LE SYMPOSIUM INTERNATIONAL LE LIVRE. LA

Transcription

LE SYMPOSIUM INTERNATIONAL LE LIVRE. LA
LE SYMPOSIUM INTERNATIONAL
LE LIVRE. LA ROUMANIE. L’EUROPE.
le 20–24 septembre 2010
⁕
THE INTERNATIONAL SYMPOSIUM
THE BOOK. ROMANIA. EUROPA.
20–24 September 2010
Couverture 4 : Avers de la médaille émis par la Bibliothèque Métropolitaine
de Bucarest à l’occasion de la troisième édition de Symposium
International. Le Livre. La Roumanie. L’Europe. – 2010.
Bibliothèque Métropolitaine BUCAREST
Travaux de
SYMPOSIUM
INTERNATIONAL
LE LIVRE. LA ROUMANIE.
L’EUROPE.
Troisième édition – 20 à 24 Septembre 2010
300
ans après la intronisation
de l’érudit roumain
Dimitrie Cantemir
en Moldavie
TOME I
ÉDITEUR BIBLIOTHÈQUE DE BUCAREST
BUCAREST – 2011
Comité éditorial :
Dr. Florin Rotaru, Directeur général, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest
Section 1 :
Frédéric Barbier, Directeur de recherche au CNRS (IHMC/ENS Ulm),
Directeur d’Études, Histoire et civilisation du livre, École Pratique des Hautes
Études, Sorbonne,
Rédacteur en chef de Histoire et civilisation du livre. Revue internationale
(Genève, Librairie Droz)
Section 2 :
Réjean Savard, bibl. prof, Ph.D – Président de l’ASTED et de l’AIFBD,
Professeur de bibliothéconomie, Université de Montréal
Chantal Stanescu – Directrice adjointe, Bibliothèque Publique Centrale pour la
Région de Bruxelles-Capitale
Section 3A :
Prof. Dr. Jan E.M. Houben, Directeur d’Études « Sources et Histoire de la
Tradition Sanskrite » École Pratique des Hautes Études, SHP, Sorbonne
Dr. Julieta Rotaru, Chercheur III, Centre d’Études Euro-asiatiques et Afroasiatiques, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest
Section 3B :
Dr. Rodica Pop, Chercheur II, Centre d’Études Euro-asiatiques et Afroasiatiques, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest
Section 4A :
Dr. Stefan Lemny, Bibliothèque Nationale de France, Paris
Dr. Ioana Feodorov, Institut d’Études Sud-Est Européennes de l’Académie
Roumaine, Bucarest
Section 4B :
Prof. Dr. Adina Berciu, Université de Bucarest, Bibliothèque Métropolitaine
de Bucarest
Section 4 C :
Académicien Olivier Picard, Université Paris IV, Sorbonne
Drd. Adrian George Dumitru, Université de Bucarest – Paris IV Sorbonne,
Assistant de recherche, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest
Rédaction : Dr. Marian Nencescu, Iulia Macarie
Secrétariat de rédaction : Cornelia Radu
Format électronique du livre et pages couvertures : Anca Ivan
ISSN 2068 - 9756
TABLE DES MATIÈRES GÉNÉRALE
FLORIN ROTARU – Allocution ................................................................... XVII
TOME I
La première section – L’HISTOIRE ET LA CIVILISATION
DU LIVRE
First section – HISTORY AND BOOK CIVILIZATION
INTRODUCTION : Construction et réception du texte imprimé en
Occident, XIVe–XXe siècle : le problème de la langue –
FrÉdÉric Barbier ........................................................................................ 3
Oubli d’une écriture, mort d’une langue – résurrections par l’imprimé ?
Le cas du glagolitique et du vegliote, île de Veglia/Krk (XIXe–XXe s.) –
DANIEL BARIC ............................................................................................... 22
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé –
MONICA BREAZU .......................................................................................... 35
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās avec
la cour russe : à propos de l’imprimerie arabe d’Alep –
Vera TChentsova .................................................................................... 46
Les Milles et Une Nuits en version roumaine : Que reste-t-il à faire ? –
CARMEN COCEA ........................................................................................... 59
About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia at the
end of XIXth century (the book we have to know everything about) –
MARIA DANILOV .......................................................................................... 67
Sur le chemin difficile de la modernisation : notes sur la censure dans
les Balkans aux XVIIIe–XIXe siècles – NADIA DANOVA ............................. 74
VI Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) –
Marisa Midori Deaecto ...................................................................... 103
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni in caratteri
orientali – ANDREA DE PASQUALE .......................................................... 113
Les langues et le livre : le manuscrit 150 de la Bibliothèque de
Valenciennes – MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS ................................ 124
A Survey of Arab-Islamic Studies Published at the University of
Naples “L’Orientale” – VINCENZA GRASSI .............................................. 133
Les cultures européennes et l’avenir – MARTIN HAUSER .......................... 206
Le commerce international de la Librairie belge au XIXe siècle :
l’affaire des réimpressions – JACQUES HELLEMANS ............................... 211
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
Le fond « Gallica » de la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia –
DOINA HENDRE BIRO ................................................................................ 223
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
au XVIIIe siècle : quelques questions – SABINE JURATIC ......................... 244
La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle –
OTTO LANKHORST ..................................................................................... 261
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires et
les langues dominées. L’exemple du Québec –
CATHERINE BERTHO LAVENIR ............................................................... 271
Brancusi : la tentation de l’illustration – DOINA LEMNY ............................ 285
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols :
le français comme affaire – MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO ............... 300
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790) :
intégration ou marginalité – CLAIRE MADL ................................................ 325
Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine
(XVIIème–XVIIIème siècles) – OLIMPIA MITRIC .......................................... 341
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française –
MONOK ISTVÁN .......................................................................................... 348
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle –
Raphaële Mouren .................................................................................. 367
Livres et propriétaires – un binôme symbolique – ou sur le statut du
donateur – IOAN MARIA OROS .................................................................. 378
Paradoxes des langues. Des usages du français au premier XIXe siècle
roumain – RADU G. PĂUN ........................................................................... 396
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
VII
Le livre grec dans les milieux balkaniques à la veille de la Révolution
nationale : le témoignage des prospectus et des listes de souscripteurs –
Popi Polemi ................................................................................................ 412
England and the Printing of Texts for Orthodox Christians in Greek
and Arabic, 17th–18th Centuries – GEOFFREY ROPER ................................ 430
Contributions to the biography of the author of the book
Podul Mogoşoaiei – Povestea unei străzi (Mogoşoaia Bridge –
The Story of a Street) – VIRGILIU Z. TEODORESCU ................................. 444
Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge :
l’exemple de la Librairie de Charles V –
MARIE-HÉLÈNE TESNIÉRE ....................................................................... 457
Des documents, des incunables et des livres traitant des universités
médiévales européennes (XIIIe–XVIIIe siècles) –
RADU ŞTEFAN VERGATTI ........................................................................ 472
Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier in
Deutschland? Französische Gesinnungselemente im Lebenswerk
Martin Schmeizels – ATTILA VERÓK ......................................................... 481
TOME II
La deuxième section – BIBLIOTHÉCONOMIE
ET LES SCIENCES DE L’INFORMATION
The second section – BIBLIOTECONOMY
AND INFORMATION SCIENCES
Quand Google défie l’Europe. Nouvelle bataille 2009–2010 –
JEAN-NOËL JEANNENEY ............................................................................... 9
INTRODUCTION : Francophonies et modernités en bibliothèques à
l’ère du Web 2.0 – Réjean Savard, Chantal Stanescu ................. 33
Être bibliothécaire dans un environnement numérique –
Jean-Philippe Accart .............................................................................. 36
Un système d’information algérien à l’ère du web 2.0 : Cas de la
recherche agronomique – Radia BERNAOUI, Mohamed HASSOUN ..... 43
VIII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
Outils Web 2.0 dans les bibliothèques – Alina CANTAU.............................. 55
La médiation numérique, un projet global de bibliothèque. L’exemple
des Médiathèques du Pays du Romans – France – LIONEL DUJOL ............... 71
L’édition du Livre arabe des Macchabées dans les Polyglottes de Paris
et de Londres et la Bible manuscrite arabe de St. Pétersbourg –
Serge A. Frantsouzoff .......................................................................... 85
Bibliographical Heritage in Historical High School Libraries –
Manuela Carmona García .................................................................. 95
Bibliothèques, web 2.0 et démocratie – Cristina Ion ............................... 109
Le catalogage de livres anciens, selon l’ISBD(A) et le ROMARC –
Mariana IOVA ........................................................................................... 115
La Bibliothèque de la Famille de Pasban-Zade à Vidin (30 ans après la
mort d’Osman Pazvantoğlu) – STOYANKA KENDEROVA ........................ 133
Tendance des bibliothèques : vers des espaces lisibles et
socio-écologiques – Ahmed Ksibi .............................................................. 142
Knowledge Management in Medical Libraries in the Web 2.0 Age –
Octavia-Luciana Madge .................................................................... 151
Use of University Library Website: A Case Study – Muhammad
Ijaz Mairaj, Widad Mustafa El-Hadi ............................................ 161
Le web social dans les bibliothèques de Montréal : les résultats de
l’enquête de 2010 – MARIE D. MARTEL ...................................................... 177
Les défis pour une culture de l’information effective dans l’écosystème
mondial de l’information – Eustache Mêgnigbêto ............................. 184
L’accueil d’Ionesco à la Bibliothèque Nationale de France –
Rodica Paléologue ............................................................................... 195
Aron Pumnul: Founder of the Library of the Romanian Grammar
School Scholars in Cernăuţi (Chernivtsi) – Ilie Rad ................................... 201
Les petites bibliothèques publiques bulgares à l’ère du Web 2.0 –
Juliya Savova .......................................................................................... 215
La concurrence entre documents imprimés et ressources électroniques
en France : un débat qui révèle une profonde crise d’identité des
bibliothèques françaises – Pascal SIEGEL ................................................. 224
The Modern Library: Yesterday’s Traditions Are Today’s
Foundations – Kristina Virtanen .......................................................... 233
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
IX
TOME III
La troisième section – ÉTUDES EURO- ET AFRO-ASIATIQUES
The third section – EUROASIATIC AND AFROASIATIC STUDIES
Section III A
Le Veda-Vedāṅga et l’Avesta entre oralité et écriture
Veda-Vedāṅga and Avesta between Orality and Writing
INTRODUCTION : Veda-Vedāṅga and Avesta between orality and
writing – JAN E.M. HOUBEN .......................................................................... 13
Orality, Textuality and Inter-textuality. Some Observations on the
Śaunaka Tradition of the Atharvaveda –
SHRIKANT S. BAHULKAR ............................................................................ 20
Some Aspects of Oral Tradition as Reflected in the Pāṇinian
Grammatical Texts – SHREENAND L. BAPAT .............................................. 35
Illiteracy as a socio-cultural marker – JOHANNES BRONKHORST .............. 44
From Orality to Writing: Transmission and Interpretation of Pāṇini’s
Aṣṭādhyāyī – MADHAV M. DESHPANDE .................................................... 57
Vyākaraṇa between Vedāṅga and Darśana –
FLORINA DOBRE-BRAT .............................................................................. 101
“Let Śiva’s favour be alike with scribes and with reciters:” Motifs for
copying or not copying the Veda – CEZARY GALEWICZ ........................... 113
Vedic ritual as medium in ancient and pre-colonial South Asia:
its expansion and survival between orality and writing –
JAN E.M. HOUBEN ....................................................................................... 147
Earliest transmissions of Avestan texts –
RAMIYAR PARVEZ KARANJIA ................................................................. 184
Sraoša : de la terminologie indo-iranienne à l’exégèse avestique –
JEAN KELLENS ............................................................................................. 193
X
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
The Text, Commentary and Critical Editions:
A Case of the Commentary of Sāyaṇa on the Atharvaveda –
AMBARISH VASANT KHARE .................................................................... 200
Orality and authenticity – MADHAVI KOLHATKAR .................................. 212
Manuscript Transmission and Discrepancies in Interpretation –
NIRMALA KULKARNI ................................................................................. 220
Sacred sound becomes sacred scripture: the Veda Mandir in Naśik,
Mahārāṣṭra – BORAYIN LARIOS .................................................................. 223
On the descriptive techniques of Prātiśākhya and Aṣṭādhyāyī –
ANAND MISHRA .......................................................................................... 245
Codification of Vedic domestic ritual in Kerala – ASKO PARPOLA ............ 261
Techniques pour la brièveté dans le Sāmavidhānabrāhmaṇa –
ANNE-MARIE QUILLET .............................................................................. 355
Vedic Education in early mediaeval India according to North Indian
Charters – SARAJU RATH ............................................................................. 393
Pastoral nomadism, tribalism, and language shift –
SHEREEN RATNAGAR ................................................................................ 425
Habent sua fata libelli: The Dārilabhāṣya and its manuscripts –
JULIETA ROTARU ........................................................................................ 454
Diplomatica Indica DataBase (DIDB): Introduction –
ALEXANDER STOLYAROV ........................................................................ 468
Saṃhitā Mantras in the Written and Oral Traditions of the
Paippalādins – SHILPA SUMANT ................................................................. 474
Gandhāra and the formation of the Vedic and Zoroastrian canons –
MICHAEL WITZEL ....................................................................................... 490
Section III B
Reconfiguration du divin et de la divinité
Reconfiguring the Divine and Divinity
INTRODUCTION : Reconfiguring the Divine and Divinity –
Rodica Pop ................................................................................................. 535
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
XI
The Harmony of Faiths and Beliefs in Albania with the Coexistence of
the Divine and Divinity – Xhemile Abdiu ................................................ 538
Reconfiguration of the Divine in the Sanskrit-Old Javanese Śaiva
sources from the Indonesian Archipelago – Andrea Acri ........................ 546
Facing God: Divine Names and (Celestial) Hierarchies –
Madeea Axinciuc .................................................................................... 566
The Divine and Oriental Textiles – Christine Bell ................................. 577
Contacts of Russian Diplomats with Ecclesiastical and Secular Rulers
of Mongolia as a Factor of Bilateral Relations (second half of the 19th
century) – Elena Boykova ...................................................................... 589
The genealogy of the Chinggisids in Islamic historiography –
MIHÁLY DOBROVITS .................................................................................. 593
Chinggis Khaan’s Sacrifice in Mongolia and Abroad –
Sendenjav Dulam ................................................................................... 601
Fr. André Scrima & Rev. P. Augustin Dupré La Tour s.j.: Note
concerning the History of Religions in the Middle East (1970–1980) –
Daniela Dumbravă ............................................................................... 611
Ups and Downs of the Divine: Religion and Revolution in 20th century
Mongolia – Marie-Dominique EVEN ..................................................... 627
Reality versus Divinity (On the Creation of the Buddhist Canon) –
Alexander Fedotoff ............................................................................ 645
On the History of Bektashism in Albania –
Albina h. Girfanova ............................................................................. 650
General View of the Divinity and the Divine Concepts in Albanian’s
Faiths and Belief Systems – Spartak Kadiu ............................................ 656
The Holy Scriptus in the Mongolian Language: about A.M. Posdneev’s
Activity – Irina Kulganek ...................................................................... 663
Quelques notes sur les découvertes archéologiques d’époque Xiongnu
sur le site de la nécropole de Gol Mod (Mongolie) –
Jacques Legrand .................................................................................... 673
Rituals of Mongol Games and Worship of the Spirit Masters of
Heaven, Earth and Water – Ganbaatar Nandinbilig ......................... 682
Drama on Chinggis Khan by B. Lhagvasurung –
Maria p. Petrova .................................................................................... 691
XII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
Mongolian Religious Practices and Shamanism reconfigured by the
Mongolian Buddhist Church – Rodica Pop ................................................ 695
Christian Concepts in Mongolian Translation –
Klaus Sagaster ...................................................................................... 704
Chinese-Manchu “Contrast” in Historiography and Literature –
Giovanni Stary ....................................................................................... 714
Reconstructing Divine and Divinity in Hazret-i Meryem Kitabi –
Münevver Tekcan .................................................................................. 718
Interpretation of Celestial Phenomena. On a Manchu Manuscript –
Hartmut Walravens ............................................................................ 736
TOME IV
La quatrième section – LATINITÉ ORIENTALE
Cantemir et son époque. Routes et frontières au Sud - Est Européen
The fourth section – ORIENTAL LATINITY
Cantemir and his Era. South-East European Roads and Frontiers
Section IV A
Cantemir et son époque
Cantemir and his Era
INTRODUCTION : Cantemir – nouvelles lectures –
Stefan Lemny ............................................................................................. 13
Cantemir et le scénario moderne de la métaphysique –
ŞTEFAN AFLOROAEI ..................................................................................... 18
The Phanariot prince Nicolae Petru Mavrogheni and prince Dimitrie
Cantemir – Lia BRAD Chisacof ................................................................. 42
The History of the Country through Commoners’ Eyes: The Cantemir
Princes’ Times According to Book Notes – Elena Chiaburu .................. 56
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
XIII
The Place of Dimitri Kantemiroglu’s Turkish in 18th Century Ottoman
Turkish – SÜer Eker ..................................................................................... 69
Le Panégyrique de 1719 de Dimitrie Cantemir – Andrei Eşanu,
Valentina Eşanu ...................................................................................... 80
Considérations sur la dignité de la princesse Maria Cantemir –
Andrei Eşanu, Valentina Eşanu ....................................................... 89
Le Préambule d’Athanase Dabbās à la version arabe du Divan de
Dimitrie Cantemir – Ioana Feodorov .................................................... 101
La musique religieuse dans l’œuvre de Dimitrie Cantemir –
Victor Ghilaş ........................................................................................... 109
Les Cantemir en Russie selon les mémoires d’une prisonnière
suédoise : Lovisa von Burghausen – Stefan Lemny,
Anna Svenbro .......................................................................................... 118
Literal translation vs. Free translation. A case study: Cantemir’s
translation from Stimuli virtutum, fraena peccatorum –
Oana Uţă Bărbulescu ......................................................................... 135
Section IV B
Les Aroumains : Culture et civilisation
The Aromanians: Culture and Civilization
INTRODUCTION : Aromanians: Culture and Civilization –
Adina Berciu-DRĂGHICESCU ............................................................... 147
At the borders of the Oriental Latinity. A Neointerpretative Approach
on the Lippovan community in Dobruja – RADU BALTASIU,
OVIDIANA BULUMAC, GABRIEL SĂPUNARU ....................................... 149
Aspects in the Religious Life of Romanians from the Balkan
Peninsula – the End of the 19th Century – the Beginning of the 20th
Century. Archive Documents – Adina Berciu-DRĂGHICESCU ............ 172
Témoignages sur l’Institut roumain de Saranda – Albanie –
Tănase Bujduveanu .............................................................................. 185
Archives from the Constanţa Heritage Service of the National Archives
Relating to the Aromanian Citizens of Albania – Virgil Coman ............. 195
XIV Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
The Albania Macedo-Romanians: Etno-Demographic Identity Issues –
Dorin Lozovanu ...................................................................................... 219
Les livres roumains du monastère Saint Paul du Mont Athos –
Florin Marinescu .................................................................................. 227
The Social Being of the Aromâni; the Vlahs of the Balkans and their
predilection for the Book – JOHN NANDRIŞ ................................................ 236
V.A. Urechia – a Well Known Personality from the Cultural and
National Point of View of Romanians from Balkan Peninsula –
Maria Pariza ............................................................................................. 266
61 Years since the End of the Civil War in Greece (1946–1949) –
Apostol Patelakis ................................................................................. 275
Media and Social Communication, The Roadside Crucifix as a Mark of
Cultural Romanian Identity (Ethno-Folkloric Research in Vojvodina,
Serbia) – Gabriela Rusu-Păsărin ........................................................ 291
La position du Ministère des Affaires Etrangères de la Roumanie sur
« La question aroumaine » à la veille de la Conférence de Paix de Paris
(1945) – Nicolae Şerban Tanaşoca .................................................. 305
Romanians in Bulgaria. History and Ethnography –
Emil ŢÎrcomnicu ..................................................................................... 323
Section IV C
Routes et frontières au Sud-Est Européen –
Relations économiques, militaires et culturelles
South-East European Roads and Frontieres –
Economical, Military, Cultural Connections
INTRODUCTION : Routes et frontières au Sud-Est Européen.
Relations économiques, militaires et culturelles. –
Olivier Picard .......................................................................................... 337
Les Phanariotes et l’Aube des Lumières – Jacques Bouchard ............. 339
Les Seleucides et les Balkans : Les Thraces dans l’armée seleucide –
Adrian GEORGE Dumitru ..................................................................... 349
Mithradates’ Foot Soldiers at the Battle of Chaeronea –
Cristian Emilian GhiŢă ........................................................................ 377
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
XV
Chrysanthos Notaras the Patriarch of Jerusalem –
His Influence on the 18th Century Walachia and Moldavia.
Historic and Biographical Considerations – Victor Godeanu ............... 391
The Campaign of Alexander the Great in the Balkans: the Year 335 BC
in the Writings of Arrianus and Plutarchus – Tudor Ionescu ................. 413
La Roumanie, la Bulgarie et l’Allemagne au Bas-Danube et en
Dobroudja (1916–1918) – Constantin Iordan ..................................... 427
Macedonian and Thracian relations in northern Greece after the
Persian wars with particular reference to the coinage and politics of
Alexander I – Elpida Kosmidou .............................................................. 439
La circulation des drachmes de Dyrrachion dans les Balkans : échanges
ou conflits militaires ? – Albana Meta ..................................................... 453
When and Where “The Melkite Renaissance” Started?
Metropolitan Uwakim of Betlehem, a Forgotten Arab-Christian
Scholar of the Late 16th Century – Constantin Panchenko ............... 469
Grecs et thraces : Conflits et intégration des communautés guerrières –
Olivier Picard .......................................................................................... 482
L’or et l’argent des aristocraties thraces, Ve–IIIe s. av. J.-C.
Contribution de l’étude des vases à l’histoire de la région –
AliÉnor Rufin Solas ............................................................................. 491
Les mécanismes de l’intégration de l’Illyrie Méridionale dans l’Empire
romain – Saimir Shpuza ............................................................................ 514
De la Macédoine vers le Danube. L’avancement de l’armée romaine au
Nord de la Macédoine – Marija Stankovska-Tzamali ................... 527
Roman veterans and the city institutions of Philippopolis, Thrace –
IVO TOPALILOV ........................................................................................... 536
Relations militaires des tribus de la région Thraco-Macédonienne
avec des armées Perse et Grecques. L’évidence des monnaies –
Alexandros R.A. Tzamalis ................................................................. 582
Le Bas Danube – frontière réelle ou symbolique ? –
Cornelius Zach ....................................................................................... 589
Similar and Differing – Mapping the Lower Danube and Dimitrie
Cantemir’s Lost Map of Moldavia in His Time – Krista Zach ................ 602
LISTE DES AUTEURS (GÉNÉRALE) .......................................................... 495
Allocution
La IIIe édition annuelle du Symposium Le livre. La Roumanie.
L’Europe, enlève toute image de coquetterie historique ou de conjoncture
favorable. Per a contrario, et sans le vouloir expressément, le Symposium
semble être un état de normalité en pleine crise financière, comme un défi jeté
au chaos et à une loi naturelle: l’existence culturelle au centre du capital et de
tous ses bouleversements s’en est normalement ressentie.
Assurer une évolution normale au Symposium est, dans ce contexte, une
obligation professionnelle et morale. Dans un espace particulier, marqué
par une géographie historique, qui est le territoire roumain, les clarifications
institutionnelles et professionnelles sont de toute nécessité.
Par conséquent, le Symposium de Bucarest représente un carrefour
d’intérêts scientifiques et professionnels, parallèlement aux efforts de la
Bibliothèque métropolitaine pour définir son destin institutionnel. Dans la
conjoncture historique de la décentralisation, l’Institut d’Etudes Orientales
s’est vu transférer du Ministère de la Culture sous l’autorité de la Mairie de la
Ville de Bucarest. La subordination étant atypique, la solution a été d’inclure
l’Institut dans la structure de la Bibliotheque Métropolitaine de Bucarest. En
fait, une nouvelle institution est apparue, puisque les nouvelles attributions
de recherche scientifique s’ajoutaient aux objectifs traditionnels d’une
bibliothèque de lecture publique. Effectivement nous sommes en présence
d’un statut international nouveau, en Roumanie comme à l’etranger, raison
pour laquelle nous sommes à la recherche de nouvelles formes d’expression,
dont le Symposium de Bucarest est un exemple.
De surcroit, au sein de l’organisation, la Bibliotheque Métropolitaine de
Bucarest parcourt déjà une étape de récupération de ses propres origines et de
redéfinition du statut dans l’ensemble des bibliothèques de lecture publique
de Roumanie.
A ses débuts, en 1831, la bibliothèque jouait un double rôle: celui de
bibliothèque scolaire et celui de bibliothèque de lecture publique. C’est à
present la plus ancienne bibliothèque de Roumanie. Tradition oblige, elle a
XVIII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
assumé la responsabilité de mettre en oeuvre la Bibliothèque numérique de
Roumanie, aux cotés de la Bibliothèque de l’Académie, seul conservateur
de la mémoire écrite roumaine. En outre, les destins de ces deux institutions
se sont croisés dans le passé. Devenir conscients de la responsabilité exigée
par le passé historique et assumer la fonction de recherche sont devenus les
critères principaux dans la stratégie de développement de notre bibliothèque.
Le passé historique nous oblige également aujourd’hui à clarifier sans l’ombre
d’un doute le profil francophone de l’ensemble des bibliothèques nationales
dans l’absence d’un modèle roumain. En général, la modernité de la Roumanie
s’est forgée sur le modèle français, en particulier après la Rèvolution française.
Evidemment les bibliothèques n’y ont pas fait exception. Chez les Roumains,
la francophonie a une autre connotation par rapport à la définition du géographe
Onesime RECLUS (1837-1916). La Roumanie n’a pas eu le statut de colonie.
C’est un pays qui a adopté le modèle français de développement institutionnel
et législatif durant tout le XIXe siècle.
Ce modèle, on le retrouve encore à present. Pour conclure, en Roumanie,
l’apprentissage du français n’a pas été une mode mais une nécessité.
C’est pour cette raison que la IIIe édition du Symposium de Bucarest est
entièrement dédiée à la francophonie, que nous offrons aussi le modèle du
système français de bibliothèques par l’intermédiaire de la version roumaine
de la revue Bulletin des bibliothèques de France, c’est la raison pour laquelle
nous avons sollicité et reçu, en 2001, de la part du président de la Bibliothèque
Nationale de France, à l’époque M. Jean Noel Jeanneney, le droit d’adapter
aux réalités roumaines les modèles offerts par Gallica et le site BNF, c’est pour
cette même raison que nous avons organisé dans notre bibliothèque des stages
de formation professionnelle avec ADBS, animés par M. Marc Maisonneuve,
que nous réalisons avec la Bibliothèque Publique d’Information un partenariat
fondé sur l’évaluation de notre institution par 3 spécialistes français désignés
par notre possible partenaire.
Parallèlement à ces entreprises, nous sommes confrontés, comme
tous les autres, aux défis du présent, ceux de la société du savoir et de la
globalisation. Dans ce contexte les réactualisations et les souvenirs deviennent
un fait quotidien. La bibliothèque a voulu être, depuis toujours, un symbole
de la mémoire et, par conséquent, les bibliothecaires ont été et sont toujours
conscients que la mémoire c’est du pouvoir. En vertu de cette évidence,
un sylogisme affirme que seule la mort peut détruire la mémoire, alors la
bibliothèque voudrait être en plus un instrument de la victoire contre la mort.
Et pourtant, malgré tous ces symboles et en dépit du fait que les regards
des bibliothécaires sont les miroirs de mondes disparus, présents ou possibles,
la profession de bibliothécaire est un métier sans gloire. Les bibliothécaires
Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III
XIX
semblent être punis par la grandeur du temps à se cacher dans la grandeur
secrète de la profession.
L’existence de la bibliothèque nous permet d’envisager le combat
contre les urgences du temps par la conservation des témoignages du passé.
Accessibles à quiconque, ces fragments du passé font leur entrée dans le
présent par la force d’un retour de mémoire. Ce ne sont pas seulement les
utilisateurs qui partagent l’illusion d’une parfaite liberté d’esprit, mais les
bibliothécaires eux-mêmes qui disposent de tout un territoire de lecture et
de recherche scientifique. A présent, lorsque les rêves du profit sans mesure
se substituent aux rêves épiques, la technologie de l’information nous crée
l’illusion de l’immortalité par ses promesses d’une voix commune et d’un
espace unique disponible à nous tous. La virtualité entraine la permanence du
présent. D’un présent soumis à une perpetuelle dynamique issue de la nature
véritable du passé, où le présent lui-même prend sa source.
Dans cette quête sont aussi entrainées les bibliothèques, mais il reste
beaucoup de questions sans réponse. Nous savons suffisamment bien que le
temps des prédictions et des héros homériques, héros repris de la culture orale
justement par cette civilisation de l’imprimerie, vient de disparaître. En outre,
à notre avis, il existe la certitude que les bibliothèques continueront d’être
les espaces du travail intellectuel, de la recherche scientifique en particulier.
Il y aura un espace commun de l’activité des bibliothèques, un espace qui
exigerera des collaborations.
Dans cette perspective, nous sommes profondément reconnaissants à tous
les participants au Symposium Le livre. La Roumanie. L’Europe et c’est à
leur égard que nous tenons à exprimer toute notre gratitude.
Dr. Florin Rotaru,
Directeur de la Bibliothèque Métropolitaine Bucarest
TOME I
section 1
– L’HISTOIRE ET LA CIVILISATION
DU LIVRE –
⁕
– HISTORY AND BOOK CIVILIZATION –
INTRODUCTION
Construction et réception du texte imprimé en Occident,
XIVe–XXe siècle : le problème de la langue
FrÉdÉric Barbier*
Prolégomènes
Nous avons commémoré en 2008–2009 le cinquantenaire de la
publication ayant marqué la fondation, en France, de ce qu’il est convenu
d’appeler la « nouvelle histoire du livre », L’Apparition du livre, de Lucien
Febvre et Henri-Jean Martin1. Depuis 1958, la recherche en histoire du livre
est passée par un certain nombre de phases historiographiques successives,
sur lesquelles il n’y a pas à s’arrêter ici sinon pour souligner le fait qu’une
des tendances à long terme a consisté à envisager la manière dans le média
(l’objet livre) réagissait avec le contenu textuel pour produire le message
en tant que message destiné à être approprié par un certain lecteur. De
fait, contrairement à ce qu’assure la théorie classique de la communication,
le média n’est en rien transparent : dès 1964, Marshall Mac Luhan avait
pressenti qu’il apportait un supplément d’information au message dont il
assurait la mise en forme et la transmission2. Non seulement il conditionne
bien évidemment la réception du texte, mais il encadre, voire oriente
l’écriture elle-même, tandis que les conditions de fonctionnement de la
branche d’activité des « industries polygraphiques » ont non seulement
*
Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (conférence d’« Histoire
et civilisation du livre »), directeur de recherche au CNRS.
1
1958–2008 : cinquante ans d’histoire du livre. De L’Apparition du livre (1958) à
2008 : bilan et projets, éd. par / hg. von Frédéric Barbier, István Monok, Budapest,
Orzságos Széchényi Könyvtár, 2009, 270 p. (« L’Europe en réseaux / Vernetztes Europa »,
5). Frédéric Barbier, « Écrire L’Apparition du livre », postface à Lucien Febvre,
Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, 3e éd., Paris, Albin Michel, 1999, p. 535–588.
2
Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements
technologiques de l’homme, trad. fr., nelle éd., Paris, Seuil, 1977 (« Points »).
4
Frédéric Barbier
pour effet de renforcer l’encadrement de celle-ci, mais jouent aussi sur la
fixation de catégories très générales comme celles d’« auteur », de « texte »,
d’« original », d’« édition », de « classique », etc. L’histoire du livre, qui
met en œuvre des savoirs et des méthodologies spécifiques, permet de
contextualiser un certain nombre de phénomènes et de catégories souvent
reçus comme des a priori.
Le choix de la langue d’édition intervient à ce niveau, comme le
montre éloquemment l’exemple de Sébastien Brant décidant, en 1494,
de publier son recueil du Narrenschiff en langue vulgaire, c’est-à-dire
en allemand3. La langue nous informe en effet sur un certain nombre de
phénomènes de première importance: bornons-nous ici à mentionner les
caractéristiques du public et leur évolution, les choix des États en matière
culturelle et religieuse, les politiques éditoriales suivies par les libraires,
ou encore l’histoire des techniques d’impression – avec le problème
des caractères typographiques. Rien de surprenant, en définitive, si les
historiens du livre ont entrepris depuis quelques années de préciser les
conditions de production et de réception du texte imprimé en Europe aux
époques moderne et contemporaine en privilégiant le fonctionnement des
différentes langues d’impression les unes par rapport aux autres4.
La thèse que je défendrai consistera à montrer que la structure du média
encadre et détermine pour partie, à l’époque moderne, la construction et le
fonctionnement des langues (notamment les langues vernaculaires) comme
langues de la communication livresque. Cette structure encadre aussi les
configurations changeantes prises par l’équilibre entre les langues de
publication en Europe sous l’Ancien Régime et jusqu’à aujourd’hui, en
même temps que les pratiques de lecture qui leur sont liées. Si le Moyen
Âge occidental est dominé par l’exclusivité du latin comme langue écrite, la
conjoncture change peu à peu, et le changement s’accélère avec les débuts
de l’imprimerie: un siècle après la publication des deux volumes de la Bible
à 42 lignes par Gutenberg, l’année 1555 marque une étape symbolique,
qui voit la sortie du Mithridates, vaste traité consacré par le bibliographe
Conrad Gessner aux langues et à leur diversité les unes par rapport aux
autres.5
3
Frédéric Barbier, « La Nef des fous au XVe siècle : un projet de recherche », dans
Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (ci-après HCL), 2007, III, p. 341–349.
4
Frédéric Barbier, dir., Les Langues imprimées, dans HCL, 4 (2008), p. 5–279.
Des articles complémentaires, sur le cas de la Slovénie à l’époque moderne, sur les
« lectures plurilingues » d’un noble de Bohême à l’époque des Lumières et sur l’édition en
picard en France autour de 1900 figurent dans la cinquième livraison (2009) de la revue.
5
Conrad Gessner, Mithridate. Mithridates, éd. Bernard Colombar, Manfred
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
5
La problématique occidentale des langues écrites, puis imprimées,
déploie successivement deux grands systèmes. D’abord, c’est le temps du
latin comme langue livresque de référence, face auquel s’opère la montée
progressive d’un certain nombre de langues vernaculaires. Le second
moment est marqué par la présence de plus en plus massive de ces dernières,
mais aussi par l’émergence des problèmes posés par leur juxtaposition et
par leur concurrence, ainsi que par la diffusion des textes destinés a priori
au plus grand nombre. La problématique de la langue est aujourd’hui
plus que jamais d’actualité, alors que nous nous trouvons engagés à la
fois dans des réorganisations politiques majeures (qui engagent l’identité
d’un certain nombre d’États-nations), et dans la « Troisième révolution du
livre »6 : la montée en puissance des nouveaux médias et les phénomènes
liés à la mondialisation, rendent effet plus sensible la question de la langue,
surtout par le biais d’Internet et s’agissant du rapport à l’anglais.
Si le rôle des « nouveaux médias » n’est par sans conséquences sur
les pratiques de l’écrit en général et sur l’usage de la langue en particulier,
il n’y a pas de raison de penser qu’il a pu en être différemment lors
des « révolutions » antérieures qui ont affecté les systèmes sociaux de
communication : ainsi avec l’invention de la typographie en caractères
mobiles, au XVe siècle, puis, sans doute, avec le passage progressif à la
librairie de masse, à partir du dernier tiers du XVIIIe et au XIXe siècle.
1 – Latin et langues vernaculaires
Si, en Occident, la langue écrite de référence est, au Moyen Âge, le
latin, l’irruption de la typographie en caractères mobiles au milieu du XVe
siècle aura notamment pour effet d’introduire à la montée en puissance
des langues vernaculaires. Les premiers inventeurs, à commencer par
Gutenberg et par son entourage immédiat, travaillent d’abord à reproduire
par un procédé mécanique ce qui existait déjà, à savoir des manuscrits
le plus souvent en latin et destinés à une clientèle d’abord constituée de
clercs, donc quantitativement limitée. Dans un second temps seulement, le
glissement se fait, de l’innovation de procédé à l’innovation de produit : la
Peters, Genève, Droz, 2009 (« THR », CDLII). L’édition originale sort chez Christoph
Froschauer à Zurich en 1555.
6
Les 3 [trois] révolutions du livre [catalogue de l’exposition du CNAM], Paris,
Imprimerie nationale, Musée des arts et métiers, 2002 (Comité scientifique présidé par
Frédéric Barbier). Les Trois révolutions du livre: actes du colloque international de Lyon/
Villeurbanne (1998), dir. Frédéric Barbier, Genève, Droz, 2001, notamment Frédéric
Barbier, « D’une mutation l’autre : les temps longs de l’histoire du livre », p. 7–18.
6
Frédéric Barbier
montée de la concurrence entre officines typographiques pousse dans les
décennies 1470–1480 à rechercher de nouveaux marchés, et le recours à la
langue vulgaire et aux auteurs contemporains apparaît rapidement comme
susceptible de vastes développements7. La langue vulgaire dépasse le latin,
en nombre de titres, dans la production française dès les années 1560, tandis
que, d’après la bibliographie rétrospective, le phénomène ne sera régulier,
pour l’allemand, qu’à partir de la fin du XVIIe siècle (1692).
Bien évidemment, il convient de toujours prendre en considération la
représentativité des indicateurs : les imprimés circulant dans un certain
espace ne recouvrent pas absolument ceux qui y sont produits. Dans
certaines régions, la lecture se fera à partir de produits « importés »,
comme c’est le cas dans une partie de l’Europe et jusqu’en Russie sous
l’Ancien Régime, voire dans l’essentiel d’une province française écrasée
par les presses parisiennes au XVIIIe siècle. Inversement, ces marchés
« secondaires » se révèlent parfois plus propices à l’essor d’une production
en langue vernaculaire, comme en Angleterre, mais aussi en Espagne ou
en Bohême aux XVe et XVIe siècles. D’une manière générale, la critique
des sources montre combien la statistique de la production imprimée et de
ses composantes ne constitue, en principe, qu’un indicateur parmi d’autres
sur la circulation réelle des textes et sur les processus de transferts en cours
(par ex. par le biais des traductions).
Le rôle de l’économie devient de plus en plus grand au fur et à mesure
que les techniques évoluent et que l’investissement capitalistique se fait
plus massif. Deux logiques se croisent, qui combinent leurs effets :
1) D’abord au niveau de la production. Le choix de la langue d’édition
sera conditionné par les caractéristiques du marché potentiel eus égards
aux investissements nécessaires. Dans la typographie d’Ancien Régime,
le facteur le plus lourd concerne les fontes, autrement dit les caractères : il
faut dessiner les modèles, puis faires graver les poinçons correspondants,
frapper les matrices et effectuer les opérations elles aussi très onéreuses
de la fonte elle-même. Or, l’alphabet latin classique n’est pas exactement
celui utilisé en Occident et, selon les pays et les langues, il s’y ajoute un
certain nombre de lettres spécifiques et de signes diacritiques (par ex. les
accents en français) dont la fabrication est source de renchérissement8.
7
Frédéric Barbier, « L’invention de l’imprimerie et l’économie des langues en
Europe au XVe siècle », dans HCL, 4 (2008), p. 21–46.
8
Cette problématique dérive de l’idée selon laquelle le texte écrit (ou imprimé)
constitue comme la reproduction du discours oralisé, une des difficultés étant de savoir si
l’on conserve ou non la trace de l’étymologie, c'est à dire de l’histoire des mots.
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
7
Cet impératif sera à l’origine de difficultés dès lors que le marché
potentiel est trop limité (un cas remarquable est celui de l’albanais9, mais
les études conduites sur la chronologie de mise en place et de diffusion
des différents alphabets typographiques restent trop rares10 : des réflexions
ont été conduites au XIXe siècle en Croatie pour élaborer un alphabet latin
spécifiquement croate, « mais les ateliers où s’opérait la fonte des caractères
[étaient hors] des frontières de la Croatie et il ne se trouva personne pour
dessiner des lettres présentant ce profil particulier »11. Les alphabets autres
que le latin, notamment le grec12, l’hébreu et le cyrillique, posent des
problèmes spécifiques et s’inscrivent dans des conjonctures particulières.
Enfin, bien entendu, le principe gutenbergien de l’analyse typographique
est le mieux adapté aux écritures alphabétiques occidentales : l’emploi du
média devient très compliqué dès lors qu’il s’agit d’imprimer des langues
non alphabétiques comme le chinois.
2) L’impératif économique ne concerne pas seulement la fabrication,
mais il se manifeste aussi au niveau de l’écriture elle-même : le phénomène,
qui s’observe dès le XVe siècle, devient de plus en plus évident selon
que l’on se rapproche de la période contemporaine13. Des librairesimprimeurs de l’époque des incunables publient en effet des textes dont
ils suscitent l’écriture en langue vernaculaire parce qu’ils pensent qu’ils
seront susceptibles d’avoir du succès : ainsi de la Danse macabre diffusée
par Guy Marchant à partir de 148514. Plus tard, au XVIIIe siècle, certains
auteurs allemands se plaignent de la multiplication d’ateliers d’écriture
et surtout de traduction qui ont été mis en place par les grands libraires
9
http://histoire-du-livre.blogspot.com/2010/08/reprenons-le-billet-dhier.html.
Juliette Guilbaud, « Drôle de caractères… De la codification typographique du
hongrois (XVIe–XVIIe siècles) », dans La Codification. Perspectives transdisciplinaires,
éd. Gernot Kamecke [et al.], diff. Genève, Droz, 2007, p. 73–85.
11
Trois écritures, trois langues…, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2004
[catalogue d’exposition], p. 77.
12
Jean Irigoin, Les Débuts de la typographie grecque, Paris, Athènes, Sté Études
néo-hellén., 1992; id., « La circulation des fontes grecques en Italie de 1476 à 1525 »,
dans Le Livre et l’historien [Mélanges Henri-Jean Martin], dir. Frédéric Barbier [et
al.], Genève, Droz, 1997, p. 69–74. Raphaële Mouren, « Les débuts de la typographie
grecque en Italie », dans Le Livre grec et l’Europe (XVe–XVIIIe siècle), dir. Frédéric
Barbier, Revue française d’histoire du livre (ci-après RFHL), n° 98–99, 1998, p. 21–54.
13
L’Écrivain et l’imprimeur, dir. Alain Riffaud, Rennes, Presses universitaires
de Rennes, 2010.
14
Cf. notice dans La Capitale des livres. Le monde du livre et de la presse à Paris,
du Moyen Âge au XXIe siècle [catalogue d’exposition], dir. Frédéric Barbier, Paris,
Paris-Bibliothèques / PUF, 2007.
10
8
Frédéric Barbier
désireux de profiter d’une conjoncture alors en pleine expansion – pratique
décrite par le libraire berlinois Friedrich Nicolai dans son roman pour partie
autobiographique de Sebaldus Nothanker15. Le phénomène de la production
et de la traduction « à la ligne » s’accentue encore avec l’industrialisation.
Aujourd’hui enfin, la « Troisième révolution du livre » impose un
impératif de rentabilité par des taux élevés à court terme, impératif auquel
les caractéristiques de la production imprimée ne peuvent que très mal
correspondre. Par ailleurs, l’essor des nouveaux médias renouvelle la
problématique langue(s) dominante(s)/langues dominées, tandis que
l’ensemble du « système livre » est peu à peu complètement restructuré.
Certains intellectuels en tirent des conclusions pessimistes, comme c’est
souvent le cas lorsqu’ils sont confrontés à une configuration nouvelle du
système des médias :
Et l’éditeur, à la fois accoucheur et entremetteur, à quel moment a-t-il
disparu ? (…) Aujourd’hui [1972], [le] lien [qu’il assurait entre l’auteur
et le lecteur] n’existe plus ; en Occident, la civilisation industrialocommerciale attend de l’écrivain quelque marchandise propre à flatter
le goût des masses et à l’Est [sous le régime communiste], des articles de
mercerie politique, du tissu idéologique vendu au mètre16.
Au total, l’économie des langues de la communication livresque ne
peut d’abord se donner à analyser et à comprendre que par rapport à une
économie plus générale de la « librairie ».
2 – Les politiques de la langue imprimée
Au-delà même de l’économie, les langues écrites, encore moins
imprimées, ne sont jamais égales entre elles. En Occident, les langues
anciennes sont d’abord réputées sinon « meilleures », du moins plus
riches que les langues modernes, comme le théorise Guillaume Budé dans
son Institution du prince17, et la conquête par la langue vernaculaire, en
l’occurrence le français, du statut de langue à la fois savante et moderne, ne
se fera que peu à peu.
L’emploi éventuel de telle ou telle langue pour imprimer un certain
livre est d’abord conditionné, sinon pratiquement imposé, par la tradition.
Friedrich Nicolai, Das Leben und die Meinungen des Herrn Magister Sebaldus
Nothanker, vol. 1[3], Berlin, Stettin, bey Friedrich Nicolai, 1774–1776.
16
Sándor Márai, Mémoires de Hongrie, trad. fr., nelle éd., Paris, Livre de poche,
2008, p. 140.
17
Guillaume Budé, De l’institution du prince…, Imprimé à l’Arrivour, abbaye
dudict seigneur, par maistre Nicole, Paris, 1547.
15
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
9
Même lorsque nous abandonnons très progressivement l’usage exclusif du
latin comme langue de la communication écrite, les textes relevant de la
théologie, voire du droit, restent très majoritairement en latin au XVIe et
durant une partir du XVIIe siècle, comme le montrera encore l’exemple
spectaculaire de l’Augustinus imprimé à Louvain en 164018 – une preuve
que l’emploi du latin n’est alors nullement contradictoire avec un large
retentissement de l’ouvrage.
Une promotion politique
Mais la politique est elle aussi omniprésente dans le domaine de la
langue d’édition. En France par exemple, la conquête de la modernité par
la langue vernaculaire résulte d’abord d’un choix politique remontant au
XIVe siècle, mais qui s’impose aux XVe et XVIe siècles19pour atteindre son
couronnement avec la mise en place systématique d’une « administration
des lettres » par Louis XIV et ses ministres, dans les dernière décennies du
XVIIe et au début du XVIIIe siècle. En 1676, François Charpentier défend
le principe d’employer le français pour rédiger l’inscription du nouvel arc
de triomphe du Faubourg Saint-Antoine à Paris, et il publie en 1683 son
traité De l’excellence de la langue française (Paris, vve Barbin, 2 vol.).
L’année suivante, des inscriptions en français sont substituées à celles en
latin figurant sous les tableaux de Le Brun à la voûte de la Galerie des
glaces de Versailles. Les Acta eruditorum sont publiés en latin par Leibniz
à Leipzig à partir de 1682, mais, deux ans plus tard, c’est en français
que Pierre Bayle lance son périodique des Nouvelles de la République
des lettres, où il propose informations et commentaires sur les récentes
parutions. Il explique : « La langue françoise est désormais le point de
communication de toute l’Europe » (ce qui est sans doute en partie vrai,
18
Cornelius Jansenius, Cornelii Iansenii episcopi Iprensis Avgvstinvs. Tomvs
primvs. In quo hæreses & mores Pelagij contra naturæ humanæ sanitatem, ægritudinem
& medicinam ex S. Augustino recensentur ac refutantur. Cum duplici indice Rerum & S.
Scripturæ, Lovanii, typis Iacobi Zegeri, Anno MDCXL [1640] (Collectio Quelleriana).
19
Geoffroy Tory, Champfleury, auquel est contenu l’art & science de la deue &
vraye proportion des lettres attiques qu’on dit autrement lettres antiques, & vulgairement
lettres romaines proportionnées selon le corps & visage humain, Paris, Geoffroy Tory
et Gilles de Gourmont, 1529, 2°. Guillaume Postel, De Originibus, seu de Hebraicae
linguae et gentis antiquitate, deque variarum linguarum affinitate liber…, Paris, D.
Lescuier, 1538, 4°. Guillaume Postel est sensible à l’articulation entre la langue et le
média lorsqu’il s’inquiète de la possibilité d’imprimer en caractères arabes : Linguarum
duodecim characteribus differentium alphabetum. Introductio ac legendi modus longè
facilimus…, Paris, Pierre Vidoue, pour Denis Lecuyer, 1538. Joachim du Bellay, La
Deffence, et illustration de la langue françoyse…, Paris, Arnoul L’Angelier, 1549.
10
Frédéric Barbier
mais aussi en partie excessif). Enfin, la montée du français est théorisée par
Charles Perrault en 1688, avec ses Parallèles des Anciens et des Modernes,
tandis que le Dictionnaire de l’Académie française commence à paraître
en 169620. Cette construction, qui est d’abord d’ordre politique, s’achève
autour de 1700 avec le contrôle renforcé sur la « librairie » du royaume.
La langue de la modernité et de la raison
La Révolution n’introduit pas ici une rupture, le français restant la
langue de la raison et de la modernité, donc de la démocratie. Devant la
Convention, l’abbé Grégoire identifie la langue « nationale » à la langue
de la liberté et de la modernité que promeut le nouveau cours politique, et
l’« anéantissement des patois », ces « jargons » qui représentent l’« idiome
féodal », s’impose d’autant plus comme une nécessité à la fois politique et
humaine que le système démocratique établit une adéquation entre espace
public et choix de la majorité21:
Pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les
talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale,
simplifier le mécanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut
identité de langage. (...) Encourageons tout ce qui peut être avantageux
à la patrie; que dès ce moment l’idiome de la liberté soit à l’ordre du
jour, et que le zèle des citoyens proscrive à jamais les jargons qui
sont les derniers vestiges de la féodalité détruite. (...) Nous ferons une
invitation aux citoyens qui ont approfondi la théorie des langues pour
concourir à perfectionner la nôtre, une invitation à tous les citoyens
pour universaliser son usage. La Nation, entièrement rajeunie par vos
soins, triomphera de tous les obstacles et rien ne ralentira le cours d’une
révolution qui doit améliorer le sort de l’espèce humaine…22
Le Dictionnaire de l’Académie françoise, dédié au Roy…, Paris, veuve de JeanB [II] Coignard, 1694, 2 vol. Cf. Paris capitale des livres, ouvr. cité, n° 81.
21
Abbé Henri Grégoire, Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les
patois et d’universaliser l’usage de la langue française; séance du 16 prairial, l’an IIe de
la république une et indivisible. Suivi du Décret de la Convention nationale. Imprimés par
ordre de la Convention nationale…, [Paris], Imprimerie nationale, [1794], 8 ° (Collectio
Quelleriana).
22
Barrère reprendra le thème dans son Rapport au Comité de Salut public sur les
idiomes, le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) : « Parmi les idiomes anciens, welches,
gascons, celtiques, wisigoths, phocéens ou orientaux, qui forment quelques nuances dans
les communications des divers citoyens et des pays formant le territoire de la République,
nous avons observé (…) que l’idiome appelé bas-breton, l’idiome basque, les langues
allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la
20
te
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
11
Aucune référence n’est faite, on le voit, à la problématique de l’identité,
de sorte la domination du français comme langue internationale durant une
grande partie de l’Ancien Régime et jusque dans la première moitié du
XXe siècle fonctionne d’abord comme résultant d’un choix politique. C’est
par le Journal des débats que les Décembristes reçoivent l’information
dans leur exil d’Irkoutsk, et c’est par un article de L’Illustration que ce
héros d’un roman hongrois apprend le succès du premier vol de Santos
Dumont – et il n’y a pas de raison de penser que ces exemples ne soient pas
représentatifs, bien au contraire23.
La tension de l’ouverture et du contrôle
L’ouverture à un public plus large, par le biais notamment de la lecture
en langue vernaculaire, provoque aussi des effets inattendus: tout un
chacun, s’il sait lire, pourrait avoir accès à tous les textes disponibles, ce
qui peut n’être pas nécessairement souhaitable24. Le concept de distorsion
de code permet d’expliciter un certain nombre de ces processus et de leurs
conséquences, par exemple à propos du succès inattendu des 95 thèses de
Luther à Wittenberg en 1517 (en latin), ou encore de la crise engagée par
la diffusion des Placards contre la messe à Paris en 1534 (cette fois en
français)25.
Dès la décennie 1470, certaines autorités s’efforcent donc de mettre
en place des instances de contrôle susceptibles de limiter la transgression,
et cette volonté d’encadrement s’accentue avec le déclenchement de la
Réforme, puis de la Contre-Réforme. Toute la librairie d’Ancien Régime
s’inscrit ainsi dans une double tension, entre d’une part libre circulation et
contrôle des imprimés, et d’autre part les différentes instances susceptibles
de s’approprier le contrôle (avec notamment la concurrence entre
l’Église catholique, qui développe la censure et établit l’Index librorum
prohibitorum, et les pouvoirs séculiers). Cette poussée vers le contrôle
domination des prêtres, des nobles et des patriciens, empêché la Révolution de pénétrer
dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France… »
23
Miklós Bánffy, Vos jours sont comptés, trad. fr. par Jean-Luc Moreau,
Paris, Phébus, 2010, p. 524.
24
Les textes sacrés posent ici un problème absolument central. Nombre de langues
vulgaires sont d’abord imprimées dans le cadre d’éditions complètes ou partielles de la
Bible. De même, la première Bible imprimée en Amérique du Nord est celle de John Eliot à
Cambridge (Massachusetts) en 1661–1663, et elle est précisément imprimée en algonquin :
Mamusse Wunneetupanatamwe Up-Biblum God…, éd. John Eliot, Cambridge, Samuel
Green, Marmaduke Johnson, 1663. Eliot donnera aussi, en 1666, une grammaire indienne.
25
Frédéric Barbier, « Les codes, le texte et le lecteur », dans La Codification,
ouvr. cité, p. 43–71.
12
Frédéric Barbier
et vers l’encadrement du monde du livre est essentiellement liée avec
l’élargissement du public des lecteurs par le biais de l’utilisation de la
langue vernaculaire. Un des enjeux majeurs de la Contre-Réforme consiste
à montrer que la modernité de la pensée n’est pas contradictoire avec la mise
en œuvre d’un encadrement précis des lectures: à la nouvelle Haute École
de Eger (Erlau), en Haute-Hongrie, la Bibliothèque, dont la statistique des
langues d’impression témoigne de la modernité, est surmontée en 1778–
1779 d’une fresque grandiose illustrant la séance du Concile de Trente au
cours de laquelle est instituée la censure des livres.
3 – La hiérarchie des langues imprimées
L’accession d’une langue au statut de langue imprimée est étroitement
corrélée avec sa reconnaissance comme langue de culture, et elle déplace
par conséquent la hiérarchie entre les langues. Les langues de l’Antiquité
classique sont d’abord réputées plus riches que les langues vernaculaires
modernes avant que celles-ci, et d’abord le français, ne soient progressivement
mises à niveau. Dans le même temps, l’essor du marché de l’imprimé dans
les différentes langues vernaculaires pose dans des termes nouveaux la
problématique de la traduction – pour laquelle la mise à disposition de
bibliographies rétrospectives très développées donne aujourd’hui des outils
de quantification et d’analyse particulièrement puissants. Les résultats des
comptages peuvent en être combinés avec des études de cas, ces dernières
permettant de préciser la typologie des phénomènes observés.
Les « langues sources » : deux exemples
Si Sébastian Brant, professeur de droit à l’université de Bâle, choisit la
langue vernaculaire pour publier en 1494 son Narrenschiff, c’est d’abord pour
atteindre le plus grand nombre de lecteurs potentiels germanophones, mais
aussi pour donner à l’allemand un statut de langue littéraire analogue à celui
de l’italien. Trois ans plus tard, l’ouvrage est traduit (et largement adapté)
en latin par Jakob Locher, dans une perspective d’où la politique éditoriale
n’est pas absente : il s’agit de toucher aussi les lecteurs non germanophones,
donc d’élargir la diffusion et de rentabiliser les investissements effectués
notamment pour les xylographies. Et lorsque, en 1498, le Narrenschiff est
traduit en français, c’est, pour des raisons de commodité, non pas sur la
base de l’original, mais bien de sa version latine. Puis lorsque, dans un
second temps, une version du texte sort en flamand, il s’agit d’abord d’une
opération de librairie montée par le Parisien Guy Marchant en 1500 : la
version de référence est cette fois le français – comme ce sera d’ailleurs le
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
13
cas pour la première traduction en anglais26. Soulignons la précocité de ce
schéma non linéaire, qui fait passer de l’allemand au latin, puis du latin au
français et du français au flamand et aux autres langues vernaculaires. Le
statut du français comme langue source est inscrit dans le long terme, et
ne commencera à s’affaiblir de manière significative qu’à partir du XIXe
siècle, notamment face à l’allemand et de plus en plus à l’anglais.
Pour autant, la prégnance du latin en tant que langue d’écriture et que
langue imprimée constitue une constante remarquable27 : encore autour
de 1700, à Constantinople puis à Saint-Pétersbourg, Demetrius Cantemir
rédige plusieurs ouvrages en latin, dont son Histoire de l’Empire ottoman28.
Son fils, Antiochus, essaie de publier ce dernier titre à Saint-Pétersbourg,
mais il ne peut y parvenir, et l’ouvrage sortira d’abord dans sa version
anglaise à Londres en 1735, avant d’être traduit et publié en français, puis
en allemand. Entre le latin, l’anglais et les autres langues modernes, le livre
de Cantemir illustre ainsi de manière idéaltypique un moment essentiel de
renversement dans la conjoncture des langues d’impression en Europe. Ces
glissements mettent en évidence le fait que les traductions ne reproduisent
généralement pas le texte original, mais l’adaptent plus ou moins en
profondeur en fonction de la version disponible, des connaissances du
traducteur et du public visé par le libraire. Leurs effets à long terme peuvent
être surprenants : voici le Narrenschiff devenu un objet de collection et
figurant comme tel dans les grands catalogues d’amateurs et de bibliophiles
français du XVIIIe siècle : le texte, qui sera considéré comme un monument
de l’histoire littéraire allemande, est pourtant classé, même dans sa version
française, sous la rubrique des « Poètes latins modernes » et non pas sous
celle des « Poètes allemands ».
Enfin, dans un nombre de cas non négligeable, la volonté de toucher
un public élargi passe par l’édition, y compris à l’étranger, dans la langue
internationale dominante. Le libraire éditeur joue dès lors le rôle d’initiateur :
à compter de 1761, Friedrich Nicolai fait ainsi traduire et publier à Berlin
en français un certain nombre de poèmes allemands du zurichois Salomon
Gessner29.
26
Sebastian Brant, The Shyppe of fooles, London, Wynkyn de Worde, 6 juillet
1509. Voir : Aurelius Pompen, The English versions of the Ship of fools. A contribution to
the history of the early Renaissance in England…, London, Longmans, Green & C°, 1925.
27
On sait par ailleurs que, en Hongrie, le latin restera langue officielle jusqu’en
1844.
28
Stefan Lemny, Les Cantemir : l’aventure européenne d’une famille princière au
XVIIIe siècle, Paris, Éditions Complexe, 2009.
29
Salomon Gessner, La Mort d’Abel. Poème en cinq chants, traduit de l’allemand
par M[ichel] H[uber], Paris, et se vend à Berlin, chez Frédéric Nicolai, 1761 ; id., Idylles et
14
Frédéric Barbier
Le rôle de la Réforme
Le premier ensemble de textes traduits est historiquement constitué par
le corpus des livres saints. La traduction de la Bible en langue vernaculaire,
français d’oïl, allemand et un certain nombre d’autres langues, constitue
un phénomène de masse en partie antérieur à la Réforme, mais que celle-ci
amplifie et accélère. Une vingtaine d’éditions en allemand sortent avant
la traduction de Luther à Wittenberg en 1522, et un abrégé du Nouveau
Testament en français est imprimé par Barthélemy Buyer à Lyon dès
147630. Max Engammare nous donne la mesure précise de l’ampleur du
phénomène :
J’estime (…) la production de bibles [jusqu’en 1555] à un chiffre
compris entre 3800 et 4300 éditions différentes (…) : environ 40
éditions hébraïques, 200 grecques et entre 1500 et 2000 latines (…).
On trouve (…) 700 bibles allemandes, 230 anglaises, environ 300
néerlandaises et flamandes ; 540 bibles françaises, 80 italiennes, enfin
environ 200 éditions dans d’autres langues. (…) Le tirage moyen variait
entre 1000 et 1300 exemplaires31.
Mais le développement de la Réforme dans les premières décennies du
XVIe siècle, a aussi pour effet de figer, voire de bloquer les positions : le
premier Index (1549) soumet à une autorisation explicite toute lecture de la
Bible en langue vernaculaire, tandis que le contrôle des lectures par l’Église,
systématisé par le Concile de Trente en 1564, peut avoir des conséquences
négatives à long terme32. Inversement, l’avance des principautés
poèmes champêtres, ibid., 1762 ; id., Daphnis et Le Premier navigateur. Poèmes…, ibid.,
1765. Selon la pratique courante à l’époque, l’adresse parisienne est évidemment fausse.
30
La construction d’une science des textes s’appuie d’abord sur l’étude de la
Bible, comme le montre l’exemple de la Polyglotte publiée à Alcalá à partir de 1514 :
Biblia sacra. Vetus testamentum multiplici lingua nunc primo impressum: Pentateuchus
hebraico, greco atque chaldaico idiomate. Secunda, tertia, quarta pars Veteris Testamenti
hebraico, grecoque idiomate nunc primum impressa. Adjuncta unicuique sua latina
interpretatione. Novum Testamentum grece et latine noviter impressum. Vocabularium
hebraicum atque chaldaicum totius Veteris Testamenti cum aliis tractatibus, éd. Francisco
Ximenez de Cisneros, [Alcalá], Arnaldus Guillelmus de Brocario [Arnao Guillén de
Brocar], 1514–1517, 6 vol.
31
Max Engammare, « Un siècle de publication de la Bible en Europe : la langue
des éditions des Textes sacrés (1455–1555) », dans Les Langues imprimées, ouvr. cité, ici
p. 50–51.
32
Ces dispositions restent pratiquement en vigueur dans un pays comme l’Italie
même après que Benoît XIV soit en partie revenu sur leur principe, ce qui suggère à
Mario Infelise l’hypothèse d’un lien relativement étroit entre pratiques plus rigoureuses de
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
15
allemandes réformées dans le domaine de l’alphabétisation constitue un
élément particulièrement favorable à la diffusion de la lecture en langue
vernaculaire, y compris à l’étranger : un certain nombre d’intellectuels
slovènes et croates a trouvé refuge, au milieu du XVIe siècle, auprès du duc
Christoph v. Würtenberg, et ils fondent à Urach une imprimerie spécialisée
dans la production destinée à l’exportation en italien, en slovène et en
croate (1561), notamment des textes du réformateur Primož Trubar33.
Hiérarchie relative des langues d’impression
L’exemple du Narrenschiff nous a montré que, très vite, le latin n’est
plus la seule langue source, bien qu’il reste la principale. Le français joue
souvent ce rôle, mais, en France même, l’espagnol et surtout l’italien
fonctionnent aussi comme des langues de référence jusqu’au XVIIe siècle –
la présence de grands libraires italiens établis en France et en Angleterre34,
de même que la composition de certaines bibliothèques privées35 en
témoigneront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les raisons de cet intérêt
sont notamment d’ordre politique, qui expliquent aussi, à la même époque
une certaine diffusion de la littérature espagnole en Bohême36.
Mais le développement technique et la montée des impératifs
capitalistiques ont aussi pour effet de donner un poids de plus en plus grand
aux facteurs objectifs et à l’importance du marché potentiel de chaque
langue. Ainsi, pour Sándor Márai, le relatif retard qui est celui du marché
du livre en Hongrie par rapport à l’Europe occidentale jusqu’au milieu du
XIXe siècle vient-il en partie de la spécificité de la langue hongroise, qui a
pour effet d’effet d’isoler un marché magyarophone en définitive trop étroit.
La langue hongroise (…) n’était pas encore établie ni cataloguée (…).
En scrutant les couches profondes de sa langue – une langue qui semblait
contrôle et relatif retard du côté non seulement de la production imprimée, mais surtout de
la lecture (l’Italie contemporaine est « un pays qui ne lit pas »). Cf. Libri per tutti. Generi
editoriali di larga circolazione tra antico regime et età contemporanea, éd. Lodovica
Braida, Mario Infelise, Torino, Utet Libreria, 2010.
33
Quoiqu’imprimés à Urach, les volumes portent parfois l’adresse de Tübingen. Cf.
Trois écritures, trois langues…, ouvrage cité, p. 42 et suiv.
34
Jean Claude Molini est né à Livourne en 1724, et ses frères sont libraires à Florence
et à Londres. Lui-même vient à Paris vers 1753, où il réussit à s’établir comme libraire en
1766.
35
Ainsi de Crébillon, ancien censeur royal, qui rangeait à part dans sa bibliothèque
ses livres en italien. Cf. Notice des principaux articles de la bibliothèque de feu M. Joliot
de Crébillon, censeur royal…, Paris, P.F. Gueffier, 1777.
36
Jaroslava Kašparova, « La littérature espagnole et ses lecteurs tchèques de
e
XVI et XVIIe siècles », dans RFHL (dir. Frédéric Barbier), 2001, n° 112–113, p. 73–104.
16
Frédéric Barbier
parfois accuser un retard de plusieurs siècles –, le poète hongrois ne
trouvait pas toujours les mots adéquats pour désigner les phénomènes
nouveaux. Au XXe siècle même, les écrivains hongrois lisaient toujours
avec l’avide curiosité de celui qui a pour tâche urgente de combler un
retard dû à des siècles de solitude et de silence, de remédier à ce manque
d’air que constituait la pauvreté relative du vocabulaire…37
À l’inverse, la période contemporaine (depuis la fin du XVIIIe siècle)
est caractérisée par la montée en puissance de langues qui viennent
concurrencer le français comme langues internationales. Laissons de côté
le cas de l’anglais, qui demanderait une étude spécifique, pour nous arrêter
à l’allemand, langue vectrice dans une grande partie de l’Europe médiane
et septentrionale, et jusqu’en Russie, mais aussi, au XIXe siècle, langue
savante dans des pays comme la France et l’Espagne38. On publie d’abord en
français et en allemand à Saint-Pétersbourg au XVIIIe siècle, tandis que les
progrès de la recherche et de l’érudition allemande expliquent l’influence
de la littérature scientifique allemande en France au XIXe siècle39. L’essor
du Reich wilhelminien après 1870 s’accompagne d’un développement
exceptionnel des exportations de librairie allemande, par exemple vers le
monde hispanophone : moins de 900 000 Marks d’exportations en 1890,
mais près de 2 millions en 191340. Les exportations sont encore plus
dynamiques vers les grands marchés occidentaux représentés entre autres
par la France, mais surtout par les Etats-Unis.
4 – Langues imprimées et identité collective
La promotion du vernaculaire comme langue imprimée passe aussi, à
partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, par le biais d’un investissement
Sándor Márai, Mémoires de Hongrie, trad. fr., nelle éd., Paris, Livre de poche,
2008, p. 139–140.
38
Frédéric Barbier, L’Empire du livre : le livre imprimé et la construction de
l’Allemagne contemporaine (1815–1914), préf. Henri-Jean Martin, Paris, Éditions du
Cerf, 1995.
39
Frédéric Barbier, « Pour une anthropologie culturelle des libraires : note sur
la librairie savante à Paris au XIXe siècle », dans Une Capitale internationale du livre :
Paris, XVIIe–XXe siècle, dir. Jean-Yves Mollier, Genève, Droz, 2009, p. 101–120
(HCL, 2009, V).
40
Bien entendu, il convient aussi de tenir compte de l’importance de l’émigration
allemande, notamment outre-mer. Les statistiques viennent d’être reprises par
Álvaro Caballos Viro, Editiones alemanas en español (1850–1900), Madrid,
Iberoamericana ; Frankfurt-a/Main, Vervuert, 2010.
37
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
17
massif en terme d’identité collective, laquelle s’articule de manière
privilégiée avec l’affirmation des nouveaux États-nations.
Le modèle allemand
Ce sont les professionnels allemands de la librairie qui, les premiers,
théorisent alors l’articulation entre la langue, la « librairie » et la nation:
la langue est au fondement de la collectivité, il faut donc lui donner les
outils nécessaires pour qu’elle puisse exister et se développer en tant que
langue de culture permettant l’existence d’une littérature nationale41. Le
premier de ces outils réside dans une « librairie » à la fois autonome et aussi
efficace que possible. Parmi les publications stratégiques sur lesquelles
s’appuie la réalisation de cet objectif figure l’édition d’usuels de travail et
de bibliographies : à partir de 1765, Friedrich Nicolai publie le périodique
de l’Allgemeine deutsche Bibliothek qui, jusqu’en 1806, donnera des
recensions critiques de quelque 80 000 titres allemands42, et ce modèle se
développera au XIXe siècle. Si ce schéma est d’origine allemande43, le poids
du marché allemand du livre, l’existence de minorités germanophones, le
rôle d’instances politiques comme celles de Vienne, le rôle aussi des cursus
universitaires effectués en Allemagne par les étudiants étrangers expliquent
qu’il se diffuse au XIXe siècle dans les territoires des États des Habsbourg,
et au-delà.
Les môles de l’identité
La promotion de la langue nationale comme langue de culture livresque
s’accompagnera du développement d’une production littéraire propre,
laquelle sera notamment d’ordre scientifique et normatif (les études de
linguistique, les dictionnaires de la langue ou les dictionnaires plurilingues),
informatif (les encyclopédies nationales), littéraire (la littérature nationale
et ses collections) ou scolaire (les manuels). Les périodiques en langue
vernaculaire constituent un domaine qu’il serait particulièrement important
d’envisager de manière à la fois comparative et systématique. Cette
Friedrich Christoph Perthes, Der Deutsche Buchhandel als Bedingung des
Daseins einer deutschen Literatur, Hamburg, Perthes, 1816. Frédéric Barbier, « Entre
Montesquieu et Adam Smith : Leipzig et la société des libraires », dans RFHL, 2001, n°
112–113, p. 149–170.
42
Günther Ost, Friedrich Nicolais Allgemeine deutsche Bibliothek, Berlin, 1927
(« Germanische Studien », 63).
43
Frédéric Barbier, « Habermas et l’éditeur, ou Qu’est-ce que la médiatisation »,
dans Buchkulturen. Festshcrift für Reinhard Wittmann, éd. Monika Estermann, Ernst
Fischer, Ute Schneider, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2005, p. 37–57.
41
18
Frédéric Barbier
promotion passe aussi par l’existence fréquente d’un alphabet spécifique,
dont la charge identitaire est particulièrement importante : c’est ce que
démontre a contrario une personnalité aussi éminente que l’économiste
Michel Chevalier, dans son Rapport publié à la suite de l’Exposition
parisienne de 1867. Il y souligne l’avantage qu’il y aurait, d’après lui, à
généraliser l’emploi de l’alphabet latin :
Pourquoi l’empire de Russie ne ferait-il pas de bonne grâce le sacrifice de
ses caractères, qui l’isolent des autres peuples civilisés ? Les Allemands,
à plus forte raison ne peuvent attacher un grand prix à conserver, dans
leur correspondance, le système d’écriture [le gothique manuscrit] qui
leur est particulier. Viendrait-il des objections de la Turquie ? Dans cet
empire, il semble qu’on soit décidé à faire un effort suprême pour entrer
dans le giron de la civilisation occidentale ; on sent que la question
ici est d’être ou de n’être pas. La mesure indiquée (…) ne pourrait
qu’aider le gouvernement ottoman à atteindre le but qu’il poursuit (…).
À l’égard des Chinois, le changement d’écriture serait radical. Mais
aussi, quelle féconde révolution ! Le système d’écriture de la Chine
est, par son effroyable complication, une des causes qui contribuent le
plus à retarder ce pays. L’écriture des peuples occidentaux, si simple,
si aisée à comprendre et à pratiquer, abrègerait de plusieurs années
l’éducation des individus dans ce populeux empire, et leur faciliterait
l’accès des trésors de la science européenne (…). Avec les orientaux, il
est indispensable, plus qu’avec d’autres, de persévérer, parce que chez
eux la force d’inertie est excessive…44
Michel Chevalier, Rapports du jury international…, Paris, Paul Dupont, 1868,
13 vol., t. I, p. DVIII-DIX (on appréciera au passage certains des commentaires proposés
comme des évidences par Michel Chevalier). La question réapparaît à l’occasion de la
présentation dans l’exposition des caractères typographiques, mais avec des connotations
beaucoup plus marquées par l’identité nationale : « Il est assez fréquent d’entendre dire
que le plus beau caractère d’imprimerie est celui dont se servent les Anglais, et que les
Allemands, en le leur empruntant plutôt que de prendre le nôtre, portent témoignage en
leur faveur. Mais, d’abord, il n’est pas tout à fait exact de dire que les Allemands ne se
servent que du caractère anglais (…), et rien, en outre, n’autorise à déclarer que les types
de l’Angleterre (…) soient les plus beaux qu’on ait dessinés, gravés et fondus (…). Si on
veut absolument trouver quelle est la différence du caractère français aux caractères de
l’Angleterre et de l’Allemagne, on finira par voir que nous avons en général les lettres
moins larges que les Anglais et moins hautes que les Allemands. Nos lignes, dans les
beaux ouvrages, ont un air moins lourd et moins noir. (…). Et pour nos fleurons et nos
vignettes, ni l’Allemagne ni l’Angleterre n’approchent de ce que nous savons faire… »
(Rapports…, t. II: groupe II, classe 6).
44
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
19
Le passage d’un système d’écriture à l’autre constitue un phénomène
très rare : l’Allemagne abandonnera effectivement, à terme, la typographie
et l’écriture en gothique, tandis que la Turquie nouvelle fondée par Atatürk
au lendemain de la catastrophe de la Première Guerre mondiale adoptera
en effet un alphabet latin très peu aménagé (1928). Mais nous sommes,
avec Michel Chevalier, dans l’ordre d’une utopie du libre-échange des
idées et des savoirs, et l’auteur méconnaît le poids symbolique qui peut
être celui du système d’écriture et de la « librairie » pour la construction de
l’identité collective, en même temps que de tout ce qui peut relever de la
problématique des lieux de mémoire.
Le statut de la langue et de la littérature « nationales » est renforcé par
la mise en place d’un certain nombre d’institutions de légitimation, dont
l’un des modèles historiques de référence est donné dès le XVIIe siècle
par l’Académie française. Une place à part sera faite aux bibliothèques
nationales, en charge de la conservation de la production imprimée
« nationale » et, souvent, du travail de la bibliographie courante et
rétrospective45. Cette manière de mise en scène de la langue et de ses
productions se prolonge dans le domaine de l’urbanisme, avec le bâtiment
de la Bibliothèque nationale et son décor, voire, plus rarement avec la
construction de musées de la langue46 dans lesquels la place de l’écrit et de
l’imprimé est centrale.
Mentionnons enfin l’organisation d’événements spécifiques, et
notamment d’expositions commémoratives faisant elles aussi une place
plus ou moins grande aux livres et à la langue. Pratiquement trente ans après
la signature du Compromis fondant la double monarchie (1867), la Hongrie
organise à Budapest une exposition grandiose destinée à commémorer le
millénaire de la fondation du royaume (1896). Il s’agit, certes, de mettre
en scène le développement de la Hongrie contemporaine, mais aussi de
l’asseoir dans la continuité d’une tradition historique dans laquelle le
livre, la langue et la littérature occupent une position clé47. Le modèle le
Les Bibliothèques centrales et la construction des idéentités collectives, dir. Frédéric
Barbier, István Monok, Leipzig, Leizpiger Universitätsverlag, 2005 (« Vernetztes
Europa », 3). La définition même de la bibliographie nationale reste changeante, en particulier
dans le cas où la géographie politique a subi des variations plus ou moins importantes au
cours de l’histoire et où elle ne se superpose pas à la géographie linguistique. C’est ainsi que
la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest a pour charge de réunir et de conserver les
Hungarica, lesquels désignent les livres publiés en hongrois, ou par des auteurs hongrois,
ou encore traitant, même très ponctuellement, de la Hongrie historique.
46
Un exemple contemporain est donné par le Musée de la langue à Czéphalom
(Hongrie).
47
Az Ezeréves Magyarország ésa millenium kiállitás. Millénaire de la Hongrie
45
20 Frédéric Barbier
plus accompli de ces entreprises de commémoration est cependant donné
par le Reich wilhelminien et par la ville de Leipzig, où se concentrent les
institutions et les fondations relatives au livre, à la littérature et à la langue
allemandes : le Musée allemand du livre et de l’écriture (Deutsches Buchund Schriftmuseum) est fondé en 1884, la Bibliothèque nationale allemande
commence à être construite en 1910 et, en 1914, c’est l’ouverture de
la bugra, la plus grande exposition jamais réalisée sur le livre et sur
l’histoire du livre.
Ces institutions, ces monuments et ces événements spectaculaires
constituent autant de lieux de mémoire qui tous ont pour objectif de
célébrer la nation moderne, prioritairement appuyée sur sa langue et sur sa
littérature, et dont le média privilégié est celui de l’imprimé.
Épilogue
L’articulation (pour ne pas dire l’identification) de la langue et
de la nation pose cependant sur le plan historique deux problèmes plus
spécifiques. D’abord, la construction de nationalités qui sont d’abord des
nationalités culturelles (Kulturnation) et linguistiques s’articule souvent, à
la fin de l’Ancien Régime, avec un projet politique plus ou moins libéral :
en promouvant la culture et la participation du plus grand nombre, on vise
ipso facto à renverser un ordre considéré bientôt comme celui de l’Ancien
Régime, et une grande partie de la problématique du XIXe siècle sera
engagée par l’articulation ainsi mise en place entre culture et politique.
Cette ambiguïté est encore accrue à cause de l’acception spécifique qui est
celle du terme de « nation » en français sous la Révolution.
Une seconde difficulté, peut-être plus sensible, vient de l’a priori qui
fait considérer l’existence de la nation comme un impératif en quelque
sorte donné par nature : nous voici trop souvent dans l’ordre d’une
tautologie qui veut que la nation existe en principe et que (la métaphore est
significative), si d’aventure elle était « endormie », il ne s’agirait que de
la « réveiller » (« L’éveil des nationalités »)48. L’historien n’a pas à juger
et l’Exposition nationale. The Millenium of Hungary and the National exhibition. Das
tausendjährige Ungarn und die Milleniums-Austellung, Budapest, 1896, 2 vol. Frédéric
Barbier, « Le livre exposé : le livre et les bibliothèques dans les expositions universelles,
1850–1914 », dans Les Bibliothèques centrales et la construction des identités collectives,
ouvr. cité, p. 296–324.
48
Michaël Wögerbauer a proposé comme alternative l’emploi du concept
de « vernacularisation » : Michael Wögerbauer, « La vernacularisation comme
alternative au concept d’« éveil national » ? L’exemple de la Bohème », dans Les Langues
imprimées, ouvr. cité, p. 149–173.
Construction et réception du texte imprimé en Occident...
21
de la pertinence de ces considérations, mais l’historien du livre sait que
l’organisation de collectivités nationales n’est pas un effet de nature, mais
bien un effet de culture qu’elle demande à être contextualisé : l’approche
comparatiste montre que le statut, le rôle, les pratiques et les représentations
des différentes langues d’impression changent très profondément en
fonction des contextes eux-mêmes différents par rapport auxquels ils se
définissent. De sorte que la trajectoire des langues d’impression nous
informe directement et très puissamment sur les modalités selon lesquelles
les processus d’identité collective fonctionnent au cours de l’histoire – et
selon lesquelles les réorganisations aujourd’hui en cours pourraient ou non
se développer.
Oubli d’une écriture, mort d’une langue –
résurrections par l’imprimé ?
Le cas du glagolitique et du vegliote,
île de Veglia/Krk (XIXe–XXe siècles)
DANIEL BARIC
L’histoire des îles de l’Adriatique constitue à certains égards un angle
mort de la recherche historique sur l’Europe du Sud-Est. Si les centres
urbains ont suscité l’intérêt des historiens, les îles ont plus souvent été
étudiées, décrites et présentées par des érudits locaux, qui ont retracé
l’histoire de leur village ou bien de leur île d’origine dans son entier,
mais à partir de sources locales. Ces patients travaux, pionniers et utiles,
fournissent matériau et pistes de recherche pour une histoire qui replace
l’île dans un plus vaste contexte, plurilingue et pluriculturel.
L’île qui porte le double toponyme de Veglia en italien et Krk en croate
n’est pourtant pas un minuscule confetti perdu dans la mer Adriatique,
puisqu’il s’agit de la plus grande terre émergée dans ce bassin de la
Méditerranée, avec une surface de 405 km2. Après une longue période de
déclin démographique entamée à la fin du XIXe siècle, lorsqu’elle compte
plus de 22 000 habitants, l’île est aujourd’hui habitée de quelque 17 000
insulaires, sans compter les nombreux estivants. Le reflux démographique
est dû aux dommages subis par le phylloxéra et la concurrence des
vignobles italiens, alors que la viticulture assurait jusqu’alors à l’île, dont
la population était alors largement agricole, de substantiels revenus.
