Judith et la fête de Hanoukka le miracle », phrase célèbre r

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Judith et la fête de Hanoukka le miracle », phrase célèbre r
Judith et la fête de Hanoukka
L'allumage de la lampe de Hanoukka
Les femmes comme les hommes doivent allumer les lumières de Hanoukka, écouter la lecture de la
Meguilla d'Esther à Pourim et boire les quatre coupes de vin à Pessah.
Rabbi Yehoshoua ben Lévi (vers 250) explique que c'est parce que « les femmes aussi étaient dans
le miracle  », phrase célèbre répétée à plusieurs endroits dans le
Talmud de Babylone. Rachbam (1085-1174), petit-fils de Rachi, précise qu'il ne faut pas en déduire
que les femmes auraient joué un rôle secondaire, mais au contraire qu'elles détenaient le rôle
essentiel : « c'est grâce à elles que le miracle est arrivé , à Pourim grâce à
Esther, à Hanoukka grâce à Judith et à Pessah grâce au mérite des femmes justes qui se trouvaient
dans cette génération » (commentaire cité dans les Tossafotes sur TB Meguilla 4a).
Judith est la figure centrale de la fête
de Hanoukka et elle est représentée
sur les Hanoukkiot, comme en
témoigne cette belle Hanoukkia
d'origine italienne, datée du 19e
siècle et qui se trouve dans le Jewish
Museum de New York.
On y voit Judith triomphant de
Holopherne à qui elle trancha la tête
avec sa propre épée. Elle montre ses
atouts féminins avec lesquels elle
n'eut aucun mal à séduire le général
pris au piège de son désir.
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Cette Hanoukkia, exposée au musée
d'Israël à Jérusalem et datée du 18e siècle,
montre Judith en train d'allumer les
lumières de Hanoukka selon l'obligation
qui incombe également aux femmes. En
face d'elle se trouve la servante qui
l'accompagna dans le camp d'Holopherne.
Le livre de Judith
Dans le livre de Judith, l'héroïne est
présentée comme une juive pratiquante :
Elle mène une vie très austère et jeûne
tous les jours sauf les jours de fête. Elle
suit rigoureusement les règles de la
cachroute et emporte dans le camp
adversaire sa propre nourriture, refusant
de toucher aux mets que Holopherne lui
propose.
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(The Stieglitz collection)
Sigrid Acker, SDRJ 91, décembre 2014
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Le livre de Judith ne figure pas dans le canon des livres hébraïques même si, d'après les spécialistes,
il a très vraisemblablement été écrit en hébreu. En revanche, il se trouve en langue grecque dans la
Septante et il est parvenu dans les bibles catholiques où il est classé parmi les livres
deutérocanoniques.
Certains extraits apparaissent dans la liturgie, notamment la prière de Judith au chapitre 16 qui est
lue à l'office des Laudes, le premier mercredi du mois.
Le livre de Judith comporte 16 chapitres et peut être partagé en deux parties. La première, chapitres
1 à 7, raconte l'ascension et la campagne de Nabuchodonosor. Judith n'apparaît qu'au chapitre 8 qui
ouvre la deuxième partie du livre dont elle est la figure principale. Elle est une riche et pieuse veuve
de Béthulie, ville assiégée par Holopherne, chef de l'armée de Nabuchodonosor. L'eau vient à
manquer cruellement et les anciens décident la reddition de la bourgade au bout de cinq jours. Mais
Judith refuse de se résigner, reproche aux chefs leur inaction et promet de sauver la ville. Elle
change ses vêtements de deuil pour ses plus beaux habits, se parfume, se pare de ses bijoux et se
rend avec sa servante dans le camp ennemi. Elle n'a aucune peine à séduire Holopherne et, profitant
d'un banquet, lui tranche la tête qu'elle rapporte à Béthulie. Quand le camp des ennemis se rend
compte de la mort du général, c'est la consternation et les Israélites n'ont aucun mal à les mettre en
déroute. Judith entonne alors un chant de victoire et monte à Jérusalem avec les habitants de la ville
pour rendre grâce à Dieu qui vient de sauver son peuple. Puis elle regagne Béthulie, reprend sa vie
de prière et meurt à l'âge de 105 ans sans s'être remariée.
La rédaction de ce livre date de l'époque de la révolte maccabéenne sous Antiochus Epiphane IV
(167-164 avant l'ère chrétienne). Cet écrit édifiant vise à encourager le peuple à une époque
difficile, à lui insuffler du courage et à alimenter la résistance contre les Grecs. Le livre de Judith n'a
rien d'historique et il est volontairement antidaté, comme l'est aussi le livre de Daniel dont la
rédaction date également de l'époque hasmonéenne.
