Bo Diddley
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Bo Diddley
S i le rock’n’roll est né le jour lointain où le premier esclave débarqué d’Afrique sur le continent américain a pris une guitare (instrument blanc) dans ses mains pour s’exprimer, il a fallu attendre quelque 200 ans et Bo Diddley pour voir se concrétiser la chose de manière flagrante. Mélange de rythmes ancestraux (la brousse, les tribus, tambours du Burundi et rythmes créoles) et de modernité (usage débridé de l’électricité, amplis et guitares customisés), Bo Diddley a une influence énorme sur ses contemporains, ainsi que sur les générations suivantes, à commencer par les Rolling Stones (Cf. « I Need You Baby (Mona) », « Diddley Daddy », « CrawDad », « Crackin’ Up »). Dès les années 50, ses collègues rockers blancs lui empruntent son fameux rythme : « Willie And The Hand Jive » (Johnny Otis), « Not Fade Away » (Buddy Holly), « Guybo » (Eddie Cochran), « Cannonball » (Duane Eddy), « His Latest Flame » (Elvis Presley), « Catman » (Gene Vincent)... Quant aux groupes anglais, après les Stones, les Animals et les Pretty Things (titre d’une de ses chansons !) s’engouffrent dans la brèche béante. Bo est une de leurs influences incontournables. Phil May : J’ai été estomaqué quand j’ai entendu « Pretty Thing » pour la première fois. Nous en avons fait notre nom et nous le défendons encore aujourd’hui avec fierté et amour. Il est également omniprésent dans l’évolution de la black music et de James Brown à Public Enemy. De la soul au funk, tout le monde doit quelque chose à Bo Diddley, y compris les rappeurs qui voient en lui le premier gangsta ! Pourtant, les racines africaines sont utilisées dès les années 20 avec Duke Ellington et son fameux style jungle qui fait les riches heures du Cotton Club au début des années 30, puis par les jazzmen qui, du swing au bop et au modern jazz, se ressourcent sans cesse au contact du continent noir (Charlie Parker, John Coltrane). L’apport de Bo Diddley à cette démarche de retour aux origines tient à sa rencontre explosive et outrageuse avec la fée Electricité qui fait toute la différence entre le jazz et le rock’n’roll, même si leurs parcours sont intimement liés. Pour tout cela, Bo est le guitariste noir de rock’n’roll le plus important avec Chuck Berry et Mickey Baker. Son jeu, en apparence limité, est d’une richesse beaucoup plus grande qu’on pourrait le croire de prime(itif) abord. CHESS Bo Diddley naît le 30 décembre 1928 dans la ferme d’une plantation de coton près de McComb (Mississippi). Sa mère, Ethel Wilson, lui donne le nom de Otha Ellas Bates (son père qu’il n’a jamais connu s’appelle Bates), mais c’est la cousine de sa mère, Gussie McDaniel, qui l’élève et le rebaptise Ellas Bates McDaniel. Son père adoptif déménage à Chicago avec ses trois autres enfants en 1935. Ellas commence à pratiquer le violon avec l’Ebenezer Baptist Church Congress Band et le trombone à son lycée, le Poster Vocarional (comme quoi, il faut se méfier de tout cliché primitif). Bo étudie le violon pendant douze ans et arrête quand il se rend compte qu’il n’y a pas d’avenir pour un violoniste noir. Historique premier 30 cm en 1958. 56 BO DIDDLEY Jungle Beat Bo Diddley (1928-2008) est l’un des grands stylistes du rock’n’roll, où les racines africaines sont évidentes, doublé d’un compositeur au nombre impressionnant de classiques. Ses premières années sont largement mises en valeur sur le triple CD « The Indispensable 19551960 » (Frémeaux 5376, 64 titres, livret 24 p.), compilé par Bruno Blum. Rythme de brousse, appel de la savane, jeu de scène tribal, mais guitares futuristes, Big Bad Bo Diddley ne passe pas inaperçu lorsqu’il déboule en 1955 avec son titre éponyme « Bo Diddley ». Avec lui, les racines africaines entrent de plain-pied dans le rock’n’roll naissant et lui insufflent une bonne dose d’énergie primitive. Adolescent, il joue du violon dans un trio de rue, les Langley Avenue Jazz Cats. C’est seulement à 17 ans qu’il se met à la guitare après avoir entendu « Boogie Chillun » de John Lee Hooker à la radio. Sa sœur lui achète une guitare électrique. Surnommé Bo Diddley par ses potes de lycée, il pratique assidûment l’instrument et découvre l’accordage (open tuning) de RE, employé par beaucoup de bluesmen du Delta. Au début des années 40, il dirige son orchestre de rue tout en ayant des boulots d’appoint dont un de boxeur