus pour
1942-1943). De plus cette marine n’a jamais absorbé plus du quart des dépenses militaires et
même moins du sixième dans les années 1930, point essentiel aux yeux des parlementaires de
la Troisième.
143
Les défauts de cette marine sont multiples. Industriels, en premier lieu puisque les chantiers
produisent, chaque année, moins de 28 mille tonnes de matériel. Quand les anglais
construisent un destroyer en 2 ans, la France double la mise. L’acier produit est d’une qualité
médiocre à tel point que les torpilleurs de la classe l’Adroit sont vulnérables aux balles de
mitrailleuse. Les machines ne sont pas au point, si bien que sur le papier, les contre-torpilleurs
de la classe le Fantasque sont les plus rapides du monde mais comptent dans la réalité une
douzaine d’avaries entre mars 1939 et juin 1940. Rappelons pour finir qu’en septembre 1940,
quand le Richelieu fait feu sur la marine britannique, à Dakar, ses deux canons de 380
s’autodétruisent à la première salve.
Viennent en deuxième lieu, les erreurs stratégiques. La marine française est persuadée que son
adversaire sera italien, aussi, elle profile ses navires en fonction de combats en Méditerranée
occidentale en oubliant que la Regia marina aligne 110 sous-marins. Résultat entre Brest et
Dakar, Casablanca n’est pas une escale touristique, mais nécessaire pour recharger les
réservoirs en mazout. Les deux bases de Brest et Toulon sont sous-dimensionnées et l’Afrique
du Nord, à l’exception de la base de Mers El Kébir mise en chantier en 1936, n’en accueille
aucune de comparable.
144
Carences intellectuelles pour finir. Le sonar inventé par Paul Langevin, en 1918, est
abandonné au profit d’hydrophones qui fonctionnent à l’ouïe. En août 1939, le cher Darlan se
résout à récupérer du matériel britannique. Côté radar, les lacunes sont les mêmes. Pourtant
Maurice Ponte et Henri Gutton, deux physiciens, mettent au point un système de détection
baptisé magnétron en 1934. Dès 1935, le dispositif est monté sur un cargo. Jamais les
militaires ne se sont décidés à l’adopter si bien que l’Amirauté britannique récupère
l’innovation en mai 1940. Thank you froggies. La DCA est inexistante.
A Mers el Kébir, à partir d’informations tronquées fournies par l’amiral Gensoul, il refuse
l’ultimatum britannique, ce qui conduit à l’anéantissement de la flotte. Furieux, il propose aux
italiens une attaque conjointe sur la rade d’Alexandrie. Ceux-ci déclinent l’offre. Les trois
cuirassés italiens anéantis dans la rade de Tarente par l’aviation embarquée britannique auront
d’ailleurs tôt fait de les rappeler à la réalité des rapports de force. Le 10 février 1941, le voici
vice-président du conseil. Il s’entoure de technocrates, Pucheu, Barnaud, Lehideux voire
Alfred Sauvy. Son gouvernement semble une succursale de la banque Worms sur laquelle
plane l’ombre tutélaire de Gabriel Le Roy Ladurie. Il fait aussi appel à Marion, un dessalé et
aux militaires Platon, Huntziger (dénommé dans la prose darlanesque le puceau de sacristie,
ce dernier s’écrasera en novembre 1941 sur les pentes du Mont Aigoual. Un monument
commémore son saut de l’Ange) et Bergeret.
145
Il place l’ancien capitaine de frégate, Robert Labat à la tête d’un Service des Sociétés Secrètes
(SSS) qu’il installe dans les anciens locaux du Grand Orient, rue Cadet. Ancien du 2ème
bureau de la Marine et proche de la Cagoule militaire, Labat est un proche collaborateur du
colonel Groussard. Le premier acte du service sera d’enquêter sur Nadette et sa tante alias
Bernard Faÿ, pourfendeur ultra-gay de la franc-maçonnerie et son assistant William Gueydan
de Roussel.
Henri Moysset, secrétaire d’Etat à la vice-présidence du conseil, est un homme clé de la
configuration darlanesque. Il est doublé par Jacques Benoist-Méchin qui pousse à la roue pour
une nazification de la France. Sur son patron l’historien de l’armée allemande aura ce
jugement lapidaire « son esprit était borné, ses vues courtes, sa culture limitée ».
Darlan avance prestement sur la voie de la collaboration franco-allemande en signant les
protocoles de Paris en mai 1941, prélude d’une alliance future. En attendant, il offre des
camions stockés à Rommel. Préalablement, il s’était fait l’écho des thèses des technocrates en
transmettant à Otto Abetz, le plan d’un ordre nouveau. Il s’agissait d’intégrer la France dans
un ensemble européen régi par une union douanière et dans laquelle les ressources de
l’Empire permettraient l’éclosion d’un « sentiment de solidarité européenne ».
146
Où l’on voit que Darlan est un précurseur méconnu de Jean Monnet, à ceci près que le plan se
conclut par ses mots « nous voulons sauver la France. Nous prions le Führer de nous faire
confiance ». C’est le moment où les milieux collaborationnistes sortent l’affaire de la
Synarchie.
Après l’attentat communiste d’août 1941 contre un membre des forces d’Occupation, Darlan
institue les sections spéciales chargés de réprimer à la française les menées terroristes afin
d’éviter les fusillades d’otages inopinées. En ce qui concerne les juifs. Darlan a bien entendu
parler du projet nazi de les déporter dans un territoire lointain et il trouve, à la fois, audacieuse
et efficace une telle solution au problème juif, à laquelle il soustrait les juifs français de
longue date. D’ailleurs en mars il confie au pasteur Boegner sa conception du même
problème : il existerait « trois catégories de juifs : les étrangers dont je veux que la France soit
débarrassée ; les naturalisés de fraîche date : qu’on les renvoie, je ne demande pas mieux ;
enfin, les vieux juifs français qui sont assimilés, qui ont rendu de grands services au pays.
Nous ne voulons pas qu’on les maltraite ». Juste qu’on leur applique les statuts d’octobre
1940 et de juin 1941 qui leur rendent toute vie impossible.
147
Entre mars 1941 et avril 1942, il cautionne le recrutement de travailleurs français par les
industries de guerre du Troisième Reich, un nouveau pas dans la construction du nouvel ordre
européen. Il autorise donc l’ouverture de bureaux de recrutement allemand sur le territoire
hexagonal. Hostile au cléricalisme, Darlan restreint l’aide scolaire alors qu’une véritable ruée
vers l’enseignement libre a lieu. En revanche, il est incapable de trancher en faveur du
versement d’une allocation aux femmes de prisonniers de guerre, laissant à son successeur,
Pierre Laval, le soin de l’instituer. Pourtant Jacques Chevallier, secrétaire d’Etat à la famille
comme Maurice Pinot, responsable du commissariat aux prisonniers de guerre lui indique que
la misère noire de ces familles est une des causes de la prostitution massive des femmes et
mineures au cours des deux premières années de l’Occupation. Ce qui occasionne nombre de
naissances illégitimes dans un océan de recours à l’avortement. Mais Darlan n’étant pas un
puceau de sacristie, ce dernier doit sans doute y voir, une préfiguration de l’Europe future et
un pont jeté entre mâles allemands et femmes françaises. D’ailleurs l’amiral est si préoccupé
par l’état sanitaire des maisons de tolérance et l’état de santé des troupes d’occupation qu’il
autorise en mai 1941 l’investigation par les services sanitaires allemands de ces hauts lieux de
la Collaboration.
148
Héritier de la politique de tolérance de la IIIème République, il laissera aussi dans un tiroir les
demandes insistantes de pénalisation des rapports homosexuels entre marins français et civils.
En revanche, il tentera d’obtenir le rappel, du Maroc, de l’espion Théodore Auer, amant
simultané d’un parent de Von Ribbentrop et d’un juif autrichien Frans Suschnitz. En effet,
l’amiral l’accuse de pratiquer la sodomie presque publiquement mais le résultat de sa requête
sera nul puisque Auer sera nommé consul général du Reich en novembre 1941.
Perdant peu à peu tous ses appuis, le 18 avril 1942, Laval le remplace à la tête du
gouvernement. En novembre 1942, présent à Alger, au chevet de son fils malade, il rallie le
camp anglo-américain. Deloncle, l’ancien Conducator de la Cagoule tente de le rejoindre. Son
assassinat par un royaliste exalté, Fernand Bonnier de la Chapelle, laisse le champ libre aux
giraudistes et gaullistes, enterrant toute tentative de restauration monarchique.
