Incendies en tunnel :

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Incendies en tunnel :
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TECHNIQUES
Figure 1
Un auditoire nombreux et attentif
Incendies en tunnel :
Le CETU fait un point sur ses derniers travaux
Didier Lacroix - Directeur de la Recherche, Centre d'Etudes des Tunnels (CETU)
L
e 13 novembre 2007, le Centre d’Etudes des Tunnels (CETU) organisait à Lyon une journée de présentation de nouveaux résultats de
recherche. Avec plusieurs partenaires, il a rendu compte de plus de 5 ans de travaux sur la sauvegarde des personnes en cas d’incendie
dans un tunnel routier. A cette occasion, près de 200 personnes d’horizons très variés étaient venues s’informer des perspectives actuelles : maîtres d’ouvrages et exploitants de tunnels de l’Etat et des collectivités territoriales, sociétés concessionnaires, bureaux d’études, laboratoires, fournisseurs et entreprises, ainsi que de nombreux sapeurs-pompiers (Fig 1). On a noté la présence dans la salle de spécialistes
venus d’Italie, d’Espagne et même du Québec.
Après les dramatiques incendies survenus dans le tunnel du Mont Blanc et d’autres tunnels européens en 1999 et 2001, de nombreuses
actions ont été lancées en France et à l'étranger. Le CETU a renforcé ses travaux sur la sécurité et les incendies en tunnel. Il s’est investi dans
les travaux collaboratifs menés en France, notamment au sein de l’AFTES (GT 37) et du projet national sur l’Ingénierie de la sécurité incendie (PN ISI). Plusieurs projets européens ont permis de mettre en commun des compétences et des moyens sur la sécurité incendie en tunnel : réseau thématique FIT (Fires In Tunnels), projet de recherche UPTUN (UPgrading of fire safety of existing TUNnels), etc. Le CETU joue
en outre un rôle important dans les travaux de synthèse menés au niveau international dans le cadre de l’Association Mondiale de la Route
(AIPCR) et du nouveau comité de la sécurité en exploitation des ouvrages souterrains (COSUF) de l’Association Internationale des Tunnels
et de l’Espace Souterrain (AITES). La journée du 13 novembre a été l’occasion de faire le point sur les dernières avancées de ces travaux.
CONNAISSANCE DES INCENDIES
ET MÉTHODES DE SIMULATION
Se protéger des incendies nécessite de
bien connaître leurs caractéristiques et
d’être capable d’évaluer les effets de la
ventilation et des autres mesures visant à
limiter leurs conséquences.
C’est ainsi que la première séance a rappelé les données fournies par le fascicule
sur les Etudes spécifiques des dangers
(ESD) du Guide des dossiers de sécurité
du CETU, en ce qui concerne la production de chaleur, de toxicité et d’opacité
d’une variété de foyers. Elle a montré
comment de nouveaux essais français ont
permis de confirmer ou de préciser ces
valeurs. En outre, des expérimentations en
vraie grandeur (Fig 2) ont été menées en
Europe et apportent des données complémentaires : campagnes d’essais du
projet de recherche européen UPTUN en
Norvège et en Italie, expérimentations
réalisées aux Pays-Bas, en Espagne, etc.
Les méthodes de simulation numérique
ont fait l'objet d'une attention particulière
avec toute une palette d’outils appropriés
à différents niveaux d’étude : le modèle
1D largement diffusé par le CETU
(CAMATT) permet des calculs rapides
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mais ignore tout ce qui est lié à la stratification ; à l’autre extrémité de la gamme,
les modèles 3D donnent accès à de nombreux phénomènes physiques, mais au
prix d’une complexité et de temps de calcul qui ne rendent pas possible de simuler
de nombreux scénarios de façon opérationnelle. C’est pourquoi des recherches
s’intéressent à des modèles intermédiaires, intégrant des formulations semi-empiriques dans une simulation 1D, ou se
basant sur une modélisation 2D, dans le
but d’étudier de nombreux cas sans négliger la stratification.