La position géographique de l’île en fait un territoire propre à l’examen
de tendances à la fois modernisatrices, venues pour certaines du continent,
et conservatrices, en ce qu’elles ont contribué à maintenir intactes certains
traits, en particulier culturels, qui ont disparu sur la terre ferme. Très proche
de la côte en effet, à laquelle est elle est directement reliée depuis 1980
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
23
par un pont de près de 1500 mètres, ce territoire avait néanmoins conservé
par sa position insulaire un relatif isolement. Les conditions sociales et
culturelles reflétaient les évolutions économiques et politiques visibles sur
la terre ferme, mais son éloignement lui permit de garder plus longtemps
des traits anciens dans la vie religieuse et dans les usages linguistiques, qui
lui confèrent un caractère de conservatoire du passé, qui fut précisément
reconnu pour tel au cours des XIXe et XXe siècles. Située à la jonction
entre monde latin et slave, insérée dans le monde habsbourgeois dominé
par la cour de Vienne à partir de 1815 jusqu’à la fin de la première Guerre
mondiale, l’histoire linguistique de l’île est singulière. D’autant plus que les
systèmes d’écriture mis en place à l’époque médiévale, avec l’introduction
de l’écriture glagolitique dans un contexte liturgique slave catholique,
qui continue à être tolérée par le Vatican, qui favorise pourtant l’usage
de l’alphabet latin, lui assurent une pluralité de systèmes graphiques,
bien que de plus en plus menacée, jusqu’en plein XIXe siècle. Au gré des
changements politiques qui affectent la vie insulaire sur deux siècles, se
développent des stratégies de sauvetage de ce qui apparaît progressivement
comme un patrimoine écrit à répertorier et publier, alors que les moyens
mis à disposition par les développements de l’imprimerie permettent
justement de mettre en avant cette production écrite, qui acquière une
place particulière selon les contextes politiques et culturels, qui n’est en
rien neutre, en dépit du nombre très restreint de lecteurs véritablement en
mesure de lire ces livres. Parallèlement se développe un intérêt scientifique
pour une langue romane en voie disparition, qui n’est plus parlée que sur
cette île à la fin du XIXe siècle. La mobilisation savante est dans ce cas
du côté des habitants de langue italienne. Dans les deux cas, produire des
imprimés sur ces sujets peut susciter des réactions qui dépassent de loin le
cercle des amateurs, car une visée pratique, non dénuée de sens politique,
n’est pas absente des efforts des auteurs de livres sur ces sujets, ou du
moins de certains de leurs lecteurs.
1. Une écriture comme enjeu politique et culturel pour les Slaves
catholiques, le glagolitique
Comme ailleurs sur la côte adriatique de l’empire des Habsbourg,
la population de langue italienne est présente avant tout dans les centres
urbains, alors que les Slaves du Sud, en l’occurrence les Croates, habitent
les zones rurales. Ainsi le chef-lieu de l’île, Veglia, est majoritairement
peuplé d’italophones. Ce n’est que durant les toute dernières décennies du
XIXe siècle que les Croates occupent progressivement ici, comme Istrie
24
DANIEL BARIC
plus au nord et en Dalmatie au sud, des postes dans l’administration et
qu’ils commencent à exercer en nombre des professions libérales.
A ce titre, le parcours des frères Ivan Josip (1806–1877) et Dinko
Vitezić (1824–1904) semble exemplaire. Tous deux issus du village de
Vrbnik sur la côte orientale de l’île, ils gravissent les échelons de leurs
carrières dans des vois différentes, mais se retrouvent pour la promotion de
thèmes que chacun d’eux défend. Ivan Josip Vitezić est formé à Vienne,
passe par la capitale administrative de la Dalmatie autrichienne Zara/Zadar,
où il est conseiller pour les affaires religieuses auprès du gouverneur, avant
d’être nommé à la tête de l’évêché de Krk. Il fait dès lors de l’ouverture d’un
lycée où la langue d’enseignement serait le croate son cheval de bataille,
à l’heure où l’enseignement se fait en italien, même dans des localités
où le croate est la langue maternelle de l’immense majorité des élèves.
Il participe au premier concile du Vatican en 1869–1870, où il fréquente
un autre délégué croate, l’évêque Josip Juraj Strossmayer, qui développe
à ce moment-là en Croatie continentale de nombreuses activités qui ont
pour but de rapprocher les Slaves du Sud, c’est-à-dire dans une visée
œcuménique également les catholiques et les orthodoxes, notamment en
participant à la fondation d’une Académie à Zagreb (Academia scientiarum
et artium Slavorum meridionalium), qui commence dès sa fondation en
1866 à éditer des séries d’ouvrages scientifiques. Membres tous deux de la
Diète provinciale d’Istrie à laquelle est rattachée leur île natale, les frères
Vitezić sont des bibliophiles. Dinko crée en 1898 en souvenir de son frère
une bibliothèque d’étude dans leur demeure familiale à Vrbnik, qui est
ouverte au public depuis 1910, et fonctionne jusqu’à nos jours. L’évêque
Ivan Josip fait rénover certains lieux de culte, en particulier l’église SainteLucie à Jurandvor et il encourage à cette occasion le développement des
connaissances sur les inscriptions en glagolitique trouvées dans l’église.
Dinko, devenu avocat après avoir fréquenté des écoles de langues
italienne et allemande, représentant au Parlement de Vienne entre 1874 et
1881, continue à plaider comme son frère pour l’ouverture d’un lycée en
langue croate, qui voit finalement le jour à proximité du chef-lieu de l’île, à
titre privé, sur l’îlot de Košljun qui se trouve sous l’autorité des franciscains1.
En une vingtaine d’années, de 1890 à 1911, jusqu’à l’ouverture d’un
lycée en langue croate à Krk, où ne subsiste plus qu’un dernier lycée de
langue italienne sur l’île, le système scolaire bascule complètement d’une
prédominance italienne à une prédominance croate, du moins pour ce qui
1
L’un des élèves qui fréquenta l’établissement, Vjekoslav Štefanić (1900–
1975), lui-même originaire de l’île Krk, est devenu un spécialiste de paléographie
glagolitique (cf. la bibliographie en fin d’article).
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
25
est du degré élémentaire, comme du reste dans les autres régions du littoral
au sud de l’île.
Depuis les premières décennies du XIXe siècle, des érudits locaux,
ecclésiastiques pour nombre d’entre eux, avaient commencé à prendre de
l’intérêt aux inscriptions médiévales en slavon qu’ils trouvaient éparpillées
sur toute l’île, notamment sur les linteaux de porte et les pierres tombales
et se rendaient compte que les documents manuscrits rédigés en lettres
glagolitiques que recelaient les archives paroissiales méritaient assurément
d’être étudiées par des historiens. Antun Dragutin Parčić (1832–1902)
fut un de ceux qui contribuèrent à ce mouvement de redécouverte et de
diffusion des connaissances sur les documents glagolitiques2. Né à Vrbnik
lui aussi, dans un milieu où la tradition glagolitique restait bien conservée et
où l’on conservait livres et archives en glagolitique, il est allé à l’école dans
un monastère franciscain situé sur la côte occidentale de l’île, à Glavotok.
Après des études de théologie à Zadar en Dalmatie, c’est dans ce même
monastère que quelques décennies plus tard, dans les années 1871–1876,
il monte une imprimerie, Serafinska tiskara, l’imprimerie séraphique, qui
marque par sa dénomination son ancrage franciscain. L’entreprise relève
à ses débuts davantage du bricolage individuel que du projet institutionnel
largement soutenu. Il réussit en effet à remettre en état de marche une
ancienne machine à imprimer trouvée dans une décharge à Rijeka. Il
fabrique par ailleurs lui-même les fontes et tous les ustensiles nécessaires
à l’impression de livres, qui sont pour certains d’entre eux, les fruits de
sa propre production écrite : poèmes et traductions (le livre I de L’Enfer
de Dante), mais aussi livres liturgiques. Or depuis la moitié du XVIIIe
siècle, les missels n’étaient plus imprimés en glagolitique. Antun Dragutin
Parčić développe donc plus qu’une fascination pour une écriture tombée
peu à peu en désuétude, connue et pratiquée par un cercle de plus en plus
restreint ; il cherche de fait à replacer les ouvrages en glagolitique dans leur
environnement concret et premier, dans l’usage liturgique quotidien. Il avait
été question d’aller en ce sens en 1869, à l’occasion du millénaire de la mort
de saint Cyrille. On attribue généralement aux disciples des frères Cyrille et
Méthode, originaires de Salonique, l’invention de l’alphabet cyrillique dans
le but de transcrire les Évangiles en slavon, mais celle du glagolitique est
estimée antérieure, et du reste cet alphabet pouvait être désigné au Moyen
Age à bon droit comme l’alphabet cyrillique, puisqu’il semble avoir été
inventé avant, à partir des lettres grecques cursives, alors que le cyrillique
2
Pour les renseignements donnés ci-après, voir les contributions réunies par
DEROSSI, Julije. 2003, Zadarska smotra (Zbornik Dragutin Parčić) [Revue de Zadar
(Recueil d’articles sur Dragutin Parčić)], XLII, vol. 3.
26
DANIEL BARIC
s’est développée à partir des lettres grecques onciales3. Mais c’est l’élection
de Léon XIII en 1878 sur le trône de saint Pierre qui donne à l’entreprise un
nouvel élan. Lui qui dans son encyclique de 1880 « Grande munus » proclame
Cyrille et Méthode saints de l’ensemble de la Chrétienté, donne son accord
pour l’impression de nouveaux livres liturgiques en slavon, mais se pose
alors la question de l’alphabet utilisé : latin, cyrillique ou glagolitique ?
Parčić se fait l’avocat de la tradition de siècles d’impression en slavon
glagolitique4, mais il sait que cet usage n’est que toléré par l’Église depuis
le milieu du XVIIIe siècle. Là où une langue est déjà traditionnellement
en usage dans la liturgie, elle n’a pas à être supplantée par le latin, mais
il ne faut pas, dans l’esprit de cette décision, que cet usage se répande. Or
tout autre est le point de vue de diplomates, qui commencent à s’intéresser
de près à cette question typographique. La question intéresse en effet la
diplomatie autrichienne, si bien que notes et mémoires se succèdent entre
chancelleries monténégrine, autrichienne et russe. Le glagolitique satisfait
finalement Autrichiens et Russes. L’ambassadeur autrichien auprès du
Saint-Siège peut informer le vice-consul d’Autriche au Monténégro que
cet imprimé en glagolitique approfondira le fossé entre catholiques et
« schismatiques », ceux qui sont habitués à lire du cyrillique ne pouvant
pas déchiffrer le glagolitique. Une note adressée à Léon XIII de la part
des autorités autrichiennes souligne que la liturgie en slavon imprimée en
caractère glagolitiques a toutes les chances de disparaître d’elle-même. Le
Monténégro, qui fait partie des régions concernées par cet imprimé pour
les catholiques de la côte adriatique, doit en recevoir des exemplaires et
les autorités de la principauté ont demandé dans un premier temps une
édition en cyrillique, avant que sous l’influence de diplomates russes,
qui s’inquiétaient de la possible propagation de la liturgie catholique audelà des seuls catholiques auprès de la majorité orthodoxe, demandèrent
une impression en glagolitique, que bien peu d’orthodoxes pouvaient
déchiffrer. En 1886, lors de l’établissement du concordat entre le Vatican et
le Monténégro, il avait été en effet établi que l’usage du slavon devait être
autorisé dans la liturgie catholique, ce que la Russie avait fait demander,
en espérant de la sorte rapprocher les catholiques des orthodoxes. Ce n’est
qu’après l’impression des trois premières centaines d’exemplaires en
VINOKUR Grigorij Osipovič. 1947, La Langue russe (trad. de Yves Millet, éd.
originale Moscou, 1945), Paris : Institut d’études slaves, p. 29-31.
4
Les premières imprimeries dans l’espace croate ont précisément commencé à
fonctionner dans la région de l’île de Krk avec des fontes glagolitiques : une imprimerie
était installée à Senj, qui se trouve juste en face l’île, de la fin du XVe (1494) au début du
XVIe siècle.
3
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
27
glagolitique que l’on s’est rendu compte cependant que la grande majorité
des catholiques monténégrins n’étaient de fait pas même en mesure de
comprendre le slavon à l’oral, étant albanais, et non croates.
Ce Missel est édité en 1893 par les soins de Parčić d’après des
manuscrits du XIVe siècle, dont les aspects russes ont été soigneusement
éliminés, à l’Institut Saint-Jérôme (Collegium Hieronymium) de Rome
établi pour accueillir les catholiques de Croatie5. C’est donc à Rome, dans
les pièces qu’il occupe en tant que chanoine de cet institut auquel il est
rattaché depuis 1876, qu’il élabore le missel, mais aussi qu’il crée de toutes
pièces une officine où il confectionne, comme il l’avait fait à Glavotok, des
fontes de lettres glagolitiques et qu’il fabrique enfin les imprimés. En cela,
par son travail de philologue, d’ouvrier du livre et d’imprimeur, il se place
dans la tradition des pionniers de la typographie sur le littoral adriatique,
qui livrèrent des incunables en glagolitique.
Des rivalités politiques de plus en plus affirmées entre groupements
politiques de langue italienne et croate se développent cependant sur l’île,
alors que la situation économique est marquée par un effondrement de
la production viticole en raison du phylloxéra, qui s’accompagne d’un
endettement qui empêche toute modernisation de l’agriculture, qui en
dernier ressort entraîne un exode rural massif. Dans ce contexte prend place
l’activité de l’évêque Antun Mahnić (1850–1920). D’origine slovène, né à
Gorizia, il est devenu évêque de Krk en 1897, où il exerce ses fonctions
durant 23 ans. Il connaît les conditions matérielles du développement des
terres slaves plus septentrionales et entreprend de créer un réseau de banques
de prêt sur le modèle des banques Raiffeisen fondées en Allemagne, de
type coopératif, qui permettent de consentir des prêts à des taux inférieurs à
ceux pratiqués ordinairement. L’évêque, soutenu notamment par la famille
Vitezić qui contribue à la formation du capital, essaye donc de retenir la
population sur l’île, qui recule de plusieurs milliers en quelques années,
en tentant de maintenir un environnement économique acceptable. Il
crée au sein de la maison d’édition de l’évêché dénommée Kurycta6 un
magazine bimensuel, L’ami du peuple (Pučki prijatelj), qui paraît à partir
Rim’ski Misal’ sloven’skim ezikom presv. G.N. Urbana Papi VIII poveleniem’
izdan’. Missale Romanum slavonico idiomate ex decreto sacrosancti Concilii Tridentini.
1893, Rome : Congr. de Propaganda Fide.
6
Ce nom se réfère au toponyme donné à l’île et à son chef-lieu par la population
illyrienne qui occupait l’île antérieurement à l’arrivée des Romains au début de notre ère.
Le toponyme croate Krk est l’aboutissement de l’évolution linguistique de ce terme, alors
que Veglia, utilisé par les italophones, est le résultat d’une évolution à partir du latin :
Veglia < Vikla < vet(u)la (au sens de ancienne) dans civitas vetula.
5
28 DANIEL BARIC
de 1899. Peu de temps après, en 1902, il organise une Académie slavonne
(Staroslavenska akademija), qui a pour tâche depuis l’évêché de l’île de
Krk se faire avancer les connaissances sur les textes rédigés en caractères
glagolitiques. Malgré les oppositions frontales à Vienne, plus mesurées
au Vatican, mais présentes au sein même d’une partie de la hiérarchie
catholique croate à la recherche d’un dépassement du particularisme croate
dans un horizon œcuménique, la création de cet établissement stimule de
fait un renouveau dans le champ des études glagolitiques. Le discours
prononcé lors de l’installation de cette nouvelle institution par l’évêque est
en soi une réponse à ces critiques ; il y souligne que « le slavon est un pont
qui doit relier l’Orient à l’Occident ». Un spécialiste d’origine tchèque, le
professeur Josip Vajs, commence un travail scientifique qui doit aboutir à
l’édition de sources historiques pour la liturgie en slavon. Cette activité se
poursuit jusqu’à la Première Guerre mondiale. En avril 1915, l’accord de
Londres entre l’Italie et les Alliés ne prévoit pas que Krk revienne à l’Italie,
à la différence de Cres, l’île voisine. Mais en décembre 1918, les troupes
italiennes débarquent sur l’île. L’évêque Mahnić écrit aux représentants
présents à la conférence de Paris pour leur indiquer que cette occupation
n’est pas justifiable à ses yeux, eu égard au nombre limité d’habitants de
langue italienne présents sur l’île. Il est bientôt déporté en Italie, gardé à
l’arrêt dans un couvent franciscain romain, avant d’être relâché. Krk est
finalement officiellement administrée par le Royaume des Slaves du Sud
à partir du 19 avril 1921. L’imprimerie et la maison d’édition épiscopales
Kurykta disparaissent durant cette brève période d’occupation italienne.
Quant à l’Académie slavonne, elle ferme définitivement à Krk et se replie
à Zagreb, où elle est intégrée à la Faculté de théologie catholique en
1928. Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée de maintenir un institut
spécialisé dans l’étude des textes médiévaux en slavon est acquise et en
1952 a lieu une refondation. Cet institut, détaché désormais de la théologie,
mais qui continue par la nature même de son objet de recherche à s’occuper
principalement de textes à contenu religieux, avance dans ses travaux
durant la période de Yougoslavie socialiste. L’édition critique et les études
se multiplient. Dans l’historiographie d’inspiration marxiste, l’écriture
glagolitique acquiert un prestige particulier, en ce qu’elle est vue comme
l’expression d’une résistance à Rome, c’est-à-dire à l’ordre établi, occidental,
à la religion. Même s’il s’agit d’éditer et d’étudier des textes liturgiques,
le pouvoir communiste peut approuver ces activités scientifiques, car dans
une culture d’après-guerre profondément marquée par les épisodes de
résistance armée aux fascismes, puis par l’affrontement avec Moscou en
tant que représentant d’une interprétation unique de l’orthodoxie marxiste,
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
29
les élans de résistance à l’utilisation du latin au Moyen-Age et son succès,
modeste mais indéniable, sont perçus comme les maillons d’une chaîne
qui aboutit à l’édification d’une Yougoslavie indépendante. Les statues
de l’évêque de Nin Grégoire (Grgur Ninski), figure emblématique de la
défense contre Rome de l’écriture glagolitique au Xe siècle, œuvres du
sculpteur Ivan Meštrović installées à Split et Varaždin, respectivement en
1929 et 1931, ne sont pour ces raisons pas retirées de l’espace public, une
copie supplémentaire de celle de Varaždin est même inaugurée en 1969
à Nin. L’écrivain croate majeur par son influence durant l’après-guerre,
Miroslav Krleža (1894–1981), directeur de l’Encyclopédie yougoslave, se
place dans cette lignée : cette écriture apparaît comme l’emblème d’une
hérésie de bon aloi, car elle défend une identité et en même temps une
indépendance politique7.
2. Une langue comme ultime trace de latinité, le vegliote
Dans tout l’empire des Habsbourg se développe tout au long du XIXe
siècle un intérêt pour les traces d’une société qui a précédé la modernité
industrielle, qui fait son apparition même dans les provinces les plus
reculées. Les ethnographes autrichiens découvrent la présence de peuples
non assimilés, y compris du point de vue linguistique, aux groupes
numériquement plus importants, notamment en Istrie, voisine de l’île de
Veglia. Les Valaques dans les villages montagnards d’Istrie attirent par
l’authenticité dont leur culture semble être le témoignage et par le démenti
qu’ils infligent à l’image d’une homogénéité progressive des espaces
de l’empire habsbourgeois. L’étude et la présentation de cette diversité
entrent par ailleurs parfaitement dans le projet politique qui guide certaines
réalisations culturelles comme le Kronprinzenwerk, cette étude exhaustive
de tous les espaces habsbourgeois lancée sous le patronage de l’héritier
présomptif Rodolphe, Die österreichisch-ungarische Monarchie in Wort
und Bild (1886–1902) : montrer que l’unité de la monarchie est éminemment
compatible avec l’hétérogénéité ethnographique et linguistique8.
Si les descriptions de peuples aux origines incertaines, à l’instar des
Valaques et des Tchitches aux parlers mêlés romano-slaves, semblent
7
Tout à fait caractéristique est à cet égard, par son ton désinvolte à l’égard des
historiens occidentaux et son érudition sans faille, l’essai « Illyricum sacrum », publié
à Zagreb en 1963 (Kolo, 1, n° 7, 149-187), mais commencé dès 1944. Une traduction
allemande est disponible : KRLEŽA, Miroslav. 1996, Illyricum sacrum. Ein Fragment
aus dem Spätherbst 1944, trad. Klaus Detlef Olof, Klagenfurt : Wieser.
8
ZINTZEN, Christiane (éd.) 1999, Die österreichisch-ungarische Monarchie in
Wort und Bild. Vienne : Böhlau.
30
DANIEL BARIC
combler l’ethnographe, telle n’est pas la vision et l’attente des italophones
et des Slaves croatophones, qui savent de plus en plus précisément au cours
du XIXe siècle vers quoi ils veulent aller et qui cherchent et voient dans les
traces de passé des preuves de leur développement politique et culturel.
Pour les érudits locaux comme pour les linguistes venus d’Italie, des bribes
de langue latine pouvaient être tenues comme preuves de la continuité
géographique et historique de la présence latine, donc italienne, dans telle
région, désormais majoritairement peuplée de Slaves, comme cela était le
cas de Veglia au XIXe siècle.
Alors que les savants croates ont développé un intérêt et un savoirfaire pour retrouver des traces écrites de slavon en graphie glagolitique sur
de multiples supports, les italophones ont, sur ce même terrain insulaire,
mis au point des techniques d’appréhension de traces d’oralité dans une
langue romane sur le point de disparaître, le vegliote ou dalmate. Alors
qu’au début du XIXe siècle le parler propre à l’île, différent du dialecte
vénitien venu avec une immigration plus récente, était appelé vegliote, le
terme évolue progressivement et l’étude publiée en 1906 qui fait toujours
autorité l’est sous le titre plus générique Das Dalmatische. Le parler local
s’impose dans le paysage de la linguistique romane comme un phénomène
incontournable, à travers des publications qui font date, comme un
paradigme linguistique plus général, que le nom de la langue reflète à
mesure que l’intérêt académique à son égard augmente.
D’après les voyageurs, de la Renaissance et du XVIIe siècle, les
habitants de l’île parlaient slave, mais un dialecte différent de celui de la
terre ferme. De même, les Italiens ne comprenaient pas la langue néolatine
de la côte orientale de l’Adriatique : les Toscans n’avaient pas accès au
dalmate ragusain au XVIe siècle. Les première études philologiques
systématiques ont été menées au XIXe siècle. Matteo Giulio Bartoli (1873–
1943) en est le représentant le plus éminent. Né en Istrie, inscrit à Vienne
en études romanes, il enseigne de 1908 à sa mort à l’université de Turin
l’histoire comparée des langues classiques et néolatines. Influencé par ses
professeurs à l’université, notamment Wilhelm Meyer-Lübke (1861–1936),
il développe une méthodologie en dialectologie italienne, qu’il acquiert en
étudiant les dialectes sur le terrain. Il a l’occasion de rencontrer un locuteur
de cet idiome, Antonio Udina, dont la langue maternelle cependant était le
vénitien dialectal. Cette autre langue romane qu’il pouvait parler lui avait
été transmise par sa grand-mère. A l’école, il avait appris en outre l’italien
et l’allemand, avec une amie le croate et des rudiments de latin à l’église.
Udina n’avait plus l’occasion de parler cette langue, puisque les locuteurs
natifs, tous très âgés, avaient peu à peu disparu. Bartoli a consigné au
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
31
cours de ses entretiens avec lui des paroles isolées, des phrases complètes,
des histoires et sa propre autobiographie. Le linguiste établit une série de
concordances entre les langues néolatines dont les traces sont connues et
conclut à l’existence d’une langue qui fut parlée sur toute la côte orientale
de l’Adriatique, jusque Raguse et au-delà, qu’il appelle le dalmate, même
si stricto sensu, l’île de Veglia n’appartient pas à la Dalmatie. C’est au
cours de l’été 1897 que Bartoli rencontre et fréquente Udina et qu’il prend
en notes ce qu’il entend. L’année suivante, ce précieux dernier locuteur
meurt accidentellement. Près de dix ans plus tard paraît en allemand sa
monographie qui demeure la plus complète et donne à lire les derniers
échos de cette langue.
Les textes de Bartoli ont bien été utilisés dans des milieux italiens
irrédentistes italiens, puis proches du fascisme. Dans l’après-guerre,
lorsque nombre d’italophones ont quitté les côtes de l’Adriatique rattachées
à la Yougoslavie de Tito, ces mêmes textes ont pu servir de support à une
démonstration visant à établir les preuves irréfutables d’une présence
italienne séculaire sur les terres occupées par des Slaves venus a posteriori,
conformément à ce qu’il fallait démontrer9. Bartoli cependant ne semble
pas avoir voulu prendre la parole au-delà de l’enquête linguistique, pour
prouver l’appartenance politique d’un territoire. Il confesse dans la préface
qu’il s’était agi pour lui de retrouver les traces les plus anciennes d’italianité
en Dalmatie, ce en quoi il rejoint les préoccupations des philologues de
Krk à la recherche des plus anciennes traces écrites en slavon glagolitique,
mais il se dit aussi épris de « la plus scrupuleuse impartialité », sachant
que sur un tel sujet de linguistique dalmate, la publication dans l’une ou
l’autre langue suscite un soupçon de partialité, qu’il cherche à prévenir en
publiant dans une langue tierce, l’allemand de la capitale impériale, où il
publie son ouvrage10. Dans cette publication majeure de 1906, Bartoli met
au point une mise en page sur deux colonnes, qui lui permet de proposer
la retranscription en regard de sa traduction et ses commentaires. Cette
9
Voir par exemple la conférence prononcée le 11 février 1951 au Sénat italien, à
l’occasion de l’inauguration de la collection dalmate Cippico-Bacotich incorporée à la
bibliothèque du Sénat, qui se conclut sur « l’empreinte de Rome » laissée à l’intérieur
de la péninsule balkanique par le lexique dalmate rural, dont l’adoption par les Croates
et les Serbes prouve que le dalmate « avant de céder à la pression des Slaves, n’était pas
seulement parlé dans les villes, mais dans l’arrière-pays également ». MAVER, Giovanni.
1966, « Il dalmatico », in : Atti e memorie della Società dalmata di storia patria, vol. V,
35-43.
10
Son étude est éditée en deux volumes, dans la série des « Schriften der
Balkankommission, linguistische Abteilung », chez le libraire de l’université de Vienne
Alfred Holder.
32
DANIEL BARIC
langue non écrite durant des siècles fut donc analysée et publiée au moment
même où, à la toute fin du XIXe siècle, le dernier locuteur disparaissait. Un
siècle plus tard paraît en 2000 une nouvelle édition, cette fois en italien,
traduit depuis l’édition en allemand qui elle-même était le résultat d’une
transposition de l’italien dont le texte original n’a pas été retrouvé. Cette
publication est financée par la région de Vénétie julienne qui a accueilli
nombre de réfugiés de langue italienne provenant de cette région quittée
après la victoire des partisans communistes. Cette publication a permis
au dalmate d’exister dans des réflexions et des publications de linguistes
romanistes tout au long du XXe siècle, qui ont ponctuellement examiné
la langue dans sa structure même, ses sonorités, sa syntaxe, telle qu’elle
fut éditée par Bartoli, qui s’était fait l’exégète et transcripteur du dernier
locuteur. Quelques années après la disparition de Udine commencèrent
les premières campagnes ethnographiques autrichiennes auprès des IstroRoumains voisins, avec des moyens techniques nouveaux : des cylindres
pour effectuer des enregistrements sonores. La publication a permis de
garder la trace de cette langue, et même si elle n’a pas été reparlée, du
moins a-t-elle été intériorisée par des linguistes qui se sont penchés sur
ce matériau sonore jusqu’à nos jours, dans cette forme, telle qu’elle fut
comprise, transcrite et redonnée par Bartoli.
Quant à l’alphabet glagolitique, enjeu cultuel entre Slaves de rites
différents, il est devenu au cours des années 1980, et surtout après
l’indépendance croate au début des années 1990 l’un des thèmes de l’identité
culturelle croate retrouvée, mise en avant par le ministère de la Culture
croate. Si l’apprentissage de l’alphabet cyrillique est maintenant supprimé
dans les écoles croates, alors qu’il faisait partie intégrante du cursus, il est
perçu maintenant comme une inféodation à Belgrade, le glagolitique est
mis à l’honneur, parfois même, mais rarement, enseigné à l’école.
Ainsi, au-delà de la production imprimée, bientôt digitalisée de
sources, mais aussi de cartes postales, de livres, mais aussi de tee-shirts
arborant les lettres glagolitiques, créées maintenant par ordinateur (Itech,
une entreprise informatique basée à Krk, a fourni au milieu des années
1990 des fontes glagolitiques adaptées aux ordinateurs11), reste à savoir
dans quelle mesure les lettres imprimée de cet alphabet sont véritablement
lues et non simplement identifiées comme des marques identitaires.
Si l’imprimé a sauvé de l’oubli, in extremis, la langue dalmate dans
sa version vegliote, il apparaît que les enjeux politiques, confessionnels et
11
Sur la renaissance au cours des années 1990 d’une réflexion sur la typographie
en glagolitique, voir l’ouvrage d’un professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Zagreb :
PARO, Frane. 1997, Typographia glagolitica, Zagreb : Matica hrvatska.
Oubli d’une écriture, mort d’une langue...
33
culturels successifs qui ont marqué l’usage de l’imprimé glagolitique, tout
en ne lui étant pas systématiquement défavorables, ne lui ont cependant pas
permis de (re)devenir une écriture déchiffrable par le plus grand nombre,
même dans le territoire insulaire qui l’a le plus longtemps pratiquée. Elle
est de nos jours un patrimoine typographique, objet de mise en valeur
muséographique, alors que la source slavonne qu’elle transcrit reste, pour
l’immense majorité des habitants de l’île de Krk, lettre morte12.
Bibliographie
BARTOLI, Matteo Giulio. Das Dalmatische, altromanische Sprachreste von
Veglia bis Ragusa und ihre Stellung in der appennino-balkanischen
Romania, Vienne, Österreichische Akademie de Wissenschaften, 1906 ;
BARTOLI, Matteo Giulio. Il Dalmatico. Resti di un’antica lingua romanza
parlata da Veglia a Ragusa e sua collocazione nella Romània appenninobalcanica, trad. et éd. Aldo DURO, Rome, Enciclopedia Italiana, 2000 ;
BOLONIĆ, Mihovil. Parčićeva tiskara u Glavotoku [L’imprimerie de Parčić à
Glavotok], Rijeka : Matica hrvatska, 1965 ;
BOLONIĆ, Mihovil. Otok Krk : kolijevka glagoljice [L’île de Krk, berceau de
l’écriture glagolitique], Zagreb : Kršćanska sadašnjost, 1980 ;
BOLONIĆ, Mihovil. « Vrbnik nad morem, od početka do propasti AustroUgarske » [Vrbnik sur mer, des débuts à la chute de l’Autriche-Hongrie],
Krčki Zbornik Povijesnog društva otoka Krka [Mélanges sur Krk de la
Société d’histoire de l’île de Krk], vol. 9, 1981 ;
BOŽIĆ, Tvrtko. «Krčke kreditne zadruge i gospodarski list Pučki prijatelj u
prvom desetljeću 20. stoljeća » [Les coopératives de crédit de l’île de Krk
et le journal économique L’Ami du peuple durant la première décennie du
XXe siècle], vol. 37, 1, Časopis za suvremenu povijest [Revue d’histoire
contemporaine], 2005, 129-154 ;
BUČAR, Franjo. Povijest hrvatske protestantske književnosti za Reformacije
[Histoire de la littérature protestante croate à l’époque de la Réforme],
Zagreb : Matica hrvatska, 1910 ;
DEKOVIĆ, Darko (éd.). Međunarodni znanstveni skup Latinitet u Europi s
posebnim osvrtom na hrvatski latinitet nekad i danas [Colloque international
12
Le site www.glagoljica.org, tenu par de jeunes passionnés de Zagreb, référence
les activités organisées liées à l’alphabet glagolitique par les musées et écoles : cours
d’initiation, conférences, divers ateliers de confection de bijoux ou de peinture sur soie.
34
DANIEL BARIC
La latinité en Europe, en particulier la latinité croate jadis et maintenant],
Rijeka-otok Krk, 20-24. listopada 2004, Rijeka : Matica hrvatska, 2006 ;
DEROSSI, Julije. Zadarska smotra (Zbornik Dragutin Parčić) [Revue de Zadar
(Recueil d’articles sur l’île de Dugi otok)], XLII, vol. 3, 1993 ;
DUERRIEGL, Marija-Ana, MIHALJEVIĆ, Milan, VELČIĆ, Franjo (éd.).
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znanstvenog skupa povodom 100. obljetnice Staroslavenske Akademije i
50. obljetnice Staroslavenskog Instituta (Zagreb, Krk, 2.-4. listopada 2002)
[L’écriture glagolitique et son utilisation en Croatie : actes du colloque
international organisé à l’occasion du centième anniversaire de l’Académie
slavonne et du cinquantième anniversaire de l’Institut pour l’étude du
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L’usage des devises au XVIe siècle en France
dans le livre imprimé
MONICA BREAZU
En 1879 le bibliophile Gustave Mouravit publiait une étude littéraire
et bibliographique « Poètes et bibliophiles : les devises des vieux poètes »,
dans laquelle il donnait une liste alphabétique de 129 devises. J’ai hérité
de Sylvie Lecocq et Brigitte Moreau de C.N.R.S. une photocopie de cette
liste avec quelques ajouts manuscrits. À mon tour j’ai complété cette liste
et assez vite je suis passée d’un fichier manuel à un fichier électronique,
avec des données supplémentaires, facilitant l’identification, la localisation
et le repérage bibliographique. Tout compte fait, mon fichier recense
aujourd’hui plus de 3 000 devises sous la forme d’un catalogue organisé
par ordre alphabétique des devises, accompagné de plusieurs index, dont
l’index des noms de personnes et un index iconographique. Au cours de
ce long travail, j’ai bénéficié du conseil savant, de l’aide constante et de la
générosité sans faille de mon collègue, Jean-Marc Chatelain.
Précisions sur les termes utilisés
La devise fonctionne comme une carte de visite, elle exprime le besoin
de se présenter, l’envie d’épater, le désir de transmettre un message moral,
politique ou religieux. L’antiquité gréco-romaine au goût du jour à la
Renaissance, le goût de l’héraldique, la diffusion des livres d’emblèmes
nourrissent et inspirent cette envie. On invente, on imite, on copie et on
porte sa devise comme un étendard.
Le mot « devise » a un sens héraldique, proche du « cri », formule très
brève qui accompagne les armes ; et un sens emblématique, l’association
d’une image signifiante et d’une sentence. C’est dans ce sens que, comme
le disaient des théoriciens de la devise à la Renaissance, « la figure est le
corps de la devise, la sentence est l’âme de la devise ».
36
MONICA BREAZU
Dans le contexte emblématique le terme « devise » peut désigner soit
l’association d’« image et parole », soit la « parole seule », mais dans les
deux cas le terme « devise » renvoie à l’idée d’une marque attachée à une
personne singulière. D’où la grande distinction entre emblème et devise :
l’emblème exprime par association d’image et de parole une idée générale,
tandis que la devise rapporte cette idée générale à une identité particulière
(Fig. 1–2).
Fig. 1 Emblème de la Pauvreté1
Fig. 2 Marque typographique
de Jean Foucher2
Cette nature d’expression individuelle donne alors à la devise une
possible valeur de signature, même si peu soucieux d’une stricte rigueur
lexicale, les auteurs du XVIe siècle peuvent parler dans ce cas aussi
d’« emblème » (Fig. 3–4). Bref, la situation lexicale est très compliquée :
d’un côté les théoriciens établissent des distinctions entre emblème et
devise, de l’autre les usages linguistiques sont beaucoup plus souples que
les théories. Le corpus que j’ai établi est constitué uniquement de devises
rapportées à des personnes, employées comme expressions d’individus, et
je les appellerai : « devise figurée » ou « emblème », lorsqu’il s’agira d’une
association de parole et d’image, et « devise », lorsqu’il s’agira uniquement
d’une sentence purement verbale.
Alciat, Livret des Emblemes, Paris, 1536. F. C4v°.
Libraire parisien, 1535–1577.
1
2
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé
37
De fait, c’est sous ces deux formes concurrentes du « mot » et du »
mot » accompagné d’une image, que la signature par le moyen des devises
s’est répandue dans le livre imprimé, connaissant une grande vogue au
XVIe siècle, et particulièrement entre les années 1540 et 1600 (tandis que
son déclin est net dès le premier quart du XVIIe siècle).
Les auteurs et leur cercles d’amis, les dédicataires, les libraires et
les imprimeurs se font concurrence pour adopter la meilleure et la plus
astucieuse « présentation de soi », qui doit résumer soit ce qu’on est, soit
ce qu’on désire être. Cette « signature » ne doit être ni trop mystérieuse,
ni trop claire, elle doit étonner (au besoin par l’utilisation d’autres langues
que le français) et, souvent, elle est accompagnée d’une image aussi propre
à frapper l’esprit que la devise l’est à s’imprimer dans la mémoire.
Fig. 3 Devise de Gabriello Simeoni (1509–1576)3 Fig. 4 Emblème d’Estienne Du Tronchet
(1510 ?–1585 ?)4
G. Simeoni, Les Devises ou Emblèmes héroïques et morales. Lyon, G. Rouillé,
1559. V° du titre.
4
E. Du Tronchet, Discours académiques florentins. Paris, L. Breyer, 1576. V°
du titre.
3
38
MONICA BREAZU
Les porteurs
J’ai consigné dans mon inventaire toutes les devises insérées dans
les éditions publiées en France, par l’examen des sources directes ou
bibliographiques, en visant l’exhaustivité sans toutefois avoir la prétention
d’atteindre jamais ce but. Le catalogue que j’ai constitué comprend aussi la
description iconographique des images des devises figurées.
Dans l’ensemble de mon corpus, 174 devises sont restées non
identifiées. Toutes les autres font apparaître une grande diversité dans la
condition sociale des leurs porteurs : mais à part les libraires et imprimeurs,
il s’agit d’aristocrates (dont les rois eux-mêmes), d’intellectuels (écrivains,
professeurs), de juristes, et d’administrateurs, de médecins, voire d’hommes
d’église. Quelques cas singuliers séduisent par leur saveur, comme ceux
d’un maître boulanger et d’un maître de jeu de paume.
Thomas Guiet, maître boulanger à Paris, publie en 1588, année de
grands troubles, un petit texte in-8 de 8 feuillets5, à la fin du quel est inséré
un dizain sur sa devise « De Peu, et Paix », dans lequel il déclare que
« Le Peu, et Paix, me suffit et contente / De tout n’a rien celuy qui n’est
content : / Content et Paix m’amènent une rente, / Avec le Peu, qui me rend
tout autant, / Que d’avoir Tout : ainsi je me contente ».
Jean Forbet l’aîné, maître de jeu de paume, traduit L’utilité qui provient
du jeu de la paume au corps et à l’esprit de Galien et dans son édition de
15996, il ajoute à la traduction son propre texte sur le jeu de paume à Paris
qu’il signe de la devise : « Bon pied, bon œil » !
En ce qui concerne les langues utilisées, le latin occupe la première
place (49 %), suivi de près par le français (42 %). Le reste se partage (dans
l’ordre décroissant d’entrées) entre le grec, l’italien, l’hébreu, l’espagnol,
l’allemand, le flamand et le portugais. Parader avec des langues d’usage
peu commun, présenter la même devise en plusieurs langues, signer un
texte avec une devise dans une langue différente sont des pratiques très
en vogue à l’époque. Quant aux sources des devises, elles ont un lien
direct avec les langues. La Bible est un inépuisable réservoir de versets,
de passages à citer, les Psaumes étant celui des livres bibliques qu’on met
le plus à contribution. De l’Ancien Testament les devises sont en latin, en
grec et en hébreu, et du Nouveau Testament en latin et en français. Ensuite
Th. Guiet, Convi de Resjouissance au peuple de Paris sur le retour du Roy de
la défaite et route des reistres et de leurs alliez, et de l’heureuse victoire obtenue par Sa
Majesté. Paris, J. Du Puys, 1588.
6
Paris, T. Sevestre, 1599.
5
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé
39
les poètes latins Virgile, Horace et Ovide sont les plus appréciés, mais aussi
Cicéron et Sénèque, et les devises qu’ils inspirent sont évidemment en latin.
L’utilisation de autres langues est fonction de l’origine des personnes, de
leur métier, surtout pour les traducteurs et les professeurs, comme, en outre
des affinités intellectuelles ou des modes.
Les portraits
Aux gravures représentant des portraits la devise apporte un
« supplément d’âme » : aux caractéristiques physiques du personnage,
elle ajoute l’expression des traits moraux et spirituels. Dans ce contexte la
force de la devise est la plus manifeste, elle représente la quintessence de
la représentation de soi.
Fig. 5–6 Portraits de Jacques Grévin et de Jean-Édouard Du Monin
Le portrait du poète et médecin Jacques Grévin (1538–1570) à l’âge de
23 ans7 porte une devise grecque (« Ou rien, ou l’Olympe »), aveu de ses
ambitions. Le portrait de Jean-Édouard Du Monin (1559–1586), à l’âge de
J. Grévin, Le Théâtre. Paris, G. Barbé et V. Sertenas, 1561.
7
40 MONICA BREAZU
25 ans8, couronné de lauriers, curieusement sans mention du nom, portent
deux devises, une latine tirée de l’Enéide de Virgile (= Chacun fait de
son désir farouche un Dieu) et l’autre grecque (= Une âme studieuse est
heureuse).
Les marques typographiques
Les marques typographiques ont un statut spécial du fait de leur
double vertu : d’un point de vue juridique, elles protègent les libraires et
les imprimeurs contre les contrefaçons, et, d’un point de vue social, elles
ont un effet de recommandation auprès du public des acheteurs et lecteurs :
elles annoncent qu’il s’agit d’un livre sorti des presses de tel ou tel libraire.
Thibaud Payen, imprimeur-libraire à Lyon9, au début de son exercice
il garde la devise héritée de son prédécesseur Laurent Hyllaire : « Audaces
fortuna juvat timidosque repellit » (« La fortune sourit aux audacieux et
repousse les timides »)10. Au titre du livre de Jean Ursin, Ethologus, opus
de moribus, 1535, elle est placée de part et d’autre de la marque de Payen
(Fig. 7). Au dernier feuillet du livre, on retrouve la même marque, mais
sans la devise textuelle héritée de Hyllaire, laquelle va disparaître de ses
marques aussitôt que son installation sera un fait accompli pour sa clientèle.
Fig. 7 Marque typographique de Thibaud Payen11
8
J.-É. Du Monin, Le Phoenix. Paris, G. Bichon, 1585.
De 1529 ? à 1570.
10
Vergilius, Aeneis (10:284).
11
Baudrier, Bibliographie lyonnaise, IV (1899), p. 211 (marque n° 7 bis).
9
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé
41
Cette marque de Payen fait allusion à son nom. Le poète Charles
Fontaine, édité par Payen, lui adressa un quatrain à ce sujet : « Vends mes
vers, possible immortelz / Payen de nom, chrestien de faict : / Et pleust or
à Dieu en effect / Que tous les Payens fussent tels ». Et littéralement « tel »
il se fait représenter en homme à turban jouant du violon, vêtu d’une peau
d’ours, un médaillon en forme de cœur autour du cou ; dans son turban
niche une cigogne et le personnage est entouré d’un compas, d’un fraisier
portant fleurs et fruits, d’un sablier, d’un escargot. Si son habit et son
turban se réfèrent à son nom, le cœur, attribut de la charité et la cigogne,
symbole de la piété filiale se réfèrent à sa croyance religieuse, tandis que
le violon, le compas et le sablier expriment l’idée de mesure, comme sa
devise : « Hâte-toi lentement ». Celle-ci inscrite à la fois en latin « Festina
lente » et en grec « Σπεδες βραδως ».
Parfois l’image de la marque typographique peut donner lieu à une
confusion d’interprétation. La marque du libraire-imprimeur parisien
Guillaume Bichon représente une biche (dont le nom rappelle clairement
son propre patronyme) fuyant devant un chien avec la devise « Nunc
fugiens, olim pugnabo » (« Aujourd’hui en fuite, demain au combat »).
Fig. 8–9 Marque typographique de Guillaume Bichon
42
MONICA BREAZU
Cependant cette marque au titre du pamphlet Le théâtre de France12,
paru en 158913 a provoqué une interprétation périlleuse14. L’historienne
Annie Duprat, spécialiste de l’iconographie politique du XVIe au XVIIIe
siècle, se sert de l’image au titre du Théâtre de France, pour justifier ses
termes de « Roi chasseur : société en équilibre » et de « Roi gibier : société
en crise ». Elle y voit un chien qui court après un cerf (et non une biche),
et comme le cerf est le symbole du roi, elle croit pouvoir interpréter le
message de la vignette et du texte de la banderole comme « Henri III chassé
de sa capitale mais en préparant le siège pour recouvrer son trône ». Mais
la réalité est loin d’être celle-là, comme le prouve le fait que le pamphlet en
question n’est qu’une des 60 éditions parisiennes de Bichon (sur un total de
115) qui présente la marque à la Biche.
Les signatures
La devise est l’un des modes de signature privilégiés par les auteurs,
traducteurs, éditeurs ou préfaciers, qui s’en servent aussi bien que de
l’inscription de leur nom soit sous sa forme naturelle, soit sous la forme
cryptée de l’anagramme.
Fig. 10–11 Devise de Nicolas de Herberay
12
Attribué à Oudart Raynssant-Deviezmaison.
Privilège accordé par le Conseil général de l’Union catholique le 13 juillet 1589.
14
A. Duprat, Le roi, la chasse et le parapluie ou comment l’historien fait parler
les images, dans Genèse, 1997, n° 27, p. 119.
13
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé
43
Nicolas de Herberay, le traducteur des huit premiers livres d’Amadis
de Gaule, roman de chevalerie espagnol qui rencontre au XVIe un grand
succès, a adopté la devise « Acuerdo olvido » (« Je me souviens et
j’oublie »). Celle-ci figure dans toutes les éditions de sa traduction au titre
et à la fin du texte. Placée au titre du 4e livre dans l’édition parisienne de
154315, elle remplace son nom (Fig. 10). Cinq ans plus tard, en 1548, à
l’édition parisienne du 8e livre d’Amadis de Gaule16, surgit son emblème à
la fin de l’épître dédicatoire17, et à la fin du livre ! Dans une petite vignette,
un serpent en forme de cercle (mordant sa queue) – symbole de l’éternité –
enferme la devise accompagnée de deux branches chargées de fruits (Fig.
11). L’apparition de sa devise figurée serait-elle preuve du succès de ses
ouvrages en librairie ?
Fig. 12–13 Devises de Hubert Philippe de Villiers
Hubert Philippe de Villiers, traducteur de textes italiens en français,
signe en 1555 l’une de ses traductions18 au moyen d’un emblème imprimé
sur le feuillet final : une rose entourée de la devise : « Dificultate aut injuria
pulchra sepiri » (« Par la difficulté ou par l’attaque protéger la beauté »).
15
Chez Denis Janot.
Chez Étienne Groulleau.
17
Adressée au seigneur de Montmorency, grand maître et connétable de France.
18
I. Ringhieri, Cinquante jeus divers d’honnete entretien. Trad. H. Ph. de
Villiers. Lyon, C. Pesnot, 1555 et G. Parabosco, Lettres amoureuses. Trad. H. Ph. de
Villiers. Lyon, C. Pesnot, 1556.
16
44 MONICA BREAZU
En 1564 il signe son propre ouvrage Le Limas19 de la devise « Tandem
ad astra ferar » (« Je finirai par atteindre les astres »). Dans les deux cas
la devise, sans mention du nom de l’auteur, est mise en valeur par une
disposition typographique qui l’isole au centre de la page.
Il arrive par ailleurs que la même devise soit utilisée par plusieurs
personnes. Ce cas est fréquent, et facilement explicable, comme le dit
Paul Angier dans un sixain aux lecteurs : « Si ma devise on voit prise
d’aucun / Ne m’estimez l’avoir apres luy prise / Sentences sont communes à
chascun / Et prendre en peult telle que bonne advise » ! 20 De même, un seul
personnage peut avoir usé de plusieurs devises, comme le libraire lyonnais
Benoît Rigaud (1555–1597) qui a disposé non moins de vingt-huit devises.
Fig. 14–15 « Spe labor brevis », signature de Jean Demons et de Jean Bouchet
Jean Demons signe un sixain en français par une devise grecque,
accompagnée de sa version latine « Spe labor brevis » (« Par l’espoir
la peine est brève »)21, devise connue beaucoup plus pour Jean Bouchet
(1476–1559 ?)22, presque toujours doublée de son anagramme « Ha bien
touché »23.
19
Paris, N. Du Chemin, 1564.
« Angier aux lecteurs touchant sa devise » (f. H6r°) dans A. de Guevara,
Mespris de la Court. Paris, G. Du Pré, 1544.
21
J. Demons, La démonstration… pour trouver l’origine des maux de la France
et les remèdes d’iceux. Paris, E. Prevosteau, 1594.
22
Sieur d’Hédicourt, conseiller au présidial d’Amiens.
23
Jean Bouchet, Epistres morales et Familières. Poitiers, Jacques Bouchet, 1545.
20
L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé
45
La signature par anagramme est très prisée à la Renaissance à une
époque où le genre littéraire de l’anagramme est en vogue : des auteurs s’en
font une spécialité, des recueils lui sont consacrés. L’anagramme représente
un type particulier de devise, où la fonction de signature se trouve comme
redoublée dans la mesure où la devise n’est pas seulement associée à un
nom : elle est aussi une représentation de ce nom, qui est comme la figure
cachée dans le tapis de la sentence.
Ainsi je crois avoir dévoilé l’auteur d’un petit recueil in–16 intitulé
Bonne réponse à tous propos imprimé à Paris en 154724. Cette première
édition bilingue de proverbes et expressions italiens, disposés dans l’ordre
alphabétique, chaque entrée étant accompagnée de la traduction française,
a connu un vrai succès : dix-sept éditions de 1547 à 1610 en témoignent25.
Ce texte a été attribué d’abord à Jean Bellère (1526–1595), imprimeurlibraire à Anvers, et dernièrement à Gilles Corrozet, éditeur probable de
la première édition. L’ouvrage comprend un avant-propos sur les langues
(à propos du latin, du grec, de l’hébreu, de l’italien et du français) et
leur origine. Le texte principal est suivi de deux suppléments, « Briefve
addition » et « Autres dicts mouraulx… ». Personne n’a prêté attention
au fait que le premier texte, « Bonne response a tous propos », est signé
« Chanter en lyesse », qui peut se lire aisément comme l’anagramme de
Charles Estienne. Il n’a pas signé de son nom ce texte amusant, mais il
a laissé un indice, lui ou son éditeur ! Deux arguments jouent en faveur
de l’attribution de ce texte à Charles Estienne (1504–1564) : il a voyagé
et séjourné en Italie et parlait l’italien, et par ailleurs les langues et leur
histoire étaient l’un de ses sujets de prédilection.
Cette vue sommaire d’un si riche ensemble fournit une modeste
introduction au sujet très vaste des devises, de leurs formes, de leurs
significations, de leurs usages. Les codes socioculturels du temps, les
habitudes de vie comme l’imaginaire de porteurs et d’inventeurs de devises
se révèlent de manière parfois claire, parfois énigmatique, voire quelques
fois incompréhensible. Mais quelle que soit la plus ou moins grande facilité
avec laquelle nous parvenons aujourd’hui à les décrypter, toutes ces devises
témoignent de la confiance avec laquelle des hommes de la Renaissance
ont pu s’en remettre aux pouvoir du langage pour produire la meilleure
image sociale d’eux-mêmes.
24
Par Gilles Corrozet, Arnoul Langelier et Étienne Roffet.
Nicole Bingen, La « Bonne Response à tous propos » (1547) et ses lecteurs…
dans La lecture littéraire, 7/2003, p. 99.
25
La correspondance du patriarche d’Antioche
Athanase IV Dabbās avec la cour russe :
à propos de l’imprimerie arabe d’Alep1
Vera TChentsova
Les Archives Nationales des Actes Anciens de la Russie à Moscou
possèdent une collection extrêmement importante de documents émanant
du Bureau des Ambassadeurs (Posolskij Prikaz), l’équivalent du Ministère
des Affaires Étrangères de la Russie jusqu’aux reformes de Pierre le
Grand. Parmi les fonds du Bureau des Ambassadeurs, classés par pays,
les documents du fonds n° 52 – « Relations de la Russie avec la Grèce » –
présentent un intérêt tout particulier pour l’histoire de l’Orient Chrétien,
et notamment pour les relations des Chrétiens des terres sous domination
de la Sublime Porte avec la Russie. Le dépouillement de la documentation
a permis de repérer dans ce fonds quelques dossiers inconnus relatifs aux
contacts du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās (1686–1694, 1720–
1724)2 avec les autorités russes à l’époque où, entre ses deux patriarcats,
son trône fut occupé par le patriarche Cyrille V Ibn al-Za‘īm (1672, 1682–
1720). La partie la plus remarquable de ce corpus contient les originaux
grecs des lettres du patriarche et la documentation concernant le séjour à
Moscou de deux légats du pontife, le protosyncelle d’Antioche, Léontios
1
Je tiens à exprimer ici ma reconnaissance à Vivien Prigent pour le travail de
relecture qu’il a bien voulu effectuer. Je remercie Mgr Giuseppe M. Croce (Rome) d’avoir
vérifié le texte de la lettre du patriarche Athanase IV Dabbās conservée aux archives de
la Congrégation Propaganda Fide, ainsi que Dmitry A. Morozov (Moscou) et Geoffrey
Roper (Cambridge) pour leurs précieuses indications bibliographiques et conseils.
2
Levenq, G. 1930, « Athanase III », in Dictionnaire d’histoire et de géographie
ecclésiastiques, t. 4, fasc. 23-24, Paris, 1930, col. 1370 ; Nasrallah, J., 1979, Histoire
du mouvement littéraire dans l’Église Melchite du Ve au XXe siècle, t. IV/1 (1516–1724),
Louvain, Paris, 1979, p. 132-146, 290-291.
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
47
le Chypriote, et l’archimandrite Parthène3. Qu’un Chypriote ait accédé aux
fonctions de protosyncelle du patriarche s’explique sans doute en partie par
la désignation en 1705 d’Athanase, alors déposé de son trône, à l’archevêché
de Chypre par le patriarche de Constantinople Gabriel III (1702–1707).
L’arrivée du protosyncelle Léontios en Russie était liée à un urgent
besoin de subsides pour mettre sur pied une imprimerie arabe. Celle-ci
fut installée à Alep grâce à la générosité du prince valaque Constantin
Brâncoveanu (1688–1714), qui subventionnait la presse arabe en
Valachie et contribua à fournir tout le matériel nécessaire à l’installation
de l’imprimerie en Syrie4. L’imprimerie syrienne profitait en outre des
largesses d’un second bienfaiteur, l’hetman des cosaques zaporogues,
Ivan Mazepa (1639–1709). Les premiers livres, Psautier, Tetraévangiles
et Évangéliaire, furent publiés à Alep en 1706. En 1708, le Tétraévangile
et l’Évangéliaire bénéficièrent chacun de ce que l’on considère comme
une « seconde édition ». Toutefois, les exemplaires qu’on en connaît ne
font qu’associer le tirage de 1706 à quelques pages originales, dont l’une
porte la date nouvelle et une deuxième le blason du mécène ayant financé
l’ouvrage : l’hetman Mazepa dans le cas du Tétraévangile ; le colonel
cosaque Daniel Apostol pour l’Évangéliaire5.
Les transformations politiques qui, en 1708, avaient conduit l’hetman
dans le camp du roi de Suède Charles XII (1697–1718), opposé aux Russes
dans la Grande Guerre du Nord (1700–1721), provoquèrent l’attaque des
Zaporogues par les armées russes et la destruction de Batouryn, résidence
de l’hetman. La victoire de Pierre le Grand (1682–1725) devant Poltava, le
27 juin 1709, obligea Mazepa à se réfugier en terre valaque. Il y mourut la
3
Rossijskij gosudarstvennyj arhiv drevnih aktov (dorenavant : RGADA), f. 52-2,
n° 719 ; f. 52-1, n° 25 (11.02.1707) ; n° 25 (1707) ; n° 12 (16.10.1709) ; n° 13 (06.08.1714).
4
Charon (Korolevsky), C., 1998–2000, History of the Melkite Patriarchates,
Fairfax VA, 1998, t. 1, p. 24-25 ; 2000, t. III (1), 2000, p. 68-82; Nasrallah, J.,
1949, L’imprimerie au Liban, Beyrouth, 1949, p. 17-25 ; Simonescu, D., 1967,
« Impression de livres arabes et karamanlis en Valachie et Moldavie au XVIIIe siècle »,
Studia et acta orientalia, 5-6, 1967, p. 49-59 ; Feodorov, I., 2009, « The Romanian
contribution to Arabic printing ». In : Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel
des Pays Roumains, Bucarest, 2009, p. 41-46 ; Eadem, 2010, « Les options doctrinaires
du Patriarche Athanase II Dabbās et ses activités aux Pays Roumains ». In : Lucrările
Simpozionului internaţional « Cartea. România. Europa ». II. 20–24 septembrie 2009,
Bucarest, 2010, p. 87-96.
5
Morozov, D.A., 1992, « Arabskoje Evangelije Daniila Apostola (K istorii
pervoj arabskoj tipografii na Vostoke) », Arhiv russkoj istorii, 2, 1992, p. 193-203; Idem,
2007, « Vifleemskij ekzempljar arabskogo Evangelija Daniila Apostola », Arhiv russkoj
istorii, 8, 2007, p. 645-651.
48 Vera TChentsova
même année. En octobre 1709, donc après la chute du « traître Mazepka »,
comme l’hetman était désormais appelé dans les écrits russes, et après sa
mort, le protosyncelle Léontios quitta Kiev pour Moscou, dans l’espoir d’y
trouver un soutien pour la typographie d’Alep, privée de la protection de
l’élite cosaque cultivée.
Les dates des missives d’Athanase Dabbās, 1706, et de l’ambassadeur
russe auprès de la Porte, le comte Pierre Tolstoï, janvier 1707, reçues au
Bureau des ambassadeurs à Moscou, permettent d’envisager que le projet
du patriarche d’obtenir des subventions pour son imprimerie auprès des
Russes soit en fait antérieur au soutien reçu de l’hetman et de son colonel6.
En effet, le départ de Léontios en Russie semble avoir été déjà prévu lorsque
les premières éditions de la typographie arabe (1706) sortaient des presses et
que de nouvelles sommes s’avéraient nécessaires à la poursuite des travaux.
Par une lettre datée de décembre 1706, Athanase Dabbās informa le
tsar Pierre le Grand de son accession vingt ans auparavant au patriarcat
d’Antioche. Se lamentant sur les tribulations subies dans les pays arabes par
des Chrétiens souffrant d’une extrême pauvreté, du fait de « l’incertitude
des temps », Athanase révéla qu’il avait dû abandonner sa chaire en raison
de difficultés et malheurs innombrables. Le trône patriarcal passa à son
successeur, Cyril, tandis qu’Athanase se retirait dans l’éparchie de Véroia
de Syrie, c’est-à-dire Alep. Dans cette ville, les Chrétiens devaient non
seulement faire face à une profonde misère matérielle, mais encore étaient
dépourvus des outils indispensables au développement de leur vie spirituelle,
les livres ecclésiastiques nécessaires à la prière et à la lecture faisant défaut.
Cette pénurie n’était pas propre à Alep, mais concernait l’ensemble de la
« Terre arabe », car les anciens manuscrits étaient dorénavant trop abîmés
et les scribes habiles calligraphes à même de les reproduire trop rares7.
Afin de remédier à cette situation, le patriarche partit six ans plus tôt en
Hongrovalachie chez le prince « Jean Constantin Basarabe », c’est-à-dire
Constantin Brâncoveanu, qu’il nomme, auquel il exposa le pressant besoin
des Chrétiens d’Orient en livres. Le prince, mu par la compassion, finança
la publication de deux livres bilingues, en grec et arabe, la Liturgie et le
6
RGADA, f. 52-2, n° 719, fol. 1r ; f. 52-1, n° 12 (16.10.1710), fol. 4r.
Cf. les préfaces pour la Liturgie de 1701 et pour le Livre d’heures de 1702, deux
éditions réalisées à Snagov et à Bucarest : Bianu, I., HodoŞ, N., 1903, Bibliografia
Românească Veche. 1508–1830, t. 1: 1508–1716, Bucarest, 1903, n° 130, p. 427, 430431 ; n° 137, p. 443-445 ; Feodorov, I., 2010, « Les options doctrinaires », p. 91. Il
faut faire la part, sous la plume du patriarche, de certains topoi : les Chrétiens orthodoxes
d’Alep constituaient une communauté importante et même prospère. Cf. : Heyberger,
B., 2003, « Alep, capitale chrétienne (XVIIe–XIXe siècles) ». In : Chrétiens du monde
arabe. Un archipel en terre d’Islam, Paris, 2003, p. 49-67.
7
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
49
Livre d’heures. Les explications que le patriarche Athanase expose dans
cette lettre au tsar reprennent les mêmes idées et thèmes que les préfaces
dont sont munis ces deux livres : les manuscrits sont chers et pour cette
raison difficilement accessibles pour les Arabes orthodoxes, qui ne peuvent
pas se permettre de commander la copie des livres liturgiques.
Toujours selon la lettre au tsar, de retour en Syrie, le patriarche distribua
gratuitement ces livres aux prêtres et aux laïcs lettrés de la communauté
orthodoxe locale. Ayant fondé une imprimerie à Alep, le patriarche fit éditer
en 1706 le Psautier en arabe (il s’agit du livre publié par son collaborateur,
‘Abdallāh al-Zāẖir). Les fonds étaient toutefois insuffisants pour la
publication des autres livres indispensables à l’Église: Évangile, Apôtre
(Épistolier), Euchologe, Paraklètikè, Anthologion, Triode, Pentekostarion,
Typikon. La recherche de subsides poussa le patriarche à s’adresser à
l’ambassadeur russe pour que ce dernier cautionne l’envoi en Russie du
protosyncelle Léontios, afin qu’il tente d’obtenir les aumônes nécessaires
à la poursuite de l’œuvre typographique entreprise en faveur des pauvres
Arabes chrétiens.
La lettre de l’ambassadeur Pierre Tolstoï, qui accompagnait la missive
du patriarche Athanase, date du 23 janvier 1707, ce qui permet de placer fin
janvier la finalisation du projet de demande au tsar de subventions en faveur
de l’imprimerie arabe. Cependant, juste après que le départ en Russie du
protosyncelle du patriarche, porteur des deux missives, a été arrangé, le
prélat d’Antioche décida d’ajouter à sa correspondance une autre brève
note autographe8. Dans celle-ci, il assurait Moscou de sa bienveillance et
de sa disponibilité envers l’ambassadeur du tsar présent à Constantinople.
Cette petite lettre autographe a été rédigée le 11 février, donc, presque
immédiatement après la mort du patriarche Dosithée de Jérusalem, survenue
le 7 février, et fut ajoutée à la lettre du 11 février par laquelle l’ambassadeur
Tolstoï annonçait aux autorités russes la mort du pontife et l’élection de son
neveu Chrysanthe (1707–1731) à sa succession9.
Dosithée II Notaras était l’un des protagonistes-clé des relations entre
l’Église Orientale et la Russie à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe
siècle. Le patriarche affirme lui-même, dans l’une de ses dernières lettres
au tsar, qu’il tient à informer le souverain des nouvelles et à conseiller le
gouvernement russe, se déclarant fier de son « rang d’agent de l’État de
Sa Majesté, veillé par Dieu »10. À cette époque le prélat se sentait déjà mal
8
RGADA, f. 52-1 n° 25 (11.02.1707), fol. 1r.
Kapterev, N.F., 2008/1, « Snoshenija ierusalimskogo patriarha Dosifeja s
russkim pravitel’stvom (1669–1707 gg.) ». In : Kapterev, N.F., Sobranije sočinenij,
t. 1, Moscou, 2008, p. 733-734.
10
RGADA, f. 52-1, n° 1 (1706), fol. 66r.
9
50 Vera TChentsova
et il se plaignait de rhumatismes qui l’empêchaient d’écrire lui-même ses
lettres. Mais, durant toute l’année 1706, malgré l’affaiblissement physique
et la peur d’une interception de sa correspondance par les autorités
ottomanes, les échanges épistolaires entre, d’une part, le patriarche et son
neveu Chrysanthe et, de l’autre, les Russes demeurèrent très intenses11. Le
rôle dominant dans les relations de l’Église Orientale avec la Russie à cette
époque revenait nettement à la chaire de Jérusalem, mais l’approche de la
mort du pontife palestinien pouvait remettre cette primauté en cause. Ceci
permet de supposer que la lettre du patriarche Athanase Dabbās datée de
1706 a été préparée soit au métoque du Saint-Sépulcre de Constantinople,
dans l’entourage du patriarche Dosithée de Jérusalem, soit en accord avec
ce milieu, et que le projet de mise sur pied d’une typographie arabe fut,
en partie, le fruit des projets communs des deux prélats orientaux. Les
premières tentatives pour lancer en Syrie l’impression de livres coïncident
avec les efforts réalisés pour organiser l’enseignement des langues grecque
et arabe en Palestine en 1706, ambition dont témoigne le sigillion du
patriarche œcuménique Gabriel réglementant la répartition des moyens
dédiés à cette cause12.
Alors que le grand patriarche s’éteignait, l’autre sujet de préoccupation
majeure pour les Chrétiens orientaux était la mise en accusation par les
autorités ottomanes de leur bienfaiteur, le prince de Valachie Constantin
Brâncoveanu, auquel on attribuait des contacts avec les Russes visant
à inciter le tsar à la guerre avec la Porte. Ce n’est qu’au printemps de
l’année 1707 que le prince put apaiser les dangereuses rumeurs, au prix de
coûteuses largesses indispensables à conforter la faveur des élites politiques
de Constantinople à son égard13. La rédaction des deux lettres du patriarche
Athanase Dabbās, qui précède (pour la première) ou suit (pour la seconde)
immédiatement le décès du patriarche de Jérusalem, coïncide dans le
temps avec la période de troubles que traversait Constantin Brâncoveanu.
Visiblement, l’incertitude quant au sort du prince régnant en Valachie et au
destin de la chaire de Jérusalem incita Athanase (et, peut-être, une partie
11
Sur des nombreuses lettres échangées entre Dosithée et l’ambassadeur russe Pierre
Tolstoï cf. : Krylova, T.K., 1959, « Russkaja diplomatija na Bosfore v načale XVIII
v. (1700–1709 gg.) », Istoričeskije zapiski, 65, Moscou, 1959, p. 258-260 ; Yalamas,
D.A., 2004, « Ierusalimskij patriarh Dosifej i Rossija. 1700-1706. Po materialam
Rossijskogo gosudarstvennogo arhiva drevnih aktov ». In : Rossija i Hristianskij Vostok,
t. 2-3, Moscou, 2004, p. 472-492.
12
Hurmuzaki, E. de, 1915, Documente privitoare la Istoria Românilor, t. 14 :
Documente Greceşti privitoare la Istoria Românilor, Iorga N. (éd.), pt. 1 (1320–1716),
Bucarest, 1915, p. 372–376, n° 414.
13
Krylova, T.K., 1959, « Russkaja diplomatija na Bosfore », p. 259.
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
51
de l’entourage de Dosithée) à tenter d’établir des contacts directs avec la
Russie en son nom propre. Il alla jusqu’à proposer de prendre le relais
des fonctions d’agent et de conseiller de l’ambassadeur russe qu’avait
longtemps exercées le pontife palestinien.
La proposition d’Athanase reçut une réponse (datée du 15 août 1707)
par l’intermédiaire de Gabriel Golovkine, qui avait succédé en tant que
responsable de la politique étrangère russe à un autre correspondant des
patriarches orientaux, le chancelier Théodore Golovine14. Dans sa lettre
Golovkine remerciait le prélat pour ses efforts, l’informant que son
protosyncelle recevrait une lettre du tsar par l’entremise de l’ambassadeur
Tolstoï. Mais la bienveillance ainsi démontrée ne se manifesta
ultérieurement par aucun renforcement effectif des rapports d’Athanase
avec Moscou. Le gouvernement russe préféra ne pas remettre en cause
les liens déjà établis : Chrysanthe, l’héritier de Dosithée sur la chaire de
Jérusalem, récupéra le rôle dominant de son prédécesseur dans les relations
de l’Église Orientale avec la Russie et conserva cette position privilégiée
jusqu’au 1711. C’est également Chrysanthe qui fut informé par la lettre
du 15 mars 1708 qu’une généreuse subvention lui avait été attribuée par
Pierre le Grand15. Cette offrande en faveur de Chrysanthe devait faciliter
le financement de ses activités, y compris de son entreprise typographique,
alors que le protosyncelle d’Antioche parti en Russie ne put au contraire
atteindre Moscou. Léontios s’arrêta en Petite Russie (Ukraïne), où il reçut
néanmoins quelques généreuses contributions, et ce n’est qu’en décembre
1709 qu’il se présenta chez le nouvel hetman pour requérir la permission
de continuer son voyage16.
Léontios se garda toutefois bien de révéler dans la capitale russe qu’il
avait bénéficié d’une aide importante d’Ivan Mazepa et de son colonel
pour l’impression des Évangiles arabes. Les représentants du patriarcat
d’Antioche quittèrent la Russie en avril 1710, ayant reçu quelques aumônes17.
Mais les sommes offertes (70 et 20 roubles) ne suffisaient évidemment pas
14
RGADA, f. 52-1, n° 19 (15.08.1707), fol. 1r-5r (en russe avec une traduction
grecque).
15
Ibid., n° 1 (1708), fol. 17v ; Kapterev, N. F., 2008/2, « Snoshenija ierusalimskih
patriarhov s russkim pravitel’stvom s poloviny XVI do kontsa XVII stoletija », In :
Kapterev, N.F., Sobranije sočinenij, t. 2, Moscou, 2008, p. 258-259.
16
Léontios expliquait son retard par l’ordre, intimé à la délégation du patriarcat
d’Antioche par l’hetman Mazepa, de rester à Nijyn pendant qu’il contactait lui-même
les autorités moscovites au sujet de leur quête. Il prenait sur lui d’envoyer au Bureau des
ambassadeurs la lettre (c’est-à-dire celle datée de 1706) du patriarche. Cf. : RGADA,
f. 52-1, n° 12 (16.10.1709), fol. 5r.
17
Ibid., fol. 19r, 24r.
52
Vera TChentsova
à relancer les presses. Cela était d’autant plus vrai que le pontife avait de
vastes projets de développement de son entreprise typographique. Dans
sa lettre adressée, probablement en 1713, à son compatriote damascène
Pietro Damuses, résidant alors à Rome, il demandait que toute l’aide
possible soit apportée au « Reverendo Gabrielle Maronita », chargé par le
pontife d’acheter des polices de caractères, divers autres instruments et de
nombreux livres18.
Ce personnage, le maronite Gabriel Fahrāt, collabora en 1705 avec le
patriarche pour la révision du texte arabe du « Divan » composé par le prince
moldave Dimitrie Cantemir (1693, 1710–1711)19. En 1711 Gabriel partit
pour l’Europe, visitant plusieurs villes et pays (Sicile, Malte, Espagne),
y compris Rome d’où il rapporta à Alep une vaste collection de livres et
manuscrits20. La liste compilée par le patriarche des livres à se procurer à
Rome, en vue de leur impression à l’usage des Chrétiens syriens, était très
vaste : « Tout ce qu’on peut obtenir des œuvres de St. Jean Chrysostome,
de St. Jean Damascène, de St. Athanase le Grand, de St. Épiphane, pour la
réfutation des hérésies, tout ce qu’on trouve des Histoires de Philon l’Hébreu
[Philon d’Alexandrie] et de George Cédrène, le livre de Théodoret, évêque
de Cyr, à propos des moyens de résoudre les difficultés et ambiguïtés de
l’Ancien et du Nouveau Testament, les œuvres de Suidas, ainsi que tout ce
qu’il y a de pareil à ces livres d’histoire et autres [livres] »21.
On tiendra évidemment présent à l’esprit qu’Athanase pouvait encore à
cette époque, en 1711–1713, disposer des subsides de son principal soutien
financier, le prince Constantin Brâncoveanu. Mais les jours de celui-ci
étaient comptés. En 1714, la tentative d’obtenir des fonds pour l’imprimerie
en Russie correspondait, comme en 1709, à la disparition d’un généreux
mécène de la typographie arabe, suite à l’emprisonnement et à l’exécution
par les Ottomans du prince Constantin Brâncoveanu et de ses fils. Le prince
18
Congregazione per l’evangelizzazione dei popoli (De Propaganda Fide). Archivio
storico, Scritture Riferite nei Congressi (dorénavant : APF, SC), Greci Melchiti, vol. 1,
fol. 139r-139v. Sur l’influence des activités éditoriales romaines sur la chrétienté orientale
cf. : Heyberger, B., 1999, « Livres et pratique de la lecture chez les chrétiens (Syrie,
Liban), XVIIe–XVIIIe siècles ». In : Livres et lecture dans le monde ottoman. Revue des
mondes musulmans et de la Méditerranée, série Histoire, 87-88, 1999, p. 209-223.
19
Feodorov, I., 2006, « Editor’s note ». In : Dimitrie Cantemir. The Salvation of
the Wise man and the Ruin of the Sinful World, Cândea V., Feodorov I. (éds.), Bucarest,
2006, p. 58-59 ; Eadem, 2008, « The Arabic version of Dimitrie Cantemir’s Divan: A
supplement to the editor’s note », Revue des Études Sud-Est Européennes, 46 (1-4), 2008,
p. 195-212.
20
Simonescu, D., 1967, « Impression de livres arabes et karamanlis », p. 55.
21
APF, SC. Greci Melchiti, vol. 1, fol. 139v.
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
53
subit le martyre le 15 août 1714 et dix jours avant sa mort le patriarche
rédigeait les lettres envoyées à la cour russe, son dernier recours.
Au vu de l’ampleur des projets d’Athanase et des vicissitudes des
traditionnels champions de l’Orthodoxie, il n’est pas surprenant que le
patriarche, à l’occasion d’une deuxième démarche auprès de la cour russe
en 1714, se soit plaint à Pierre le Grand, au chancelier G. Golovkine et
au prince Dimitry M. Golitzyn (à cette époque gouverneur de Kiev), que
la mort ait saisi Léontios sur le chemin d’Alep, empêchant les cadeaux
du tsar d’arriver à destination22. Ces lettres, expédiées par l’intermédiaire
du hiéromoine Parthène, sollicitaient des fonds en faveur du travail
typographique dédié aux « pauvres Arabes chrétiens » et rappelaient que
le tsar russe constituait depuis toujours le seul recours du patriarche. Elles
reçurent de nouveau l’approbation de l’ambassadeur Tolstoï, en passe de
quitter Constantinople pour la Russie.
Bien que le texte des missives spécifie que celles-ci furent rédigées
à Alep, il est plus probable qu’elles l’aient été dans le métoque du SaintSépulcre de la capitale ottomane. Cette conclusion s’appuie sur l’analyse
du filigrane du papier qui servit de support à la lettre du patriarche Athanase
à Golovine, lequel présente un double motif associant des « armoiries » à
« trois chapeaux »23. Ce filigrane se révèle identique à celui visible sur les
lettres du patriarche Chrysanthe de Jérusalem rédigées à Constantinople
et adressées à Pierre le Grand en 1708 ou à l’ambassadeur russe auprès
de la Porte Ottomane, Pierre Shafirov, en 171424. La collaboration des
deux patriarches, Athanase d’Antioche et Chrysanthe de Jérusalem, pour
la promotion de l’importante entreprise que représentait pour la chrétienté
d’Orient l’imprimerie d’Alep transparaît aussi dans l’ajout d’un mandement
du patriarche de Jérusalem dans l’édition des Homélies d’Athanase de
Jérusalem, réalisée en 1711 à Alep25. Ainsi, il est possible de supposer
de nouveau que les contacts d’Athanase Dabbās avec la Russie furent
orchestrés depuis le métoque constantinopolitain du Saint-Sépulcre et cette
tentative pour obtenir de l’argent à Moscou pourrait avoir été inspirée par
l’entourage du patriarche de Jérusalem, Chrysanthe. Mais à cette époquelà même les liens privilégiés avec les Russes, dont ce dernier jouissait
jusqu’alors, à la suite de son oncle, commençaient, en effet, à lâcher.
22
RGADA, f. 52-1, n° 13, 1714, fol. 1r-1v (à Pierre le Grand), 6r (à Théodore
Golovine), 8r (à Dmitry Golitzine).
23
Ibid., fol. 6r, 7br.
24
Ibid., n° 1 (1708), fol. 25r-25v ; n° 16 (12.10.1714), fol. 1r-3r. Variante : Dianova,
T.V., Kostjuhina, L.M., 1988, Filigrani XVII veka. Po rukopisnym istočnikam GIM.
Katalog. Moscou, 1988, n° 275 (indiqué par E.V. Ukhanova). 25
Nasrallah, J., 1949, L’imprimerie au Liban, p. 25.
54 Vera TChentsova
Les archives de Moscou ne livrent aucune information quant à l’issue
de la mission du hiéromoine Parthène. Il semble que la cour du tsar, bien
qu’appréciant les efforts du patriarche, ne se soit pas intéressée, autant
que le voïvode Constantin Brâncoveanu ou l’hetman Ivan Mazepa, à la
situation de l’Orient Chrétien. Pour ces deux derniers potentats, l’attention
portée à la cause de l’Orthodoxie et au renforcement de l’Église Orientale
s’explique par l’aggravation de la confrontation avec les Uniates et les
Protestants de Transylvanie et de Pologne – Lituanie. La situation en Russie
était toute autre. Ayant déjà délaissé le projet, initié sous Dosithée, d’établir
une imprimerie grecque à Moscou, les Russes ne voulaient s’engager ni
dans des projets de publications massives sur leur territoire de littérature
polémique antilatine et antiprotestante en grec, ni dans l’organisation de
l’imprimerie arabe en Syrie. La guerre avec Charles XII de Suède, qui dura
jusqu’en 1721, et surtout la guerre russo-ottomane de 1710–1711 qui se
termina par la défaite totale pour le tsar, qui dut concéder le traité du Pruth,
détournaient les Russes de tout intérêt pour la situation religieuse dans
l’Orient Chrétien26. Après le traité d’Andrinople conclu en 1713, la Russie
abandonna pour quelque temps l’espoir d’élargir ses frontières au sud et
d’apporter de l’aide à la cause de l’Orthodoxie.
RGADA, f. 52-2, no 719 (décembre 1706), fol. 1r. Lettre du patriarche d’Antioche
Athanase IV Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Empreinte d’un sceau.
Sumner, B.H., 1949, Peter the Great and the Ottoman Empire, Oxford, 1949,
p. 26-33, 59-66.
26
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
55
RGADA, f. 52-1, no 25 (1707), fol. 1r. Lettre du patriarche d’Antioche Athanase IV
Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Autographe.
RGADA, f. 52-1, no 25 (1707), fol. 1v. Lettre du patriarche d’Antioche Athanase IV
Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Empreinte d’un sceau.
56
Vera TChentsova
RGADA, f. 52-1, no 12 (1709), fol. 13r. Signature du protosyncelle d’Antioche,
Léontios le Chypriote.
RGADA, f. 52-1, no 13 (1714), fol. 1v : signature du patriarche d’Antioche Athanase IV
Dabbās sur une lettre adressée au tsar Pierre Ier ; fol. 2r : traduction russe de la lettre.
La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās...
57
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Les Milles et Une Nuits en version roumaine :
Que reste-t-il à faire ?
CARMEN COCEA
Le recueil des Mille et Une Nuits (Alf layla wa-layla), le plus célèbre et le
plus influent ouvrage de la littérature arabe, un chef-d’oeuvre incontestable
de la littérature universelle, représente un gigantesque labyrinthe, toujours
ouvert à la recherche : combien de contes y trouve-t-on ? Comment sont-ils
venus à jour ? Dans quels milieux et à quelle époque ? Quel texte peuton utiliser comme référence ? Voilà seulement quelques aspects que les
orientalistes essaient d’éclairer.1
Je me propose de répondre dans cette intervention à quelques questions
qui puissent intéresser le lecteur et le spécialiste en littératures orientales
à la fois: qui a traduit Les Mille et Une Nuits en roumain, quand, où et à
partir de quelle langue ?
D’autre part, ma démarche s’adresse aussi à l’arabisant roumain
d’aujourd’hui qui voudrait traduire intégralement l’original arabe des Mille
et Une Nuits d’après une version qui soit acceptée unanimement comme
une source valable.
Il semble à peu près acquis que le premier noyau des Nuits – appelé
Mille contes – était d’origine persane, avec des emprunts indiens, et fut
traduit en arabe2 au milieu du VIIIe siècle, en Irak, plus précisément à
Bagdad. À ce noyau initial se sont ajoutées une série d’oeuvres au sujet
de grands personnages historiques comme le calife Haroun al-Rachid, ou
des aventures sur mer, comme celles de Sindbad le Marin. Très vite adapté
sous le titre nouveau de Mille et Une Nuits, le prototype des Nuits peut être
regroupé, dès son arrivée dans le domaine arabe, avec d’autres recueils de
1
Voir Aboubakr Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire du texte et classification
des contes, L’Harmattan, Paris, 2008.
2
Par Ibn al-Muqaffa‘a, cf. ibidem, p. 223.