149
75
Les 9-10 et 11 avril 1941, Jean Filliol participe à la saisie de six immeubles juifs parisiens
sous les ordres de Jacques Corrèze (83 avenue de la grande armée, QG du Congrès juif
mondial ; 67 avenue Victor-Hugo domicile de G. Mandel ; 57 rue de la Boétie Famille
Wildenstein ; 17 rue Desbordes-Valmore Mr Bernheim ; 141 Bd Haussmann (bureaux des
Bacry), 40 rue de Paradis, siège de la LICA)
Jacques Corrèze, né en 1912 à Auxerre, fait l’école Boulle et les Beaux-Arts, fils du président
de la société des tissus et tapis qui fournissait la propriété d’Eugène Deloncle dans l’Yonne, il
fut très tôt de la couche adjacente de Mercedes, Madame Deloncle pour l’état-civil. En 1934,
il gagne Paris.
Pendant la guerre Jacques Corrèze s’empare de 60 boutiques juives aryanisées et combat à
l’est sous l’uniforme allemand jusqu’en avril 1942. Dès sa sortie de prison, en 1950, François
Dalle, autre ami intime de François Mitterrand, l’emploie comme représentant. Versé en
Espagne franquiste où d’anciennes amitiés sont à réactiver et d’autres à saisir, associé à
Frédéric Bonnet, il crée Procasa, filiale de l’Oréal.
150
Jacques Corrèze est alors en lien avec Serrano Suñer, le beau-frère miraculé de Francisco
Franco, celui qui fut surnommé le cuñadissimo du temps où le Caudillo se demandait s’il ne
fallait pas aligner les positions d’un pays exsangue sur l’axe Rome-Berlin.
Mais les membres de la Cagoule ne s’arrêtent pas aux seules aryanisations et mettent en
œuvre les attentats contre les synagogues parisiennes du 3 octobre 1941, les explosifs étant
fournis aux hommes de Deloncle par des sbires de la police allemande. C’est Helmut
Knochen qui les transmet directement au chef suprême de la société secrète, Eugène Deloncle.
Knochen reçoit ses ordres de Berlin, il est à la tête d’une sorte de commando spécial de 25
hommes chargés de la chasse aux juifs et aux communistes. Lors des procès d’après-guerre,
l’Obersturmfuhrer Sommer passera devant un tribunal militaire pour complicité dans l’affaire
des synagogues. Il est donc probable que cet officier a agi sans en aviser directement ses
supérieurs immédiats, les court-circuitant, au profit d’une instance plus puissante ou plus en
vue à Berlin, une instance qui trouve son bras armé dans la SS.
C’est la version française de la nuit de Cristal qui avorte devant la répugnance de l’Etat
français devant ce genre de méthode. Au printemps 1942, le service dirigé par le SS Oberg,
atteindra cinq mille hommes, le temps des rafles sera venu, celui des gens organisés aussi. On
discutera directement entre hommes sérieux et avec les responsables compétents : Bousquet,
en premier lieu.
151
76
De son vrai nom Marie-Louise Mourer, Martine Carol prend comme nom de scène celui de
Maryse Arley. On la croise en silhouette évasive dans le Dernier des six (1941) ou les
Inconnus dans la maison (1942). Pierre Ramelot lui offre son premier rôle consistant, en 1942,
dans les Corrupteurs, film financé par l’Institut d’études des Questions juives. Le
sympathique François Périer qui a fait son éducation politique dans les rangs de l’Action
Française lui donne son pseudonyme définitif.
Or Marie-Louise a un ami proche de la Carlingue, Monsieur Palmieri. Ce dernier s’emploie à
ouvrir des bordels le long du mur de l’Atlantique afin que les membres du SD et de l’Abwehr
puissent reconstituer leurs forces titanesques épuisées dans la lutte contre le bolchévisme. Il
tient aussi à Paris, avenue Victor Hugo, un établissement nettement plus côté. C’est là qu’il
convoque Marie-Louise lorsque les barons du Reich Max Thomas (SS-Oberfuhrer), ou Karl
Oberg, chef suprême de la SS en France, en mai 1942, sont en goguette.
L’Histoire ne dit pas si Karl Oberg sortait des cuisses de Marie-Louise lorsqu’il prit langue
avec René Bousquet afin d’entériner l’accord qui allait aboutir à la rafle du Vel d’Hiv.
152
77
En août 1939, Himmler présente son plan de révolution démographique en Europe centrale
qui vise à germaniser « l’espace vital » dévolu à la race aryenne au détriment des slaves,
tandis que les juifs seront chassés des territoires conquis. Devant l’intransigeance
diplomatique de la France et du Royaume-Uni, Hitler signe un pacte avec les soviétiques avec
l’idée arrêtée de se « retourner » contre celle-ci, le moment venu.
Après la défaite française, Staline, devant la résistance britannique, ne croit pas à une attaque
hitlérienne pourtant décidée par le Führer, dès le 31 juillet 1940. D’une part, Staline considère
que l’URSS livre à l’Allemagne nazie tout ce qu’elle demande, d’autre part, en bon marxiste,
il est persuadé que l’idéologie national-socialiste n’est que le cache-sexe des intérêts
impérialistes de la bourgeoisie allemande, si bien que celle-ci oeuvrera, pour le maintien d’un
Empire européen au détriment de l’Empire britannique et non de l’Union soviétique, quitte à
liquider Hitler si celui-ci entrave les buts de guerre rationnels traduits en termes militaires par
l’Etat-major.
Staline n’a pas compris qu’Hitler croyait à ce qu’il prophétisait de discours en discours.
Ancien combattant, le chancelier du Reich est persuadé de deux choses. En premier lieu, le
coup de poignard dans le dos qui a abattu l’Empire du Kaiser fut ordonné par les juifs dont
l’Angleterre et l’URSS sont le bras armé. En second lieu, la défaite allemande n’est pas due à
une déroute militaire mais à l’effondrement du front intérieur. Dès lors, il faut neutraliser les
juifs et régler définitivement ce problème dans la zone d’influence du IIIème Reich, mais
153
aussi faire en sorte que la population allemande ne souffre pas des conflits en cours. La seule
tactique possible est donc celle de la guerre-éclair qui a anéanti l’armée française et ne peut
que démanteler le dispositif militaire d’une race d’arriérés que les juifs ont abêti par le
bolchévisme.
Une considération géopolitique va retarder l’offensive allemande. Programmée pour le
printemps 1941, l’invasion de l’URSS est reportée, dès lors que les Balkans sont en
effervescence. Le Troisième Reich obtient de cette zone le tiers de son pétrole (roumain), du
cuivre, du chrome et des denrées alimentaires. Le 28 octobre 1940, l’Italie lance son attaque
contre la Grèce. Les 700 mille soldats italiens mobilisés sont sous-encadrés, leurs chars sont
de véritables cercueils roulants, leur artillerie date de 1918, la logistique est inexistante. En 5
mois de campagne et, malgré l’aide de la Luftwaffe, l’Italie compte près de 40 mille tués, 50
mille blessés, 64 mille hommes hors de combat. Le 12 novembre 1940, inquiet de la présence
britannique en Grèce, Hitler émet la directive n°18 afin de protéger la Roumanie mais ses
généraux poussent à l’occupation entière de la Grèce. Grand bluffeur, le chancelier obtient de
Staline, par un accord signé en janvier 1941, une multiplication des livraisons de produits
stratégiques (pétrole, caoutchouc, manganèse) et d’autres de première nécessité (coton,
céréales).
Au printemps 1941, Vichy livre 13 mille camions, des canons anti-chars de 47 mm, des
tracteurs Laffly, des véhicules Panhard. Le 28 février 1941, Hitler prévient Staline que la
12ème Armée va prendre position en Bulgarie. Les britanniques débarquent à Athènes 35 mille
soldats et 80 avions. Fin mars 1941, le Führer est persuadé que les yougoslaves se sont alignés
154
sur les positions allemandes moyennant quelques promesses. Dans la nuit du 26-27 mars un
coup d’Etat mené par le général Simovic débarque le régent Paul. Hitler décide alors de
liquider la Yougoslavie entre le 8 et le 15 avril, ce qui sera fait en un temps record, la 2ème
Armée perdant 150 hommes. Dès le 9 avril, Salonique a capitulé. Le 21, ce sont toutes les
troupes grecques d’Epire (sous le commandement d’un futur général collaborateur
Tsolakoglou) qui se rendent tandis que les britanniques lancent l’opération de
rembarquement Demon.