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L'histoire de Judith est un récit entièrement inventé et emprunte de nombreux motifs littéraires qui
apparaissaient dans la Bible hébraïque :
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le motif du manque d'eau qui entraîne un manque de confiance en Dieu (cf. les récits du
séjour du peuple hébreu dans le désert).
l'utilisation de la ruse et de la tromperie pour parvenir au but recherché : comme
Rébecca qui trompe son propre mari pour que Jacob reçoive la bénédiction de son père
Isaac, Judith n'hésite pas à recourir au mensonge et prétend qu'elle s'est enfuie de chez elle...
le recours aux charmes féminins pour parvenir au but recherché : Judith fait comme Tamar
(Gen 38) qui enlève ses habits de veuve et se fait belle pour séduire Juda... et dans le même
ordre d'idée, on peut aussi citer Dalila qui profite de l'attirance que Samson éprouve à son
égard pour lui arracher le secret de sa force et pour le livrer aux Philistins (Juges 16).
le motif de Dieu qui sauve par la main d'une femme apparaît avec Yaël dans le livre des
Juges et, avant Judith, c'est déjà Yaël qui profite du sommeil du général ennemi, Siséra, pour
le tuer (Juges 4 et 5). Judith ressemble aussi beaucoup à Débora, personnage central de ces
mêmes chapitres dans le livre des Juges, qui est la seule à agir et à décider au milieu
d'hommes indécis.
le motif du faible qui l'emporte sur le fort : Judith est comme David, le petit berger de
Bethleem, qui remporta la victoire sur le puissant Goliath dont il trancha la tête qu'il
rapporta triomphalement à Jérusalem (1 S 17). Ce motif se trouve aussi avec Judas
Maccabée (1 Mac 7 et 2 Mac 15).
le motif du chant de victoire : Comme Débora et Miriam qui reprend le cantique de la mer,
qui chante et danse, Judith entonne un cantique et se réjouit de la victoire...
Hanoukkiot surmontées de la figure de Judith :
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Fin 17e s., Allemagne.
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Museum of fine Arts, Boston, 18e s.
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La fête de Hanoukka n'apparaît pas dans le livre de Judith car, puisque l'auteur a délibérément
choisi un cadre anachronique pour son histoire, il ne pouvait pas mentionner cette fête. PierreMaurice Bogaert (voir la bibliographie à la fin de l'article) a toutefois démontré que l'auteur y faisait
allusion indirectement, en faisant courir l'histoire de Judith sur une année entière et plus
particulièrement d'une fête de Hanoukka à l'autre.
Bien plus, l'histoire de Judith se termine à Jérusalem, au Temple où d'importantes festivités ont lieu,
ce qui pourrait bien correspondre à la fête de Hanoukka, fête de la « dédicace », instituée en 164
avant l'ère chrétienne. Pierre-Maurice Bogaert en déduit que la rédaction du livre de Judith est
postérieure à cette date et que le livre de Judith est lié dès l'origine à la fête de Hanoukka.
Les manuscrits hébraïques de l'histoire de Judith
Au Moyen Age, XIe et XIIe siècle, l'histoire de Judith, connut un grand succès et plusieurs
manuscrits en hébreu avec différentes versions circulaient. Ces textes ont été édités par Dubarle
(voir bibliographie) et portent des titres très divers : Sefer Yehoudit bat Merari (=livre de Judith,
fille de Merari), Ma'asé Yehoudit (=histoire de Judith), Meguillat Yéhoudit (=rouleau de Judith, cf.
Meguillat Esther)... Plus tard, une fois l'imprimerie inventée, ces textes ont même été imprimés.
L'histoire de Judith faisait donc bien partie du patrimoine juif, bien que le livre de Judith n'ait pas
été retenu dans le canon juif des Écritures.
Ces histoires comportent de nombreuses divergences
avec le texte grec :
La ville attaquée est généralement Jérusalem, nulle
mention n'est faite des chapitres 1 à 7 du texte grec et
dans plusieurs manuscrits, l'histoire de la fille du
grand prêtre Yohanan, sœur de Judas Maccabée
précède celle de Judith : on y raconte que les Grecs
avaient décrété différentes mesures à l'encontre des
Juifs, parmi lesquelles notamment que les fiancées,
avant leur mariage, devaient être déflorées par le
gouverneur. La sœur de Judas Maccabée fut
personnellement confrontée à ce décret, mais elle
refusa de s'y soumettre et le jour de son mariage
provoqua un scandale en apparaissant en haillon et en
interpellant l'assemblée. Judas Maccabée alors décida
de prendre les armes et tua le gouverneur grec. Sur
ces faits, le roi des Grecs apprenant l'assassinat de
son gouverneur, décide d'assiéger Jérusalem et c'est à
ce moment-là que surgit Judith. Quelques détails
diffèrent du texte grec : en particulier, Judith aurait
servi du fromage à Holopherne, motif qui pourrait
bien venir de l'histoire de Yaël qui, à la place de l'eau
que Sisera réclamait, lui servit du lait. C'est pourquoi,
dans certaines communautés, il est coutume de
consommer également du fromage et des mets lactés
Gros plan de Judith,
à Hanoukka outre les beignets qu'on fait frire dans
détail de la Hanoukkia figurant à la page suivante...
d'abondantes quantités d'huile et qui rappellent le
miracle de la petite fiole d'huile.