60 CARMEN COCEA
même origine et de même genre, comme Syntipas, Jali’ad et Shimas ou le
célèbre Kalila et Dimna. Du XIe au XVIIe siècle – pendant ce qu’on appelle
« l’ensemble égyptien » 3 – eut lieu la maturation des Nuits, y étant intégrée,
successivement, de la littérature folklorique et savante, arabe et non arabe,
surtout des contes merveilleux et de magie. « C’est sans doute en Égypte,
aussi, que le recueil vit confirmés son titre définitif, son organisation telle
que nous pouvons la connaître aujourd’hui et son contenu total ».4
À partir de 1704, Les Mille et Une Nuits connut un succès considérable
et constant dans tout l’espace européen grâce à la traduction française
d’Antoine Galland. Peu après, les premières traductions européennes de
l’édition de Galland suivirent5 :
• 1712, Londres – Arabian Nights Entertainments (1712, 2ème éd.; 1713–
1715, 3ème éd., 6 volumes), sans préciser le nom du traducteur ;
• 1712, Leipzig – Talander, Die Tausend und eine Nacht (4 volumes, en
allemand) ;
• 1722, Venise – Le Novelle Arabe divise in mille ed une notte (12
volumes, en italien), sans préciser le nom du traducteur ;
• 1732, Amsterdam – Duizend en één Nacht (12 volumes, en hollandais),
sans préciser le nom du traducteur ;
• 1745, Copenhague – Tusind og een nat, première traduction danoise,
sans préciser le nom du traducteur ;
• 1763, Moscou – Filatoff, première traduction russe ;
• 1788, Gand – J. B. Rommel, De duyzind en eenen Nagt (12 volumes en
flamand) ;
• 1794, Frankfurt-an-Oder – première traduction judéo-allemande (8
volumes), sans préciser le nom du traducteur.
Les traductions de l’édition de Galland se multiplièrent rapidement : vers
la fin du XIXe siècle, des traductions dans toutes les langues européennes
étaient disponibles.6
Le XIXe siècle apporte d’une part la célèbre édition arabe de Boulaq (en
1835) et, d’autre part, les premières traductions originales en Occident7 :
André Miquel dans la Préface des Mille et Une Nuits, édition présentée, établie
et traduite par Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel, Éd. Gallimard, Paris,
1991, p. 9.
4
Ibidem.
5
Rangées ici dans l’ordre chronologique, cf. Nikita Elisséeff, Thèmes et motifs
des Mille et Une Nuits, Institut Français de Damas, Beyrouth, 1949, pp. 76-77.
6
Ibidem, p. 77.
7
Telles qu’elles sont enrégistrées par N. Elisséeff, ibidem, p. 76-84.
3
Les Milles et Une Nuits en version roumaine...
61
• Rasmussen, 1824, « la première traduction réellement originale »8 (4
volumes, en danois, d’après la première édition de Calcutta) ;
• Hammer, avant 1823, la première traduction originale française
(perdue), d’après un manuscrit cairote ;
• H. Torrens, 1838, la première traduction originale anglaise, d’après le
texte édité par MacNaghten à Calcutta (1 volume) ;
• Edward William Lane, 1839–1841, The Thousand and One Nights,
Commonly Called in England “The Arabian Nights’ Entertainments”,
a New Translation from the Arabic with Copious Notes by Edward
William Lane..., 3 vol., d’après les éditions de Boulaq, de Breslau et de
Calcutta I ;
• John Payne, 1882–1884, « la première traduction complète »9, The
Book of the Thousand Nights and One Night: Now First Completely
Done into English Prose and Verse from the Original Arabic, 9 vol.,
d’après les éditions de Boulaq I, de Breslau et de Calcutta I et II ;
• Sir Richard Francis Burton, 1885–1888, Plain and Literal Translation
of the Arabian Nights’ Entertainments, Now Entitled The Book of the
Thousand Nights and a Night, 16 volumes, d’après les éditions de Boulaq
I, de Breslau et de Calcutta I et II. Curieux d’anthropologie et d’étude
de moeurs, le traducteur y fait une collection de traits dégradants et une
sorte de statistique du vice. Sa traduction se distingue par le mélange
d’archaïsmes et d’argot, ainsi que par l’accent mis sur la trivialité de
certains contes ;
• Joseph Charles Mardrus, 1899–1906, Livre des Mille et Une Nuits,
traduction littérale et complète du texte arabe par le Dr. J.C. Mardus
(16 volumes), d’après l’édition de Boulaq, avec des emprunts à Breslau
et Calcutta II ;
• M.A. Salie, 1929–1933, Kniga o Tysiatchi i odnoi natchi, 4 tomes,
d’après l’édition de Calcutta II.
Les multiples modifications de forme et de contenu subies par les
récits sont largement expliquées par leur caractère anonyme, ainsi que par
leur appartenance à la littérature « moyenne »10, « intermédiaire » entre le
populaire et le classique.
Du point de vue structurel, les contes sont enchâssés dans un récitcadre ; c’est cette technique narrative, doublée par l’art de l’interruption,
Ibidem, p. 78.
Ibidem, p. 80.
10
A. Chraïbi, op. cit., pp. 15-20.
8
9
62
CARMEN COCEA
qui crée le suspens, les ruptures de l’action et, à la fois, la continuité et
l’unité du recueil.
En ce qui concerne la thématique, le livre des Mille et Une Nuits est
d’une grande richesse : la question de la justice qui pare à l’injustice, la
vie et la mort, la puissance, la folie, la naïveté, la spiritualité élevée du
mystique qui fait contraste avec le pragmatisme du marchand, la générosité
et la sagesse opposées à la cruauté, la croyance sincère et discrète face à
l’hypocrisie religieuse etc.11
Quant à la langue des Nuits, on constate que, malgré la présence d’un
bon nombre de dialectismes, la majorité des textes est écrite dans une langue
simple, mais « parfaitement classique, relevée çà et là par les exercices de la
prose rimée et rythmée, et par la poésie aussi (...), qui s’insère parfaitement
dans le texte, pour souligner l’atmosphère lyrique, élégiaque ou épique
d’un épisode ».12
Un premier critère de classification des récits des Mille et Une Nuits est
celui d’ordre quantitatif, qui fait distinguer entre récits brefs, récits longs et
récits de taille intermédiaire.13
Si l’on prend en considération le genre littéraire à travers les contes, on
en trouve six catégories : les contes merveilleux, les épopées, les romans,
les contes d’humour ou de ruse, les historiettes et anecdotes et, enfin, les
histoires morales, fables et illustrations de maximes.14
Revenant aux Contes arabes traduits en français par Antoine Galland,
au début du XVIIIe siècle, on doit préciser qu’il ne s’agit pas d’un véritable
texte oriental, bien qu’ils aient connu un succès immédiat et qu’ils soient
devenus la source de la tradition des Mille et Une Nuits en Europe: aux
premiers manuscrits authentiques15, Galland a ajouté, dans une étape initiale,
des histoires provenant d’autres manuscrits de type similaire et, ensuite,
il y a inclus des histoires qui lui avaient été racontées, selon son propre
témoignage, par l’un de ses amis arabes.16 D’autre part, face aux versions
anglaises du XIXe siècle – E.W. Lane, J. Payne et R.F. Burton – et à la
11
A. Chraïbi, dans l’Introduction aux Mille et Une Nuits en partage, sous la
direction d’Aboubakr Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004, pp. 10-11.
12
A. Miquel, op. cit, pp. 13-14.
13
Cf. A. Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 224.
14
Cf. A. Miquel, op. cit., pp. 10-11.
15
« Des manuscrits arabes et turcs, parmi les meilleurs et les plus anciens, conservés
aujourd’hui avec un fonds extrêmement riche à Paris, à la BnF » (A. Chraïbi dans
l’Introduction aux Mille et Une Nuits en partage, p. 12).
16
Cf. Richard van Leeuwen, Orientalisme, genre et réception des Mille et Une
Nuits en Europe, dans Les Mille et Une Nuits en partage, sous la direction d’Aboubakr
Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004, p. 129.
Les Milles et Une Nuits en version roumaine...
63
version française « érotisée et colorée, due à Joseph Charles Mardrus – (...),
l’oeuvre de Galland ne passa plus généralement que pour une adaptation
pâle et édulcorée. »17
Mais, malgré tout reproche, le succès de la variante proposée par
Antoine Galland semble découler justement du caractère flexible de la
traduction et de l’effort créateur adapté aux besoins et aux préférences de
son époque, où la conception des « belles infidèles » prévalait en matière
de traduction : « le bon traducteur arrange le texte pour qu’il plaise au
lecteur (...). Tout ce qui est senti comme cru, laid ou bas est exclu de
l’expression et, si possible, du contenu » ; d’autant plus, les Nuits issues de
la tradition orale ou de la littérature intermédiaire acquièrent, chez Galland,
une homogénéité nouvelle.18
Le début du XVIIIe siècle, qui apportait en France la première traduction
des Nuits arabes, a représenté, aux Pays Roumains, un moment d’apogée de
la culture orientale, grâce à l’activité d’érudits tels Nicolae Milesco, Dimitrie
Cantemir et Ienăchiţă Văcărescu. D’autre part, les livres populaires qui
circulaient, à la même époque, sous forme de copies manuscrites constituaient
pour le grand public autant de ponts d’accès à l’univers riche et fabuleux
de l’Orient : ce fut le cas de Barlaam et Josaphat, de l’Histoire d’Ahikar,
de Syntipas et des Mille et Une Nuits.19 Aux dires de Mircea Anghelescu,
« Malgré les déformations dues aux différents intermédiaires par lesquels
ces livres sont passés (grec, slavon), ils conservent non seulement les sujets
orientaux, le bagage spécifique de sagesse et d’expérience des peuples qui
les ont conçus, mais aussi quelque chose de l’atmosphère originale, un style
qui est le reflet même de l’Orient ».20
Les Mille et Une Nuits sont entrées dans la littérature roumaine par
un intermédiaire néo-grec – de Polizois Lambanitziotis – qui, sous le titre
nouveau de Halima (nom changé de Shéhérazade), mêle la traduction
d’Antoine Galland (1704–1714) avec la version apocryphe de Pétis de la
Croix, intitulée Les Mille et Un Jours (1714). En fait, le traducteur grec ne
suivit aucun texte français, mais la traduction italienne des deux oeuvres
françaises qu’on vient de citer : Novelle persiane divise in mille ed una
giornate, tradotte in Francese e dal Francese nel volgare Italiano (Venise,
17
Sylvette Larzul, Les Mille et Une Nuits d’Antoine Galland, dans Les Mille et
Une Nuits en partage, sous la direction d’Aboubakr Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004,
p. 251.
18
Ibidem, pp. 254-255.
19
Mircea Anghelescu, Literatura română şi Orientul [La littérature roumaine
et l’Orient], Ed. Minerva, Bucarest, 1975, p. 176-177.
20
Ibidem, p. 177.
64
CARMEN COCEA
1720) et Novelle arabe in mille ed una notte, tradotte in Francese e dal
Francese nel volgare Italiano (Venise, 1721–1722). La première édition de
la version grecque a été publiée en trois volumes, à Venise (1757 : Ier volume,
1762 : IIe et IIIe volumes). Une vingtaine d’années plus tard, en 1783, le
moine Raphaël du monastère de Horezu, en Valachie, traduit intégralement
en roumain cette version de Halima. Un fragment de cette traduction
parut en 1779, dans le manuscrit no. 1067 conservé à la Bibliothèque de
l’Académie Roumaine. Un autre fragment traduit de Halima, encore plus
ancien, contient L’Histoire du calife Haroun al-Rashid. Daté 20 décembre
1771, le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Centrale Universitaire de
Iasi et il est possible qu’il fut traduit – la forme des noms semble soutenir
cette théorie (Jafer, Răşăd) – d’après la première version russe réalisée
par Filatoff, parue à Moscou de 1763 à 1771. Cette traduction du moine
Raphaël se trouve dans le manuscrit no. 2587 conservé à la Bibliothèque
de l’Académie Roumaine.
Le récueil de Halima connut aussitôt un grand succès chez les lecteurs du
XVIIIe siècle, dont les préférences pour le genre didactique et moralisateur
furent remplacées par l’inclination vers les voyages fantastiques « en des
lieux éloignés, inconnus, où le réel se confond avec le fabuleux »21.
C’est ainsi qu’à la fin du même siècle circulaient déjà, dans les
Principautés Roumaines, plus de quinze copies du manuscrit de Halima.
De 1835 à 1838, Gherasim Gorjan publia, d’après la traduction du moine
Raphaël de Horezu, le volume Halima sau povestiri mitologhiceşti şi
arăbeşti (Halima ou des histoires mitologiques et arabes). À la même
période (1836–1840), Ion Barac traduit Halima d’après un intermédiaire
allemand et la fit publier à Braşov.
La première traduction roumaine complète d’après Le livre de Mille et
une Nuits de Joseph Charles Mardrus fut réalisée par Haralambie Grămescu.
Elle fut publiée en 16 volumes, de 1978 à 1988, sous le titre Cartea celor
o mie şi una de nopţi22, traduction exacte du titre français. Cette version
corrobora la traduction russe faite par M.A. Salie (Kniga tîsiaci i odnoi
noci, parue à Moscou, en 1959).
Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, suivant l’inventaire fait par
Ioana Feodorov23, on a publié 32 recueils complets ou partiels des Mille et
Une Nuits. Si l’on fait une statistique des parutions individuelles, on note
Ibidem, p. 178.
Cartea celor o mie şi una de nopţi, édition traduite en roumain par H. Grămescu,
Préface par O. Papadima, Ed. Minerva, Bucarest, 1978–1988.
23
Ioana Feodorov, The Arab World in Romanian Culture: 1957–2001, Ed.
Biblioteca Bucureştilor, Bucarest, 2001, pp. 116-119.
21
22
Les Milles et Une Nuits en version roumaine...
65
qu’Ali Baba et les Quarante voleurs jouit de 7 publications, Alladin ou la
lampe merveilleuse, 5, et Sindbad le Marin, 4.
En ce qui concerne une future traduction roumaine d’après une source
arabe qui soit acceptée unanimement comme une source valable24, on a
retenu l’exemple de deux projets français contemporains, proposés par des
autorités dans le domaine :
• D’une part, Les Mille et Une Nuits présentées, établies et traduites par
Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel.25
Les trois volumes offrent « l’adaptation la plus étendue et achevée de
toutes les adaptations françaises disponibles à ce jour » ; en confrontant
les manuscrits26 et toutes les éditions imprimées – dont la plus complète
est celle de MacNaghten, éditée de 1839 à 1842 (appelée Calcutta II), les
auteurs ont réussi à « combler bien les lacunes et parvenir à un ensemble
qu’aucune version arabe prise séparément ne peut proposer ».27 Les
auteurs ont décidé de ne pas inclure les fameuses histoires d’Aladin,
Ali Baba et Sindbad.28
• D’autre part, plus récemment, Aboubakr Chraïbi, dans son livre
Les Mille et Une Nuits. Histoire du texte et classification des contes
(L’Harmattan, Paris, 2008), présente la solution à laquelle son équipe
de recherche – qui inclut, parmi beaucoup d’autres, André Miquel et
Claude Bremond – a abouti. « Le procédé le plus rigoureux et le plus
représentatif du corpus » fut suggéré par Claude Bremond : « Associer
le contenu des différents manuscrits, en partant des deux textes de
référence – à savoir, l’édition évoquée de Muhsin Mahdi (Leyde, 1984)
et l’édition de Boulaq (Boulaq, 2 vol., 1835), en les complétant par
les divers contes inédits présents dans les divers manuscrits des Mille
et Une Nuits recensés jusqu’à ce jour »29 ; en somme, le corpus ainsi
constitué comportera 305 contes.30
24
« Il y a une multiplicité de textes, qui posent tous quelques problème : (…) le
problème de leur légitimité, de leurs origines, de leur contenu, de leur parenté » (A.
Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 68).
25
Éditions Gallimard, Paris, 1991–1996 (I-III).
26
Y compris l’édition du manuscrit d’Antoine Galland, considéré comme le
plus ancien, édition publiée, en 1984, par Muhsin Mahdi.
27
Cf. J.E. Bencheikh dans l’Avant-propos des Mille et Une Nuits, édition
présentée, établie et traduite par J.E. Bencheikh et A. Miquel, Éditions Gallimard,
Paris, 1991, I, pp. 19-21.
28
Sindbad de la mer fut publié séparément en 2001, édition de J.E. Bencheikh
et A. Miquel, Éditions Gallimard, Paris.
29
A. Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 70.
30
Ibidem, pp. 70-80.
66
CARMEN COCEA
Pour conclure, on peut affirmer que l’arabisant roumain d’aujourd’hui,
confronté à la traduction des Mille et Une Nuits, devrait surmonter deux
catégories de difficultés :
–– premièrement, c’est l’effort de choisir entre plusieurs textes, manuscrits,
éditions, traductions composées pendant dix siècles (du IXe au XIXe) ;
en ce sens, le procédé mentionné ci-dessus, auquel l’équipe conduite
par Aboubakr Chraïbi a abouti, pourrait constituer un repère ;
–– ensuite, ce sont les problèmes de traductibilité et d’adaptabilité à la
culture roumaine, si l’on considère seulement la variété des récits et
leur thématique, leur genre et leur registre d’expression.
About Macarie’s Liturghier (1508),
discovered in Bessarabia at the end of XIXth century
(the book we have to know everything about)
MARIA DANILOV
Itinerary of old Romanian books kept in foreign collections has to be
rebuilt based on solid documentary study. A lot of exemplars of the first
books printed in Romanian cultural space became part of public collections
in Sankt Petersburg and Moscow through private donations during XIXth
century. Prominent personalities of XIXth century – M.P. Pogodin, P.
Uspenskij, A.F. Tolstoj, I.P. Karataev, A.B. Lobanova-Rostovski, P.I.
Sciukin, Al. Iaţimirski, P. Sârcu and others – made such donations1. Also,
they made valorous bibliophilic acquisitions during military and civilian
expeditions in Balcanic countries, including Romanian Principalities and
Bessarabia.
⁕⁕⁕
Some specifications. The most important collection of old Romanian
books is kept in archives of National Library of Russia, in Sankt Petersburg.
We notice that old Romanian printings from XIXth century, with precise
dating, are considered unique and extremely valuable exemplars by Russian
bibliographs. For example, Catalogue of Cyrillic Printings published by
National Library of Russia in 1979 includes 66 titles; among them, 45
are attributed to south Slavic population and 21 – to Romanians, which is
one third of entire patrimony of old books collection of National Library
of Russia in Sankt Petersburg2. These rare books include extremely rare,
Выставка церковной старины в музее барона Штиглица. Перечень
предметов, Петроград, март-апрель, 1915, 50 с.
2
Издания кириллической печати для южных славян и румын XV–XVII v.
(1494–1688). Катало книг (составитель В.И. Лукьянов), Ленинград, 1979, 7.
1
68 MARIA DANILOV
unique books of exceptional scientific interest: Evanghelie (1546), Apostol
(1547), Biblia (1688), etc.
The oldest book in collection – as attested by Russian bibliographical
sources – is Tetraevanghel (1512)3 printed in Târgovişte, considered
the third book printed by monk Macarie. The same typographer printed
the first printed book in Romanian Principalities – Slavic Liturghier
(Liturgical book, missal) (1508) that was printed at the same typography
at Dealu monastery, under patronage of Romanian prince Radu cel Mare
(1495–1508). One exemplar of Macarie’s Liturghier (1508) was identified
in Bessarabia at the end of XIXth century. We don’t know exactly when that
exemplar was brought to Bessarabia, but we certainly know that Moscow’s
antiquary P.I. Sciukin bought it from priest Teofan Genetzki from Vorniceni
village (Chişinău County)4. Al. Iaţimirski, who studied this rare book from
I. Sciukin’s collection, considered it “the second exemplar attested de
visu” – the first one being considered that discovered by Al. Odobescu
in 1861 at the library of Bistriţa Monastery (Walachia)5. The affirmations
of Bessarabian researcher considered only Romanian historiography.
We have to remind here that in year 1861, Al. Odobescu discovered six
exemplars of Macarie’s Liturghier at the Bistriţa Monastery6. Nowadays,
only five exemplars are found in Romania: three of them are stored in the
Romanian Academy Library. Two of these are from Bistriţa Monastery and
are the most complete ones (exemplar no. 1 has 128 p.; no. 2 – 127 p.) The
third exemplar is a donation and it belonged to the Bâlgrad church [Alba
Iulia] and has only 72 pages (p. 1-47, in handwritten version). Another
two exemplars of Macarie’s Liturghier are kept in the Library of Orthodox
Metropolitan in Sibiu and National Library in Bucharest7.
Our question is justified: where and when did other five exemplars from
Bistriţa Monastery, attested de visu by Al. Odobescu in 1861, disappeared?
As one century later, in 1961, P.P. Panaitescu only reminds them, without
giving any other details8.
Издания кириллической печати..., Ленинград, 1979, 101.
А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник, в Известий
Отделения русскаго языка и словесности Императорской Академии Наук,
Санктпетербург, 1896, p. 792.
5
А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…,
Санктпетербург, 1896, p. 792 -797.
6
Al. Odobescu, Despre unele manuscrise şi cărţi tipărite, aflate în mănăstirea
Bistriţa (districtul Vâlcea în România), în: Revista Română, Bucureşti, 1861, vol. I, p. 819.
7
Mariana Iova, Catalog, CRV, Bucureşti, 2000.
8
P.P. Panaitescu, Introducere la istoria culturii româneşti, Editura Ştiinţifică,
Bucureşti, 1969.
3
4
About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia...
69
Our purpose is to explore information about exemplar discovered in
Bessarabia (Liturghier, 1508). Bessarabian researches at the end of XIXth
century identified priority directions of research that are still insufficiently
studied. We know less about the contribution of Bessarabian researchers to
the old Romanian book issue. Actually, Bessarabia is not even mentioned
in Romanian information flow.
Investigations of Al. Iaţimirski and P. Sârcu in Slavic paleography
are very important; they are considered to be the founders of Bessarabian
Slavistics as an important area of research9. Due to Al. Iaţimirski’s activity
in scientific life of Sankt Petersburg (1903–1912), a lot of publications
about old Romanian culture appeared.10. Special attention is paid to the
epoch of Slavonic in Romanian’s culture. Between years 1910–1913 he
undertook documentation trips to Balcanic countries, Serbia, Bulgaria, and
Romania. He was appreciated by Science Academy of Russia, in various
periodicals of that time. A lot of researchers from Russia benefited of
his consultations11. He is “a brilliant expert of old Romanian literature.
Savant people from Russia and other countries considered him a precious
consultant in the issues of Romanistics and old Slavic literature” 12.
Al. Iaţimirski, Moscow antiquary P.I. Sciukin and Macarie’s
Liturghier (1508). Researches of Macarie’s Liturghier (1508) made
by Al. Iaţimirski correspond to years of studies at Moscow University
(1893–1899). Young researcher took advantage of opportunity to identify
and classify the private collection of manuscripts of P.I. Sciukin, looking
insistently to bring to light any detail regarding Romanian books13. At the
same period, famous Moscow antiquary Piotr Ivanovici Sciukin (1857–
1912) started hard work of classifying and publishing his patrimony: his
“Sciukin collection” (Щукинские сборники)14 was very well-known at
Ion Ţurcanu, Istoricitatea istoriografiei, Editura Arc, Chişinău, 2004, p. 35.
А.И. Яцимирский, Новый труд о старой славянской библиографии,
СПб, 1900; Румыно-славянские очерки, СПб, 1903; Сказание вкратце о молдавских
господарях, СПб,1901; Из истории славянской письменности, СПб, 1906; Из
истории славянской проповеди в Молдавии, СПб. 1906; Язык славянских грамот
молдавского происхождения, СПб, 1909.
11
Александрина Матковски, Персоналитэць каре ау сонтрибуит ла
сонсолидаря релациилор молдо-русе. ын „Презенце молдовенешть ын публикацииле
русe дин анийй 1886–1905”, Едитура Штиинца, Кишинэу, 1976, п. 5-7.
12
Александрина Матковски, Персоналитэць…, p. 53.
13
Ibidem, p. 36.
14
Краткое описание Щукинского музея в Москве, Москва, 1895, с. 713.; Опись
старинных вещей П.И. Щукина, (составлена П.И. Щукиным и Е.В. Фёдоровой),
9
10
70
MARIA DANILOV
those times. Based on collection’s research, Al. Iaţimirski published two
monumental works that include description of 488 manuscripts from
precious collection of P.I. Sciukin.15
We suppose that is the period when Al. Iaţimirski discovered Macarie’s
Liturghier among old books from Sciukin’s collection. It seems that
researcher’s interest for old books collections was constant. He mentioned
in footnotes: “Catalogue of old printed books from Sciukin’s Collection,
to be published later”16. We don’t know other details regarding Sciukin’s
collection, but that catalogue was never published. Those who studied the
collection later, completed Al. Iaţimirski’s works published in 1896, by
classifying entire collection, from 489 to 1 184 manuscripts17. Thus we
may conclude that manuscripts were the most valuable part of Sciukin’s
collection.
Afterward, investigation of old books from Sciukin’s collection
(nowadays it is in the patrimony of Historical Museum of Moscow) was
out of scientific attention during a century. Scientific information regarding
Liturghier (1508) described by Al. Iaţimirski, in 1896, was available
only for science people from Sankt Petersburg, no Romanian researcher
explored it.
Imposing collection of old books of P.I. Sciukin was donated to
Historical Museum in 1905. Piotr Ivanovici Sciukin (1857–1912) was a
reputed collector of antiques and oriental art. He built a special building
to expose his collection, on Malaja Gruzinskja Street, that was opened as
a public museum in 1895. But he continued to collect antiques after this
year too. We suppose that Macarie’s Liturghier was brought especially
from Bessarabia to Moscow to be sold to Sciukin. What is the destiny of
this exemplar, bought from priest Teofan Genetzki from Vorniceni village
(Chişinău County)?
Москва, 1896, часть I; II часть; Recueil de lettres et documents manuscrits anciens
de la collection de Pierre Stschoukine à Moscou, Москва , 1897; Опись старинных
славянских и русских рукописей, собранных П.И. Щукиным (составленная А.И.
Яцимирским , I выпуск, Москва, 1896; II выпуск, 1897); Сборник старинных бумаг,
хранящихся в музее П.И. Щукина [10 частей], Москва, 1896–1902 ; Азбучный и
хронологический указатели к шести частям Сборника старинных бумаг, Москва,
1900; Бумаги, относящиеся до Отечественной войны 1812 г., [7 частей], Москва,
1897–1903.
15
А.И. Яцимирский Опись старинных славянских и русских рукописей
собрания П. И. Щукина. 2 тт. Москва, Изд. П. И. Щукина, 1896–1897. 369 с., 278 с.
16
А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…, c. 792.
17
Дополнительное описание рукописей собрания Щукина, не включенных в
описание Яцимирского (с № 489 по № 1184). [составленная Сперанским].
About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia...
71
As we mentioned above, the collection of old books was gifted to
Moscow Historical Museum in 1905. At that time, the institution collected
old books, and only in 1912 a special section of manuscripts and old
printings [Отдел рукописей и старопечатных книг] will be created, it
started the activity in 1914. After a hundred years, this fund had 31 000
pieces. For better organizing, it was decided in 1918 to separate manuscripts
from old printed books. This collection is called “Menishih” [Собрание
«меньших»] as there were less books of this type – 2023 titles of old books.
In 1983 this fund was closed/finished. It included old books from private
collections of E.V. Barsov, A.P. Brachşin, A.N. Goliţîn, A.S. Suvorin, S.A.
Usov, P.I. Sciukin and others. To mention that this collection includes such
bibliophilic rare as: Antologhion, Kracow; 1491, Octoih, Cetina, 1494;
Biblia, Prague, 1517; Liturghier, Venice, 1519, etc.
We insisted on these details regarding fund of manuscripts and old
books, especially on collection of “Menishih” from the patrimony of State
Historical Museum in Moscow, because these details are very important as
we follow the itinerary of exemplar of Liturghier, that entered Sciukin’s
collection. Today that exemplar can be found in patrimony of State
Historical Museum in Moscow, fund of old books, collection “Menishih”/
Sciukin. But we found two exemplars of Macarie’s Liturghier in this
collection18. Probably, the second one was bought by Sciukin later thus it
wasn’t attested by Al. Iaţimirski.
Macarie’s Liturghier from Sciukin’s collection. Issues and
interpretations. Historical perspective of Macarie’s Liturghier in Al.
Iaţimirski studies is very relevant for knowledge of old Romanian books.
Paper published in the journal of Imperial Academy of Sankt Petersburg, în
189619 deals with issues of cultural history in Romanian and Russian areas.
Here are some ideas formulated by Al. Iaţimirski:
• “Chronologically, Slujebnicul of monk Pahomie, printed in Venice
at 1519, is considered the first printed slavonic Liturghier. In his
solid work, I. Karataev describes the Slujebnic as the first printed
book20. Other papers and bibliographical descriptions do not offer
information about any earlier printings”.
Государственный Исторический Музей (ГИМ), ОР, Собрание «Mеньших»,
коллекция П.И. Щукина № 1422, № 1423 [„Пахомия иеромонаха 1508…”].
19
А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник, в Известий
Отделения русскаго языка и словесности Императорской Академии Наук,
Санктпетербург, 1896, c. 792-797
20
Кapaтаев И. Описание славяно-русских книг, напечатанных
кирилловскими буквами, Т. 1 (1491–1652), СПб., 1883, с. 44-47.
18
72
MARIA DANILOV
• “One Slujebnic was identified and studied long before. Prominent
Romanian archeologist Al. Odobescu, who visited some Romanian
monasteries in 1860, discovered that Slujebnic in the library of
Bistriţa Monastery in Walachia, in the description of old manuscripts
found at monastery and published a Romanian translation of
‘Afterworlds’ of that Liturghier. But no Russian bibliographer was
aware of Al. Odobescu’ work.”
• “The second exemplar of this rare edition was recently bought
by Moscow antiquary P. I. Sciukin, from priest Teofan Genetzki
[Vorniceni village, Bessarabia]. Thus we have the opportunity to
add some detailed information about this interesting book, which
is number ten in the list of the oldest printed books known in
bibliographical sources. Description methods are the same as in I.
Karataev works”21.
Definitely, Al. Iaţimirski get wise of a fact that I. Karataev didn’t knew
Al. Odobescu‘s work about Liturghier discovered in the library of Bistriţa
Monastery in 186122, although the contribution of Russian bibliographer
appeared lately, in 1885. Here we have to reflect about the level of mutual
knowledge between Romanians and Russians – then and nowadays –
regarding study of old books printed in Slavonic context.
From such perspective, the value of Bessarabian exemplar is unique:
because the research of Al. Iaţimirski identified it as “the first slavonic
printed Liturghier”. Still, we have to mention that Al. Iaţimirski misdated
Liturghier by year 1507. Instead, he bring to light certain data proving that
“monk Macarie, who worked on printing the first Liturghier, is definitely
the same Macarie who printed Octoih at 1510 and Evanghelia in 1512 and,
probably, he is responsible for two earlier editions: Osmoglasnik printed in
Montenegro at 1493–1494 and Psaltirea appeared in 1495”.
Other observations of Al. Iaţimirski relates to the place where books
were printed: “none of three known printings of Macarie have inscriptions
about place of printing. Evanghelia printed in 1512, without indication of
place, is possibly edited in Târgovişte (Walachia), because it was printed
under command of voievod Basarab, by monk Macarie […]. Karataev
presumes that Evanghelia from 1512 was printed in Târgovişte, former
capital of Walachia. If this presumption is correct then it is very probably that
Liturghier from 1507 [1508, – s.n. M.D.]”. Also, Al. Iaţimirski considered
that Macarie probably became the Metropolitan of Walachia in 1516–1518,
А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…, c. 792-793.
Al. Odobescu, Despre unele manuscrise şi cărţi tipărite, aflate în mănăstirea
Bistriţa (jud.Vâlcea în România), în: Revista Română, Bucureşti, 1861, vol. I, p. 819.
21
22
About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia...
73
after Metropolitan Maxim, if the singular sources we have are correct. It was
Macarie who was mentioned in “Slovach nakazatel’nych” by Walachian
voievod Ioan Neagoe to his son Teodosie, discovered by P.A. Lavrov, in
the XVIth century manuscript in popular library in Sofia.23 Al. Iaţimirski
made a detailed description of exemplar from Sciukin collection. 123 pages
from Liturghier are described; there are 15 copybooks each containing 8
files. Also, he noted each page with frontispiece, initials, number of row on
each full page (there are 15 rows), and spaces with no imprints, afterwords,
etc. As he announced, the method of description is that of I. Karataev.
Conclusion. The researches of Al. Iaţimirski, in 1896, of Macarie’s
Liturghier – exemplar bought from Bessarabia for Russian antiquary P.I.
Sciukin – have great contribution to capitalization of historical information
about first Romanian printed book in scientific life of Sankt Petersburg,
first.
Current investigations confirmed that exemplar of Macarie’s Liturghier
is part of patrimony of State Historical Museum in Moscow, fund of old
books, collection “Menishih”/Sciukin. Thus, old Romanian bibliography
regarding “foreign beholders” has to include this exemplar, at State
Historical Museum in Moscow, fund of old books, collection “Menishih”/
Sciukin, alongside with that stored in Popular Library in Serbia.
The importance of historical data about Bessarabian exemplar of
Liturghier is extremely important for both history of culture and for history
of old Romanian books, as it is the first published book in Romanian area,
so we have to know everything about it. Discovered in Bessarabia, this book
acquires another dimension – that of unity and continuity of Romanians
from all over the world.
А. Яцимирски, Первый печатный..., p. 794.
23
Sur le chemin difficile de la modernisation : notes sur
la censure dans les Balkans aux XVIIIe–XIXe siècles
NADIA DANOVA
Cette communication est consacrée au plus sérieux des obstacles
rencontrés par les processus de modernisation dans les Balkans. Les
points de vue des chercheurs de divers domaines de la science concernant
le problème de la modernisation sont différenciés, car dans les dernières
décennies du XXe siècle, la théorie de la modernisation acquit des nuances
politiques actuelles. La notion de « modernisation » signifie d’une part
un processus – au sens de modernisation, et d’autre part, le produit, le
résultat, l’objectif, à savoir – la modernité. Dans notre texte, sous la notion
de modernisation, nous allons comprendre le processus de transformation
quantitative et qualitative de la société, la transition de la société traditionnelle
à la société industrielle, l’évolution et le progrès des connaissances, la
sécularisation dans toutes les sphères de la vie culturelle et des rapports
sociaux, le rationalisme et le progrès des sciences, l’alphabétisation de la
population, le progrès technique et l’industrialisation, le développement
des communications, des contacts commerciaux et de l’urbanisation, le
progrès des relations sociales, des institutions économiques, politiques et
culturelles1.
Le livre imprimé, qui est l’instrument fondamental de la modernisation,
1
Sur cette question, voir BENDIX, Reinhard. “Tradition and Modernity
Reconsidered”, Comparative Studies in Society and History, 9, 3, 1967, pp. 292–346;
DASKALOV, Rumen. “Ideas About, and Reactions to Modernization in the Balkans”,
East European Quarterly, XXXI, No 2, June 1997, pp. 141–179; LAL, Deepak. “Does
Modernization Require Westernization”, Тhe Independent Review, v. V, n. 1, Summer 2000,
pp. 5–24; KELLEY, David. “The Party of Modernity”, Navigator, November, 2003, pp. 4–9;
NIKOVA, Еkaterina. „Balkanskata istoriia razkazana kato modernizatsiia“ (« L’histoire
balkanique racontée comme modernisation »). In: Iubileen sbornik. Izsledvaniia v chest na
80-godishninata na prof. Krastio Manchev. Sofia, 2006, pp. 573–584.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
75
était le principal véhicule de transmission des idées et des connaissances
à travers le temps et l’espace. Son apparition eut un retentissement des
plus considérables sur les peuples balkaniques. Le livre imprimé eut des
conséquences importantes sur la vie idéologique, politique, religieuse et
économique des sociétés balkaniques, provoquant de sérieuses mutations
dans la mentalité des hommes de cette région, les préparant aux Temps
modernes. De son côté, le livre imprimé fut le résultat de l’action réciproque
de facteurs d’ordre culturel, économique et politique. Les différents
aspects du phénomène « livre imprimé » ont fait l’objet de nombreuses
études de la part des chercheurs des pays balkaniques, qui ont contribué à
éclaircir les problèmes liés à la production et à la diffusion de la littérature
imprimée2. Les résultats de ces études ont révélé des similitudes dans
le développement de l’impression du livre chez les différents peuples
balkaniques, permettant de parler de régularités communes, spécifiques de
l’Europe du Sud-Est. C’est à l’historien grec, Philippos Iliou, que nous
devons d’avoir éclairci la circonstance, à savoir que dans les conditions
d’un pouvoir politique et religieux étranger, l’activité culturelle des peuples
balkaniques et en particulier celle de l’impression du livre, se trouvaient
pour une grande période de temps sous le contrôle absolu du patriarcat
de Constantinople, qui jouissait non seulement d’un pouvoir financier et
juridique important, mais dans le même temps contrôlait tout le mécanisme
économique déterminant l’apparition du livre3. Les recherches comparées
dans le domaine de l’impression du livre ont montré que les nouveaux
phénomènes dans cette sphère étaient liés à la formation de la structure
sociale bourgeoise et qu’indépendamment de certaines différences dans
STOIANOV, Мanio. Bukvi i knigi (Lettres et livres), Sofia 1978 ; LEKOV, Docho.
Literatura – obshtestvo – kultura (Littérature-société-culture), Sofia 1982 ; GERGOVA,
Аni. Knizhninata i balgarite ХІХ – nachaloto na ХХ v. (La littérature et les Bulgares
XIX – début du XX s.), Sofia 1991 ; D’un intérêt particulier pour notre thème sont les
communications du Simposium international Le livre dans les sociétés préindustrielles,
tenu à Athènes en 1981, dont les Actes ont été publiés à Athènes en 1982 ; voir aussi :
PAPACOSTEA-DANIELOPOLU, Cornelia, DEMENY, Lidia. Carte şi tipar în
societatea românească şi sud-est europeană (Secolele XVII–XIX). Bucureşti, 1985 ; Buch
und Verlagen im 18. und 19. Jahrhundert. Beiträge zur Geschichte der Kommunikation im
Mittel- und Osteuropa. Hgg. GÖPFER, H.G., Berlin 1977.
3
Pour plus de détails sur cette question, voir ILIOU, Philippos. Prosthikes stin
Elliniki vivliografia I. Ta vivliografika kataloipa tou E. Legrand kai tou H. Pernot (1515–
1799)(Compléments à la Bibliographie grecque. Les fonds bibliographiques de E. Legrand
et de H. Pernot (1515–1799), Athènes, 1973, p. 36. Nouvelle édition : ILIOU, Philippos.
Istories tou elienikou vivliou (Des Histoires du livre grec) (Éd.) MATTHAIOU, Anna,
POLEMI, Popi, BOURNAZOS, Stratis, Herakleio 2005, p. 27.
2
76
NADIA DANOVA
leur chronologie, chez tous les peuples balkaniques avaient eu lieu des
processus similaires. Le nouveau s’est manifesté dans l’accroissement de
l’intérêt pour les livres de contenu séculier, qui commençaient peu à peu
à concurrencer les livres liturgiques et la littérature religieuse en général.
Sont apparus des livres témoignant de l’accroissement de l’intérêt pour
les sciences et en particulier pour les connaissances positives, liées aux
exigences des Temps modernes. En liaison avec les besoins pratiques de la
bourgeoisie montante, on a vu apparaître chez tous les peuples balkaniques
des manuels de commerce, de comptabilité, de correspondance. Les
changements intervenus dans la structure de la société balkanique ont fait
naître la nécessité de l’apparition de livres destinés à codifier les nouvelles
normes de comportement et de morale, de propager l’étiquette bourgeoise.
Parallèlement à la littérature moralisante, on a vu augmenter le nombre des
livres de caractère divertissant. Dans ces nouveaux livres sont apparus des
termes savants ainsi que des termes exprimant les changements qui s’étaient
produits dans la mentalité collective, comme, par exemple, « mode »,
« moderne », « tolérance religieuse », etc. On a vu augmenter aussi le
nombre des livres de contenu historique, liés au processus de formation des
identités nationales dans cette région de l’Europe.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peuples balkaniques ont commencé
à traduire dans leur langue respective les ouvrages des représentants des
Lumières anglaises, française, allemandes, italiennes et américaines, tels
John Locke, Voltaire, Rousseau, Condillac, Leibniz, Wolf, Franklin,
Jefferson, Beccaria, Newton, etc. On a commencé à élaborer des livres
inspirés par les idées de ces grands hommes, dont les idées relativess aux
problèmes du gouvernement politique, des rapports sociaux, l’Église,
l’éducation, la langue, la science et la morale ont servi de modèle lors
de l’élaboration des plates-formes idéologiques des représentants des
Lumières dans les Balkans.
Les recherches ont montré aussi qu’en raison du caractère spécifique
de formation de la structure sociale de la bourgeoisie dans les Balkans,
la force sociale qui avait joué un rôle principal dans l’organisation de
l’impression et de la diffusion du livre au seuil des Temps modernes était
notamment la bourgeoisie marchande. Les premiers porteurs des nouvelles
idées stimulant les processus de transformation dans les Balkans étaient
également liés aux milieux de la bourgeoisie marchande. En conséquence,
l’impression du livre s’est développée dans des centres culturels qui se
trouvaient dans la plupart des cas dans les pays occidentaux et étaient liés dans
une grande mesure à l’activité économique des commerçants balkaniques.
Très souvent, ces conditions faisaient naître une certaine distance entre les
Sur le chemin difficile de la modernisation...
77
propagateurs des nouvelles idées et leurs compatriotes dans les limites de
l’Empire ottoman, circonstance qui créait des obstacles à la production
et à la diffusion du livre. La spécificité du processus de formation de la
structure bourgeoise des sociétés balkaniques avait déterminé la formation
relativement lente d’une intelligentsia séculaire. Aussi, pour une longue
période, les personnalités liées à l’édition et à la diffusion du livre, étaientelles issues des milieux du clergé. Dans les conditions existantes dans les
Balkans, ce sont précisément les membres du clergé qui avaient les plus
grandes possibilités de recevoir l’éducation et les subsides nécessaires à
une activité d’édition. Cette circonstance a joué un rôle dans la formation
du climat idéologique dans les Balkans et a eu l’importance d’un facteur
entravant la naissance du radicalisme. Le fait qu’une partie importante des
hommes cultivés, liés à la création du livre dans les Balkans, se rattachasse à
l’institution de l’Église orthodoxe orientale qui durant la période envisagée
jouait un rôle conservateur par rapport aux idées des Lumières, a mis son
empreinte sur la production littéraire dans la région.
La consolidation lente de la bourgeoisie dans les Balkans et l’absence
d’institutions culturelles propres, étaient la cause de la large diffusion du
système des souscriptions. Ce système qui était pratiqué en Angleterre au
XVIIIe siècle, était utilisé pour la première fois dans les Balkans en 1749 et
les listes des souscripteurs permettent de faire des observations par rapport
aux problèmes de la sociologie du livre, le public de lecteurs, ainsi qu’au
niveau des mentalités collectives, etc.4 On pratiquait dans les Balkans des
méthodes similaires de réclamer le livre par des annonces, de même que les
préfaces des éditions de cette période étaient chargées des mêmes fonctions.
Des similitudes ont été constatées aussi dans la réalisation des traductions
à partir des langues étrangères, une absence de droits d’auteur, le même
rôle important des institutions médiévales des foires et des marchés dans la
diffusion du livre, etc.
Un problème important lié à la production et à la diffusion du livre
pour lequel nous ne disposons pas encore de renseignements suffisants,
est l’organisation et le fonctionnement de la censure. Sans connaître
le rôle de ce facteur, le tableau de l’impression du livre en Europe du
4
Voir les recherches de notre collègue Philippos Iliou, qui sont fondamentales
dans ce domaine : ILIOU, Philippos. « Pour une étude quantitative du public des lecteurs
à l’époque des Lumières et de la Révolution ». In : Actes du Ier Congrès des Études
Balkaniques et Sud-Est Européennes. Sofia, 1969 ; ILIOU, Philippos. Istories tou ellinikou
vivliou, p. 119 ; ILIOU, Philippos. „Vivlia me syntromites. Ι. Ta hronia tou Diafotismou
1749–1821“ (Livres avec des souscripteurs. I. L’époque des Lumières), O Eranistis, Τ.
12, 1975, pp. 101–179, Τ. 16, 1980, 285–195. Nouvelle édition in : ILIOU, Philippos.
Istories tou ellinikou vivliou, pp. 123–205.
78
NADIA DANOVA
Sud-Est ne serait pas complet. Malheureusement, les données relatives
à cette question sont encore fragmentaires, mais elles méritent d’être
exposées car bien qu’incomplètes, elles donnent une certaine idée du
climat dans lequel travaillaient les créateurs des valeurs spirituelles dans les
Balkans. Les recherches des spécialistes étrangers consacrées à la censure
en Europe occidentale, l’empire des Habsbourg, la Pologne et la Russie5,
fournissent un point d’appui à la comparaison permettant de faire connaître
le mécanisme du fonctionnement de cette institution6.
Nos premiers renseignements sont lies à l’espace culturel grec, mais
pour une certaine période, ce dernier était partagé par les représentants
cultivés des autres peuples balkaniques. S’étant engagée relativement
plus tôt dans la sphère des rapports bourgeois, au XVIIIe et les premières
décennies du XIXe siècle, la société grecque s’était vue dans le rôle
d’intermédiaire entre les réalisations de l’Europe éclairée et les autres
peuples balkaniques. Les restrictions imposées sur cette littérature qui
répondait aux besoins spirituels des non-Grecs, touchaient en pratique les
élites des autres sociétés balkaniques. Les restrictions imposées par l’Église
orthodoxe aux livres grecs étaient en vigueur par rapport à la production
littéraire des autres peuples balkaniques orthodoxes.
En 1700 le prince valaque, Constantin Basarab, demanda l’avis du
patriarcat de Constantinople au sujet de la traduction et de l’édition dans
une langue accessible de l’Exégèse des quatre Évangiles, de Théophilacte
d’Ochrid. La réponse du patriarche Kallinikos et du Saint Synode fut
négative, et il y est souligné entre autre : « le peuple inculte ne comprend rien
à ces choses-là, elles ne lui font que tourner la tête et s’assombrir, cela ne sert
à rien… pour le peuple, il y a une chose, pour les instituteurs – autre chose ;
les choses sages sont pour les hommes sages, les choses saintes – pour les
hommes saints. Toutes les choses ne conviennent pas à tout le monde… »7
5
FEBVRE, Lucien, MARTIN, Henri-J. L’apparition du livre. Paris 1971, pp. 221–
224, 343–347, 412–455 ; WAGNER, H. „Die Zensur in der Habsburger Monarchie 1750–
1810“. In : Buch und Verlagen, pp. 28–44 ; WOJTOWISZ, H. „Zensurbestimmungen
und Zensurpraxis im Polen des ausgehenden 18. und beginnenden 19. Jahrhunderts“. In :
Buch und Verlagen, pp. 44–59, GESEMANN, W. „Grundzüge der russischen Zensur im
18. Jahrhundert“. In : Buch und Verlagen, pp. 60–75 ; MAHIELS, Jerome, Privilège,
censure et index dans les Pays Bas meridionaux jusqu’au début du XVIIIe siècle. Bruxelles
1997 ; WEIL, Françoise. Livres interdits, livres persécutés, 1720–1770. The Voltaire
Foundation, Oxford, 1999 ; BIRN, Raymond. La Censure royale des livres dans la France
des Lumières. Odile Jacob, Paris, 2007.
6
Malheureusement l’étude d’Adrian MARINO. Cenzura în România. Cluj, 2000,
fut inaccessible pour nous.
7
ILIOU, Philippos. Prosthikes stin elliniki vivliografia, pp. 32–33. Nouvelle
édition : ILIOU, Philippos. Istories…, pp. 23–24.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
79
Des premières décennies du XVIIIe siècle date le cas de Méthodios
Anthrakitis, instituteur et homme de lettres hautement cultivé, qui
enseignait dans la célèbre, en ce temps, école de Jannina. Comme il est
notoire, parmi ses élèves se trouvait aussi le Bulgare Partenii Pavlovitch,
de Silistra. Anthrakitis est le premier homme de lettres à avoir appliqué
dans les Balkans le système de la souscription. Il imprima un livre de
mathématiques dont l’apparition ne dépendait plus des subsides de
l’institution ecclésiastique, mais de la volonté d’un certain nombre de
personnes de soutenir son entreprise. Antrakitis, qui avait fréquenté les
universités occidentales, publia aussi un ouvrage consacré aux différentes
religions, où il soumet à une critique violente le clergé, pour son ignorance
et sa cupidité. Aussi, s’attira-t-il la colère du patriarcat de Constantinople
qui l’anathématisa comme hérétique8.
Le « Nomocanon » de Georgios Trapézoundios, qui date de la même
période, témoigne des critères exigés par l’Église en ce qui concerne le
choix de livres que devait lire le chrétien orthodoxe. Les seules lectures
recommandées étaient les livres liturgiques, tous les autres livres étant
« étrangers » et « diaboliques ». Trapézoundios en fournit les explications
suivantes : « Si tu veux lire des livres historiques, tu as les livres des Rois
dans l’Ancien Testament, si tu a le goût de la généalogie, tu as la Genèse,
si tu as l’appétit de lire des lois et des ordonnances, tu as la loi orthodoxe
de Dieu, notre Seigneur »9.
D’ailleurs voici quelques exemples qui révèlent un aspect un peu plus
différent de la position de l’Église à l’égard des connaissances. Datant
des premières décennies du XVIIIe siècle, le livre de Chrissantos Notaras
(1717), patriarche de Jérusalem hautement cultivé, témoigne d’une attitude
relativement plus pondérée de l’Église vis-à-vis des différentes visions
du monde. L’auteur défend la théorie géocentrique, mais dans le même
temps, il présente touts les schémas de Copernic, sur lesquels repose sa
théorie héliocentrique. En 1750, le patriarcat de Constantinople stigmatisa
officiellement la Franc-maçonnerie et la littérature qui y était liée10.
En 1766, Nikiphoros Théotikis, un homme d’Église hautement cultivé,
MIHAILARIS, Panagiotis. Aforismos. I prosarmogi mias poinis stis anagkaiotites
tis Tourkokratias (Excommunnication. L´adaptation d´une punition aux besoins de
l´époque de la domination ottomane). II éd., Athènes, 2004, p. 125, 395–398.
9
PAPASTATHIS, Haralambos. „Nomokanon Georgiou Trapezountiou“
(Nomocanon de Georgios Trapézoundios). Epetiris tou Kentrou Erevnas tou Elinikou
Dikaiou tis Akadimias Athinon. Τ. 27–28, 1980, 1981, Athènes, 1985, p. 384.
10
DIMARAS, Konstantinos. Istoria tis neoellenikis logotehnias (Histoire de la
littérature néo-hellénique), Athènes, 1975, p. 167 ; DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos
Diafotismos (Les Lumières grecques), Athènes, 1980, pp. 65–66, 90.
8
80 NADIA DANOVA
édita une « Physique » où il soutenait la théorie de Copernic et avançait
des points de vue qui le rapprochaient du matérialisme11. En 1768, un autre
représentant du clergé orthodoxe d’Orient, Eugénios Vulgaris, élabora
un ouvrage sur la tolérance où il introduisit pour la première fois dans la
langue grecque le terme de « tolérence religieuse ». Voulgaris est le premier
traducteur de Voltaire en grec12. En 1781, le célèbre instituteur et homme
de lettre, Jossipos Missiodakas, édita une « Théorie de la géographie » où
figuraient les thèses de Newton, de Locke, etc. Dans ce livre sont exposée
parallèlement la théorie héliocentrique et la théorie géocentrique, l’auteur
évitant avec tact de prendre position sur cette question épineuse13.
À peu près à la même époque, on s’adressa à Nikiphoros Théotokis
afin qu’il se prononça sur la question de l’authenticité du Feu sacré de
Jérusalem. Le représentant du Haut clergé répondit que « ni le feu descend
du ciel, ni surgit de la tombe », mais que cela ne devait pas être connu de la
majorité des chrétiens car cette idée pourrait les repousser14.
Les exemples énumérés représentent une partie des cas permettant de
caractériser l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis du problème « quelle
sorte de livres lire ». Ils témoignent cependant d’une certaine ambiguïté
ainsi que de l’absence d’une prohibition systématique ou préméditée des
livres s’écartant plus ou moins de la tradition consacrée. Cette position de
l’Église allait changer brusquement après l’éclatement de la Révolution
française. Un changement radical s’opéra aussi dans l’attitude de la
protectrice des Orthodoxes, Catherine II, vis-à-vis des philosophes des
Lumières, avec lesquels l’impératrice se flattait jusqu’à ce moment-là
d’entretenir des relations. L’exécution du roi français, Louis XVI, l’hiver
de 1793, servit comme un signal de mobilisation aux adversaires des idées
des Lumières. L’admirateur susmentionné de Voltaire, Eugénios Vulgaris,
qui était de l’entourage de Catherine II, écrivit une série d’ouvrages contre
les philosophes français. Nikiphoros Théotokis, qui était également au
service à la cour russe, traduisit en 1793 en grec le livre en trois volumes de
l’adversaire de Voltaire, José Clémence, sans indiquer le nom de l’auteur,
KONDYLIS, Panagiotis. „To provlima tou ylismou stin filosofia tou Ellinikou
Diafotismou“ (« Le problème du matérialisme dans la philosophie des Lumières
grecques »), O Eranistis, Τ. 17, 1981, pp. 214–216.
12
DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, p. 10, 143, 148–151.
13
KITROMILIDIS, Pashalis. I. Moisiodax. Oi syntetagmenes tis valkanikis skepsis
tou XVIII aiona. (I. Moisiodax. Les coordonneées de la penseée balkanique au XVIII
siècle), Athènes, 1985, pp. 177–189.
14
KORAIS, Adamandios. „Dialogos peri tou en Ierosolymois agiou fotos »
(« Dialogue sur le feu sacrée à Jérusalem“). Ιn : KORAIS, Adamandios. Apanta. Éd.
VALETAS, Georgios, T. I, Athènes, pp. 691–693.
11
Sur le chemin difficile de la modernisation...
81
dans le désir évident de s’assimiler à un auteur attaquant aussi violemment
Voltaire. En 1793, le patriarcat de Constantinople condamna officiellement
« la nouvelle philosophie », c’est-à-dire les idées des Lumières. Il
anathématisa l’intellectuel grec, Christoforos Pamplékis, qui contribua
beaucoup à la propagation parmi les peuples balkaniques des idées de la
Révolution française et avant tout de l’Encyclopédie de Diderot15.
En 1794, le patriarcat de Constantinople réagit négativement à
l’apparition de la traduction grecque de l’ouvrage de Fontenelle, « De la
pluralité des mondes », défendant la théorie de Copernic et la physique
de Newton. En 1797, Sergios Makréos, professeur à l’École patriarcale,
écrivit un ouvrage volumineux contre Copernic. Dans la quantité énorme
de littérature élaborée par des représentants du clergé, liés au Patriarcat de
Constantinople, le nom de Voltaire était devenu le symbole de tout ce qui
était funeste pour l’orthodoxie et il était confondu avec l’idée de la francmaçonnerie16.
C’est de la première moitié du XVIIIe siècle que datent aussi les
réactions contradictoires des institutions musulmane officielles de l’empire
Ottoman, liées avec la première tentative d’imprimer des livres en langue
ottomano-turque. La fondation et le fonctionnement de la première
imprimerie ottomane en 1726–1746, est le produit de la période appelée
« Lyale devri » – « L’époque des tulipes » (1718–1730) dans l’histoire
de l’empire – période d’ouverture temporaire à la culture européenne,
conséquence des nouveaux phénomènes dans le développement politique
et social de l’État ottoman17. La conception et la fondation de l’imprimerie
par Ibrahim Müteferika, un Hongrois qui s’était converti à l’islam, la
légalisation de tout le processus de production de cette imprimerie, étaient
le résultat des tendances pro-modernistes des milieux dirigeants qui avaient
pris le dessus sur les milieux religieux18.
Les contacts de plus en plus nombreux entre les Balkans et l’Europe
occidentale à la suite de l’inclusion de la région balkanique dans le marché
capitaliste, compliquaient au plus haut point la tâche des institutions
religieuses défendant la tradition, de protéger leurs ouailles des influences
extérieures. Pour le patriarcat de Constantinople, il devenait de plus en plus
DIMARAS, Konstantinos. Neoellenikos Diafotismos, pp. 154–159, 351.
Ibid., 90–97, 350–351 ; Sur cette question, voir aussi : CAMARIANO, Ariadna.
Spiritul revoluţionar francez şi Voltaire in limba greacă şi română. Bucureşti, 1946, pp.
29–77.
17
SABEV, Orlin. Parvoto osmansko pateshestvie v sveta na pechatnata kniga
(1726–1746). Nov pogled (Le premier voyage ottoman dans le monde du livre imprimé.
Un nouveau regard), Sofia, 2004, pp. 30–46.
18
Ibid., pp. 137–144.
15
16
82 NADIA DANOVA
difficile de faire arrêter l’impression de la littérature prohibée dans les grands
centres européens, le fruit de l’activité des hommes cultivés concentrés à
Paris, Leipzig, Venise et Vienne. Les efforts du clergé orthodoxe d’Orient
de consolider la barrière entre les chrétiens des Balkans et l’Europe
occidentale, trouvèrent leur expression dans une stratégie délibérée
concernant l’organisation des mesures contre l’influence des « impies ».
C’est notamment de cette époque que date la première information relative
à l’introduction de la pratique de « l’imprimatur », autorisation d’imprimer
accordée par l’Église à un ouvrage. En 1798, il existait déjà une commission
spécialement constituée dans le but de contrôler la fidélité à l’orthodoxie
des livres portés à l’imprimerie. De la même année (1798) date aussi
l’ouvrage de Athanassios Parios, un ecclésiastique proche du milieu du
Patriarcat, où celui-ci déclarait que les livres des « philosophes », c’est-à
dire des porteurs des nouvelles idées, devaient être stigmatisés et brûlés19.
Avec l’entrée des sociétés balkaniques dans l’époque des révolutions
de libération nationale, le cercle des livres « indésirables » s’étendait. Et
si dans la période précédente la lutte du patriarcat de Constantinople était
concentrée principalement sur la restriction de la littérature menaçant son
monopole sur la vie spirituelle des Orthodoxes, maintenant le Haut clergé
s’identifiait au pouvoir politique devant lequel il répondait de la fidélité de ses
ouailles. En 1797 fut arrêté l’idéologue de la révolution nationale grecque,
Rigas Vélistinlis. Rigas était non seulement initiateur et organisateur d’un
soulèvement commun de tous les peuples balkaniques contre la Sublime
porte, mais aussi un brillant admirateur des idées des Lumières et de la
Révolution françaises. Les documents qu’il avait élaborés, concernant
l’organisation future des Balkans libres, représentent une adaptation aux
conditions balkaniques de la législation de la France révolutionnaire. En
1798, le patriarcat de Constantinople édita une encyclique qui interdisait la
constitution de Rigas, imprégnée par les principes de « Liberté, fraternité et
égalité »20. Les milieux liés au patriarcat de Constantinople faisaient paraître
une brochure spéciale, intitulée « Sermon paternel ». Par des citations de
la Bible, on y démontre que pour l’homme, seule la liberté spirituelle avait
de l’importance, et cette liberté était garantie par le pouvoir du sultan. Le
pouvoir ottoman était envoyé aux Orthodoxes par Dieu pour les protéger du
pape romain. Les principes religieux consacraient et légalisaient le pouvoir
du sultan et celui qui se révoltait contre lui, était un impie. La démocratie
à laquelle tant d’hommes aspiraient, n’était autre que désordre et ruine.
DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, pp. 163–164, 259, 306–307,
19
450.
Ibid., p. 142.
20
Sur le chemin difficile de la modernisation...
83
Ce passage démonstratif à la défense du pouvoir ottoman est interprété par
le représentant des Lumières grecques, Adamantios Koraïs, comme une
preuve que « l’auteur turcophile soit disant avait peur que la liberté allait
renverser la sainte religion chrétienne. Par cela, il montre indéniablement
qu’il croit en Mahomet et non en Jésus-Christ ». Koraïs rédigea une
brochure spéciale en réponse à la brochure patriarcale, car il redoutait que
les étrangers penseront que « nous ne sommes pas seulement des esclaves,
mais aussi des amis de l’esclavage, non seulement enchaînés, mais fiers
de nos chaînes, et nous embrassons avec un respect servile le fouet dans
la main du tyran »21. Or, Koraïs était parmi les plus brillants intellectuels
grecs, auteurs de livres « indésirables » pour l’Église.
Voici un ouvrage qui va compléter nos idées des critères selon lesquels
un livre pouvait se retrouver dans la catégorie des « livres prohibés » dans
cette période-là. Il s’agit de l’ouvrage monumental de Nikodimos du Mont
Athos, un influant ecclésiastique grec, étroitement lié avec le Patriarcat. En
1800, il édita le livre volumineux, intitulé « Gouvernail », où sont exposées
les règles observées par les vrais Orthodoxes. Le chrétien raisonnable
ne devait pas lire « les livres destructeurs des impies, car ils nuisent aux
faibles (pour ne pas dire les forts) dans la foi ». Nicodème énumère les
livres portant préjudice à la foi, qu’on devait brûler et leurs lecteurs punis.
Ce sont les ouvrages de « l’athéiste » Voltaire, les récits populaires du type
de « Bertholdo », les contes de Halima, c’est-à-dire les contes de Mille et
une nuits, ainsi que les romans d’amour, comme « La Bergère des Alpes »,
les récits de Lucien, etc. Tous ces livres qui divertissaient et faisaient rire,
étaient nuisibles à la foi, car le rire rendait l’âme molle et paresseuse faisait
oublier aux hommes la peur de la mort et du Jugement dernier22.
Les premières décennies du XIXe siècle sont des années où la censure
patriarcale prenait des contours plus précises. Stéphanos Doungas et
Néophytos Dukas, de célèbres instituteurs et auteurs de nombreux ouvrages,
étaient accusés d’éréthisme et leurs livres anathématisés23. Les ouvrages du
leader du courant radical des Lumières grecques, Adamantios Koraïs, qui
vivait et travaillait à Paris, devinrent l’objet de violentes attaques de la part
des milieux liés au Patriarcat. Peu à son nom était devenu pour les milieux
conservateurs le symbole d’athéisme.
Pour plus de détails sur cette question, voir : DANOVA, Nadia. „Razrivat mezhdu
gratskite vazrozhdentsi i Tsarigradskata patriarshiia“ (« La rupture entre les militants des
Lumières grecques et le Patriarcat de Constantinople »). In : Izvestia na Balgarskoto
istorichesko druzhestvo. T. ХХVІІ, Sofia, 1970, pp. 42–44.
22
NIKODIMOS AGIORITIS. Pidalion (Gouvernail), Leipzig, 1800, pp. 6–7, 31.
23
DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, pp. 344–345.
21
84 NADIA DANOVA
Au 1819, il existait déjà un « Index », liste des livres prohibés. Comme
le fait souligner le grand spécialiste de la littérature grecque et balkanique,
Konstantinos Dimaras, dans les années de préparation de la révolution
grecque de 1821–1828, « rient n’était déjà suffisamment orthodoxe pour
le Patriarcat »24. Celui-ci créa une imprimerie dans le but de concentrer
l’impression des livres à Constantinople sous le contrôle de l’Église. En
1819, le patriarche Grégoire V édita une encyclique où il condamnait les
sciences positives, surtout les mathématiques et la littérature scientifique
en général, ainsi que les nouvelles théories sur le problème linguistique,
celles qui exigeaient une langue littéraire accessible à tous. Dans le même
temps, il critiquait violemment la pratique de donner aux enfants des noms
de l’antiquité grecque. Il recommandait d’insister sur l’enseignement de la
grammaire, la logique et la religion25. Dans son analyse de ce document,
Philippos Iliou fait souligner à propos que dans ce cas étaient sans conteste
visés Koraïs et ses partisans, qui bientôt seront proclamés comme « le
parti de Koraïs »26. En 1820, le Patriarcat diffusa un pandahousa où il
annonçait le rétablissement de l’imprimerie patriarcale et fixait les cadres
idéologiques de la future activité d’édition. Il y était clairement indiqué
que les ouvrages ne devaient pas être « des livres contenant des idées
adverses et dont l’édition aurait ternit l’éclat de notre sincère soumission »
au pouvoir ottoman, de même que ces livres ne devaient pas « offenser
les représentants ecclésiastiques et séculiers de notre peuple », ce que font
« malheureusement certains de nos compatriotes vivant en Europe »27.
On y exposait aussi des mesures visant d’imposer la censure à des livres
qui circulaient à Constantinople. De la même année (1820) datent les
lettres de nombreux hommes cultivés, dont l’un est le Bulgare Nicola
Piccolo, proche ami et collaborateur de Koraïs, décrivant l’organisation de
la censure patriarcale et son fonctionnement. Au printemps de la même
année, le Patriarcat édita une instruction à l’intention des librairies, leur
défendant de vendre des livres qui n’auraient pas été soumis préalablement
au contrôle de l’Église. Le contrôleur suprême de la censure était Ilarion
de Crète, le futur métropolite de Tărnovo, considéré comme l’inspirateur et
Ibid., p. 165, 450.
DIMARAS, Konstantinos. Neoellenikos Diafotismos, pp. 366–368.
26
ILIOU, Philippos. „Tyfloson Kyrie ton laon sou”. Oi proepanastatikes kriseis
kai o N.P. Pikkolos” (« “Dieu, aveugle ton people”. Les crises à la veille de la révolution
grecque »). Ιn : Neoellenikos Diafotismos, Afieroma ston K.Th. Dimara. Athènes, 1980,
pp. 580–626, II éd., Athènes, 1988, p. 46–48 (les pages sont indiquées d’après l’édition de
la recherche de Philippos Iliou, de 1988).
27
Ibid., p. 48.
24
25
Sur le chemin difficile de la modernisation...
85
l’organisateur de l’imprimerie patriarcale et en particulier de la censure28.
D’après le témoignage d’un des représentants des Lumières grecques,
Konstantinos Koumas, les livres « internes et externes », c’est-à-dire
livres imprimés à Constantinople et livres imprimés hors de la ville,
étaient soumis au contrôle par Ilarion de Crète en personne. De son côté,
Nicola Piccolo écrit le suivant : « Maintenant la Sainte Inquisition est déjà
complète. Rien à Constantinople ne peut être imprimé ou vendu s’il n’a
pas été inspecté préalablement par Ilarion »29. En 1820, à Constantinople
on brûla publiquement la brochure « Réfexions de Kriton » où son auteur
revendiquait l’égalité de tous devant la loi, la souveraineté des lois et la
restriction des prérogatives du clergé dans les affaires de l’Église30.
Le début de l’insurrection grecque de 1821–1828 était accompagné par
des gestes de fidélité des la part du Haut clergé orthodoxe, ce qui provoqua
la rupture entre le Patriarcat et les Grecs insurgés. La politique générale
du Patriarcat donna raison à Koraïs, qui continuait à jouer un grand rôle
pour le nouvel État grec en train de se former, de demander que la Grèce
libre ne reconnût plus la souveraineté du patriarche de Constantinople. Une
des premières mesures des autorités grecques après la reconnaissance de
l’indépendance grecque, fut la création en 1833 d’une Église autocéphale
et indépendante de Constantinople. La même année, le Patriarcat entreprit
de se venger de son adversaire Koraïs en défendant qu’on célébrât une
liturgie en sa mémoire, ce qui avait le poids d’un anathème31.
Les renseignements suivants relatifs au fonctionnement de la censure
dans l’Empire ottoman, se rattachent aux années 1830. En 1836, le patriarche
de Constantinople, Grégoire VI créa une Commission ecclésiastique
centrale, qui avait pour but de neutraliser l’activité des missionnaires
protestants en Europe du Sud-Est. Une partie de la documentation, liée à
l’activité de cette commission, s’est conservée jusqu’à nos jours à Athènes,
au Musée « Em. Benaki », et elle permet de juger des mesures entreprises
contre les « luthéro-calvinistes » ou encore les « anglo-américains »,
comprenant la confiscation et la destruction par le feu des livres édités
avec l’appui des protestants, indépendamment de leur contenu32.
Il importe d’attirer l’attention sur l’argumentation complexe utilisée par
Ibid., 56–57.
Ibid., p. 59.
30
Ibid., 59–60.
31
Pour plus de détails sur cette question, voir : DANOVA, Nadia. „Razrivat“…, pp.
51–53.
32
Mouseion Emm. Mpenaki. Vivliothiki (Musée Emm. Benaki. Bibliothèque).
Codex 69. Codex I., 1836.
28
29
86 NADIA DANOVA
la commission, par laquelle il était ordonné aux métropolites locaux de
confisquer et de brûler la littérature liée à l’activité des protestants, car
« elle va corrompre notre sainte foi, notre caractère national, notre langue
et nos nobles et valeureuses croyances, chères à nos ancêtres »33. Un des
résultats de l’entière mobilisation de l’Église orthodoxe d’Orient furent
les bûchers dressés dans les cours des églises de nombreuses villes et
villages, sur lesquels on brûla les livres prohibés. Nous pouvons juger des
autodafés organisés par l’Églises orthodoxe à travers l’empire d’après la
correspondance de la Commission ecclésiastique, qui recevait des rapports
détaillés qui rendaient compte de ce qui a été fait sur place conformément à
ses instructions34. J’ose affirmer que les autodafés organisés par l’Église à
l’intention de la littérature liée aux protestants, ont contribué énormément à
la création et à la rapide diffusion des mythes, chers à certains représentants
du XIXe siècle bulgare, des livres et des manuscrits bulgares brûlés par les
Grecs dans le but de l’hellénisation des Bulgares35.
Des années 1830 date aussi le premier renseignement relatif à la
présence de la sombre institution de la censure dans l’esprit des Bulgares
de cette période, liés à l’impression du livre. Nous rencontrons pour la
première fois le mot « Censure » dans la « Brève description d’Histoire
universelle », éditée en 1836, par Anastas Kipilovski, lettré et instituteur
bulgare. Kipilovski fait part que le roi français Charles X avait supprimé la
censure et profite de l’occasion pour expliquer à ses compatriotes ce que
veut dire le mot « censure » : « Quand quelque part, quelqu’un veut imprimer
un livre, on l’examine d’abord afin de voir s’il n’y ait pas des choses qui
soient contraires aux règles civiles et ecclésiastiques, ou en général s’il
n’est pas contre l’intérêt de ce lieu, et si on le trouve bon, on permet à ce
quelqu’un de l’imprimer. Ce tribunal du livre est appelé Censure »36.
Kipilovski, qui vivait principalement hors de l’Empire ottoman et
avant tout dans les Principautés danubiennes, expose son opinion que les
Bulgares devaient imprimer leurs livres dans des pays où il y a une censure,
Ibid., f. 8 а.
Sur l’activité de cette commission, voir : DANOVA, Nadia. Konstantin Georgiev
Fotinov v kulturnoto i ideinopoliticheskoto razvitie na Balkanite prez XIX vek (Konstantin
Georgiev Fotinov dans le développement culturel, idéologique et politique des Balkans au
XIX siècle). Sofia, 1994, pp. 106–107.
35
TRIFONOV, Iurdan. „Predanieto za izgorena starobalgarska biblioteka v
Tărnovo“ (« Le mythe d’une bibliothèque ancienne bulgare brulée à Tarnovo »), Spisanie
na Balgarska akademiia na naukite, kn. 14. Klon Istoriko-filologitcheski i filosofskoobshtestven. Sofia, 1917, pp. 1–42.
36
KIPILOVSKI, Anastas. Kratkoe natchertanie na vseobshtata istoriia (Précis de
l’Histoire générale), Budim, 1836, p. 160.
33
34
Sur le chemin difficile de la modernisation...
87
afin que le gouvernement ottoman ne regardât pas avec méfiance à leur
livre37. Il est évident que ce lettré bulgare pense à l’union entre tous les
partisans des principes du légitimisme sur la base duquel les livres devaient
être censurés. D’ailleurs, chaque Bulgare de cette période-là, s’occupant
d’activité littéraire, savait par quel contrôle devaient passer les livres en
Russie avant d’être imprimé, puisqu’il pouvait lire dans les livres bulgares
parus à Odessa, que ces derniers étaient imprimés avec l’approbation
des employés à la Censure, K. Zelenetski et B. Pahman38. Or, c’était une
censure réalisée d’après les principes de la Russie de Nicolas Ier, formulés
clairement par S.S. Ouvarov, qui était à la tête en 1833–1849 du ministère
de l’Éducation nationale. C’est précisément Ouvarov qui formula en 1832
la doctrine d’État « Théorie de la nationalité officielle », qu’il formula par
les mots « orthodoxie, autocratie, nationalité », qui s’opposaient à la devise
révolutionnaire de « Liberté, fraternité et égalité »39.
C’est dans les archives de l’instituteur bulgare à Karlovo, Raino
Popovitch que nous découvrons un document qui jette de la lumière sur
certains détails du fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman.
Une annonce s’est conservée, imprimée le 11 avril 1842 à Constantinople,
qui nous apprend que les livres déclarés le 3 avril 1842 par un autre
instituteur bulgare Ivan Dimitrievič, sont déjà « en vente libre et sans
obstacles ». L’annonce se termine par la phrase : « à cause de quoi il est
diffusé et la présente est scellée par la Commission ecclésiastique de la
censure »40. L’autorisation citée, c’est-à-dire l’imprimatur, figure sur une
série d’annonce pour des éditions bulgares au XIXe siècle. L’autorisation
de la censure de la Commission ecclésiastique figure aussi sur le livre
SNEGAROV, Ivan. Prinos kam biografiiata na Raino Popovitch (Contribution à
la biographie de Raino Popovitch). Sofia, 1959, p. 206.
38
Sur ces édition, voir : STOIANOV, Manio. Balgarska vazrozhdenska knizhnina
(Littérature bulgare de l’ époque de la Régenération nationale). Т. І, С., 1953, с. 5, 25, 58.
39
DOSTAL, M.Iu. „Ob elementah Romantizma v ruskom slavianovedenii vtoroi
treti XIX v. (Po materialam periodiki)“ /« Sur les éléments du Romantisme dans les études
slaves du deuxième tiers du XIX s. (D’après les matériaux dans la presse) ». Slavianovedenie
i balkanistika v otetchestvennoi i zarubezhnoi istoriografii. Moscou, 1990, pp. 16–17 ;
VALITSKII, Andrei. „V krugu konservativnoi utopii“ (« Dans le cercle de l’utopie
conservative »). Slavianofilstvo i zapadnichestvo: konservatiovnaia i liberalnaia utopiia
v rabotah Andzheia Valitskogo. (Éd.) GALITSEVA, R.A.P. 1, Moscou, 1991, p. 24 sq. Je
tiens à remercie ma collègue, Keta Mirčeva, qui a aimablement mis à ma disposition ces
ouvrages.
40
Archives scientifiques de l’Académie bulgare des sciences, f.4 К, No 55.
L’annonce est écrite en grec. Publiée dans : Obiavleniia za balgarski vazrozhdenski
izdaniia (Annonces des éditions bulgares au XIX siècle). (Éds.) DANOVA, Nadia,
DRAGOLOVA, Lidiia, LACHEV, Mitko, RADKOVA, Rumiana. Sofia. 1999, pp. 69–70.
37
88 NADIA DANOVA
Instruction orthodoxe, du moine bulgare Ilarion Makariopolski, édité
en 1844 et imprimé à l’Imprimerie patriarcale de Constantinople41.
Quelques années plus tard, en 1859, Ilarion figure parmi les membres de la
Commission patriarcale de la censure42.
Ne pas respecter la censure patriarcale avait pour conséquence la
confiscation de l’édition qui n’avait pas reçu une autorisation spéciale.
Nous observons des cas analogues en liaison avec la traduction du Nouveau
Testament, éditée en 1840 par le moine bulgare Néophyte du Rila. À
l’occasion de cette édition, le patriarche de Constantinople, Anthymos
IV, envoya au monastère du Rila et aux métropolites dans les éparchies
bulgares, un décret où il ordonne la confiscation de l’édition de Néophyte
et son envoi à Constantinople43. Anthymos IV adressa la même ordonnance
au chef de l’Église de la Principauté serbe, le métropolite Pierre, qui
devait lui aussi prendre en considération les critères du chef spirituel de
tous les Orthodoxes, au sujet des livres qu’on devait lire. La même mesure
concernait aussi l’autobiographie, diffusée parmi les Serbes et les Bulgares,
du remarquable représentant des Lumières serbes, Dositei Obradovitch, qui
était entré dans un conflit violent avec l’Église44.
Il convient de citer encore un exemple, révélant le mécanisme de
la censure exercée par l’Empire ottoman. Il devient évident, des lettres
du directeur de l’École de théologie dans l’île de Halki, Konstantinos
Tipaldos, que le patriarche Anthymos VI avait ordonné que les livres
édités dans l’Empire ottoman fussent contrôlés par les instituteurs slaves
qui enseignaient dans cette école. Or, on sait que dans l’école en question
enseignaient les lettrés bulgares, Néophyte du Rila et Ivan Dimitrievitch45.
Les livres ne devaient contenir rien qui fût « contre la religion et la
politique »46, autrement dit le pouvoir ecclésiastique était autorisée
41
STOIANOVICH, Ilarion. Pravoslavnoe ouchenie (Enseignement orthodoxe).
Istanbul, 1844.
42
Tsarigradski vestnik (Journal d’Istanbul), Х, № 447, le 5 septembre 1859.
43
RADKOVA, Rumiana. Neofit Rilski i novobalgarskata kultuta (Neofit Rilski et la
nouvelle culture bulgare). Sofia, 1975, pp. 106–107.
44
DELIKANIS, Kallinikos. Patriarhika eggrafa (Documents du Patriarcat de
Constantinople). T. III, Istanbul, 1905, pp. 757–759.
45
ROUMBOS, Dimitrios. Balgarski prepodavateli i utchenitsi v Bogoslovskoto
utchiliste na o. Halki 1844–1903 (Instituteurs et élèves bulgares à l’école théologique de
Halki 1844–1903). Veliko Tărnovo, 2007.
46
METALLINOS, Georgios, METALLINOU, Varvara. Arheion tis Theologikes
sholis tis Megalis tou Hristou ekklisias hieras Theologikis Sholis Halkis. Sholarhia
Konstantinou Typaldou-Iakovatou, 1844–1864 (Archives de la sainte École théologique
de la Grande Église du Christ à Halki. Les années sous la direction de Konstantinos
Typaldos-Iakovatou, 1844–1865), Τ. I, Athènes, 1985, p. 239.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
89
d’exercer la censure par rapport non seulement à des questions concernant
la religion, mais aussi par rapport aux idées politiques des auteurs.
Nos idées sur le fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman
deviennent plus complètes après avoir pris connaissance des tribulations
des rédacteurs des premières éditions périodiques bulgares, « Liuboslovie »
de Konstantin Fotinov, et « Bălgarski orel » de Ivan Bogorov. L’histoire
du « Liuboslovie » (1842, 1844–1846) témoigne des difficultés que devait
surmonter celui qui voulait obtenir l’autorisation du pouvoir ottoman
d’éditer un journal ou une revue. Cette autorisation lui était accordée
après de nombreuses requêtes, intercessions de personnalité en vue, etc.
Comme on sait, en 1842 à Smyrne, était imprimé l’exemplaire d’essai du
« Liuboslovie ». Quelque mois plus tard, après l’apparition de cette annonce
imprimée, à Smyrne courut le bruit que le Patriarcat avait interdit la revue47.
Après l’intervention de certains Bulgares influents à Constantinople, la
revue continue à paraître régulièrement à Smyrne à partir du début de 1844.
Dès le premier numéro, Fotinov s’adresse à ses lecteurs leur annonçant les
conditions de publication des articles et les avertissant : « Si quelqu’un a
quelque chose à dire, qui soit conforme à la langue bulgare et à la morale et
ne soit pas opposé aux chefs et aux autorités au pouvoir, qu’il soit aimable
de me l’envoyer »48.
Un peu plus tard, les conditions de publication des articles dans la
revue deviennent plus détaillés : « Chaque article doit être signé. Celui
où il y a quelque désaccord, c’est-à-dire s’oppose aux autorités civiles
ou ecclésiastiques, ou bien vise personnellement quelqu’un ; il nous est
désagréable dans cette revue. Nous sommes obligés de ne présenter que des
articles bons et louables, alors que les autres, les blâmables, les anonymes,
ils montrent eux-mêmes qu’ils ne sont pas bons »49.
Au début de la parution régulière de la revue en 1844, Rali Mavridi,
son représentant pour Constantinople, fait part à Fotinov qu’il n’avait pas
pu affranchir de la poste les exemplaires de « Liuboslovie » imprimés à
Smyrne, car ceux-ci devaient être examinés d’abord par un Turc, envoyé
par Ahmed pacha, un fonctionnaire haut placé, et aussi par un diacre envoyé
par le Patriarcat. Ce n’est qu’après avoir établi que la revue « n’offensait
personne », qu’elle « ne contenait rien d’outragent ni par rapport au pouvoir,
ni par rapport à la religion »50, la revue pouvait être diffusée à travers l’Empire.
DANOVA, Nadia. Konstantin Georgiev Fotinov, p. 230.