Plus de 80 avertissements parviennent à Staline sur la mobilisation colossale des troupes
allemandes à la frontière soviétique (près de 4 millions de soldats en comptant les alliés, 600
mille véhicules et 600 mille chevaux, 9 mille canons, plus de 3 mille chars, près de 3 mille
avions). Un plan de frappe préemptive est concocté et présenté par Joukov, le 15 mai. Mais
rien n’y fait. Toute l’armée rouge est déployée à l’avant, ses avions sont alignés sur les
aéroports sans protection particulière, les unités d’artillerie n’ont ni obus à proximité, ni
camions pour le transit, les corps mécanisés sont dépourvus d’essence, de radios, de matériels
de rechange, l’encadrement est médiocre, la doctrine de la percée en cas d’encerclement faîte
pour perdre toute la chaîne de commandement en un clin d’oeil.
155
Les stratèges allemands misent sur une conquête de toute la Russie européenne le 31
décembre 1941 au plus tard, ce qui suppose la disparition de l’ensemble de l’armée rouge dès
la fin du mois d’août. Trois objectifs sont définis : au nord, Leningrad et le contrôle de la
Baltique, au centre Moscou, au sud, l’Ukraine et le Caucase. Le groupe d’armée nord reçoit la
portion congrue (18 % des hommes et du matériel), le groupe d’armée centre, l’essentiel des
divisions blindées. La guerre se réduira donc à une série ininterrompue d’encerclements et de
destructions des armées soviétiques.
Les déficiences logistiques de la Wehrmacht et les objectifs délirants que lui fixent Hitler sont
directement en rapport avec l’idéologie national-socialiste et son échec final lors de la prise de
Berlin par l’armée rouge. Dès janvier 1942, 2 millions de prisonniers soviétiques sont morts
de faim ou de froid dans des camps improvisés où rien n’est prévu pour le ravitaillement ou le
simple abri des internés, les libérations de volksdeutsche, de baltes ou d’ukrainiens cessent en
septembre-octobre 1941, à la fin juillet-début août, c’est l’ensemble de la population juive qui
est prise pour cible de ce qu’on appellera la Shoah par balles.
Face à une sous-humanité ou à l’ennemi juif, les nazis n’ont prévu que la Terreur et la
liquidation, jamais la séduction des masses, au principe de leurs succès électoraux. L’hubris
hitlérienne ne commence vraiment qu’avec la victoire sur la France et son asservissement
tranquille, celle-ci rejoignant les satellites du nouvel ordre européen. A partir de cet instant,
Hitler n’a plus à séduire, donc à entrer dans les désirs et les anticipations de ses adversaires
pour les manipuler ou les neutraliser, il confond les fluctuations de ses visions avec la réalité,
sa stratégie est unilatérale, son discours parfaitement autistique. Le réel d’une résistance
156
soviétique à la conquête allemande est si peu assimilable que la Luftwaffe, pourtant maîtresse
du ciel, ne bombarde aucun des convois ferroviaires destinés à remonter les usines derrière
l’Oural, ni ne prévoit la contre-offensive soviétique de novembre-décembre 1941. D’autre
part, Hitler est incapable d’analyser les effets de l’adoption de la loi prêt-bail américaine qui
permettra, durant la durée de la guerre, le maintien du système de transport et de
communication soviétique, les performances quantitatives de son industrie de guerre et le
ravitaillement de la population en produits alimentaires.
Devant l’évidence de la défaite annoncée, devant ce trou béant que ne comblaient pas les
vociférations de Goebbels, devant l’impuissance des armes-miracles que furent les V1 et les
V2 ou le Messerschmitt Me-262, toute la machine nazie a produit la seule réalité qui était à sa
portée, l’univers concentrationnaire et le travail forcé ainsi que l’extermination des juifs
d’Europe, des tsiganes et des aliénés, une humanité conçue comme appendice ou simple
déchet, la preuve « vivante » et toujours renouvelée de la surhumanité aryenne partie en
fumée à Stalingrad.
157
78
En 1941, trois intellectuels communistes fondent la Pensée Libre, Jean Vercors fait parvenir
à la revue le Silence de la mer mais cette première version disparaît après une descente de la
Gestapo. Le 20 février 1942 paraît le premier volume des Editions de Minuit, animées par
Pierre de Lescure et le même Vercors. Leur premier ouvrage sera le Silence de la Mer
adressé, selon son auteur, à Drieu la Rochelle et Otto Abetz.
Afin de le diffuser, Jean Paulhan aurait préparé une première liste de destinataires, puis sont
ciblés la haute finance, la magistrature, le milieu des carabins, celui des ingénieurs et chefs
d’entreprise ainsi que l’Université. Aussi le premier tirage atteint péniblement les 400
exemplaires, ce qui n’a rien de prolétarien. Robert Debré se dit épaté, les communistes via les
Lettres Françaises y verront, en février 1943, le livre « le plus émouvant, le plus
profondément humain que nous ayons eu l’occasion de lire depuis l’occupation allemande ».
Le roman propose aux français d’établir face à l’occupant un mur de silence absolu, une ligne
Maginot intérieure, attitude qui ne peut que plaire aux pacifistes de gauche et à ceux de droite
qui, ralliés à Pétain, n’en entendent pas moins maintenir une certaine dignité. Comme le dit
Robbe-Grillet « il ne fallait pas confondre la main tendue au vainqueur avec le zèle à lui
lécher les bottes ».
158
Le silence de la Mer est donc l’ouvrage d’un nostalgique du pacte de Locarno susurrant le
fameux « arrière les canons » du défunt Aristide Briand avec des airs de chien battu. Il s’agit
de préserver la paix future en flanquant l’attentisme usuel de l’écrivain lambda d’un parfum
de dissidence puisqu’il signale une voie nouvelle, l’édition clandestine sous pseudonyme.
Le texte, un temps attribué à Duhamel, ouvre la voie de la littérature engagée pour ne pas dire
propagandiste. Or en avril 1942, le contrôle du papier devient nettement plus strict tant du
côté des autorités d’occupation que de Vichy. La consommation est donc divisée quasiment
par 3 entre 1941 et 1942. Devant la pénurie des tirages, le choix des possibles se restreint si
on veut être édité et publié : soit rejoindre à toute berzingue la Collaboration, soit jouer les
chevaux légers du côté de Vichy, soit obtenir la sympathie de la Résistance et des
communistes en publiant dans des revues de contrebande des récits et des poésies plus ou
moins cryptés.
A l’automne 1942, le silence de la mer gagne l’Angleterre. La Marseillaise, revue gaulliste,
le publie en feuilleton de janvier à avril 1943. On parle d’un cri poussé par les littérateurs
français, une sorte de plainte vengeresse. La première édition anglaise est épuisée en 15 jours,
elle compte 10 mille exemplaires. Les droits d’auteur, 450 livres, sont strictement thésaurisés
et Charles Morgan est pressenti pour la traduction.
159
La presse anglaise se déchaîne, l’auteur ne peut être qu’un écrivain-né, l’ouvrage, un chef
d’œuvre. C’est le couronnement. De l’autre côté de l’Atlantique, Life publie un article en
octobre 1943 sous le titre de « a story of a french family and a nazi officer writen in France
under the German Occupation ».
La mythologie enveloppe avec une pudeur soudaine la réalité des rapports entre allemands et
françaises dont témoignent à la fois les 200 mille naissances germano-françaises recensées
entre 1941 et 1946 (compte non tenu des nombreux avortements) et le chiffre d’affaires
exponentiel des bastringues tel que le relate l’état des recettes de l’impôt municipal à Paris qui
affiche à la ligne « maisons de tolérance » un tonitruant 6 millions de francs en 1943.
N’empêche, la fiction de la France résistante est lancée, le livre est traduit en 1944 dans
l’Espagne franquiste, les Pays-Bas libérés, à Québec, dans le Beyrouth sous administration
britannique, au Sénégal, en Australie, partout où les rotatives fonctionnent.
160
En novembre 1943, Arthur Koestler effaré, écrit « psychologiquement, l’histoire ne tient pas
debout, mais politiquement, elle est pire » puisqu’elle apparie un mélange détonant
d’arrogance et de complexe d’infériorité. La Londres démocratique de Churchill clôt alors la
saison des critiques de l’ouvrage qui sont désormais interdites.
Du côté de la France Libre, on édite, avec l’appui financier de Philippe de Rothschild, des
cahiers du Silence qui seraient la pointe avancée du combat de l’esprit français. Ces cahiers
n’auront qu’un seul ouvrage au catalogue, sans doute pour épargner la fortune du bon Philippe
et épouser les fluctuations de la politique gaulliste.
