Incendies en tunnel :
Transcription
Incendies en tunnel :
46a47Lacroix 2/01/08 14:10 Page 46 TECHNIQUES Figure 1 Un auditoire nombreux et attentif Incendies en tunnel : Le CETU fait un point sur ses derniers travaux Didier Lacroix - Directeur de la Recherche, Centre d'Etudes des Tunnels (CETU) L e 13 novembre 2007, le Centre d’Etudes des Tunnels (CETU) organisait à Lyon une journée de présentation de nouveaux résultats de recherche. Avec plusieurs partenaires, il a rendu compte de plus de 5 ans de travaux sur la sauvegarde des personnes en cas d’incendie dans un tunnel routier. A cette occasion, près de 200 personnes d’horizons très variés étaient venues s’informer des perspectives actuelles : maîtres d’ouvrages et exploitants de tunnels de l’Etat et des collectivités territoriales, sociétés concessionnaires, bureaux d’études, laboratoires, fournisseurs et entreprises, ainsi que de nombreux sapeurs-pompiers (Fig 1). On a noté la présence dans la salle de spécialistes venus d’Italie, d’Espagne et même du Québec. Après les dramatiques incendies survenus dans le tunnel du Mont Blanc et d’autres tunnels européens en 1999 et 2001, de nombreuses actions ont été lancées en France et à l'étranger. Le CETU a renforcé ses travaux sur la sécurité et les incendies en tunnel. Il s’est investi dans les travaux collaboratifs menés en France, notamment au sein de l’AFTES (GT 37) et du projet national sur l’Ingénierie de la sécurité incendie (PN ISI). Plusieurs projets européens ont permis de mettre en commun des compétences et des moyens sur la sécurité incendie en tunnel : réseau thématique FIT (Fires In Tunnels), projet de recherche UPTUN (UPgrading of fire safety of existing TUNnels), etc. Le CETU joue en outre un rôle important dans les travaux de synthèse menés au niveau international dans le cadre de l’Association Mondiale de la Route (AIPCR) et du nouveau comité de la sécurité en exploitation des ouvrages souterrains (COSUF) de l’Association Internationale des Tunnels et de l’Espace Souterrain (AITES). La journée du 13 novembre a été l’occasion de faire le point sur les dernières avancées de ces travaux. CONNAISSANCE DES INCENDIES ET MÉTHODES DE SIMULATION Se protéger des incendies nécessite de bien connaître leurs caractéristiques et d’être capable d’évaluer les effets de la ventilation et des autres mesures visant à limiter leurs conséquences. C’est ainsi que la première séance a rappelé les données fournies par le fascicule sur les Etudes spécifiques des dangers (ESD) du Guide des dossiers de sécurité du CETU, en ce qui concerne la production de chaleur, de toxicité et d’opacité d’une variété de foyers. Elle a montré comment de nouveaux essais français ont permis de confirmer ou de préciser ces valeurs. En outre, des expérimentations en vraie grandeur (Fig 2) ont été menées en Europe et apportent des données complémentaires : campagnes d’essais du projet de recherche européen UPTUN en Norvège et en Italie, expérimentations réalisées aux Pays-Bas, en Espagne, etc. Les méthodes de simulation numérique ont fait l'objet d'une attention particulière avec toute une palette d’outils appropriés à différents niveaux d’étude : le modèle 1D largement diffusé par le CETU (CAMATT) permet des calculs rapides 46 mais ignore tout ce qui est lié à la stratification ; à l’autre extrémité de la gamme, les modèles 3D donnent accès à de nombreux phénomènes physiques, mais au prix d’une complexité et de temps de calcul qui ne rendent pas possible de simuler de nombreux scénarios de façon opérationnelle. C’est pourquoi des recherches s’intéressent à des modèles intermédiaires, intégrant des formulations semi-empiriques dans une simulation 1D, ou se basant sur une modélisation 2D, dans le but d’étudier de nombreux cas sans négliger la stratification. En parallèle, des thèses ont été menées en partenariat avec l’université Lyon I sur plusieurs types de modélisation 3D (Fig 3). Elles visent aujourd’hui l’optimisation du désenfumage en ventilation transversale. Une application pratique alliant une approche probabiliste basée sur des calculs 1D avec des simulations 3D a permis de juger de l’intérêt d’agrandir les trappes de désenfumage du tunnel du Fréjus, et d’apprécier les mesures qui doivent accompagner cette opération, notamment en matière de détection et de localisation des incendies. Au-delà de questions très techniques d’analyse numérique, les débats ont permis TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 205 - JANVIER/FEVRIER 2008 Figure 2 - Essai d’incendie dans un tunnel d’aborder les stratégies de mise en œuvre du désenfumage pendant l’évacuation des usagers et l’intervention des secours, et ont mis en évidence les dangers que peut induire une modification inconsidérée du régime de désenfumage pendant ces opérations. SYSTÈMES FIXES DE LUTTE CONTRE L’INCENDIE PAR ASPERSION Ce sont assurément les systèmes d’aspersion qui ont donné lieu aux discussions les plus passionnées en raison des récents développements des brouillards d’eau et 46a47Lacroix 2/01/08 14:10 Page 47 TECHNIQUES Incendies en tunnel : Le CETU fait un point sur ses derniers travaux Figure 3 - Simulation numérique d’incendie en tunnel des espoirs que beaucoup fondent sur ces techniques. Une installation de ce type vient d’être mise en place par Cofiroute dans le nouveau tunnel à gabarit réduit de l’A86 à l’Ouest de Paris. Les expérimentations en vraie grandeur réalisées au préalable dans une galerie d’essais ont montré l’efficacité de ce système pour limiter la propagation du feu et fortement réduire les températures. Cet exemple a été replacé dans le contexte des réalisations et des préconisations au niveau international, qui sont assez diverses. Des incendies réels ont donné lieu à l’utilisation d’une aspersion, essentiellement au Japon et en Australie, et de nombreux essais