Liuboslovie, I, p. 16.
49
Ibid., ІІ, p. 32.
50
Arhiv na Konstantin Georgiev Fotinov. T. 1. Gratska korespondentsiia (Les
archives de Konstantin Georgiev Fotinov. T. 1. Correspondance grecque). (Éd.) DANOVA,
47
48
90 NADIA DANOVA
La correspondance de Fotinov nous révèle aussi une étape suivante
de la censure des livres. L’évêque de Vraca, Agapii, informe Fotinov qu’
« il existe chez nous un ordre intérieur et extérieur interdisant de recevoir
des livres qui ne soient pas examinés par la Commission ecclésiastique de
Constantinople »51. La revue se trouvait encore sous le contrôle du Patriarcat
l’année suivante (1845), lorsque Rali Mavridi n’arrive pas à affranchir de
la douane les exemplaires de « Liuboslovie » avant que quelqu’un, envoyé
par le Patriarcat, « ne les examine et ne dise de quelle sorte de livres il
s’agissait »52.
C’est toujours en 1845 que Rali Mavridi fait savoir à Fotinov que
hadji Iordan (c’est-à-dire le lettré bulgare Ivan Seliminski), lui a dit « qu’il
avait quelques ouvrages, composés à partir de livres en d’autres langues,
grec, italien, français. Tous ces livres étaient traduits en grecs et il voulait
maintenant qu’ils fussent traduits en bulgares. Ces ouvrages parlaient
contre les évêques et s’il y trouvait moyen de les traduire, de lui les
envoyer pour les publier, mais sans qu’ils fussent examinés par la censure,
et une fois publiés de cette manière – distribués gratuitement parmi nos
compatriotes »53. Nous ne connaissons pas la réponse de Fotinov, mais
il avait rejeté probablement cette offre, car il avait déployé le maximum
d’efforts pour garantir l’existence d’une édition périodique légale.
Malgré tous ses efforts en vue de proposer une revue éducative qui
n’irritât pas les autorités, Fotinov n’arrivait pas à éviter les attaques de ses
adversaires idéologiques. Sa tentative de considérer les différentes religions
comme équivalentes et sa tolérance religieuse étaient interprétés par certains
orthodoxes fanatiques comme protestantisme. Ses adversaires s’efforçaient
de convaincre les lecteurs bulgares que celui qui lisait le « Liuboslovie »
deviendrait franc-maçon et que Dieu ôterait la prospérité de sa maison54.
Fotinov s’est attiré la critique de quelques hommes influents, tel Vassil
Aprilov, un riche négociant bulgare séjournant à Odessa55, et de l’historien
russe d’Odessa, Murzakevitch, qui ne pouvaient pas accepter son projet
Nadia. Sofia, 2004, pp. 280–282, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne,
Constantinople, le 31 mai 1844.
51
Ibid., pp. 47–51, Lettre de l’évêque de Vraca, Agapii, à K. Fotinov à Smyrne,
Vraca, 1845.
52
Ibid., pp. 309–313, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne,
Constantinople, le 24 janvier 1845.
53
Ibid., pp. 326–328, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne,
Constantinople, le 14 août 1845.
54
Liuboslovie, І, p. 125.
55
Archives de Konstantin Georgiev Fotinov, pp. 537–539.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
91
de modernisation qui suit les modèles occidentaux56. De son côté, cela
signifiait que le « Liuboslovie » se voyait privé de souscripteurs à Odessa
où étaient concentrés alors de nombreux et riches négociants bulgares.
Le rôle de la censure apparaît aussi dans l’histoire de « Mirozrenie »
(1850–1851), une revue que le Bulgare Ivan Dobrovski faisait paraître à
Vienne. Dobrovski était arrivé à Vienne l’été de 1849 où il avait commencé
à éditer sa revue, avec l’appui des représentants de l’intelligentsia
des Slovènes, Thèques, Slovaques, Serbes et Croates57. Ayant vécu
l’ébranlement révolutionnaire de 1848, le pouvoir impérial était prêt à
favoriser les Slaves qui l’avaient aidé et sans doute Dobrovski en avait
profité de ce climat. Sa revue renferme de nombreux articles témoignant de
sa loyauté au pouvoir autrichien et ottoman. En 1848, le poste de censeur
des éditions slaves à Vienne était occupé par le célèbre slavisant Pavel
Safarik58, avec lequel Dobrovski entretenait des relations étroites. C’est
probablement à ce fait que nous devons la présence dans la bibliothèque de
ce savant de certains exemplaires uniques de la littérature bulgare imprimée
parmi lesquels est l’annonce de Dobrovski pour le « Mirozrenie »59.
Les données dont nous disposons relatives à la diffusion de
« Mirozrenie » dans les limites de l’Empire ottoman ne nous donnent
pas raison de penser que cette revue ait rencontré quelques difficultés
de la part de la censure. Nous disposons cependant de la lettre d’un des
commanditaires de « Mirozrenie » pour Odessa, Chrisro Mutev, écrite le
30 octobre 1851, dans laquelle il est dit, entre autre : « Dobrovitch m’a
envoyé de Vienne son journal “Mirozrenie”, mais la censure ne le fait
pas passer avant qu’il ne soit approuvé de Peterbourg »60. Nous n’avons
pas d’information pour savoir ce qui est arrivé ensuite, mais si on se
demandait de quoi Dobrovski pourrait-il « se rendre coupable », il n’est
MINKOVA, Liliana. „Odeskiiat istorik Nikolai Nikiforovitch Mourzakevitch i
Balgarskoto Vazrazhdane (Vtora tchast)“/« L’historien odessite Nikolai Nikiforovitch
Mourzakevitch et la Régéneration bulgare (Deuxième partie) ». Istoritcheski pregled,
2003, № 3–4, pp. 119–148.
57
Sur la période viénnoise de Dobrovski, voir : DANOVA, Nadia. Ivan Dobrovski
v perspektivata na balgarskiia XIX vek (Ivan Dobrovski dans le perspective du XIX siècle
de l’histoire bulgare). Sofia, 2008, pp. 160–190.
58
PAVLOV, Ivan. Zapiski po slovashka literatura (Esquisses sur la littérature
slovaque). Sofia, 1995, p. 233.
59
DANOVA, Nadia. „Otnovo za Pavel Safarik i balgarite“ (« De nouveau sur Pavel
Safarik et les Bulgares »), Retoriki na pametta. Iubileen sbornik v tchest na 60-godishninata
na profesor Ivan Pavlov. Sofia, 2005, pp. 323–334.
60
Iz arhivata na Naiden Gerov (À travers les archives de Naiden Gerov). (Éd.)
PANCHEV, Todor, II Partie, Sofia, 1914, pp. 77–78.
56
92
NADIA DANOVA
pas exclu que sa revue pourrait irriter la censure russe de Nicolas Ier par
ses éloges du réformateur Pierre Ier, considéré comme un « antéchrist »
par les slavophiles réactionnaires61. Nous savons aussi avec certitude que
« Mirozrenie » n’etait pas bien accueilli en Russie par certains Bulgares,
liés à la politique officielle russe, comme Nikolai Palaouzov. La revue de
Dobrovski était critiquée pour l’orthographe simplifiée qui, de l’avis de
Palaouzov, éloignait les Bulgares des autres Slaves et était « une imitation
impardonnable des peuples occidentaux »62.
Les changements intervenus dans l’Empire ottoman après la guerre
de Crimée, impliquaient aussi la réorganisation du système législatif
ottoman conformément aux tentatives de modernisation de l’empire par le
Tanzimat. La législation ottomane prévoyait plusieurs modalités ayant trait
à l’édition du livre63. D’un intérêt particulier pour notre recherche sont les
actes gouvernementaux publiés en 1857, réglementant l’édition du livre
dans l’empire. Le règlement concernant les imprimeries du 2 février 1857
statuait que celui qui désirait ouvrir une imprimerie devait présenter une
requête qui allait être examinée par le Conseil de l’instruction publique et
le Ministère de la police. La requête était présentée ensuite dans un rapport
officiel au Grand Vizir qui donnait l’autorisation. Le règlement ordonnait
aussi que ceux qui voulaient faire imprimer des livres étaient tenus d’en
informer d’abord l’Administrateur général qui renvoyait leur requête au
Conseil suprême de l’instruction. Après l’avoir examiné, cette instance la
transmettait dans un rapport officiel au Grand Vizir, mais, comme il pouvait
arriver, ce dernier « ne donnait pas l’autorisation et le solliciteur ne pouvait
imprimer même pas une lettre ». Afin de pouvoir être imprimés, les livrent
ne devaient contenir aucune « chose offensant » l’État et le gouvernement64,
autrement dit, nous voyons fixée dans un acte gouvernemental une
condition qui réitère celle formulée dans le « Liuboslovie » de Fotinov.
La loi sur la presse, publiée le 19 décembre 1864, décrétait que nul
journal ou édition périodique, dans quelque langue que soit, « de contenu
61
Sur cet esprit dominant la slavophilie officielle en Russie, voir : STEFANOV,
Pavel. „Tsar Petar Veliki kato antihrist v ruskoto obstestveno saznanie“ (« Pierre le Grand
en tant qu’antichrist dans l’esprit publique en Russie »), Istorichesko badaste, 2003, №
1–2, pp. 71–78.
62
Sur cette question, voir des détails chez : DANOVA, Nadia. Ivan Dobrovski, pp.
464–466.
63
Voir sur cette question : DUMONT, Paul. « La période des Tansimats 1839–
1878 ». Histoire de l’Empire ottoman, sous la dir. de MANTRAN , Robert. Paris, 1989, p.
476 sq.
64
Palna sabranie na darzhavnite zakoni (Recueil complet des lois de l’ État). (Éd.)
ARNAOUDOV, Hristo, T. ІV, Sofia, 1886, pp. 162–163.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
93
politique ou civique », « n’est pas admis à être composé et publié sans
l’autorisation spéciale du gouvernement du sultan ». Les éditions ayant
reçu la permission ne devaient pas être dirigées contre la sécurité et la paix
intérieure de l’empire. Elles ne devaient pas contenir des propos outrageux
contre l’État, le sultan, les religions dans l’empire, les bonnes mœurs, les
alliés de la Haute Porte et leurs ambassadeurs. Le système des mesures
punitives respectives, variant d’amandes à la prison, était élaboré très en
détail. On prévoyait des circonstances liées à l’impression des différents
journaux, et en particulier les mesures garantissant la responsabilité
des rédacteurs et des propriétaires des éditions respectives, comme par
exemple, la déposition de chaque numéro de l’édition, avec la signature,
ou bien le cachet « autorisée » obligatoire, apposée sur chaque feuille65.
Les années suivantes fut élaboré par des dispositions complémentaires le
système de censure des livres imprimés hors de l’empire, qui prévoyait
aussi la confiscation des éditions désapprouvées66.
La presse périodique bulgare tenait les Bulgares au courant des décisions
des autorités ottomanes en ce qui concerne la liberté de l’expression et les
mesures restrictives prévues par les lois sur la presse de 1857, 1858, 1864,
1872 et 187467. Dans les éditions bulgares de Constantinople commençaient
à apparaître des mentions au sens que celles-ci avaient obtenu l’approbation
de « la censure royale »68. Parmi les Bulgares ayant rempli des fonctions
de censeurs pour les éditions bulgares, figurent Nikola Mihailovski, Nikola
Genovitch et Dragan Tsankov, tous des personnalités ayant reçu une bonne
éducation pour leur temps. En rapport avec ce problème qui mérite des
recherches approfondies dans les archives bulgares et ottomanes, je me
contenterais seulement à souligner que l’introduction des lois sur la presse
ottomanes était devenue l’occasion pour la presse périodique bulgare de
faire publier de nombreux et importants articles sur les problèmes de la
liberté de l’expression. Une place particulière y occupent les articles de
Liuben Karavelov, proclamant l’entière liberté de l’expression en tant que
garantie du développement de l’individu et de la société69.
Les données ayant trait au fonctionnement de la censure dans
l’Empire ottoman fournissent un matériau de réflexion concernant rôle
Ibid., p. 167.
Ibid., 173–176.
67
Tsarigradski vestnik, VІІ, 319, p. 1, le 9 mars 1857 ; VІІІ, 370, p. 1, le 16 mars
1858 ; La Tourtsiia, І, 21, 23, 12 et 19 décembre 1864 ; Pravo, ІV, 37, p. 146, 8 novembre
1869, et bien d’autres.
68
STOIANOV, Manio. Balgarska vazrozhdenska knizhnina, Т. І, p. 25.
69
Nezavisimost, ІV, 33, le 1er juin 1874, Narodnost, І, 16, le 28 janvier et le 3 février
1868.
65
66
94
NADIA DANOVA
de l’autocensure que s’étaient imposée les lettrés de cette période, dans le
désir que leurs livres voient le jour à tout prix. Elles expliquent en partie
l’absence d’un radicalisme saillant dans la production imprimée de la
plupart des lettrés. Elles font mieux comprendre les cas d’une circonspection
ostensible, comme par exemple, le cas où Vassil Aprilov, qui vivait en
Russie, conseillait Ivan Bogorov, l’éditeur du journal « Bălgarski orel »
(L’Aigle bulgare), de renoncer de ce titre et d’adopter le plus inoffensif
« L’Abeille bulgare ». Aprilov continue avec ses conseils de la manière
suivante : « Il est mieux que le rédacteur évite des expressions comme
“pouvoir civile et libre”, “les faits et gestes de nos braves et de nos rois”,
“la gloire de notre patrie”, etc. De même qu’il évite sagement la description
de tels sujets que les malintentionnés pourraient les considérer comme
mauvais »70.
Bien entendu, on devrait prendre en considération aussi les cas d’une
censure particulière, imposée par les éditeurs des ouvrages de certains
auteurs « qui aiment les conflits », poussés par des « considérations
nationales ». Le résultat de cette censure non-officielle est la parution
d’éditions « édentées » des ouvrages de penseurs radicaux, comme
Adamantios Koraïs71 et Néophyte Bozveli72, en raison de la critique
violente contre les hautes couches sociales de leurs propres sociétés que
ces ouvrages contenaient.
Le fonctionnement des différents mécanismes censoriaux s’avérait
effectif à cause aussi des ressources financières limitées des éditeurs
bulgares de livres et de journaux. Il y a quelques années, j’ai essayé de
calculer, autant que possible, les dépenses de production du « Mirozrenie »
et du « Liuboslovie », de même que d’établir la totalité des noms des
souscripteurs qui nous sont connus. Le résultat était que je n’ai pas pu
obtenir un nombre garantissant le rétablissement de la somme d’argent
investie qui eût garanti l’entretien de ces éditions73. Autrement dit, il était
indispensable que quelqu’un investisse une grande somme d’argent et
Liuboslovie, ІІ, 21, p. 140.
ILIOU, Philippos. „Ideologikes chriseis tou Koraismou ston eikosto aiona“
(« Utilisations idéologiques du Koraisme au XXe siècle »). In : Diimero Korai. Athènes,
1984, pp. 143–207.
72
ARNAOUDOV, Mihail. Nepoznatiiat Bozveli (L’inconnu Bozveli). Sofia, 1942,
pp. 5–6, 27, 50, 128, 136.
73
DANOVA, Nadia. „«Ah, prokliati pari!!!»“ Ili zhizneopisanieto na « Mirozrenie »
v tsifri (« “ Ah maudit argent !!! ” Ou la biographie de la revue “Mirozrenie” en chiffres »).
In : Pari, dumi, pamet. Sofia, 2004, pp. 28–41; Idem. „Nisto niama bez pari“ (« Il n’y a rien
sans argent »). In : Profesionalizam i traditsii. 110 godini organizirano zhurnalistichesko
dvizhenie v Balgariia. Sofia, 2006, pp. 17–31.
70
71
Sur le chemin difficile de la modernisation...
95
prenne le risque de cette édition pour que celle-ci ait pu être réalisée. Pour
« Liuboslovie », la personne qui a aidé financièrement la revue, était Rali
Mavridi, négociant de Constantinople, pour « Mirozrenie » – le négociant
viennois Anton Tsankov. Dès le moment où les sponsors eussent retiré
leur soutien, les deux revues avaient cessé de sortir. Ivan Bogorov avait
commencé à éditer son « Bălgarski orel » avec l’argent qu’il avait gagné
de l’édition de sa grammaire, de ses appointements d’instituteur et avec
le soutien de commerçants bulgares à Bucarest. Il réussit à faire sortir
seulement trois numéros de son journal car ses sponsors perdirent de
l’argent dans un incendie74.
Nous ne pourrions absolument pas parler, dans les trois cas cités, de
quelque bénéfice de l’éditeur, ou autrement dit, nous ne pourrions pas
considérer l’activité des premiers journalistes bulgares comme ayant été un
travail lucratif. En 1849, dans son annonce pour l’édition de « Proverbes »,
Vuk Karadzhitch écrit le suivant : « Chez nous, il n’a pas un vrai commerce
du livre »75, ce qui est valable aussi, dans une grande mesure, en ce qui
concerne aussi les conditions bulgares. Comme l’ont constaté les historiens
du livre dans l’aire européenne, l’impression du livre avait commencé à
fonctionner dès son apparition comme une industrie régie par les mêmes
lois réglementant les autres sortes de productions, alors que le livre était un
article produit par les hommes avant tout pour pourvoir à leur subsistance.
Le marché du livre, lui-même, était régit par les mêmes règles que les
autres types de marchés76. En faisant la synthèse de ses observations sur le
développement de l’impression du livre à l’échelle mondiale, l’historien du
livre, Robert Darnton, arrive à la conclusion qu’en raison des différences
dans les conditions, les lieux et les époques, « il serait vain de s’attendre
que la biographie d’un livre confirmât un seul et même modèle. Mais dans
son ensemble, le livre imprimé passe par le même cycle vital. Il pourrait
être décrit comme une chaîne de communication, qui part de l’auteur vers
l’éditeur (si le libraire n’assume pas ce rôle), l’imprimeur, le transporteur,
le libraire et le lecteur »77. Les sources documentaires relatives au XIXe
BOGOROV, Ivan. I se zapochna s „Balgarski orel“ (Et on a commencé par
« Balgarski orel »). Sofia, 1983, p. 385.
75
Obiavleniia, izbor oglasa na knige i listove, 1791–1871 (Annonces, choi des
annonces dans des vivres et sur feuilles, 1791–1871). (Éd.) DOBRASHINOVITCH,
Golub. Belgrade, 1974, p. 150 (75).
76
FEBVRE, Lucien, MARTIN, Henri-Jean. L’apparition du livre. Paris, 1971,
p. 165.
77
DARNTON, Robert. „Kakvo e istoriiata na knigite?“ (« Qu’est ce que l’histoire
des livres ? »). In : Istoriia na knigata. Knigata v istoriiata. (Éd.) GERGOVA, Ani,
DASKALOVA, Krasimira. Sofia, 2001, p. 44. L’ouvrage cité est la traduction d’une
74
96
NADIA DANOVA
siècle bulgare, ne nous permettent pas de documenter les divers maillons
de cette chaîne. Cependant, les données qui nous sont connues, nous
autorisent à affirmer qu’en raison des conditions sociales et politiques,
les éditeurs bulgares pouvaient difficilement s’émanciper du patronage
d’un sponsor concret pour réussir à prolonger la vie de l’édition comme
un article portant des gains. L’opinion sur le rôle de la suscription comme
facteur fondamental pour la réalisation des éditions bulgares au XIXe
siècle, est dans une grande mesure un mythe dont le but est de cultiver le
sentiment de solidarité civique, indiquant des exemples inexistants d’une
telle solidarité dans des temps passés. En pratique, Aleksandăr Ekzarh,
l’éditeur de l’édition périodique bulgare de longue vie, le « Tsarigradski
vestnik », était subventionné par l’ambassade russe à Constantinople
et par le Patriarcat78, ce qui reflétait bien entendu sur la ligne politique
suivi par le journal. Les données témoignent de différences par rapport
aux frais d’impression dans les différents centres auxquels recouraient les
Bulgares dans cette période, en faisant ressortir que l’impression du livre à
Constantinople revenait moins chère79, mais elle se réalisait sous le contrôle
d’une triple censure, exercée de la part de la Haute Porte, du patriarcat
de Constantinople et de la Commission ecclésiastique. Autrement dit, les
possibilités de manifestations de radicalismes et de libre-pensée de la part
des Bulgares imprimant à Constantinople, étaient réduites au minimum.
L’Assemblée constitutive, convoquée en 1879 à Tărnovo en vue de
l’élaboration de la constitution bulgare, soumit à un débat animé les textes
sur la liberté d’expression80. Les discussions montrèrent que les députés
bulgares avaient la conscience de l’importance de ce problème et dans le
même temps, on comprenait le besoin de rappels catégoriques comme
celui de Petko Karavelov que « la Censure était un des plus importants
facteurs qui ont provoqué la Révolution française »81. Dans le texte définitif
de la constitution de Tărnovo, les articles 79, 80 et 81 du chapitre VIII
partie du remarquable livre du chercheur américain DARNTON, Robert. The Kiss of
Lamourette. London, 1990, pp. 107–135.
78
Iz archivata na Naiden Gerov, p. 348 ; BORCHOUKOV, Georgi. Istoriia na
balgarskata zhournalistika 1844–1877, 1878–1885 (Histoire du journalisme bulgare
1844–1877, 1878–1885). Sofia, 1976, p. 76.
79
DANOVA, Nadia. „Prokliati pari…“
80
Protocolite na Balgarskoto Outchreditelno sabranie (Les procès-verbaux de
l’Assembée nationale bulgare constitutive). Plovdiv, Sofia, Rusčuk, 1879, 246–250 ;
TANKOVA, Vasilka. Svobodata na pechata v Kniazhestvo Balgariia i Iztotchna Roumeiia
1878–1885 (La liberté de la presse dans la Principauté bulgare et en Roumélie orientale
1879–1885). Plovdiv, 1994, 17–26.
81
Protocolite..., p. 249.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
97
« De la liberté des opinions » énoncent que « La presse est libre. Aucune
censure n’est admise, de même qu’aucune garantie n’est exigée des
auteurs, des éditeurs et des imprimeurs. Quand l’auteur est connu et vit
dans la Principauté, l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur ne seront pas
poursuivis. L’Écriture sainte, les livres liturgiques et les ouvrages de contenu
dogmatique, destinés à l’usage des églises orthodoxes, de même que les
manuels d’Histoire sainte, destinés à l’usage des écoles des Orthodoxes,
sont soumis d’abord à l’approbation du Saint Synode. Les crimes contre les
affaires de la presse sont jugés conformément à la loi, dans les ordonnances
judiciaires générales. »82 Les années qui ont suivi dans le développement
du jeune État bulgare ont montré que les garanties de la liberté de la presse
n’étaient pas dans la constitution, mais dans la société même.
Les renseignements fragmentaires relatifs à la censure dans les jeunes
États balkaniques nouvellement fondés au XIXe siècle, auxquels nous
avons eu accès, témoignent que les régimes établis dans ces pays ne
garantissaient pas la liberté de l’expression et de la presse. Ces régimes
ont imposé une séries de restrictions dont les critères, en général assez
évasifs, créaient des conditions permettant de sanctionner de manière
arbitraire des manifestations qu’on ne devait pas à première vue punir.
Un cas caractéristique sous ce rapport est l’interdiction du prince valaque
Georgi Bibescu de diffuser dans la principauté la Géographie de Konstantin
Fotinov, éditée à Smyrne en 1843. Une des explications plausibles de cette
interdiction est la participation des Bulgares en 1841 aux soulèvements
de Braila. L’autre explication qui est plus vraisemblable, est le contenu
même de la Géographie de Fotinov, qui est entièrement pénétrée de l’esprit
des Lumières. Elle contient une illustration représentant des élections aux
États-unis dont la forme de gouvernement est indiquée comme très bonne.
La meilleure forme de gouvernement en Europe y est indiquée la monarchie
parlementaire, en soulignant que « Les peuples les plus libres en Europe,
sont les Français et les Anglais, et aussi les Hellènes »83. Fotinov s’était vu
obligé à écrire au prince valaque des requêtes, où il expliquait que son livre
était innocent et ne contenait rien que ce soit de politique, de religieux, de
théologique ou touchant l’Église. Il est évident que Fotinov énumère les
conditions auxquelles devait répondre une édition pour qu’elle soit diffusée
sans obstacles dans la Principauté84. Les renseignements relatifs aux lois sur
la presse en Roumanie après la guerre de Crimée nous autorisent à affirmer
Ibid., p. 367.
FOTINOV, Konstantin. Obstoe zemleopisanie (Géographie générale). Izmir,
1843, p. 200–201.
84
Arhiv na Konstantin Georgiev Fotinov, pp. 267–272, 770–773.
82
83
98 NADIA DANOVA
que ces lois étaient entièrement liées à l’esprit des régimes politiques après
l’union des principautés. Or, tout au long du siècle, on voit se dessiner
clairement la tendance exprimée par les politiques à l’esprit libéral, qui
plaidaient pour l’entière liberté de l’expression et de la conscience85.
En Grèce, après l’éclatement de l’insurrection de 1821, les pouvoirs
révolutionnaires entreprirent l’élaboration de la constitution de l’État libre.
Dans la constitution de 1822, le chapitre deux « Des droits civiques des
Grecs », contient l’article 8, qui prévoie : « Les Grecs ont le droit de
faire connaître et d’exprimer par la presse leurs convictions, mais sous
conditions de : 1. Ne pas parler contre la religion chrétienne. 2. Ne pas
entrer en contradiction avec les principes de l’éthique. 3. Éviter les offenses
personnelles ». La Troisième assemblée nationale convoquée à Trézène en
1827, élabora une nouvelle constitution où il était souligné que « les Grecs
avaient le droit, sans enquête préalable, d’écrire et de publier par la presse
ou par d’autre moyen leurs observations et leurs opinions, en respectant les
conditions suivantes… ». Les conditions posées sont les mêmes que celles
indiquées dans la constitution de 182286.
Le régime établi en Grèce après l’établissement du royaume grec, est
resté dans l’histoire par le nom de « bavarocratie » en raison du pouvoir
illimité de la régence des Bavarois, arrivée dans le pays avec le roi mineur,
Othon. Déçus dans leurs espoirs, les démocrates grecs ont commencé
une lutte contre l’absolutisme, une de leur principale revendication étant
la liberté de l’expression et de la presse. Au regard de notre thème, d’un
intérêt particulier est l’annonce imprimée, parue en 1839, informant que
le livre « Des lois sur la liberté de la presse » était prêt à l’impression.
Dans l’annonce, on n’indique pas le lieu de l’édition, ni la date, l’éditeur se
cachant derrières les initiales X.A. Le livre n’a pas été publié87.
Après le coup d’État de 1843 en Grèce, Othon fut obligé de signer
la nouvelle constitution de 1844. L’article 10 de cette constitution stipule
que « Toute personne peut publier verbalement, par écrit et au moyen de
la presse ses observations en se conformant aux lois en vigueur dans le
pays. La presse est libre et la censure n’est pas admise. Les rédacteurs
responsables, les éditeurs et les imprimeurs de journaux ne sont pas tenus
de verser au préalablement aucune somme comme garantie. Les éditeurs
Istoria Romîniei, Bucureşti, IV, 1964, p. 262–264.
SVOLOS, Alexandros. Ta ellinika syntagmata 1822–1952 (Les constitutions
grecques 1822–1952). Athènes, 1972, p. 80, 96.
87
L’annonce pour cette édition est publiée dans un livre consacré à Benjamin
Franklin et à Adamantios Koraïs : Vioi tou V. Fragklinou kai tou A. Korai kai i epistimi
tou kalou Rihardou (Les vies de B. Franklin et de A. Korais et la science du bon Richard).
Ermoupolis, 1839.
85
86
Sur le chemin difficile de la modernisation...
99
de journaux doivent être des citoyens grecs ». L’article 14 garantit le secret
de la correspondance. Très tôt après la signature de la constitution, Othon
l’enfreignit. Particulièrement drastiques étaient les mesures contre la liberté
de la presse. En 1862, les citoyens et l’armée s’insurgèrent et Othon fut
contraint de quitter le pays. Une nouvelle constitution fut élaborée dont
l’article 14 garantissait la liberté de l’expression et de la presse. La censure
est interdite expressément, seule est admise la confiscation de journal
contenant des offenses contre la religion et le roi88. Après de nombreux
amendements et additions, cette constitution est resté en vigueur jusqu’au
début du XXe siècle.
Au regard du thème qui nous intéresse, il convient de prendre
en considération aussi certains exemples témoignant des sanctions
appliquées en Grèce contre des manifestations « indésirables ». À ce titre,
particulièrement caractéristique est le cas du représentant des Lumières
grecques, Théophilos Kaïris, qui en 1835 refusa la croix d’or donnée par le
roi Othon pour ses mérites dans le domaine de l’éducation, car il n’acceptait
pas les méthodes de gouvernement en Grèce89. Dans son enseignement, le
libre-penseur Kaïris osait de critiquer le gouvernement autoritaire d’Othon.
Quelques années plus tard, en 1839, il fut accusé d’hérésie et sa célèbre
école dans l’île d’Andros fut fermée. Kaïris lui-même fut excommunié de
l’Église (1852) et jeté en prison. L’Église surveillait avec vigilance la vie
intellectuelle dans le pays. Sous ses sanctions sont tombés des écrivains
libres-penseurs, comme Andréas Laskaratos et Émanuel Rhoïdis, qui
étaient aussi excommuniés par l’Église, le premier en 1856, le deuxième
en 186690. Chez ces auteurs, les remarques critiques par rapport au clergé91
sont accompagnées par une attitude critique à l’égard du climat spirituel
qui régnait en Grèce. Rhoïdis se permettait à ironiser le fanatisme des
nationalistes, caractérisant la doctrine nationale grecque, la Megali idea,
comme un désastre pour la société grecque, en disant : « Chaque pays a
sa plaie : l’Angleterre – la brume, l’Égypte – l’ophtalmie, la Suisse – les
explorateurs, la Grèce, elle, a sa Megali idea »92.
SVOLOS, Alexandros. Ta ellinika…, p. 112.
Pour plus de détails sur cette question, voir : PASHALIS, Dimitrios. Theofilos
Kairis. Athènes, 1928, pp. 56–57.
90
MIHAILARIS, Panagiotis. Aforismos, pp. 323–324.
91
OKTAPODA-LU, Efstratia. « L’anticléricalisme dans la prose grecque du
XIXe siècle ». In : Le sentiment religieux dans la littérature néogrecque. (Éd.) Astérios
Argyriou. XVIe Colloque international des néo-hellénistes des universités francophones.
Strasbourg, 27–29 mai 1999, Publications Langues O’, p. 193–207.
92
DANOVA, Nadia. Natsionalniiat vapros v gratskite politicheski programi prez
88
89
100 NADIA DANOVA
Quant à la Serbie, nos données se rapportant à la censure au XIXe
siècle, sont encore plus insuffisantes. En 1832, la chancellerie princière de
la Serbie formula 8 règles relatives à la censure des livres. Il y est notifié
qu’aucun livre ne pouvait être imprimé en Serbie s’il contenait des injures
contre Dieu, contre la religion chrétienne, contre le gouvernement serbe et
les ministres, contre les gouvernements étrangers et leurs fonctionnaires,
ainsi que des formules portant atteinte à la morale et le prestige de quelque
personne. On interdisait l’impression de livres utilisant l’orthographe de
Vuk Stefanov Karadzhitch93.
Sur les restrictions de la liberté d’expression en Serbie, nous disposons
aussi des souvenirs de Ivan Dobrovski, arrivé en juin 1839 à Belgrade.
En ce temps, le prince Milosh Obrenovitch fut destitué par les défenseurs
de la constitution de 1838 et son fils aîné, Milan, monta sur le trône de la
principauté94. Dobrovski arriva dans la capitale serbe après avoir fait des
études dans l’île de Andros, auprès du représentant des Lumières grecques,
Théophilos Kaïris. Dobrovski, comme ses condisciples bulgares de l’île de
Andros, pensait que Belgrade aurait pu être une ville propice à la fondation
d’un établissement scolaire bulgare. Cependant, le climat régnant en Serbie
l’a vite fait renoncer à ses projets : « Ce Milosh avait laissé derrière soi
une telle tyrannie et terreur que les gens en tremblaient et personne n’osait
rien dire contre le gouvernement »95. Craignant que ses lettres ne fussent
ouvertes, Dobrovski n’écrivit rien sur la situation politique en Serbie, à
ses condisciples qui se trouvaient à ce moment-là à Athènes. Plus tard,
ceux-ci comprirent le silence de Dobrovski, car ils s’étaient plus ou moins
déjà heurtés à la nécessité d’autocensure. Dobrovski conclut dans ses
souvenirs : « c’est pour cela qu’on dit que parfois le silence parle mieux
que la parole »96.
XIX vek (Le problème national dans les programmes politiques grecques durant le ХІХ
siècle). Sofia, 1980, p. 263.
93
Arhivska grazha o Vuku Karadzhitchu, 1813–1864 (Des matériaux d’archives
pour Vouk Karadzhitch). Belgrade, 1970, p. 215.
94
DZHOROVITCH, Vl. Istoria Srba (Histoire des Serbes), III. Belgrade, 1989,
p. 80 ; DIMITROV, Strachimir, Krastio MANTCHEV. Istoriia na balkanskite narodi
(Histoire des peuples balkaniques). Sofia, 1971, p. 228.
95
Nautchen arhiv na Balgarskata akademiia na naukite (Archives scientifiques de
l’Académie bulgare des sciences), f. 11 К, d. 1, 305, f. 19 ; CHICHMANOV, Ivan. „Ivan
Dobrovski (Po litchni spomeni i saobsteniia)“/« Ivan Dobrovski. (D’après des mémoires
et communications personnelles) ». In : CHICHMANOV, Ivan. Izbrani satchineniia. T.І.
(Éd.) DIMOV, Georgi. Sofia, 1965, p. 318.
96
Ibidem.
Sur le chemin difficile de la modernisation...
101
Bien qu’ils représentent pour la plupart des cas des témoignages
fragmentaires ou indirects, les exemples que nous venons d’exposer ci-dessus
permettent dans une certaine mesure de juger des critères et des méthodes
de censure employés dans les Balkans. Les données avancées montrent
l’étendue du registre d’indications sur la base desquels un livre pouvait se
retrouver dans la catégorie des livres « indésirables » ou « interdits ». En
pratique, dans tous les cas cités, on défendait le principe de la légitimité et
le statu quo, indépendamment s’il soit question de l’État ottoman ou des
sociétés qui s’en étaient détachées. Les restrictions censoriales représentent
une cause complémentaire conditionnant la géographie de l’impression du
livre dans les Balkans, géographie qui montre que l’impression des livres
ayant contribué à la modernisation des sociétés balkaniques était réalisée
principalement dans les centres occidentaux. Ce sont aussi les centres
des activités économiques et culturelles de la bourgeoisie marchande
balkanique. Cette géographie de l’impression du livre gênait énormément la
communication entre l’intelligentsia, porteuse des idées de modernisation,
et la société. L’insuffisance de la force économique de la bourgeoisie, le
retard pris dans la formation d’une intelligentsia séculaire et la forte présence
de représentants du clergé parmi les personnalités liées à l’impression du
livre, tout cela vouait les auteurs de livres à la faiblesse, à la crainte et
à l’indécision de s’opposer aux limitations censoriales. La formation au
XIXe siècle des États nationaux balkaniques, n’a pas contribué de manière
essentielle à la création de conditions favorisant la liberté de l’expression
et de la presse, car chaque société balkanique devait parcourir son propre
chemin de mûrissement menant à la société des citoyens.
Les donnés avancées concernant les restrictions imposées à l’impression
et à la diffusion du livre dans les Balkans aux XVIIIe et XIXe siècles,
n’épuisent pas cette importante thématique qui demande un long travail
avec des documents d’archives. Ces données marquent les principaux
moments dans le fonctionnement des mécanismes entravant la production
et la diffusion du livre dans les Balkans. Bien que très fragmentaires, elles
montrent qu’uniquement dans le cas où nous tenons compte des facteurs qui
ont joué un rôle entravant pour la production et la diffusion du livre, nous
pourrions être sûrs que nous ayons un regard adéquat sur le complexe de
conditions de la création du livre dans les Balkans. La censure exercée par la
Haute Porte et les gouvernements des États balkaniques déjà indépendants,
par le Patriarcat de Constantinople et la Commission ecclésiastique,
nous oblige à être plus circonspects dans l’analyse de l’idéologie des
représentants de cette époque uniquement à partir de leurs textes imprimés
au cas où nous ne disposons pas de documents d’archives les concernant.
102 NADIA DANOVA
L’histoire de l’impression du livre dans les Balkans témoigne de nombre
de cas où nous disposons de publications d’annonces informant de livres
prêts à être imprimés, mais qui en réalité n’arrivaient pas à être publiés97.
Derrières ces exemples de projets d’édition non réalisés, à part le manque
de ressources financières et d’intérêt de la part de la société, des difficultés
d’ordre personnel ou autre, de même que les distances géographiques98, il
convient d’indiquer aussi les pratiques censoriales existantes. Ou, en nous
rappelant les propos de Ivan Dobrovski, essayons d’écouter attentivement
le silence des hommes de ce temps-là, car « le silence parle d’avantage que
la parole ».
Voir : Objavleniia za vazrozhdenski izdaniia..., passim. Sur un phénomène
analogue dans l’édition du livre grecque, voir : Dia tou genous ton fotismon. Aggelies
proepanastatikon entypon 1734–1821. Apo ta kataloipa touo Philippou Iliou (Pour
éclairer la nation. Annonces des livres avant la Révolution grecque, 1734–1821, du fonds
bibliographique Philippos Iliou). (Éd.) POLEMI, Popi. Athènes, 2008.
98
FRAGKISKOS, Emmanouil. „Anekplirota ekdotika shedia 1811–1821. Oi
martyries tou proepanastatikou typou“ (« Des projets éditoriales non réalisés 1811–1821.
Les témoignages de la presse périodique d’avant la Révolution grecque »). O Eranistis,
XXII–XXIII, Τ. 25. Mnimi Philippou Iliou. Athènes, 2005, pp. 173–199.
97
Éditions et idées de révolution au Brésil
(1830–1848)
Marisa Midori Deaecto
Introduction
Pendant plus de deux siècles les républicains de lettres latino-américains
ont vécu sous le signe de la « palingénésie des Lumières »1. En traduisant
ce phénomène au cas brésilien, on pourrait dire, selon un intellectuel de
l’époque, que les aspirations des jeunes étudiants de Droit du XIXème siècle,
ainsi que leurs goûts littéraires, étaient notamment français.
Les études sur la présence française chez les républicains des lettres
brésiliens ont fait écho à partir des recherches sur la période de crise du
système colonial portugais, à la fin du XVIIIème siècle. Il s’agissait de
comprendre les racines intellectuelles des mouvements d’émancipation,
lesquels se sont éclatés un peu partout dans le territoire brésilien pendant
plus de vingt ans, jusqu’à l’Indépendance, en 1822.
Comme a bien écrit Eduardo Frieiro dans son essai sur la librairie d’un
prête illustré du XVIIIème siècle :
Était-il un homme d’habitudes françaises ? On pourrait l’admettre. Les
idées françaises ont contaminé quelques brésiliens cultivés. Ils étaient,
bien entendu, d’une minorité. Par contre, on peut admettre, comme on
le fait aujourd’hui, que les idées françaises ont influencé la pensé des
séditieux de Minas Gerais, auxquelles il faut ajouter d’autres raisons
soi d’ordre économique, soi psychologique, telle la peur du contrôle de
l’État, le sentiment nativiste et l’hostilité vis-à-vis aux portugais2.
1
RAMA, Angel, A cidade das letras. São Paulo: Brasiliense, 1984, p. 33.
FRIEIRO, Eduardo, (2a ed.) O diabo na livraria do cônego. Belo Horizonte:
Itatiaia, 1981, p. 51.
2
104 Marisa Midori Deaecto
Il est devenu, d’ailleurs, nécessaire de se demander sur quels biais les
livres – surtout les titres interdits – arrivaient à la colonie. En plus, quels
ont été les hardis pour manipuler la censure. Et, enfin, dans quelle mesure
des certaines lectures se sont conversées en projets de nature séditieuse3.
En peu de mots, il s’agit de se demander dans quelle mesure la Révolution
de 1789 reste un paradigme pour les générations ultérieures, ce que l’on fait
d’après l’histoire de la circulation des livres4.
Les pionniers du commerce de la librairie
L’histoire du livre brésilien débute au fait à partir de 1808, plus
précisément après le décret signé par le Régent d. João, le 13 mai, qui a
donné origine à la Presse Royale. Même si le gouvernement maintenait
le monopole sur l’impression de tous les documents officiels, ne laissant
pas de répondre aux demandes externes, il n’a pas trop tardé pour que les
nouveaux typographes-libraires s’installent à la Cour et dans d’autres villes
du Brésil.
Après 1822, l’année de l’Indépendance du Brésil, le nombre
d’établissements libraires s’est considérablement répandu, ce qui rend
indéniable l’intervention auspicieuse du roi d. Pedro I. C’était sous les
honneurs et bons offices du roi qu’a débarqué à la Cour, en 1824, le
typographe-libraire Pierre Seignot-Plancher. Bonapartiste, il se trouvait
persécuté par la censure d’une France restaurée par les Bourbons. À la
Cour, il a fondé le journal O Spectador Brazileiro et, peu de temps plus
tard, en 1827, le Jornal do Commercio. Il a commercialisé des éditions de
contenu politique imprimées à Paris, parmi celles-ci, les écrits de Benjamin
Constant. Il a innové dans l’usage de la lithographie, ayant comme
illustrateur et lithographe Hercules de Florence, pareillement bonapartiste
et émigré qui, dès 1825, intégra la « mission scientifique et artistique
Langsdorff ».
La famille Seignot-Plancher est retournée en France à la suite de la crise
du Premier Règne, en 18325. D’autres Français ont gagné de la réputation
dans le marché libraire en ce moment-là : Villeneuve, Mongerot, Bompard,
MOTA, Carlos Guilherme, Ideia de revolução no Brasil (1789–1901). Estudo das
formas de pensamento. São Paulo: Ática, 1996, p. 117.
4
VENTURI, Franco, “Cronologia e geografia do Iluminismo”. In: Utopia e
reforma no Iluminismo. Tradução de Modesto Florenzano. São Paulo: Edusc, 2003, pp.
217-246.
5
MOREL, Marco, “As revoluções nas prateleiras da rua do Ouvidor”. As
transformações dos espaços públicos. Imprensa, atores políticos e sociabilidades na
cidade imperial (1820–1840). São Paulo: Hucitec, 2005, pp. 23-60.
3
Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848)
105
Mongie, Ogier, Bossange, Aillaud, Firmin-Didot... et Baptiste-Louis
Garnier le propriétaire de la filial Garnier-Frères au Brésil qui a joué d’un
rôle très important dans le domaine de l’édition de la littérature brésilienne.
Baptiste-Louis Garnier est né en 1823, à Contentin, en Normandie.
Il était le plus jeune de quatre frères qui ont tenté leur sort dans la Paris
prometteuse de Louis Philippe. Auguste est né en 1812. Il s’est installé
dans la « Ville Lumière » en 1828, ayant rendu services par commission à
la librairie Saint-Jorre, dans le boulevard Montmartre. De ce coin populaire
de Paris, il déménagerait en 1833, dans une galerie chic du Palais Royal.
Pierre, le plus âgé, né en 1807 et Hippolyte, né en 1815, ont rejoint le frère
peu d’années plus tard. Hippolyte a suivi le frère dans les affaires de la
librairie au Palais Royal, alors que Pierre maintenait une petite boutique à
une adresse proche, dans la Galerie des Princes. Baptiste-Louis s’est uni à
ses frères pendant quelques années jusqu`à ce qu’il parte à Rio de Janeiro,
en 1844, à bord de la galère Stanislas, qui est entré en port le 24 juin de la
même année.
Suivant les traces d’autres libraires qui ont traversé l’océan à la recherche
de nouveaux marchés, Baptiste-Louis n’a pas eu d’autre motivation dès son
arrivée à la Cour brésilienne. Il s’agissait, en effet, d’élargir les circuits
du livre et, en spécial, ceux destinés à un genre lucratif, mais fortement
persécuté par la police française, à savoir, la littérature à contenu érotique.
Ayant comme base la lecture de rapports policiers, Jean-Yves Mollier
a réussi à reconstituer un chapitre de l’histoire du livre jusqu’alors peu
exploité, dont les personnages et faits se croisent avec la trajectoire du
libraire-éditeur installé au Brésil.
Les frères Garnier sont aussi devenus affaire de police en raison des
éditions imprimés de contenu politique, avec un bas coût de production et
fort tirage. L’exemple superlatif d’impressions de ce genre est le titre La
vérité dévoilée aux ouvriers, aux paysans et aux soldats, avec un tirage
de 500 à 600 000 exemplaires, en 1849. Livres de ce genre, relatifs aux
événements de 1870 et 1871, à savoir, la guerre franco-prussienne et la
Commune de Paris ont été également exposés dans les catalogues de
la maison Garnier, à Rio de Janeiro, et aussi par ses représentants dans
d’autres villes brésiliennes, ce qui rapprochait les lecteurs brésiliens des
éditions les plus récentes et des grands thèmes en évidence publiés à Paris.
La figure du libraire-éditeur, du bon larron Garnier, comme il était
connu entre les habitués de la librairie, n’a pas tardé à s’identifier avec une
pléiade d’auteurs nationaux qu’il a édité. Les énumérer serait une des tâches
les plus difficiles, ou même impossibles, vu les limites du présent article.
Mais on citera quelques auteurs de fiction, les plus connus, qui donnent bien
106 Marisa Midori Deaecto
la dimension de l’importance du libraire au Brésil : Gonçalves Magalhães,
Araújo Porto Alegre, Joaquim Manuel de Macedo, José de Alencar, Aluísio
de Azevedo, Olavo Bilac, Júlia Lopes de Almeida, Machado de Assis...
A côté des auteurs les plus expressifs des lettres brésiliennes qui
appartenaient son catalogue, on remarque la présence massive des lettres
françaises dans touts les domaines de la connaissance. Ce qui nous invite
à quelques réflexions concernant les circuits de la circulation des livres
français et ses multiples formes d’appropriation parmi les gens de lettres
dans une conjoncture bien marquée chez les deux pays : 1848.
Les échos de 1848
Le développement de la librairie française et l’expansion de sa
littérature un peu partout, au moins, comme dit Franco Venturi, dans cette
« géographie touchée par les Lumières »6, ont concurrencé son expansion
envers l’Amérique et toute l’Europe. C’est ce qui démontre Frédéric
Barbier dans son étude sur le commerce international de la librairie
française7. Rappelons-nous, par exemple, que l’édition de L’Ancien Régime
et la Révolution a été revendiquée par les lecteurs germaniques en version
originale. Pour cela, la maison d’édition Brockhaus a recommandé, en
1856, l’envoie des clichés produits par l’éditeur Calmann-Lévy8.
En outre, on remarque que la coexistence entre les Français et les
Brésiliens s’est intensifiée au cours du XIXe siècle, ce qui a promût des liens
encore plus forts concernant les aspects de la vie matérielle et spirituelle.
Sans ignorer les questions de la vie matérielle, lesquels jouent, en somme,
le monde des biens et des modes de vie qui constituent les relations
quotidiennes, cette enquête porte sur le champ des idées politiques et ses
rapports avec la librairie.
Enfin, on parle d’actions qui se sont fixées sous la forme d’idées et d’idées
qui deviennent, dans certaines conjonctures, des projets révolutionnaires.
On travaille sur l’hypothèse selon laquelle les idées françaises, ou en des
6
VENTURI, Franco, Utopia e reforma no Iluminismo..., op. cit., p. 222. Selon
Frédéric Barbier, le réseau du livre français dans l’espace européen et américain ne laisse
pas doute de son importance économique, certes, mais aussi socio-culturelle. BARBIER,
Frédéric, « Commerce international de la librairie française », Revue d’histoire moderne
et contemporaine, Paris, 1981, t. XXVIII.
7
BARBIER, Frédéric, « Le commerce international de la librairie française au
XIXe. s. (1815–1913). » Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1981, tome XXVIII,
pp. 94-117.
8
MOLLIER, Jean-Yves, L’argent et les lettres. Histoire du capitalisme d’édition
(1880–1920). Paris : Fayard, 1988, p. 94.
Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848)
107
termes les plus précis, le libéralisme né de la Révolution acquiert au Brésil
des formes multiples, soit en soulignant quelques esquisses de projets
libéraux, soit en suscitant des attitudes fort antirévolutionnaires. C’est ce
qu’on voit à propos de la réception des livres, et même des nouvelles de
France à l’époque du « printemps des peuples ».
L’analyse de la correspondance du poète romantique Alvares de
Azevedo (1831–1852) peut nous aider à éclairer cette question. Il s’est
toujours présenté comme un lecteur obstiné de Byron (1788–1824) et de
Goethe (1749–1832), et pourtant, il a écrit ses premiers vers en français. Le
jeune poète touché par les mœurs et l’humour de cette première génération
romantique, avait l’habitude de s’acheter des éditions françaises et toute
sorte d’articles de luxe – ou, au moins, ceux qui étaient considérés comme
tels à cette époque-là – importés par les commerçants de Rio de Janeiro.
Le jeune poète Alvares de Azevedo (1831–1852).
On parle, effectivement, d’une personnalité rare. Poète, dramaturge et
nouvelliste atypique, concluent les critiques9. Habitant à São Paulo, où il
faisait ses études de Droit, rien pouvait se présenter de plus décourageant
à son regard cosmopolite qu’un village avec ses 20 000 habitants, dans les
années 1840. Mais nulle part aurait pu être mieux servi à son inspiration
PRADO, Décio de Almeida, História concisa do teatro brasileiro. São Paulo:
Edusp, 2003, p. 51.
9
108 Marisa Midori Deaecto
de jeune poète. Le manque de toutes sortes de confort matériel, parfois les
plus petites traces de civilité, remontait dans ces écrits.
Cette agitation s’exprime dans les moindres lignes de sa correspondance
avec ses parents, en particulier, dans les lettres adressées à sa mère. On y
trouve la demande routinière, répétitive et, parfois, impatiente des choses
qui défiaient même les conditions du système de la Poste de l’époque. Soit
parce qu’il lui manquait des ressources pour les acheter, soit parce que
le marché local ne répondait pas positivement à ses exigences. Parmi les
pantalons, les bretelles, les lunettes pour la lumière, une douzaine de paires
d’épaulettes, un gilet, une livre de fleur d’indigo, des gants, des vestes,
d’un daguerréotype, il commanda de la musique et des livres.
Les livres imprègnent les journées dédiées aux études et aux heures de
plaisir. En tout cas, et malgré ses plaintes, il semble être bien informé des
« nouvelles » de Paris, lesquelles lui sont révélées par les journaux de la
Court qui y arrivent à chaque semaine.
Dans une lettre adressée à sa mère, au 7 juin, bien probablement dans
l’année 1848, écrit le poète :
(En post-scriptum franchi dans le texte)
Je n’ai pas encore reçu – jusqu’au présent – à l’arrivée du courrier – les
demandes – J’espère anxieux par les Girondins, une vieille promesse
que vous m’aviez faite et vous ne m’avez pas encore envoyé, celui qui
pourrait bien être un cadeau10.
Il fait, évidemment, référence à l’œuvre de Lamartine (1790–1869),
L’Histoire des Girondins, dont la première édition est sortie en huit
volumes, in-octavo, à partir de 1847, sans doute un témoignage de sa
connaissance du mouvement de la librairie en France. Un an plus tard,
précisément au 7 juillet 1849, il renforce sa demande, ce qui démontre non
seulement son envie, mais la façon dont cet étudiant, situé dans un village
distant et pauvre, attend les nouvelles de France et les éditions concernant
l’histoire politique française :
Quant à moi – écrit-il – je veux faire deux demandes – un exemplaire
de la Démocratie en France de Guizot – et Raphaël de Lamartine, celui
qui vient d’être annoncé dans les journaux à 200 rs. et l’autre à 800 rs.11.
La traduction de Démocratie en France pour le portugais a été
publiée la même année 1849, grâce au travail d’un admirateur de Guizot
(1787–1874), un Brésilien qui a vécu à Paris. Il s’est malheureusement
Cartas de Álvares de Azevedo. Comentários de Vicente de Azevedo. São Paulo:
Academia Paulista de Letras, 1976, p. 82.
11
Idem, Ibidem, p. 114.
10
Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848)
109
maintenu incognito. Toutefois, le volume a été préfacé par José Correia
Lucio, dont le discours ne fait pas doute sur le but politique et immédiat de
cette édition. Écrit-il dans la Préface :
Aux Brésiliens
Les dernières nouvelles des événements désastreux de Pernambuco
n’ont fait que m’affliger et exciter mon patriotisme [...]
La vulgarisation de ce livre sera un puissant remède pour lutter contre
les passions nuisibles qui se conjurent pour attaquer la société dans ce
qu’elle a de plus inviolable et de plus sacré [...]12.
Ainsi, constate l’auteur :
Que la pureté de l’intention et l’importance de la raison n’ose s’excuser
de l’efficace de l’action13.
Le frontispice de l’édition brésilienne de Démocratie en France, 1849.
La traduction a été approuvée par M. Guizot, dont la lettre est reproduite
en fac-simile à guise de présentation du volume. Le but politique de tel
projet s’exprime également par la plume de l’historien français :
12
GUIZOT, F., A democracia na França. Tradução em portuguez por ***. Paris:
Typ. de E. Thurnot et Cie., 1849.
13
Idem, Ibidem, p. VIII. L’auteur parle de la sédition éclatée au Recife, en 1848.
110
Marisa Midori Deaecto
Je ne fais pas d’objection, Monsieur, à votre noble intention de faire
traduire mon dernier livre sur la Démocratie en France. Bien au
contraire, Monsieur, j’ai l’honneur de pouvoir servir, hors de mon pays,
à la cause de la vérité et de l’ordre sociale. Je vous prie la gentillesse
de m’envoyer d’un exemplaire lorsqu’il vient d’être publié [...]. Guizot.
Bomptou, le 21 janvier 1849.
Détail du manuscrit de M. Guizot fac-similé.
Malgré l’importance de cette édition, Alvares de Azevedo ne nous laisse
pas le moindre registre concernant sa connaissance. Quoi qu’il en soit, dans
l’étiquette du libraire qui a pris en charge l’édition et la diffusion de ce
volume, le portugais Serafim José Alves, on voit l’annonce de la vente de
Démocratie en France en version traduite avec d’autres œuvres de Guizot
en version originale, lesquelles sont présentées dans des termes suivants :
La Librairie Serafim José Alves. Elle dispose toujours dans son stock
des grandes quantités de ce livre [la Démocratie en France] et la plupart
des œuvres de l’auteur. On offert des avantageux des remises sur les
achats en espèce. Typographie. Reliure. Rua Sete de Setembro, 8314.
Ex-libris de l’édition citée.
14
Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848)
111
Notre poète a probablement reçu les livres demandés. C’est ce que l’on
constate en lisant la correspondance de 14 octobre 1849 :
Si de temps en temps j’abandonne sur le bureau mon volume de Droit
des Gents – le Reddée et l’Ortolan – mes préférés – ce n’est pas pour la
lecture des romans – ce ne serait-ce que parce que l’étude de ma langue
me prend les heures de travail... Je vous avoue que mes romans sont un
peu fade aux yeux d’Antoine, de Raphaël [dont la demande d’un volume
a été faite avec celle de l’exemplaire de Guizot] et Consuelo15.
Par la même occasion, l’auteur signale la réception du Droit des
valeurs mobilières, ce qui témoigne de son intérêt pour les matières d’étude.
D’ailleurs, Alvares de Azevedo montre la pleine conscience de la difficulté
d’accès et du budget que certaines exigences bibliographiques représentent
pour sa famille. Au dernier envoi identifié dans ses correspondances, écrit-il :
J’estime l’envoie de mes livres de Droit Civil – je vous en remercie
vivement, car je reconnais le travail de les faire venir du Portugal –
même en reconnaissance que l’achat de ces livres au Portugal a résulté
en une épargne significative16.
L’intérêt de l’auteur sur les œuvres politiques ne nous étonne pas, il
s’est même permis des discours enflammés au moment de la fondation
de la Société académique de philosophie. Ce fut un moment de colère,
ici et ailleurs, et des réactions conservatrices curieusement entraînées par
l’exemple de la Révolution française, comme l’indique la préface à l’œuvre
de Guizot17.
Aussi, pas de surprise devant son attention sur les œuvres de
Lamartine18. Certes, Álvares de Azevedo s’est avéré un amoureux de la
littérature française et du livre19. Et Lamartine était l’un de ces personnages
unanimes, qui a fait renaître de sa plume « les hommes de la Révolution »,
comme l’affirme Alexis de Tocqueville (1805–1859) dans ses Souvenirs de
la Révolution de 1848.
15
Cartas de Álvares de Azevedo, op. cit., p. 142.
Idem, Ibidem, p. 131.
17
La présence des « auteurs de la Révolution » est fort notable chez le républicain
de lettre José da Costa Carvalho (1796–1860), fondeur du premier jornal de la ville de
São Paulo, O Farol Paulistano (1827). cf. Marisa Midori Deaecto, “Os primórdios da
imprensa paulista: Costa Carvalho e o Farol Paulistano (1827–1831)”. Revista de História
Regional, v. 12, 2008, p. 29-50.
18
Vingt ans plus tard, les œuvres de Lamartine étaient annoncées dans le Catalogue
de la Librairie Garraux, à São Paulo.
19
BROCA, Brito, “O que liam os românticos”. Revista do livro, 1959, ano IV, pp.
163-172.
16
112 Marisa Midori Deaecto
Pour des raisons encore à être élaborées dans les études d’histoire
politique, on peut seulement affirmer que ces livres, ces mêmes volumes qui
ont mis en évidence dans « toutes les mémoires les hommes de la première
révolution », ils ont traversé l’océan avec un grand succès, en contrariant
les intempéries de l’édition française dans les années avant la vague
révolutionnaire de 1848, celles qui ont conduit de nombreuses entreprises
à la faillite20. Et si l’exemple français attirait plus d’attention plutôt par
la force de ses discours que de ses actions, ce qui a conduit Alvares de
Azevedo a affirmé à son père « [...] qu’il n’y avait dans ses théories rien
de “révulsif” ».21 On a dans ces correspondances un témoignage précieux
sur le répertoire qui a suscité l’intérêt des jeunes dans l’Académie de Droit
de São Paulo, voire, de ces formateurs d’opinion d’un avenir proche (très
proche).
Il faut ajouter que les révolutions de 1848 ont conformé dans le milieu
politique brésilien, du moins dans certains cercles de lecteurs, une sorte
d’interrègne socialiste. La lecture de la correspondance d’Álvares de
Azevedo sert d’indice des lectures partagées dans se milieu d’étudiants et
enseignants. Même les références au socialisme français (utopique) et les
tentatives d’imiter les idéaux des réformateurs d’outre-mer, ont trouvé au
Brésil un sol fertile pour des nouvelles réalisations, ou au moins pour des
nouvelles formulations idéologiques.
Article traduit par Maria Vianna.
Texte lu et commenté par M. Jacques Hellemans à qui je tiens à remercier.
20
MOLLIER, Jean-Yves, L’argent et les lettres..., op. cit., pp. 104-105.
Cartas de Álvares de Azevedo, op. cit., p. 164.
21
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni
in caratteri orientali
ANDREA DE PASQUALE
Tra le più peculiari e rappresentative produzioni del celebre tipografo
Giambattista Bodoni (1740–1813) spiccano diverse edizioni poliglotte
in cui, accanto a testi negli alfabeti latino e greco, si affiancano altri in
caratteri “esotici” o orientali, vera e propria passione del Bodoni coltivata
fin dai primordi della sua attività tipografica1. Egli infatti, partito appena
diciottenne per Roma dalla nativa Saluzzo in cerca di un impiego (1758),
aveva svolto il suo apprendistato alla Stamperia de Propaganda fide,
specializzata nella stampa di libri in varie lingue e alfabeti destinati all’uso
dei missionari. Ivi, grazie alla stima ottenuta dall’abate Costantino Ruggieri,
direttore, dal settembre dello stesso 1758, della Stamperia e segretario del
cardinale Giuseppe Spinelli, prefetto della stessa dal 1754, aveva imparato
a comporre in lingue orientali dopo averne appreso i rudimenti2.
Restano a riprova di ciò tre frontespizi stampati in rosso e nero, con
tutta probabilità prove di lavoro, sottoscritti dal Bodoni e di cui uno con
data 1762, incorniciati in un riquadro di fregi a fiorellini, rosette e stelline,
Su questo tema: S. Samek Ludovici, I «Manuali Tipografici» di G.B. Bodoni
(1964), in Conoscere Bodoni, a cura di S. Ajani e L.C. Maletto, Collegno: Altieri,
1990, pp. 112-115; G. Tamani, Bodoni e i caratteri esotici, “Bollettino del Museo
Bodoniano di Parma”, 6 (1992), pp. 86-111.
2
[V. Passerini], Memorie aneddote per servire un giorno alla vita del signor
Giovanbattista Bodoni tipografo di Sua Maestà Cattolica e direttore del Parmense
Tipografeo, Parma: Carmignani, 1804, pp. 9-15; G. De Lama, Vita del cavaliere
Giambattista Bodoni tipografo italiano e catalogo cronologico delle sue edizioni, Parma:
dalla Stamperia Ducale, 1816, vol. I, pp. 4-8. Inoltre: [A. Ciavarella], G.B. Bodoni e
la Propaganda Fide, Parma: Museo Bodoniano-Biblioteca Palatina, 1959 (2a ed. 1989); L.
Farinelli, Giambattista Bodoni: l’esperienza romana, in Bodoni. L’invenzione della
semplicità, Parma: Guanda, 1990, pp. 67-82.
1
114
ANDREA DE PASQUALE
e recanti caratteri incisi su matrici di legno, con la tecnica della xilografia,
nella quale il Bodoni aveva iniziato fin da bambino ad esercitarsi nella
bottega paterna3. Tali frontespizi sono pertinenti al primo e al secondo
volume di un Pontificale copto arabo, stampato in due volumi tra il 1761 e il
1762, e ad un Rituale copto-arabo del 1763, con la sottoscrizione, nelle copie
definitive, della Stamperia de Propaganda. Inoltre il Bodoni intervenne
sicuramente anche nella realizzazione dell’Alphabetum Tibetanum del padre
Agostino Antonio Giorgi, docente di Sacra Scrittura alla Sapienza, uscito
in due edizioni, entrambe stampate dalla Congregazione de Propaganda, la
prima, anonima, con data 1759, la seconda invece del 1762.
L’interesse per gli alfabeti non occidentali proseguì e si potenziò
ancora quando Bodoni giunse nel 1768 a Parma, chiamato dal duca don
Ferdinando, su consiglio del padre Paolo Maria Paciaudi, direttore della
Biblioteca Parmense, suo amico e conterraneo (entrambi erano infatti
piemontesi), per dirigere la neonata Stamperia Reale. Nell’anno successivo
infatti si inaugurava l’amicizia e la collaborazione con l’abate Gian
Bernardo De Rossi (1742–1831), anch’egli piemontese, studioso di Sacra
Scrittura, profondo conoscitore di lingue orientali e bibliofilo raffinato, il
quale era stato chiamato nel 1769 dal Paciaudi a ricoprire la cattedra di
Lingue e letterature orientali all’Università da poco riformata4.
L’inizio del sodalizio è rappresentato dall’operetta In nuptiis
Augustorum principum Ferdinandi Borbonii et Amaliae Austriacae poema
Anatolico-polyglottum Heb., Syr., Arab., Syro-Estr., Samar., Chald., Rabb.
redatta dal De Rossi su commissione della Corte e su suggerimento del
Paciaudi per il tramite del comune amico, l’abate Francesco Berta, direttore
della Biblioteca dell’Università di Torino, in occasione delle nozze dei
3
C. Revelli, Note in margine ad un centenario minore: la prima attività di
Giambattista Bodoni, “Epoche: cahiers di storia e costume del Piemonte”, I, novembredicembre 1962, pp. 121-125; S. Samek Ludovici, Giovan Battista Bodoni e la
Propaganda Fide, “Accademie e biblioteche d’Italia”, XXXIII/3 (1965), pp. 141-157. Dei
primi due si conservano due esemplari, rispettivamente tra le carte bodoniane conservate
al Museo Bodoniano di Parma e nella raccolta Mortara della Biblioteca Braidense di
Milano; del terzo invece è sopravvissuto solo un esemplare milanese. Sugli studi di
caratteri orientali e su Bodoni xilografo cfr. A. De Pasquale, La fucina dei caratteri
di Giambattista Bodoni, Parma: MUP, 2010, pp. 45-46, 104-107.
4
Sul De Rossi e sulla sua biblioteca acquista dalla Biblioteca Parmense (ora
Palatina) nel 1816 cfr. A. De Pasquale, I fondi ebraici e orientali della Biblioteca
Palatina di Parma, in Exoticis linguis. Libri ebraici e orientali della Biblioteca Palatina
di Parma, Parma: Mup, 2009, pp. 9-52.
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni...
115
duchi don Ferdinando e Maria Amalia d’Asburgo e della nomina del De
Rossi stesso a docente5.
Si tratta di un fascicolo di appena 18 pagine, compreso il frontespizio,
inquadrato in una cornice con piccoli fregi e rosette, con dedica a
Ferdinando di Borbone da parte del Bodoni; esso contiene iscrizioni in
ebraico, siriaco, arabo, siroestranghelo, samaritico, caldaico, rabbinico che
recano, nella pagina pari, la rispettiva versione. Il Bodoni si trovò però di
fronte ad un progetto editoriale già deciso, avendo chiesto il Paciaudi di
fare riferimento all’edizione dei Carmina orientalia del vescovo di Torino
Francesco Luserna Roero di Rorà, stampate nella capitale del Piemonte nel
1768; inoltre i testi in alfabeti non occidentali (tranne gli ebraici, di cui il
Bodoni disponeva i caratteri) erano stati già incisi a xilografia a Torino e
spediti a Parma dal De Rossi. Il marchio bodoniano risulta però evidente
sia dal frontespizio che si discosta dall’archetipo proposto e si avvicina
piuttosto alle esperienze romane alla Propaganda, sia dall’impaginazione
di tutta l’opera, le cui carte sono racchiuse in cornici, contraddistinta da
un raffinato ordine e dalla simmetria tra il testo in lingua orientale e la
versione latina.
Il primo esempio di utilizzo di caratteri esotici di propria fabbricazione
risale al 1774. In quell’anno il Bodoni, ormai collaudata l’attività della
fonderia dei caratteri già dal 1771, in occasione del battesimo di Ludovico,
primogenito del duca regnante, dava sfoggio della sua abilità con un’altra
opera frutto della collaborazione con l’orientalista De Rossi. Si tratta del Pel
solenne battesimo di S.A.R. Ludovico Principe primogenito di Parma tenuto
al sacro fonte da Sua Maestà Cristianissima e dalla Reale Principessa delle
Asturie. Iscrizioni esotiche a caratteri novellamente incisi e fusi6. Il volume
è composto da 50 pagine con contorno e numerate al centro, comprende
una breve premessa del Bodoni di sole tre carte e quindi venti iscrizioni
“esotiche” realizzate in differenti caratteri ricavati da codici posseduti dalla
Biblioteca Parmense, tranne quello fenicio tratto da una dissertazione di
Francesco Perez Bayer stampata a Madrid da J. Ibarra nel 1772 e intitolata
La conjuracion de Catilina y la guerra de Jugurta. De alfabeto y lengua de
los Fenices y de sus Colonias.
H.C. Brooks, Compendiosa bibliografia di edizioni bodoniane, Firenze:
Tip. Barbera, 1927 (d’ora innanzi Brooks), nr. 1415 a); D. Moschini, Genesi dell’«In
nuptiis» per Ferdinando I Borbone e Maria Amalia, “Bollettino del Museo Bodoniano di
Parma”, 7 (1993), pp. 337-352; A. De Pasquale, Gli esordi della Stamperia Reale, in
Il Ducato in scena. Parma 1769: feste, libri, politica, mostra a cura di A. De Pasquale
e G. Godi, Parma, Biblioteca Palatina, 25 settembre–28 novembre 2009, Parma: Grafiche
Step, 2009, spec. p. 60.
6
Brooks nr. 50.
5
116
ANDREA DE PASQUALE
Le iscrizioni sono in lingue delle più varie nature, vive e morte, utilizzate
sia in Oriente che in Occidente, contraddistinte dal fatto di essere scritte
in caratteri non latini, e precisamente in ebraico, ellenistico, rabbinico,
siriaco (maronita), caldeo (siriaco nestoriano), palmireno (dialetto aramico
del I sec. d.C.), turco, ebraico con punti, copto o egizio, siroestranghelo,
samaritano, arabico, fenicio, persiano, greco (lettere maiuscole), tedesco
(caratteri gotici), egizio (lettere maiuscole), armeno, etrusco, punico (o
cartaginese).
Nella prefazione il Bodoni illustrava le sue intenzioni: “A questa non
lieve fatica mi ha incoraggiato il desiderio di rendere la R. Stamperia
per questa parte distinta, e forse unica in Europa. Molte Città vanno pur
celebrate per la signorilità delle stampe in lingue diverse, fra le quali puossi
annoverare Oxford, Leida, Vienna, Amburgo, Heidelberg, Amsterdam,
Francfort sul Meno, Lipsia, Utrecht, Upsal, e specialmente Alcalà, Anversa,
Parigi, e Londra, donde ci sono pervenute le quattro più famose poliglotte.
La nostra Italia, feconda madre d’ogni bell’arte, ha veduto ancor nello
scorso secolo due dotti cardinali, Federigo Borromeo, e il beato Gregorio
Barbarigo ergere con immenso dispendio, uno in Milano, e l’altro in Padova,
due scieltissime stamperie di caratteri forestieri, particolarmente orientali.
Né queste però, né le altre tutte pur insigni, e ben fornite, ch’elleno fossero,
sono da paragonarsi con quella della sagra congregazione della Propaganda
in Roma, a cui niuno potrà mai contendere la copia di tanti esotici bellissimi
caratteri, quali avuti dall’antica Vaticana, dalla Medicèa, dalla Savariana [i
libri arabi stampati a Roma da F. Savary de Brèves e dal collaboratore S.
Paolino tra il 1608 e il 1614, ndr], e quali recentemente incisi, e gettati per
saggio suggerimento di chi a quella con tanta commendazione presiede.
Pure di tante celebri tipografiche officine niuna ve ne ha, la quale abbia
potuto, o possa al presente vantarsi di averne una serie compiuta. Da questa
quasi comune mancanza addiviene, che quante volte si ha a stampare
alcuna cosa in lingue esotiche, si supplisce con tavole intagliate in legno; il
che oltre al presentare all’occhio una sensibile deformità, circoscrive l’uso
di questi fittizj caratteri ad assai poche cose. Sarà dunque pregio della sola
stamperia di Parma lo avere tutti i caratteri convenevoli per mettere in luce,
occorrendo, la più copiosa, ed estesa poliglotta, che siasi fin ad or veduta.
Questo saggio istesso può esserne una conveniente pruova, se non anzi una
dimostrazione”.
Il Bodoni dichiarava inoltre di volersi impegnare in futuro nel disegno
di altri caratteri, quali il babilonico, l’epirotico, lo slavo, l’illirico, l’etiopico,
il ruteno, il malabarico, il bracmano, e la promessa veniva mantenuta
con la celeberrima opera intitolata Epithalamia exoticis linguis reddita
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni...
117
stampata dalla Stamperia Reale nel 1775 in occasione del matrimonio di
Carlo Emanuele Ferdinando IV di Savoia, figlio del re di Sardegna, e Maria
Adelaide Clotilde di Borbone, sorella del re di Francia, frutto nuovamente
della collaborazione con l’abate De Rossi7. Si compone di una carta di
frontespizio, di 5 carte di dediche, con iscrizioni in latino di Paolo Maria
Paciaudi offerte da Bodoni a Vittorio Amedeo III di Savoia, re di Sardegna,
alla moglie Maria Antonia Ferdinanda di Spagna, e agli sposi, di 5 pagine
numerate in caratteri romani con prefazione del Bodoni, di 44 pagine
numerate VII-XLI con una dissertazione del De Rossi che illustra anche
lo sviluppo degli studi delle lingue orientali e i progressi della tipografia in
tali lingue, di 77 carte numerate in caratteri arabi con iscrizioni, dedicate,
le prime 24, da altrettante città del Piemonte e territori annessi (Urbium
subalpinarum inscriptiones exoticae) agli sposi.
Le città e le lingue sono le seguenti: 1. Alba: siriaco; 2. Alessandria:
ebraico; 3. Acqui: caldaico; 4. Asti: arabico; 5. Aosta: copto; 6. Torino:
etiopico; 7. Bobbio: turco; 8. Biella: fenicio; 9. Casale: palmireno; 10.
Tortona: samaritano; 11. Ivrea: ellenistico; 12. Fossano: etrusco; 13.
Mondovì: giudeo-teutonico [ossia jiddisch]; 14. Nizza: persiano; 15.
Novara: rabbinico; 16. Pinerolo: siroestranghelo; 17. Saluzzo: armeno;
18. Susa: tedesco; 19. Vercelli: gotico; 20. Vigevano: russo; 21. Chieri:
tibetano; 22. Cherasco: illirico; 23. Cuneo: bracmannico [ossia caratteri
devanagari, scrittura del sanscrito]; 24. Savigliano: slavonico [o serviano di
S. Cirillo, in cirillico]. L’ultima iscrizione, dedicata dalla Beata Margherita
di Savoia, è in georgiano.
Le 25 iscrizioni esotiche recano un’incisione in rame che richiamava
le glorie della città, realizzata dai migliori artisti di Parma (Benigno Bossi,
Evangelista Ferrari, Domenico Muzzi disegnarono i 139 rami, Giovanni
Volpato, Domenico Cagnoni, Louis Sommerau, Giovanni Francesco
Ravenet, F. Marcorus, Patrini li incisero), e redatte dal De Rossi in onore
degli sposi.
Segue poi la relativa spiegazione delle incisioni (Emblematum quibus
Urbes repraesentatae explicatio), con riferimenti alla storia e all’arte e
alla geografia, redatta dal barone Giuseppe Vernazza, da Giuseppe Maria
Boccardo e dal conte Benvenuto Robbio di San Raffaele. Inoltre ad ogni
epitalamio è abbinata la versione latina in carattere maiuscoli tondi,
Brooks nr. 70. Cfr. anche G. Gasperoni, Di Giovanbattista Bodoni: il
Saggio poliglotto del 1775 e i collaboratori subalpini, “Accademie e Biblioteche d’Italia”,
XVII/3 (1943), pp. 142-150. La Biblioteca Palatina di Parma conserva diverse copie
dell’edizione anche in emissioni diverse e una prova di stampa senza i rami.
7
118 ANDREA DE PASQUALE
compilata dal padre Paciaudi, e decorata da medaglia rappresentante un
principe sabaudo.
Si succedono poi due carte non numerate e 26 pagine in caratteri romani
con un poemetto, in caratteri greci, intitolato Mnemosyne, la dea greca
della memoria che sostava sulle rive del fiume Parma presso il Ponte della
Rocchetta dove si trovava l’officina bodoniana, dovuto al conte Castone
della Torre Rezzonico, segretario dell’Accademia Parmense di Belle Arti
e amico del Bodoni.
Nella premessa del Bodoni “Giambattista Bodoni a’ benevoli”, il
tipografo ancora una volta dichiara il suo interesse per la stampa in alfabeti
non latini: “profittando io de’ lumi del nostro secolo, e dell’ammirabile
ritrovato della stampa mi sono affaticato ad incidere con tutta l’eleganza
e la precisione delle forme, i caratteri delle più strane lingue non solo che
fioriscono a’ nostri giorni nell’Asia, nell’Affrica, e nell’Europa, ma quelli
eziandio che dalla ruggine di tanti secoli ormai consunti perirono colle
favelle e coll’impero degli antichissimi popoli”. La stessa cosa era stata
dichiarata, con autocelebrazione, nella prefazione in cui il Bodoni dice che
“innumeros pene exoticos characteres mea manu descriptos, excisos, fusos,
perpolitos apparavi”.
Al 1782 si data invece l’Essai de caractères Russes gravés et fondus
par Jean Baptiste Bodoni, su 22 carte stampate solo sul recto8, offerto ai
principi di Russia, Paolo, figlio di Caterina II, e consorte che, con il nome
di “Conti del Nord”, giunsero, con un gran seguito, nel 1782 a Parma dove
vollero visitare la stamperia bodoniana.
Dopo la carta di titolo, in caratteri maiuscoli cancellereschi e la
sottoscrizione in minuscoli cancellereschi, seguono otto carte con una
“leggenda” russa sempre diversa in caratteri cirillici minuscoli decrescenti,
quindi altre otto carte con alfabeti russi maiuscoli, uno per ogni carta,
tranne l’ultima che ne ha tre, in senso decrescente. Le carte sono racchiuse
in contorni di due tipi di riquadri. Il testo è bilingue, russo e latino. In calce
reca la Gratulatio, in russo e latino, con l’elogio dei principi, cui segue il
colophon che dichiara la paternità dei caratteri russo e latino del Bodoni.
Il capolavoro della produzione bodoniana in caratteri orientali è
rappresentato dall’Oratio Dominica in CLV linguas versa et exoticis
characteribus plerumque expressa, la preghiera del “Padre nostro” in
155 lingue, stampata a Parma, typis Bodonianis, nel 1806 (il colophon
ricorda che venne finito di stampare il 15 dicembre 1806, ma una versione,
evidentemente non definitiva, era già stata presentata a Parigi nel maggio
di quell’anno all’Esposizione Nazionale dei prodotti dell’industria
8
Brooks nr. 204.
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni...
119
dell’Impero), su 165 carte tutte con doppio contorno sopra cui si trova un
cartiglio con la numerazione in caratteri romani9.
L’opera, dedicata ad Eugenio Beauharnais, viceré d’Italia, e alla
consorte Augusta Amalia, contiene una prefazione trilingue in latino,
francese e italiano, in tre caratteri diversi, due tondi di fattura distinta
e il corsivo. La dedica venne addirittura redatta dal conte de Mejan,
segretario agli Ordini, ministro della corte vicereale, residente a Milano.
Alle traduzioni contribuirono Petitot de Boispréaux e Moreau de St.-Mery
figlio, oltre a Giuseppe De Lama, amico e futuro biografo del Bodoni.
Nella premessa Bodoni dichiarava i suoi principi ispiratori, legati
ad intenti evangelizzatori dei popoli: “Se nei secoli della superstizione
l’antichità ha creduto suo debito consacrare altari a Giove Panonfeo cui
tutti gli uomini porgevamo le loro suppliche, oggidì, nel secolo dei lumi,
non dobbiamo eternare per mezzo delle arti quelle formule venerate
che la religione ha consecrato presso tanti popoli al culto del vero Iddio
onnipossente ed immortale? Bodoni, fermamente persuaso di questa verità,
ha scelto tra le più sante quella che meglio meritava questa preferenza, sia
per la sua sublime semplicità, sia per la divina origine da cui emana, sia
infine pel numero e la purezza dei voti ch’esprime. Egli l’ha pubblicata
in quasi tutti le lingue che si conoscono, con i caratteri proprii di ciascuna
di esse, e ch’egli stesso ha incisi, per metter le nazioni in istato di poter
porgere all’Eterno un omaggio che gli possa piacere”.
Il testo è redatto in 215 caratteri in 155 lingue. Questo è il piano
dell’opera, secondo le indicazioni del biografo De Lama10: “[…] la prima
delle quattro parti in cui sta divisa l’opera contiene 51 versioni per le lingue
asiatiche, la seconda 72 per le europee; la terza 12 per le africane; e 20 la
quarta per le americane. E quantunque in totale risultino sole 155 versioni
in altrettante lingue diverse, non pertanto il Pater si trova stampato 215
volte con altrettanti diversi caratteri, e cioè 68 per le lingue asiatiche; 114
per le europee; 13 per le africane e 20 per le americane. I caratteri esotici
o propri a ciascuna di dette lingue sono 107, vale a dire 43 gli asiatici; 58
gli europei (tra i quali vi ha 34 caratteri greci) e 6 gli africani. Gli altri 108
9
Brooks nr. 1003. Sulla partecipazione dell’opera all’esposizione parigina cfr.
G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 96. Dell’edizione
la Biblioteca Palatina di Parma possiede diversi esemplari, anche con varianti, e alcune
pagine di bozze: cfr. A. De Pasquale, in Il progetto tipografico del libro: Bodoni e i
Tallone, a cura di A. De Pasquale, E. Tallone, Parma, Museo Bodoniano, 2009,
p. 12. La Biblioteca Braidense di Milano invece possiede la bozza dell’intero volume:
Mostra antologica di G.B. Bodoni, a cura di S. Samek Ludovici, Milano: Biblioteca
Nazionale Braidense, 1972, p. 61, n. 65.
10
G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 89.
120 ANDREA DE PASQUALE
caratteri sono comuni o romani, corsivi e tondi, ma talmente variati che le
forme e le dimensioni non appariscono mai le stesse”.