En effet, l’ouvrage épouse la ligne de Gaulle, celle d’une Résistance intérieure pacifique c'està-dire absolument indiscernable d’un attentisme goguenard. Dès lors, Ilya Ehrenbourg, à
l’automne 1943, est chargé depuis Moscou de définir la nouvelle ligne du parti « en France les
patriotes tuent les Boches non par le silence mais avec des grenades, des balles, des
couteaux ». Option qui entraînera la liquidation totale des FTP-MOI parisiens au cours de
l’hiver suivant.
161
Néanmoins Ehrenbourg rejoint le jugement lapidaire de Kléber Haedens qui voyait dans cet
ouvrage « un récit assez plat où l’on voit deux français abrutis aux prises avec un Allemand
très distingué » puisque le littérateur soviétique à portée de Goulag écrit, comme en écho,
qu’il se refuse à croire qu’on ait trouvé en France « des hommes assez fous pour composer,
imprimer, brocher dans l’illégalité et luxueusement encore, un livre qui s’extasie devant la
beauté morale et physique d’un Boche ».
En mai 1944, c’est au tour de la Marseillaise de changer de ligne politique et d’éprouver des
« hésitations » devant ce roman car la France est devenue celle qui se bat, une France virile à
la tondeuse facile et non plus ce couple étrange formé par un oncle mutique et une nièce un
peu conne qui prépare les déjeuners et les sert en silence.
En 1949, Otto Abetz estimera que Werner von Ebrennac, le héros malheureux du conte, aurait
mieux fait de s’engager dans la lutte active auprès du Docteur Epting plutôt que de perdre son
temps en monologues douteux sur les dangers du nazisme berlinois. Deux ans plus tard,
Vercors lui répond, implicitement, en établissant une version définitive de l’ouvrage puisqu’il
ajoute à son roman-phare cette seule phrase « Ainsi il [Von Ebrennac] se soumet. Voilà donc
tout ce qu’ils savent faire. Ils se soumettent tous, même cet homme là ».
162
79
La mère d’Eugène Deloncle est corse si bien que le chef de la Cagoule est le neveu du général
Grossetti. Polytechnicien, héros de guerre, ingénieur efficace, Eugène Deloncle peut prétendre
à un destin d’envergure dans une époque qui cherche l’Homme, celui qui tient de son écart
avec le troupeau, une vocation d’inspiré ou de manieur de foules. Comme tous les apprentis
dictateurs, il avait pour modèle, le Duce.
Mussolini fut le premier fils du peuple à accéder au pouvoir sur le mode bouffonnerie,
bassesse et surveillance généralisée. Il aimait les femmes, les femmes laides de préférence,
boîteuses, avec strabisme, habillées à la diable, le poursuivant comme Rachele sa légitime, et
vraisemblablement sa demi-sœur, avec un pistolet dans les couloirs de sa villa de
plénipotentiaire de la déroute italienne.
Benito Mussolini était de ses matamores qui se perpétuait comme il disait, reconnaissant
parfois ses rejetons, le plus souvent jamais, allant jusqu’à l’infamie lorsque une Ida Dalser
l’obligea à reconnaître le jeune Benito Albino comme son fils. On sait qu’il la fit interner,
s’empara de ses lettres pour les brûler avant de faire la même chose avec son fils qu’il laissa,
comme nombre de fous italiens et français entre 1940 et 1945, mourir de faim et de manques
de soins.
163
Il fut incapable d’élever ses enfants si bien que Vittorio ressemblait comme deux gouttes
d’eau à une jeune pousse sauvage élevée au kebab farci de sauce blanche.
Évidemment celui qui jouait du violon à la façon roumaine pour que chavirent les cœurs
d’artichauts des soubrettes aurait été un modèle pour nos multi-cultureux d’aujourd’hui, une
sorte d’athlète de la fornication antiraciste, le « dictateur priapique » comme le surnomma
Carlo Emilio Gadda.
Couchant en socialiste avec Angelica Balabanoff, en philosémite à éclipses avec Margherita
Sarfatti (née Grassini), en orientaliste avec Léda Rafanelli (occultiste et convertie à l’Islam,
ancienne maîtresse du grand Carlo Carra), en bellâtre sur le déclin avec la Petacci qui
partagea sa fin, suspendue par les pieds en réplique aux pendaisons allemandes de Gênes.
Le reste du harem est innombrable, Benito Mussolini avait une queue à la place du cerveau,
une matrice spermatique en guise de prolongement du canal urinaire, l’ensemble de ses
enfants est encore, à ce jour, indéterminé, il faudrait donc songer à monter un site Facebook,
des descendants du Duce.
164
Il faisait surveiller ses femmes, ses amis, son gendre, tous les italiens étaient encartés quelque
part sur les fiches de l’OVRA, ce quotidien ressemblait à la vie sous la férule de la Stasi à ceci
près que les disparitions ne donnaient pas lieu à la même invention méticuleuse et perverse
qui fut la signature des agents de la RDA.
On assassinait à coups de couteau, on traitait de porcs ceux qui finiraient sur un bas côté,
tabassés à mort par des nervis à gabardines et à chemises noires, on jouait la virilité mais
quand la guerre vint, tout se débanda, découvrant toute nue la lâcheté.
Mussolini avait donné l’exemple en 1915, lui l’interventionniste, le grillon appelant à la mort
des autres, resta, tout au plus, trente jours sur le front se blessant lors du maniement d’un
mortier.
Ce sinistre bouffon en pierre de Carrare vint à la place de Gabriele d’Annunzio que ces
créanciers avaient chassé d’Italie, qui revint sous les vivats d’un peuple revenu à sa fierté, qui
se portait à la tête des arditi au cri de « eia eia alala », qui devint celui des fascistes quand ils
battaient à coups de gourdins une famille de paysans inscrite au partito popolare ou chez les
socialistes.
165
D’Annunzio affrontait à plus de 50 ans les nids de mitrailleuses, les lance-flammes et les gaz
des tedeschi, tandis que Mussolini gavait son torche-cul avec l’argent des Perrone, gros
matous dont la fortune s’enfla avec la guerre avant de s’effondrer lors du krach de sa banque
véreuse.
Il fut l’homme de la Sarfatti mais lorsque sa fille, Edda, tomba amoureuse de Dante Pacifici,
bel officier italien dont le tort était d’être juif, il s’y opposa, la confiant à Galeazzo Ciano dont
le père fut un compagnon de la première heure, un soutien indéfectible lorsqu’un Mussolini
balbutiant ne savait que faire du cadavre encombrant de Matteoti.
De Chirico s’était demandé « sommes-nous des explorateurs prêts pour de nouveaux départs ?
», tandis que Mussolini envoyait à la Sarfatti des « je suis pour toi en surface et en profondeur
moi ton très dévoué sauvage » avant de brûler devant la mégère du palais les lettres de sa
maîtresse dans un autodafé solennel qui voulait dire, « promis tu es la première ».
Si la tranquille et absurde beauté de la matière est bien métaphysique comme le disait Chirico,
la liaison entre cette femme de bonne bourgeoisie vénitienne et ce fils d’un aubergisteforgeron qui transforma l’Italie en décor en trompe l’œil, en lisière de la civilisation
européenne qu’attaquait déjà à boulets rouges Leopardi, cette liaison donc est comme le
travelling de honte que seul vint effacer la beauté et les sarcasmes douloureux du cinéma
italien d’après-guerre.
166
Collaborationniste et fondateur du MSR, Eugène Deloncle, dictateur virtuel, Guide suprême
de la France régénérée devenu agent contractuel de la SS ou de l’Abwehr, est arrêté par les
allemands en août 1942 puis relâché un mois plus tard. En janvier 1944, la Gestapo vient le
chercher, il meurt avec 10 balles dans le buffet, son fils en prenant une dans la tête. Jacques
Corrèze et la femme de Deloncle, Mercedes, en sortent indemnes. Ce 7 janvier 1944, selon
Lacroix-Ritz, les allemands s’emparent rue Lesueur des documents présents. De même des
FFI et le major Hadley de l’Intelligence Service ont fouillé, ultérieurement, le même
appartement cherchant d’éventuelles notes ou des carnets épars. Parmi les Deloncle, il ne
restait plus que le frère. De l’ombre d’un Duce à la française, une photo d’identité, prise de
profil.
167
80
Le camp de saint Paul d’Eyjeaux, où fut détenu Jean Filliol, est construit par le service des
Ponts et Chaussées de la Haute Vienne sur décision du préfet le 30 octobre 1940 (profondeur
argileuse de 2 mètres, 600 personnes y vivent en janvier 1941). Sont empierrés, l’allée
centrale et trois chemins, sinon l’épaisseur de boue est de 20 à 25 centimètres. Les WC sont
dans la partie basse du camp qui est marécageuse, c’est un camp de « politiques ».