amateur. Pour se perfectionner à la guitare, il se cache derrière la machine à cigarettes du bar où passe Muddy Waters et étudie le style du roi du Chicago blues. Une autre de ses grandes influences est l’exubérant créateur du rhythm’n’blues Louis Jordan qui, avec ses Tympani Five, marque profondément toute la génération qui créera le rock’n’roll quelques années plus tard, Chuck Berry en tête. Au début des années 50, Chicago devient une des villes-phare du blues et Bo Diddley, alors marié, monte ce qui va devenir son groupe de légende avec l’harmoniciste Billy Boy Arnold, le guitariste Jody Williams, le batteur Frank Kirkland et celui qui va jouer un rôle déterminant dans son futur son, Jerome Green aux maracas. En 1954, il acquiert une Gretsch Country Club et inaugure sa vie de musicien professionnel au Club 708, devenant rapidement populaire dans le circuit des boîtes et des soirées privées du South Side. Poussé par Billy Boy Arnold, Bo enregistre une maquette avec deux de ses compositions, « I’m A Man », fortement marqué par Muddy Waters, et un morceau qui ne ressemble à rien de ce qui se fait alors, intitulé originellement « Dirty Mother Fucker » ! Le texte, à tout le moins salace, est psalmodié sur un tempo jungle et un accord unique. Ce titre, rebaptisé en toute modestie « Bo Diddley », est refusé par Vee-Jay et United avant d’être accepté par les frères Phil et Leonard Chess sur leur label subsidiaire Checker. ED SULLIVAN La première séance, le 2 mars 1955, avec Billy Boy Arnold (harmonica), Jerome Green (maracas), Otis Spann (piano), Willie Dixon (contrebasse) et Clifton James (batterie), voit Bo Diddley instaurer une sonorité particulière à laquelle il restera fidèle, avec des variations, rock mâtiné de chaloupé créole. Il y ajoute l’humour et l’intelligence des paroles. De cette première journée en studio proviennent « She’s Fine, She’s Mine » (qui se transformera en « You Don’t Love Me » par Willie Cobbs en 1961), « I’m A Man » (qui poussera Muddy Waters à enregistrer « Mannish Boy »), « Bo Diddley » (basé sur le fameux tempo, dérivé du chant pour enfant « Hey Diddle Diddle ») et « Little Girl ». En 1955, « Bo Diddley », couplé à « I’m A Man » (Checker 814), se classe 1er R&B et produit un énorme effet tant sur le public noir que les adolescents blancs. A New York, Bo Diddley est programmé régulièrement au Loew’s State Theatre et à l’Apollo où Elvis Presley le voit début 1956. Il est fortement impressionné par son jeu de scène (déhanchement, jeu de jambes, emploi phallique de la guitare). Pris dans le maelström du rock’n’roll pré-Elvis (Fats Domino, Bill Haley, Little Richard, Chuck Berry...), Bo en devient une des figures de proue et est invité à l’Ed Sullivan Show sur CBS, le 20 novembre 1956, où on lui impose d’interpréter « Sixteen Tons ». Avec Bobby Barker (guitare), Clifton James (batterie) et Jerome Green (maracas), il fait semblant d’obtempérer mais, une fois sur le plateau, il balance « Bo Diddley », leur mettant (selon ses propres termes) bien profond... et se grillant à vie avec Ed Sullivan ! De 1955 à 1958, Bo Diddley sort neuf simples, tous séminaux. « Diddley Daddy »/« She’s Fine, She’s Mine » (Checker 819) est enregistré le 15 mai 1955). Il est suivi de « Pretty Thing »/« Bring It To Jerome » (Checker 827), le 14 juillet 1955, avec l’arrivée de Lafayette Leake au piano, et de « Diddy Wah Diddy »/« I’m Looking For A Woman » (832), le 11 novembre 1955, avec le renfort de Jodie Williams à la guitare. Bo Diddley enchaîne avec « I’m Bad »/« Who Do You Love » (842), toujours au studio Chess, à Chicago, le 5 mai 1956), puis « Cops And Robbers »/« Downhome Special » (850), le 24 mai 1956, où la face B comporte la base de « I’m Going Home » de Gene Vincent). Il poursuit avec le fameux « Hey Bo Diddley »/« Mona (I Need You Baby) » (860), le 8 février 1957, « Say Boss Man »/« Before You Accuse Me » (878), le 15 août 1957, avec Peggy Jones alias Lady Bo à la guitare, et, en 1958, « Hush Your Mouth »/« Dearest Darling » (896) et « Say Man »/« The Clock Strikes Twelve » (931). GO BO DIDDLEY Enfin, en 1958, paraît son historique premier 33 tours, « Bo Diddley » (Chess 1431). Avant même la musique, c’est la photo de pochette qui vous met KO. Bo pose, jambes écartées, avec sa Gretsch Jet Firebird sur un fond blanc, tandis que l’on aperçoit derrière Jerome Green et Frank Kirk- En 1959, album « Go ». avec « Say Man ».