L’Oratio diventa quindi il manifesto della produzione bodoniana
in caratteri orientali (come anche del greco, che egli considerava tra gli
alfabeti “esotici”). Nella prima parte, comprendente le traduzioni in lingue
asiatiche, gli alfabeti sono 43: quadrata ebraica in sette serie, samaritana
in due, siriaca nestoriana in due, ebraica corsiva in tre, siriaca serto in tre,
siriaca estranghelo in tre, araba in due, fenicia in due, araba persiana in due,
tartara di Crimea in una, palmirena in due, malese in tre, giavanese in una,
hindustani in due, brammanica in due, grantha (samscrudonice) in una,
mancese in una, cinese in tre, tibetana in una, georgiana in una, armena
in due. I caratteri utilizzati sono tutti stati disegnati e fusi dal Bodoni; solo
per il cinese il Bodoni, vista probabilmente, la difficoltà di riprodurre gli
ideogrammi, incise i caratteri in legno. Altre versioni del “Padre Nostro” in
altre lingue (quali il malese, canarese, gujarati, marathi, mongolo, tunguso,
bengalese, ecc.) sono invece riprodotte in versione traslitterata in caratteri
latini, per difficoltà di ritrovare testi in tali caratteri.
Nella seconda parte, relativa alle lingue d’Europa, i caratteri esotici
sono 51: 34 per il greco, due per l’etrusco, due per il tedesco (gotico), uno
per il turco, otto per il russo, uno per il gotico d’Ulfila, uno per l’jiddisch
(judaeo-teutonice), uno per il cirillo (slavonice) e uno per il glagolitico
dalmata (illyrice).
Nella terza parte, comprendente le lingue d’Africa, i caratteri esotici
sono sette: uno per la scrittura araba maghrebina (stylo in Barbaria vulgari),
uno per il punico (ex columna Melitensi), due per il copto (Thebaica
dialecto, Memphitica dialecto), uno per l’etiopico e uno per l’amarico.
Altre lingue africane sono rappresentate in versioni traslitterate. Anche le
lingue americane, che occupano la quarta parte dell’opera (Groenlandice,
Canadice, Illinice, Virginice, ecc.), sono in versioni traslitterate in caratteri
latini.
L’opera nasce in aperta competizione con l’edizione dell’Oratio
Dominica in 150 lingue pubblicata nel 1805 da Jean Joseph Marcel,
direttore dell’Imprimerie Nationale di Parigi, di cui una copia era stata
donata al Papa Pio VII in occasione dell’incoronazione di Napoleone, e
da lui mostrata a Bodoni durante il suo passaggio a Parma nel maggio
di quell’anno, sollecitandolo a comporre una nuova edizione “coi nitidi
e più copiosi suoi tipi”11. Si trattò di un’impresa immane, realizzata in
appena un anno, anzi ben meno, se consideriamo che il testo era completo
G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 88.
11
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni...
121
già nell’ottobre 1805, dilungandosi poi nella redazione della premessa,
aggiornata con i riferimenti ai successi napoleonici con i prussiani avventi
il 14 ottobre 1805, a cui il Bodoni dedicò una febbrile attività.
Bodoni nella prefazione faca osservare le differenze tra la sua edizione
e le altre che la hanno preceduta: “nelle quattro edizioni fin qui eseguite
dell’Oratio […] i caratteri esotici in esse adoperati sono per la più parte
incisi in rame, e ciò per evitare la spesa enorme, e il tempo, che si richiedono
a incidere gli opportuni punzoni, e batter quindi le corrispondenti matrici;
laddove in questa mia son tutti mobili, e gettati separatamente”. In più,
nell’edizione del Marcel, erano stati adoperati i caratteri greci incisi da
Garamond per Francesco I ed imitati i caratteri arabi di Stefano Paulino,
oltre ad avere un numero ben più esiguo di alfabeti, mancando i caldaici, i
siriaci, i fenici, i palmireni, i bracmanici, i malabarici, i tibetani, i georgiani,
gli etruschi, gli illirici, gli ebreo-teutonici, il gotico d’Ulfila e il punico.
Particolarmente interessanti sono le fonti utilizzate che il Bodoni
aggiungeva ad ogni alfabeto: le pubblicazioni della stamperia De
propaganda per diversi caratteri, l’Oratio Dominica del Chamberlayne per
numerosi caratteri, le opere di Benjamin Schultze per tre scritture indiane,
l’Evangelium Sanctum stampato a Roma dalla Tipografia Medicea nel 15901591 per i caratteri arabi, le opere dell’abate Tomaso Valperga di Caluso
per i caratteri palmireni, l’alfabeto di Andrea Giorgio per il copto, il Novum
Testamentum stampato nel 1660 ad Oxford per il turco, una non specifica
Sylloge Londinense per l’ebraico e il malese, il Novum Testamentum
stampato ad Amsterdam nel 1770 per il malese, monete antiche per il
fenicio, gli Opuscola del Bayer per la seconda serie del fenico, manoscritti
di missionari per i caratteri arabi, cinesi e mancesi.
La numerosità delle lingue utilizzate e la dovizia delle fonti consultate
attestano sia la preparazione del Bodoni nel campo delle lingue esotiche,
sia, soprattutto, la necessità del ricorso a linguisti e orientalisti competenti.
Mentre non è nota la partecipazione del De Rossi all’impresa, risulta invece
documentata la collaborazione con il cardinale Giuseppe Mezzofanti,
professore di lingue orientali a Bologna12. Quest’ultimo si era indirizzato al
Bodoni, con lettera del 18 luglio 1805, per far stampare una poesia greca di
Clotilde Tambroni e una parafrasi da lui redatta di un verso latino in dieci
lingue orientali, entrambe mostrate a Napoleone di passaggio a Bologna
nel mese precedente.
Bodoni, accondiscendendo alla stampa, inizia così un rapporto
A. Boselli, Giuseppe Mezzofanti e il “Pater” poliglotto del Bodoni,
“L’Archiginnasio”, XI (1916), pp. 115-123; Id., Giuseppe Mezzofanti e Giambattista
Bodoni, “La bibliofilia”, XXVI (1924), pp. 127-134.
12
122
ANDREA DE PASQUALE
epistolare con il Mezzofanti atto a perfezionare il testo dell’Oratio: a
lui inviava le prove di stampa e il cardinale provvedeva alle correzioni,
invitandolo ad interpellare pure l’abate De Rossi. Nella risposta alla lettera
del Bodoni del 20 agosto a cui egli accluse ulteriori prove di stampa,
apprendiamo le modalità di correzione del Mezzofanti: “Nell’aramaico,
siccome ancora nelle lingue malabariche non l’ho potuto servire, perché
non ho esemplari da confrontare, e non sono molto esperto da supplirvi
colle mie cognizioni. Nel copto tebano vedrò di correggerlo come suol dirsi
a memoria, perché nemmeno di esso ho esemplare. Mi nasce un dubbio
che la multiplicità dei segni che indicano gli errori possa far confusione,
ed amerei vedere qualche saggio delle cose che avevano più correzioni, per
conoscerne l’esito. Troverà che nel giorgiano non ho seguito la lezione del
Maggi palermitano, perché è piena di errori la sua gramatica, e par che non
avesse grande orecchio perché confonde i suoi affini”.
Dopo un Saggio di majuscole latine greche, e russe e prove di caratteri
minuscoli in tondo e corsivo del 1788, una coeva raccolta di prove di
caratteri cirillici, un primo tentativo di realizzare un saggio composto da
“ben cento paginette de’ suoi caratteri esotici, ciascuna rinchiusa da un
quadretto di fregi mobili” che vennero rubate al Bodoni nel giugno 179513,
l’insieme dei caratteri esotici si ritrova poi nel Manuale tipografico, già
progettato per tanti anni dal Bodoni, ma mai portato a termine, concluso
ed edito dalla vedova Margherita nel 1818 con la collaborazione del proto
Luigi Orsi14.
Nel secondo volume, nella prima parte che comprende la Serie di
caratteri greci ed altri esotici, si ritrovano gli “altri esotici”: ebraico (7),
ebreo-tedesco, rabbinico (3), caldaico (2), siriaco (3), siro-estranghelo (3),
samaritano (2), arabo (2), turco, tartaro, tartaro manchoù, persiano (2),
etiopico, copto e sue maiuscole (2), armeno e sue maiuscole (2), etrusco (2),
fenicio (2), punico, palmireno (2), serviano di S. Cirillo e sue maiuscole,
illirico di S. Girolamo e sue maiuscole, gotico d’Ulfila, georgiano, tibetano
(2), bracmanico, malabarico. Nella sezione Caratteri tedeschi; e russi tondi
e corsivi, e loro maiuscole compaiono invece: tedesco e sue maiuscole (2),
russo tondo minuscolo (21), russo corsivo minuscolo i numeri 2, 11, 12,
Brooks nr. 1413. Il Museo Bodoniano conserva un Carattere arabico
intagliato da Giambattista Bodoni, direttore della R. Tipografia Parmense e un Carattere
malabarico intagliato da Giambattista Bodoni direttore della R. Tip. Parmense, entrambi
composti da un’unica carta stampata solo sul recto. Sul furto cfr. G. De Lama, Vita del
cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, pp. 50-51.
14
Brooks nr. 1216. Sui saggi di caratteri orientali e sul manuale, di cui il Museo
Bodoniano possiede diverse prove realizzate da Bodoni, cfr. A. De Pasquale, La
fucina dei caratteri, cit., pp. 113-119.
13
Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni...
123
14-21, corrispondenti a quelli tondi; russo maiuscole tonde (25), maiuscole
corsive i numeri 12-25 corrispondenti a quelli tonde.
Le pubblicazioni in caratteri esotici hanno per Bodoni significati e fini
diversi. Da una parte vogliono costituire dei campionari dei caratteri che
egli produceva e vendeva nella sua fonderia, vero e proprio manifesto della
sua maestria nel disegno calligrafico e nell’incisione dei punzoni, anche se
quasi nulle furono le commissioni15, come anche l’utilizzo degli stessi che
si limitò al carattere ebraico e siriaco, per le pubblicazioni del De Rossi
(Specimen ineditae et hexaplaris Bibliorum versioni Syro-estranghelae del
1771) o dell’abate Tomaso Valperga di Caluso, amico e corrispondente del
De Rossi stesso (Dydimi Taurinensis Literaturae Copticae rudimentum,
1783)16.
Dall’altra esse vogliono configurarsi come edizioni improntate
alla ricerca del “bello”, ma anche del curioso, atte a suscitare non solo
l’interesse di orientalisti e studiosi di lingue orientali, del resto molto scarsi,
ma soprattutto le passioni di un pubblico colto ed aristocratico, disposto a
pagare cifre importanti per accaparrarsi dei testi illeggibili, ma da mostrare
come mirabili esempi di esotismo e di raffinata e perfetta tecnica tipografica.
15
Sulla fonderia dei caratteri bodoniani cfr. A. De Pasquale, La fucina dei
caratteri, cit.
16
Brooks nr. 171 e 225.
Les langues et le livre : le manuscrit 150 de la
Bibliothèque de Valenciennes
MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS
La Cantilène de sainte Eulalie, et le Ludwigslied ou Chant de Louis au folio 141 v° du
manuscrit 150 de Valenciennes © Bibliothèque de Valenciennes
Envisager les rapports entre les langues et les médias, tel est le vaste
champ de recherche ouvert depuis peu par Frédéric Barbier1. Or dès
que l’on s’intéresse à l’essor des langues vernaculaires européennes,
deux courts textes français et allemand datés de l’époque carolingienne
attirent l’attention au sein d’un même livre. On a pu parler de « miracle
linguistique » dans la juxtaposition longtemps incomprise de ces deux
1
BARBIER, Frédéric, « [Les Langues imprimées] Avant-propos », Histoire et
civilisation du livre, IV (2008), p. 9-20.
Les langues et le livre : le manuscrit 150...
125
textes au sein du manuscrit latin 150 de la Bibliothèque de Valenciennes2.
Il s’agit de deux poèmes, longs de quelques dizaines de vers, écrits, l’un en
très ancien français, la Cantilène ou Séquence de sainte Eulalie, l’autre en
vieil haut allemand, le Ludwigslied ou Chant de Louis. Leur composition et
leur mise en écrit ont pu être datées avec certitude des années 880 et elles
ont pu être localisées dans un scriptorium situé sur la rive gauche du Rhin
moyen : Mayence pour la composition du Ludwigslied, Echternach, Prüm,
Liège ou Lobbes pour la mise en écrit, Saint-Amand pour la conservation
finale, toutes ces abbayes se situant au cœur ou en bordure du royaume de
Lothaire, la Lotharingie3.
Entre le Rhin et l’Escaut, au centre de gravité de l’histoire européenne,
se trouvaient confrontés les mondes latinophone et germanophone. Les
Mérovingiens, occupés à conquérir leur romanité culturelle et juridique, ne
se sont pas préoccupés du germanique, langue inscrite dans l’oralité pure
et diffractée en nombreux dialectes. Par contre les Carolingiens, désormais
maîtres de leur héritage latin, romain et chrétien, et davantage implantés dans
l’Est germanique, ont mis en place l’outillage grammatical qui favorisait
l’accès d’une langue « sauvage », selon l’expression de l’érudit Ottfrid de
Wissembourg au IXe siècle, au statut de langue écrite et littéraire : Éginhard
raconte que Charlemagne lui-même aurait fait mettre par écrit d’anciens
poèmes épiques et qu’il aurait tenté de rédiger une grammaire de la langue
francique 4.
Dans les territoires latinophones, le latin parlé depuis des siècles par
l’ensemble de la population avait évolué au point qu’il ne ressemblait plus
que d’assez loin à la langue écrite traditionnelle. Le latin restait employé
oralement par les hommes d’Église, les clercs et les élites, mais la volonté
des Carolingiens de restaurer un latin classique, jugé plus digne, tendit à
le figer. Les dictionnaires fleurirent dans les bibliothèques carolingiennes
pour rendre plus explicites certains termes mal compris des moines :
la Bibliothèque de Valenciennes possède un exemple de ces « Claves
Scripturarum »5. La langue romane, qui pouvait dès lors passer pour une
BALIBAR, Renée, Eulalie et Ludwig : le manuscrit 150 de la Bibliothèque de
Valenciennes : colinguisme et prémices littéraires de l’Europe (Cortil-Wodon : E.M.E.,
2005), p. 17, 39.
3
SCHNEIDER, Jens, Auf der Suche nach dem verlorenen Reich : Lotharingien im
9. und 10. Jahrhundert (Cologne, Weimar, Vienne : Böhlau Verlag, 2010).
4
Cf. BANNIARD, Michel (dir.), Langages et peuples d’Europe. Cristallisation des
identités romanes et germaniques (VIIe–XIe siècles) (Toulouse : Université de Toulouse
Le Mirail, 2002).
5
Ms 100. DION, Marie-Pierre, « Le Scriptorium et la bibliothèque de l’abbaye
de Saint-Amand au IXe siècle », in : La Cantilène de sainte Eulalie [actes du colloque
2
126
MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS
version abâtardie du latin et ne bénéficiait pas, comme le francique, du
statut de langue de la famille impériale, n’engendra apparemment pas
d’œuvre littéraire avant la fin du IXe siècle6.
Dans les deux territoires, des textes romans ou germaniques servaient à
édifier les populations, conformément aux recommandations du synode de
Tours en faveur de l’emploi des langues vulgaires dans la prédication. Ces
textes romans ont rarement eu droit d’entrée dans les livres 7. Le sermon
en langue romane sur Jonas, conservé à la Bibliothèque de Valenciennes
(ms 521), est une exception : ce document autographe, rédigé en partie en
notes tachygraphiques, est un brouillon qui a servi à renforcer une reliure
et a été conservé par hasard. Seuls les lettrés, maîtrisant l’écrit, avaient les
moyens de conserver trace des langues naturelles. Qu’est-ce qui pouvait
les pousser à se risquer hors de la tradition latine, socialement valorisante,
et ce, dans une région où la présence franque était ancienne et prégnante ?
Telle est l’une des questions que pose le manuscrit 150 de la Bibliothèque
de Valenciennes. Pourquoi y trouve-t-on côte à côte des textes en latin, en
français et en allemand qui n’ont semble-t-il aucun lien entre eux ?
Après l’examen du manuscrit, sera retracée l’histoire de son étude qui
s’est longtemps focalisée sur les langues en perdant de vue l’ensemble du
livre. L’interprétation unitaire qui prévaut aujourd’hui, fait du manuscrit un
parfait représentant non du multilinguisme (le multilinguisme juxtapose ou
mêle les langues) mais du colinguisme carolingien (le colinguisme définit
et réunit les langues, selon l’inventrice du concept, la linguiste Renée
Balibar8).
Sous sa modeste couverture de peau non apprêtée (« liber pilosus »),
et malgré sa petite taille (237 x 150 mm), le manuscrit 150 est d’une
importance fondamentale pour l’histoire des littératures européennes. Au
folio 141 v°, la Cantilène de sainte Eulalie, datée de peu après 882, est le
plus ancien texte littéraire en langue romane qui soit parvenu jusqu’à nous.
La Cantilène ou Séquence de sainte Eulalie est un hymne religieux. Elle
raconte comment, au cours de la persécution de 304, une jeune fille de treize
ans appartenant à une riche famille de Mérida refusa de renier sa foi. C’était
aller au-devant du martyre qu’Eulalie subit avec un courage exemplaire.
organisé par la Bibliothèque de Valenciennes, à Valenciennes, le 21 mars 1989] (Lille :
ACCES, 1990), p. 35-52.
6
BUHRER-THIERRY, Geneviève, MERIAUX, Charles, La France avant la
France, 481-888 (Paris : Belin, 2010), p. 508-509.
7
Cf. RUBY, Christine, « Les premiers témoins écrits du français », in : La Cantilène
de sainte Eulalie, op. cit., p. 61-72.
8
BALIBAR, Renée, L’Institution du français : essai sur le colinguisme des
Carolingiens à la République (Paris : Presses Universitaires de France, 1985).
Les langues et le livre : le manuscrit 150...
127
Bâti sur une émouvante progression dramatique, le poème s’achève par une
image empruntée au poète Prudence (au moment où Eulalie expira, on vit
une colombe blanche sortir de la bouche de celle-ci et s’élever vers le ciel)
et sur une prière (l’auditoire est invité à prier Eulalie d’intercéder pour lui
auprès du Christ).
Aux côtés de la Cantilène de sainte Eulalie, transcrit par la même main
pleine d’aisance, figure le Ludwigslied, intitulé « Rithmus teutonicus »
dans le manuscrit. Il s’agit d’un des premiers « monuments » littéraires
de la langue allemande. C’est un panégyrique chanté, célébrant la victoire
du roi carolingien Louis III sur les Normands à Saucourt-en-Vimeu,
près d’Abbeville, le 3 août 881. Il s’adresse à un public informé car les
circonstances de la bataille sont peu développées. Le jeune roi carolingien
victorieux, abondamment loué, est présenté comme l’instrument de la
volonté divine.
On a souligné que ces deux textes destinés à devenir célèbres n’avaient
paradoxalement pas eu les honneurs d’un livre, c’est-à-dire d’un support
matériel spécialement conçu pour eux. Transcrits à la fin d’un manuscrit
latin antérieur (début du IXe siècle) – un recueil de sermons de Grégoire
de Naziance traduits du grec en latin, dont les derniers feuillets étaient
restés blancs par hasard –, ils sont le fruit d’une copie a posteriori. L’étude
codicologique et paléographique du manuscrit montre cependant que les
ajouts de textes au manuscrit ont été fait avec réflexion et avec un soin
particulier. Le livre a été dérelié puis relié à nouveau de manière à ce que
ses 141 feuillets soient suivis de 2 nouveaux feuillets. A la suite du texte
de Grégoire de Naziance, les cinq textes qui sont tous des textes poétiques
ou « rithmi » ont été copiés en quatre étapes successives par quatre mains
différentes9.
Dans un premier temps, en face de l’explicit du texte de Grégoire, on
a copié un poème célébrant sainte Eulalie en latin. Le culte de celle-ci,
alors attesté dans le Nord et notamment à Saint-Amand, connut peut-être
un regain de ferveur suite à la découverte et à la translation de reliques
de la jeune martyre à Barcelone en 878. Le poète, musicien et amateur de
figures de style recherchées, fait – dans plus d’un tiers des vers – référence
au chant, à la voix, à l’instrument de musique et il ne réserve que quatre
distiques à la sainte espagnole. Il célèbre conjointement la fonction des
chantres, la toute puissance de Dieu et l’harmonie du monde.
Une autre main a ajouté à la suite la séquence latine Dominus caeli rex.
9
SIMERAY, Françoise, « La Découverte de la Cantilène de sainte Eulalie », in :
La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 53. Voir aussi : BERGER, Roger, BRASSEUR,
Annette, Les Séquences de sainte Eulalie (Genève : Droz, 2004), p. 45-60.
128 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS
Sur fond tragique de guerres (les invasions ou « cohortes d’impies » sont
évoquées aux vers 29-30), vingt distiques décrivent les perturbations causées
par les hommes dans un monde où l’harmonie voulue par Dieu équilibre
les quatre éléments, idée développée par Boèce dans la Consolation de
Philosophie10.
Une troisième main a tourné la page et transcrit au verso exact de la
séquence latine, la séquence romane en l’honneur de sainte Eulalie puis, à
la suite et sur plusieurs pages, le Ludwigslied. Les deux séquences latine et
romane ne sont pas des traductions l’une de l’autre, même si elles évoquent
toutes deux Eulalie à travers une source commune, le poète Prudence.
Quant au titre du Ludwigslied (« Rithmus Teutonicus de piae memoriae
Hludvico rege »), il permet de dater la transcription des textes roman et
francique après le 5 août 882, date de la mort du roi Louis III.
Une dernière main a copié une dernière séquence latine, Vis fidei tanta
est. Ce texte précieux et énigmatique est construit comme une lettre de
vœux et il a pour sujet l’amour fraternel en symbiose avec la foi, avec
référence à l’évangile de Matthieu. Le poète formule des vœux à l’adresse
de son lecteur et espère quant à lui être épargné par le « tourbillon d’un
funeste naufrage »11. S’agit-il d’un envoi accompagnant le don du livre à
l’abbaye de Saint-Amand dans une période profondément troublée ?12
Les études concernant le manuscrit 150 ont longtemps ignoré ces
questions, se focalisant seulement sur l’émergence de deux langues et
littératures nationales.
Au cours des diverses péripéties de l’histoire de la bibliothèque
de l’abbaye amandinoise, le manuscrit tomba dans l’oubli13. Le savant
bénédictin Dom Mabillon, de passage à Saint-Amand en 1672, vit cependant
son attention attirée par les moines sur le texte du Rithmus teutonicus qu’il
recopia. Il voulut par la suite effectuer des vérifications mais les moines
ne purent retrouver le manuscrit, une partie de la bibliothèque s’étant
effondrée suite à un tremblement de terre. Le texte fut édité par un ami de
Mabillon, l’historien strasbourgeois Johannes Schilter en 1696, puis par
Mabillon lui-même en 1709 dans les Annales Ordinis Sti Benedicti. Honoré
10
BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit., p. 189.
Ibid., p. 195.
12
On suppose que suite aux assauts normands qui détruisirent plusieurs fois
l’abbaye, en 881 et 883, les moines eurent à reconstituer leur bibliothèque. PLATELLE,
Henri, « L’Abbaye de Saint-Amand au IXe siècle », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op.
cit., p. 18-34.
13
SIMERAY, Françoise, « La Découverte de la Cantilène de sainte Eulalie », in :
La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 53-60.
11
Les langues et le livre : le manuscrit 150...
129
comme premier monument de la langue allemande, comme « chant des
ancêtres » par Herder (1778), le poème reçut des frères Grimm, en 1819, en
plein romantisme allemand, le titre de Ludwigslied qu’il portera désormais.
Il fallut attendre 1837 pour que le célèbre poète politique et philologue
germanique, Hoffman von Fallersleben (l’auteur de Deutschland über
alles), insatisfait des transcriptions et traductions dont il disposait, partît à
la recherche du Rithmus Teutonicus que l’on croyait perdu, et « découvrît »
le manuscrit à la Bibliothèque municipale de Valenciennes – ville la plus
proche de l’abbaye de Saint-Amand – où il avait été déposé en 1791, dans
le cadre des confiscations révolutionnaires. Hoffman von Fallersleben
découvrit alors le texte en langue romane célébrant Eulalie. Aussitôt
recopiée et publiée à Gand en 1837, la Cantilène de sainte Eulalie n’a pour
sa part pas eu la renommée d’un chant national, mais elle a longtemps
figuré en tête des chrestomathies et autres manuels de littérature médiévale
française. La difficulté de compréhension de son texte, son caractère
religieux marqué limitent aujourd’hui encore son rayonnement.
Les péripéties de la découverte et de l’édition des deux poèmes ont
entraîné un fait paradoxal. Le texte allemand et le texte français ont été
édités, étudiés et traduits séparément. Leur proximité à la fois spatiale et
scripturale au sein du recueil est passée quasi inaperçue. Lorsqu’elle était
remarquée, c’était en vue d’exalter l’avenir de deux langues promises
chacune à un destin exceptionnel. L’idéologie nationaliste des langues
a ainsi conduit pendant plus de deux siècles à considérer les deux textes
comme étrangers l’un à l’autre14.
En 1989, un colloque organisé par la Bibliothèque de Valenciennes
réunissait pour la première fois des spécialistes autour du manuscrit et
des différents poèmes. Le but était de faire le point des connaissances, les
spécialistes ayant multiplié les exégèses érudites sans se mettre d’accord
sur le sens des vers, et d’avancer sur la question de savoir par qui, pour qui,
pourquoi et où les textes avaient été écrits et copiés. Les deux textes roman
et francique sont alors apparus comme partageant leurs formes, mais aussi
leurs publics et leurs sujets liés à l’actualité du temps. Centre de culture
dont on n’a pas fini de mesurer le rayonnement intellectuel, littéraire et
artistique aux temps carolingiens et postcarolingiens, l'abbaye de SaintAmand était une abbaye royale, un centre d’accueil hébergeant les riches
élites (dans la Porta) et les voyageurs pauvres (dans l’Hospitale pauperum).
On a alors émis l’hypothèse selon laquelle les textes auraient pu être récités
14
BALIBAR, Renée, Le Colinguisme (Paris : Presses Universitaires de France,
1993), p. 85-87.
130
MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS
ou lus au cours des offices ou des repas, pour l’édification des hôtes laïcs
de l’abbaye15.
Dans la foulée de ce colloque, au lieu d’examiner la couleur des encres
ou de décortiquer la langue des deux célèbres textes comme le faisaient
jusqu’alors les philologues, l’historienne des origines de la littérature Renée
Balibar a rapproché les deux poèmes des autres poèmes du livre et du corps
du manuscrit. Le manuscrit 150 se compose de la traduction latine de huit
discours de Grégoire de Naziance. Or Grégoire de Naziance, évêque en Asie
mineure au IVe siècle, contemporain de saint Augustin, a été le théologien
de l’Esprit-Saint. Dans l’un des discours du manuscrit valenciennois,
Grégoire enseigne que la malédiction de Babel – la division des langues –
se transfigure en bénédiction par le miracle de la Pentecôte. S’appuyant
tant sur la patristique que sur la disposition savamment enchevêtrée des
textes, Renée Balibar rattache ainsi les séquences en l’honneur d’Eulalie
à la prédication de Grégoire16. Eulalie – de eu- (« bien ») et lalein (« tenir
un langage ») – est « celle qui parle bien » : elle apporte l’Evangelium (la
« Bonne nouvelle »). La démonstration restée inachevée n’a pas convaincu
toute la critique mais il convient de noter que l’édition la plus récente
consacrée au manuscrit, celle d’Annette Brasseur et Roger Berger (Droz
2005), rassemble désormais les traductions de l’ensemble des poèmes
latins, français et allemand, pointant ainsi l’unité du recueil17.
L’unité du livre est d’abord religieuse. Le multilinguisme ou division
des langues est une réalité pour les moines de Lotharingie (à noter qu’il
s’agit moins de frontière linguistique et identitaire que d’une mosaïque de
parlers, d’une interpénétration linguistique) : la transcription de textes de
langues diverses mais de même inspiration chrétienne pourrait donc illustrer
la pensée de Grégoire sur le « don des langues » ou l’exigence chrétienne
de traduction. Renée Balibar écrit joliment que les moines recherchaient
la « clé des langues, c’est-à-dire le pouvoir d’inscrire les langages sous
les signes de grammaire de manière que les nouvelles langues écrites
contrastent à la fois entre elles et avec la langue latine, et de manière que
leur recréation en écriture contraste avec l’impureté de leur discordance »18.
La fin de la communication verbale courante en latin se situant vers 750800 pour la France du Nord, les moines ont en 880 conscience suffisante de
15
PLATELLE, Henri, loc. cit. FAUGERE, Annie, « Le « Rithmus teutonicus » et la
Cantilène de sainte Eulalie », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 97-100.
16
BALIBAR, Renée, Eulalie et Ludwig, op. cit.
17
BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit.
18
BALIBAR, Renée, « Eulalie et Ludwig : le génie littéraire », Le Gré des langues,
3 (1992), p. 187.
Les langues et le livre : le manuscrit 150...
131
ce qui deviendra le français. Leur connaissance profonde de la grammaire
latine et leur maîtrise des difficultés de notation, soulignées par tous les
spécialistes, aboutissent à un rendu fidèle de la langue romane avec une
aisance d’expression et un système graphique cohérent 19. En transcrivant
les deux séquences latine et romane en l’honneur d’Eulalie et d’autres
textes d’actualité, ils illustrent à leur façon un livre destiné à l’étude du
« parler en langues » selon l’expression de saint Paul reprise par Grégoire
de Naziance.
La rigueur d’écriture est indissociable de la poésie « sonore » qui
réunit les textes au sein du livre Tous les poèmes du manuscrit 150 sont des
rithmi destinés au chant, dans le cadre de la liturgie ou de la transmission
hagiographique20. Pour être entendus les clercs doivent s’exprimer de la
manière la plus claire et persuasive possible. La voix n’est pas un simple
outil de transmission mais un vecteur d’émotion et un moyen d’affirmation
de la foi, comme le développe la séquence latine en l’honneur d’Eulalie.
La Cantilène de sainte Eulalie en est une parfaite illustration : épousant
le discours chrétien, elle rappelle l’humilité et les souffrances du Christ,
vérité première du Christianisme, et derrière sa simplicité apparente, laisse
transparaître une musicalité et une harmonie unissant immédiatement les
hommes « en Esprit ».
Dans le prolongement de l’idée d’union en Esprit, le livre témoigne
d’une aspiration à l’unité. Dans les cinq poèmes sont largement évoqués le
désordre du monde (Dominus caeli rex, Vis Fidei tanta est), les invasions
normandes (Dominus caeli rex, Rithmus teutonicus), la perte d’unité du
royaume (Rithmus teutonicus). Il faut y lire une aspiration profonde des
moines à la « loi de la paix en un concert harmonieux » (Dominus caeli rex),
en une période particulièrement troublée. Le Rithmus teutonicus a, selon
Jens Schneider, été écrit pour appuyer la promotion du jeune et valeureux
roi Louis III auprès de l’entourage germanophone de l’empereur Charles le
Gros. L’adoption du jeune roi par l’empereur, suggérée par Hincmar dans
une lettre à Charles, pouvait apparaître comme le meilleur moyen de lutter
contre les Normands qui menaçaient la Francie orientale, et de rétablir
l’unité de l’Empire carolingien21. La Cantilène de sainte Eulalie oppose
19
BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit., p. 161-162.
RUBY, Christine, art. cité, p. 66. Sur le lien indissociable entre poésie et voix, cf.
ZUMTHOR, Paul, La Lettre et la voix. De la littérature médiévale (Paris : Seuil, 1987).
La musique était un art cultivé avec un soin particulier à l’abbaye de Saint-Amand. Cf.
DION, Marie-Pierre, GOUDESENNE, Jean-François, De musica : Hucbald et l’héritage
musical carolingien (Valenciennes : Bibliothèque municipale, 2003).
21
SCHNEIDER, Jens, ibidem. L’abbé de Saint-Amand, Gauzlin, de la famille des
20
132 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS
les « pagiens » aux chrétiens : l’envol de la colombe est simultanément
symbolique du souffle victorieux de la jeune fille et de l’Esprit-Saint.
Jens Schneider a aussi montré que le Ludwigslied n’était pas porteur de
distinction identitaire germanique mais opposait les Francs, confortés par
un chant religieux, aux Vikings païens22.
Dans l’histoire occidentale des médias, le moment où la langue de
communication écrite, le latin, se distingue des langues vernaculaires
orales est une première grande rupture. Lentement à partir du IXe siècle, ces
langues pénètrent dans le livre : c’est un autre « moment particulièrement
émouvant de notre histoire intellectuelle, [que] celui où émergent d’un
fonds d’oralité changeant et insaisissable par nature les premier témoins
écrits de ce qui va devenir [une] langue, [une] littérature »23. Cette mise en
écrit est faite en symbiose avec des textes latins qui disposaient d’un solide
réseau scriptorial. Elle apparaît dans le manuscrit 150 de Valenciennes
comme un exercice savant lié à la prédication, réalisé non dans un but de
différenciation mais dans un idéal de communion et d’unité, d’où peut-être
la réussite littéraire des textes.
Rorgonides, petit-fils de Charlemagne par sa mère, et archichancelier du roi Louis III du
vivant de celui-ci, favorisa par la suite le rapprochement des grands de Francie occidentale
avec Charles le Gros.
22
SCHNEIDER, Jens, Auf der Suche nach dem verlorenen Reich, op. cit., p. 347 et sv.
23
RUBY, Christine, loc. cit., p. 61.
A Survey of Arab-Islamic Studies Published
at the University of Naples “L’Orientale”
VINCENZA GRASSI
The present study aims at offering a bibliographical survey concerning
the Annali and Studi Magrebini, two “Orientalist” journals edited by the
“Orientale”, one of the four universities of Naples. This survey will deal
with Arab studies of the Islamic period, while studies in other linguistic
contexts have been taken into account only when strictly linked to the
development of Islamic thought and culture. It was deemed opportune to
focus the attention on the post-seventies period because in these years a
new generation of scholars began their scientific activity and today they
represent the Italian contribution to the progress of Arab-Islamic studies.
Although the present survey is a mere bibliographical study, it links up with
a long tradition of Italian bibliographical publications concerning Oriental
studies in a broader sense.
It was in 1825, and exactly in the issues 38, 39, and 40 of the Milanese
journal “Biblioteca Italiana ossia Giornale di letteratura, scienze ed arti
compilato da una società di letterati”, that a survey of the publications
issued in Europe between 1816 and 1820 was edited by Giuseppe de
Hammer. In 1842 the progress of the teaching of Oriental languages in Italy
was presented by Francesco Predari, and in 1876 an extension and update
of this last work, titled Matériaux pour l’histoire des études orientales
en Italie, was compiled by the well-known Italian orientalist Angelo de
Gubernatis, on the occasion of the third International Congress of the
Orientalists held in St Petersburg. A bibliography on Oriental studies in
Italy from 1861 to 1911 was published in the fifth volume of the Rivista di
Studi Orientali by the scholars of the Oriental Section of the University of
Rome. While the first issue came to light in 1913, the second one, dealing
with the Far East, appeared only in 1927.
134
VINCENZA GRASSI
It is against this background that the birth of the Annali of the Regio
Istituto Orientale is to be set. A first attempt to create a periodical of the
Institute took place in 1894, but the journal called L’Oriente lasted only two
years. In 1904, a further attempt was made with the Memorie, which did
not survive its first issue. The failure of these enterprises was attributed, in
an anonymous preface to the first volume of the Annali, dated 1928–1929,
to the indifference and lack of farsightedness of the political establishment
who did not seem to be interested, at the time, in the political and practical
implications of the studies about “overseas countries”. However, this
criticism does not seem to be soundly grounded, as Italian colonial politics
was already started in the 1880s, and in 1913 the Institute had been acquired
by the newly established Ministry for the Colonies, with the intent to make
it an instrument of colonial purposes1. Nevertheless, in 1923 the Institute
was again under the administration of the Ministry of Education and in
August 1925 it acquired the status of university. The unsuccessful attempts
of its first reviews were, perhaps, a product of the history of the “Orientale”
itself, which has never been easy.
Notwithstanding the strong hostilities of the Papal Court and
Propaganda Fide, who did not approve the establishment of a missionary
school escaping their control, the institution was born in the first half of 18th
century as the Collegio dei Cinesi2, a College for Chinese (and “Eastern
Indian”) students, who would eventually become priests of the Roman
Catholic Church. Its founder was Father Matteo Ripa (Eboli 1682 – Naples
1746), a secular priest who instituted the Congregation of the Holy Family
of Jesus Christ, attached to the College, which later on was opened to young
Christians coming from the lands of the Ottoman Empire. The congregation
also hosted a boarding school where Chinese language, ecclesiastical
1
See the law dated 19 June 1913 concerning the re-ordering of the Istituto Orientale
di Napoli, published in the Gazzetta Ufficiale dated 15 July 1913, no. 164. In the first three
decades of 1900, the Fascist attitude towards the Arab World was aimed at the control
of the Mediterranean Sea. The support to the Arab nationalism in the Mashriq should be
understood in an anti-British perspective. Different was the case of Italian colonial policy
in Africa. In those days the role Italy played in Middle Eastern affairs was highly esteemed
at international level, especially when, in 1929, Grandi, a fervid supporter of the coming
Second Italo-Abyssinian War, succeeded Mussolini at the Ministry of Foreign Affairs. As
for the Italian orientalists’ position, it was very diverse, ranging from Nallino’s interest in
religious and cultural issues to Guidi’s commitment to the regime.
2
A brief history of the Orientale is to be found in a bilingual Italian-English edition
published by Michele FATICA, Sedi e Palazzi dell’Università degli Studi di Napoli
“L’Orientale”, Naples, Università degli Studi di Napoli “L’Orientale”, 2005, who also
devoted much effort to edit Ripa’s writings.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 135
subjects and humanities were taught to the children of wealthy families,
among whom is to be remembered St Alfonso Maria de’ Liguori.
With the creation of the Italian unitary state, the Institute links with the
religious congregation were definitively cut and in 1888 the Reale Collegio
Asiatico3, formerly the “Collegio dei Cinesi”, became the Regio Istituto
Orientale of Naples and, thus, part of the state-controlled educational
system4. The ensuing autonomy of the Institution was accompanied, as
evidenced by the accounting records, by malpractices in the administration
of its conspicuous patrimonial holdings. The financial recovery, witnessed
at the turn of the century, laid the foundation for a revival of the academic
life too, which, due to the negative effects of the First World War, was
short-lived. In the 1920s a new interest for colonial studies, promoted by
Fascism, led to a re-structuring of the Institute. In 1925 it became a School
of Higher Education and, among the activities of the new institution, the
Royal Commissary5, Senator Alberto Geremicca, envisaged the creation
of a biannual journal, under his own editorship. This journal was to be
devoted to linguistic and colonial studies produced by the academicians,
distinguished students of the Orientale. This activism was inspired by the
political climate of those years, when the regime was planning a further
Italian colonial expansion in Africa.
In 1940 a new series of the journal was started with a volume in
honour of Luigi Bonelli, a specialist in Turkish studies, whose legacy was
taken over by his pupil Alessio Bombaci. It contained papers by Italian
colleagues together with contributions by eminent international scholars.
Starting from 1956, the Annali was divided into five sections: Orientale
(Oriental), Slava (Slavish), Germanica (Germanic), Romanza (Romance),
and Linguistica (Linguistic). However, only the Oriental section has kept
a link with the historical series of the Annali, resuming and taking up the
numbering of this latter. The Department of Asian Studies also started
3
The previous boarding school was transformed into the Reale Collegio Asiatico
in 1868, where students had the possibility of learning other modern Oriental languages:
Mongolian and Russian since 1868, Arabic since 1872, modern Greek, Persian, Urdu
and Hindi since 1878. Also at this early stage the Collegio appeared to be a resource for
Italian diplomatic relationship with the Chinese Empire and to create spheres of cultural
influence in the Eastern lands.
4
See Law n. 5873, published in the Gazzetta Ufficiale, dated 27 December 1888. The
transformation followed to conflicts between the congregation and the Italian government
for the administration of the patrimony of the Collegio, ended with its acquisition by the
Italian State.
5
The setting up of royal commissaries was created by the fascist government to
manage directly the Institute administration.
136
VINCENZA GRASSI
to publish two series of monographic studies linked to the Annali, which
go under the titles of Series Minor (72 volumes) and Series Maior (13
volumes), respectively since 1974 and 1979.
As for Studi Maġrebini, in 1966 a Center for North African Studies was
founded in Naples within the “Orientale”. The main output of its activity
was the publication of a journal titled Studi Maġrebini. In the first number,
dated 1966, the aims and principles which gave life to it were clearly stated,
that is “to set an International cooperation without frontiers, fostering a
growing participation of North African scholars”, in order to strengthen
the links of friendship and understanding between Italy and the Maghreb.
Issues would take the form either of miscellaneous or monographic works.
The main interests were to be on topics ranging from archeology to
philology, philosophy, and political history, within a unified perspective that
framed the Maghreb from its earliest origins to the present day. However,
the journal kept a primary concern for the importance of Islam, which was
considered the basis of today’s civilization of the Maghreb. Nevertheless,
as results from the scrutiny of the volumes, the range of topics was soon
extended to all the fields of Arab-Islamic studies, including Berber and
African languages and literatures, North African literature in French, the
protection of art and cultural heritage, and so on.
Owing to a re-structuring of the “Orientale” in the early 70’s, the
School of Islamic Studies was created in 1974 by the will of the jurist and
islamologist Roberto Rubinacci and the Turkish studies scholar Alessio
Bombaci, and Studi Maġrebini has been linked to the destiny of the School
ever since. Also, the Department of African and Arab Studies published a
monograph series that, after a first volume by Giovanni Oman, edited in
1973, has appeared since 1984. From 1983 to 1995, Giovanni Oman was
editor in chief of Studi Maġrebini. After volume 24 (1992), the publication
of the journal was interrupted, and its publication was resumed only in
2002 with volume 25 (1993–1997), as a Festschrift in honor of Giovanni
Oman. Two years later, the last number of the old series appeared, this time
dedicated to Clelia Sarnelli Cerqua, professor of History of Islam from the
early age to the Abbasid period. Both of them held the charge of Dean of
the School of Islamic Studies, which in the last years has been transformed
into a Faculty.
The new series edited since 2003 by Agostino Cilardo, present Dean of
the Faculty of Arab-Islamic and Mediterranean Studies, continues with the
methodological and scientific approach followed in the past, but at the same
time the journal wants to be a forum for a discussion of the contemporary
development of the Mediterranean basin from a legal, economical, political
A Survey of Arab-Islamic Studies... 137
and social point of view, promoting the dialogue and interaction among
peoples, languages and cultures of the area. In this perspective, the presence
of Muslim communities in Western countries has also become a topic of
interest. Italian scholars who contribute to the journal feel particularly
engaged by the perspective of deepening these basic aims, given the role
which Italy has continuously been playing as a bridge between the two
shores of the Mediterranean Sea. Volumes 2 and 3, dated respectively 2004
and 2005, are a miscellaneous work in honor of Luigi Serra, professor of
the Berber Language. The last issues, 6 (2008) and 7 (2009), contain the
Proceedings of the 8th Afro-Asiatic Congress, held at the Orientale, which
were edited by Sergio Baldi. The latest issue, dated 2010, contains the
papers delivered during a one-day study meeting organized at the Orientale
on the occasion of the 70th commemoration of the Italian orientalist Carlo
Alfonso Nallino, founder of the Istituto per l’Oriente, in Rome.
From the perusal of the articles published in both journals, a first
difference stands out. In fact, whilst Arab-Islamic studies represent the bulk
of the studies published in Studi Maġrebini, they constitute a small part
in the Annali, when compared to those concerning Ancient Near, Middle
and Far Eastern cultures. This is due to the fact that most of the scholars
publishing in the Annali undertook archeological field works which have
allowed the “Orientale” to work in concert with the Istituto per il Medio ed
Estremo Oriente, now named ISIAO, after its fusion with the Institute for
African Studies, both in Rome. Moreover, the same is true for areas outside
the Muslim-Arab heartlands. Unlike the Annali, Studi Magrebini published
articles of the scholars of the Department of Arabic and Islamic studies,
most of whom also took part in the activity of the Istituto per l’Oriente
C.A. Nallino in Rome. Also this last institution edited a journal, Oriente
Moderno, which is mainly focused on contemporary issues.
In the present survey the studies of both journals have been recorded
according to their topics. The first scrutinized area of research deals with
Art, Archeology and Architecture. The scholars gathered basically around
the late Umberto Scerrato, who was charged with teaching the History of
Islamic Art, first at the “Orientale” and later at the University of Rome.
His interest in Iran and Afghanistan, as well as the Islamic influence on
Italian arts and architecture, gave a definite drive to the studies that were to
follow. He was one of the leaders, together with Italian archeologists and
architects such as Eugenio Galdieri, mainly living in Rome, of the activities
promoted by the IsMEO and the National Oriental Museum in Rome. It is
to be underlined that most of these activities had already started in the late
50’s, with excavation campaigns in the Swat area in Pakistan, at Ghazni
138 VINCENZA GRASSI
in Afghanistan, and in the Iranian Sistan, according to the will of the then
President of the Institute: Giuseppe Tucci. The reports of the missions were
published in two series: Reports and Memories of the Centro Studi e Scavi
Archeologici in Asia (since 1962) and Restorations, but today they appear
for the most part in East & West. Other important archeological activities
took place in Yemen, with leading scholars De Maigret, for the Preislamic
period, and Scerrato and the urbanist Paolo Cuneo for the Islamic one, and
in Isfahan area (Scerrato – Galdieri).
The continuity with Scerrato’s interests can be traced in the works of
Giovanna Vassallo Ventrone, and, above all, in those of Maria Vittoria
Fontana, who developed themes related to Persian iconography, illumination
in Islamic manuscripts, and the influence of Islamic art in Italy, especially in
the field of ceramics. The youngest member of this group, Roberta Giunta,
mainly concerned with epigraphy and numismatics, is exploiting and
updating the materials collected since the 60’s by the IsMEO archeological
missions, both in Afghanistan and in Yemen. Among the contributors, a
group of experts in Islamic Art operating abroad, especially in London and
in the University of Ca’ Foscari in Venice, also appears in the list. Studies
concerned with the Arabian Peninsula have been carried out on the spot by
Paolo Costa, of the IsMEO group, whose main themes are the continuity
of Arab craftsmanship, in both technical and aesthetic terms, from Late
Antiquity into the Islamic period; the relationship between the natural and
the built environment; and the dependence of architecture and settlement
patterns on the exploitation of natural resources, especially water.
Another remarkable scholar working in the field of Islamic art and
architecture is Vincenzo Strika, who taught for many years the History
of Islamic Art, whose ecclectic personality drove him to exploit different
fields, such as Omayyad architecture, and more recently Iraqi architecture,
together with Jābir Khalīl, as a product of an Italian – Iraqi joint survey.
Political issues of Islamic contemporary history and, being a poet himself,
Classical and Modern Arabic literature, with regard to either poetry or
fiction, appears among his interests, too. Strika and Giovanni Oman taught
for some years at the Ca’ Foscari in Venice, and this explains the tight links
of collaboration existing with the specialists of Arab and Islamic studies
of that university, most of whom were also members of the “Istituto per
l’Oriente” in Rome.
Giovanni Oman, one of Laura Veccia Vaglieri’s pupils, was born in
Egypt and belonged to the large colony of Italians living there before the
advent of Nasser. He took his degree with a dissertation on linguistic loan
words, a field of study which he enlarged starting his listing of Arabic
A Survey of Arab-Islamic Studies... 139
words, especially related to seafaring and fish names (ichthyonymy), and
the echoes of this research can be detected in the publications going in the
present survey under the heading “Linguistics and Dialectology”, even when
it has been applied to other linguistic areas, such as the Berber language, by
Luigi Serra, and African languages by Sergio Baldi. In Oman’s footsteps,
I carried out a study on the Sudanese-Arabic words related to sailing in
internal waters in Khartum and Jebel Awliya.
Another of Oman’s projects was the creation of lexicons which
represent basic Arabic for everyday use and for specific purposes. In
this respect, Chiauzzi’s list of the names of Libyan ceremonial cloths
constitutes a further extension of the same idea. The Istituto per l’Oriente
“C.A. Nallino” launched a research project aiming at the constitution of a
glossary on Islamic Law, directed by Francesco Castro. Cilardo’s list of
Arabic words pertaining to hereditary law belongs to the series of studies
prepared at that time.
Another field of studies developed by Giovanni Oman was
anthroponymy. He approached it in a completely unusual way, as he
scrutinized contemporary lists of names present in the telephone directories
of different areas of the Arab-speaking world. This approach allowed the
exact vocalization of the name which was listed in transliteration, in this
way ambiguous readings were removed. The same can be found in Laino’s
study on the occurrence of personal names in Tunisia, extracted from a
dissertation held at the Institute. Another of his research projects was a
linguistic bibliography dealing with Arab studies, which was edited, as
concerns Tunisia, by Maria Giovanna Stasolla.
A large amount of Oman’s studies was devoted to the fields of
epigraphy and numismatics; this last interest was perhaps due to his close
friendship with the numismatist Paul Balog, a Hungarian doctor who
spent, like himself, most of his life in Cairo and Rome. Balog’s studies
were focused principally on Fatimid and Ayyubid Egypt, as well as Arab
and imitative-Arab coinages in Sicily. In the early 70’ some contributions
dealing with glass jettons, a topic much discussed, with implications on
the historical reconstruction of Medieval Sicilian economy, appeared in
the Annali. Both journals preserve traces of Oman’s extensive works about
the Islamic tombstones from the necropolis of the Island of Dahlak Kebir,
in the Red Sea. His concern with epigraphy in the sultanate of Oman has
been later continued by Eros Baldissera, who also published some material
evidence collected by Costa.
Oman also envisaged the re-edition of Amari’s work on Islamic
inscriptions in Sicily, neither in the sense of a mere re-presentation of the
140 VINCENZA GRASSI
Sicilian scholar’s text, as it happened in 1971 with a preface by Francesco
Gabrieli, who ignored the different readings proposed in RCEA6, nor as
an incomplete list of remains, analyzed from the stylistic point of view, as
it occurred in the volume edited by Gabrieli and Scerrato in 1979, titled
Gli Arabi in Italia. An update of Amari’s work has been carried out by
the present writer within a doctorate dissertation on Arabic funerary and
building inscriptions in Italy. The bulk of the work has appeared in single
articles on both journals and the results of the unpublished work have been
used in the Thesaurus d’épigraphie islamique on DVD, by Ludvik Kalus
and Frédérique Soudan.
As to Arabic literature, it is worth mentioning the project of the critical
edition, translation and commentary of the geographic work by Idrisi, i.e.,
the Nuzhat al-muštāq, which was written for the king of Sicily Roger II.
The first call for the development of such a project was made by Giorgio
Levi della Vida and Francesco Gabrieli at the Congresso Internazionale
di Studi Ruggeriani held in February 1954 in Palermo, as they expected a
funding contribution by the Sicilian Region that never came. The project
was resumed in the 60’ by the scholars of the IsMEO in Rome, those of the
“Istituto Orientale” and of the Oriental section of the University of Palermo,
who involved international scholars for the study of the different foreign
countries described in the Nuzhat. This was the last collective participation
of the professors at the “Orientale”, which summed up the old tradition of
editing manuscripts long practiced in Naples. These editions concerned not
only Arabic texts, but also Persian and Turkish ones, which have not been
taken into account here, although they are part of Islamic studies.
Islamic Spain, investigated from a historical point of view by Clelia
Sarnelli Cerqua, was also the area of reference for some studies on
Arab-Andalusian poetry by Bruna Soravia and Alfonso Ali, while North
African literature was examined mostly by Giuseppina Igonetti. As for the
Mashreq, Syrian Contemporary Literature has received much attention by
Eros Baldissera and recently by Paola Viviani. The Nobel Prize Naguib
Mahfuz received special attention, as Bartolomeo Pirone and Clelia Sarnelli
translated his Trilogy into Italian. Oral literary tradition in Egypt has been
one of the subjects examined by Giovanni Canova, while religious literature
is Roberto Tottoli’s area of study.
The history of Islam and Islamic thought is the most consistent area of
research. In this respect, it is worth mentioning the edition of some of AlKindi’s epistles by Laura Veccia Vaglieri and Father Giuseppe Celentano,
Répertoire Chronologique d’Épigraphie Arabe, 18 vols., Le Caire, I.F.A.O.,
1931–1991.
6
A Survey of Arab-Islamic Studies... 141
who was also concerned with manuscripts dealing with Islamic sciences.
He initiated his pupil, Ornella Marra, into this field. Given the period of
time considered in this study, all the activities of edition of manuscripts
owned by the “Orientale” carried out, especially by Rubinacci for Ibāḍī
texts, Sarnelli and Celentano, have not been taken into account.
The connections between Greek and Islamic thought have been
analyzed by Carmela Baffioni, who was at first mainly concerned with
atomism, commenting and translating Arabic philosophical texts for the
first time in a Western language. Later she has begun to be interested in
the Kalām, i.e., Islamic rational theology and heresiography, with respect
to the Brethren of Purity, a group of Arab philosophers living in Basra in
the 10th or 11th century, deeply influenced by the Pythagorean theory of
numbers and the Aristotelian presentation of the terrestrial world and the
theory of knowledge. She tried to refine the debate about their doctrinal
affiliation. Also one of her pupils, Antonella Straface, devoted herself at
first to the Mu‘tazilite School and the epistles of the Ihwān al-Ṣafā’, but
is presently becoming more and more concerned with Ismailite groups
and the study of a Qarmatian source of uncertain authorship and origin
called Kitāb shajarat al-yaqīn, ascribable to the 9th or 10th century A.D. The
interest in this domain favored the presence in the journals of some articles
by former students of the Institute that have been working at the Ismaili
Centre in London.
With regard to Islamic Law, the legacy left by the studies carried out
by Roberto Rubinacci has been taken over by Agostino Cilardo, concerned
with inheritance law, and Ersilia Francesca, who was interested at first in the
studies on the Ibāḍī movement, but presently is concerned with studies in
Islamic economy and gender studies. A shift on modern and contemporary
topics is traceable only in the list of studies in history and politics appearing
in both journals, but, as a matter of fact, it is part of a more general change
of interest by the new generation of scholars, which perhaps will be shown
in the near future.
142 VINCENZA GRASSI
Bibliography7
Art, Architecture, Archeology
BERNARDELLI, Gualtiero-PARRINELLO, Antonino E., “Note su alcune
località archeologiche del Yemen”, AION 31, n.s. 21 (1971), pp. 111-118
+ 17 pls.
Mostly concerned with megalithic remains, the authors gives a description
of the archaeological sites of Ḥuṣūn al-Ashrāf, Jebel Harus (sic!) and
Ḥirrān; as for the last site, an Arabic inscription on a cistern is presented.
BERNARDINI, Michele, “Kemalattin Bey e la prima architettura nazionalista
turca”, AION 50/2 (1990), pp. 113-142 + 24 pls.
A survey on Turkish architecture from the decline of the architects working
for the Ottoman court in the 19th century, such as the Balyans and the
Fossati brothers, to the birth of the National Neoclassical architecture with
Kemalattin Bey, defender of the conservation of Ottoman monuments and
experimentalist in secular architecture. Kemalattin’s influence on later
architectural activity is also evaluated.
BRENTJES, Burchard, “Reused Potsherds as Decorative Elements in Chorasmian
Architecture of the Thirteenth Century A.D.”, AION 57/1-2 (1997), pp.
291-532.
Fourteen pieces of glazed and painted fragments of ceramic gathered by
Sergey Chmelnizkiy into the so-called Tomb of Sultan Takesh at KunyaUrgench are part of his private collection in Berlin. They were originally
fixed in the crevices to form coloured bands of decoration above the niches
on the tower (mausoleum) attributed to Sultan Takesh. Some fragments
show a decoration of Saljūq tradition, but, in all cases, it is the silica ware
produced in Chorasmia in the 13th century.
CHMELNIZKIJ, Sergej G., “Zur Klassifikation der frühmittelalterlichen Burgen
in Mittelasien” , AION 45/1 (1985), pp. 25-47.
A study concerned with the culture of the town in Central Asia prior to the
Islamic period. The author classifies different types of medieval fortress,
hinting also to typologies developed later.
IDEM, “Peshtak und Mihrab. Zur Frage der Herkunft der Portalformen in
der zentralasiatischen Architektur”, AION 47/1 (1987), pp. 39-56 + 4 pls.
7
The work was based on the perusal of Annali from 1970 to 1997 and Studi
Maġrebini from 1970 to 2010. A useful reference work was DE MARCO, Giuseppe,
Contributo alla storia delle pubblicazioni periodiche dell’I.U.O. cento anni dopo (1894–
1994). Indici a Annali «Sez. Orientale», Annuario, L’Oriente, Memorie, Napoli 1996.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 143
Between 14th and 16th centuries the monumental portal (peshtak) became
the main feature in Central Asian architecture, so that it will be preserved as
an architectural theme. The author focuses on the question of its beginning
and following developments under the influences of Turkish decorative
arts.
COSTA, Paolo, “Islamic shrines on the Šaṭṭ al-Nīl”, in AION 31, n.s. 21/2 (1971),
pp. 199-214 + 19 pls.
The paper deals with a survey carried out in the winter of 1966 in Iraq in
the area of an ancient canal running from Euphrates, near Babylon, to the
Tigris near Na’umaniyya. Along this waterway, restored by the Umayyad
governor al-Ḥajjāj, grew up a number of towns and villages linked to the
caravan route running from Diyala region to Kufa, Kerbela and Mecca. The
survey revealed the rest of three shrines still extant: Umm al-Awlād, Abū
Ḥatab e Imām Najmī.
IDEM, “Antiquities from Ẓafar (Yemen)”, AION 33, n.s. 23/2 (1973), pp.
185-206; II-ibid. 36, n.s. 26/4 (1976), pp. 445-456.
During a survey carried out in summer 1972 in the area of Ẓafar, the ancient
Himiarite capital, located 15 km SE of Yarim, the antiquities of the villages
of Ẓafar, Bayt al-Ashwal, Ḥaddah Ghuleis and Mankath were recorded. A
list of 110 architectural elements mostly fragments were listed according to
the decoration occurring on them. In part II, 176 stone fragments are listed.
IDEM, “La Moschea Grande di Ṣan‘ā’”, AION 34, n.s. 24/4 (1974), pp.
487-506.
The author deals with the data collected during the restoration works of the
outside walls of the Great Mosque in Ṣan‘ā’, Yemen, carried out in 1973.
During the works, the original wooden ceiling of the mosque came to light,
besides a number of Arabic manuscripts, located between such ceiling and
the roof of the western gallery, as portrayed in pl. XXX, b. The Preislamic
architectural and epigraphic remains re-used in the building, mainly inserted
in the qiblī wall, have been pointed out by C. Rathjens and most of them
published by G. Garbini. The following fragments bear Arabic inscriptions:
No. 44, piece of column with a line of illegible Kufic inscription.
No. 52, B: block with a Kufic inscription mostly chiseled off; D: Arabic
inscription; I: block with an Arabic inscription in fragmentary state; L:
block bearing an Arabic inscription; M: block bearing an Arabic inscription
in Floriated Kufic almost illegible; O: Arabic inscription.
CRESTI, Federico, “Note sullo sviluppo urbano di Algeri dalle origini al periodo
turco”, SM 12 (1980), pp. 103-125.
The author reviews the town planning development of Algiers from its
early origins up to the 16th century.
144 VINCENZA GRASSI
IDEM, “Fonti iconografiche e letterarie per una storia urbana di Algeri nel
XVI secolo”, SM 15 (1983), pp. 43-73.
A study of the literary and iconographical sources dealing with the
architectural and city planning history of Algiers from the beginning of the
Turkish rule in the 16th century until it gains the role of capital city of the
Central Maghreb.
IDEM, “Algeri nel XVII secolo. Documenti iconografici e fonti letterarie. I.
1600-1634”, SM 16 (1984), pp. 55-90, “Algeri nel XVII secolo. Documenti
iconografici e fonti letterarie. II. 1635-1700”, ibid. 17 (1985), pp. 3-56 + 8 pls.
The author extends his research on literary and iconographical sources
dealing with the city of Algiers to the 17th century.
IDEM, “La popolazione di Algeri e la sua evoluzione nell’età ottomana:
status quæstionis”, SM n.s. 2 (2004), pp. 89-130.
Through a new examination of the documentary sources referring to the
demographic development of Algiers during the Ottoman period (16th–
19th c.), the author tries to define the exact amount of population living in
the city and its variations during the whole period. However, some periods
still remain obscure for lack of sufficient documentation.
CRESTI, Federico- AMADEO, Gianfranco, “Un village du Sahara algérien: Beni
Abbès. Etude sur les formes et l’évolution de l’habitat traditionnel en milieu
saharien”, SM 20 (1988), pp. 157-194 + 8 pls.
The article is the outcome of a research carried out on the spot in 1978-’79
within a project of cooperation between Italy and Algeria and specifically
with the Centre de Recherches en Architecture et Urbanisme (C.R.A.U.) of
the University of Algiers. The study analyzes the ancient and modern areas
of the site of Beni-Abbès (30°08’ N 2°11’ W) in the Algerian Sahara and
in particular the ksar and its main buildings: the medersa, the zaouia and
some midhas, referring to the building techniques and the transformations
affecting the buildings.
DAYTON, John E.-BOWLES, John, “Abu Qasim of Kashan, and the Problem of
Persian Glazing”, AION 37, n.s. 27/2 (1977), pp. 143-152.
The study is concerned with kāshī – the glazed tiles of Kashan (Kāshān),
Iran – and the problem of when and from where the apparent tin and
lead glazes of the 14th century Persia were derived. For this purpose, the
discussion is focused on a treatise dated 1301 A.D. containing a number of
words for glaze ingredients written by Abū Qāsim, a member of a family of
potters from Kashan.
DAYTON, John E.- BOWLES, John-SHEPPERD, Christine, “«Egyptian Blue»
or «kyanos» and the problem of cobalt”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp.
319-351.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 145
The paper discusses the artificial pigment, frit or massive blue substance
known as “Egyptian Blue” (CuCaSi4O10) and how cobalt come to be used to
make blue glass, frit, and blue pigments, and concludes that its blue coloring
properties must have been discovered as a by-product of silver smelting.
DEL FRANCIA, Loretta, “Note in margine ad un catalogo di tessuti copti del
Brooklyn Museum”, AION 35, n.s. 25/1 (1975), pp. 111-126.
The author reviews Deborah Thompson, Coptic Textiles in the Brooklyn
Museum, New York, The Brooklyn Museum, 1971. Wilbour Monograph-II;
XXIII-101 pp., 7 figs, 27 ill., 15 col. pls., 1 map. Although acknowledging
the praiseworthy work of cataloguing the vast mass of Coptic Textiles and
the exactitude of the catalogue files, Del Francia criticizes the inaccuracy
of the historical outline and the Syrian origin of specimen no. 10, that
she attribute to Egyptian manufacture on the basis of a clavus preserved
at the Castello Sforzesco in Milan. As for fragment no. 23, she corrects
the interpretation of the iconography discussing the portrayal of the crosslegged ruler and of the chariot with swerving horses.
ESIN, Emel, “The Genesis of the Turkish Mosque and Madrasa Complex”, AION
32, n.s. 22/2 (1972), pp. 151-185.
The article illustrates the peculiar features of Turkish religious architecture
in the light of Central Asian tradition. The author stresses that the Central
Asian mosque-madrasa and ḥaram remained faithful to the archetype of
dedicated fortified enclosures having an honorific dome. When the fortified
enclosure took its Islamic character the sacred towers were turned into
minarets, the decoration developed further and domes, in the Timurid
period, were ovoid or bulby and placed high over tall drums. Another sacred
enclosure was developed in stone architecture in Bulgar on the Volga and
in Ottoman Turkey.
IDEM, “Tuġril and Ḳara-ḳuş”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 189-211.
The author deals with prey-birds and in particular the crested goshawk
and an eagle, associated with the Greco-Roman Jovian bird, in literary and
material sources.
FONTANA, Maria Vittoria, “Un manoscritto safavide dello Shāh Nāma conservato
nella Biblioteca Nazionale di Napoli”, AION 40, n.s. 30/1 (1980), pp. 39-48
+ 9 pls.
Within a larger project concerning the collection of Islamic miniature
paintings, the author comments the state of conservation of the miniature
paintings occurring in a Safavid manuscript of the Shāh Nāma in the
National Library in Naples (inv. no. III G 68), referring to the list compiled
by Giuseppe and Francesco Gabrieli, “Manoscritti persiani del poema
di Firdusi in Italia”, Accademie e Biblioteche d’Italia, 9/3-4 (1935). The
manuscript was reported for the fist time in 1874 by V. Fornari.
146 VINCENZA GRASSI
EADEM, “Fusaioli in osso della «Masğid-i Ğum‘a» di Iṣfahān”, AION 40,
n.s. 30/2 (1980), pp. 269-276 + 1 pl.
Among the archeological remains excavated by IsMEO team in the Friday
Mosque of Iṣfahān in the Seventies, fifteen bone disks came to light and
were identified as whorls. They were used in ancient spinning to improve the
steadiness of rotation of the spindle by adding momentum. Their dimension
was determined by the strengths of the yarn desired and the fibers used. The
author catalogues them.
EADEM, “Una rappresentazione «shī‘ita» di Medīna”, AION 40, n.s. 30/4
(1980), pp. 619-625.
On a pillar of the southern colonnade of the Friday mosque of Iṣfahān,
dated not later than 14th century, is incised and painted in red the facade of
a mosque that the author supposes to be an iranized version of the mosque
of Medina, dating post-Safavid period.
EADEM, “Di alcune mattonelle maiolicate rinvenute nel Palazzo Carafa
in Napoli”, AION 43/2 (1983), pp. 321-332 + 2 pls.; “Nota su alcune
mattonelle di palazzo Carafa”, ibid. 45/3 (1985), pp. 514-515.
The article analyzes some faience tiles found in the 15th century Palazzo
Carafa in Naples which are paralleled with similar tiles preserved in the
section of North African arts in the Musée des Arts Africains et Océaniens
of Paris. Although many Spanish azulejos were imported by the Aragonese
kings in Naples in the 15th century, the tiles are a 19th century Neapolitan
artifact, imitating 16th century Neapolitan prototypes, which were also
exported in North Africa.
In the note the author demonstrates the origin of the tiles from a 18th century
medium-size Neapolitan business, in the lights of the evidence found at
the Museo Artistico Industriale in Naples, and identifies it with Giustiniani
factory.
EADEM, “L’iconografia dell’Ahl al-Bayt: Immagini di arte persiana dal
XII al XX secolo”, Supplemento n. 78 agli Annali vol. 54 (1994)/1, pp. 1-86
+ 30 pls.
The paper analyzes the development of Shī‘ī iconography up to the 20th
century through the representations of the prophet’s family in painting and
applied arts, a subject which is to be found only recently in popular arts.
EADEM, “The influence of Islamic art in Italy”, AION 55/ 3 (1995), pp.
296-319.
The article, dealing with the long debated influence of Islam on the Italian
Medieval and Renaissance arts, is the English translation of a study published
by the author in the Catalogue of the Exhibition Eredità dell’Islam. Arte
islamica in Italia (Venezia, Palazzo Ducale 30 ottobre 1993 – 30 aprile
1994), edited by G. Curatola, Venezia 1993 at pp. 456-476.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 147
EADEM, “L’eredità islamica del coronamento con merli di Palazzo
Corigliano e di alcuni edifici napoletani fra Rinascimento e Barocco”, SM
26 (1998–2002), pp. 83-96.
The author analyzes the original battlemented crowning of Corigliano
Palace as witnessed by iconographical and documentary evidences. A
feature very common in Late Renaissance Naples that Fontana ascribes to
an influence from Islamic lands.
GALDIERI, Eugenio, “Samsara, passato e futuro: la variante yemenita di
un’antica tipologia commerciale”, AION 47/3 (1987), pp. 243-267.
The author studies the Yamani samsara, a type of commercial building
intended for either warehousing or temporary accommodation for traders.
The specimens analyzed are located at Sūq al-milḥ, Ṣan‘ā’.
IDEM, “«Ahl al-kibla wa ‘l-jama‘a». Note di architettura sull’orientamento
delle moschee”, SM 25 (1993–1997), pp. 205-243.
Starting from the definition of the Islamic community as the People of
the direction (which should be faced when praying) and the community,
Galdieri considers the problems correlated to the right or wrong orientation
of the premises where Muslims pray, whatever they may be, and the visual
and building results that the chosen orientation has on the structures.
GENITO, Bruno, “Su un piatto d’argento di tradizione sasanide in una collezione
privata americana”, AION 38, n.s. 28/2 (1978), pp. 155-168.
The author examines the style and the iconography of a silver plate bearing
a hunting scene (a horseman hunting wild boars) of Sasanian tradition and
attributes it to Islamic Iran.
GRUBE, Ernst J., “New Islamic Studies in Memory of Kurt Erdman”, AION 32,
n.s. 22/4 (1972), pp. 521-534.
The author reviews Forschungen zur Kunst Asien. In Memoriam Kurt
Erdmann, 9. September 1901 – 30. September 1964, hrsg. O. Aslanapa- R.
Naumann, Istanbul 1969, pp. 323, the second volume of a series dedicated to
the memory of great scholars in the field of Islamic art who were connected
with the Department of Islamic art of the University of Istanbul.
IDEM, “Persian Painting in the Fourteenth Century: A Research Report”,
Supplemento n. 17 agli Annali, vol. 38 (1978)/4, pp. 1-57 + 101 pls.
The author is concerned with the formative period of Persian painting
in which all the principal elements which form the basis of all later
Islamic painting were developed. The paper is part of a general project
aiming at indentifying the principal styles of painting, their development
interdependence and final fusion into a specific ‘classical’ style, which is
the starting point for later generations of painters.
148 VINCENZA GRASSI
HANSMAN, John F., “Dating Evidence for the Earliest Islamic Lustre Pottery”,
AION 42/1 (1982), pp. 141-147.
The author discusses the dating of luster glazed wares found in Sāmarrā,
especially in a storeroom near the serdāb (water basin) of the Abbasid
palace complex called Jawsaq al-Khāqānī. They are decorated with ruby,
brown and dark yellow lustre applied over a white glaze. He refutes the
dating to the early 9th century proposed by Herzfeld, Sarre and Kühnel on
the basis of the attested occupation of the city in the 10th century and the
possible use of the storeroom as a repository for the lustre tile long after
the caliphs returned to Baghdad. The Sīrāf findings studied by Whitehouse
emphasized the necessity of adequate archeological evidence especially
surface material to provide a local dating range for the luster and other
Early Islamic glaze wares recovered on the spot.
JUNG, Michael, “I graffiti rupestri del Ğabal ‘Asāl, del Wādī ‘Uš e del Ḥuṣn alDiyāb nello Yemen del Nord”, AION 50 (1990), pp. 41-59 + 15 pls.
Dealing with rock engravings in Jabal ‘Asāl, Northern Yemen, the author
signals the presence of Islamic inscriptions.
IDEM, “La decorazione architettonica dell’Arabia del Sud alla luce delle
scoperte recenti. Progetto di ricerca”, AION 52/4 (1992), pp. 473-477.
A research project in the frame of the South Arabian architecture, dealing
with the compilation of a catalogue where architectural structural elements
can be classified according to either shape or decoration.
LEE, Jonathan, “The Ziyārat of Khwāja Zanbūr, and Its Associated Shāh Jahān
Mosque or Shrine in Kabul”, AION 45/2 (1985), pp. 193-197 + 14 pls.
Among the 17th century tombstones in the graveyard within Kabul city,
listed in Khalīl’s Mazārāt-I Kābul (1339), stands an important tomb that
is the ziyārat of Khwāja Zanbūr. This shrine is surrounded by a modern
graveyard in which are scattered fragments once part of a Mughal mosque
probably dated to the period of Shāh Juhān (1628–57 A.D.). The author
describes the remains.
MANISCALCO, Fabio, “La tutela del patrimonio culturale materiale dell’Algeria”,
SM n.s. 1 (2003), pp. 167-195.
The article aims at emphasizing the general problems connected with the
protection of Algerian cultural heritage. Maniscalco describes the activities
of safeguard with reference to the law no. 98-04 on the protection of cultural
heritage and the main Algerian institutions charged with such task.
IDEM, “La situazione del patrimonio culturale della Palestina ed il progetto
pilota “Uno Scudo Blu per la Palestina”, SM n.s. 2 (2004), pp. 237-250.
While describing the pilot project “A Blue Shield for Palestine”, the author
points out the problems concerning with the protection and conservation of
Palestinian cultural heritage.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 149
IDEM, “Il Code du patrimoine archéologique, historique et des arts
traditionnels. Tutela del patrimonio culturale della Tunisia”, SM n.s. 2
(2004), pp. 251-268.
The author surveys the set of laws passed in Tunisia for the protection of
the archeological, artistic and historical heritage.
IDEM, “Il saccheggio archeologico e la tutela del patrimonio culturale
materiale in Nigeria”, SM 3 (2005), pp. 65-84.
The article aims at emphasizing the problems about the protection of
movable heritage in Nigeria, focusing on the activities of looters and
traffickers of archeological items and envisaging possible strategies to fight
them.
MARRA, Ornella, “Di due astrolabi ispano-moreschi conservati nel Museo di
Capodimonte”, AION 44/2 (1984), pp. 271-306.
Two astrolabes dated 13th–4th century from the Borgia Collection preserved
in the Capodimonte Museum in Naples catalogued with nos. 4994 and
4991. The technical data of the specimens occur in the catalogue of the
exhibition of Islamic Art at Capodimonte Museum in 1966 by U. Scerrrato
(nos. 39-40).
MARIANI, Luca, “Tecniche costruttive nelle moschee lignee dello Swat”, AION
46/1 (1986), pp. 63-75.
The study, based on IsMEO activities in Swāt, Pakistan, focuses on
the wooden mosques and the building techniques adopted not only in
consideration of the functions that the building performs and the behavior
of the building materials such as wood, but also of the climatic and
environmental characteristics of the place which hosts the mosques.
MARZOLPH, Ulrich, “Mirzā ‘Ali-Qoli Xu’i Master of Persian Lithograph
Illustration”, AION 57/1-2 (1997), pp. 183-202 + 15 pls.
Persian paintings are mostly not signed or signatures may be erased, faked or
added later in an attempt to authenticate another artist’s work, this explains
the scarse literarure discussing the production of specific Persian artists. The
author tries to cover another neglected field in Western research: Persian
lithograph illustration. The article is a contribution aiming at identifying the
production of one of the most prolific illustrator and pioneer among artists
of the Qājār period, within a larger then-in progress research dealing with
a comprehensive assessment of narrative illustration in Qājār lithograph
books.
MESSIER, Ronald A., “The Transformation of Sijilmāsa”, SM n.s. 4 (2006), pp.
247-257.
Sijilmasa was a major “port” on the northern edge of the Sahara Desert
where the organization of caravans going to Timbuktu and other cities of
150 VINCENZA GRASSI
West Africa to trade for gold took place. Medieval Arabic chronicles and
accounts depict it as a mythical city where “gold is found like plants”. The
author reconstructs the real city from its archeological relics and points out
the transformation it underwent under Almoravid rule.
SAJJADI, S. Mansur S.-WRIGHT, Henry T., “Archaeological Survey in the Area,
Province of Kerman, Iran”, AION 50 (1990)/1, pp. 1-40 + 2 pls.
The surveyed area has been important during two major periods: the first
one between 4000 B.C. and 2500 B.C., and the second one between 200
A.D. and 1000 A.D. Ceramics from different sites are catalogued. As for the
Islamic period, excavations in the Qobeirā area documented the existence
of sites belonging to six major periods: Early Islamic, Sāmānid, Seljūq, Īl
Khānid-Tīmūrid, Safāvid, and recent.
SALVIATI, Filippo, “Sugli archi intrecciati ed altri elementi architettonici di
origine ‘saraceno’-normanna in alcune chiese toscane di età romanica”,
AION 51/3 (1991), pp. 255-262.
Among the much debated issues concerning the presumed influence of
Islamic arts on Medieval West, stands out the origin of the interlacing
arches as it appears simultaneously on the buildings in North Africa, Spain,
Southern Italy and Sicily and England in the 10th and 11th centuries. The
author points out the presence of this decoration in some Romanesque
churches in Tuscany which have not been listed in C. Ewert, SpanischeIslamische-Systeme sich Kreuzender Bogen, Madrid 1980.
SANNINO, Lidia, “Un monumento moghul da recuperare: il recinto funerario di
Ruqaya Sultan Begam nel Bagh-e Babur a Kabul”, AION 45/1 (1985), pp.
49-73.
The restoration works of the mosque of Bagh-e Babur (Bābur’s garden) in
Kabul were entrusted to IsMEO and carried out by the architect C. Bono.
The mosque was built by Shāh Jahān, fifth ruler of Mughal dynasty, in
1644 in memory of Bābur, the founder of the family, who was buried in the
garden not far away from the mosque. The study aims at tracing the history
of the tomb of the founder by means of the biographies of the Mughal kings
and the account of visitors in order to have useful suggestions for a future
reconstruction of the funerary monument.
SCERRATO, Umberto, “Oggetti metallici di età islamica in Afghanistan. III:
Staffe ghaznavidi”, AION 31, n.s. 21/4 (1971), pp. 455-466.
The author analyzes the eventual prototypes of two groups of stirrups
(rikāb) attributed to the Ghaznavid period, the first ascribed to the end of
10th and beginning of the 11th century.
IDEM, “Su un problematico vaso ad alette nel museo di Mazār-i Sharīf
(Afghanistan)”, AION 31, n.s. 21/4 (1971), pp. 543-547.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 151
The paper discusses a globular Bronze vase with short, wide, tapered neck
of uncertain dating and location which the author recognizes as a western
mortar imported in Afghanistan through the commercial exchanges
performed along the steppe land routes.
IDEM, “Un tipo di spruzzaprofumi in bronzo di epoca selgiuchide”, AION
32, n.s. 22/1 (1972), pp. 25-33.
The author interprets the function of a Saljūk bronze preserved in the
Staatliche Museen in Berlin signed ‘Abd al-Razzāq al-Nīshābūrī as a
perfume sprinkler. The same type of object is also imitated in pottery. The
flask might be made in Khorassanian workshops that were active between
the 12th and the 13th century A.D. and its typology may be linked with
glass bottles produced in Iran between the 9th and 12th century and used as
toiletries.
IDEM, “Oggetti metallici di età islamica in Afghanistan. IV: Su un tipo di
amuleto del XII secolo”, AION 32, n.s. 22/3 (1972), pp. 287-310.
The article deals with bronze talismans, having the croissant shape, which
are popular in Ghazni and Kabul bazaars, dated 12th century. They usually
have a zoomorphic decoration or an abridgement of the Arabic invocation
“al-mulk li’llāh”, the word al-mulk appears twice on a specimen in the British
Museum, London. These talismans were intended as horse decoration as
it is witnessed in the paintings of Palatine Chapel in Palermo or Gentile
da Fabriano’s Adorazione dei Magi. The presence in the Museum of New
Dehli of a specimen having the form of a bird with open wings, coupled
with the customary eulogy, corroborates an ornithomorphic interpretation
of the objects. The presence of a drop-shaped decoration induced the author
to interpret it as the fusion of the ancient representations of the life tree
with the winged disc and the solar bird of Avestic tradition. These objects
testify the appropriation of ancient symbols in Islamic iconography and
their consecration through the use of the Islamic eulogy.
IDEM, “Due tombe ad incinerazione nel Museo di Kandahar”, AION 40,
n.s. 30/4 (1980), pp. 627-650 + 8 pls.
Two unusual Islamic cremation tombs ascribed to 12th–13th century in
Afghanistan.
SCHINASI, May, “La photographie en Afghanistan. Réflections autour d’une
collection ”, AION 56/2 (1996), pp. 194-214 + 4 pls.
The paper surveys the photography having Afghan subjects from its early
beginning in the 19th century and presents the Schinasi Collection portraying
pre-1979 Afghanistan according to the system adopted for the Phototheca
Afghanica.
152 VINCENZA GRASSI
STRIKA, Vincenzo, “Nota a «Le premier humanisme byzantin» di P. Lemerle”,
AION 33, n.s. 23/1 (1973), pp. 114-125.
The article criticizes Lemerle’s stand about the non-involvement of Islamic
culture in the Greek and Hellenistic Renaissance of Byzantine culture in the
9th–10th century.
IDEM, “Intorno all’ipotesi «ommiade» dei castelli di Federico II”, AION
33, n.s. 23/4 (1973), pp. 594-602.
Among the castles built for the Swabian king Frederick II, Castel Ursino
and Castel Maniace deserve a separate consideration as they are different
from any other Sicilian building. Their origin has generally been linked
both with the Burgundian architecture and the Syrian Umayyad castles.
Through a close analysis of the building features of Umayyad castles, the
author discards the theory of their presumed origin and hints a possible
North African origin, having a further model in the ribāṭ at Susa.
IDEM, “Intorno ad un «miḥrāb» di Mossul”, AION 35, n.s. 25/2 (1975),
pp. 201-214.
On the basis of a specimen coming from the Great Mosque al-Jawījātī in
Mossul, preserved in the Museum of Baghdad, the author supports his
interpretation of the psychological meaning of the miḥrāb as a door/bāb,
criticizing the simple function of pointing out the qibla, as asserted by
Creswell and Monneret de Villard, or of audience place intended for the
caliph or governor, according to Sauvaget’s interpretation.
IDEM, Studi saudiani, AION 35, n.s. 25/4 (1975), pp. 555-585.
The author takes into account the mosques at Jedda and the legislation
concerning heritage conservation and archeological activity passed in Saudi
Arabia in the Seventies.