Selon Georges Rougeron, ancien secrétaire de Marx-Dormoy, le 14 septembre 1943, le
gestionnaire Evrard succède au chef de camp. En octobre 1943, Bousquet ordonne la
fermeture du camp et les prisonniers sont transférés à la prison centrale d’Eysses
Ménétrel, médecin de Pétain (gendre de Célestin Montcocol entrepreneur de travaux publics,
financier de la Cagoule) protégea Jeantet et Filliol. Selon la biographe de Ménétrel, il entretint
une correspondance amicale avec Filliol lors de son internement et versa des subsides à sa
femme et à ses deux enfants alors en bas âge.
168
81
Selon les statistiques officielles, la Royal Air Force aurait largué sur l’Allemagne au cours de
la seconde guerre mondiale 1 million de tonnes de bombes réparties en 400 mille vols. Sur les
131 villes bombardées, certaines furent rayées entièrement de la carte. Six cent mille civils
avaient péri, 3,5 millions d’immeubles furent détruits, 7,5 millions de personnes étaient sans
abri, on comptait dans la seule Dresde 42,8 m3 de décombres par habitant. Le 28 juillet 1943,
les flottes aériennes américano-britanniques se fixèrent pour objectif l’anéantissement de la
rive est de l’Elbe, à Hambourg. Au bout de 20 minutes, la ville ressemblait à un mur compact
de flammes. Le feu montait jusqu’à deux mille mètres dans le ciel aspirant l’oxygène.
L’air déplacé avait la puissance d’un ouragan. Deux cent kilomètres d’immeubles avaient
disparu. La ville formait une longue colonne de réfugiés, plus d’un million, dispersés dans
toute l’Allemagne, partout l’angoisse d’une mort pitoyable, enseveli, asphyxié dans une cave,
partout les marques de la folie, comme cette femme transportant son enfant calciné dans sa
valise.
Cette stratégie de l’area bombing fut résumée par Churchill en 1941, « procéder, à partir de
notre pays, à une attaque absolument dévastatrice, exterminatrice, en envoyant des
bombardiers lourds sur le territoire allemand [ …] afin de détruire le moral de la population
civile ennemie et, en particulier, celui des travailleurs ».
169
Cette stratégie était à la fois inadéquate, meurtrière pour les équipages et inutilement cruelle
mais elle engloutissait un tiers de la production de guerre britannique si bien qu’elle continua
malgré son échec évident. Comme le note Alfred Döblin « les hommes circulaient dans les
rues, parmi les ruines effrayantes comme s’il ne s’était rien passé de spécial, comme si la ville
avait toujours été dans cet état ».
De fait, l’area bombing soutenait le moral britannique à défaut d’amoindrir celui de la
population civile allemande. Et Churchill pouvait trouver des accents bibliques pour
proclamer « ceux qui avaient lâché sur l’humanité toutes ces horreurs sentiraient désormais
dans leurs foyers et dans leurs personnes les coups dévastateurs d’un juste châtiment ».
Harris ivre de destructions secondait parfaitement Churchill si bien que les victimes des
bombardements n’étaient pas la médiation nécessaire et cruelle d’un objectif, provoquer une
révolte en Allemagne, mais la véritable cible du projet. Plus elles seraient nombreuses et
mieux ça serait. Il semble que la réalité des destructions n’ait pu s’inscrire dans la mémoire
des rescapés qu’à grands renforts de stéréotypes donc de neutralisation des souvenirs.
170
Pourtant, comme le note Sebald, « les conditions préalables du miracle économique allemand
n’étaient pas seulement les énormes investissements du plan Marshall, l’émergence de la
guerre froide et cette mise à la casse des sites industriels vieillis réalisée avec une brutale
efficacité par les escadres de bombardiers.
Le miracle économique allemand était dû aussi à l’éthique du travail apprise sous la société
totalitaire et appliquée sans état d’âme à la faculté d’improvisation logistique d’une économie
cernée de toutes parts, à l’expérience en matière d’utilisation de la main d’œuvre étrangère et
à la perte, finalement regrettable par un petit nombre seulement du lourd fardeau historique
des immeubles d’habitation et de négoce vieux de plusieurs siècles qui, entre 1942 et 1945,
partirent en fumée. Mais le catalyseur était une donnée purement immatérielle : c’était le flot
d’énergie psychique, intarissable jusqu’à ce jour, dont la source est le secret gardé par tous les
cadavres emmurés dans les fondations de notre système politique ; un secret qui a lié les
allemands dans les années de l’après-guerre, qui continue de les lier bien plus efficacement
que tout objectif n’aurait su le faire et je pense ici à la réalisation de la démocratie ».
171
82
L’ère du soupçon est un petit ouvrage d’exploration du roman moderne. Le titre indique qu’il
est advenu un évènement dans la prose, un évènement au sein du récit, un évènement quant à
la nature des personnages. Cet évènement porte un nom Dostoïevski, et une lignée dont Kafka
et Proust tracent le sentier. Un russe orthodoxe revenu des nihilismes, un juif déjudaïsé au
dernier degré et de langue allemande dans la Prague des nationalismes tchèque et germanique,
un autre de langue française, dreyfusard, puis parti braconner sur les terres de la Tradition
littéraire hexagonale qui laissèrent l’intendant Maurras sur le talus réécrivant à jamais
Anthinea.
Comme le dit Nathalie Sarraute, « sur ces terres immenses dont Dostoïevski a ouvert l’accès,
Kafka a tracé une voie, une seule voie étroite et longue, il a poussé dans une seule direction et
il est allé jusqu’au bout ».
Qu’arrive t-il à l’action quand le centre de gravité du personnage romanesque passe du
Dehors au Dedans, elle devient variation, mouvement infiniment déplié fait de contacts, de
repli, d’opacité si bien qu’on « ne sait plus si on avait résisté ou si on avait cédé ». Chez
Kafka cette recherche éperdue du contact se trame sous la forme de l’errance, du jugement, de
la documentation administrative si bien que le personnage n’est plus un type humain à la
caractériologie fixée en genre et espèces (Buffon repris par Balzac) mais le porteur d’états
inexplorés, un homme-limite.
172
Dans le même temps, Paulhan, l’homme-orchestre de la NRF, revue phare de la maison
Gallimard et de la littérature française gidéo-maurrassienne, se met à penser ce qu’il
diagnostique comme un « mal du langage » issu de l’expérience muette des hommes des
tranchées.
Il y aurait donc à l’origine de la crise de la littérature un évènement collectif traumatique et
une impossibilité de le traduire en œuvre. Pourtant Valéry et son « nous civilisation savons
que nous sommes mortelles » éprouve cette horreur indicible et sans précédent dès 1919, Abel
Gance la met en scène sous la forme d’une armée de fantômes, Paulhan sait tout cela mais il
ne disserte pas là-dessus, ni même sur le perpétuel retard à l’allumage ou la non moins
éternelle prescience des œuvres de fiction quant aux expériences humaines.
Ce qu’il poursuit est moins palpable, il en dessine les contours : une perte des genres
littéraires dans leur contamination réciproque initiée par le romantisme, continuée par
Rimbaud et les surréalistes, un équarrissage du cliché qu’est tout langage au nom d’un refus
consubstantiel aux arts littéraires, une traque éperdue d’une « extrême pureté de l’âme ».
Aussi la Terreur dans les lettres, qu’il s’agisse d’épurer le langage de ses expressions usuelles
pour y distiller la pensée, ou de détruire les genres littéraires pour en épuiser les conventions,
aurait donc comme ressort, « la fraîcheur de l’innocence commune ».
173
Maurice Blanchot revient sur cet ouvrage en contemporain, en homme qui connaît intimement
le vocabulaire de la Terreur, pour en avoir usé dans la revue Combat alors proche de la
Cagoule, appelant en l’année 1936 à dresser les échafauds du salut public devant l’avènement
du Front Populaire.
Dès lors, Maurice Blanchot sait parfaitement en cet instant où Vichy tient les camps
d’internement pour une machinerie d’épuration consubstantielle au régime que le terme de
Terreur est apparié à celui de Révolution, qu’elle soit nationale ou non. Il sait aussi que la
littérature concourt au langage proprement vichyssois ne serait-ce que par la rédaction des
discours du Maréchal Pétain signés Emmanuel Berl, il sait aussi qu’on l’a sollicité pour écrire
dans la NRF afin que continue le ballet des rhéteurs. En répondant à la Terreur, Blanchot
amalgame enjeux littéraire et politique.