ont été réalisés, tout particulièrement en Europe. Les leçons tirées confirment les conclusions des essais de l’A86, mais mettent aussi en évidence des limites, comme la perte de stratification ou l’impossibilité de ramener la puissance thermique de certains foyers à des valeurs inférieures à 25, voire 50 MW. De façon complémentaire, les travaux propres du CETU ont étudié l’aspersion dans le cadre d’un traitement d’ensemble des incendies, sur la base de cas types réalistes. Afin de disposer d’outils de simulation, une thèse en cours vise la modélisation numérique 3D des brouillards d’eau, et s’appuie sur des essais sur maquette réalisés en partenariat avec la Direction de la Défense et de la Sécurité Civiles (DDSC) du ministère de l’Intérieur, le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) et le laboratoire de combustion et de détonique (LCD) de Poitiers. Au stade actuel, le CETU note que les systèmes d’aspersion offrent des avantages certains en termes de réduction des températures et de la propagation du feu, mais qu’ils présentent des inconvénients vis à vis de la visibilité et la stratification. Alors que le bilan est globalement positif pour la protection des structures, il y a de fortes interrogations quant aux conséquences de l’aspersion sur l’évacuation des usagers avant l’arrivée des secours (auto-évacuation), notamment en ventilation transversale, alors qu’il s’agit d’un point stratégique pour la sécurité. Cet aspect semble sous-estimé par de nombreux interlocuteurs qui focalisent leur attention sur l’action des secours et la sauvegarde du tunnel. En tout état de cause, les systèmes fixes de lutte contre l’incendie ne peuvent être envisagés que dans le cadre d’une réflexion globale sur la sécurité d’un tunnel, prenant en compte l’ensemble du système incluant tous les équipements, l’exploitation, les secours et les usagers. Les débats animés qui ont suivi ont abordé des questions techniques, comme la représentativité des maquettes, mais aussi les objectifs de l’aspersion et leur rapport avec le moment où celle-ci est déclenchée. Une question de fond a été soulevée sur la position à adopter par les maîtres d’ouvrage et leur éventuelle responsabilité juridique s’ils ne mettent pas en place une nouvelle technologie souvent présentée comme une solution miracle. Des voix se sont élevées pour inciter à prendre du recul, en raison notamment des incertitudes quant à l’impact de l’aspersion sur le point crucial de l’auto-évacuation. De façon plus générale, il n’est pas envisageable d’additionner tous les systèmes de sécurité possibles dans chaque tunnel. La référence est l’instruction technique annexée à la circulaire 2000-63 : celle-ci définit un niveau de sécurité de référence qui permet de juger si la sécurité d’un tunnel est acceptable ou si des dispositions supplémentaires sont nécessaires. RÉSISTANCE AU FEU DES MATÉRIAUX ET DES STRUCTURES La dernière séance de la journée a permis de mesurer les importants progrès enregistrés en matière de résistance au feu des structures. Alors que des exigences en ce domaine ne sont apparues qu’avec l’instruction technique de 2000, des solutions ont été mises au point et sont aujourd’hui employées de façon opérationnelle. Un point a été fait sur les retours de l’utilisation du guide « Comportement au feu des tunnels routiers » diffusé par le CETU en mars 2005, suite aux travaux d’un groupe auquel participaient la Direction Régionale de l’Equipement d’Ile de France (DREIF), le CSTB et la DDSC. Alors que ce guide est devenu une référence, un certain nombre de compléments vont lui être apportés pour tenir compte des évolutions récentes. Il s’agit principalement de la prise en compte d’un feu localisé, des degrés d’analyse les plus détaillés, et de l’écaillage et des bétons résistant au feu. Ces derniers ayant fortement progressé au cours des toutes dernières années, une démarche a été proposée pour leur conception et il apparaît possible de limiter les essais systématiques dans le futur. Les travaux du GT 37 « Comportement au feu » de l’AFTES ont été rappelés par son animateur, qui a présenté la nouvelle recommandation « Tunnels routiers : résistance au feu » qui paraît dans ce numéro. Celle-ci propose une approche très pragmatique pour la conception des structures à partir de 23 cas types classés en quatre familles. Les débats se sont penchés sur les enseignements à tirer de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus : la dalle du faux-plafond avait bien résisté, conformément à ce que des essais antérieurs avaient laissé prévoir ; en revanche, un écaillage important était apparu sur les piédroits dont le béton avait une bien meilleure résistance à la compression. La question de la résistance au feu des chambres de tirage de câbles se pose par ailleurs dans ce tunnel comme dans d’autres, et l’absence encore aujourd’hui d’un mode opératoire pour les tester a été regrettée. Les dernières discussions ont montré l’utilité d’interroger de façon plus systématique les maîtres d’ouvrage avant de finaliser ce qui va être ajouté au guide du CETU. Celui-ci est apparu tout à fait complémentaire avec la nouvelle recommandation de l’AFTES. En conclusion, cette journée a montré le chemin parcouru au sein d’une communauté technique très active en France et au niveau européen, voire mondial. Nombre des actions présentées doivent être poursuivies. Mais ce sont aussi les connaissances sur d’autres sujets complémentaires qui doivent progresser, notamment le comportement humain et les aspects organisationnels de la sécurité, sur lesquels le CETU travaille par ailleurs. Les supports des exposés présentés le 13 novembre peuvent être consultés sur le site internet du CETU : www.cetu.equipement.gouv.fr TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 205 - JANVIER/FEVRIER 2008 47