IDEM, “Notizie sull’organizzazione dei waqf in ‘Irāq”, AION 37, n.s. 27/3
(1977), pp. 339-356.
The author traces the history of the Islamic institution of waqf up to the
current legislation.
IDEM, “Momenti laici della civiltà islamica: pittura e miniatura”, AION 36,
n.s. 26/2 (1976), pp. 175-188.
The author tackles the problem of human representation in the arts of Islam
in the light of the works by Monneret de Villard and Grabar. He interprets
the revival of painting and sculpture as a consequence of the disintegration
of Abbasid Empire and the introduction of secular values by the mercantile
middle-classes.
IDEM, “Alcune considerazioni sulla moschea a «cupolette»”, AION 38,
n.s. 28/1 (1978), pp. 103-108.
In his Architettura musulmana della Libia, Castelfranco 1973, Gaspare
A Survey of Arab-Islamic Studies... 153
Messana pointed out a typology of Libyan masjid which is characterized
by a covering structure formed by small domes. Strika evidences that
this typology is not a local one, as it also spread in the Iraqi-Iranian area,
although it is mainly documented in North Africa.
IDEM, “La «cattedra» di S. Pietro a Venezia: note sulla simbologia astrale
nell’arte islamica”, Supplemento n. 15 agli Annali vol. 38 (1978)/2, pp.1-89
+ xxiv pls.
The article deals with a tombstone embedded in an Episcopal chair preserved
in the church of S. Pietro in Castello in Venice. It was traditionally identified
with St Peter’s Chair in Anthyoche. Through a stylistic analysis of the
decoration and the inscription, Strika attributes it to the Saljūq period.
IDEM, “The turbah of Zamurrud Khātūn in Baghdād: Some aspects of the
funerary ideology in Islamic art”, AION 38, n.s. 28/3 (1978), pp. 283-296.
The author studies Zamurrud Khātūn mausoleum, better known as the
turba of Sitta Zubayda, in Baghdad, Iraq. A building characterized by an
octagonal base and a conoidal imbricated shape: a Near Easter typologylocally called makhruṭiyyat al-shakl or turab al-burjiyya al-muqarnaṣawhose origins go back to the ancient Mesopotamian civilizations, through
the Late Antique and Medieval Christian architecture, to which the Islamic
art added the stalactites.
IDEM, “L’ideologia umayyade tra stato e tribù”, SM 26 (1998-2002), pp.
225-245.
Arab tribes, intolerant of central authority, played an important role in
the development of early Islam which the author analyzes in detail. The
legitimation of Umayyad rule and their concept of mulk as expressed in
their religious and secular architecture is illustrated.
STRIKA, Vincenzo- KHALĪL, Jābir, “The Islamic Architecture of Baghdād: The
Result of a Joint Italian-Iraqi Survey”, Supplemento n. 52 agli Annali, vol.
47 (1987)/4, pp. 1-79 + 19 figg. and 22 pls.
Resulting from an Italian-Iraki joint survey of the Islamic monuments of
Baghdad, the study aims at cataloguing the unpublished monuments still
extant in good conditions in the mid-Seventies.The works started in the
western part of the city, i.e. al-Karkh, and was extended to al-Ruṣāfa, the
eastern Baghdad. Religious and secular buildings are listed as well as tombs
and shrines.
TAMARI, Shmuel, “The Nabī Yūnus Masjid in Ḥalḥūl (Judea): An Investigation
in the Prophet Yonah Cult in Islam”, AION 44/3 (1984), pp. 373-397.
A pioneering preliminary presentation of the historio-architectural layout of the Yonah cult in Judea. The building of the Yūnus mosque was to
outline the sovereignty of Islam in a sensitive region for Christianity.
154 VINCENZA GRASSI
IDEM, “Qal‘at al-Ṭīna in Sinai: An Historical-architectural Analysis”,
Supplemento n. 16 agli Annali, vol. 38 (1978)/3, pp.1-78 + 15 pls.
The author studies Qal‘at al-Ṭīna in Sinai, Egypt, elucidating its structural
and functional history on the basis of an archaeological survey and the
relevant literary documentation. The architectural design and composition
show its uniqueness in the context of military architecture, being very
similar to the Dome of the Rock, consequently the author suggests that the
Mamlūk complex might have had a specific meaning that we cannot grasp
today.
TONGHINI, Cristina, “Gli Arabi ad Amantea: elementi di documentazione
materiale”. With articles by A. Airoli, M. Bayani, E. Donato, S. Heidemann,
G. Vannini, AION 57/1-2 (1997), pp. 203-230.
The paper presents the preliminary results of a project set up by both the
University of Florence and the University of Calabria concerning the 9th
century Islamic emirate of Amantea (Calabria) and the presence of Muslim
settlers in that area beyond the period of the Muslim rule. As evidenced by
the bibliography, Tonghini seems to ignore all the articles published mostly
in AION and SM by Grassi since 1985 dealing with Arabic inscriptions in
Italy, but not her results. In fact, the topic was fully developed in Grassi’s
PhD thesis discussed in 1993 and whose copies are lodged since then in
the Public National Libraries of Rome and Florence, as it was underlined
in the entry Ṣiḳilliyya. 4. Epigraphy of the Encyclopédie de l’Islam, vol.
IX, Leiden (new English edition) 1997, pp. 613-614, (new French edition),
1998, pp. 590-591. A reference work that a careful scholar should not have
missed especially because AION 57 (1997) was actually published in 1999.
Given the fact that the material presented – an Islamic tombstone excavated
during the restoration works of the Palazzo delle Clarisse, a contemporary
oral witness of a possible presence of glass tokens in the area near the
castle and a 13th century-billion coin from Bāmyān issued by ‘Alā’ alDīn Muḥammad ibn Takish – is sporadic and not sufficient evidence to
demonstrate any effect of the “Islamic presence” neither at Amantea nor in
Calabria, the study contains mistakes concerning the dating of epigraphical
finds such as the use of engraving technique, the styles of writing, Q. CXII
as a chronological marker, the lack of an adequate meditation about the
presence of Muslim skilled workers in Southern Italy and the re-use of
building material, besides misprints which should deserve a detailed review.
WHITEHOUSE, David, “The barrow cemetery at Kandahar”, AION 36, n.s. 26/4
(1976), pp. 473-488.
A study carried out by the British Institute of Afghan Studies in the spring
of 1974 on an unrecognized barrow cemetery outside the wall of Old
A Survey of Arab-Islamic Studies... 155
Kandahar, Afghanistan. According to Fussman the presence of mounds,
walls and graves could be interpreted as an extra mural suburb preceding a
Muslim cemetery. The excavation of two mounds proved instead that it is
an Islamic cemetery dated 12th century or later.
IDEM, “Islamic glazed pottery in Iraq and the Persian Gulf: the ninth and
tenth centuries”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 45-61.
Whitehouse corrects the chronology of Islamic pottery fixed by Friederick
Sarre and gives a preliminary account of the finds excavated at Sirāf on
the Persian Gulf between 1966 and 1973. He concludes that finds from
Samarra do not necessarily belong to the period of caliphal occupation
(836-883 A.D.), as finds from Sirāf indicate that new wares (white glazed
pottery, splashed wares, luster ware) were introduced at least in three stages
and perhaps only white glazed vessels painted in blue date exclusively from
the ninth century.
IDEM, “An Early Mosque at Carthage?”, AION 43/1 (1983), pp. 161-165.
The author presumes that the so-called Basilica of St Cyprian at Chartage,
discovered by Delattre in 1915-20, might be a mosque.
ZARINS, Juris, “Arab Southern Red Sea Ports and the Early Chinese Porcelain
trade as reflected principally from Aththar, 217-108, Saudi Arabia”, AION
49/3 (1989), pp. 231-269.
The southwestern corner of Saudi Arabia hosts the major port of Aththar
together with several minor coastal centres which are extensively described
by Arabic sources. The author analyzes the large and profitable trade with
China undertaken by the Abbasids affecting large and minor ports, such as
Aththar, and their hinterlands and addresses the problem of chronology of
the ceramic material coming from the excavation work conducted in the
area.
Epigraphy, Paleography and Numismatics
BALDISSERA, Eros, “Studio preliminare sul cimitero degli Imàm e le sue
iscrizioni (Nizwà – Sultanato di Omàn)”, SM 25 (1993–1997), pp. 59-68
+ 2 pls.
A preliminary study on two tombstones in the burial ground of Imams at
Nizwà, Oman, dated respectively 1707 and 1769.
BALOG, Paul, “An Umayyad dirhem struck in 79 H. at Anbīr in Juzjān, Khurasān”,
in AION 30, n.s. 20/4 (1970), pp. 555-558.
The study deals with a dirhem of Balog’s collection and discusses the
geographical location of the mint name «‘nbīr» with reference to previous
bibliography on Umayyad coins collections.
156
VINCENZA GRASSI
IDEM, “Fāṭimid and post-Fāṭimid Glass Jetons from Sicily”, SM 7 (1975),
pp. 125-148 + I-III pls.
The author prosecutes his study on the glass jettons, whose bibliography
was published in the Annali of the Istituto Italiano di Numismatica, nos.
18-19 (1971–72) and 20 (1973), with the analysis of ninety-one glass
jettons and fragments of jettons found in Sicily, most of them belonging
to the Fatimid period and a very small part ascribed to the Hohenstaufen
and Swabian dynasties. Islamic coinage in Sicily is paralleled with that
coming from Egypt in the discussion. Also in this occasion, Balog affirms
that in the late years of al-‘Azīz reign and the early years of al-Ḥākim’s
Fatimid glass jettons changed their function from coin-weights or ṣanhağāt
to fiduciary currency replacing copper coins.
IDEM, “Yet More on the Coinage of Sulaimān Mīrzā of Badakhshān and
his Contemporaries”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 244-249.
The author presents seven small-size gold issues submitted to the National
Museum of Oriental Art in Rome, Italy. Three of them belong to the Mughal
emperor Humāyūn, one bears the name of Sulaymān Mīrzā, the ruler of
Badakhshān, and other three were struck in the name of his grandson,
Muḥammad Shāh Rukh b. Ibrāhīm.
IDEM, “Dated Aghlabid lead and copper seals from Sicily”, SM 11 (1979),
pp. 125-132
The author illustrates eight lead seals dated to the reign of the Aghlabid
emirs Aḥmad b. Muḥamad I (242–249 H) and Muḥammad II b. Aḥmad
(250–261 H) and a copper seal dated to the reign of Ziyādat Allāh III (290–
296 H), all of them coming from Sicily.
BALOG, Paul, OMAN, Giovanni, “Copper Coins of Khusra Shāh, Lord of
Rūdbār”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 424-429.
The authors edit seven copper coins dated 361 H. of the Sallārid Khusra
Shāh preserved in Sicily.
D’ANGELO, Franco, “La monetazione di Muḥammad ibn ‘Abbād emiro ribelle a
Federico II di Sicilia”, SM 7 (1975), pp. 149-153 + 1 pl.
The author discusses a silver coin from Sicily, which was not identified
in the previous numismatic literature, and attributes it to the rebel emir
Muḥammad ibn ‘Abbād, who resisted Frederick II’s assaults on the Rock
of Entella until 1219–20 A.D. Twelve specimens are listed and five of them
are reproduced in a plate.
GIUFFRIDA, Antonino, ROCCO, Benedetto, “Una bilingue arabo-sicula”, AION
34, n.s. 24/1 (1974), pp. 109-122.
A 15th century-bilingual document preserved in the Archives of Palermo
dealing with the Sicilian Jewish community. A Jewish citizen claims the
A Survey of Arab-Islamic Studies... 157
refund of a debt to be paid in installments. The text in Arabic language
written in Hebrew characters documents the late use of Arabic language by
the Jewish community.
EIDEM, “Documenti giudeo-arabi nel sec. XV a Palermo”, SM 8 (1976),
pp. 53-110.
Giuffrida studies the files of the Court of first instance, preserved in the
State Archives of Palermo, containing documents pertaining to Sicilian
Jews. The documents were drafted by a notary appointed by the Jewish
community and present explanatory notes in Hebrew. Rocco’s contribution
consists in editing fifty-eight Western Arabic documents in Hebrew
characters written by Sicilian Jews between 1407 and 1492. Here, when the
writer does not know the Arabic term, he uses the arabized form of a Sicilian
term; this Jewish Arabic from Sicily presents astonishing convergences
with contemporary Maltese. Document no. 5 dated 20 April 1418 is the
bilingual document published in AION 34 (1974).
GRASSI, Vincenza, “Un’iscrizione funeraria araba presso i Civici Musei di Storia
ed Arte di Trieste”, SM 17 (1985), pp. 1-2 + 4 pls.
An unpublished Islamic inscription dated 1115 A.D. preserved in the
lapidary garden of the Civic Museum at Trieste. The part of the text left
un-deciphered has been presented in the Ph.D. thesis titled Materiali per
un corpus delle iscrizioni arabe edili e funerarie in Italia, 2 vols., Napoli
1993. The tombstone might come from Syria or the Jazīra area.
EADEM, “Una «coppa magica» proveniente dall’Egitto”, SM 19 (1987),
pp. 65-89 + 7 pls.
An Arabic magic bowl in Giovanni Oman Collection which had been
bought in Cairo by Paul Balog. The author presents the use of the ṭāsat in
Islamic popular medicine and deciphers the texts inscribed on it, giving
their Italian translation.
EADEM, “Materiali per lo studio della presenza araba nella regione italiana.
I. L’epigrafia araba nelle isole maltesi”, SM 21 (1989), pp. 9-92 + 35 pls.
The study focuses on the literary and material sources witnessing Arab
settlement on Maltese islands. A critical edition of twenty Islamic tombstones,
partly in fragmentary state, preserved in the Museum of the Roman Villa at
Rabat, supplemented with the publication of the archeological field-notes
by T. Zammit, who directed the archeological excavations at Rabat in the
first half of 1920s. For the first time in the literature, the author hypothesizes
that the Maymūna stone could be imported from North Africa.
EADEM, “Iscrizioni arabe del III secolo dell’Egira a Palermo”, AION 52/1
(1992), pp. 35-60.
The study, part of a broader catalogue of Arabic inscriptions in Italy, deals
158 VINCENZA GRASSI
with seven Islamic tombstones preserved at Palazzo Abatellis in Palermo
that the author identifies as imported stuff coming from Lower Egypt and
dates 3rd century of Hegira.
EADEM, “Le iscrizioni normanne in caratteri arabi in Sicilia”, SM 24
(1992), pp. 29-38 + 8 pls.
Arabic inscriptions in Sicily have always been considered as part of a whole
bulk. Grassi pointed out that only few specimens are connected with the
Arab settlement on the island, for most of them belong to the following
periods. For the first time, among the Arab inscriptions of the Norman
period she distinguishes those made for the Norman court as a separate set
having its own features.
EADEM, “Monete auree della Sicilia araba nel Museo Nazionale
Archeologico di Napoli”, SM 26 (1998–2002), pp. 97-116 + 3 pls.
Out of twenty-two golden coins from Islamic Sicily preserved in the
National Archeological Museum in Naples, Grassi illustrates eleven
quarters of dīnārs, one in the name of the Aghlabid ruler Ibrāhīm II and the
other ones in the name of the Fatimid rulers.
EADEM, “The Turkish Cemetery at Marsa on Malta Island. Historical
background, topography and tombstones features”, SM n.s. 2 (2004), pp.
177-193.
The article deals with the history of a burial ground at Marsa, funded by the
Ottoman Empire, on the basis of notarial acts and articles published by the
local press. The funerary texts and the tombstones features are analyzed in
order to reconstruct the social classes to which the dead people belonged
and the reasons of their staying on the island. The study is to be set in the
frame of the research on the space for Islamic burial grounds.
LUSINI, Gianfrancesco, “Christians and Moslem in the Eastern Tigrāy up to the
XIV C.”, in SM 25 (1993–1997), pp. 245-252.
The Arabic tombstones found at Qwiḥā in the Endartā region, clarify some
phases of early Islamic settlements in the Eastern Tigrāy coinciding with
critical moments in the history of the Christian Axumite state. The author
presumes that the presence of the two Arab families coming from Dāḥlak
Sultanate, as attested by the inscriptions, does not imply the existence of
a long term settlement, but refer to two subsequent presences of Muslim
people in the area.
OMAN, Giovanni, “La necropoli islamica di Dahlak Kebir (Mar Rosso)”, AION
33, n.s. 23/4 (1973), pp. 561-569; ibid. 34, n.s. 24/2 (1974), pp. 209-215.
The articles are part of a broader study on the necropolis of Dahlak Kebir
island, Red Sea, published in a three-volume work by the Department of
African and Arab Studies of the Orientale. The first study illustrates three
tombstones coming from Dahlak Kebir preserved in Asmara: the first dated
A Survey of Arab-Islamic Studies... 159
10 Rajab 341; the second, dated 1 Muḥarram 550, was re-used and bears a
new inscription on the back dated 7 Ṣafar 586 and the third one bearing the
date 27 Dhū’l-qa‘da 606. An undated fragment of the upper part contains
the basmala and Q. CXII.
The second article deals with four Arabic tombstones photographed by
Giuseppe Puglisi, writer on African and seafaring issues, during his staying
on Dahlak Kebir island: 1. Tombstone of Fāṭimah bint Muḥammad alKhayyāṭ, dated 10 Muḥarram 437 A.H.; 2. Tombstone of Watah b. … b.
Muslim al –Qaysī, dateless; 3. Tombstone of Umm Sha‘lan mawlat Aḥmad
b. Sa‘d dateless; 4. Tombstone bearing Q. II, 285-286.
IDEM, “Postille a «Notizie su una iscrizione con caratteri arabi a Ravello»”,
AION 38, n.s. 28/4 (1978), pp. 501-502.
The author corrects the reading of a 16th century foundation inscription
found in Ravello (AION 19/2 (1969), pp. 266-268) and indicates Nesuh-aga
Vučjaković as founder of the mosque at Liubuški, in western Erzegovina,
on the basis of the research carried out by Muhamed A. Mujić.
IDEM, “Materiali per lo studio della presenza araba nella regione italiana.
Introduzione”, SM 21 (1989), pp. 1-7.
The author introduces Grassi’s study on the Maltese Islamic tombstones
(pp. 9-92), illustrating the project of creating a corpus of the Arab-Islamic
inscriptions in Italy. The Maltese islands have been taken into account as
they were ecclesiastically and politically dependent on Sicily in the Middle
Ages. A list of the Arabic inscriptions recorded in the R.C.E.A. and those
published after 1964 closes the paper.
NOJA NOSEDA, Sergio, “Uno dei cosiddetti “corani di ‘Uṯmān”: quello della
moschea Ḥusayn al Cairo”, SM n.s. 4 (2006), pp. 259-270 inclusive of 5 pls.
The author focuses on a Kuranic manuscript preserved in al-Ḥusayn
mosque in Cairo, considered one of the so-called ‘Uthmān’s Qur’ans, the
most famous one is presently in Tashkent, Uzbekistan. He explains why the
early Kuranic manuscripts adopted the horizontal format for Kufic script.
PIACENTINI, Valeria Fiorani, “Berdjuk 706 Hg./1306 A.D. Considerazioni
storiche su un iscrizione con cronogramma nell’Armenia Iranica
(Azerbaigian)”, AION 40, n.s. 30/3 (1980), pp. 395-419 + 13 pls.
Starting from an Arabic-Persian bilingual inscription inscribed in an
alabaster plaque walled in the entrance door of the mosque at Berdjuk in
the Gudā Valley, Azerbaijan, the author reconstructs the military function
of the site.
SPINELLI, Anna, “Il sigillo di Tamerlano”, AION 56/ 1 (1996), pp. 119-130.
The paper prosecutes Bernardini’s study on Tamerlane’s seal (a small
pyramid made up of three circles) in the light of a 15th century Spanish
manuscript, edited by Francisco López Estrada in 1943.
160 VINCENZA GRASSI
STASOLLA, Maria Giovanna, “L’iscrizione araba della chiesa di San Sisto in
Pisa”, SM 12 (1980), pp. 99-102.
A 4th/10th century tombstone of an Aghlabid emir preserved in the Church
of S. Sisto in Pisa commented with historiographical notes.
TAMARI, Shmuel, “L’iscrizione di ‘Aqabat al-‘Urqūb nel Sinai e Na‘ūm
Shuqeir”, AION 35, n.s. 25/2 (1975), pp. 274-276.
Following to his article published in the Rendiconti of the Accademia
Nazionale dei Lincei, 3rd ser., XXVI (1971), pp. 173-189, the author emends
the reading of a commemorative inscription written by the Mamluk sultan
Qānṣūh al-Ğawrī (1500–1516) at ‘Aqabat al-‘Urqūb in Sinai, in the light of
a previous reading by Na‘ūm Šuqayr in his Ta’rīkh Sīnā’ (History of Sinai),
Cairo 1916, where the location appears under the name of Darb al-Ḥağğ
al-Miṣrī. Šuqayr’s work also deals with the inscriptions of Qal‘at al-Jundī –
discovered by Šuqayr and republished later by G. Wiet in 1922 – and of the
Mamluk Khān at al-‘Aqaba, republished in 1952 by H. W. Glidden.
VIOLA, Natalia, “Les décors des corans ‘soudanais’ ”, SM n.s. 5 (2007), pp. 211223.
A preliminary attempt of analysis of the meaning and functions of
ormaments contained in about forty West African Qurʾāns of the Archinard
Collection.
Ethnography – Anthropology
BALDI, Sergio, “Le rôle de la «femme libre» dans la société haoussa”, SM 26
(1998-2002), pp. 39-43.
Hausa traditional society is strongly islamized and hierarchically structured.
However, there are some pre-Islamic survivals in the organization of the
society which call for a matrilinear origin. One of these ones is the karuwa
institution: a temporary period of prostitution which allows women to
escape from forced marriages and take back their freedom.
CHARNAY, Jean-Paul, “La croisade comme contre-mythe, vision d’infidèle”,
SM n.s. 4 (2006), pp. 197-218.
Crusades have given rise to a legal organization and to the birth of a myth.
Moslems and crusaders were in turn infidels for the other part and crusades
were repelled with counter-crusades, so that they became legends opposing
infidels to infidels. The heat of reversed myths of crusades and countercrusades continues to rage from the mutual denunciations of filmmakers
such as Eisenstein and Chahine to present curses as regards Palestine.
CHIAUZZI, Gioia, “Alcune cantilene relative a cerimonie e ricorrenze libiche”,
SM 4 (1971), pp. 77-111.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 161
Arabic texts and translations of some singsongs used by Lybian peasants for
rain ritual or during religious feasts such as ‘Āšūrā and Milūd that resume
Preislamic agrarian cults.
EADEM, “Materiali per lo studio dell’abbigliamento in Libia”, SM 6
(1974), pp. 73-128 + XVI tavv.
A lexical and ethnographical study on Libyan traditional cloths carried out
mainly in the areas of Tripolitan and Fezzān areas in the summer 1974. The
text is supplemented by photos and an index of Arabic terms both in Arabic
characters and in transliteration.
EADEM, “Indicazioni metodologiche per l’ordinamento dei personaggi
mascherati nel Maghreb. III: Fonti bibliografiche (1845–1976). Parte 1.
Classificazione e cenni analitici”, SM 23 (1991), pp. 51-118.
The author analyzes about eighty literary sources dealing with masked
characters in Morocco, Algeria, Tunisia and Lybia, linked to rituals
generally condemned by Islam.
EADEM, “Stato moderno e culture locali. Palme in parata. Sahara 1974”,
SM n.s. 5 (2007), pp. 69-83.
The paper deals with the results of a field work in Fezzan (Brak and Sebha),
Libyan Sahara, in 1974 related to two rituals both stressing the importance
of date-palm: the former concerns the archaic substrata and the calendars of
oasis farmers, and the latter the official discourse on the modernity and the
calendar introduced by the Revolution.
DI TOLLA, Anna Maria – KH. ACHIT-HENNI, “Pratiche Religiose e Racconti
Popolari di Chlef (Ech-Chélif – Algeria)”, SM n.s. 2 (2004), pp. 131-176.
Up to the end of the 19th century, popular religious practices in Algeria were
not in contrast with the official Islamic religious practices widespread both
in rural and urban societies. A survey carried out by the authors in 2001 in
Chlef shows that the beliefs concerning saints still represent a key factor
to understand the relations between men and the supernatural. The popular
religious practices have a syncretic approach which allows the union of
orthodox beliefs, magic performances and intermediary worship common
to other Arabic and Berber-speaking communities living in other North
African countries.
FERRARO, Felicetta, “Sviluppi recenti degli studi di antropologia in Iran”, AION
45/1 (1985), pp. 75-85.
The author lists the studies, institutions and publications dealing with the
field of Iranian anthopology.
IBRĀHĪM, Ḥamāda, “Les chansons de la mer (al-nihām) au Kuwait”, AION 36,
n.s. 26/3 (1976), pp. 351-357.
162
VINCENZA GRASSI
Kwait was once dependent enterely on the sea for its prosperity either
through trade or pearl diving expeditions. The authors studies the sea songs
an important aspect of Kuwait’s folkloric music tradition.
SCAMARDELLA, Maria Michela, “L’arte culinaria araba fra passato e presente”,
SM 24 (1992), pp. 69-99.
The author surveys the ancient and modern literary production on Arab
cuisine, illustrating the ingredients and preparation of the dishes. She also
focuses on the traditional dishes connected with Islamic festivities and
personal occasions (birth, naming of the newborns, circumcision, marriage,
etc.).
TOURNEUX, Henry, “L’enseignement coranique dans une petite ville du NordCameroun (Maroua)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 209-218.
In Maroua, Qur’anic schools are privately run and having been taking in
ever more students in the last fifty years. Most of the teachers know almost
nothing of spoken Arabic, even if they can read it. The teaching is therefore
done in Fulfulde (Fulani), the most widely spoken language in the area.
Although hardly productive, these schools play a key role in socializing and
shaping the personality of Muslim children.
YACINE, Tassadit, “Créativité et marginalité. Le statut de la musique dans le
monde rural (l’exemple de la société kabyle)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 219243.
The paper analyses the conditions that allow music, and in particular
singing, to be created. If music needs an instrument external to man’s
body, that is not true for singing. In most cultures music is tightly bound
to mythology and the origin of cosmos. In Kabyle society, singing gives
the knowledge of the social and psychological structures on which ancient
societies are based.
EADEM, “Mutamenti sociali e condizione delle donne. Gli effetti della
politica nei “campi di raggruppamento” delle donne cabile”, SM n.s. 4
(2006), pp. 271-282.
The author analyzes the women’s contribution to the war of Algerian
National independence on the basis of sociological sources. The focus is
particular on the effects of the policy of grouping camps on Kabyle women
and their behavior.
General (Orientalists, Oriental Studies and Institutions, Indexes)
ANONYMOUS AUTHORSHIP
“Giovanni Oman. Bibliografia”, SM 25 (1993-1997), pp. 1-22.
Some biographical notes and the complete bibliography of Giovanni Oman,
A Survey of Arab-Islamic Studies... 163
professor of Arabic Language and Literature and Islamic Epigraphy at the
Orientale and Dean of the Scuola di Studi Islamici from 1984 to 1990, in
occasion of his 70th birthday.
“Indici volumi 1 (1966)-XV (1983)”, SM 15 (1983), pp. 225-229.
Indexes of Studi Magrebini vols. 1-15.
“Studi Maghrebini: Indice dei Volumi (1966–1997)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 261271.
Indexes of Studi Magrebini vols. 1-25.
“Notizie Orientalistiche: 1. La «Società degli Orientalisti» italiani”, AION 52/4
(1992), pp. 479-485.
The articles of the statute of the Italian “Società degli Orientalisti”, an
association that was born to foster African and Asiatic studies, approved at
the meeting held in Rome on 24 June and 20 September 1993.
BAFFIONI, Carmela, “Clelia Sarnelli Cerqua”, SM 26 (1998–2002), pp. V-X.
Bio-bibliografical notes concerning Clelia Sarnelli Cerqua, Italian scholar
in History of Islamic classical period at the Orientale.
CHIAUZZI, Gioia, “Ester Panetta (1895–1983)”, SM 16 (1984), pp. 179-186.
Chiauzzi traces the personal memory of her tutor, Ester Panetta, an Italian
scholar in Lybian dialectology and ethnography. A bibliography closes the
notes.
CILARDO, Agostino (ed. by), “Giornata di studio: Carlo Alfonso Nallino (1872–
1938). Memoria di un maestro e prospettive degli studi arabo-islamici (20
novembre 2008)”, SM 8 (2010), pp.185.
Volume devoted to the early-20th century Italian orientalist C.A. Nallino. It
contains the following articles:
SORAVIA, Bruna, “Carlo Alfonso Nallino (1872–1938). Lineamenti
di una biografia intellettuale”, pp. 9-23; LO JACONO, Claudio, “Carlo
Alfonso Nallino e l’Istituto per l’Oriente”, pp. 24-33; BAFFIONI, Carmela,
“Il filone filosofico degli studi del Nallino. Contenuti e prospettive”, pp.
35-51; CAMPANINI, Massimo, “Nallino, il fascismo e le colonie”, pp. 5362; CANOVA, Giovanni, Nallino e la lingua araba”, pp. 63-68; CARUSI,
Paola, “La storia della scienza e i suoi problemi”, pp. 69-78; CILARDO,
Agostino, “Il contributo di Carlo Alfonso Nallino agli studi di diritto
islamico”, pp. 79-94; CONTINI, Riccardo, “Nallino indagatore dei dialetti
arabi”, pp. 95-116; DE ANGELO, Carlo, “Diritto islamico vs. diritto dei
Paesi islamici. La ricerca italiana in materia di diritto musulmano all’alba
del III millennio”, pp. 117-124; GRASSI, Vincenza, “Carlo Alfonso Nallino
curatore e continuatore degli studi amariani”, pp. 125-132; KAUFHOLD,
Hubert, “Carlo Alfonso Nallinos Arbeiten zum Recht der orientalischen
Christen”, pp. 133-147; LACERENZA, Giancarlo, “Nallino sugli ebrei e
164 VINCENZA GRASSI
l’ebraismo nell’Arabia preislamica”, pp. 149-159; LO JACONO, Claudio,
“Carlo Alfonso Nallino e il suo contributo alla storia”, pp. 161-165;
PIRONE, Bartolomeo, “Il senso della letteratura araba in C. A. Nallino”,
pp. 167-172; SAGARIA ROSSI, Valentina, “Nallino codicologo”, pp. 173185.
D’ERME, Giovanni M., BERNARDINI, Michele, “Ricordo di Filippo Bertotti”,
AION 53/4 (1993), pp. 492-496.
[Bertotti’s obituary]
GABRIELI, Francesco, “Ricordo di Alessio Bombaci; followed by Gallotta,
Aldo, Bibliografia degli Scritti di Alessio Bombaci”, AION 39, n.s. 29/1
(1979), pp. 1-3.
[Bombaci’s obituary]
IDEM, Francesco, “In memoria di Gustave von Grunebaum”, AION 42/1
(1982), pp. 167-168.
[von Grunebaum’s obituary]
IDEM, “Vittorio Rugarli e Italo Pizzi (dalla preistoria della iranistica
italiana)”, AION 44/1 (1984), pp. 173-175.
Biographies of 19th century Italian scholars in Iranian studies.
IGONETTI, Giuseppina, “Ricordo di Roberto Rubinacci”, SM 22 (1990), pp. 1-7.
Obituary of the jurist and Islamist Roberto Rubinacci (1915–1992). A list
of publications closes the biographical notes.
LACERENZA, Giancarlo, “Il viaggio a Petra di Giammarino Arconati Visconti
(1865)”, Supplemento n. 88, vol. 56/3, 1996, pp. 49 + VIII pls.
The book deals with the travel of the Lombard marquis Giammartino
Arconati Visconti to Petra in 1865 and gives facsimiles of the graffiti and
inscriptions drawn in his note-book.
OMAN, Giovanni, “Ricordo di Paul Balog (1900–1982)”, SM 15 (1983), pp. 209220.
The author recollects his friend Paul Balog and lists his publications.
NOJA NOSEDA, Sergio, “G. Arri, un precursore negli studi maghrebini”, SM 23
(1991), pp. 45-49.
Some notes on Giannantonio Arri, a 19th century Italian orientalist.
STASOLLA, Maria Giovanna, “Centri di studio e documentazione in Tunisia”,
SM 12 (1980), pp. 261-269.
The study consists in a list and description of the academic, cultural and
scientific institutions present in Tunis.
STRIKA, Vincenzo, “Il viaggio di C.A. Nallino in Arabia Sa‘ūdiana nel 1938”,
SM 25 (1993–1997), pp. 321-334.
Carlo Alfonso Nallino’s travel to Saudi Arabia and his program of research
a year before his death in the frame of Italian colonial politics.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 165
VERARDI, Giovanni, “On Edward W. Said’s Aida”, AION 56/4 1996, pp. 524535.
Said’s Culture and Imperialism published in 1993 devotes a lenghty
analysis to Verdi’s Aida. The author comments Said’s writing in the light
of the literature concerning the opera.
History, Economy and Politics
ABRAHAMOWICZ, Zygmunt, “Qaġalġa~qaġalqa~qaġïlġa~qalġa etc. A Mongol
Title in Turkic Khanate”, AION 46/3 (1986), pp. 419-431.
The author deals with a title of the Khāns of Crimea, whose origin and
meaning has been long debated.
ANCIAUX, R., “La composante islamique dans la formation politique de
l’Algérie”, SM 22 (1990), pp. 137-148.
The author studies the conflictual relationship between religion and politics
in 20th century-Algeria.
ARDIZZONE, Piero, “Il Regno di Sardegna e le Reggenze barbaresche: dalla
difensiva all’offensiva”, SM n.s. 2 (2004), pp. 1-68.
Since it had only a little outlet on Nice coastline, The Duchy of Savoy
nourished the ambitions to sail freely around the Mediterranean Sea.
These desires grew after the annexation of Sardinia and the acquisition of
the Republic of Genoa. As the Saracen pirates’ attacks intensified, it was
necessary to strengthen the political and military fronts before gaining the
support from Great Britain. The author focuses on the events concerning
the Sardinian Kingdom and Algiers, Tunis and Tripoli in the first half of
19th century.
ARRIBAS PALAU, Mariano, “Sobre seis malteses apresados en 1779 por una
fragata marroquí y liberados posteriormente”. Followed by an “Appendice
documental”, SM 6 (1974), pp. 129 -196.
The study takes Father Ramón Lourido Díaz’s article, published in SM
4 (1971), as a starting point to reconstruct the story of a Ragusan ship,
which was chartered in Genoa by six Maltese merchants sailing to
Canarian islands, and caught by a Moroccan frigate in September 1779.
In the Appendix, a large section of Arabic documents with their Spanish
translation are enclosed.
IDEM, “Algunos datos sobre el Primer Consul del reino de Cerdeña en
Marruecos”, SM 7 (1975), pp. 155-160.
The articles studies the beginning of friendly relationships between Cerdeña
and Morocco on the initiative of the Sultan Sayyidī Muḥammad b. ‘Abd
Allāh. In 1778 the Sultan declared that all the Moroccan ports were open
166
VINCENZA GRASSI
to many countries, including Cerdeña. A document written by Esteban
D’Audibert Caille, where he offers himself to act as an intermediary
between the King of Cerdeña and the Sultan of Morocco, is attached as an
appendix.
IDEM, “La participacíon de Fernando IV de Nápoles en las gestiones para
el rescate de musulmanes cautivos en Malta”, SM 12 (1980), pp. 201-232.
The paper illustrates the intervention of the King of Naples Ferdinand IV
and the mediation of the Spanish King Carlos III between the Moroccan
Sultan Sayyidī Muḥammad b.‘Abd Allāh (1757–90) and the Grand Master
of of the Order of St John’s Knights for the liberation of Muslim prisoners
secluded on Malta island.
BALDICK, Julian, “The Iranian Origin of the futuwwa”, AION 50/4 (1990), pp.
345-361.
The aim of the article is to demonstrate the Iranian origin of the futuwwa
(“young-manliness”, when it refers to an ideal), that is the opposite of
muruwwa (manliness). The term is also used to cover a type of organization
whose New Persian equivalent is juwānmardī or jawānmardī.
BALDRY, John, “Imām Yaḥyā and Yamanī Uprising of 1911”, AION 42/3
(1982), pp. 425-459.
Dealing with the period of Yamani history going from the election of Imām
Yaḥyà in 1904 up to the uprising directed against Turkish misrule and the
imposition of the Civil Law in 1911, the author stresses the significance
of the Treaty of Da‘ān in 1911. It lies in the fact that the Imām Yaḥyà had
taken a successful step towards the autonomy and independence of Yaman
and the authority of his family on it.
BARBATO, Antonio, “Conquista e presenza arabo-islamica a Malta”, AION 50/3
(1990), pp. 233-247.
An overall survey about the Arabic sources and material evidences
witnessing Arab-Islamic past of the Maltese islands.
BELDICEANU-STEINHERR, Irène, BERINDEI, Mihnea, VEINSTEIN, Gilles,
“La Crimée ottomane et l’institution du «timār»”, AION 39, n.s. 29/4, 1980,
pp. 523-562 + 14 pls.
A study of documents preserved in the Archives of the Presidency of the
Council in Istanbul, labelled as Maliyeden müdevver no. 17893 dealing
with the attribution of the timār (concession of income taxes in a given
geographical area) in the Ottoman provinces of Kefe (Crimea), Rum,
Kayseri and Trebizond.
BEYENE, Yaqob, “Conseguenze della carne in scatola. Politica coloniale e
religione in un episodio delle relazioni italo-etiopiche nel XX secolo”, SM
n.s. 4 (2006), pp. 141-156.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 167
The paper deals with the history of the Ascari army and the religious
discussions and taboos concerning both Christians and Muslims from
Ethiopia and Eritrea. In particular, the author is concerned with the
solutions adopted by Italian government to overcome the problems arising
from the theological doctrine of sost malakkat (the three divinities) and the
prohibition of eating the canned meat distributed by Italian Army in Libya
for the Ethiopian and Eritrean ascaris.
BISTEGHI, Ugo, LO VECCHIO, Guido, “La modellizzazione dei sistemi storicopolitici: Il caso esemplare dell’Islam”, AION 53/3 (1993), pp. 255-265.
The authors use the approach of R. Thom’s “Catastrophe Theory” to analyze
historical and sociological events in the Islamic settings and consider the
reasons for the meager results coming from the attempt to build models for
studying social and political changes.
EIDEM, “The Islamic Revolution in Iran. Some Consideration on History
as Complex System”, AION 56/1 (1996), pp. 63-78.
The study discusses the theory of complexity and applies it to recent history
of Iran taking into consideration the phenomenon of modernization, the fall
of the Pahlavi monarchy and the emergence of Fundamentalism.
BOMBACI, Alessio, “The Army of the Saljuqs of Rūm”, AION 38, n.s. 28/4
(1978), pp. 343-369.
The author surveys the organization of the army of the Saljūq of Rūm and
in particular its composition, an aspect which is strictly connected with
political and social life. The main source is the history written in Persian
towards 1282 by Ibn Bībī, edited in the mid-Fifties, which covers the period
from the 12th c. to 1282.
BOUNFOUR, Abdellah, “Quelques réflexions sur les débuts du Mouvement
culturel amazigh marocain”, SM n.s. 4 (2006), pp. 157-169.
In Morocco, some attempts to reconstruct the history of the Berber cultural
movement (MCB) were made on the basis of purely chronological criteria;
differently this study puts the data into their ideological, cultural and
political context. It calls for a post-independence foundation for the MCB,
in direct opposition to the Arab-Islamic concept of nationalism.
BOVER FONTS, Immaculada, “L’iqlīm di Corleone: studio del territorio e
della sua popolazione durante l’epoca musulmana”, AION 56/2 (1996),
pp. 255-265.
The paper is based mainly on the jarā’id published by Cusa and their
scrutiny by Adaligisa De Simone combined with the Arabic sources
contained in Amari’s studies, but it also takes into account the result of
the recent archeological excavations carried out in Sicily as well as Henri
Bersc’s studies. The author locates the toponyms referred to the iqlīm of
168 VINCENZA GRASSI
Corleone pointing out the relevant aspects of the territories, the economy
and the presence of monuments.
CALABRESE, Maria Caterina, “Materiali per un lessico dell’ideologia politica di
Mu‘ammar al-Qaddāfī”, SM 14 (1982), pp. 229-248.
The author lists the key-words used in Mu‘ammar al-Qaddāfī’s Green Book
in order to clarify his political thought and socio-economic theories. An
Italian-Arabic glossary of political terms, also in Arabic transcription is
given at the end.
CANCIANI, Domenico, “Giugurta in cerca d’identità. Intellettuali e popolo nella
rinascita berbera in Algeria”, SM n.s. 4 (2006), pp. 171-180.
Spurred by the events of the spring 2001, the author detects in the uprisings
of the kabyle movement for the acknowledgement of the Berber cultural
and linguistic identity a more general urge of Algerian population for
democracy and a condemnation of terrorism as well as a military forcecontrolled state. Canciani hopes in the intervention of EU to foster a
democratic development of Algerian policy.
CHIAUZZI, Gioia, “The Dawn of a New Era «The Conference on Turkish-Arab
Relations: Past, Present, Future» – Ankara, Hacettepe University – June
18-22, 1979”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp. 309-312.
An account of «The Conference on Turkish-Arab Relations: Past, Present,
Future» held from 18 to 22 June 1979 at the Hacettepe University in Ankara,
Turkey.
EADEM, “La spedizione di Napoli contro Tripoli d’Occidente secondo
il cronista tripolino Ḥasan al-Faqīh Ḥasan. Traduzione e osservazioni
linguistiche”, SM 15 (1983), pp. 75-154; ibid. 16 (1984), pp. 91-178; ibid.
17 (1985), pp. 57-96, “Parte II. Indice italiano delle voci considerate nelle
schede lessicali”, ibid. 18 (1986), pp. 69-90.
Having translated the Arabic chronicle into Italian, the author analyzes from
the linguistic point of view the Libyan Arabic terms used by the historian
Ḥasan al-Faqīh Ḥasan in his description of an expedition against Tripoli
leaving from Naples.
CONTU, Giuseppe, “La conoscenza del mondo arabo moderno e contemporaneo
attraverso gli studi storici di ‘Ayn Shams: 1976–77”, AION 39, n.s. 29/2
(1979), pp. 333-344.
The authors surveys the trends in historical studies in Egypt in the midSeventies on the basis of the activity carried out in the Seminar of High
Studies in Modern History in the University of ‘Ayn Shams in Cairo.
IDEM, “Un recente convegno sulla storia dell’Egitto ad ‘Ayn Shams (Il
Cairo 4 – 6 aprile 1988)”, AION 48/4 (1988), pp. 339-348.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 169
Methodology in historiographical studies as debated at the 1988 congress
on the history of Egypt at the University of ‘Ayn Shams in Cairo.
DÉJEUX, Jean, “La Kahina: de l’histoire à la fiction littéraire”, SM 15 (1983),
pp. 1-42.
The author points out the writers’ use of the mythical character of Kāhina
in French and Algerian novels as a mean of political and ideological
persuasion.
DOTOLI, Giovanni, “Éloge de la Méditerranée”, SM n.s. 4 (2006), pp. 219-233.
The paper concerns the nature of the Mediterranean as a historical, cultural,
social and economic entity and assesses the validity and limits of its use
as a cultural concept. Being a zone of interaction and conflict, the area is
to be set into a regional rather than national framework, suggesting new
perspectives regarding the model of development to be adopted.
EBIED, Rifaat Y., YOUNG M.J.L., “A List of Ottoman Governors of Aleppo,
A.H. 1002–1168”, AION 34, n.s. 24/1 (1974), pp. 103-108.
The authors supplements Zambaur’s list of governors of Aleppo, covering
the period from the Muslim conquest to the eve of the Ottoman conquest,
with 124 Ottoman governors of Aleppo appearing in fols. 65v-66v of Leeds
Arabic ms no. 147.
FASANA, Enrico, “Riforma sociale e conversione nella comunità musulmana del
subcontinente indiano”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 359-396.
The author focuses on the period from 1875 up to 1947 to study so far the
Islamic reformist movements promoted the reformation of Indian society as
to affect the caste system.
FRONZONI, Vasco, “Trattato di pace, commercio e navigazione tra la Sublime
Porta ed il Regno delle Due Sicilie (Costantinopoli, 7 aprile 1740)”, SM n.s.
5 (2007), pp. 141-149.
The article deals with the treaty signed by the Bourbon king of the Two
Sicilies Charles III and the Ottoman Sultan Maḥmūd I in 1740, which is
very important for the history of Maritime Law as it represents the basis
for the Declaration on Sea Law of Paris (1856) and the Maritime Code of
Ottoman commerce (1863) in force up to 1929.
FUCCARO, Nelida, “A 17th century travel account on the Yazidis: implication for
a socio-religious history”, AION 53/3 (1993), pp. 241-253.
The paper deals with a brief description of a small Syrian Kurdish
community of Yazidis written by Michele Febvre in the middle of 1670s
representing the oldest known account on this religious sect whose members
are scattered in a wide area of Turkish, Iraqi and Persian Kurdistan.
GABRIELI, Francesco, “Considerazioni sul califfato omayyade”, AION 34, n.s.
24/4 (1974), pp. 507-512.
170 VINCENZA GRASSI
Starting from Wellhausen’s and Lammens’ studies on the Umayyad
caliphate and its fall, the author revises critically the literature on the subject
and points out the new sources which allow its updating.
GALLOTTA, Aldo, “Le Ġazavat di Ḫayreddīn Barbarossa”, SM 3 (1970), pp.
79-140.
The life of the famous corsair and admiral Ḫayreddīn in Seyyid Murād’s
work, belonging to the genre of Ottoman Historiography called ġazavātnāme, that is gihād deeds, current from XIV–XV centuries. The text is
followed by its Italian translation.
IDEM, “Diplomi turchi dell’Archivio di Stato di Firenze”, SM 11 (1979),
pp. 167-202 + XII pls.
Thirteen letters in Osmanli belonging to the Medici Granducal Archives in
Florence dealing with the relationships between Algiers and the Granduchy
of Tuscany in the 17th century are presented with their translation and
facsimiles.
IDEM, “Il «Ġazavāt-i Ḫayreddīn Paša» di Seyyed Murād”, SM 13 (1981)
(Monography).
Edition of the Turkish prose text dealing with the life of Barbarossa pirate.
GALLOTTA, Aldo, BOVA, G., “Documenti dell’Archivio di Stato di Venezia
concernenti il principe ottomano Ğem”, SM 12 (1980), pp. 175-199.
Six unpublished documents in the State Archives of Venice belonging
to the 16th century parchment registry, known as Liber Graecus, five of
which are copies written in Greek, dating from 28.8.1482 to 21.1.1494, and
one in Venetian dialect dated 1482. An original document has been listed in
the Collection of Turkish documents. The documents, dealing with Prince
Jem’s vicissitudes, have been written by the sultan Bāyazīd II and addressed
to the Venetian Doges Giovanni Mocenigo and Agostino Barbarico and to
the provisioner in Cyprus, Andrea Gritti.
GORI, Alessandro, “Alcune considerazioni e precisazioni preliminari sull’origine
e sulla natura delle presenze islamiche non autoctone nelle comunità
musulmane d’Etiopia”, AION 55/4 (1995), pp. 406-436.
The author analyzes the different patterns of islamization in Ethiopia.
GOZALBES CRAVIOTO, Enrique, “Los judíos en Mauritania Tingitana”, SM 11
(1979), pp. 133-166.
After surveying the historiographic studies dealing with the presence of
Jewish communities in Morocco since Antiquity, the author points out
several mistakes and studies the arrival of Jews in Mauritania Tingitania.
As to Medieval times the migration southwards was due to the Arab
conquest of the northern African coast, but there is no continuity in the
Jewish settlements.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 171
IBRAHIMI, Ahmed Taleb, “Le Maghreb et l’Europe”, SM 19 (1987), pp. 139-155.
Within the historical paradigm theorized by Braudel, the author stresses the
tight cultural links existing between the Maghreb and Spain and points out
the different role played by the two countries in the present socio-politic
scene mainly in regard to the European Economic Community.
JEHEL, Georges, “Gênes et le Maghreb au Moyen-Age”, SM 22 (1990), pp. 5986.
Genoa played an important role in the history of the relations between
Christian and Muslim states in the Western Mediterranean basin from
the end of the 10th century up to the end of the Middle Ages. The author
focuses on economical and socio-cultural relations between the Italian city
and the Maghreb.
LOURIDO DIAZ, Ramón, “La república de Ragusa y los ‘alawíes de Marruecos
en el siglo XVIII”, SM 4 (1971), pp. 113-124.
The study deals with the first historical links between Ragusa, nowadays
Dubrovnik, and the Alawi Empire (Morocco) in the 18th century. A letter
from the General Archive of Simancas addressed to the king of Spain
Carlos III, bearing the date 28 January 1780, is enclosed.
MAGAROTTO, Luigi, “Il sogno di Aluda”, AION 45/1 (1985), pp. 87-96.
The article deals with the Georgian poet Važa and his poem on the Georgian
hero Aluda Ketelauri, written in 1888. The poem starts from a dramatic
event that is a Muslim raid in Xevsuri territory.
MARAZZI, Ugo, “Alcuni problemi relativi alla diffusione del manicheismo
presso i Turchi nei secoli VIII–IX”, AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 239-252.
As a consequence of persecution of Manichaeism in Iran, the new faith
spread in Central Asia and some communities were active in western
Turkestan in the first decades of 8th century. Sogdian merchants acted as
propagandists of the religion so far as China. The author investigates some
problems linked to the diffusion of Manichaeism among Turks.
MEOUAK, Mohamed, “Les documents en arabe dialectal de l’Archivo General
de Simancas. Une source inestimable pour l’histoire du Maghreb central
aux XVIe et XVIIe siècles”, SM n.s. 5 (2007), pp. 161-175.
The author traces the history of the Central Maghreb during the 16th and
17th centuries on the basis of the data contained into account documents in
Arabic dialect preserved in the General Archives of Simancas, in Spain.
Due to his adoption of a modern historiographic approach, the results are
evaluated at different levels, so that they can offer materials concerning
anthroponomy, toponymy and socio-linguistics.
PELLITTERI, Antonino, “Il riformismo musulmano in Siria (1870–1920)”,
Supplemento n. 49 agli Annali vol. 46 (1986)/4, pp. 1-87.
172
VINCENZA GRASSI
Islamic Reformism (iṣlāḥiyya) came into existence by the end of the 19th
century and prosecuted up to the 20th century as a response to the challenge
of Western impact on the Islamic world. The author focuses on the history
of the movement in the Great Syria. The author analyzes some aspects
of the movement such as Islam and politics, the role of science, the idea
of homeland, the theoretical aspects of the social problems, Islam and
Arabism and reports bio-bibliographical notes on the main representatives
of the Syrian movement.
FIORANI PIACENTINI, Valeria, “Vie carovaniere e processi di popolamento
del Khorāsān orientale: il Kuhestān «Regione dei Monti» (Iran orientale)”;
Appendix I: TORRE, Paola, “Evidenze ceramiche «bianco e blu» a Qā’en”;
Appendix II: “Documentazione fotografica e planimetrica”, AION 39, n.s.
29/4 (1979), pp. 563-601, 602-605.
The data, collected by the author during the 1978 scientific mission
organized by the Orientale, are referred to commercial routes and the
peopling processes in Kuhestān (the Mountain Region of Eastern Khorāsān),
Iran. The study in the first appendix illustrates three white and blue glazed
pottery bowls of local origin imitating Chinese production. The second
appendix consists of 21 plates with photos and planimetry.
El-QADERY, Mustapha, “Maux des mots en français colonial”, SM n.s. 4 (2006),
pp. 235-246.
Starting from some considerations about how North Africa was transformed
into an Arab-Islamic area and if this was the result of a historical process or
the colonial constructions of paradigms which do not represent the present
and past reality of North Africa, the author tries to demonstrate the last
hypothesis showing in which way social sciences have been working up to
present times.
SALEH, Abdelhamid, “Les relations entre les Mamluks et les Bédouins d’Egypte”,
AION 40, n.s. 30/3 (1980), pp. 365-393.
The paper surveys the difficult relations between the Mamluk sultans and
the Bedouin tribes in Egypt.
IDEM, “Les migrations bédouines en Egypte au Moyen Age”, AION 41/1
(1981), pp. 1-33.
The author lists the tribes arrived in Egypt according to their origin and the
place of settlement (Upper and Lower Egypt) up to the Mamluk period.
SARAÇGIL, Ayşe, “La lingua turca tra riforma e rivoluzione, I”, AION 50/3
(1990), pp. 249-278, part II, ibid., 51/2 (1991), pp. 139-158.
Turkish language as factor of National and cultural identity from the
Tanzimāt period undertaken by the Ottoman Empire in 19th century up to
the Ataturk Revolution.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 173
ŠARAFUTDINOVA, Rukija Š., “Le lettere in arabo dall’archivio di Pietro della
Valle conservate nell’Istituto di Orientalistica di Pietroburgo”, AION 57/1
(1997), pp. 1-47.
The paper concerns six letters from Pietro della Valle (1586–1652)’s Archive,
belonging to the collection of the historian N.P. Lihačev and presently
preserved at the Oriental Institute of St Petersburg (coll. A 224-229).
SARNELLI CERQUA, Clelia, “Al-Ḥağarī in Andalusia”, SM 3 (1970), pp. 161203 + 5 pls.
The study deals with the first chapter of Kitāb Nāṣir al-dīn by a MoroccanSpanish writer, ash-Šihāb Aḥmad Al-Ḥağarī, dealing with the Spanish
period of his youth and some apocryphal Arabic writings found in Granada
in 1588 and 1595. A facsimile of the manuscript is enclosed in the plates
and its Italian translation is in the appendix.
SCHINASI, May, “Italie-Afghanistan 1921–1941”, ibid. 47/2 (1987), pp. 131151 + 1 photo portraying the Afghan legation of 1923 and the Italian
experts; “II. De l’affaire Piperno à l’évacuation de 1929. Le journal de
De Gado [Première Partie]”, AION 47/2 (1987), pp. 131-151; [Deuxième
Partie], ibid. 50/3 (1990), pp. 279-293; “III. Les Afghans en Italie. Le
voyage d’Amānullāh. L’exil”, ibid. 52/2 (1992), pp. 113-135 + 4 pls.; “IV.
Les années 30: Contribution italienne, témoignage barnabite”, ibid. 53/2
(1993), pp. 149-191 + 4 pls.
The relations between Italy and Afghanistan following to the
acknowledgement of Afghan independence from the Italian side. In the
appendix the agreements between the two countries. II-III. The Afghan
legation in Rome in the 20s and the travel in Italy of king Amānullāh and
his retinue in 1928 and the main events within the diplomatic relations
between Italy and Afghanistan in the mid-Twentieth century. IV. The
author outlines the economical, political and commercial relations between
the two countries basing on archive and describes the activities of the
Barnabites in Kabul focusing on Father Egidio Caspani.
EADEM, “Femmes afghans. Instruction et activités publiques pendant le
règne amāniya (1919–1929), AION 55 (1995), pp. 446-486 + 2 pls.
The journal of Kabul, Amān-e afghān, devoted in January 1921 an article
to the opening of a school for girls; this event offers the opportunity to
underline the hidden role of women in Afghan society.
SERRA, Luigi, “In margine ad un testo orale berbero avente a titolo: «La storia
della gente di Sigilmāssa»”, SM 6 (1974), pp. 57-71.
A brief Berber text dictated by Sidi Mulay ‘Abd al-Raḥmān, shaykh of
Mezgīda qṣar, in 1972 dealing with the history of Sigilmāssa and a Black
King identified as Aissa ibn Mazyad el-Aswad (8th century A.D.).
174 VINCENZA GRASSI
SPALLINO, Patrizia, Al-Masā’īl aṣ-Ṣiqilliyya, AION 56/1 (1996), pp. 52-62.
The study aims at reconstructing the interest of the European scholarship
for an Arabic manuscript preserved in the Bodleian Library (Hunt. 534),
which was discovered by the Sicilian history scholar Michele Amari in the
mid-19th century. The text, titled Al-masā’īl al-Ṣiqilliyyah (Sicilian matters),
dealt with philosophical issues and was in the epistolary form between the
Sufi Ibn Sabʿīn and an unknown king of Sicily that was identified with
Frederick II Hohenstaufen by Amari, who also dated the text 1237–1242
A.D.
STASOLLA, Maria Giovanna, “Arabi e Sardegna nella storiografia araba del
Medioevo”, SM 14 (1982), pp. 163-202.
Italian translation of the Arabic sources dealing with the Arabs in Sardinia
and the author’s comment on them.
STRIKA, Vincenzo, “Istruzione ed ideologia islamica nell’Arabia Saudiana”,
AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 437-456.
Moving from Nallino’s studies on Saudi Arabia, the author investigates the
changings occurring in the Saudi Arabian Higher Education system in the
70s.
IDEM, “Lo Shaṭṭ Al-‘Arab: Origini remote e recenti della controversia tra
Iran e ‘Irāq”, Supplemento n. 36, vol. 43/3, 1983, pp.1-151.
The author studies the Iran – Iraq conflict in the light of the complex
ethnical and religious composition of Iraq and the background historical
events: Sunnis versus Shī‘is, the Kurdish problem, the territorial problem
concerning Ottoman Empire-Iran border (as the 1639 Treaty did not
mention the Shaṭṭ el-‘Arab) and the arising political disputes up to 1975.
IDEM, “I rischi del Dopo-Golfo”, AION 51/4 (1991), pp. 417-435.
The Middle East conflicts extant after the Gulf War and the solutions for
peace.
IDEM, “L’Azerbaigian dopo la I Guerra mondiale. Alcune considerazioni
sulle fonti italiane”, AION 51/1 (1991), pp. 65-81.
The papers deals with the events which took place in Transcaucasia from
the fall of the tsarist regime in February 1917 to the advent of the Soviet
rule in 1922, and in particular in the Russian most important oil town, Baku,
and the Italian interests in its neighbouring lands.
VERCELLIN, Giorgio, “Crime de silence et crime de tapage: Panorama des
lectures sur L’Afghanistan contemporain”, Supplemento n. 44 agli Annali
vol. 45 (1985)/3, pp. 1-68.
The author offers a rich bibliography on issues concerning present
Afghanistan on which there is the mass media blackout such as the economic
relations between URSS and Afghanistan, the role of the Afghani refugees
A Survey of Arab-Islamic Studies... 175
in Pakistani and Arab Gulf economies, the problem of the place of origin
of the military aids, the attitude of the USA and UE towards the refugees,
the women condition, the drug-crop economy in the areas controlled by
resisters.
IDEM, “Un «sarbedār» del 981/1573 a Tabriz”, AION 30, n.s. 20/1970, pp.
413-415.
Focusing on 16th century Iran, the article demonstrates that the term
sarbedār is to be associated with pahlawān, that is a person who devotes
himself to death.
VITALONE, Mario, “Le comunità zoroastriane d’Iran dopo la Rivoluzione”,
AION 45/2 (1985), pp. 177-192.
This article focuses on Zoroastrian community in Iran starting from the end
of the 19th century up to the cultural and social organization operating in
present Iran.
VITELLI, Assunta, “I documenti turchi dell’Archivio di Stato di Modena”, AION
54/3 (1994), pp. 317-348.
The author analyzes some Turkish documents in the Archives of Modena
supplying evidence on the relations between the Dukes of Este and
Suleiman the Magnificent in the second half of the 16th century. The
transcription of the document and their translation into Italian are preceded
by a palaeographical and historiographical analysis.
ZAMMIT CIANTAR, Joe, “Malta in 1677: An Anonymous Account”, SM 22
(1990), pp. 87-108 + 4 pls.
The author introduces a report about Malta commissioned in 1524 by the
Grand Master and Council of the Order of St John, when, after their deafeat
in Rhodes, they were offered the islands together with the North African
fort of Tripoli.
Islām and Islamic Philosophy
ARFÉ, Pasquale, “La teoria dell’intelletto in Averroè tra esegesi del Corano ed
escatologia islamica”, SM n.s. 5 (2007), pp. 1-46.
The historical-philosophical analysis of Faṣl al-maqāl (about 1179), Tahāfut
al-tahāfut (about 1180) and the Commentarium magnum in Aristotelis de
anima librum III (about 1190), shows that Averroes gradually moved from
the agreement between faith and reason to a successive phase of unconscious
contrast with the Kuranic dogmas, according to which punishment and
reward depend on the responsibility of each individual. His doctrinal
position on the unicity of intellect for all human beings seems to look for a
solution in a way resembling the contrasted theory of “double truth”.
176
VINCENZA GRASSI
AUTUORI, Adele, “Antecedenti greci e arabi del Kitāb al-firāsa di Fakhr al-Dīn
al-Rāzī”, AION 43/1 (1983), pp. 43-60.
The paper studies the Greek and Arabic texts on physiognomy dating earlier
than al-Rāzī’s Book on Physiognomy (12th c.).
EADEM, “Testo latino e testo arabo della fisiognomica di Muḥammad ibn
Zakarīyā’ al-Rāzī”, AION 44/1 (1984), pp. 29-40.
The Kitāb fī’l-Ṭibb is one of the best Islamic medical works by al-Rāzī, who
followed Hippocratic teaching. Consequently, it is not surprising that in the
second volume of his work he describes the principles of physiognomy
according to which the somatic types indicate the nature of men, an essential
requisite to make a diagnosis. Autuori compares the Latin translation of
the work by Gerardo da Cremona (1114–1187) and the Arabic manuscript
edited in Aleppo in 1929 by Muḥammad Raghīb al-Tabbākh.
BAFFIONI, Carmela, “Valore ‘filosofico’ dell’atomismo del Kalām”, AION 40,
n.s. 30/2 (1980), pp. 243-264.
The philosophical insight of Muslim theologians with regard to their option
in favour of atomism.
EADEM, “La tradizione araba del IV libro dei ‘Metereologica’ di
Aristotele”, Supplemento n. 23 agli Annali vol. 40 (1980)/2, pp. 1-104.
Arab atomism and its relations with Greek sources was one of the first
topics addressed by Carmela Baffioni. Here she translates and comments
upon the so-called “first chemical book of Antiquity” in Yaḥyā ibn Biṭrīq’s
version, comparing it with the Arab Olympiodorus and Avicenna.
EADEM, “Alcuni spunti per la storia del ‘tragelafo’ arabo”, AION 41/3
(1981), pp. 482-500.
Dealing with al-Fārābī’s commentary on Aristotle’s De interpretatione,
Baffioni deepens the “tragelaphos” questions.
EADEM, “Gneosologia e mistica nell’interpretazione avicenniana
dell’intelletto agente”, AION 41/4 (1981), pp. 597-622.
The author describes Avicenna’s religious – and even mystical –
representation of the “active intellect” introduced in Aristotle’s De anima,
Book III.
EADEM, “L’atomismo arabo e gli atti catanesi di «Democrito e l’atomismo
antico»”, AION 42/3 (1982), pp. 471-490.
A reconsideration of Greek atomism in the light of the Arabic tradition.
EADEM, “Ancora su al-Fārābī interprete di Aristotele”, AION 44/3 (1984),
pp. 491-516.
The article focuses on Fritz W. Zimmermann’s translation of al-Fārābī’s
commentary on the De Interpretatione.
EADEM, “Platone, Aristotele e il pitagorismo kindiano”, AION 45/1
(1985), pp. 135-144.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 177
The study deals with al-Kindī’s treatise on “Why the ancients related the
five geometrical solids to elements”, a text inspired by Plato’s Timaeus
where the Pythagorean musical theory is also echoed.
EADEM, “Al-Fārābī interprete di Aristotele. A proposito di una recente
recensione”, AION 46/3 (1986), pp. 501-508.
Baffioni answers Jean Jolivet’s review.
EADEM, “An essay on terminological research in philosophy: the “Friends
of God” in the ‘Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’”, SM 25 (1993–1997), pp. 23-43.
A list of technical terms referring to the Brethren of Purity as Gnostic
authors of the Encyclopaedia.
EADEM, “Gli Iḫwān al-Ṣafā’ e la filosofia del Kalām”, AION 54/4 (1994),
pp. 464-487.
One of the first studies devoted by Carmela Baffioni to the “Brethren of
Purity”, who became her main research field. Here she presents a survey of
the “religious” texts of the Encyclopaedia, in order to fix some points on
the debated question of the doctrinal commitment of these authors.
EADEM, “Ermetismo “profetico” e “magico” in una fonte araba del Liber
de Quattuor Confectionibus”, SM 26 (1998–2002), pp. 21-43.
The Epistle on Magic is the Arabic source of this fragment. The author
compares the Arabic and the Latin texts.
EADEM, “Antecedenti “orientali” per la legittimazione del taʾwīl dei
filosofi in Averroè?”, SM n.s. 4 (2006), pp. 131-139.
The Epistle no. 40 of the Brethren of Purity presents an interpretation of
Q. III, 7 very similar to that discussed by Averroes in his Faṣl al-maqāl.
This implies, according to Baffioni, that the Brethren’s philosophy might
be widespread in al-Andalus and Averroes could be acquainted with it.
BAFFIONI, Carmela, NASTI DE VINCENTIIS, M., “Il Cap. 9 del De Interpretatione
di Aristotele nel commentario di al-Fārābī”, Supplemento n. 29, agli Annali
vol. 41(1981)/4, pp. 1-70 with an appendix: GALANTI, Emanuela, “Necessità
e onnitemporalità in alcuni testi aristotelici”, pp. 71-77.
The ninth chapter of Aristotle’s De interpretatione, dealing with the
contingent futures represents a topic much debated among scholars. The
authors focuses on al-Fārābī’s commentary whose view is completely
contrary to the traditional interpretation of Aristotelian logic. The appendix
deals with the Aristotelian theory of necessary propositions as all-time truth.
BAUSANI, Alessandro, “Modernismo e «eresie» nell’Islam contemporaneo.
Sviluppi recenti e tendenze modernistiche nelle regioni asiatiche”. Atti
del Convegno organizzato dalla Società italiana di Storia delle Religioni
e dall’Istituto Universitario Orientale di Napoli (7 – 8 aprile 1973),
Supplemento n. 2 agli Annali vol. 35 (1975)/1, pp. 9-23.
178
VINCENZA GRASSI
The author focuses on the application of the term “Modernism” in
contemporary Islamic thought up to the Fifties.
BELLANI, Roberto, “Lo stato islamico: postulati fondamentali di Abū l-A‘lā
l-Mawdūdī”, AION 42/4 (1982), pp. 593-603.
The ideology of the Pakistani islamist Abū l-A‘lā l-Mawdūdī (1903,
Aurangabad, India – 1979 Pakistan).
BEYENE, Jacob, “Cristianesimo e Islam in Etiopia”, SM 25 (1993–97), pp. 81-97.
A overview on the relationship between Christians and Muslims since the
advent of Islam in Ethiopia.
BUDELLI, Rosanna, “La condizione della donna nella dottrina ḥambalita. Gli
Aḥkām al-nisā’ di Abū al-Farāğ Ibn al-Ğawzī (m. 597/1200)”, AION 56/3
(1996), pp. 334-353.
Leader of the Ḥambali School of Muslim jurisprudence, Jawzī was a faqīh
and traditionist, author of this collection of traditions related to women
having the aim of pointing out the right behavior of Muslim women. With the
advent of Islam, women conquered some rights such as the administration of
the personal patrimony, the right to come into an inheritance and education.
The argumentation used by the author shows Ḥambali yearning for putting
into practice the ethic ideals of the Islamic Law.
CALASSO, Giovanna, “Note su waswasa ‘sussurrare’ nel Corano e nei ḥadīt”,
AION 33, n.s. 23/2 (1973), pp. 233-246.
The word waswasa has a negative connotation both in meaning, since it
consists of untruthful words instilling uncertainty, and in the form, because
it is an indistinctive sound acting as a spell on men’s heart, that is the faculty
allowing mankind to understand God’s signs. In this sense, it is a proof for
mankind. Also the nafs/ instinct acts as an open door through which the
devil reaches men, but this door could be blocked up by knowledge. In the
ḥadīths the effects of the waswasa on man’s behavior, in his capacity as
member of the Islamic community, is considered.
CARUSO, Antonella, “Note di cosmologia islamica nel commento coranico di
Fakhr al-Dīn al-Rāzī”, AION 47/1 (1987), pp. 15-37.
The author comments al-Rāzī’s Tafṣīr al-kabīr dealing with Q. II, 22, a
passage which clarifies the mufassir’s position in respect of the problem of
the shape of the Earth.
CELENTANO, Giuseppe, “Il trattatello di Ḥunain Ibn Isḥāq sulla profilassi e
terapia dei denti (Qaul fī ḥifẓ al-asnān wa’stiṣlāḥihā)”, AION 35, n.s. 25/1
(1975), pp. 45-80.
Text and translation of a treatise on teeth prophylaxis and cure by Ḥunayn
Ibn Isḥāq al-‘Ibāḍī (192–260 H./808–873 A.D.), an author of medical works
also translator of such works from Greek to Arabic and Syriac languages.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 179
The treatise is present in the Ẓāhiriyya Library in Damascus (ms. no.
4516) and P. Sbath reported a manuscript in Aleppo. It is not mentioned in
Brockelmann’s GAL.
IDEM, “Due scritti medici di Al-Kindī”, Supplemento n. 18 agli Annali vol.
39 (1979)/1, pp. 1-75 + 12 pls.
Two unpublished texts by al-Kindī (d. 256/879) included in the ms.
Ayasofya 4832 on Islamic medicine: the Kitāb al-bāh (Book on copulation)
and the Risālah fī’l-luthġa (The Epistle on lisping).
IDEM, “L’epistola di al-Kindī sulla sfera armillare”, Supplemento n. 33
agli Annali, vol. 42 (1982)/4, pp. 1-60 + 4 pls.
The author proposes the text and the Italian translation of the Risāla fī
dhāt al-ḥalaq by al-Kindī, one of the oldest Arabic text dealing with the
astrolabe with rings, an astronomical instrument described also in Ptolemy’s
Almagesto (V Book, I chapter).
CHIAUZZI, Gioia, “La Trinità Colonialista (Al-Ṯālūṯ al-isti‘mārī): l’agenda
islamica per l’anno solare 1367 [2000 d.C.] dalla morte del Profeta. – I”,
SM 25 (1993–1997), pp. 165-203.
The author comments the Islamic notebook of the year 1367/2000 A.D.
edited by the Daʿwa in Tripoli as official organ of the Libyan Jamāhīriyya.
The listed bibliography does not take into account an article on the Libyan
Islamic notebook published by V. Grassi in Oriente Moderno, Anno III, N.
7-12 (Luglio–Dicembre 1984), pp. 215-219.
CICERO, Francesca, “La struttura gerarchica della da‘wa ismailita nella Rāḥat
al-‘aql di Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī”, SM n.s. 5 (2007), pp. 87-108.
The Comfort of Reason is one of the most important texts produced for
Ismā‘īlī propaganda. Aimed at explaining the whole reality, it was built up
as a city with seven ramparts, each of them yielding to a pathway, using the
mīzān al-diyāna (the balance of religion) method. The paper describes the
ten-ranked hierarchy of the da‘wa at the times of al-Kirmānī contained in
the ramparts V and VI, devoted to minerals and plants.
CITRO, Maria, “L’avvento dell’Islam nella tradizione malese”, AION 54/4
(1994), pp. 497-518.
The author surveys the literature concerning the theory of the Islamization
of the Malay-Indonesian Archipelago.
CONTU, Giuseppe, “Gli aspetti positivi e i limiti del laicismo di Salamah Mūsà”,
Supplemento n. 24 agli Annali vol. 40 (1980)/3, pp. 1-123.
The author investigates the cultural milieu in which the Islamic reformist
Salamah Mūsà grew up and analyzes some political and social subjects
which better clarify his thought.
CORTESE, Delia, “Imāmat and Qiyāmat in the Ḥaft Bāb-e Bābā Sayyid-nā”,
AION 46/3 (1986), pp. 403-417.
180 VINCENZA GRASSI
The anonymous work titled Ḥaft Bāb-i Bābā Sayyid-nā (ca. 1200) is one
of the very few extant texts belonging to the Nizari Ismaili tradition of the
pre-Mongol period. The treatise contains a detailed description of the socalled “proclamation of the Qiyāmat”, an event that took place in Alamut
in 1164, which inaugurated the introduction of profound changes in the
doctrines and practices of the Nizari Ismailis. The paper discusses the reconfiguration of the roles of the imām and the qā’im as reflected in the
text, within the context of broader Ismaili cosmological and escatological
doctrines.
COSLOVI, Franco, “Osservazioni sul ruolo di «Šāh Walīullāh Dihlawī» e «Šāh
‘Abd al-‘Azīz» nella «Naqšbandiyya» indiana”, AION 39, n.s. 29/1 (1979),
pp. 73-84.
Between 1707 and 1858, India goes through a critical period during which
the ṭarīqah Naqšbandiyya plays an important role in the cultural life of
the country thanks to Shāh Walīullāh Dihlawī (1703–1762) and his son
Shāh ‘Abd al-‘Azīz. The author throws new light on Shāh Walīullāh’s
personality and thought, a central figure of the Indian Islamic modernist
movement which stimulated national awareness.
DEGEN, Rainer, “Ein weitere Handschrift von Ḥunain Ibn Isḥāqs Schrift über die
Zahnheilkunde. (Qaul fī ḥifẓ al-asnān wa-l-lita wa- stiṣlāḥihā)”, AION 36,
n.s. 26/2 (1976), pp. 236-243.
A manuscript on teeth prophylaxis and cure by Ḥunayn Ibn Isḥāq al-‘Ibāḍī.
The topic was investigated a year earlier by Celentano.
IDEM, “Zum Diabetestraktat des ‘Abd al-Laṭīf al-Baġdādī”, AION 37, n.s.
27/4 (1977), pp. 455-462.
The author focuses on a small Arab medical treatise on diabetes by
Muwaffaq al-Dīn ‘Abd al-Laṭīf ibn Yūsuf al-Baġdādī (557/1162-629/1231)
and analyzes the sources of his quotations.
DE STEFANI, Claudio, “Note testuali ai libri I-IV delle Anatomicae
Administrationes di Galeno”, AION 57/1-2 (1997), pp. 282-290.
Some critical notes on the thirty-two passages of Galen’s Anatomicae
Administrationes (Books I-IV) regarding the original Greek text and its
Arabic translation by Ḥubaysh (9th c.)
FRANCESCA, Ersilia, “L’elemosina rituale secondo gli Ibāḍiti”, SM 19 (1987),
pp. 1-64.
The author analyzes the section concerned with the zakāh of the Kitāb alwaḍʿ fī’l-furū‘ by al-Jannāwunī (first half of 6th/12th c.) and gives the Italian
translation.
ĞĀMĪ, Nuruddīn ‘Abdurraḥmān, “La perla magnifica (ad-Durrat al-Fāḫirah)”,
translation, introduction and notes by Martino Mario Moreno, edited by
A Survey of Arab-Islamic Studies... 181
Alberto Ventura. Supplemento n. 27 agli Annali vol. 41(1981)/2, pp. III-IV,
1-59.
Al-Durrat al-Fākhira is a treatise on the doctrine of waḥdat al-wujūd (the
unit of creation) or Sufi monism as exposed by the Spanish mystic thinker
Ibn ‘Arabi. Alberto Ventura found in the library of the University of Rome
an Italian translation of the work made by Martino Mario Moreno in the
mid-40s and presents an annotated edition of the typescript.
GAROFALO, Ivan, “Addendum all’edizione delle «Anatomicae Administrationes»
di Galeno: il codice arabo 4914 della Danishgāh di Teheran”, AION 42/2
(1989), pp. 149-153.
Notes about the Arabic translation of the Anatomicae Administrationes by
Galeno published by the author in 1986, in the light of the Arabic manuscript
no. 4914 in the Danishgāh Library in Teheran, Iran (fols. 345v-439v).
GORI, Alessandro, “Esegesi testuale e polemica religiosa in Etiopia: il Versetto
della luce nell’Anqäşä Amin e nella Silloge di Šäh Zäkkarəyas”, AION 53/4
1993, pp. 353-374.
In Ethiopia, Christianity and Islam produced very little apologetic literature,
with few exceptions such as the 16th century-work Anqäşä Amin (The Door
of the faith), written by a Yamani convert, which was published in 1969 by
E.J. van Donzel and the ms. EMML 1148 of the vision of Šäh Zäkkarəyas,
a work originally written in Arabic by a Muslim learned man from Ethiopia
who converted to Christian faith. The author focuses on the controversy
over the Qur’anic verse of Light.
LO JACONO, Claudio, “On the Prohibition of Fermented Drinks in Islam”, SM
26 (1998–2002), pp. 133-145.
After listing different types of fermented drinks in use in pre-Islamic times
and describing the practice of maysir, the author interprets the prohibition of
alcoholic drinks in an anti-Christian perspective, rooted in the association of
wine with the dogma of transubstantiation, and as part of a broader refusal
of all practices performed in pagan Arabia.
MAIELLO, Amedeo, “Mo’min and the Mujāhidīn Movement”, AION 45/4
(1985), pp. 641-659.
Taking his cue from certain poems that Mo’min wrote around the figure
of Sayyid Aḥmad Shahīd, Maiello traces the influence of the Mujāhidīn
Movement, in the intellectual life of Dehli in the first half of the 19th century.
IDEM, “Sir Sayyid Ahmad Khan and the Christian Challenge”, AION 36,
n.s. 26/1 (1976), pp. 85-102.
The paper traces the efforts of Sir Sayyid Aḥmad Khān to protect Islamic
Holy texts from the attacks of missionaries and orientalists such as Muir
during the second half of the 19th century.
182 VINCENZA GRASSI
IDEM, “The Social Ideas of Sir Sayyid Aḥmad Khān”, AION 37, n.s. 27/1
(1977), pp. 37-53.
The study focuses on the work of Sir Sayyid Aḥmad Khān in introducing
a modernist interpretation of Islam as basis of new social practices, in the
second half of the 19th century.
NOJA, Sergio, “Il «Kitāb al-Kāfī» dei Samaritani – IV”, AION 30, n.s. 20/2
(1970), pp. 167-207; V, Ibid., fasc. 4 (1970), pp. 447-481.
Samaritans are a small minority settled in Nablus at the feet of Mount
Jerizim, in the last phase they used Arabic for literary purposes. The author
examines Yūsuf ibn Salāmah al-‘Askarī’s juridical text, dated early 11th
century, in which many biblical quotations, sometimes in Aramaic, appear.
This is the fourth part of the study published in the same journal, nos. 18
and 19.
IDEM, “Les chevaux ailés de ‘Āišah- Dieu soit satisfait avec elle- et les
banāt”, AION 43/1 (1983), pp. 33-42.
The author concentrates on some ḥadīths referred to ‘Ā’isha in which occur
the images of winged horses or sphinxes and “banāt”. The interpretation
of this word as “dolls” or “feminine statuettes” called God’s daughters is
discussed.
ORAZGOZEL, Machaeva, “Il Tarvīḥ al-arvāḥ di Tāj ad-Dīn Aḥmedī. Un
trattato in versi di medicina ottomana nel Fondo Marsigli della Biblioteca
Universitaria di Bologna”, AION 55 (1995), pp. 96-108 + 1 pl.
Luigi Ferdinando Marsigli (1658–1730) a famous Bolognese polygraph left
a rich collection of Oriental manuscripts to the Library of the University of
Bologna. The author illustrates an Ottoman medical treatise in verse by Tāj
al-Dīn Aḥmedī: ms 3583 dated 1412–1414 A.D. in shikaste handwriting,
which is the oldest Turkish manuscript ever studied. As we know from the
colophon, the acephalous manuscript was copied at Qawāq, a village of
Iranian Azerbaijān.
PELLITTERI, Antonino, “Riforma dell’Islam e rinascita araba nel pensiero e
nell’opera di Muḥammad Kurd ‘Alī (1876–1953)”, AION 44/2 (1984), pp.
219-257.
Bio-bibliographical notes on Muḥammad Kurd ‘Alī, one of the main Syrian
thinkers of the Nahḍa period (19th–20th c.). Great emphasis has been placed
on his political thought concerning Nationalism and Panarabism.
SAMIR, Khalil, “Le Commentaire de Ṭabarī sur Coran 2/62 et la question du salut
des non-musulmane”, AION 40, n.s. 30/4 (1980), pp. 555-617.
The paper, focusing on the verse 62 of the Sura of the Cow, discusses the
Commentary of the Qur’an by Ṭabarī (Jāmi‘ al-bayān fī ta’wīl al-Qur’ān)
on it. This verse is particularly important because points out the relation
between Islam and the other revealed religions.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 183
SCARCIA AMORETTI, Biancamaria, “Un passo dei Mağālis al-mu’minīn sullo
sciismo di Kāšān agli inizi del secolo XVI”, AION 30, n.s. 20/2 (1970), pp.
263-268.
The author deals with an excerpt of the Majālis al-mu’minīn to illustrate the
role of mediation performed uninterruptedly by the Shafi‘ī school in favour
of the ruling class towards the Twelvers in Iran. The transition from Sunni
to Shī‘i Islam in Iran at the beginning of Safavid dynasty is connected
with the adoption of a madhhab for the administration of everyday legal
actions. The choice of the method of the istiṣḥāb in law practice allowed the
transition without jerks of the population from Sunni Islam to the Safavid
Shī‘a.
EADEM, “Sur le fanatisme dans l’Islam primitif”, AION 34, n.s. 24/1
(1974), pp. 90-102.