En conséquence, il pointe deux questions restées en suspens. La première concerne le cliché
poursuivi pour son ambiguïté. Or celle-ci concerne moins l’écrivain que le lecteur, comme il
l’énonce parfaitement les vocables politiques de démocratie, de liberté, d’ordre sont de pures
émanations verbales c’est à celui qui les écoute de les décrypter, non à celui qui les énonce.
174
La question posée à l’écrivain se déplace et devient qu’est ce que la pensée ? Blanchot y
répond provisoirement : « un désordre de mots isolés, de fragments de phrases, une première
expression, fortuite », qu’est-ce que le langage ? « Une expression réglée, le système ordonné
des conventions et des lieux communs ».
On le voit, la pensée serait pure matière, un amalgame de signes et de blocs obscurs, le
langage un corset à trames multiples. Ainsi l’analogie qui les tient appariés est celle de la
traduction. Il n’y a pas plus de trahison que de déformation, mais une création de «
métaphores expressives » seules à même de faire advenir la pensée à elle-même sans se
condamner au silence de la blancheur innocente.
175
83
Jacques Corrèze se lie à Jean Bouvyer (ami d’enfance des Mitterrand, il passa ses étés en
Charente en compagnie de la parentèle) quant à Gabriel Jeantet (né en 1906), il fut le parrain
de François lors de la remise de la Francisque en août 1942. A travers ces deux hommes, c’est
un peu de la Cagoule qui serpente autour du destin singulier du futur président de la
République en ces années où comme le constatait Jacques Laurent, Mitterrand lorgnait
derrière les vitrines la place du Maréchal Pétain.
Dans l’après-guerre, Eugène Schueller, patron de l’Oreal, envoie en Amérique Latine Jacques
Corrèze où il rejoint un ancien de la 17ème équipe Jean Azéma. En 1961, Corrèze fonde dans
le Delaware Cosmair. François Dalle, un vieil ami de Mitterrand, dirige alors la maison mère.
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1/ « Depuis des siècles, la Russie vivait aux dépens du noyau germanique de ses couches
supérieures dirigeantes qu’on peut considérer actuellement comme extirpé et anéanti. Le juif a
pris sa place. Lui-même n’est pas un élément organisateur, il n’est qu’un ferment de
décomposition. L’Etat gigantesque de l’est est mûr pour l’effondrement. Et la fin de la
domination juive en Russie sera aussi la fin de la Russie en tant qu’Etat »
A. Hitler, Mein Kampf
2/ Hitler à Rauschning « Le juif est une créature d’un autre Dieu. Il faut qu’il soit sorti d’une
autre souche humaine. L’Aryen et le Juif, je les oppose l’un à l’autre, et si je donne à l’un le
nom d’Homme, je suis obligé de donner un nom différent à l’autre. Ils sont aussi éloignés
l’un de l’autre que les espèces animales de l’espèce humaine. Ce n’est pas que j’appelle le Juif
un animal. Il est beaucoup plus éloigné de l’animal que nous Aryens. C’est un être étranger à
l’ordre naturel, un être hors nature […] Il ne peut y avoir deux peuples élus. Nous sommes le
peuple de Dieu »
3/ Dès mars 1940, Heydrich présente à Göring un projet de solution globale du problème juif
et demande l’autorisation de traiter avec les pleins pouvoirs avec les chefs de l’administration
civile et des autres organismes.
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4/ 16 juillet 1941 : Hans Heinrich Lammers, chef de la chancellerie du Reich annonce à
Himmler qu’Hitler lui a confié la responsabilité de la police et de la sûreté dans les territoires
conquis de l’Est. A la fin de l’année, les effectifs des bataillons de police atteignent 33 mille
hommes soit 11 fois plus que l’effectif des Einsatzgruppen en juin.
5/ Fin juillet 1941, Heydrich convaincu depuis le mois de mai que « la solution finale du
problème juif viendrait sans aucun doute », charge Eichmann de rédiger une autorisation de
Göring, officiellement en charge du problème juif depuis novembre 1938, en vue de préparer
la « solution complète du problème juif dans la sphère d’influence allemande en Europe »
6/ 1er août 1941 : Un ordre d’Himmler circule à partir du 2ème Régiment de cavalerie de la SS
« Tous les juifs doivent être exécutés. Chassez les juives dans les marais » (du Pripet). Un
commandant prenant les ordres à la lettre se plaint que les marais ne soient pas assez profonds
pour y noyer les femmes et les enfants. A la mi-août, le propre cinéaste du Führer est sur
place lors des massacres de Minsk aux côtés d’Himmler avec ordre de les filmer. On ne sait
ce que sont devenues les bobines.
7/ Mi-août 1941, Goebbels suggère à Hitler d’obliger les juifs à porter un insigne distinctif.
Le Führer donne son feu vert. La mesure devient effective à partir du 1er septembre.
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8/ Alors qu’on lui rapporte la déportation sur ordre de Staline de centaines de milliers
d’allemands de la Volga, Hitler ordonne la déportation des juifs du Reich.
9/ « S’il n’y avait plus de juifs en Europe, plus rien ne perturberait l’unité des Etats
européens »
Adolf Hitler au maréchal croate Sladko Kvaternik
10/ Octobre 1941, Heydrich exige un usage plus intensif des camions à gaz. Troublé par les
exécutions massives, le commissaire général de Biélorussie, Wilhelm Kube soulève des
objections quant à l’exécution des « êtres humains de notre sphère culturelle » qu’il distingue
des « hordes bestiales indigènes » et demande des éclaircissements sur le sort des juifs
médaillés de guerre, mariés à des aryennes ou partiellement aryens selon les lois raciales de
Nuremberg (Mischlinge)
11/ A la date du 12 décembre 1941, Joseph Goebbels note dans son journal « Pour ce qui est
du problème juif, le Führer est décidé à faire un grand nettoyage, il a prophétisé que s’ils
provoquaient une autre guerre mondiale, ils seraient anéantis. Ce n’étaient pas des mots en
l’air. La guerre mondiale est là. L’anéantissement des juifs doit en être la conséquence
nécessaire. C’est une question à aborder sans faire de sentiment ». Dès cette date, un des
quatre Einsatzgruppen dépêché à l’arrière de la Wehrmacht avait tué très exactement 229 052
juifs.
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12/ Hans Frank, commissaire du Gouvernement Général, lance « Nous ne pouvons pas
exécuter ces 3,5 millions de juifs, nous ne pouvons pas les empoisonner, mais nous devons
être capables de prendre des mesures qui conduiront d’une manière ou d’une autre à la
réussite de l’extermination »
13/ Heydrich réunit toutes les autorités concernées à Wannsee le 20 janvier 1942. Il a pour
mandat la liquidation totale des 11 millions de juifs européens. Il semble qu’Eichmann ait
révisé les minutes de la conférence afin d’en éliminer « certains passages trop explicites »
14/ Mars 1942 : Les chambres à gaz de Belzec, Sobibor et Treblinka sont opérationnelles.
Auschwitz-Birkenau devient, le même mois, un camp destiné à la destruction des juifs
d’Europe
15/ Himmler aux officiers supérieurs et chefs de services de la SS, 9 juin 1942 : « Tout ce que
nous faisons doit être justifié par rapport à nos ancêtres. Si nous ne retrouvons pas cette
attache morale, la plus profonde et la meilleure parce que la plus naturelle, nous ne serons pas
capables à ce niveau de vaincre le christianisme et de constituer ce Reich germanique qui sera
une bénédiction pour la Terre entière. Depuis des millénaires, c’est le devoir de la race blonde
que de dominer la Terre et de toujours lui apporter bonheur et civilisation »
180
16/ Himmler (24 avril 1943) : « Détruire les poux ne relève pas d’une conception du monde.
C’est une question de propreté. Bientôt nous n’aurons plus de poux »
17/ Himmler (6 octobre 1943) : « La question suivante nous a été posées : que fait-on de
femmes et des enfants ? Je me suis décidé et là aussi j’ai trouvé une solution évidente. Je ne
me sentais pas le droit d’exterminer les hommes et de laisser grandir les enfants qui se
vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire
disparaître ce peuple de la Terre. »
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A Limoges, régnaient à la tête du bureau de la Milice, Jean de Vaugelas et Victor de
Bourmont puis en juin 1944, le capitaine Raybaud en liaison avec le lieutenant Géromini qui
remplace Bourmont enfin Henri Barrier qui succède, le 25 juillet 1944, à Raybaud. Le jeu des
chaises musicales suit la débandade, le régime de Vichy s’effondre par pans mais des officiers
sont toujours prêts pour la relève. Filliol y dirige le 2ème service de la Milice, il se fait
appeler Deschamps et torture, selon des témoins, en gants blancs. Toujours l’office, l’âme
perverse du prêtre défroqué. Les acolytes de Filliol sont Thomine et Dubarry, assesseurs et
vicaires.