En parallèle, des thèses ont été menées
en partenariat avec l’université Lyon I sur
plusieurs types de modélisation 3D (Fig 3).
Elles visent aujourd’hui l’optimisation du
désenfumage en ventilation transversale.
Une application pratique alliant une
approche probabiliste basée sur des calculs 1D avec des simulations 3D a permis
de juger de l’intérêt d’agrandir les trappes
de désenfumage du tunnel du Fréjus, et
d’apprécier les mesures qui doivent
accompagner cette opération, notamment en matière de détection et de localisation des incendies.
Au-delà de questions très techniques d’analyse numérique, les débats ont permis
TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 205 - JANVIER/FEVRIER 2008
Figure 2 - Essai d’incendie dans un tunnel
d’aborder les stratégies de mise en œuvre
du désenfumage pendant l’évacuation
des usagers et l’intervention des secours,
et ont mis en évidence les dangers que
peut induire une modification inconsidérée du régime de désenfumage pendant
ces opérations.
SYSTÈMES FIXES DE LUTTE
CONTRE L’INCENDIE PAR
ASPERSION
Ce sont assurément les systèmes d’aspersion qui ont donné lieu aux discussions les
plus passionnées en raison des récents
développements des brouillards d’eau et
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Incendies en tunnel : Le CETU fait un point sur ses derniers travaux
Figure 3 - Simulation numérique d’incendie en tunnel
des espoirs que beaucoup fondent sur ces
techniques.
Une installation de ce type vient d’être mise
en place par Cofiroute dans le nouveau
tunnel à gabarit réduit de l’A86 à l’Ouest de
Paris. Les expérimentations en vraie grandeur réalisées au préalable dans une galerie d’essais ont montré l’efficacité de ce système pour limiter la propagation du feu et
fortement réduire les températures.
Cet exemple a été replacé dans le
contexte des réalisations et des préconisations au niveau international, qui sont assez
diverses. Des incendies réels ont donné
lieu à l’utilisation d’une aspersion, essentiellement au Japon et en Australie, et de
nombreux essais ont été réalisés, tout particulièrement en Europe. Les leçons tirées
confirment les conclusions des essais de
l’A86, mais mettent aussi en évidence des
limites, comme la perte de stratification ou
l’impossibilité de ramener la puissance
thermique de certains foyers à des valeurs
inférieures à 25, voire 50 MW.
De façon complémentaire, les travaux propres du CETU ont étudié l’aspersion dans
le cadre d’un traitement d’ensemble des
incendies, sur la base de cas types réalistes. Afin de disposer d’outils de simulation, une thèse en cours vise la modélisation numérique 3D des brouillards d’eau,
et s’appuie sur des essais sur maquette
réalisés en partenariat avec la Direction de
la Défense et de la Sécurité Civiles (DDSC)
du ministère de l’Intérieur, le Centre
Scientifique et Technique du Bâtiment
(CSTB) et le laboratoire de combustion et
de détonique (LCD) de Poitiers.
Au stade actuel, le CETU note que les systèmes d’aspersion offrent des avantages
certains en termes de réduction des températures et de la propagation du feu,
mais qu’ils présentent des inconvénients
vis à vis de la visibilité et la stratification.
Alors que le bilan est globalement positif
pour la protection des structures, il y a de
fortes interrogations quant aux conséquences de l’aspersion sur l’évacuation
des usagers avant l’arrivée des secours
(auto-évacuation), notamment en ventilation transversale, alors qu’il s’agit d’un
point stratégique pour la sécurité. Cet
aspect semble sous-estimé par de nombreux interlocuteurs qui focalisent leur
attention sur l’action des secours et la sauvegarde du tunnel. En tout état de cause,
les systèmes fixes de lutte contre l’incendie ne peuvent être envisagés que dans le
cadre d’une réflexion globale sur la sécurité d’un tunnel, prenant en compte l’ensemble du système incluant tous les équipements, l’exploitation, les secours et les
usagers.