The author focuses on the definition of extremism in the first two centuries
of the Hijrah as a starting point to understand the reasons of the failure of
the dialogue between East and West in the Middle Ages, which gives way
to a new phase based on the economical and political control on the Islamic
World having as starting point the battle of Lepanto (1571).
EADEM, “ Ricognizioni islamiche 1973 nell’Iran meridionale”, AION 35,
n.s. 25/3 (1975), pp. 347-357.
The article is a prosecution of the research published in AION 1970
investigating the role played by the Shafi‘ī School toward the Twelvers
Shī‘is in Pre-Safavid Iran. In the Lāristān the Sunni and Ğa‘farī Schools are
balanced except for Khonj. A survey of its archeological remains allows
ascertaining the importance of the Sufi ṭarīqas in the village. A second part
of the article deals with Eṣṭahbānāt, a village in Fārs rich in water springs
and develops the issue of the islamization of the myth about water and the
search for eternal life.
SCATTOLIN, Giuseppe, “The realization of ‘Self’ (anā) in Islamic Mysticism:
‘Umar ibn al-Fāriḍ (576/1181–632/1235)”, AION 56/1 (1996), pp. 14-32.
After having clarified the centrality of tawḥīd in Sufi speculation and its
realization by the “Perfect Man”, a universal religious archetype expressed
in different ways and models in many religions and cultures in preIslamic times, the author points out how this Middle Eastern religious and
philosophical heritage entered into Islam through the Shī‘i movement and
the development of the idea of al-insān al-kāmil in the Sufism. Having
stated these preliminary remarks, Scattolin tries to unravel which kind of
mystical union is the one described in ‘Umar ibn al-Fāriḍ’s ode called Naẓm
al-Sulūk (The Order of the Way), better known as al-Tā’iyyat al-kubrà.
The mystical experience is articulated in the poem according three stages
184 VINCENZA GRASSI
following one another in a movement expressing the poet’s journey in the
discovery of the true identity of his own self.
SERRA, Luigi, “Gli uomini piu venerati dai Berberi ibāḍiti di Zuāra (Tripolitania)”,
SM 4 (1971), pp. 65-75.
The author speaks about Ibadi Berbers living in Zuwara, Libya, underscoring
the special features Islam acquired in Africa especially in relation to the cult
of saints. A list of holy people whose burials are destinations for pilgrims
is given.
STRAFACE, Antonella, “Testimonianze pitagoriche alla luce di una filosofia
profetica: la numerologia pitagorica degli Iḫwān al-Ṣafā’”, AION 47/3
(1987), pp. 225-241.
The recovery of Pythagoreanism in the land of Islam is in some ways linked
to the role philosophy took in a religious theory developed mainly by the
Shī‘a. According to it, the role of falsafa was the purification of man’s
soul, in conformity with the teaching of Pythagorean-Socratic philosophers
and unlike what professed by Aristotelians. Another advantage offered by
Pythagoreanism was that, besides ensuring the soteriological end, could
justify the emanationist theory of Neoplatonic memory on cosmological level.
This suited better than any other solutions, God’s absolute transcendence.
Ikhwān al-Ṣafā’ adopted Pythagorean numerology, according to which all
numbers derived from number one, to develop the cosmological process of
the emanation of all beings from God. The study is based on the analysis
of some excerpts of Ikhwān al-Ṣafā’’s Epistles XXXII and XXXIII dealing
with the “intelligible principles”.
EADEM, “Il concetto di estremismo nell’eresiografia islamica”, AION
56/4 (1996), pp. 471-487.
Assuming that Islam envisages difference in opinion, the study considers
whether and when the connotation of ghulūw (extremism) could be applied.
Such judgment is one of the most delicate points in Islamic religious thought
in consideration of the dogmatic and political implications it entails. The
major heresiographical works referred to groups labeled as extremist,
dating 3rd-4th A.H century, have been analyzed.
EADEM, “La taqiyya nell’Islam: valenze e connotazioni”, SM 26 (19982002), pp. 211-223.
It is generally presumed that the taqiyya – dissimulation of religious beliefs
in dangerous circumstances which may also involve the duty of keeping
the doctrine secret – is the exclusive prerogative of Shiite groups. Straface
demonstrates that, as its practice is provided for in the Holy Qur’an, it
concerned also other Muslim religious branches, including Sunnis. She
monitors the effective practice of taqiyya by the different religious groups,
emphasizing the possible differences in meaning that it took among them.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 185
TARDIEU, Michel, “Al-Ḥikma wa-l-‘ilm dans une citation de Mani chez alBirūnī”, AION 41/3 (1981), pp. 477-481.
Al-Birūnī quotes a fragment of the Shābuhragān by Mani in his al-Āthār
al-bāqiya. According Sachau (1878) the quoting contains the expression alḥikma wa al-a‘māl (the wisdom and the works), which Tardieu corrects in
al-ḥikma wa al-‘ilm (the wisdom and the knowledge). The author explains
the reason for its amendment, the meaning of the formula and its sources.
TOTTOLI, Roberto, “Il bastone di Mosè mutato in serpente nell’esegesi e nelle
tradizioni islamiche”, AION 51/3 (1991), pp. 225-243; Part II ibid. 51/4
(1991), pp. 383-394.
The rod of Moses is a topic extensively dealt with in the Qur’an and Islamic
traditions; the author focuses on an episode according to which it was
transformed in a snake. This topic was echoed also in Arabic folk-tales and
magic.
IDEM, “A proposito di un recente studio su Adamo nell’Islam”, AION 55/4
(1995), pp. 437-445.
Adam occupies a more relevant place in Islamic religious literature than
in the Jewish-Christian traditions. The author analyzes a monograph by
Cornelia Schöck titled Adam in Islam, Berlin 1993.
VECCIA VAGLIERI, Laura, CELENTANO, Giuseppe, “Trois Épȋtres d’alKindī: (Textes et traductions)”, AION 34, n.s. 24/4 (1974), pp. 523-562 +
19 pls.
Edition of three manuscripts, which are included in the miscellaneous
volume no. 48, present in the library of Paul Sbath (d. 1945), a Syrian priest
from Aleppo, then passed to the Vatican Library. The study proved they are
some of al-Kindī’s epistles.
VENTURA, Alberto, “Natura e funzioni dei pensieri secondo l’esoterismo
islamico”, AION 46/3 (1986), pp. 391-402.
The Sufi practice of dhikr is considered useless without meditation
(ta’ammul) and concentration (murāqaba). The author focuses on the
teaching which concerns thoughts (khawāṭir), as the knowledge of the
motions of the mind (ḥarakāt) allows the ability to reach stillness (sukūn)
so that the mind can focus on one point.
ZILIO-GRANDI, Ida, “‘Abd al-Raḥmān al-Ta‘ālibī, patrono di Algeri e la sua
visione del Profeta”, SM 21 (1989), pp. 125-142.
The study focuses on the patron saint of Algiers, ‘Abd al-Raḥmān al-Ta‘ālibī
(786–875/1384–1470), a learned man, follower of Māliki School, who was
also a prolific author of works dealing with Islamic sciences. The tradition
attributes to him the experience of a vision articulated in four nights during
which he slept in the mosque of Abū Sufyān at the end of rabī‘ al-awwal
871/1466. The fourth night the saint man has the actual ruʾya al-nabī who
186 VINCENZA GRASSI
entrusts al-Ta‘ālibī with a message for the Islamic community. The text of
the vision is reported in the Italian translation.
EADEM, “Il libro di Giobbe nella Guida dei perplessi di Maimonide: cinque
teorie sulla sofferenza del giusto”, SM 25 (1993–1997), pp. 413-424.
Within the Maimonidean studies, the author deals with the Dalālat alḥā’irīn (the Guide for perplexed people) and, in particular, with a long
passage referring to Job and his suffering, in which Mūsà ibn Maymūn
expounds five theories on the suffering of the righteous man.
ZONTA, Mauro, “Fonti greche e orientali dell’economia di Bar-Hebraeus
nell’opera La crema della scienza”, Supplemento n. 70 agli Annali vol. 52
(1992)/1, pp. 1-135.
The only Syriac work dealing with economy interpreted as “science of home
management” is the encyclopedic work titled Ḥewāt Ḥekmtā (the Cream of
Science) by the bishop Abū’l Faraj Ġrīġūriyūs Ibn al-‘Ibrī, known in the
West with the name of Bar-Hebraeus (1225–6/1286). The paper examines
the structures, the genre and above all the sources of this work underlining
the use of works and doctrines of Greek and Islamic origins which BarHebraeus took in order to enrich Syriac culture with philosophical and
scientific literature.
IDEM, “Linee del pensiero islamico nella storia della filosofia ebraica
medievale”, AION 57/1 (1997), pp. 101-144; Part II ibid. 57/3-4 (1997),
pp. 450-483.
The history of Jewish thought has been considered up to present time within
its own philosophical and religious milieu without the necessary thorough
analysis of the contributions from other environments and especially from
the twin Islamic philosophy. The author tries to make up for this lack,
investigating the presence and development of different trends in medieval
Islamic philosophy within the Jewish thought and their mutual interweaving:
al-Kindī’s and the Brethren of Purity’s Neo-Platonism, the Aristotelianism
of Avicenna and Averroes as well as al-Ġazālī’s and his followers’
philosophy. He also points out that on one hand the medieval Jewish thought
can be better understood in the light of Islamic precedents and on the other
hand it is essential to study the medieval Hebrew philosophical literature,
flourished in the 13th-15th centuries, for those who are interested in Islamic
philosophical doctrines, as most of Arabic sources are lost or unavailable.
Law
CILARDO, Agostino, “Ricerche sul lessico arabo. Terminologia giuridica:
termini relativi al diritto successorio in Egitto”, AION 39, n.s. 29/1 (1979),
pp. 7-44.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 187
The article lists the terms related to Islamic inheritance jurisprudence that
the author has found in the primary sources of all the madhhabs (Schools of
law) and in the laws in force in the Islamic countries.
IDEM, “Un antico documento di diritto musulmano”, AION 42/1 (1982),
pp. 103-126.
The study deals with one of the five treatises on the Islamic law of
Inheritance, titled Risālat al-Farā’iḍ, included in the Arabic Codex n.
1960 i.e. al-Majmu‘a in the Oriental Public Library at Bankipore. This
manuscript has been incorrectly attributed to Abū Ḥanīfah, but the author
dates it second century of the Hejira, a period in which rigorist doctrines
were not the exclusive feature of Shī‘ī jurisprudence.
IDEM, “Studies on the Islamic Law of Inheritance”, Supplemento n. 63 agli
Annali vol. 50 (1990)/2, pp. 1-63.
The volume includes three studies. The first one at p. 1-32 deals with the
position of the grandfather when he is in concurrence with german – or
consanguine brothers, one of the most controversial cases in Islamic Law
of Inheritance. The author takes in account the sources in the Sunnī, Ẓāhirī,
Ibāḍī and Shī‘ī schools to outline the origin of the different doctrines and
justify their stand. The second article, p. 33-41, is the text of the lecture
read at the 14th Congress of the UEAI in Budapest (1988): the Islamic law
of Inheritance has combined the ancient pre-Islamic agnatic system with
the Koranic rules. In this respect it is interesting to compare the position
of agnate relatives with legitimate or forced heirs as the Qur’an formulates
a superimposed theory according to which some shares of the inheritance
are allocated to certain categories of relatives against the exclusive right
of males to inherit. The last article, p. 43-57, focuses on the position of
the slave as being a property of his master he cannot possess anything and
consequently he cannot bequeath. Differently from pre-Islamic times, the
master can inherit from his mawlà (freedman) in quality of agnate relative.
The historical development of this doctrine has been analyzed according to
Sunnī and non-Sunnī schools of Islamic Law.
KRÜGER, Hilmar, “An Introduction to Commercial Law in the States of the Arab
Peninsula”, SM n.s. 1 (2003), pp. 137-165.
Islamic Law does not commonly affect commercial codes which have been
promulgated by the majority of the states of the Arabian Peninsula, with the
exception of Saudi Arabia. The Gulf States generally follow internationally
accepted commercial and banking practices and law courts tend to protect
local traders, especially commercial agents and distributors.
SCARCIA AMORETTI, Biancamaria, “Some observations on the evolution
of the concept of private property in the Muslim world: methodological
notes”, AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 429-436.
188 VINCENZA GRASSI
The study aims at drawing up a theoretical summary of the definitions
for the concept of private property, seen in a Marxist phenomenological
perspective.
Linguistics, Arabic Language and Dialectology
BALDI, Sergio, “A First Ethnolinguistic Comparison of Arabic Loanwords
Common to Hausa and Swahili”, Supplemento n. 57 agli Annali vol. 48
(1988)/4, pp. 1-83.
The paper is the first attempt to study ethnolinguistically the common
Arabic loanwords in two African languages: Hausa and Swahili. The single
loanwords have been arranged according to the Arabic root order.
IDEM, “Some Additional Remarks on Arabic Loan Words in Hausa”,
AION 51/1 (1991), pp. 82-96.
The paper is intended to add some remarks to J. H. Greenberg’s article on
Arabic loan-words in Hausa (1947), analyzing some standpoints not fully
estimated by that scholar.
IDEM, “On Arabic loans in Kanuri”, SM 25 (1993–1997), pp. 45-57.
The paper deals with Kanuri an African language that the author supposes
to be the intermediary link for the loaning of Arabic words into Hausa
language. In the first part of the article Baldi shows that Arabic loanwords
in Kanuri present the loss of consonants or vowels, while in the second one
he lists 149 Arabic loanwords found in Kanuri dictionaries.
IDEM, “On Arabic Loans in Fulfulde”, AION 56/3 (1996), pp. 388-406.
The Fulani adopted Islam at an unknown date probably as a result of their
contact with Mali Empire. The author lists some Arabic loans that are not
recorded in dictionaries or partly recorded.
IDEM, “On Arabic Loans in Wolof: Addenda”, SM n.s. 1 (2003), pp. 1-22.
A phonetic study of Arabic Loans in Wolof, a West African language
spoken in Senegal, Gambia and Mauritania.
IDEM, “Arabic Loans in Bidiya”, SM n.s. 2 (2004), pp. 71-87.
The Bidiya is a Chadic language of the Eastern branch, Northern subgroup. It is heavily influenced by Arabic as most of its speakers travel to the
Soudan where the 50% of the Bidiya population live and, moreover, the use
of Arabic is considered a status symbol. The author examines 208 Arabic
loans and supposes the way they entered in Bidiya language.
IDEM, “Les emprunts berbères, surtout d’origine arabe, dans les langues de
l’Afrique Occidentale”, SM 3 (2005), pp. 103-118.
After considering the complex linguistic situation in West Africa, the author
demonstrates that many Arabic loans have been diffused through Berber,
A Survey of Arab-Islamic Studies... 189
which had borrowed them in a previous phase. The origin of some words
considered Arabic loans is clarified.
BAUSI, Alessandro, “Some short remarks on the Canon Tables in Ethiopic
manuscripts”, SM 26 (1998–2002), pp. 45-67.
The author discusses the iconography of the Canon Tables of the Ethiopian
Gospels, and in particular that of Abbā Garimā, as source of information
on the roots of the Late Antique Aksumite civilization. The article includes
some Arabic loanwords in Ethiopian Semitic.
BURRINI, Gabrieli, “Profilo storico degli studi sul camito-semitico”, AION 38,
n.s. 28/2 (1978), part 1, pp. 113-153, ib. 39, n.s. 29/3 (1979), part 2, pp.
351-384.
An historical outline on the 19th century linguistic studies on the Hamitic
and Semitic languages.
BUSI, Giulio, “Materiali per una storia della filologia e dell’esegesi ebraica.
Abū’l-Walīd Marwān ibn Ğanāḥ”, AION 46/2 (1986), pp. 167-195.
The Jew grammarian Abū’l-Walīd Marwān ibn Janāḥ was born in Cordoba
or Lucena at the end of 10th c. and died in Zaragoza in the middle of 11th
century. His works represent the best output of Spanish school flourished in
Spain, that is why Busi analyzes his masterpiece, Kitāb al-tanqīḥ (the Book
of detailed research [about language]) to trace the history of the Hebrew
and Hebrew-Arabic philology and exegesis in medieval Spain.
CANOVA, Giovanni, “L’origine del nome Ifriqīya: analisi delle fonti arabe”, SM
n.s. 4 (2006), pp. 181-195.
From the survey of Arabic sources comes out that the majority of ArabBerber learned men ascribe the name Ifriqīya to a mythical Yamani
conqueror of North Africa named Ifrīqīs. His heroic exploits have been
transmitted in the Akhbār by ‘Abīd b. Sharya and the well known Qaṣīda
ḥimyariyya, but there is no evidence that proves them. It may well be the
case that the hero was named after the place name Ifriqīya.
CIFOLETTI, Guido, “Il dialetto arabo parlato dalla «Zìngana» del Giancarli”,
AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 457-464.
The study supplements G.P. Pellegrini’s works dealing with “Zingana”
comedy by Gigio Armenio Giancarli, a 16th century-writer and painter from
Rovigo, Veneto. The main character, the zingana that is a gipsy, speaks in
a mispronounced Venetian dialect, which intermingles with some cues in
Eastern Arabic that are promptly translated.
IDEM, “La terminologia della pesca a el-Ghardaqa (Egitto)”, AION 42/4
(1982), pp. 561-591 + 8 pls.
The author collects the Arabic terms connected with fishing in el-Ghardaqah
on the Red Sea coast, Egypt, on the basis of the questionnaire worked out
by Giovanni Oman.
190 VINCENZA GRASSI
EBIED, Rifaat Y., YOUNG M.J.L., “A Collection of Arabic Proverbs from
Mosul”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 317-350.
The authors edited a list of Arabic proverbs – listed under the heading
Amthāl al-ʿArab (fols. 218a-224b) – contained in ms. Syriac no. 7, which
was completed in the city of Mosul in 1303/1889. The manuscript was
part of the collection of Sir E. A. Wallis Budge and is preserved in the
library of the Department of Semitic Studies in the University of Leeds.
The proverbs are in Middle-Arabic with occasional features of colloquial
language typical of Christian writers.
GRASSI, Vincenza, “Inchiesta sulla terminologia marinaresca in uso nelle acque
del Nilo in Sudan (Khartum e Gebel Aulia)”, Part I, AION 55/3 (1995), pp.
269-295; Part II, ibid. 56/1 (1996), pp. 33-51.
The article, dealing with Sudanese Arabic inland navigation words, follows
Giovanni Oman’s questionnaire (1971) based on the Linguistic Atlas of the
Mediterranean Sea (ALM). The enquiry has been carried out in the Nile
area located below the sixth cataract, and exactly at Khartoum and Jebel
Awliyā’, a village located on the White Nile 47 km away from the capital
city. Each entry is given in Italian, French and English with the ALM
corresponding number. Sudan Arabic is given in Arabic characters and in
transcription; concordance or divergence of each Arabic term with those
given in Hillelson’s and ʿAwn al-Sharīf Qāsim’s dictionaries have been
pointed out. Part II consists in the two indexes in the European languages
and in Arabic.
GUARDI, Jolanda, “Pour un usage non sexiste de la langue arabe”, SM 6 (2008),
pp. 111-124.
Basing on the methodological frame outlined by Luce IRIGARAY in her
studies about sex and language, the author analyzes the use of feminine in
Arabic and its perception by both Arab scholars in the classical period and
Western ones, the results underscore that the feminine mark is chosen for
reasons that lie outside the linguistic system.
HAYWARD, Richard J., “The Stative Conjugation in ‘Afar”, AION 38, n.s. 28/1
(1978), 1-39.
The author examines the stative conjugation in a language spoken in northeastern Africa, on the basis of material collected during a field-trip to
Assaita in Wollo Province in the spring 1972.
LAINO, Gabriella, “Antroponimia araba in Tunisia”, SM 17 (1985), pp. 103-173,
ibid. 18 (1986), pp. 91-138.
A study on personal names based on the perusal of the Annuaire Officiel
des Abonnés au Téléphone 1982 of Tunis and the surroundings (Zone 01).
The author couples each name with the frequency rate and the percentage
on the total name. An annotated bibliography follows at the end.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 191
LENTIN, Jérôme, “Des ‘labiovélaires’ en arabe?”, SM 6 (2008), pp. 161-181.
The possible existence of labiovelars in Hamito-Semitic languages has
long been discussed, as to Arabic, phonetic realization of (post-) palatal
consonants, with a labial appendix, have been documented for some dialects
such as Moroccan, but the problem did not arouse great interest among
scholars. A systematic examination of Arabic lexicons reveals alternations
between (post-) palatals and labials. The paper discusses such alternations
as a first step to demonstrate the existence of labiovelar series in Semitic
and Hamito-Semitic languages.
MANFREDI, Stefano, “Counter-assertive focus in Kordofanian Baggara Arabic”,
SM 6 (2008), pp. 183-194.
The study, based mainly on a corpus of spontaneous recordings gathered
among the Baggara nomads of Southern Kordofan (Hawazma tribe), in
the Sudan, describes the syntactic and the prosodic correlates of counterassertive focus in this Central Sudanese dialect.
MANGION, Giovanni, “A Bibliography of Maltese (1974–1984)”, SM 21 (1989),
pp. 143-179.
An annotated bibliography of Maltese, a dialect of Arabic language.
OMAN, Giovanni, “Personal Names in the Regional Areas of the Sultanate of
Oman: Materials for the Study of Arabic Anthroponymy”, AION 42/4
(1982), pp. 527-564.
A third study on the personal names in Oman, following the 1980
article published in Oriente Moderno 60 and the 1981 paper in Cahiers
d’onomastique arabe edited by CNRS, Paris. 17 regional areas have
been examined, having as reference work the Telephone Directory of the
Sultanate.
IDEM, “Les noms propres arabes en Mauritanie”, SM 15 (1983), pp. 181207.
A study on Arabic personal names based on the telephone directory dated
1981, having as result 430 Arabic names out of 1284.
IDEM, “Materiali per lo studio dell’Ittionimia araba. Gli ittionimi nel
«Libro di Ruggero» (XII sec.)”, SM 24 (1992), pp. 1-28.
The author lists the Arabic fish names occurring in Idrīsī’s Nuzhat and
identifies them, when possible.
PENNACCHIETTI, Fabrizio A., “La classe degli aggettivi denotative nelle lingue
semitiche e nelle lingue berbere”, AION 30, n.s. 20/3 (1970), pp. 285-294.
The study analyzes the formation of denotative adjectives through the
suffixes –īy, āy and –ān and the Arabic ones having aqtalu scheme. As
for Berber language two parallel and complementary ways of expressing
qualifying adjectives are discussed.
192
VINCENZA GRASSI
IDEM, “Appunti per una storia comparata dei sistemi preposizionali
semitici”, AION 34, n.s. 24/2 (1974), pp. 161-208.
The author traces a comparative history of Semitic preposition system on
the basis of the studies carried out by Viggo Brøndal, Silvio Ceccato and
Domenico Parisi.
SERRA, Luigi, “Sopravvivenze lessicali arabe e berbere in un’area dell’Italia
meridionale: la Basilicata”, Supplemento n. 37, vol. 43/4, 1983, pp. 1-63.
Starting from the studies by G.B. Pellegrini e G. Rohlfs, Serra lists some
Arabic and Berber loan words in Lucan dialect, pointing out the villages
where they have been collected.
STASOLLA, Maria Giovanna, “Bibliografia linguistica tunisina”, SM 7 (1975),
pp. 55-93; ibid. 9 (1977), pp. 27-193; ibid. 10 (1978), pp. 73-273.
A survey of Tunisian writings dealing with linguistic studies in the journals:
Revue Tunisienne, Revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes e Cahiers
de Tunisie. From their starting year, 1894, up to 1974. The study is part
of the project for a linguistic bibliography of Arab-speaking countries
and integrates the research on Basic Arabic Lexicon both promoted by
Giovanni Oman. In the second part, the author introduces the research
and lists the journals, proceedings of congresses and meetings, collective
works, commemorative papers, acronyms and abbreviations together with
a bibliographical index. In the third part, she gives an index of key-words
and place names.
TAINE-CHEIKH, Catherine, “À propos de l’expression de l’état en zénaga.
Apophonie et sous-catégorisation verbale en berbère et en arabe”, SM 7
(2009), pp. 95-109.
Until now in Zenaga Berber the formal distinction between a static and
a dynamic form appeared limited to the cases in which an adjective was
found. The author points out that state verbs (qualitative) characterized
by a constant vocalism a-i/u there are three semantic sub-classes, as in
literary Arabic. This offers a comparative perspective for the study of
vocalic alternations and confirms the existence of a state vs. middle voice
opposition in Berber as in Arabic.
THAYER, J. Linda, “A Comparative-Historical Phonology of the Chari
Languages (Nilo-Saharan Languages of Central Africa)”, Supplemento n. 9
agli ANNALI, vol. 36 (1976), pp. 1-153.
The study investigates a group of languages spoken in the southern third
of the Republic of Chad, the northern edge of the Central African Republic
and the southwestern area of the Sudan. Mostly Arab peoples are to be
found immediately to the north and east of the Chari population, so that
the language is in contact to the north with Chadic Arabic (or “Turku”) and
Sudanese Arabic.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 193
TOSCO, Mauro, “Osservazioni sui sintagmi genitivali analitici e l’ordine di frase
in arabo dialettale”, AION 44/3 (1984), pp. 407-440.
A feature peculiar to modern Arabic dialects is “analytic genitive”, which
acts through a genitive exponent placed before the modifier. The analytic
genitive is paralleled in the structure of language with the synthetic iḍāfa
construction, typical of Classical Arabic, and in some cases substitutes it.
The author surveys the use of the analytical constructions in Arabic dialects
proposing a hypothesis concerning their derivation and effect in the word
order of the core sentence, as the jumlat fi‘liyya of Classical Arabic is
transformed in jumlat ismiyya in the dialects.
VALLARO, Michele, “Un mağhūl impersonale arabo con duplice accusativo?”,
AION 44/2 (1984), pp. 207-217.
The author discusses the disappearance of a lectio in the Sāmarrā’ī’s edition
(f. 125 r, II. 12-13) of chapter 52 of the Kitāb az-zahra by Ibn Dāwūd alIṣfahānī (255/868-297/909), devoted to Umayyah ibn Abī ‘ṣ-Ṣalt’s praises
in honor of the prophet Muhammad, paralleling it with the manuscript
preserved in Turin.
VALLARO, Michele, “Fra linguistica e glottodidattica: la traduzione della
terminologia grammaticale araba. A proposito del mubtada’”, SM 25
(1993–1997), pp. 385- 402.
The noun phrase and the role of mubtada’ in Arabic grammatical theory.
ZACCAGNINI, Carlo, “Il fonema ẓ in arabo classico”, AION 33, n.s. 23/4 (1973),
pp. 531-550.
The author gives a definition of the phoneme, making a comparison between
the roots in which /ẓ / occurs and those containing /ḍ/, in order to postulate
the lack of autonomy of the phoneme /ẓ / in Classical Arabic.
Literature
ALI BEN MOHAMED, Alfonso, “Muḥammad al-‘Īd, poeta nazionale algerino”,
SM 15 (1983), pp. 155-169.
Muḥammad al-‘Īd (1904–1979), one of the best known exponents of the
early 20th century Algerian reformist movement and secretary of the
Association of Islamic Ulema in Algeria, in 1966 was awarded by the
Union of Algerian Writers for his nationalist poems. The author gives the
Italian translation of some excerpts of his poetical production.
IDEM, “Nazhūn bint al-Qilā‘ī”, SM 18 (1986), pp. 61-68.
A brief profile of a 12th century Andalusian poetess.
IDEM, “Una precisazione riguardo ad Abū’l-Qāsim Ibn al-Barrāq, poeta
andaluso”, SM 20 (1988), pp. 153-156.
194 VINCENZA GRASSI
The author corrects Garulo’s assumption that Abū ʿAbd Allāh Muḥammad
ibn ‘Alī al-Hamdhānī (sic for Abū’l-Qāsim Muḥammad ibn ‘Alī alHamdānī) and Ibn al-Barrāq (1135–1200) were two distinct Andalusian
poets [see Dīwān de las poetisas de al-Andalus, Madrid 1986, pp. 39-40],
demonstrating that Ibn al-Barrāq was one of the kunyas with which the poet
was known.
AVINO, Maria, “La letteratura “orientale” europea vista dagli arabi”, SM 26
(1998–2002), pp. 3-19.
In the 1920s and 1930s Arabic press, especially journals such as al-Muqtaṭaf
and al-Mashriq, dedicated a series of articles to European writers and
travelers concerned with the description of Oriental lifestyle and customs.
Avino reports the Arab writers’ most significant judgments on Western
image of the Orient.
BALDISSERA, Eros, “Poesia dialettale nel siriano ‘Īsà Ayyūb”, AION 36, n.s.
26/4 (1976), pp. 457-472.
Transliteration of the Syrian Arabic texts and the translation of some poems
written in ‘āmmiyya from ‘Īsà Ayyūb’s collections Ôf (Oh!) and Leyš elġazal (Why love poetry?).
IDEM, “Fu’ād aš-Šāyeb e la nascita del racconto siriano moderno”, AION
44/3 (1984), pp. 451-482.
In 1944 Fu’ād al-Shāyeb, a Syrian writer born in 1911, publishes his
collection of short stories titled Ta’rīkh jurkh. It is characterized by the
unity of action and a style of Arabic language perfectly coherent and
responding to the substance of the subject matter it deals with. This work
marks the birth of a new literary genre: the modern Syrian short story. The
Italian translation of four stories closes the study.
BETTINI, Lidia, “Ricerca di una grammatica metrica nella poesia tunisina
contemporanea”, SM 8 (1976), pp. 111-135.
The article builds on the study about Arabic prosody by G. Weil (1958)
and the controversy arose on the existence of ictus as fundamental element
of the indivisible core (watid magmū‘) distinguishing the essential role of
every foot. G. Bochas demonstrates its existence in a different way from
what Weil does and applies the generative system (prosody grammar) of
the classical versification to Western Arabic modern poetry, noting its
substantial coincidence. The study consists in the application of Bochas’s
prosody grammar to poetry samples as a demonstration of the coincidence
between Western and Easter Arabic poetry. Bettini hopes that the application
of this method could lead to assess the share of fidelity to the rules of poetry
and the individual freedom in the production of each poet.
EADEM, “Su un aspetto della “questione della lingua” in Egitto”, SM 25
(1993–1997), pp. 69-79.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 195
The problem of the modernization of Arabic language originated in the 19th
century as one of the issues debated by the Egyptian reformist movement and
developed up to present time. The study focuses on the simplification of the
language. Given that the i‘rāb constitutes the main obstacle in learning how
the Arabic language works, scholars have realized that its predominance
was a device to which grammarians resorted in order to be the sole arbiters
of what was to be accepted or not. The existence of Qur’anic readings is a
proof supporting this argument which has been developed by Bettini.
BIVONA, Rosalia, “Nina Bouraoui, uno spazio evolutivo della letteratura algerina
di espressione francese”, SM 23 (1991), pp. 119-148.
The article deals with a contemporary Algerian women writer in French
language, who rejects the labeling of “Algerian” writer to be a writer tout
court.
EADEM, “Città algerine e voci sororali. Un’analisi spazio-vocale di Oran,
langue morte di Assia Djebar”, SM 25 (1993–1997), pp. 99-126.
The urban space as manifestation of a language in Assia Djebar’s Oran,
langue morte (1997).
EADEM, “Marcel Bénabou e le istanze golose dell’epopea familiare”, SM
n.s. 1 (2003), pp. 23-46.
The article concerns a French writer and historiographer born in Morocco,
Marcel Bénabou, and his Jacob, Menahem et Mimoun, une épopée familial
(1995). Dealing with Jews in Morocco and Jewish food laws, the writer
emphasizes the role of food as a mean for understanding cultures, their rites
and imagery, as well as the relationship between men and God through
fasting and banqueting.
BONEBAKKER, Seeger Adrianus, “Materials for the History of Arabic
Rhetoric. From the Ḥilyat al-Muḥāḍara of Ḥātimī (mss. 2934 and 590 of
the Qarawiyyīn Mosque in Fez)”, Supplemento n. 4 agli Annali vol. 35
(1975)/3, pp. I-XI, 1-104.
The article is a sequel to a previous paper published in Uitgaven van het
Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul, 25 (1968)
entitled “Notes on the Kitāb Naḍrat al-Ighrīḍ by Muẓaffar al-Ḥusaynī”,
dealing with a seventh century work which borrowed some passage from
the Ḥilyat. Mss 2934 and 590 of the Qarawiyyīn Mosque in Fez are
scrutinized in order to collect the passages of the Ḥilyat dealing with early
Arabic rhetoric (starting from the second-century philologists to Qudāma
(d. after 320) and his contemporaries).
IDEM, “A Fatimid Manual for Secretaries”, AION 37, n.s. 27/3 (1977), pp.
295-337.
Qalqashandī (m. 821/1418) in both the Ṣubḥ al-A‘shā and the Ḍaw’ alṢubḥ frequently quotes the Kitāb mawādd al-bayān by Abū’-Ḥasan ‘Alī b.
196
VINCENZA GRASSI
Khalaf b. ‘Alī b. ‘Abd al-Wahhāb. Here Bonebakker deals with the section
on rhetoric survived in the ms. Fatih 4128 in Istanbul, which is incomplete.
The contents of the manuscript were published previously by Abdel Hamid
Saleh in Arabica 20/2, pp. 192-200.
IDEM, “Ibn al-Muʿtazz and the Badīʿ: An Introduction”, AION 41/4 (1981),
pp. 561-595.
The article deals with the early history of Arabic rhetoric and in particular
Ibn al-Mu‘tazz’s motivations for writing his Kitāb al-Badī‘.
IDEM, “Sariqa and Formula: Three chapters from al- Ḥātimī’s Ḥilyat alMuḥāḍara”, AION 46/3 (1986), pp. 367-389.
The article is a contribution to the study of formulas in ancient Arabic
poetry connected to the problem of authorship, based on the section on the
sariqa from the Ḥilyat al-Muḥāḍara by Abū ‘Alī Muḥammad b. al-Ḥasan
al- Ḥātimī (d. 388/998).
BORRUSO, Andrea, “Su una antologia di poeti arabi siciliani medievali”, AION
48/1 (1988), pp. 63-70.
The author finds faults with the poetical anthology on Arab poets from
Sicily published by Francesca Maria Corrao titled Poeti arabi di Sicilia,
Milano 1987, where the scholar submitted her translations to Italian poets in
order to preserve the lyrical and rhythmical qualities of the poems. Borruso
objects that the free rendering of the texts by Italian poets caused a straying
from the original meaning of the verses.
BRANCA, Paolo, “L’attualità della lezione di Ṭāhā Ḥusayn”, SM 25 (1993–1997),
pp. 127-134.
The author reports a passage referring to Abraham and Ishmael contained
in the 1926 edition of Fī’l-adab al-jāhīlī which is omitted in the second
edition.
BUDELLI, Rosanna, “Lapsus calami (Taṣḥīfāt) e giochi linguistici nell’umorismo
arabo medievale”, SM 25 (1993–1997), pp. 135-149.
Misspellings and puns in Medieval Arabic literature.
CANOVA, Giovanni, “«Muḥammad, l’ebreo e la gazzella». Canto di un maddāḥ
egiziano”, AION 41/2 (1981), pp. 195-211.
The author reports a popular religious song recorded in 1978 in Qenā,
Upper Egypt, during a celebration of the circumcision. It refers one of the
prophet Muḥammad’s miracles.
IDEM, “«La capra e il ġūl». Una favola dell’Alto Egitto”, SM 25 (1993–
1997), pp. 151-164.
An Egyptian fairy tale titled The goat and the ġūl, collected in Qenā. It
represents the narrative type AaTh123.
CASSARINO, Mirella, “Sinestesie e visioni oniriche nei racconti d’una scrittrice
tunisina contemporanea”, SM 22 (1990), pp. 125-136.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 197
The article focuses on an avant-garde Tunisian woman writer belonging
to the Seventies generation: ‘Arūsiyya al-Nālūtī (b. Jerba, 1950) and her
collection of short stories titled Al-Bu‘d al-khāmis (The Fifth Dimension).
CILARDO, Agostino, “Relazione del viaggio in Sicilia di Muḥammad ‘Abduh”,
in SM 19 (1987), pp. 91-138.
A pioneering work dealing with one of the most important travel reports in
contemporary era: Muḥammad ‘Abduh’s travel to Sicily.
CIRILLO, Paola, “Evliyâ Çelebî in Egitto: il viaggio da Rosetta al Cairo”, AION
53/1 (1993), pp. 1-34.
Çelebī’s Seyaḥātnāme (The Travels’ Book), written in the second half of 17th
century, is considered the most important prose work in Ottoman literature.
It is the relation of the writer’s travels in the lands of the Ottoman Empire
and can be considered a source for geographical, historical, archaeological,
topographical data as well as for the institutions and lifestyle of the Ottoman
Empire at that time. The author focuses on the excerpt (pp. 716-730) dealing
with the travel from Rashīd to Cairo described in chapter 66.
CORRAO, Francesca M., “La poesia di Maḥmūd Darwīš, la nostalgia della
bellezza”, SM 26 (1998–2002), pp. 69-82.
Although poetry for Darwīsh is closely linked to political commitment, in
recent years his production has developed the theme of beauty which the
poet recognizes in every aspects of life even when they are the most tragic
ones and to which he attributes the power of evoking hope in the future.
DI MEGLIO, Rita, “Lirica di un ambasciatore: Aḥmed ‘Abd el-Ğabbār”, AION
30, n.s. 20/4 (1970), pp. 511-526.
The study consists in the biography of Aḥmed ‘Abd el-Jabbār, ambassador
of Saudi Arabia in Italy in the mid-sixties, educated in Lebanon, and in the
publication of his love poetry with an Italian translation.
DUBLER, César E., “Al-Andalus en la Geografía de al-Idrīsī”, SM 20 (1988), pp.
113-151.
The author gives a Spanish translation of the excerpts dealing with Spain
and Portugal (first section of the fourth and fifth climates) published in
volumes V (1975) and VII (1977) of the Opus geographicum, the critical
edition of Idrisi’s Nuzhat edited by the Orientale.
GANDJEÏ, Tourkhan, “The «Laṭāfat-nāma» di Khujandī”, AION 30, n.s. 20/3
(1970), pp. 345-368.
Edition of a Turkish poem of the late 14th century or early 15th century with
manuscript copies in Kabul, Istanbul and London. The Kabul manuscript
is in Arabic but it has been transliterated from a copy in Uighur characters.
The author establishes the text from the collection of the three manuscripts.
198 VINCENZA GRASSI
GHERSETTI, Antonella, “Il qāḍī al-Tanūḫī e il Kitāb al-farağ ba‘d al-šidda”,
AION 51/1 (1991), pp. 33-51.
Ghersetti analyses al-Tanūḫī’s Kitāb al-farağ ba‘d al-šidda (The Relief
after the Misfortune), an Abbasid religious, edification work characterized
by a rationalistic approach due to the adhesion to the Mutazila School.
The author describes the criteria followed by the Arab writer to select the
material from previous works, to enrich it with personal experiences and
written and oral sources and finally arrange the whole according to the
issues discussed.
GIGNOUX, Philippe, “Les quatres regions administrative de l’Iran sasanide et la
symbolique des nombres trios et quatre”, AION 44/4 (1984), pp. 555-572.
In Sasanian Iran the Arabic and Persian literary sources document the
division of the empire in four parts, the author demonstrates that such
division belongs probably to a literary tradition referring to a mythological
concept of space which interferes with effective geographical boundaries.
GRASSI, Vincenza, “La Libia nel Nuzhat al-Muštāq fī Iḫtirāq al-Afāq di alIdrīsī”, SM 22 (1990), pp. 37-57; “Commento alla traduzione”, ibid. 23
(1991), pp. 1-22.
After a brief introduction on the history of Libya, the author translates into
Italian excerpts of the second and third sections of the second climate as
well as the second and third sections of the third climate of Idrīsī’s Nuzhat,
dealing with itineraries through Libya.
The second part consists in a commentary on Libyan place names present
in the translation published in SM 22 (1990).
IBRĀHĪM, Ḥamāda, “Le language du théâtre au Koweit”, AION 39, n.s. 29/1
(1979), pp. 63-71.
The author lists the linguistic borrowings and expressions of popular
wisdoms present in the titles of pieces performed in Kuwaiti theaters. A list
of important people belonging to the dramatic milieu follows.
IDEM, “L’influence égyptienne sur le théâtre koweitien ”, AION 39, n.s.
29/2, (1979), pp. 225-237.
The author stresses the cultural influence that Egypt exerted on Kuwait
since the Nahḍa and especially the role that the Egyptian comedian Najīb
al-Riḥānī played on the birth of Kuwaiti theatre. On this assumption, he
outlines a survey of the contemporary trends.
IGONETTI, Giuseppina, “Le citazioni del testo geografico di al-Idrīsī nel
«Taqwīm al-buldān» di Abū’l-Fidā’”, SM 8 (1976), pp. 39-52.
Following Chr. Romel (1802)’s assumption of the existence of a second
geographical work by Idrīsī titled Fī’l mamālik wa’l masālīk, quoted by
Abū’l-Fidā’ in his Taqwīm al-buldān, the author stresses that the excerpts
A Survey of Arab-Islamic Studies... 199
attributed to Idrīsī are absent in his Nuzhat, so she gives reasons for that.
The existence of Fī’l mamālik wa’l masālīk had been previously pointed out
by Giovanni Oman in his study published in Folia Orientalia XII (1970),
pp. 187-193.
EADEM, “ ‘Abd al-Ḥamīd ibn Haddūqa: una voce nuova dell'Algeria”, SM
9 (1977), pp. 195 –209.
A brief bibliography and biography of ‘Abd al-Ḥamīd ibn Haddūqa, an
Algerian writer born in 1925, activist in the nationalist movement forced to
immigrate to France for political reasons. Afterwards he moved to Tunis,
where he started his career as journalist and writer. From 1962 he was back
to Algeria. His production is very varied and includes prose, drama and
poetry. At the end the author presents the Italian translation of the tale AlInsān (The man).
EADEM, “Zuhūr Wannīsī: prima scrittrice araba d’Algeria”, SM 12 (1980),
pp. 247-260.
After outlining the role of Arab women writers since they broke out on the
literary scene, Igonetti focuses on Algerian production and particularly on
Zouhour Wannīsī’s short story titled ‘Alà shāṭi’al-akhar (On The Other
Bank), taken from the collection, published in 1974, having the same title.
EADEM, “Un racconto di Marzāq Baqtāsh: «E l’azzurro, sempre...»”, SM
15 (1983), pp. 171-181.
The Italian translation of the short story titled Wa’l-zurqa dā’iman, from
the collection with the same title, by the Algerian writer Marzāq Baqtāsh
(b. Alger 1945).
EADEM, “Ahmed Taleb Ibrahimi: patriota e letterato algerino”, SM 17
(1985), pp. 97-102.
Following to a meeting in Rome between the then Algerian Ministry of
National Education and the Italian orientalists, the author offers Aḥmed
Ṭāleb Ibrāhīmī’s biography, who was also a member of F.N.L., remembering
his efforts in the struggles for the liberation of Algeria from French colonial
power and his literary engagement for promoting the decolonization of
Algerian culture.
EADEM, “Religione e modernità nella letteratura algerina contemporanea”,
SM 22 (1990), pp. 109-136.
An outline of Algerian contemporary literary production, highlighting its
specific features.
EADEM, “L’autre dans l’œuvre poétique et romanesque de Hédi Bouraoui”,
SM 24 (1992), pp. 101-124.
The otherness in the literary production of Hédi Bouraoui, a contemporary
Maghribi writer and poet who spent his life in France, the USA and Canada.
200 VINCENZA GRASSI
EADEM, “Funzioni feline nell’opera di Rachid Boudjedra”, SM 25 (1993–
1997), pp. 229-243.
The cat and his presence-absence, as a character, in the works of Rachid
Boudjedra.
EADEM, “Versi infranti sulla riva sud del Mediterraneo”, SM 26 (1998–
2002), pp. 117-133.
The Mediterranean Sea in the North African poetry as topos around which
reality and imagination mingle and as a symbol for the meeting of East and
West.
EADEM, “Slim e Dilem: La matita nella piaga”, SM n.s. 1 (2003), pp. 47136.
Igonetti studies the works of Slim and Dilem, two satirical cartoonists
who “twist the pencil in the wound” to contribute to the emergence of a
democratic culture and society in Algeria.
LUSINI, Gianfrancesco, “Per il testo del Zēnā Eskender («Storia di Alessandro»).
Il ms. Cerulli Et. 216 e lo stemma codicum”, SM 26 (1998–2002), pp. 146158.
Lusini describes a manuscript of the History of Alexander preserved in the
Vatican Library in Rome and reconstructs the scheme of derivation of the
different manuscripts from a common text. This Ethiopic version of the
Alexander Romance was based on a lost Arab-Islamic version of the text.
KOCH, Yoel, “‘Izz al-Dīn ibn Shaddād and his Biography of Baybars”, AION
43/2 (1983), pp. 249-287.
The article focuses on a little known chronicle about Baybars’ period
completed after 677 H. The author, ‘Izz al-Dīn ibn Shaddād, was born in
Aleppo in 613/1217. His chronicle is the bare description of events arranged
in chronological order without the insertion of his interpretation.
KISSLING, H.J., “Der Abschnitt «Anatolien» in Idrîsî’s Erdbeschreibung”, SM
12 (1980), pp. 127- 173.
German translation and commentary of Idrīsī’s description of the fifth
climate, dealing with Anatolian routes.
MAKBOUL, Fathi, “Ricordo dell’amico ‘Īsà al-Nā‘ūrī poeta, scrittore ed
italianista”, SM 26 (1998–2002), pp. 159-165.
Maqbūl recollects the main events of the life and works of the Jordan poet
‘Īsà al-Nā‘ūrī (1918-1985), who devoted himself also to the study of Italian
literature. The Italian translation of two poems, Anā (I) and Salām (Peace),
closes the article.
MARRA, Ornella, “Il concetto di scienza in Nağīb Maḥfūẓ”, SM 26 (1998–2002),
pp. 169-174.
The study investigates Maḥfūẓ’s belief in the prominent role of science for
the progress of mankind and improvement of the living conditions.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 201
MONÉS, Hussain, “Description of Egypt by Idrīsī”, SM 16 (1984), pp. 1-54.
English translation of the excerpts of Idrīsī’s Nuzhat dealing with Egypt
(4th and 5th sections of the second climate, 4th section of the third climate).
MONÉS, Hussain, “Commentary on the chapters on Egypt of Nuzhat al-mushtāq
by al-Sharīf al-Idrīsī”, SM 18 (1986), pp. 13-60, following in SM 20 (1988),
pp. 45-112.
A commentary on the place names present in the translation published in
SM 16 (1984). The second part consists of the place names occurring in the
fifth section of the second climate.
MONTANARO, Marina, “Fī ritā ḥanğarah: l’ultima raccolta poetica di Ḫālid
Ğābir al-Ma‘ālī”, AION 51/4 (1991), pp. 359-381.
The scholar studies Fī ritā ḥanğara (Lamentation for the vocal cords), a
collection of poems of a contemporary Iraqi poet living since 1980 as a
political refugee in Germany, where he founded and has been running the
publishing house Manshūrāt al-Jamāl. For this collection of poems he won
the Rolf Dieter Brinkmann scholarship, so Montanaro offers the Arabic text
of some of these poems coupled with the Italian translation.
OMAN, Giovanni, “Osservazioni sulle notizie biografiche comunemente diffuse
sullo scrittore arabo al-Šarīf al-Idrīsī (VI–XII sec.)”, AION 30, n.s. 20/2
(1970), pp. 209-238.
The author surveys the biographical data concerning Idrīsī that generally
are uncritically accepted by the scholars, as follows: name, place and date
of birth, place and date of death, the dates deduced from the Nuzhat, the
foreword in the Roger’s Book, al-Ṣafadī as source for biographical data, Leo
Africanus as source, autobiographical expressions present in the Nuzhat,
travels, and works. Lastly conclusions are drawn on the data examined.
IDEM, “Notizie bibliografiche sul geografo arabo al-Idrīsī (XII secolo) e
sulle sue opere”, SM 22 (1990), pp. 9-36.
An annotated bibliography concerning the biographical data and the
geographical works with reference to the different countries examined.
PAGNINI, Anna, “The Kitāb daf‘ al-hamm by Elia Archbishop of Nisibis, A
Transparent style for a transparent thought”, SM 26 (1998–2002), pp. 175210.
The author focuses on an 11th century sapiential text by the Iraqi Nestorian
Archbishop Elias dealing with virtues and vices. The Book to drive away
worries was addressed to the vizier Abū’l-Qāsim al-Ḥusayn Ibn ‘Alī alMaġribī (981–1027) on his own demand.
PELLAT, Charles, “La France dans la géographie d’al-Idrīsī”, SM 10 (1978), pp.
33-72.
202 VINCENZA GRASSI
The French translation of the first and second sections of the fifth and sixth
climates with an index of the place names.
PERCO, Daniela, “Note sulla narrativa di tradizione orale in Egitto”, SM 14
(1982), pp. 203-228.
Results of a search carried out in the years 1978–1980 in the governorship
of Qēna, Egypt, as part of a broader project for the collection of popular
traditions of Upper Egypt, during which 200 documents consisting in fairy
tales and narrations have been collected. It is a joint project of D. Perco and
G. Canova.
PETRICH, Morena, “L’antre-des-langues: entre corps et voix. Della francografia
nell’opera di Assia Djebar”, SM n.s. 1 (2003), pp. 197-208.
The practice of francophony in Assia Jabar’s works brings with it not only
linguistic and cultural implications, but existential aspects too, involving the
whole body of the writer. Every movement is originated by words, voices
or their absence, their changing forms. The echoes (cries, whispers, sighs)
arise from a cave, an eminently reflection antrum, situated in a thin, deep
boundary line, a no man’s land, ready to receive each wandering woman. If
the ditch – grave but above all a canal – does not allow the clear fluency of
languages and bodies the issues will result hard and tragic.
EADEM, “Ti salverò (rubandoti) con gli occhi. Morte e salvezza: la storia
raccontata con gli occhi nelle opere di Maïssa Bey”, SM n.s. 5 (2007), pp.
177-179.
The function of sight in the works of the Algerian writer in French, Maïssa
Bey (b. 1950), and especially in her Entendex-vous dans les montagnes...,
representing her interpretation of life.
PIRONE, Bartolomeo, “Fedeltà e passionalità nella Trilogia di Nağīb Maḥfūẓ”,
SM 26 (1998–2002), pp. 189-210.
The author focuses on the wild emotional life of the characters in Maḥfūẓ’s
Trilogy in comparison with the figure of Amīna, pious believer and faithful
wife and mother.
REBUFFAT, René, “Routes d’Égypte de la Libye intérieure”, SM 3 (1970), pp.
1-20 + 1 pl.
The study analyzes the ancient and modern sources dealing with the route
from Tripoli and Egypt toward Africa via Fezzān.
RUBINACCI, Roberto, “La data della geografia di al-Idrīsī”, SM 3 (1970), pp.
73-77.
The study discusses Pardo’s assumption that the Nuzhat was finished
before King Roger II’s death based on the omitted mention of the town of
Sploleto destroyed in July 1154, few months after the king’s death. The
author demonstrates that the writing of the work started from the date that
A Survey of Arab-Islamic Studies... 203
is generally considerate its completion and that the king’s death followed
five or six weeks after it.
IDEM, “More on the town of Bākhwān in Idrīsī’s Geography”, SM 9
(1977), pp. 17-25.
The study rejects Pelliot’s identification of Bākhawān with Aq-su and
Minorski’s connection with Bārmān and hypnotizes a misspelling for the
toponym Toghuzghuz khāqān.
IDEM, “Il codice leningradense della Geografia di al-Idrīsī”, AION 33, n.s.
23/4 (1973), pp. 551-560 + 4 pls.
The article supplements the Eliminatio codicum e recensio della
introduzione al “Libro di Ruggero” published by Rubinacci in SM, 1966,
pp. 1-40, with the Arabic codex n.s. 176 in the National Library of Saint
Petersburg, containing the section from the fourth to the seventh climate of
Idrīsī’s Nuzhat. Plates III-IV show facsimiles of geographical maps.
SORAVIA, Bruna, “Aspetti della letteratura arabo-andalusa nel regno di Badajoz
all’epoca dei mulūk al-ṭawā’if”, SM 21 (1989), pp. 93-123.
Soravia focuses on the literary production flourished in the 11th century at
the court of the Afṭasids of Badajoz, a dynasty of the Andalusian Reyes de
taifas.
STRIKA, Vincenzo, “I madīḥ di Ğarīr per Hishām ibn ‘Abd al-Malik”, AION 40,
n.s. 30/4 (1970), pp. 483-510.
Biographical notes concerning Jarīr, the famous Umayyad panegyrist born
in 33 H. in Yamāma, and four of his poems with Arabic text and Italian
translation.
IDEM, “Ideologia e madīḥ politico in Arabia Saudiana”, AION 39, n.s. 29/1
(1979), pp. 107-118.
The author focuses on the encomiastic poetry supporting Wahhābī ideology
in Saudi Arabia.
IDEM, “Ḥasab ash-Shaykh Ğa‘far e il nuovo “internazionalismo” iracheno”,
AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 191-223.
Iraq played an important role in the development of poetry with the new
school represented mainly by Nāzik al-Malā’ikah, Badr Shākir al-Sayyāb
and ‘Abd al-Wahhāb al-Bayyātī. Ḥasab al-Shaykh Ja‘far, born in an Iraqi
village near al-‘Imārah in 1942, is a young vanguard Iraqi poet, whose
production in free verse is experimental and, although it echoes western
contemporary poetry, it can be judged as a true national product. The author
offers the Italian translation of twelve poems.
IDEM, “Due raccolte di Muḥammad Khuḍayr”, AION 40, n.s. 30/1, pp.
139-145.
An avant-garde Iraqi writer, born in 1940, influenced by existentialism.
204 VINCENZA GRASSI
IDEM, “Dhū’n-Nūn Ayyūb: un ‘classico’ arabo contemporaneo”,
Supplemento n. 22 agli Annali vol. 40 (1980)/1, pp.1-95.
The life and works of one of the most important Iraqi writer, born in the first
decade of 20th century. The Italian translation of five short stories follows.
IDEM, “Note bio-bibliografiche sulla narrativa irachena”, AION 40, n.s.
30/4, (1980), pp. 709-716.
Bio-bibliographic data concerning a group of Iraqi novelists born in the first
half of the 20th century.
IDEM, “Il I volume dell’autobiografia di Dhū’n-Nūn Ayyūb”, AION 41,
n.s. 31/3 (1981), pp. 501-511.
Following to the monographic volume published as Supplemento n. 22/1
of AION 40, 1980, the author focuses on the first volume of Dhū’n-Nūn
Ayyūb’s autobiography, published in 1980, which concerns the period
from his birth to 1918.
At-TILBANI, as-Sayyd (sic!) Abdallāh, “La poesia araba di al-Malik al-Kāmil
al-Ḫalīl ibn Aḥmad al-Ayyūbī”, AION 30, n.s. 20/3 (1970), pp. 295-344.
Persian and Turkish poetical works by the Ayyubid king al-Khalīl ibn
Aḥmad (born in 1402), who reigned from 1432–33 to 1452.
IDEM, “Il poeta umayyade Miskīn al-Darīmī”, AION 39, n.s. 29/2 (1979),
pp. 179-189.
The study focuses on an early Umayyad warrior poet, Rabī‘a ibn ‘Āmir
(635-707-8), known with the laqab “miskīn”, and presents the extant
Arabic texts of his production.
TOTTOLI, Roberto, “Dell’aspetto fisico dei profeti in alcuni ritratti presso la
corte bizantina secondo una tradizione musulmana”, SM 25 (1993–1997),
pp. 375-383.
The physical description of prophets is a subject extensively dealt with in
Arab-Islamic literature; here the author reports the account concerning a
diplomatic mission sent by the caliph Abū Bakr to the Byzantine Emperor
Heraclius, who shows the Muslims some pictures of prophets, including
Muḥammad.
VALLARO, Michele, “Il manoscritto Or. 68 della Biblioteca Reale di Torino:
l’unico testo completo del Kitāb az-zahrah di Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī”, AION
36, n.s. 26/1 (1976), pp. 69-84.
The author presents the manuscript preserved in Turin, reconstructing his
relation with the Cairine copy edited by Nykl. It is an early work of the
faqīh and man of letters Muḥammad Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī (255/868-297909) from Baghdad, son and successor of Islamic Ẓāhirī School. It consists
of a collection of poems dealing with the so-called ‘udhrī love.
A Survey of Arab-Islamic Studies... 205
IBIDEM (edited by), “Ibn Dāwūd, Kitāb al-Zahrah, parte II (capitoli LILV)”, Supplemento n. 45 agli Annali (1985)/4, pp. 1-86.
The article is a sequel of the translation of Kitāb al-Zahrah by Abū Bakr
Muḥammad Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī al-Ẓāhirī preserved fully in ms. Or. 68 in
the Biblioteca Reale in Turin and partially in ms. 1345 in Iraqi Museum of
Baghdad and it is aimed at emending Sāmarrā’i edition.
VIVIANI, Paola, “Faraḥ Anṭūn e l’America”, SM 26 (1998–2002), pp. 269 -291.
Faraḥ Anṭūn (1874–1922), one of the outstanding personalities of the
Nahḍa, was the founder of the Arab journal al-Jāmi‘a al-‘Uthmaniyya (The
Ottoman League). Viviani deals with the ‘American period’ of such journal.
WHITAKER, Ian, “The present state of studies of al-Birūnī: A survey and
bibliography”, AION 43, n.s. 33/4 (1983), pp. 591-619.
The author summarizes the state of knowledge about al-Birūnī, both as a
person and as a scientist and philosopher, reporting an updated bibliography.
ZECCHINELLI, Cecilia, “Nuovi sviluppi della letteratura egiziana contemporanea:
il movimento poetico in ‘āmmiyya”, SM 12 (1980), pp. 233-246.
The study deals with the Egyptian dialect poetry movement born at the
beginning of the Sixties and the composition of mawwāls and zajals.
Les cultures européennes et l’avenir
MARTIN HAUSER
C’est pour un guide « Doing Business with Romania », élaboré à cause
de ses aspects interculturels par le Département UNESCO, Université de
Bucarest, que j’ai dû m’exprimer entre autres sur ce qui fait la différence
entre deux grandes villes européennes, soit Francfort (D) et Bucarest
(RO) : Elles se ressemblent, pourrait-on croire, à notre époque de large
globalisation.
Cependant, comme chacun le sait, l’arrière-plan culturel et historique
de ces deux villes et fort différent ! Devant utiliser des formules courtes et
schématiques, j’ai inséré au guide les caractéristiques que voici : Francfort
veut dire une forte tradition protestante pour laquelle travail et argent sont
quasiment une religion. Bucarest est marquée par la tradition orthodoxe –
et encore turco-orientale – qui fait intervenir dans l’espace et dans le
temps, aussi publics, des éléments marqués par la religion et les traditions
culturelles anciennes.
Malgré la large globalisation qui se déploie de nos jours, il nous
semble plus difficile de voire un ensemble fortement culturel dans tout
cela. Pourtant, Bruxelles en tant que centre de l’UE a tout intérêt à croire à
une certaine cohésion, voir une unité culturelle européenne. L’on pourrait
aussi mentionner Denis de Rougemont, précurseur humaniste de l’UE, qui
voyait en l’Europe d’abord une unité culturelle.
Regardons encore d’un peu plus près comment se présente la situation
culturelle européenne, d’abord plus à l’Est et ensuite à l’Ouest.
L’Est
Imaginons être quelque part au centre du continent européen et pensons
à la situation culturelle de l’Europe orientale en général et spécialement
de la Roumanie, à travers l’histoire. Bien que nous devions en aucun cas
Les cultures européennes et l’avenir
207
sous-estimer le choc et la rupture créés par la période communiste et
malgré les importantes influences culturelles venant des peuples slaves et
turco-bulgares, entre autres, il est possible d’affirmer, surtout pour le cas
de la Roumanie, une étonnante continuité culturelle venant de la période
gréco-romaine, se liant au judéo-christianisme et se prolongeant jusqu’à
nos jours.
Cela est vibrant, absolument impressionnant ! Cela signifie : nos racines
présentes jusque chez nous, jusqu’ici, en Roumanie. Dans ce sens, en effet,
les casus toujours utilisés dans la déclinaison de la langue roumaine ne sont
qu’un petit symbole très émouvant pour cette situation. Enfin, voici deux
textes écrits par des spécialistes de la période byzantine et post- byzantine
soulignant, à leur manière, ce que nous venons d’affirmer :
Pour mieux mesurer le rôle joué par Byzance, il faut, sans se limiter
à son Moyen Âge ni à ses derniers temps, considérer d’un seul coup
d’œil toute l’étendue de son histoire et reconnaître d’abord l’apport
considérable dont elle a enrichi, au cours de ses premiers siècles,
l’ensemble du monde chrétien, Occident et Orient cette fois confondus.
La prise en compte de la longue durée permet seule de rendre justice à la
puissance d’une civilisation qui, tout en se renouvelant et en déployant,
même dans les circonstances historiques les plus difficiles, une étonnante
fécondité, a su rester fidèle à sa propre histoire et à ses valeurs, et doit à
cette continuité sa physionomie si typée.
(Bernard Flusin, La civilisation byzantine,
P.U.F. « Que sais-je ? », 2006, pp. 123-124)
Non seulement Byzance, c’est-à-dire ce qui en formait non pas seulement
les dehors, mais aussi l’essence, se conserva jusqu’à une époque que
nous chercherons à définir, mais elle continua cette action millénaire,
que j’indiquai déjà dans une conférence à Barcelone, par laquelle
cette chose politique et culturelle sans cesse en marche s’assimilait
naturellement, et en ayant l’air de ne pas changer, tout ce qui entrait
dans son cercle d’action, si étendu. Ainsi après la transformation, sous
beaucoup de rapports seulement apparente, de 1453 elle s’annexera des
formes de civilisation venant du monde gothique de Transylvanie et
de Pologne par la Moldavie roumaine et tout ce que, par différentes
voies, lui enverra l’Occident à l’époque de la Renaissance. Beaucoup de
choses nouvelles paraîtront ainsi à la surface, mais au fond il n’y aura,
quand même, que l’immuable pérennité byzantine.
(Nicolae Iorga, Byzance après Byzance. Continuation de
l’« histoire de la vie byzantine », Bucarest, 1935, p. 6)
208 MARTIN HAUSER
L’Ouest
Depuis le centre de l’Europe, regardons maintenant sa partie occidentale,
respectivement l’évolution de celle-ci.
Bien qu’on puisse apprécier que des régions de l’Europe occidentale
proches de la Méditerranée aient connu une évolution culturelle pas
totalement différente de celle de Byzance et de son empire, nous devons
constater que, généralement parlant, l’évolution de l’Ouest diffère fortement
de celle de l’Est. L’évolution occidentale est notamment marquée par des
bouleversements et changements profonds. J’en mentionne ici seulement
deux période clé pour soutenir et esquisser ma pensée :
En Europe occidentale, la donne culturelle, marquée par la culture
antique – surtout romaine – et le christianisme, est fondamentalement
changée par les migrations des peuples barbares, notamment celles entre
le Ve et VIIe siècle ! Les conséquences ethnologiques, linguistiques,
culturelles, politiques et aussi religieuses sont très lourdes. Les régions
rhénanes, du Haut Danube ainsi que des actuelles Suisse et France orientale
sont particulièrement touchées : par exemples, certaines régions changent
de langue totalement ou, au moins, sensiblement ; le latin disparaît peu à
peu. Une exception, cependant, est représentée par l’Eglise et les Cours
régalés où les élites, clercs et laïques, se servent encore longtemps du
latin et d’une certaine culture antique, se distinguant ainsi du peuple. La
« Renaissance carolingienne » illustre aussi cette situation. Ecoutons ici le
médiéviste Jacques Le Goff concernant ce premier grand bouleversement
et changement :
L’Occident médiéval est né sur les ruines du monde romain. Il y a trouvé
appui et handicap à la fois. Rome a été sa nourriture et sa paralysie. …
Si l’on peut déceler dans la crise du monde romain au IIIe siècle le début
du bouleversement d’où naîtra l’Occident médiéval, il est légitime de
considérer les invasions barbares du Ve siècle comme l’événement qui
précipite les transformations, leur donne une allure catastrophique et en
modifie profondément l’aspect.
(Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident Médiéval,
Flammarion, 1997, pp. 11, 13)
LE PARTAGE DE L’EUROPE DE l’OUEST :
UNE IMMIGRATION VIOLENTE MAIS REUSSIE
Chose curieuse, en ce passage de l’Antiquité au Moyen-Âge, aux
IVe–Ve siècles, l’histoire qui rapproche les Européens, en faisant tous
des chrétiens réunis dans la chrétienté, les divise aussi. Des peuples
Les cultures européennes et l’avenir
209
nouveaux s’installent et créent des États nouveaux qui séparent les uns
des autres les peuples auparavant réunis dans l’Empire romain.
ENVAHISSEURS OU VOYAGEURS ?
Cette immigration de peuples venus de l’Europe nordique et de l’Europe
centrale a été appelée par les Français les “grandes invasions” et par les
Allemands les “grandes déplacements de peuples”. Vous voyez que les
Européens n’ont pas toujours la même opinion sur leur histoire. En effet,
la plupart de ces peuples appartenaient à une même famille ethnique,
les Germains, ancêtres des Allemands, comme les Gaulois sont les
ancêtres des Français. Et l’on a généralement traité ces nouveaux venus
de “barbares”, parce qu’ils étaient d’un niveau de civilisation considéré
comme inférieur : ils n’utilisaient pas l’écrit, leur civilisation était orale.
D’autre part, leur installation dans l’Empire romain ne fut pas pacifique.
Ce fut une conquête militaire avec des combats sanglants. Les Barbares
les gagnaient habituellement, parce qu’ils étaient de bons métallurgistes
et qu’ils étaient mieux armés. En particulier, leur épée, longue, à double
tranchant, et bien forgée, fut très efficace.
(Jacques Le Goff, L’Europe racontée aux jeunes, Seuil, 1996, pp. 45-46)
Or, la situation culturelle ainsi créée n’est rien d’autre qu’une bombe
à retardement qui explosera bien un jour : surtout dans les régions où
des dialectes allemands, très différents du latin, sont introduits et parlés
par le peuple, sans pourtant représenter la culture officielle de la classe
dirigeante, une situation oppressive, voire une grande tension est bien
créée. L’allemand, sous la forme de différents dialectes, reste pendant
longtemps surtout langue orale. Les tentatives, au IXe et Xe siècles, de
créer des documents de langue allemande reste sans grand succès. Il faut
attendre le XIIe siècle jusqu’à ce qu’une véritable littérature allemande
puisse voir le jour ; mais elle servira surtout la noblesse. Comme exemple,
nous pouvons mentionner ici la poésie créée par le troubadour Walther von
der Vogelweide, ce personnage fort attachant, né entre 1160 et 1170.
Cependant, le véritable bouleversement et changement est la traduction
de la Bible en langue – enfin ! – du peuple en 1534 par Martin Luther,
ainsi que son impression et, par là, rapide diffusion ! La réformateur de
Wittenberg est ainsi surtout à l’origine de la révolution culturelle de l’Europe
occidentale. Rapidement, et cela grâce à l’imprimerie disponible depuis
le 15e siècle, il met à disposition de princes et de bourgeoisies, devenus
politiquement importants, la Parole de Dieu et des textes théologiques.
Ainsi, la gestion de la religion, voire de l’Église, passe au pouvoir civil ;
Luther parlera de « Notbischof ». Luther prévoit également que dorénavant
210 MARTIN HAUSER
l’essentiel de la vie religieuse se passera dans et pour la société. Et, Luther
est, dans tout cela, suivi par d’autres réformateurs.
Ce bouleversement et changement énorme marque, sans doute, le
début de la « Neuzeit ». Regardant vers passé, l’on peut aussi supposer
que sans l’apport culturel des Barbares, un apport longtemps opprimé,
cette explosion et révolution du XVIe siècle n’aurait pas eu lieu. Nous
connaissons probablement les analyses et pronostics – corrects selon nous –
faits par Max Weber concernant les sociétés protestantes ou marquées par
le protestantisme. Si nous prenons aujourd’hui l’état actuel de ces sociétés
nous constatons que la « Neuzeit » fut le déclic pour un changement total.
Franco Volpi, dans son Il nichilismo, le formule ainsi :
Sono svanite la forza vincolante delle norme morali e la possibilità che
esse trovino disponi­bilità ad essere accettate e applicate… I riferimenti
tradizionali – i miti, gli dèi, le trascendenze, i valori – sono stati erosi
dal disincanto del mondo. La razionalizzazio­ne scientifico-tecnica ha
prodotto l’indecidibilità delle scelte ultime sul piano della sola ragione.
Il risultato è il politeismo dei valori e l’isostenia delle decisioni, la
stessa stupidità delle prescrizioni e la stessa inu­tilità delle proibizioni.
Nel mondo governato dalla scienza e dalla tec­nica l’efficacia degli
imperativi morali sembra pari a quella di freni di bicicletta montati su
un jumbo jet (Beck, 1988 : 194). Sotto la calotta d’acciaio del nichilismo
non v’è più virtù o morale possibile.
(Franco Volpi, Il nichilismo, Laerza, Bari, 1999, p. 115)
Deux questions urgentes sont ainsi posées : celle de l’interaction des
cultures européennes, entre l’Est et l’Ouest, et celle de leur évolution, étant
donné les bouleversements qui animent l’Occident.
Le commerce international de la Librairie belge
au xixe siècle : l’affaire des réimpressions
JACQUES HELLEMANS
Introduction
Comme l’a mentionné Otto Lankhorst au cours de notre précédent
atelier1, la Hollande constitue la plaque tournante de la diffusion du livre
français du xviie au milieu du xviiie siècle. La Belgique reprend le
flambeau au siècle suivant. L’activité principale de la librairie belge durant
la première moitié du xixe siècle – en fait dès qu’elle échappa à l’autorité
impériale – fut caractérisée par la réimpression des œuvres littéraires
françaises, livres et recueils périodiques. L’édition bruxelloise représente
au xixe siècle près de 80 % de la production livresque belge, ce qui fit dire
à Stendhal, dans une lettre qu’il adressa à Sainte-Beuve le 21 décembre
1834 : « Rome et moi nous ne connaissons la littérature française que par
l’édition de Bruxelles. »2 Comment expliquer l’importance de Bruxelles et
de la Belgique dans le commerce international de la librairie française au
xixe siècle ? L’étonnante vitalité de cette branche de l’industrie trouve son
origine dans le phénomène éditorial qualifié par les uns de « contrefaçon »
et par les autres de « réimpression ». Il me paraît indispensable de préciser
autant que faire se peut le contexte de la contrefaçon belge, et de souligner
qu’en l’absence de toute entente internationale en matière de protection
des œuvres de l’esprit, cette entreprise n’a pu que prospérer. En outre, la
modicité des prix pratiqués ne pouvait que contribuer à son essor. Au Otto LANKHORST, La francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et
18 siècle. « Le livre, la Roumanie, l’Europe. » 3e Symposium international. Bucarest
(Roumanie). Section 1. « L’Histoire et la civilisation du livre », 20 septembre 2010.
2
STENDHAL, Correspondance. II : 1821–1834. Préface par V. Del Litto, édition
établie et annotée par Henri Martineau et V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1967, Bibliothèque
de la Pléiade, p. 762.
1
e
212
JACQUES HELLEMANS
delà de leurs évidentes ambitions commerciales, les maisons d’édition qui
pratiquaient la contrefaçon ont largement contribué à la diffusion de la
littérature française. Durant toute la première moitié du xixe siècle, ce fut
même principalement grâce aux éditions belges que le monde.
« Contrefaçon » ou « réimpression » ?
De fait, la Belgique ayant été détachée de la France en 1814 et réunie à
la Hollande, la législation française y devenait lettre morte. Sans convention
bilatérale, le voleur était donc protégé par ses propres privilèges. Dès lors,
la réimpression devint une pratique légale puisque reconnue officiellement,
d’abord par un arrêté du prince souverain des Pays-Bas en date du 23
septembre 1814, ensuite par la loi du 25 janvier 1817. L’arrêté du 23
septembre 1814 supprimait la totalité des lois et règlements émanés du
gouvernement français sur l’imprimerie et la librairie3 et instituait un droit
de propriété ne protégeant que les seuls auteurs ou éditeurs habitant le
Royaume. Cet acte du pouvoir souverain reconnaissait le principe général,
que ce qui appartient à toutes les nations n’appartient à personne en
particulier et rangeait dans cette classe tout ouvrage relatif à l’enseignement,
tels que les livres d’école, les auteurs classiques, les ouvrages de sciences
ou de littérature étrangère4, – française en l’occurrence.
Ainsi donc, dès 1815, l’imprimerie belge allait recouvrer son ancienne
splendeur et connaître une prospérité croissante. La littérature française,
étant très féconde et recherchée dans toute l’Europe, les imprimeurs
bruxellois n’avaient qu’à piller tout ce qui se publiait à Paris pour s’enrichir,
d’où l’expression imagée de Balzac :
« Il est plus tôt contrefait qu’il n’est fait »5.
Si les Français et non des moindres, Honoré de Balzac et Jules Janin,
pour ne citer que ceux-là, ont vu dans les éditions belges de vulgaires
« contrefaçons » et s’ils ont assimilé les imprimeurs belges à des faussaires,
il en allait autrement pour ces derniers qui retenaient plutôt le terme de
« réimpressions ». Les imprimeurs belges affichaient, en effet, ouvertement
leur larcin puisqu’ils ne cherchaient nullement à imiter le format, le papier
ou le type de caractère de l’édition originale. Ils parlent dès lors plutôt de
« De l’imprimerie et de quelqu’autre chose », dans Themis Belgique (Bruxelles :
P.J. Demat), 1826, tome 7, p. 23.
4
« De l’imprimerie et de quelqu’autre chose », dans Themis Belgique (Bruxelles :
P.J. Demat), 1826, tome 7, p. 24-25.
5
Honoré de BALZAC, « Lettre adressée aux écrivains français du xixe siècle »,
dans Revue de Paris (Bruxelles : H. Dumont), novembre 1834, tome 11, p. 67.
3
Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle...
213
« réimpression ». De plus, en mettant le livre à portée de toutes les bourses,
la réimpression favorisait l’échange des idées entre les peuples, opinion
déjà défendue en 1770 par de Felice, imprimeur d’Yverdon6.
Privés de leurs redevances, les auteurs et éditeurs français qualifient la
production de livres en Belgique de « contrefaçon » et portent un jugement
extrêmement sévère sur cette pratique. Cette description peu flatteuse du
peuple belge par le critique littéraire Jules Janin en 1834 en témoigne :
Ce peuple à l’affût de toutes les nouveautés parisiennes qu’il imprime à
vil prix sur du papier de sucre, avec des fautes sans nombres, ce peuple,
qui est la ruine matérielle de notre littérature. 7
S’il arrive que les deux éditions paraissent parfois la même année,
l’originalité de l’imprimerie belge tenait dans le format compact de ses
productions : les éditions belges étaient réduites en format et dégagées des
sophistications parisiennes. Les libraires bruxellois peuvent ainsi offrir des
rabais de 50, de 60, voire 70 % par rapport aux prix français : des livres
de poche avant la lettre ! Les différences de format expliquent souvent la
différence de prix entre les deux éditions et donc l’intérêt du public pour
ce type de publication à la portée de toutes les bourses. Afin de contrer la
réimpression, les éditeurs parisiens trouvent parfois la parade par le biais
de co-éditions, voire l’exportation par des canaux ou réseaux de diffusion
plus appropriés, comme le firent notamment Bossange, Ladvocat ou encore
Treuttel et Würtz.
La contrefaçon est sans conteste une pratique éditoriale généralisée au
e
xix siècle. En l’absence d’une législation internationale du droit d’auteur,
les ouvrages sont aussi réimprimés en dehors de la seule Belgique. Les
éditeurs français, eux-mêmes, sont « contrefacteurs ». À Paris, Aillaud,
Baudry et Galignani, pour ne citer qu’eux, reproduisent les livres anglais,
italiens et allemands. Quant aux États-Unis, ils deviennent un important
marché pour les contrefaçons de livres d’auteurs anglais. À New York et à
Philadelphie, on réalise des réimpressions d’ouvrages français.
L’Âge d’or de la contrefaçon
Dégageons quelques lignes de force quant à l’évolution historique de
la contrefaçon belge. D’abord, les circonstances favorables à l’éclosion de
6
Albert LABARRE, « Histoire du livre », 3e édition, Paris, Presses Universitaires
de France, 1977, Que sais-je ?, 620, p. 102.
7
Jules JANIN, « Le journaliste franco-belge : simple histoire de critique littéraire »,
dans Revue de Paris (Bruxelles, Louis Hauman), nouvelle série, 1ère année, tome septième,
1835, p. 58.
214 JACQUES HELLEMANS
l’industrie de la réimpression. En 1814, le Royaume des Pays-Bas instaurait
la liberté de la presse et du journal. La profession d’imprimeur n’y était pas
réglementée comme en France. Pour éditer, il suffisait de se procurer une
presse et de pouvoir payer la patente. En France, par contre, les Bourbons
restaurés continuaient à soumettre la presse à une censure rigoureuse. C’est
ainsi qu’un grand nombre de livres français condamnés par la censure
se virent réimprimés en Belgique. Les imprimeurs belges y voyaient un
intérêt commercial et se montrent par-là même les dignes continuateurs des
imprimeurs d’Amsterdam, de Bouillon et de Liège. Les libéraux français
avaient lieu d’être satisfaits. C’était un moyen d’échapper à la censure, de
continuer leur propagande, de voir leurs écrits publiés dans leur intégralité
et, de surcroît, proposés à un prix avantageux. C’est de la sorte qu’Eugène
Robin caractérise la première phase de la contrefaçon :
Comme il [le roi Guillaume] tenait à sa réputation de roi le plus
constitutionnel de l’Europe, nous croyons qu’en contribuant de la sorte
à l’établissement de la contrefaçon dans ses États, il avait moins en vue
d’aider à la spoliation de la littérature française que d’offrir aux idées
libérales la publicité qui leur était disputée par les Bourbons restaurés.
C’est grâce à son active protection que les ouvrages interdits en France
pouvaient revenir y défier les poursuites des tribunaux. Sous son règne,
l’index de la police parisienne fut presque le catalogue de la contrefaçon
bruxelloise.8
De nombreux imprimeurs et libraires français, Hippolyte Ode,
Hippolyte Tarlier ou encore Jean-Paul Meline, italien de naissance, vinrent
s’établir à Bruxelles, ville qui devint bien vite le repaire des proscrits de la
Restauration. De 1814 à 1820, les progrès de l’imprimerie belge furent sans
importance réelle. Ensuite, selon la Revue britannique,
de 1820 à 1828, l’imprimerie belge ne contrefit les livres français que
pour sa propre consommation et celle de la Hollande. Ses exportations
étaient insignifiantes ; le plus grand désordre régnait dans tous ses
mouvements ; une concurrence inintelligente dévorait tous ses bénéfices ;
l’impression était défectueuse, le papier détestable, et les faillites sans
nombre venaient encore augmenter au dehors la méfiance et la défaveur
qu’inspireront toujours des entreprises entachées d’immoralité.9
8
Eugène ROBIN, « De la contrefaçon belge. Sa situation réelle. La librairie
française », dans Revue des deux mondes augmentée d’article choisis dans les meilleurs
revues et recueils périodiques (Bruxelles, Société typographique belge), janvier 1844, p. 19.
9
« De la situation actuelle de la librairie et particulièrement de la contrefaçon de la
librairie française dans le Nord de l’Europe », dans Revue britannique, ou choix d’articles
Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle...
215
Comprenant que, tant que la vente des contrefaçons restait limitée au
marché intérieur, les profits en seraient restreints, Guillaume Ier – au grand
déplaisir de Louis XVIII – encouragea, comme branche du commerce et de
l’industrie, ce pactole qu’était la contrefaçon et favorisa ainsi l’imprimerie. Il
alla même jusqu’à distribuer des primes aux libraires-éditeurs exportateurs.
Des comptoirs de la librairie furent établis à Londres et à Leipzig. La voie
de l’exportation était ouverte10.
Analysons maintenant les bases de l’essor de la contrefaçon. Durant
les premières années qui suivirent la révolution de 1830, la contrefaçon
marqua un temps d’arrêt. À en croire le Mémoire sur la situation actuelle
de la contrefaçon des livres français en Belgique, présenté par le Comité de
la Société des Gens de lettres aux ministres de l’Intérieur et de l’Instruction
publique,
La Hollande opposait un blocus hermétique à toutes les productions de
provenance belge ; et l’Allemagne cherchait à se garantir, au moyen de
ses douanes, de la contagion des idées françaises. Malgré ces entraves,
malgré les agitations politiques qui tourmentaient l’Europe, malgré la
formation [en 1828] à Bruxelles d’un comptoir des libraires réunis de
Paris, vendant leurs livres au rabais pour battre en brèche la contrefaçon,
l’exportation des éditeurs belges prit, de 1830 à 1835, une marche
ascendante. Les frères Hauman se mirent à explorer les divers États de
l’Europe et cherchèrent partout des débouchés ; Wahlen envoya des
agents jusqu’en Suède et en Norvège, tandis que Meline, mettant à profit
son origine et ses relations, faisait accepter ses produits dans la plupart
des États d’Italie.11
De 1830 à 1845, le commerce des livres n’allait cesser de se développer;
mais ce fut surtout le marché étranger, c’est-à-dire l’exportation, qui prit de
plus en plus d’importance, ce qu’Hetzel mit en exergue dans sa Note sur la
contrefaçon, de son abolition et de ses conséquences :
traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne (Bruxelles, Méline, Cans
et Cie), mars 1840, tome 1, p. 239.