Selon Bar-Zohar, Filliol aurait conduit la division Das Reich sur Oradour sur Glane le 10 juin
1944. Dernier acte de la substitution. Même la guerre civile est déléguée aux allemands.
La retraite des miliciens de Limoges s’opère après le 16 août 1944 : Le convoi est composé de
95 véhicules chargeant plus de huit cents personnes (500 miliciens, 200 femmes, 150 enfants).
Ces miliciens rejoignent le bataillon Carus qui prend position à Tirano (Italie) fin avril 1945,
il y est bombardé par les partisans de la division Valtellina qui le mettent en pièces.
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La Ferdine comme il s’appelait lui-même, avec bien d’autres montmartrois, a une conception
de la vie qui échappe aux midinettes, aux héroïques, aux stoïciens des cafés-concerts, le poing
bloqué sur une liasse. La vie selon Louis-Ferdinand dit Bardamu, dit Monsieur Destouches,
dit le Chroniqueur est une longue suite de dépendances et de défaillances conjointes. Face aux
chimères, face aux pouvoirs, face aux corps, la vie impose dans toute sa cruauté une
dissymétrie des relations entre éléments, une déchéance, une défaite imparable des
consciences et des principes.
De là le procédé comique que Céline emprunte à Rabelais, procédé qui unit en une même
parade passée à la mitraille d’une prose trois points la montre et sa défection : Raumnitz en
maître du château des Hohenzollern mais fessé à Paris, Pétain l’incarnat dernier roi de France
mais régnant sur un peuple de faméliques en bordure de Danube, le couple des aubergistes
allemands alliant un être cupide et une nymphomane sadique, la troupe des 1142 fuyards
lisant, éructant, se disputant, ouvrant leur boutique PPF chargée jusqu’à la gueule de mourants
et de grabataires, la gare où se consomment les idylles ventres vides entre soldats désemparés
et femmes enceintes esseulées et fuyardes ou adolescentes en congé de société, l’officier
allemand débarquant dans l’officine de Céline avec une armada pour lui présenter sa prostate
enflammée avec toucher rectal et rendez-vous, Aïcha et son dogue nettoyant les couloirs de sa
foule haletante de teneurs de gogues bouchés et de fous furieux, débarquant tous les curieux
par la porte de la chambre 36.
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Néanmoins, comme poète, car Céline est poète, le rhapsode présente sa prose comme une
prosopopée d’où après une centaine de pages de récriminations cette vision d’une péniche à
quai la Publique, avec Caron, le promeneur du Styx, et dans le rôle du guichetier, Le Vigan en
habit de gaucho sorti des pampas argentines de Juan Peron. Du côté des morts, Céline
s’installe sur les nappes floues du passé, ramenant à lui les disparus d’une image et d’un trait
comme ce Laval plus vrai que nature en agent électoral compulsif et en blablateur
égocentrique appelant le pauvre Bichelonne comme garant des faussetés qu’il profère.
Comme narré et médecin, Destouches, le double de Céline, suit les vivants dans cet incessant
ballet où la souffrance croise ses symptômes, maladie, naissance, advenue de la mort, folie.
Car chez Céline, le temps c’est toujours celui de l’apocalypse, le dernier, celui de la décision.
Il ne s’agit donc pas d’intégrer un quelconque style oral, populaire, argotique et je ne sais quel
fantasme populiste en recherche de prix, de vraisemblance et de crudité mais de traiter
l’Instant à son point d’ébullition dans le tremblé de sa venue qui échappe à la nécessité et
partant à toute culpabilité.
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L’Instant chez Céline c’est donc une Vision car tout poète comme le disait Rimbaud dans sa
lettre est Voyant. Dès lors, tous les personnages de la chronique ont quelque chose de
burlesque, saisis dans leurs mimiques, transportés dans une prosodie où l’usage de la
répétition est constant comme un tenseur hachant l’arabesque grammatical.
Céline parcourt les traits expressifs, il ne cherche pas la ronde des signes, il est celui qui se
lance, aveugle, dans le flot monstrueux de l’Histoire, bistouri en main avec ses capsules de
morphine et cyanure, il est celui qui ricoche aux angles d’inanité du beau récit, de la belle
langue car il tient le monde pour obscur et sans mystères, paysage dévasté des dieux et des
morales, il l’annonce, je suis un mystique mais du néant.
Aussi s’il est un maître Eckhart nihiliste, car persécuté, il n’en reste pas moins un contempteur
de la Rédemption parce que le nivellement est la pente fatale, parce que les hommes veulent
porter beau mais qu’ils sont incroyablement lourds, lestés, du poids de leurs chausse-trappes.
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1943. L’architecte judéo-allemand Erich Mendelsohn est coopté par le Corps d’armement
chimique afin de travailler avec les ingénieurs de la Standard Oil et les décorateurs de la
RKO. Il s’agissait de recréer à l’identique un quartier ouvrier de Berlin dans le désert de
l’Utah. Parallèlement, l’architecte Antonin Raymond mène ses recherches sur la manière dont
les maisons japonaises en bois réagissent au feu. Six répliques de Mietskasernen (baraques de
location) sont donc érigées. Mendelsohn se penche particulièrement sur les matériaux de
couverture dont les caractéristiques sont essentielles en cas d’incendie. Le bois des charpentes
était importé de Mourmansk et les GI l’arrosaient régulièrement afin de reproduire les
conditions climatiques de la lointaine Prusse.
La fabrication du mobilier intérieur était, en revanche, le domaine des techniciens de la RKO
épaulés par des artisans allemands. Tous les détenus de la prison d’Etat de l’Utah furent
enrôlés dans l’œuvre collective. En 44 jours, les villages allemand et japonais étaient sur pied.
Entre mai et septembre, des bombes incendiaires à la thermite et au napalm furent larguées
sur le complexe, et ce, trois fois de suite. La supériorité des munitions au napalm M-69
apparut à tous. Comme le résume Barry Watts, c’était là la conception américaine de la
guerre, « un immense projet d’ingénierie dont les processus fondamentaux sont aussi
précisément calculés que les capacités de résistance à la pression d’un barrage ou la tension
d’un pont »
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Le 6 août 1945, le bombardier B 29 Enola Gay conduit par Paul Tibbets porte dans ses flancs
Little Boy qui va souffler Hiroshima. A ses côtés, une équipe de scientifiques est embarquée
afin de déterminer avec précision les conditions et les effets de l’explosion. Le bombardier
s’appelait Necessary Evil.
Six options existaient afin d’obtenir la reddition japonaise sans invasion de l’archipel :
poursuite des bombardements et du blocus, négociations officieuses, modification des termes
de la reddition, entrée en guerre des soviétiques, largage atomique de « démonstration »,
largage de bombes atomiques sur des objectifs civils. La seule qui ne fut pas discutée et
débattue fut la dernière.
Aux lendemains du bombardement de Nagasaki, le chef de la marine nippone propose le
lancement d’attaques spéciales dont il estime le bilan à 20 millions de sacrifiés. Les
américains se préparent au largage d’un troisième engin mais la reddition tombe le 14 août, à
la surprise générale.
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On retrouverait Filliol en France en 1946 où il ferait chanter des industriels cagoulards, en
Espagne en 1948, où il prend le nom de Lamy. Il aurait fini riche à Saint Sébastien, deux
stations de la vie, la balle qui l’oublie, la fortune qui le porte dans la langue de Cervantès,
señor Lamy.
Henri Deloncle, le frère du Guide suprême, écroué à la Santé, est libéré en décembre 1945
suite à une « erreur matérielle ». Il fuit en Espagne avec son neveu Louis (18 ans en 1944), et
sa nièce Claude, mariée au milicien Guy Servant. Enfin Henri embarque Mercedes Deloncle
qui deviendra officiellement la femme de Jacques Corrèze, arriba España.
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Selon les méditations d’Heidegger dans Etre et Temps, la mort est une imminence mais une
imminence qu’on ne peut utiliser, ni avec laquelle la coexistence est possible. La mort est un
rendez-vous avec soi-même. La révélation de cette possibilité qui appartient en propre à ce
soi-même, n’est pas théorique, ne passe pas par le rapport à autrui, elle se manifeste dans
l’angoisse.
Le rapport à la mort n’a donc rien à voir avec cette vérité première de l’opinion selon laquelle
nous mourons tous un jour. De plus, ce rapport est étranger à cette réaction devant l’annonce
de la mort des autres, lointains ou proches, qui rappelle que nous sommes encore à l’abri d’un
tel évènement. Contre la mort, il n’y a pas d’assurance, pas de contrat, sa dévastation est
absolue, elle abolit tout lien.