Il est intéressant à relever que ces textes ne se focalisent pas sur l'exploit des Maccabées et la
guérilla que mena Judas Maccabée contre les envahisseurs grecs, mais que ce sont plutôt les figures
féminines qui sont au centre de ces récits.
Judith comme Judas Maccabée représente la résistance du peuple face à l'envahisseur étranger. Elle
apparaît comme la face féminine de Judas Maccabée, le nom de Judith signifiant du reste "la Juive"
tout comme Juda signifie "le Juif". Mais à la différence de Juda Maccabée qui est un vaillant
combattant, Judith est une veuve et représente les faibles d'Israël dont Dieu prend la défense.
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C'est ce que Judith exprime dans la prière qu'elle dit avant de se rendre dans le camp adverse : « Ta
force n'est pas dans le nombre, ni ta puissance dans les forts, mais tu es le Dieu des humbles, le
secours des petits, le défenseur des faibles, le protecteur des abandonnés, le sauveur des
désespérés. » (Jt 9,12).
A l'époque du Moyen-Age où les histoires de Judith circulaient, les juifs souffraient des
persécutions chrétiennes. C'est l'histoire de Judith qui a alors la faveur des communautés juives qui
s'identifiaient avec Judith, femme et veuve, davantage qu'avec Judas Maccabée, le héros guerrier.
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De Hanoukka à Pourim : d'une héroïne à l'autre, de Judith à Esther
Avant de conclure, rappelons encore que, dans le calendrier juif, Hanoukka est suivie de Pourim.
Ces deux fêtes ont en commun d'être des fêtes tardives et d'avoir été instituées par les sages. Elles
ont été introduites dans le calendrier pour prémunir le peuple juif contre de graves dangers qui
menaçaient son existence : avec Hanoukka, le danger de l'assimilation et avec Pourim, le danger de
la disparation physique avec Haman, ministre d'Assuérus, qui décréta l'extermination des juifs.
L'histoire d'Esther qui sauva son peuple de ce décret est connue et n'a pas besoin d'être racontée ici.
Elle est lue à Pourim et les femmes aussi doivent l'écouter. Pierre-Maurice Bogaert va jusqu'à
suggérer que l'histoire de Judith aurait pu être conçue comme une lecture festive pour Hanoukka,
comme le rouleau d'Esther pour Pourim !
Ces deux fêtes arrivent tout à la fin de l'année liturgique qui a commencé avec Pessah, célébrant la
sortie d''Égypte. Ainsi, le cycle liturgique est initié par l'action de Dieu intervenant activement dans
l'histoire des hommes et se termine avec les fêtes de Hanoukka et de Pourim qui célèbrent des
femmes par lesquelles le salut est advenu. En instituant des fêtes dans lesquelles des femmes jouent
le rôle essentiel, les sages rendent hommage aux femmes et à leur capacité d'ouvrir un avenir quand
tout semble bloqué, invitation faite aux hommes de ne pas négliger la contribution des femmes au
cours de l'histoire...
Or aujourd'hui, on ne se souvient pas beaucoup de Judith à Hanoukka ! Peut-être le mélange de
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sexualité, de séduction, de ruse, de tromperie et de violence, bref, l'ambivalence du personnage, estil la cause de ce silence.
Au centre de Hanoukka aujourd'hui, c'est le miracle de la petite fiole d'huile. C'est le côté spirituel
de la fête qui est mis en avant et qui a relégué au second plan le côté héroïque des acteurs de
Hanoukka. Toutefois, le miracle de Hanoukka n'aurait pas eu lieu sans la bravoure et le courage de
ceux à qui l’on doit la victoire sur les Grecs.
Hanoukkia, 18es., Judith et sa servante portant un sac pour recueillir la tête de Holopherne
www.thejewishmuseum.org
Bibliographie :
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Pierre-Maurice Bogaert: “Le calendrier du livre de Judith et la fête de Hanukka”, Revue
théologique de Louvain, 15,1984, pp.67-72.
André-Marie Dubarle: Judith: Formes et sens des diverses traditions, Tome I études et
Tome II textes, Rome, Institut Biblique Pontifical, 1966.
Daniel Doré: Le livre de Judith ou la guerre et la foi, Cahiers Evangile, N° 132, 2005.
Christophe Nihan: "Judith", in Thomas Römer: Introduction à l'Ancien Testament, Labor
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