Les débats animés qui ont suivi ont
abordé des questions techniques, comme
la représentativité des maquettes, mais
aussi les objectifs de l’aspersion et leur
rapport avec le moment où celle-ci est
déclenchée. Une question de fond a été
soulevée sur la position à adopter par les
maîtres d’ouvrage et leur éventuelle
responsabilité juridique s’ils ne mettent
pas en place une nouvelle technologie
souvent présentée comme une solution
miracle. Des voix se sont élevées pour
inciter à prendre du recul, en raison
notamment des incertitudes quant à l’impact de l’aspersion sur le point crucial de
l’auto-évacuation. De façon plus générale,
il n’est pas envisageable d’additionner
tous les systèmes de sécurité possibles
dans chaque tunnel. La référence est l’instruction technique annexée à la circulaire
2000-63 : celle-ci définit un niveau de
sécurité de référence qui permet de juger
si la sécurité d’un tunnel est acceptable ou
si des dispositions supplémentaires sont
nécessaires.
RÉSISTANCE AU FEU DES
MATÉRIAUX ET DES STRUCTURES
La dernière séance de la journée a permis
de mesurer les importants progrès enregistrés en matière de résistance au feu des
structures. Alors que des exigences en ce
domaine ne sont apparues qu’avec l’instruction technique de 2000, des solutions
ont été mises au point et sont aujourd’hui
employées de façon opérationnelle.
Un point a été fait sur les retours de l’utilisation du guide « Comportement au feu
des tunnels routiers » diffusé par le CETU
en mars 2005, suite aux travaux d’un
groupe auquel participaient la Direction
Régionale de l’Equipement d’Ile de
France (DREIF), le CSTB et la DDSC. Alors
que ce guide est devenu une référence,
un certain nombre de compléments vont
lui être apportés pour tenir compte des
évolutions récentes. Il s’agit principalement de la prise en compte d’un feu localisé, des degrés d’analyse les plus
détaillés, et de l’écaillage et des bétons
résistant au feu. Ces derniers ayant fortement progressé au cours des toutes dernières années, une démarche a été proposée pour leur conception et il apparaît
possible de limiter les essais systématiques dans le futur.
Les travaux du GT 37 « Comportement au
feu » de l’AFTES ont été rappelés par son
animateur, qui a présenté la nouvelle
recommandation « Tunnels routiers :
résistance au feu » qui paraît dans ce
numéro. Celle-ci propose une approche
très pragmatique pour la conception des
structures à partir de 23 cas types classés
en quatre familles.
Les débats se sont penchés sur les enseignements à tirer de l’incendie du 4 juin
2005 dans le tunnel du Fréjus : la dalle du
faux-plafond avait bien résisté, conformément à ce que des essais antérieurs
avaient laissé prévoir ; en revanche, un
écaillage important était apparu sur les
piédroits dont le béton avait une bien
meilleure résistance à la compression. La
question de la résistance au feu des chambres de tirage de câbles se pose par
ailleurs dans ce tunnel comme dans d’autres, et l’absence encore aujourd’hui d’un
mode opératoire pour les tester a été
regrettée. Les dernières discussions ont
montré l’utilité d’interroger de façon plus
systématique les maîtres d’ouvrage avant
de finaliser ce qui va être ajouté au guide
du CETU. Celui-ci est apparu tout à fait
complémentaire avec la nouvelle recommandation de l’AFTES.
En conclusion, cette journée a montré le
chemin parcouru au sein d’une communauté technique très active en France et
au niveau européen, voire mondial.
Nombre des actions présentées doivent
être poursuivies. Mais ce sont aussi les
connaissances sur d’autres sujets complémentaires qui doivent progresser, notamment le comportement humain et les
aspects organisationnels de la sécurité, sur
lesquels le CETU travaille par ailleurs.
Les supports des exposés présentés le
13 novembre peuvent être consultés sur
le site internet du CETU :
www.cetu.equipement.gouv.fr
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