Dans le temps du factice, la mort est toujours un désagrément, un quasi-manque de tact, il
s’agit donc de mourir en silence et discrètement, sans déranger le déjà-vu et le déjà-su qui font
la trame du quotidien. Or, le rapport à la mort, est toujours l’ouverture d’un possible qui n’est
ni le suicide, ni un memento mori, juste la découverte d’un impératif, celui d’éviter de devenir
trop vieux pour les victoires.
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On peut en tirer la réaction désabusée d’Evola selon laquelle un peuple manque à sa destinée
fasciste dans la mesure où il se montre incapable de fournir un nombre suffisant d’hommes à
la hauteur de certaines exigences et de certains symboles, écho d’une phrase d’Hitler pour qui
après la bataille décisive contre les russes, il ne restait que des êtres inférieurs, les meilleurs
servant de nourriture aux oiseaux et charognards.
Dans les deux cas, on constate un même contre-sens, mais symétrique, de celui de Sartre à
propos de l’existentialisme supposé d’Heidegger. On juge sur le résultat empirique de la
valeur des hommes et des communautés et on en oublie la foi qui les mène et dont les
arabesques sont autres choses que des annonces de journaux ou les concaténations des traités
idéologiques.
Comme l’a dit, le même Heidegger, à propos de Schlageter, baptisé pèlerin du néant par le
leader de l’Internationale communiste Karl Radek, « il ne pouvait se dérober à son destin qui
était de mourir de la mort la plus dure et la plus grande, avec une volonté tranchante et un
cœur lucide ». Que Schlageter fut un nazi fusillé par les troupes d’occupation françaises
dépêchées par Poincaré, n’empêche pas d’observer qu’on est en présence d’un culte du don de
soi qui diffère radicalement du culte de la mort élaboré par les fascistes italiens de la
République sociale avec ces mots gravés sur les mitraillettes de la X Mas du prince Borghese,
« la piété est morte ».
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Comme l’a bien observé Jean Genet, dans notre Dame des fleurs, la Milice comme les
brigades noires du dernier Mussolini, agissaient en voyous ou en enfants cruels couverts par
l’autorité légale, occupant les trois places du juge, de l’ennemi irréductible et du bourreau. Ce
sentiment exalté d’exercer une sorte de vengeance souveraine sans limites, se retrouve dans
une lettre d’une brave infirmière de la Croix-Rouge passée au service des débris de la
République de Salo « Tu sais, quand ils sortent pour les ratissages, j’essaie toujours de m’y
faufiler, moi aussi. L’autre jour, j’y suis allée avec papa, qui avait demandé de s’engager dans
la SS, j’étais si heureuse, tu sais. Les militaires me disent toujours que je ne devrais pas parce
que je porte la poisse, mais, moi, tu sais, quand je peux, j’y vais ».
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Pour les Kabbalistes, l’unité de la divinité repose sur les sefirot qui sont comme les
émanations d’une respiration sans fin dont les modalités ont trois scansions, la Création, la
Révélation et la Rédemption.
Le terme, sefira, introduit au XIIIème siècle, repose sur la racine SFR dont la double
signification renvoie au Livre et au compte. Il est étrange que les nazis n’aient jamais oublié
ces deux pôles dans leur entreprise de règlement du problème juif par la destruction et le
compte des vivants et, parallèlement, la collection et le compte des morts. Chez eux, la beauté
du mort passait par la destruction finale du vivant, les juifs avaient survécu par l’étude, les
nazis les maintiendraient par la recherche après les avoir réduit aux volutes des crématoires.
Alors que la conférence de Wannsee avait décidé la destruction des juifs d’Europe, Alfred
Rosenberg, l’idéologue nazi à la langue épaisse avait entrepris de réunir l’ensemble des fonds
des bibliothèques juives dans le Hoschule zur Erforschung der Judenfrage à Francfort, comme
si l’entreprise criminelle en cours se doublait d’une attestation de la perversité juive à travers
l’Histoire, car n’en doutons pas comme tous les athées et tous les eugénistes conséquents, les
nazis considéraient que les juifs avaient commis cet acte ignoble d’instituer la transcendance
et l’existence d’une faille perpétuelle dans l’Humanité dont les nazis entreprenaient par le fer
et le feu de restaurer le corps biologique glorieux.
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Pour ce faire, on réunit des érudits juifs qu’on s’empressa d’expédier à Auschwitz en 1943 à
l’exception de certains dont le plus important fut le docteur Ernst Grumach. Bien entendu la
collecte fut menée à l’allemande, d’une manière méthodique et délirante. Les bombardements
alliés eurent raison de certains fonds alors même qu’ils réduisaient en poussière le treillis des
villes allemandes détruisant sous un tapis de bombes Cologne, Hambourg ou Dresde.
Consciencieux, les responsables nazis expédièrent les fonds en Tchécoslovaquie et en Silésie
avant que l’avance foudroyante de l’armée rouge accompagnée de son cortège de viols
massifs, de pillages et d’orgie de destructions devant le spectacle d’un ordre et d’une
prospérité germaniques qui rendait fous des moujiks, dont le sens moral était perverti par la
cynisme vibrant du stalinisme.
Gershom Sholem fut envoyé sur place par les instances du Yishouv qui n’était pas encore
Israël afin de sauver ces fonds mais ce fut un major américain, un certain Pomeranz qui
entreprit de les récupérer à Offenbach près de Francfort pour les offrir en guise de rédemption
triste à ceux qui avaient survécu mais ne savaient plus vraiment ce qu’ils étaient.
Dans la Kabbale il est dit que la Shekhina est la présence divine dans le monde, c’est une
entité féminine, la fille du Roi, elle est de l’ordre du créé de l’inférieur, elle est le royaume.
Qu’un tel royaume comprenne Auschwitz pose le problème du lien avec la divinité cachée
l’EnSof, un lien qu’Azriel de Gérone avait formulé ainsi, En-Sof est la racine commune de la
foi et de l’incrédulité, comme si ce Dieu caché disait aussi le caractère insondable d’un mal
que Kant nommait radical parce qu’il le pressentait infini.
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Épilogue gnostique
On sait ce qu’est l’artiste gnostique, toujours en révolte contre le monde et la création, en
manque de peuple et citoyen de la Cité de demain, toujours en attente d’une illumination qui
le ramènera à son essence supra-humaine, volontaire de chaque instant pour la communion
avec le Plérôme, appartenant de droit à l’idéal. Comme Initié, son art dévoile et voile en
même temps le grand secret et le place en bordure rémanente du désespoir (est-il pneumatique
?). Il ne sait comment traduire les influx sublimes qui le traversent, dès lors il sera le forcené
de la déchirure, du scandale, l’athlète de la statue intérieure puisque toute œuvre est
décevante. Déchirer le voile des apparences sera son obsession, toujours du choc et des
claques pour que la masse effarouchée des hyliques et psychiques voient et sentent puis
tremblent devant le scandale de leur existence.
En conséquence le politique gnostique sera racialiste ou partisan d’un nouvel homme (d’où le
mythe de l’élection et son antisémitisme à fleur de peau), tour à tour artiste et laborantin,
porté sur le rituel et l’efficacité, cynique mais en porte à faux sur l’horizon eschatologique où
le mal sera extrait du monde par le combat, l’activisme, le feu, la terreur et la palette entière
de ses exactions. Tout sera bon pour faire advenir la communion enfin réalisée du vrai savoir
qui n’est jamais officiel, de l’homme véritable qui n’est toujours qu’une partie de l’Humanité
et de l’origine supra-humaine qui nous fera les enfants d’Hyperborée, du communisme
primitif, d’Apollon ou d’on ne sait quoi.
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Pour le gnostique, la seule vertu qui soit est celle de sa supériorité, la seule souffrance, la
sienne, le mal, l’action des méchants, des prisonniers de la glaise, Dieu n’est jamais le gardien
du monde mais son contempteur, il accomplit donc sa volonté, tel un somnambule dont
l’intuition guide les pas jusqu’au crépuscule final qui est toujours celui des dieux. Avec sa
mort, le gnostique pense que c’est le divin qui se retire et se rétracte et la malignité du
démiurge qui remplit de nouveau le monde si bien qu’il n’y a pas de crime qui ne soit
supérieur en gravité à cette défaite, pas d’autre voie que le suicide quand les forces coalisées
sous l’action sinistre de quelque complot viennent porter l’estocade.
De toute façon, le gnostique s’en fout, il est Immortel.