10
« De la situation actuelle de la librairie et particulièrement de la contrefaçon de la
librairie française dans le Nord de l’Europe », dans Revue britannique, ou choix d’articles
traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne (Bruxelles, Méline, Cans
et Cie), mars 1840, tome 1, p. 240.
11
« Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en
Belgique, présenté [en 1841] à MM. les Ministres de l’Intérieur et de l’Instruction
publique par le Comité de la Société des Gens de Lettres », dans Bulletin du Bibliophile et
du bibliothécaire, Paris, septembre 1925, p. 452-462 & octobre 1925, p. 456.
216
JACQUES HELLEMANS
Le bon marché de leur fabrication, les ventes à bas prix et à longs
termes, la vente par dépôts, dans les pays où cette vente est la seule
en usage, l’étude approfondie des formats appropriés aux goûts et aux
besoins de l’étranger, la hardiesse, la témérité même de certaines de
leurs entreprises, voilà quelles avaient été les causes du succès des
contrefacteurs. 12
Les torts causés par la contrefaçon au commerce intérieur de la
librairie française furent minimes quoi qu’aient bien pu dire les premiers
éditeurs français de l’époque. En effet, sous l’œil vigilant des inspecteursvérificateurs de la Librairie établis aux postes frontières, les ballots de
livres provenant de Belgique étaient passés au peigne fin. Rares étaient les
contrefaçons qui pouvaient s’écouler sur le territoire français.
L’année 1836 marque une ère nouvelle dans l’existence des imprimeries
qui passèrent aux mains de sociétés en commandite, patronnées notamment
par la Banque de Belgique, et qui comptaient au nombre de ses actionnaires
différentes personnalités de la vie publique. Ces sociétés purent, en
centralisant la production de plusieurs presses, exploiter le champ de la
contrefaçon, aussi bien des livres que des périodiques, à une plus grande
échelle. Et toujours selon ce Mémoire :
« Avant la formation des grandes sociétés, la plupart des maisons de
librairie belge se trouvaient dans une position difficile, encombrées de
marchandises et tiraillées de toutes parts : Wahlen, malgré l’intervention
généreuse du roi Guillaume, était obéré ; Tarlier avait été obligé de
liquider ; Meline dont la fabrication avait été très rapide, se trouvait dans
la situation pénible d’un marchand engorgé, qui ne peut réaliser ; les
Frères Hauman, qui avait travaillé avec leurs propres capitaux, étaient
loin d’en retirer les utilités ordinaires. La mise en société de ces fonds de
librairie, leur mobilisation par l’émission des actions relevèrent toutes
ces entreprises en souffrance, et leur fournirent les moyens de convertir
en écus leurs ballots de papier.13
Le 18 octobre 1836, à la demande de la Société des Gens de lettres, le
ministre de l’Instruction publique, Guizot, avait institué une commission
chargée de :
12
Jules HETZEL, « Notes sur la contrefaçon, de son abolition et de ses
conséquences », Bruxelles, Labroue, 1854, p. 5.
13
« Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en
Belgique, présenté [en 1841] à MM. les Ministres de l’Intérieur et de l’Instruction
publique par le Comité de la Société des Gens de Lettres », dans Bulletin du Bibliophile et
du bibliothécaire, Paris, septembre 1925, p. 452-462 & octobre 1925, p. 462.
Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle...
217
rechercher tous les moyens propres à prévenir les inconvénients de
la contrefaçon des livres français à l’étranger, soit par des mesures
législatives, soit à l’aide de négociations avec les puissances littéraires.
Dans son rapport remis le 15 janvier 1837, la commission établissait
le fait que la contrefaçon belge ne pouvait être atteinte directement et
qu’il n’existait pas de réelle contrepartie – la contrefaçon n’étant pas aussi
développée en France – à proposer à la librairie belge en échange d’un arrêt
de ses activités. La commission suggéra néanmoins d’élever des obstacles
aux exportations de la librairie belge par des accords avec les pays étrangers.
Les éditeurs parisiens se décidèrent bientôt à imiter leurs contrefacteurs.
Ils imprimèrent des livres au même prix qu’eux. La meilleure parade était
de se battre à armes égales. Le premier à adopter des formats plus compacts
et des prix plus adaptés sera Gervais Charpentier qui en fait même un
argument publicitaire :
« À meilleur marché que les contrefaçons belges. »
Les éditeurs français reprochaient surtout aux contrefacteurs belges
l’étendue de leurs relations avec l’étranger. Ne nous y trompons pas.
La contrefaçon belge n’a jamais empêché l’augmentation du commerce
français même au plus fort de la concurrence. Elle lui a même ouvert des
marchés, là où, par son apathie commerciale, la librairie française n’osait
même pas s’aventurer. Il ne faut non plus pas oublier que si la Belgique
vendait plus d’exemplaires, elle le faisait à un prix nettement moindre
que la France. Les deux librairies ont en fait opéré parallèlement : elles se
sont seulement adressées à deux classes distinctes d’acheteurs. La belge
s’adressait aux personnes désirant ou ne pouvant lire qu’à bon marché. La
française intéressait plutôt les riches qui, par goût ou par ton, voulaient
les livres français édités à Paris. Loin de ravir la clientèle ordinaire de la
librairie française, la contrefaçon belge l’a aidée à grossir puisqu’elle a
fait naître le goût de la littérature française partout où elle avait installé
des comptoirs. Si les éditeurs parisiens désiraient réellement s’offrir de
plus grands débouchés et battre en brèche la contrefaçon, ils n’avaient qu’à
suivre la voie toute tracée par nos contrefacteurs.
Les imprimeurs belges parvenaient parfois à devancer les originales
françaises. Ils reproduisaient en volume les textes des feuilletons de La
Presse, du Siècle, du Constitutionnel ou de La Revue de Paris. Le succès
des « préfaçons » dépendait souvent de la nouveauté du livre et l’habilité
du contrefacteur consistait à gagner de vitesse les concurrents. Sans aucun
doute, ces procédés indisposèrent les éditeurs français, ainsi que certains
auteurs. Parmi les plus dépités, se profilaient Jules Janin, mais surtout
218 JACQUES HELLEMANS
Honoré de Balzac qui multiplia les injures à l’égard du peuple belge par
la voie de la presse. Les contrefacteurs reproduisaient avec effronterie ses
piquantes diatribes. Ainsi, voici ce que l’on pouvait lire dans la réimpression
belge de la Revue parisienne de Balzac :
Oui, messieurs, sachez-le bien, le tiers de la France se fournit de
contrefaçons faites à l’étranger. L’étranger le plus odieusement, le plus
ignoble voleur, est notre voisin, notre soi-disant ami, le peuple pour
qui nous avons donné ces jours-ci notre sang, nos trésors, à qui nous
cédons nos hommes de talent et de courage, et qui, pour nous remercier,
a un avoir dans le compte de nos suicides, car ces vols faits loin de
nous, se changent ici en assassinats. Quand le pauvre libraire français
vend à grand peine un de vos livres à un millier de misérables cabinets
littéraires, qui tuent notre littérature, le Belge lui vend deux milliers au
rabais à la riche aristocratie européenne.14
Comme je l’ai fait remarquer plus haut, les plaintes n’émanaient que
de certains écrivains, mais non des moindres… Chateaubriand et Balzac,
reprochaient aux contrefacteurs belges de mêler leurs noms à d’autres plus
obscurs, mais surtout de leur voler la meilleure part de leurs revenus :
Sans la contrefaçon, qui cause encore bien plus de tort au commerce
du pays qu’aux gens de lettres, je serais probablement riche15… devait
s’écrier Balzac.
D’autres auteurs, ainsi Théophile Gautier et Arsène Houssaye étaient
par contre ravis de cette pratique qui leur apportait succès et notoriété.
Ils trouvaient même injurieux de ne pas être contrefaits. Aux auteurs peu
connus, la contrefaçon n’infligeait aucun dommage réel. Elle leur procurait,
au contraire, une renommée inespérée. À ce propos, voici ce qu’on pouvait
lire dans L’Étoile belge du 21 octobre 1851 :
Nous tenons pour incontestable que la réimpression a été très utile aux
auteurs dont elle a propagé les œuvres ; que sans elle, la réputation de
beaucoup d’écrivains dont les livres sont lus dans les deux mondes,
aurait eu beaucoup plus de peine à s’établir, et que celle de bien d’autres
serait restée claquemurée dans la circonscription de quelques cabinets
de lecture. Nous en concluons que les écrivains français, loin de maudire
nos imprimeurs, leur devraient des remerciements.16
14
Honoré de BALZAC, « Lettre adressée aux écrivains français du xixe siècle »,
dans Revue de Paris (Bruxelles, H. Dumont), novembre 1834, tome 11, p. 68.
15
Honoré de BALZAC, « Aux abonnés de la Revue parisienne », dans Revue
parisienne (Paris, à la Revue Parisienne), 25 septembre 1840, p. 394.
16
« La contrefaçon », dans L’Étoile belge, 21 octobre 1851.
Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle...
219
Après avoir atteint son apogée en 1845, la librairie belge connaît de
graves difficultés. Sa ruine est surtout le fait de la féroce concurrence que
les maisons belges se livrent entre elles. Trois, quatre ou même cinq éditions
d’un même roman peuvent paraître simultanément, poussant l’opération
sous le seuil de la rentabilité financière. Un diplomate français en poste à
Bruxelles dressait, en date du 6 février 1841, un portrait peu réjouissant de
la librairie belge :
À leur création, les sociétés avaient paru vouloir s’entendre pour ne faire
qu’une seule et unique fabrication, mais la rivalité, bientôt de la partie,
l’accord cessa presque aussitôt et depuis deux ans elles se font une
guerre acharnée. C’est ainsi qu’on voit souvent pour certains ouvrages,
par exemple un poème de Victor Hugo ou un roman de Paul de Kock,
trois éditions du même livre, faites par les sociétés et quatre ou cinq
autres faites par d’autres libraires.17
La librairie belge eut également à souffrir de la concurrence française.
Les sociétés et librairies catholiques d’abord. Celles-ci réimprimaient
surtout les ouvrages classiques, les livres d’éducation et de piété. Elles
durent s’incliner devant les maisons françaises de province (Tours, Limoges,
Besançon,...) qui pratiquaient pour ce genre d’ouvrages des prix encore
meilleur marché. Les éditeurs parisiens se décidèrent ensuite à imiter leurs
pirates. Ils imprimèrent des livres au même prix qu’eux. Ces impressions
supérieures quant à la qualité de la correction, de l’impression et du papier,
expulsèrent bien évidemment les contrefaçons belges. À la fin du règne de
la contrefaçon, certains éditeurs français envoyèrent à l’étranger des romans
à si bas prix que les contrefacteurs ne s’avisèrent même pas de reproduire.
La chute de la contrefaçon belge fut aussi accompagnée d’un profond
changement de l’opinion publique belge à l’égard de la contrefaçon. Les
Belges trouvaient cette pratique malhonnête malgré qu’elle fût protégée
par la loi. On lui reprochait surtout de nuire à l’éclosion d’une littérature
nationale. Les éditeurs belges préféraient réaliser des affaires, c’est-à-dire
réimprimer des ouvrages qu’ils étaient assurés de vendre, plutôt que d’offrir
une rémunération à des auteurs belges encore sans renom et sans notoriété.
La Revue de Bruxelles lança même l’assertion suivante :
La contrefaçon est, sans contredit, un obstacle presque absolu au
développement littéraire en Belgique. Les lois protectrices de l’industrie
sont partout aujourd’hui ce qui intéresse le plus les gouvernements ;
toujours elles passent les premières et sont à juste titre attentivement
discutées. Personne n’a encore songé à protéger les œuvres de
France. Ministère des Relations extérieures, Archives, mémoires et documents.
Fonds Belgique, 1841–1847, p. 8.
17
220 JACQUES HELLEMANS
l’intelligence, et comme tout, dans ce siècle, se résume en une question
d’argent, les productions littéraires n’ont, comme toutes les autres
qu’un succès où le prix de revient entre pour une très grande part. Or
les productions littéraires françaises se trouvant par la réimpression
exemptes, en Belgique, de tout droit d’auteur, seront toujours une cause
de ruine pour l’écrivain belge qui songerait à vivre de sa plume.18
La réimpression a fini par être discréditée : on la jugeait malhonnête,
immorale. Et pourtant le gouvernement belge a tardé à l’abolir... Pourquoi ?
La raison était surtout d’ordre politique. Elle opposa longtemps libéraux et
catholiques. On comprend aisément la position délicate du gouvernement
belge face à l’opinion divisée : il n’osait toucher à la contrefaçon de peur
de remettre en question l’équilibre précaire de la politique intérieure. S’il
abolissait la contrefaçon, les libéraux risquaient d’y voir une atteinte à
la liberté de la presse, et par extension une atteinte à la Constitution. Et
pourtant, l’industrie de la contrefaçon étant en souffrance et en partie ruinée
par la concurrence qu’elle se faisait elle-même, toutes les entreprises étaient
moribondes. Un diplomate français, chargé d’entamer les négociations en
vue de la répression de la contrefaçon littéraire, rapporta des propos qu’il
avait eus le 4 mars 1851, avec Firmin Rogier, alors ministre de l’Intérieur,
qui ne font que corroborer cette thèse :
Il ne m’a pas caché que la contrefaçon pratiquée en Belgique était à ses
yeux du moins aussi peu honorable, du point de vue international que
peu profitable aujourd’hui à ceux qui se livrent à cette industrie. Il n’y a
là, m’a-t-il dit, ni honneur, ni profit. Nous sommes forcés ajouta-t-il de
convenir que l’industrie de la contrefaçon étant aujourd’hui d’un mince
intérêt pour la Belgique, nous ne pouvons avoir la prétention d’exiger
grand prix pour son abolition mais je vous le répète, l’opinion du pays
s’attend à ce qu’en consommant ce sacrifice plus apparent que réel, nos
négociations tirent de cet abandon tout le parti possible.19
Les typographes se sentaient, de plus, livrés à la France par leur
propre gouvernement. Le 29 novembre 1851, la légation de la République
française en Belgique adressa le rapport suivant à Turgot, ministre des
Affaires étrangères :
« Aux abonnés de la revue de Bruxelles », dans Nouvelle Revue de Bruxelles
(Bruxelles, J.B. De Mortier), 1845, p. 689.
19
France. Ministère des Relations extérieures, Archives, correspondance
commerciale, Bruxelles, tome 10 bis, 1835–1851, p. 191.
18
Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle...
221
Une nouvelle réunion de typographes s’est tenue afin de rendre compte
des démarches faites auprès des ministres. On s’est engagé à persévérer
et à ne rien négliger pour le triomphe de la cause du bon droit. Le
président de la réunion est un M. Henne, ancien libraire, actuellement
employé dans la Maison Meline et Cans. Des deux représentants qui ont
apporté à ces démarches un concours actif, l’un M. Cans est associé,
l’autre M. Orts est l’avocat de cette maison. La Société Meline et Cans
ne paraîtrait pas être dans une situation très prospère. Ses magasins
seraient encombrés d’ouvrages réimprimés rachetés de ces anciens
concurrents. Les manifestations qui ont lieu doivent être considérées
comme entièrement dues à l’action de la Maison Meline et Cans, et elles
auraient été excitées moins dans le but de soutenir la contrefaçon, dans
la volonté de la maintenir, que dans le désir et l’espérance de grandir
les difficultés et les obstacles pour en arriver soit à des mesures qui
garantiraient l’écoulement des ouvrages en magasin, soit à l’obtention
d’une indemnité. Toutefois à ces démarches des typographes je crois
qu’il en sera incessamment opposé une [celle des Gens de Lettres] qui
en sera jusqu’à un certain point la contrepartie et le contrepoids.20
La Convention littéraire franco-belge
La Convention littéraire et artistique fut enfin signée à Paris le 22
août 1852 par les plénipotentiaires des deux États. Elle ne fut cependant
promulguée que le 12 avril 1854 et mise en vigueur un mois plus tard.
Cette lenteur est pour le moins étrange. Le gouvernement belge ne voulait
d’ailleurs pas divulguer les stipulations de la convention avant l’ouverture
de la session parlementaire devant avoir lieu dans les premiers jours de
novembre. Selon La Tribune, elle devait entrer en vigueur le 1er janvier
1853, après échange de ratification le 10 décembre précédent21. Le climat de
tension qui régnait alors entre les deux pays en est-il pour quelque chose ?
N’oublions pas qu’il était dans les intentions de Napoléon III d’étendre ses
frontières jusqu’au Rhin, tout comme il voulait éliminer la contrefaçon en
Belgique qui abritait alors de nombreux réfugiés politiques. Ne voulait-il pas,
par la même occasion, étouffer dans l’œuf les critique acerbes d’hommes
de la trempe de Victor Hugo ?
20
France. Ministère des Relations extérieures, Archives, Correspondance
commerciale, Bruxelles, 1850–1851, p. 411.
21
« Convention littéraire et artistique », dans La Tribune, journal de Liège et de la
Province, 25 août 1852.
222
JACQUES HELLEMANS
La déclaration du 12 avril 1854, relative à la convention littéraire et
artistique du 22 août 1852, permit aux éditeurs belges de réimprimer les
ouvrages français en accord avec leurs auteurs, tout en interdisant leur
vente sur le marché français. C’est ainsi qu’on pouvait lire sur les volumes
de la Collection Hetzel :
Édition autorisée pour la Belgique et l’étranger, interdite pour la France.
Avis important : beaucoup des ouvrages publiés dans la collection
Hetzel sont plus complets que les ouvrages publiés en France. Ils sont
imprimés sur les manuscrits originaux en Belgique et n’ont point à subir
les retranchements qu’exige souvent la législation Française.
La Convention littéraire et artistique pour la garantie réciproque de
la propriété des œuvres d’esprit et d’art entre en vigueur le 12 mai 1854.
Signée par les plénipotentiaires de la France et de la Belgique, elle met un
terme officiel à l’industrie de la contrefaçon. En application avec l’article
13 de la convention, il fut procédé à l’estampillage des ouvrages contrefaits
existant dans les magasins au moment de la convention. Ce cachet frappé
sur la page titre permettait aux libraires de continuer la vente des livres parus
et aux imprimeurs d’achever les publications en cours. Si la contrefaçon
est désormais interdite en Belgique, les imprimeurs allemands, en cheville
avec la librairie belge prennent le relais, ce qui explique une nouvelle
convention, cette fois-ci avec l’État de Saxe en 1856, de manière à frapper
ce nouveau foyer de piraterie littéraire. Comme en Belgique, on procède
à un estampillage. La plupart de ces livres estampillés furent déversés
sur les marchés tiers, d’où leur présence en nombre dans les collections
québécoises, notamment.
Au terme de cette communication, il convient de se poser la question
de savoir si la contrefaçon fut une chance ou une malchance pour l’édition
belge. En effet, si l’imprimerie sortait de cette époque parfaitement équipée,
la contrefaçon des œuvres françaises avait introduit dans le public le culte
du livre parisien avec, pour corollaire, une désaffection pour les auteurs
belges du genre noble que représente la littérature. Ceux-ci durent et se
doivent encore aujourd’hui de rechercher le succès à Paris. En un mot, Paris
produit ; Bruxelles reproduit, excepté dans des domaines non consacrés
comme, il y a peu de temps encore, la bande dessinée. Bruxelles fut par
contre un relais exceptionnel de la production française vers l’étranger.
Malgré le caractère quelque peu malhonnête de leur entreprise, nous ne
pouvons cacher notre admiration pour la débrouillardise de ces imprimeurs
bruxellois, de fieffés commerçants que l’on pourrait qualifier de « Chinois
du xixe siècle ».
Les Batthyány et les livres français
de leurs bibliothèques.
Le fond « Gallica » de la Bibliothèque
Batthyaneum d’Alba Iulia
DOINA HENDRE BIRO
Au XVIIIe siècle, les Batthyány étaient parfaitement intégrés dans
l’aristocratie autrichienne sachant s’adapter à tous les changements du
moment. Outre les conclusions concernant le rôle et leur position dans la
Maison d’Autriche et dans le Royaume de Hongrie, comme en Transylvanie,
il nous reste à souligner l’importance européenne de cette famille pour
l’histoire du livre.
Nous voulons aussi démontrer l’intérêt pour la culture et le mécénat
que les Batthyány manifestèrent à toutes générations confondues, si n’était
que par les bibliothèques personnelles fondées par Balthasar III, Adam I,
Charles, Joseph, Théodore et Ignace entre le XVIe–XVIIIe siècles et dont les
livres enrichissent de nos jours les grandes bibliothèques de plusieurs pays.
Par le brossage du portrait de l’évêque Ignace Batthyány, de savant
par excellence, dans les sens du XVIIIe siècle et par la présentation de ses
projets historiques et culturels, dont le plus importante fut l’Institutum
Batthyaniani, nous arrivons à traiter notamment le contenu de sa très
riche bibliothèque d’Alba Iulia, y compris les livres français parmi ses
« mirabilia ».
1. Les Batthyány et la passion pour les livres. Sur la fondation de leurs
bibliothèques au XVIe–XVIIe siècles
Le premier membre de la famille fondateur d’une importante
bibliothèque fut Balthasar. Il détenait parmi ses livres les plus précieux,
un daté de 1498, conservé actuellement dans la Bibliothèque Nationale
Szécsenyi, de Budapest, et intitulé depuis Batthyány-misszàle.
224 DOINA HENDRE BIRO
Il fut suivi par son neveu Balthasar III Batthyány, véritable humaniste,
avec des études poursuivies à Padoue et à Paris. Là il avait même vécu
plusieurs mois à la Cour de François Ier, en tant que secrétaire du Duc de
Guise.1 Pour cette fonction il était rémunéré avec la somme de 30 francs,
sans inclure les frais de son hébergement occasionnelle à la Cour, car il
préférait loger plutôt chez l’éditeur flamand Wechel. On suppose qu’il y
rencontrait Jean Aubry, l’humaniste français, celui qui visitait Vienne en
tant que librarius aulicus, libraire accrédité à la Cour.
Toute une correspondance avec l’éditeur Jean Aubray confirme le
projet de Balthasar d’élargir sa bibliothèque, immédiatement après son
retour à Németujvár. Celui s’effectua en plusieurs étapes, par les envois
de livres de l’éditeur à qui il faisait totale confiance. Leur correspondance
atteste l’envoi de 153 livres qui se faisait dans des tonneaux protégeant
les livres pendant le voyage. Cependant le contenu de chaque envoi était
différent, car il contenait des oeuvres politiques, historiques, de l’histoire
de l’Église, de droit, d’alchimie, mais aussi comme les écrits de Machiavel,
de Bodin et même, l’œuvre complète de Rabelais.2
En même temps, il adressait des demandes à bien d’autres marchands,
à qui il envoyait des lettres à Paris, Francfort, Augsbourg, Linz, Prague et
Vienne.
L’homme de formation humaniste et le collectionneur des livres rares
fut à égale mesure un passionné de la botanique et d’alchimie. Il fit même
installer un laboratoire d’alchimie et une serre dans laquelle il cultivait
des tulipes et des marguerites, grâce à un autre très bon ami, le botaniste
hollandais Carolus Clusius qui passait des séjours à Németujvár.3
En 1584, Clusius rédigea une liste bilingue, en latin et hongrois, des
plantes typiques qu’il avait trouvées en Transdanubie, tout en mentionnant
les effets bénéfiques de certaines d’entre elles. Son œuvre intitulée
Stirpium nomenclator Pannonicus fut éditée en 1583 à Németujvár, dans
l’imprimerie de Balthasar. Dans sa préface, Charles de l’Écluse soulignait
les mérites d’István/Etienne Beythe, enseignant et pasteur calviniste à la
1
Voir la lettre présentée dans le premier chapitre. MOL, Budapest.
L’ouvrage le plus important envoyé par Aubry et payé par Balthasar avec la
somme de 103 florins, fut la Biblia magna regia, en huit volumes, édités par Christophoro
Plantini entre 1571–1572.
3
Clusius Carolus/Charles d’Écluse (1526–1609) étudia les Lettres, la jurisprudence
et la médicine et voyagea en Europe, pour achever sa vie comme professeur de Botanique
à l’Université de Lyon. A la demande de Maximillien II, il aménagea les jardins impériaux
de Vienne en 1583. Auteur des ouvrages Historiam variorum aliquod stirpium atque
plantarum per Pannoniam, Austriam et vicinas quasdam provincias observatarum. Libros
IV, Christophoro Plantini edit.
2
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
225
Cour de Németujvár (que Balthasar tint avec son épouse Dora Zriny), qui
l’avait aidé à mettre les noms des plantes en hongrois.
On verra par la suite, que beaucoup de ses livres achetés par Balthasar
dans les grandes villes, comme Paris, Linz, Prague, Frankfurt, Augsbourg,
se retrouvèrent plus tard dans la bibliothèque de son fils, enrichie par les
livres apportés en dot par son épouse, Eva Poppel Lobkovits.
Eva, fit tout le possible, d’augmenter le nombre des livres, mais aussi
d’instruire ses enfants et surtout Adam, qui se passionna à son tour du
mirage de la lecture. Ainsi se fait-il qu’Adam se préoccupa à son tour de la
qualité de ses collections livresques, d’autant plus qu’après sa conversion
au catholicisme, ses lectures durent changer. La bibliothèque récemment
étudiée par András/André Koltai fut léguée par Adam Batthyány, le premier
comte de la famille, à l’abbaye franciscaine de Güssing, fondée par luimême, endroit où elle se trouve toujours.4
Désormais, la bibliothèque de Balthasar III finit dans le même couvent
de Nemetujvar en 1661 comme don avec d’autres collections livresques
provenant de l’extérieur. L’inventaire effectué au XVIIe siècle consignait
330 ouvrages issues de plus anciennes collections de Batthyány, dont 183
exemplaires portaient déjà l’ex-libris du nouveau possesseur : Conventus
Németujváriensis.
Cependant, sur 72 autres livres, la marque du possesseur avait été
effacée. Sur 650 livres qui comportent des ex-libris, 9 ouvrages furent
offerts par Charles d’Écluse à Balthasar Batthyány, conformément à la
marque de possesseur. D’après la réévaluation de 1935, de la bibliothèque,
les spécialistes ont pu établir avec certitude que le nombre de volumes
existants en 1661 s’élevait à 1735 unités compactes, soit de 3 000 colligés.
2. Et les bibliothèques au XVIIIe siècle ?
Tout au long du XVIIIe siècle, les magnats gardèrent un goût vif pour
les choses de l’esprit. Ils accumulaient les livres, en tant que richesse
matérielle et spirituelle à la fois. Mais tous ces livres furent à la portée
des femmes et des enfants des Batthyány et contribuèrent au changement
de leur mentalité. Mais les livres, comme les demeures, étaient légués en
permanence. Le premier né en tant qu’héritier, et le deuxième, qui dans
KOLTAI, András, Batthyány Adám és konyvtára/Adam Batthyány et sa
bibliothèque, Budapest – Szeged, 2002. Pour la bibliothèque de Balthasar, voir le livre
de Dora Bobory, Batthyány Boldizsár és humanista kore. Erudicio, természettudomány és
mécenatura egy XVI ik Századi Magyar four életében/Balthasar Batthyány et son cercle
d’humanistes. Érudition, sciences naturelles et mécénat dans la vie d’un noble hongrois
au XVIe siècle, dans Századok/Les siècles, 2005, nr. 4, p. 923-944.
4
226 DOINA HENDRE BIRO
la plupart des cas était consacrés à la carrière ecclésiastique, gardaient
le contact permanent avec les livres. Ils possédaient des bibliothèques
enrichies parfois par les dotes de leurs mères telles, Eva Poppel-Lobkovitz
ou Eléonore Strattmann.
Les Batthyány, conscients de la valeur des livres, furent les fondateurs
de neuf bibliothèques aménagées bien avant le Batthyaneum.
Une d’elle fut celle fondée par le Palatin Louis Ernest Batthyány. Dans
les inventaires effectués le 6 juin 1752, par le percepteur Johannes Hackel,
nous avons trouvé des listes contenant des livres très rares, certains en
français, dont : L’Atlas de Saint Sanson, l’ Histoire du Concile de Trente,
et le Traité de la Religion Chrétienne. A la place du livre de Bonfini,
intitulé Rerum hungaricarum il y avait la mention qu’il était toujours prêté
à Cristophe Erdödy. Nous avons compris le rôle du livre dans la vie d’un
magnat en se rapportant à la grandeur de sa bibliothèque5 d’autant plus,
qu’elle faisait partie du patrimoine mobile du Majorat du futur Palatin.6
Suivant les démarches de légataire, Louis Ernest termina cinq mois
avant sa mort, le 30 mai 1765, les inventaires qui accompagnaient son
testament : sur vingt pages, il présentait les meubles, les objets décoratifs
et les livres,7 qui revinrent avec les biens immobiles du majorat à son fils
Adam Vince. Cependant les livres, tout comme les terres, furent gérés par
son deuxième fils, Joseph, alors archevêque de Kalocsa. C’est lui qui veilla
à ce que les livres de la famille restent à Körmend.
Dans le Testament du prince maréchal Charles Batthyány, le frère du
Palatin, uniquement les manuscrits burgondes inscrits dans les listes de sa
bibliothèque étaient évalués à 24 000 florins. Rien de surprenant si on se
rappelle le fait qu’il fut apparenté avec les Wallenstein et que lui-même
avait vécu au Pays-Bas et notamment à Lunéville, en tant que remplaçant
de gouverneur en deux reprises.8
On pourrait avancer l’idée qu’au XVIIIe siècle la branche princière des
Batthyány-Strattmann, formée du Palatin et du Maréchal, les Batthyány
possédaient deux bibliothèques qui ont évolué séparément, jusqu’en 1765,
respectivement, en 1772. Après leur décès, les livres de deux frères furent
réunis, à peu d’exception.
Que parallèlement au moins deux des fils du palatin fondèrent leurs
propres bibliothèques : le primat Joseph, avec les moyens de l’Église et
5
MOL. P. 1317, Fasc. 30B, f. 32, inventaires de Johannes Hackel.
MOL. P. 1317, Fasc. 22, voir documents Majorat.
7
MOL, P. 1317, Fasc. 9, f. 1620.
8
MOL. P. 1317, Fasc. 14, f. 146-155, Acta testamentum principis Caroli a Batthyan
tangentia.
6
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
227
Théodore par des moyens personnels. Quant à Adam Vince, il fut l’héritier
de droit de la grande bibliothèque familiale, réunie à Körmend.
Par rapport au contenu on voit qu’au XVIIIe siècle les collections
des bibliothèques des Batthyány reflétaient les professions de chacun,
fait qui favorisa la constitution des bibliothèques spécialisées, autres que
la religion. Citons la bibliothèque technique et scientifique de Théodore
Batthyány, restitué par István/Etienne Monok,9 et celle du prince Charles
Batthyány, axée sur la littérature militaire et la géographie,10 qui toutes les
deux, suscitent toujours un grand intérêt.
Dans sa qualité de gérant « moral » de la fortune familiale, Joseph
Batthyány fit très attention aux livres. Ainsi déjà en 1772, l’année de la
mort de son oncle Charles Batthyány, il fut préoccupé par l’aménagement
de l’espace destiné à abriter ses livres.11 Il trouva que le meilleur endroit
pour les conserver était le château de Körmend, avec les archives, sous
la surveillance des fonctionnaires ici présents en permanence. Il eut aussi
l’idée d’y apporter de Rohonc les livres inscrits dans le Majorat, qui avaient
appartenu à son père, et de Transmanndorff, ceux qui avaient appartenu à
son oncle Charles. 12
Mária Dobri a analysé récemment les listes d’inventaires de Körmend,
comme celles effectuées en 1884, mettant en évidence le fait qu’au XIXe
siècle la superficie de la bibliothèque avait été agrandie et le nombre
de livres avait augmenté, par de nouvelles acquisitions et dons. Qu’au
premier étage du château de Körmend se trouvaient 3 177 tomes classés
en quatorze domaines d’après une annotation établie en chiffres romains,
de I à XIV. Sur ces listes, elle a trouvé une note sur le retour à Körmend
de 64 livres qui avaient été temporairement entreposés dans la résidence
permanente de la famille, à Rohonc. Le conservateur avance l’hypothèse
que ces livres auraient pu appartenir à la bibliothèque d’Adam I Batthyány,
conformément à une notice trouvée dans les inventaires, selon laquelle :
« certains bouquins français, rangés dans des coffres en bois… dans la
première salle il y a seize livres anciens, dans l’oratoire encore 1623 ».13
Les inventaires suivants furent effectués en 1915, par une commission
coordonnée par le baron Kálmán Miske, qui par la même occasion répertoria
MONOK, István, Batthyány Todor muszaki konyvtára/La bibliothèque technique
de Théodore Batthyány, en ligne.
10
ÖTVÖS, Péter, Egy fouri könyvtár 1772-böl/La bibliothèque d’un magnat en
1772, dans Magyar konyvszemle/Revue hongroise du livre, 1987, 1, p. 9-13.
11
KOPPANY, Tibor, La reconstruction du château de Körmend au milieu du XVIIe
siècle, dans Les siècles des Batthyány, Körmend, 2005, p. 57.
12
MOL, P. 1313, cs. 138, p. 74-75.
13
DOBRI, Mária, op.cit., p. 326.
9
228 DOINA HENDRE BIRO
les meubles et les objets d’art. Il avait déjà évalué plusieurs biens culturels
et artistiques à l’occasion de l’ouverture d’une première exposition en 1912
à Körmend. Les inventaires mentionnent que la bibliothèque était placée
dans la partie ouest du Ier étage du château et que les livres se chiffraient à
3 429 volumes et qu’ils avaient une valeur de 5 000 couronnes. Donc, 252
livres de plus par rapport aux derniers inventaires.
Enfin, un troisième inventaire effectué en 1932 identique au deuxième,
avec en plus un photo de la bibliothèque annexée.
Arrivé à ce point, nous avons tenté de reconstituer le fond des livres
inscrits dans le Majorat de Louis Ernest Batthyány, à partir de 1870, année
de la mort sans héritier direct, de son petit-fils, le prince Philippe. Car à ce
moment la transmission de l’héritage se fit vers Gustave (1803–1883), le
petit-fils de Théodore, le troisième fils du palatin. Celui comme son frère
Casimir/Kázmér, avaient vécu exclusivement en Italie, finit par déménager
définitivement en Angleterre. Dans ces conditions, il accepta la suggestion
de son frère, qui l’aidait dans ses affaires, de faire don de ses livres à la
Société Hongroise de Sciences.
Ce fut ainsi un moment très important, relevant de la générosité et la
responsabilité des Batthyány. Gustave accepta de léguer non seulement la
bibliothèque du Majorat, inscrite dans son Testament, mais aussi sa propre
bibliothèque de Kisbér composée de 2 660 volumes, dont quelques uns,
qui avaient appartenu à Joseph Batthyány. Son geste fut suivit par celui de
son frère Casimir qui légua à la même société scientifique la bibliothèque
personnelle du prince Philippe, dont il avait hérité à titre personnel et qu’il
avait gardée jusqu’alors à Rohonc. A préciser que de nos jours, leurs livres
se trouvent dans le même endroit.14
Certains inexactitudes et des pertes, par rapport aux inventaires effectués
en 1872, apparurent à l’occasion du passage de l’héritage de prince Gustave
à son fils Odön Batthyány (1826–1914), malgré le fait que les livres étaient
gardés en permanence à Körmend. Car il n’y avait plus ni les 732 titres, qui
avaient appartenu à la bibliothèque de Charles Batthyány, de Vienne, ni de
nombreux titres, provenant de Transmanndorff et de Ludbreg, qui avaient
appartenu aussi à la branche princière des Batthyány.15
Revenant à l’étude de Maria Dobri, qui refait la circulation des livres
de la bibliothèque de Körmend, après 1945, elle cite l’inventaire effectué
par János/Jean Kapossy le 2 octobre 1945, comme étant presque identique
DIVÀLD, Kornél, A Magyar Tudományos Akadémia palotája és gyűteményei/Les
collections du palais et de l’Académie Hongroise des Sciences, dans Magyarázó kalauz/
Guide des collections, Budapest : MTA (Magyar Tudományos Akadémia), 1917, p. 94.
15
MOL, P. 1320, cs. 7, p. 110-114.
14
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
229
avec celui de 1932. Toutefois, nous apprenons que les Russes qui avaient
transformé le château en quartier général et vandalisé les archives, avaient
dressé un mur et isolé ainsi la Bibliothèque du reste de château. Que la
moitié des livres ont été transportés en camion à Budapest, aux Archives
Nationales, avec les archives familiales, ensuite à la Bibliothèque Szécseny
où ils furent répertoriés. Cependant, l’autre moitié resta sur place encore un
certain temps.
En fin compte, sur les 3 429 volumes inscrits dans les inventaires de
1915 et de 1932, on retrouve de nos jours à la Bibliothèque Nationale
Szécseny, 1 646 titres, dont la plupart en plusieurs volumes. On sait
aussi que la bibliothèque militaire de Charles Batthyány se trouve depuis
dans le Musée des Arts Décoratifs de Budapest/Iparmuvészeti Muzeum.
Malheureusement, 800 titres se sont perdus au cours des déplacements
successifs.
Toutefois, nous avons pu confronter nos résultats avec les ceux d’András
Koltai et des certains conservateurs de Hongrie, pour conclure que très peu
de livres proviennent de la bibliothèque d’Adam I Batthyány, mais que la
plupart proviennent de celle de Charles, reconnaissables d’après les exlibris avec le texte « Ex bibliotheca celsissimi principis Caroli Battyani ».16
Sur le totale, seulement 160 des titres en français et hongrois sont de
XIXe, les autres étant bien plus anciens. Les trois incunables identifiés par
Péter Ötvös, parmi les livres provenant de Vienne, sont introuvables : deux
éditions rares de Biblia sacra, 1475 et 1478, et un Nouveau Testament,
1476.
Sur les 50 livres de XVIe siècle, 15 y sont toujours, pendant que sur
les 230 de XVIIe siècle, il restent seulement 200. L’historien du livre
Ötvös, qui a étudié les livres provenant de Payersbach, une des trois
bibliothèques de Charles Batthyány, qui se trouvent maintenant dans le
Musée d’Art Décoratif de Budapest, signala l’existence de quelques livres
de grande valeur, tels, Aureus Augustunius, Opera omnia, Basileae, 1543,
Calepinus, Dictionarium octo linguarum, Basel, 1584, Biblia sacra sex
linguarum, Norimbergae, 1599, un parchemin enluminé de XVIe siècle,
intitulé Les présentes heures sont à l’usage de Rom<e>e, Paris, chez G.
Hardouyn. Ces livres avait été trouvé parmi des livres de stratégie militaire,
fortifications, architecture, voyage. En fait, des titres qui se trouvent aussi
CSÁNKI, Eva, Az Iparmuvészeti muzeumban orzott Batthyány konyvtár kotéseitöl/
Sur la réliure des livres de la Bibliothèque Batthyány conservés dans le Musée d’Arts
Décoratifs, dans Les siècles des Batthyány, op.cit., pp. 331-334. Voir l’ex libris, dans les
annexes générales.
16
230
DOINA HENDRE BIRO
dans la Bibliothèque Batthyaneum à Alba Iulia démontrant ainsi à cette
époque la circulation et l’intérêt pour de tels livres.17
Désormais, beaucoup des livres qui avaient fait partie des bibliothèques
fondées par les Batthyány, peuvent se trouver actuellement en vente sur
certains sites. On trouve ainsi des informations sur le Codices heidelbergensis
Battiani, dans la bibliothèque de l’Université de Heidelberg, sur un
Catalogue of Rare Veterinary Books dans la Bibliothèque de l’Université de
Michigan, et même sur le Codex Rohonc. Tous ces livres portent une trace
indéniable, signe qu’on ne peut pas effacer son passé, l’ex-libris avec la
devise mentionnée, « Bibliotheca celsissimi principis Caroli Battyani » ...
3. Les bibliothèques des hauts dignitaires ecclésiastiques
au XVIIIe siècle
Pendant la partie pacifique du XVIIIe siècle, parallèlement avec la
reconstruction des villes détruites pendant les guerres avec les Turques, de
somptueux bâtiments ecclésiastiques furent érigés, symbolisant la force du
renouveau catholique ainsi que la reprise du pouvoir par l’Église romaine.
Les bibliothèques de style classique ou baroque devenaient une partie
intégrante et indispensable des palais et des résidences épiscopaux. Ces
bibliothèques avaient un rôle principalement représentatif et les livres
devaient avant tout impressionner et attirer l’attention sur des sources
livresques inestimables qui passaient souvent inaperçues. Cette fois, la
collection épiscopale de livres portait le caractère encyclopédique dans le
sens où elle contenait des ouvrages de tous les domaines scientifiques et
philosophiques.
Toutefois, la prédominance des oeuvres théologiques, philosophiques,
historiographiques et historiques était nette, tout comme en résulte de grand
nombre des catalogues : d’écrits de la littérature classique antique et les livres
rares d’une grande valeur s’y retrouvaient aussi en priorité. Cependant on
trouvait aussi de plus en plus d’ouvrages consacrés aux sciences naturelles.
Vers la fin du XVIIIe siècle, des ouvrages des représentants des Lumières,
français et européens, venaient enrichir les précieuses collections, à coté
même des livres de littérature étrangère contemporaine qui commençait à
intéresser les lecteurs. C’est alors qu’apparurent et de plus en plus de livres
dans d’autres langues nationales.
On notera par ailleurs que les fondateurs de telles bibliothèques furent
Joseph et Ignace Batthyány, à coté d’autres hauts dignitaires de l’Église,
qui possédaient des bibliothèques des plus illustres de cette époque comme
17
ÖTVÖS, Péter. Idem, op.cit., p. 5.
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
231
György/Georges Klimó (1770–1777), évêque de Pécs, le comte Kàroly/
Charles Esterházy (1725–1799), évêque d’Eger, et Adam Patachich
(1717–1784), évêque d’Oradea/Nagyvàrad, puis archevêque de Kalocsa.
Deux d’entre eux, les évêques Eszterházy et Klimó, avaient l’intention de
fonder en même temps des universités. Ils voulaient que les bibliothèques
soient un support ouvert pour la recherche scientifique. Désormais, dans
le cas des archevêques et de l’évêque de Transylvanie, leurs bibliothèques
desservaient déjà les étudiants et les professeurs des hautes écoles de
théologie.
Avec la création de la bibliothèque « publique », non pas ouverte au
public mais appartenant à l’État, apparut plus particulièrement la fonction
du bibliothécaire officiel : bibliothécaire impérial et royal, conformément au
décret du 20 octobre 1780. Du point de vue institutionnel, les bibliothèques
furent placées sous la tutelle de la Commission à l’enseignement, ce qui
signifiait en plus une correspondance administrative permanente avec les
autorités viennoises.18
On pourrait conclure qu’on assistait au XVIIIe siècle à une mutation dans
l’organisation du savoir, d’abord par l’intérêt, ensuite par la constitution de
catalogues scientifiques et de catalogues universels de chaque bibliothèque,
d’après un classement unitaire.
4. Les bibliothèques de Joseph Batthyány à Kalocsa, ensuite à Presbourg
L’intérêt pour les livres de Joseph Batthyány commença en 1752,
durant la période où il était chanoine à Esztergom, mais déjà collectionneur
de livres rares, de manuscrits et d’incunables.
L’aménagement de la bibliothèque de l’Archevêché de Kalocsa, la
fameuse « Bibliotheca venerabilis Capituli Colocensis », est dû à son
activité, depuis le temps qu’il était lui-même archevêque, sans éluder
toutefois le rôle des chanoines qui l’ont soutenu et aidé. Si l’acquisition
de la bibliothèque de Kalocsa lui doit beaucoup, il fut encore plus actif
dans la constitution de la bibliothèque primatiale d’Esztergom : il acheta et
fit traiter par Jakab Ferdinand Muller la bibliothèque de Mathias Bell, en
1769.19 Comme archevêque d’Esztérgom il continua son projet et on verra
comment après la construction du Palais primatial à Presbourg, Joseph
Batthyány y installa prioritairement les livres avec les manuscrits rares,
MADL, Claire, Trois bibliothécaires des Lumières et leur participation à la
constitution des bibliothèques « bohêmes », dans Histoire des bibliothèques, Lyon :
Enssib, 2003, p. 14.
19
Szelestei, Nagy Lászlo, Bél Mathyás kéziratos hagyatékának katalogusa/Le
catalogue des manuscrits de Mathyás Bél, Budapest, 1984.
18
232
DOINA HENDRE BIRO
sous la haute surveillance de deux chanoines, Joseph Calovino et d’Elek
Jordánszky. Les mêmes qui cataloguèrent tous les livres, jusqu’en 1820,
année où la bibliothèque fut transférée à Esztergom.20
Le Primat aida aussi à l’ouverture d’une bibliothèque scientifique
publique à Presbourg.21 En 1789, l’historien Práy avait consigné dans
son écrit Mindenes gyutemény/Mélange des collections les indications
suivantes : que la bibliothèque contenait, grâce au Primat, tous les livres
qui avaient un lien quelconque avec le Royaume de Hongrie et même des
dernières apparitions éditoriales. Que les livres anciens, y tenaient une place
importante, surtout les manuscrits médiévaux. Ses livres étaient tellement
importants et représentatifs, qu’en réalité, cette bibliothèque aurait pu
constituer la base d’une bibliothèque nationale.
Toutefois, Batthyány surveilla de près, en tant que chef de l’Église,
la réorganisation de la bibliothèque de Kalocsa qui s’appuyait sur la
bibliothèque du nouvel archevêque, Adam Patachich, nommé en 1776,
car il avait transporté d’Oradea/Nagyvárad plus de 7 825 unités. Le même
qui participa directement au travail d’organisation et d’acquisition des
nouveaux livres par l’intermédiaire de divers libraires d’Italie, de Vienne
ou de Bavière, afin de l’enrichir en permanence. A souligner aussi le rôle
d’István/Etienne Katona, historien et bibliothécaire à Kalocsa. Ainsi, grâce
à ce travail commun, en 1784, la bibliothèque comptait 19 000 livres, tandis
qu’après la mort de Patachich, par l’implication directe de Laszlo/Ladislas
Kolonics, les chiffres augmentèrent d’avantage.22
Etienne Monok, comme d’autres historiens du livre, affirme que les
collections des prélats catholiques pourraient amplement être considérées
comme étant à la base non seulement des bibliothèques historiques mais
aussi de celles de valeur nationale. D’autant plus que toutes les collections
des prélats furent tout d’abord considérées comme privées, mais à partir de
1601, ils durent les léguer à l’épiscopat ou à l’archevêché. Ce fut le cas des
bibliothèques ecclésiastiques de Trnovo/Nagyszombat, d’Esztergom, de
Kalocsa, d’Eger, de Pécs et non dernièrement de la Batthyaneum, d’Alba
Iulia.23
BEKE, Margit, Az Esztergomi Foszékesegyházi Konyvtár Batthyány
gyuteményének katalogusa/Catallogue de la collection Batthyány de la Bibliothèque
primatiale d’Esztergom, Budapest, OSZK (Bibliothèque nationale Szécsenyi), 1991.
21
Kelecsény, Gábor, Multunk neves könyvgyutöi/Collectionneur renommés
d’antan, Budapest, 1988.
22
Aujourd’hui elle comte environ 42 000 livres. www.asztrik.hu
23
MONOK, István/Etienne, Qui peut-on appeler bibliothécaires du XVIe au XVIIIe
siècle en Hongrie ? Budapest et Szeged, 2006, p. 8 ; SzarvAsi, Margit, Magánkonyvtárak
a 18. Században/Bibliothèques privées au XVIIIe siècle, Budapest, 1939.
20
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
233
Un argument supplémentaire réside dans le fait qu’une bonne partie
des livres appartenant à Joseph Batthyány arriva dans la Bibliothèque de
l’Académie Hongroise, par Gustave Batthyány, l’héritier du titre de prince
à la fin du XIXe siècle. Désormais les manuscrits sur parchemins se sont
constitués dans un fonds à part, à la Bibliothèque primatiale d’Esztergom.24
5. La Bibliothèque Batthyaneum, œuvre de l’évêque Ignace Batthyány
La formation de théologien et d’historien d’Ignace Batthyány
(1741–1798) se conjugue avec son goût pour les livres et les textes rares,
ainsi qu’avec son attention particulière pour les travaux d’érudition. Sa
bibliothèque est à l’image de l’homme et prélat ouvert qu’il fut. Déjà son
premier catalogue de livres reflète ses goûts et son intérêt pour certains
domaines de la recherche. Le comte évêque fonda un Institut et aménagea
dans son cadre un Observatoire astronomique, une Bibliothèque, une
Imprimerie desservie par quelques moulins à papier. Comme endroit
il choisit la ville d’Alba Iulia, siège du grand diocèse de Transylvanie.
Avant sa mort, il légua les biens de sa fondation à l’Église catholique et à
la Province de Transylvanie, fait qui détermina la famille d’intenter après
sa mort un long procès. Le déroulement du procès généra la fermeture
temporaire de la bibliothèque revendiquée par ses frères et l’exécution en
1802, d’un inventaire des biens mobiliers de l’institut Batthyaniani, sans
que le fonctionnement de l’Observatoire astronomique soit pour autant
suspendu.25
Les acquisitions de nouveaux livres n’étaient pas interdites non plus si
on tient compte des deux donations effectuées par le successeur d’Ignace,
l’évêque Jóseph Mártonffi, et par le Lycée diocésain de Cluj.26 A partir de
1815, le travail de classement des livres et celui de rédaction des nouveaux
catalogues effectué par le directeur Andreas Cseresnyé commencèrent à
être rémunéré conformément à la volonté du légataire.27
BEKE, Margit, Esztergomi érsekek/Les archevêques d’Esztergom, op.cit., p. 353.
Mártonfi, Antonius, Observationes astronomicae, 1799, Ms. XII 11 ; Continuatio
observationum astronomicarum factarum in observatorio Albensis Anni 1799, 1800, 1801,
Ms. IX 177 ; Miscellanea astronomica speculae Albae Carolinensis, A.-Carolina, 1800–
1851, Ms. VIII 66.
26
Consignatio Librorum ab excellentiss. Dno. Josepho Martonfi Episcopo
Transilvaniae nuper defuncto Bibliothecae Episcopali dispositioni testamentali legatorum,
c. 1815, 35 file, 413 titres, Ms. XI 437 ; Compte-rendu du Chapitre d’Alba Iulia, de 6 mars
1818, document no. 8718.
27
boite XXXVII, documents no. 203, Rationes Instituti astronomici : 1815, 1816,
1817, et 227, Rationes de Preceptis et erogatis fundi Astronomici 1a Augusti 1817.
24
25
234
DOINA HENDRE BIRO
A noter que ces catalogues restent toujours les meilleurs instruments
de travail du bibliothécaire et du chercheur.28 Toutefois elles furent
complétées par les ouvrages de Robert Szentivány, pour les manuscrits29, et
de Petrus Kulcsár, pour les incunables30. Toutes les démarches scientifiques
ultérieures ne sont que des recherches parallèles approfondies, dans le but
d’éclaircir le circuit ou l’aspect littéraire ou esthétique des manuscrits, des
incunables et des livres et accomplies par d’intéressantes études publiées.
Ou encore, des simples dérivations et spéculations sur les premiers résultats
obtenus, qui réduisent le rôle des prédécesseurs par les quelques fautes
ou omissions qu’ils avaient fait, inévitables d’ailleurs, il y a presque deux
siècles.
6. Et ses « mirabilia » ou les merveilles
L’ancienne église des Trinitaires, dans laquelle se trouve la Bibliothèque,
porte en majuscules dans son fronton le nom de la déesse de l’Astronomie,
Uraniae, semblant donner un autre nom au bâtiment.31 Monument
d’architecture baroque, placé dans la partie Nord-Ouest de la fortification,
l’Église trinitaire fut construite dès 1719, avec l’accord de Charles VI,
en parallèle avec les travaux de reconstruction de la fortification d’Alba
Iulia. Tout comme les abbayes et les Églises des Trinitaires de Vienne,
de Presbourg et de Belgrade, qui ont non seulement la même planimétrie
et répertoire décoratif mais aussi la clarté des formes et la sobriété des
façades.32
28
Cseresnyiés, Andreas, Catalogus primarum editionum, I-II, Ms XI 486,
Idem : Conscriptio bibliothecae Instituti Batthyaniani facta Anno 1824, I-II, 259, 250 f. ;
Index Juristarum, Philosopharum, Philologorum et Editionum Primaevarum ab inventa
typographia saec. XIX, 199f ; Catalogus primarum editionum, Incunabula, saec. XIX,
338 f.
29
Szentivány, Robertus, Catalogus concinnus librorum manuscriptorum
Bibliothecae Batthyanyanae, Editio quarta, retractata, adaucta illuminata, Szeged, 1958.
30
Kulcsár, Péter, Catalogus incunabulorum bibliothecae Batthyanyanae/Le
catalogue des incunables de la Bibliothèque Batthyaneum, Szeged, 1965.
31
URANIAE C(omes) IG.(Natius) DE BATTHYAN EP.(piscopus)
TRANS(silvaniae) POSUIT, 1794.
32
ŞERBAN, Ioan, Despre arhitectura fostei biserici trinitariene (azi Biblioteca
Batthyaneum) din Alba Iulia/Sur l’architecture de l’ancienne Église Trinitaire
(aujourd’hui Bibliothèque Batthyaneum) d’Alba Iulia, dans Apulum, XIII, 1975, pp. 373385 ; ŞERBAN, Ioan, Edificiul Batthyaneum la sfârşitul secolului al XVIII-lea. Addenda
la un studiu privind arhitectura fostei biserici trinitariene/L’édifice Batthyaneum à la
fin du XVIIIe siècle. Addenda d’une étude concernent l’architecture de l’ancienne Église
Trinitaire, dans Apulum, XVII, 1979, pp. 477-487.
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
235
Dans la Aula Magna, grande salle placée au deuxième étage du
bâtiment, aménagée à cette destination, on a l’impression de pénétrer dans
un véritable temple du savoir, à cause des arcs et des voûtes, des portails
qui permettent le passage et des colonnes, suggérées par l’ameublement,
le tout, veillé par la déesse Minerve, qui porte dans son bouclier le blason
de l’évêque Batthyány. Les parties sont nettement délimitées, nef, cœur,
autel central, tandis qu’une galerie surmontée valorise en hauteur l’espace
intérieur et les murs complètement couverts des livres.33
La Bibliothèque a à la base un noyau de valeurs bibliophiles détenues
par Ignace Batthyány en partant des achats effectués lors de son séjour
d’études à Rome. Ensuite par les acquisitions faites pendant les 15 années
qu’il avait passées à Eger en tant que prélat, collections appartenant en partie
à des ordres religieux, destitués en Bohême, en Slovaquie et en Autriche.
La valeur de sa bibliothèque a considérablement augmenté en 1782 par
l’achat de la collection de l’archevêque de Vienne, le Cardinal Christophoro
Migazzi. On sait qu’il fut aidé du chanoine Imre Dániel, et qu’il suivit les
meilleurs conseils de Michael Johann Denis, l’évaluateur des livres qui
le conseilla d’acheter aussi l’ensemble, les riches manuscrits.34Seule cette
acquisition apporta plus de huit mille volumes en provenance d’Europe
Centrale et Occidentale, y compris des incunables et des manuscrits, dont
un carolingien de très grande valeur.
L’Aula Magna abrite depuis le début les livres qui constituent le fond
initial de la bibliothèque, complété au fil des années à 30 000, par les legs
des évêques catholiques de Transylvanie, devenus traditionnels, comme
celui de l’évêque Mihály/Michel Fogarassy, décédé en 1882, qui légua
4 500 unités 35 et celui de János/JeanTemesvári, décédé en 1936, qui légua
lui 2 000 livres.36
MÂRZA, Iacob, Un tezaur al culturii europene in Biblioteca Batthyaneum din
Alba Iulia/Un trésor de la culture européenne dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba
Iulia, Secolul XX, no. 272-273-274 (8, 9, 10), 1983.
34
Lettre d’Ignác Batthyány à Imre Dániel du 26 octobre 1780, B.B.A.I. ; Idem
du 27 juin 1781, B.B.A.I ; Idem du 4 septembre 1781, B.B.A.I ; Idem du 30 novembre
1781 ; B.B.A.I ; idem du 23 janvier 1782, B.B.A.I. ; Lettre d’Ignáce Batthyány à Imre
Dàniel du 27 avril 1782, B.B.A.I. ; Voir expressément, JÁkó, Zsigmond, A Batthyaneum
könyvtár tőrténetéböl. I.A Migazzi gyűtemény megszerzése/L’Histoire de la Bibliothèque
Batthyaneum. L’achat de la collection Migazzi, dans Könyvtári szemle, XIII, 3, 1969,
125-129, et MÂRZA, Eva, MÂRZA, Iacob, Bibliotheca Migazziana Viennensis, sugestii
pentru o reconstituire/Des sugestions pour une reconstitution, ms.
35
Donatio Benevolis ep. Fogarasy Michaelis (1878–1882), Ms. XI 368, 128 f. ; Ms.
XI 367, 136 f., şi Ms. XI 62, 45 f.
36
MÂRZA, Iacob, La Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, dans Transylvanian
Review, Tome IV, no. 2, 1993, pp. 48-56.
33
236
DOINA HENDRE BIRO
La Bibliothèque Batthyaneum, appartenant à la Bibliothèque Nationale
de Roumanie, compte aujourd’hui environ 71 500 unités, dont 1670/1778
chartes et manuscrits sur parchemin. Parlant en pourcentages, environ 300
sont des manuscrits médiévaux occidentaux représentant 80 % du total des
manuscrits conservés en Roumanie, tandis que les incunables constituent
70 % du même total.37 Il y a 7 950 livres imprimés entre le XVIe et le XVIIe
siècle, et plus de 16 000/16 100, au XVIIIe siècle.
La langue prédominante dans la rédaction des manuscrits et imprimés
est le latin, en proportion de 75 %, langue qui a conféré l’unité de la culture
européenne, toutefois on trouve aussi des écrites d’environ trente autres
langues et dialectes.
Quant aux domaines traités, ils sont représentés parfois par des vrais
ouvrages encyclopédiques classés tous dans un ordre chronologique.
Parmi les unités répertoriées, plus de 17 000 ont un rapport direct avec
l’Histoire, y compris avec celle de la Transylvanie, enrichissant les sources
de recherches historiques. A celles-ci s’ajoutent les approximatifs 9 500
périodiques et plus de 46 000 documents d’archives. Les codex, véritables
« mirabilia », couvrent une longue période du IXe au XVIIIe siècle, et
désormais 273 d’entre eux sont écrits avant 1526. Mais ce qui donne encore
plus de valeur et de beauté à plus de quarante manuscrits ce sont les riches
ornements dont ils sont illuminés.
Concernant le contenu, la plupart sont des manuscrits religieux,
amplement représentés : les bibles, les études d’exégèses bibliques, les
homélies, les sermons, les missels, ainsi que les études théologiques,
dogmatiques, morales ou pastorales, de toutes les religions confondues.
Toutes aussi importantes sont les collections d’histoire de l’Église, suivies
par celles du droit canon et du droit civil.
Citons quelques manuscrits remarquables, soit par la renommée
de leur auteur, soit par la beauté de leurs caractères ou leur particulière
ancienneté38 : Codex aureus intitulé Evangelium scriptum cum auro
pictum habens tabulas eburneaes, ou Das Lorscher Evangeliar. I. Theil,
37
607 c’est le chiffre avancé par Iacob Mârza, dans les années 1990, mais il a été
modifié à seulement 571 incunables par Madame Ileana Darja, dans son récente étude,
Tentatia lui Homo europaeus : episcopul romano-catolic Batthyány Ignàc (1741–1798)/
La tentation de l’Homo europaeus : l’évêque Ignace Batthyány, la différence qui aurait pu
apparaître après une réévaluation, par échanges des exemplaires doubles, ou par dons.
38
Kósza, Zsuzsana/Susanne, Bibliothèques en Transylvanie, ouvrage de Maîtrise
à INALCO, Paris, 2000/2001, sur les bibliothèques hongroises de Transylvanie, en somme
celles fondées par les nobles hongrois, tels, Ignace et Joseph Batthyány et le comte Teleky,
dans laquelle elle fait une impressionnante description.
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
237
Mss. II Ib, v. 1 ; Evangelium secundum S. Lucam, Xe s/Fragmentum libri
evangeliorum continens evangelium Lucae/mss. I. 161, v. 2/image 1 ;
Lectionarium, saec. XI, Mss. II 128, v. 4 ; Breviarium, saec. XI–XII, Mss.
III. 75, v. 5 ; Evangeliarum, saec. XII, Mss. II. 108, v. 6.
Parmi les manuscrits qui pourraient avoir un rapport direct à la
France, soit comme lieu d’exécution soit de décoration, il faut absolument
mentionner39 : Caius Sallustius Crispus, Liber de bello Jugurthino, Xe
siècle, mss. III 79, v. 3 ; Psalterium Davidicum cum calendario, XIIIe
siècle40, Mss. III. 34, v. 12 ; Biblia sacra, XIIIe siècle, Mss. III. 121, v. 20 ;
Horae cannonicae (diurnae) Latinae et Gallice, XVe siècle, appelé aussi
Codes Burgundus, Mss. III. 87, v. 54 ; Missale Strigoniese, 1377, avec la
reliure de XVIIIe siècle, Mss. II. 134, v. 67 ; Psalterium Davidicum, Saec
XV, Mss. III. 127, v. 125, in octavo.
Si nous avons cité les quelques manuscrits surtout pour leur esthétique,
il y en a d’autre tout aussi importants, que nous rappellons pour le contenu,
tel, Petrus Lombardus episcopus Parisiensis. Sententiarum, libri IV, XIIIe
siècle.
La Bibliothèque conserve aussi 571 incunables, livres apparus en
Europe, jusqu’en 1500, issues de 223 maisons d’édition, qui ont déroule
leur activité dans 38 villes. Dont, des ateliers de Venise, Nüremberg,
Strasbourg, Cologne, Ulm, Bâle, Augsbourg et Milan, entre autres, et
sont représentés par la production des imprimeurs les plus connus, tels,
Antonius Köberger, Erhardus Radtolt, Antonius Saorg, Nicolaus Jenson,
Alde Manuce, Johannes Zaines et autres. La valeur de cette collection est
conférée par l’ancienneté et par la rareté des exemplaires, à part le nombre
important détenu. La collection compte une trentaine d’éditions princeps
et un grand nombre d’éditions rares. Désormais, les incunables français
on été publié en 1975 par Dima-Drăgan dans le 1er numéro du Bulletin
du bibliophile, pp. 1-27. Néanmoins, l’incunable le plus ancien de la
Bibliothèque Batthyaneum porte le titre de Summa de casibus conscientiae
d’Astesanus de Ast et fut imprimé en 1466 à Strasbourg par Johannes
Mentelin.
A partir du XVIe siècle, on assiste en Europe à une importante circulation
des livres français, du à l’augmentation des presses typographiques et à la
Réforme et, implicitement, à une hausse quantitative des ouvrages transmis
Pour la sélection des ouvrages cité, nous avons employé le livre : Biblioteca
Batthyaneum din Alba Iulia, Biblioteca Centrală de Stat, Bucureşti, 1957, pp. 13-45.
40
MÂRZA, Iacob, BICA, Lucia, Cristina, Psaltirea lui David cu calendar/Le
Psautier de David comportant un calendrier, Meridiane, Bucureşti, 1977. VARJU,
Elemér, A gyulafehérvàri Batthyány konyvtàr, Budapest, 1899, pp. 101-271.
39
238
DOINA HENDRE BIRO
par les éditeurs et les libraires français, ce qui fait augmenter l’intérêt pour
les contenus mais aussi pour la langue française.
Une de maison d’édition française la plus représentée dans la
Bibliothèque Batthyaneum, parmi les plus de 140 répertoriées, est celle
des Etienne ayant comme marque l’olivier. La famille d’imprimeurs, des
libraires et d’érudits humanistes célèbres, spécialisés dans la publication
de textes anciens, latins et grecs, rédacteurs de préfaces, linguistes et
spécialistes dans la grammaire française, ils se retrouvent tous par leurs
œuvres, en commençant avec Henri I et Robert I, en finissant avec François,
Charles et Antoine.
Impossible de poursuivre cette énumération, sans faire une mention
exceptionnelle sur l’existence d’une centaine d’éditeurs et des libraires
lyonnais, richement représentés par leurs ouvrages. Leur étude se poursuit
et un catalogue est envisageable en collaboration avec Madame Bianca
Biro.
Cependant quant aux domaines de recherche, les livres français imprimés
de XVIe– XVIIe siècles, de la Batthyaneum, couvrent en prépondérance le
domaine de la religion. Doit-on présenter, même brièvement, la très riche
collection des Bibles, formée de 660 exemplaires, dans plus de 30 langues
de la terre et dans une variété infini de modes d’impression, de reliure et,
dans certains cas, d’illustration. Elles comprennent des nombreux in-folio
issus des presses les plus célèbres, dont les Etienne, par les tomes énormes
en volume et en poids, reliés de bois et cuire et comportant des chaînes.
(Voir dans les annexes, une liste de 33 Bibles qui font l’objet de notre fond
Gallica).
Après la théologie, les sciences, sont assez bien représentés, comme
la médecine ou d’autres sciences, telles, la géographie, l’astronomie, la
chimie, la physique et les sciences naturelles, bien que moins nombreux,
qui couvrent les domaines d’intérêts différents41. Grâce au professeur
Constantin Bart, le fonds médical fut amplement recherché et publié. Il
signala les 49 manuscrits et les 37 incunables ayant une liaison directe avec
MÂRZA, Iacob, Un tezaur al culturii europene în Biblioteca Batthyaneum din
Alba Iulia/Un trésor de la culture européenne dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba
Iulia, Secolul XX, nr. 272-273-274 (8, 9, 10), 1983. J. Macurek, Prameny kdejinám
ceskoslovenskum, dans Vestnik královské ceske spolecnosti nauk, I, 1924, pp. 36-94 ; voir
aussi PALL Francisc, Documents inédits du XIVe et XVe siècles concernant la Bohème (de
la Bibliothèque Batthyaneum, Roumanie), Folia diplomatica I, Brno, 1971, pp. 253-255,
et BART, Constantin, Une bibliothèque documentaire d’Alba Iulia : Batthyaneum, dans
Acta Musei Apulensis, 1968.
Note : Bianca Biro, latiniste, spécialiste de la période Patristique, vit actuelement à Lyon.
41
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
239
la médicine, ainsi qu’environ 2 000 titres, comme les écrits de plus de 10
auteurs appartenant à la Faculté de Médicine de Montpellier, tels, Arnaud
de Villeneuve et Raymond Lulle, certains en éditions princeps, ou très rares.
Citons de cette catégorie, De planetarium in fluxu in corpus humanum de
Mesmer, dont un deuxième exemplaire se conserve de nos jours à Vienne.
Toutefois, sans vouloir citer toutes les domaines d’intérêt de la
Batthyaneum, ajoutons un seul mot sur l’histoire qui est représentée par des
livres importants, rares, ayant une circulation restreinte dans les grandes
bibliothèques, comme par exemple, Antiquitatum variarum autores,
quorum catalogum sequens continet pagella, Apud Seb. Gryphium,
Lugdunum, 1522. Y s’ajoutent pour le XVIIe et XVIIIe siècles, les plans,
les cartes, les traités de fortifications du maréchal Vauban, comme tous
les ouvrages de stratégie militaire de Montecucoli, d’Eugène de Savoie et
d’autre maréchaux, sont à la base de la place forte même de la ville d’Alba
Iulia.
Tous ces informations vont non seulement dans le sens des changements
historiques qui ont eu lieu dans l’Europe Centrale et de l’Est, mais aussi
dans celui des mutations qui ont eu lieu dans le plan du mental
Il nous a semblé nécessaire de mettre en évidence l’ouverture culturelle
des provinces appartenant à la Maison d’Autriche en général et l’image
du monde du livre de Transylvanie en particulier. Le recensement et le
catalogage des livres français de la Bibliothèque Batthyaneum se veut le
plus complet possible, par la présentation des catégories thématiques et des
centres typographiques, assez bien représentées.
Désormais les plus de 5 000 unités bibliographiques existant, nous ont
permis d’entamer un vaste et généreux projet qui se déroulent déjà depuis
deux ans : celui de mettre en évidence le fond Gallica par une bibliographie
que nous espérons éditer et publier, dans le but de créer une nouvelle base
de donnés pour les chercheurs, donc d’inscrire ainsi ces valeurs dans le
circuit international.
Le tout devienne possible, grâce à cette merveilleuse Bibliothèque et
à son fondateur, Ignace Batthyány. On pourrait croire dans la vocation de
bâtisseurs des Batthyány, car tel fut leur but, de bâtir sur tous les plans :
créer des architectures réelles, par les monuments, les châteaux, les palais,
les forteresses et les églises ; créer en même temps des architectures
spirituelles par les bibliothèques et les fondations culturelles et par les
livres écrits. Dans les deux cas, il s’agit de tout autant de signes du pouvoir,
qui rendent depuis leur force et leur pérennité.
Voilà les hommes du XVIIIe siècle, fondateurs des bibliothèques, des
rêves renfermés dans les livres, des véritables homo europaeus, comme
240 DOINA HENDRE BIRO
les nommait Victor Neumann. Arrivés à la fin de cette brève présentation,
il nous reste la citation d’Umberto Eco, repris par Iacob Mârza, selon
lequel une telle richesse nous amène à penser que les bibliothèques sont
des témoignages de l’universalité et encore que « le Paradis pourrait être
imaginé comme une bibliothèque ».42
Charles Batthyány.
42
MÂRZA, Iacob, op. cit., p. 274.
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
La Bibliothèque Batthyaneum - L’Aula Magna.
Ignace Batthyány.
241
242 DOINA HENDRE BIRO
Joseph Batthyány.
Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques.
Louis Batthyány.
243
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est
et du Sud-Est au XVIIIe siècle : quelques questions
SABINE JURATIC
S’il est généralement admis que la seconde moitié du XVIIIe siècle
coïncide en Europe avec une intensification de la circulation des livres
français, intensification qui participe étroitement à l’hégémonie de cette
langue, dans quelle mesure et par quels canaux l’Est et le Sud-Est européens
ont-ils pu être atteints par le phénomène ? Cette question, qui pose le
problème plus général de l’articulation des usages linguistiques avec les
pratiques de la librairie, a été abordée le plus souvent jusqu’à présent du
point de vue de la réception, à travers le repérage des livres présents dans
les bibliothèques privées, des titres offerts en vente par les catalogues de
libraires ou des représentations de pièces du répertoire théâtral français.
Cette optique fructueuse a permis de mettre en évidence en Europe centrale
et orientale des régions et des catégories de populations particulièrement
ouvertes aux œuvres et à la langue françaises1.
L’étude qui suit inverse la perspective en déplaçant le point d’observation
sur les conditions d’exportation des publications à partir de Paris, principal
centre de l’édition française à cette époque. Les mécanismes en jeu dans
1
Voir à cet égard, les publications anciennes sur l’influence française dans telle
ou telle région par exemple : DEMETRESCU, Alexandre, L’influence de la langue et de
la littérature françaises en Roumanie. Dissertation présentée à la Faculté des lettres de
l’Académie de Lausanne, Lausanne : Imprimerie Corbaz & Comp., 1888, ou DEANOVIC,
Mirko, Anciens contacts entre la France et Raguse, Zagreb : Institut français de Zagreb,
1950. Certaines recherches menées plus récemment ont adopté une perspective davantage
orientée vers l’histoire du livre, ainsi par exemple, GRANASZTOI, Olga, « La librairie
viennoise et l’approvisionnement de la Hongrie en livres français dans le dernier tiers du
XVIIIe siècle », in: FRIMMEL, J., WÖGERBAUER, M. (Hrsg.), Kommunikation und
Information im 18. Jahrhundert. Das Beispiel der Habsburger Monarchie, Wiesbaden :
Harrassowitz Verlag, 2009, p. 163-172.
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
245
ces circulations soulèvent en effet de nombreuses interrogations relatives à
l’organisation du commerce européen du livre dans son ensemble et à la mise
en place de courants d’échanges livresques ou culturels privilégiés entre
certaines aires géographiques. Ces questions, pour lesquelles l’existence de
sources appropriées, notamment de comptabilités ou de correspondances
de libraires, fait malheureusement trop souvent défaut, seront examinées
ici à la lumière des pratiques générales de la librairie au XVIIIe siècle2, et
éclairées de façon plus précise, à travers les expériences de quelques grands
éditeurs parisiens pour lesquels on dispose de renseignements un peu plus
étoffés : Antoine Claude Briasson, l’un des quatre associés à la publication
de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Nicolas Bonaventure
Duchesne, principal éditeur de nouveautés littéraires et de théâtre dans la
capitale française, et Nicolas Desaint, héritier en 1764 d’une des premières
maisons d’édition de la place de Paris3.
Les informations dont on dispose sur les pratiques commerciales de
ces trois libraires permettent en effet de poser quelques jalons en vue de
reconstituer les conditions de circulation des livres entre la France et les
autres pays d’Europe, de préciser le cadre de ces échanges et les médiations
qu’ils requièrent. Après avoir brièvement rappelé les obstacles qui
s’opposent à l’établissement de contacts directs entre les libraires français et
les régions de l’Est et du Sud-Est européen, on s’efforcera donc de présenter
2
Pratiques qu’a notamment permis de reconstituer de façon assez précise l’enquête
menée à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS-ENS, Paris) sur les
libraires et imprimeurs en France au XVIIIe siècle. Voir BARBIER, Frédéric, Lumières
du Nord. Imprimeurs, libraires et « gens du livre » dans le Nord au XVIIIe siècle (1701–
1789), Genève : Droz, 2002 et BARBIER, Frédéric, JURATIC, Sabine et MELLERIO,
Annick, Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris, 1701–1789 (A-C),
Genève : Droz, 2007.
3
De Briasson ont été conservées un ensemble de lettres adressés au secrétaire de
l’Académie des sciences de Berlin, Pierre Henri Samuel Formey (FONTIUS, Martin,
GEISSLER, Rolf et HÄSELER, Jens (ed.) Correspondance passive de Formey. 1, Lettres
adressées à Jean-Henri-Samuel Formey : 1739–1770/Antoine-Claude Briasson et NicolasCharles-Joseph Trublet, Paris : Champion ; Genève : Slatkine, 1996). Le décès brutal de
Duchesne en 1765 est l’occasion de dresser un inventaire détaillé des dettes actives et
passives d’une librairie alors en pleine ascension : « Etat de ce qui est du à la succession
de M. Duchesne par les marchands des provinces du royaume et des païs étrangers »,
Archives nationales, Minutier central des notaires (ci après AN, MC), et/LXIV/388, 9
juillet 1765. Enfin une série de registres comptables tenus par Nicolas Desaint, puis par sa
veuve, donne la possibilité de reconstituer le réseau des clients de cette maison entre 1765
et 1783 et, même, certaines années, de connaître au jour le jour le détail des commandes
de livres qui ont été expédiées en France et à l’étranger (Bibliothèque historique de la ville
de Paris [ci après BHVP], ms. NA 490).
246 SABINE JURATIC
quelques-uns des caractères de l’exportation de livres depuis Paris, de
repérer les circuits et les intermédiaires impliqués dans le commerce des
imprimés francophones et d’avancer, en guise de conclusion provisoire,
quelques considérations sur la nature des textes mis en circulation.
Un territoire difficile à atteindre
Un premier constat s’impose d’emblée : les libraires de France, et
particulièrement ceux de Paris, s’ils ont quelques liens avec les pays du NordEst de l’Europe, n’entretiennent aucune relation commerciale directe avec
les régions du Sud-Est. Pas plus les annuaires professionnels répertoriant
les principaux libraires européens, imprimés à Paris à la fin de l’Ancien
Régime4, que les relevés de débiteurs consignés dans les déclarations de
faillites de professionnels du livre au XVIIIe siècle ne signalent en effet de
correspondants dans ces régions. Il en est de même pour les deux maisons
d’édition pour lesquelles nous disposons de sources plus précises sur la
clientèle : le relevé de dettes actives de Duchesne en 1765 ou les registres
comptables de Nicolas Desaint, pour la période 1765–1774, ne mentionnent
pas non plus le moindre client dans cette zone géographique.
Une telle situation s’explique d’abord par les caractères de la région,
peu alphabétisée et surtout morcelée politiquement entre domination
ottomane, monarchie des Habsbourg et influence vénitienne, et marquée
par une grande diversité linguistique et confessionnelle. Une première ligne
de fracture isole ainsi les régions orientales de confession orthodoxe sous
domination ottomane, peu perméables aux imprimés en français puisque
le livre y relève essentiellement du registre religieux, qu’il est placé sous
l’autorité de l’église et concerne presque exclusivement la liturgie5. Dans les
régions, généralement catholiques, du Nord Ouest et de la façade maritime
occidentale, dépendant des Habsbourg ou de l’aire d’influence de Venise,
le livre francophone est davantage susceptible de pénétrer, comme on peut
le constater à Raguse6. La distance constitue toutefois aussi à l’évidence un
autre frein à la circulation de livres provenant de France et ce d’autant plus
que l’étroitesse du marché local et la concurrence des presses viennoises et
PERRIN, Antoine, Almanach de la librairie, Paris, Vve Duchesne, 1781. Cet
almanach a servi de base à l’établissement de la carte publiée dans CHARTIER, Roger
et MARTIN, Henri-Jean, Histoire de l’édition française, t. II., Le livre triomphant,
Paris : Fayard, 1990 (2e édition), p. 396 .
5
PIPPIDI, Andrei, « Pouvoir de l’imprimé, imprimé pour le pouvoir », in : PAUN,
R.G. (éd.), Imprimé et pouvoir, France, Russie, principautés roumaines (XVIe–XIXe
siècles), Bucarest : Institutul cultural roman, 2008, p. 29-45.
6
DEANOVIC, M., op. cit.
4
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
247
vénitiennes compromettent les velléités d’implantation commerciale dans
la région pour des libraires établis à l’Ouest de l’Europe. Pas plus que les
libraires français, la Société typographique de Neuchâtel, fondée en 1769
et pourtant connue pour son intense activité de diffuseur, n’échappe à cette
contrainte, puisqu’elle ne compte apparemment aucun correspondant dans
la région à la fin du siècle7.
Aux limites résultant de la situation géographique et politique des
espaces sud-européens, s’ajoutent cependant d’autres facteurs, plus propres
au régime de l’édition française. Trois traits influent particulièrement sur
la diffusion des titres produits en France, le faible poids occupé par les
publications en latin, le repli de la librairie sur le marché intérieur, la
fermeture des métiers du livre aux étrangers. L’expansion de la langue
française au détriment du latin dans les textes imprimés, précoce en France
puisque le latin est concurrencé dès la fin du XVIe siècle et qu’en 1764 les
impressions dans cette langue représentent moins de 5 % de la production
du royaume8 conditionne en premier lieu le commerce des libraires. En
position de force sur le marché du livre francophone, ceux-ci peuvent en
effet se trouver en décalage avec la situation qui prévaut au même moment
dans d’autres pays européens où l’usage du latin, plus répandu, freine la
circulation des publications françaises au point même, parfois, d’imposer
la traduction d’ouvrages du français en latin pour élargir leur audience,
comme ce fut le cas pour les Lettres provinciales de Pascal, traduites en
1664 par les soins de Pierre Nicole9.
Un autre facteur structurant du commerce réside dans la politique du
livre instaurée à la fin du XVIIe siècle par la monarchie française, politique
qui a généralisé la censure préalable à toutes les publications et favorisé
l’attribution des permissions et privilèges d’édition aux seuls libraires
parisiens. Elle a en effet eu pour conséquence de renforcer la concentration
des activités d’édition à Paris, ville où exercent en permanence au XVIIIe
siècle plus d’une centaine de professionnels, libraires, imprimeurs et
7
Selon les premières cartes établies par l’équipe dirigée par Simon Burrows à
l’université de Leeds, à partir des archives comptables de la Société typographique, et
présentées sur le site : http://chop.leeds.ac.uk/stn/.
8
WAQUET, Françoise, Le latin ou l’empire d’un signe, XVIe–XXe siècles, Paris :
Albin Michel, 1998, p. 102-106 ; CHARTIER, R. et MARTIN, H.-J., Histoire de l’édition
française, op. cit., p. 121-124.
9
Ludovici Montaltii Litterae provinciales de morali et politica Jesuitarum
disciplina, a Wilhelmo Wendrockio [P. Nicole],... e gallica in latinam linguam translatae...,
Helmaestadii : typis J. Mülleri, 1664, in-4°. Voir GUILBAUD, Juliette, « Le statut de la
langue latine dans les éditions jansénistes au temps de Port-Royal », in : BAUSTERT, R.
(dir.), Le jansénisme et l’Europe, Tübingen : Narr Verlag (Biblio 17, 188), 2010, p. 269-280.
248 SABINE JURATIC
marchands de livres au détail. Bénéficiaires d’une sorte de « rente de
situation » du fait de la domination d’un marché intérieur en expansion grâce
aux progrès de l’alphabétisation, les éditeurs de Paris ont probablement une
moindre nécessité que leurs confrères d’autres villes, de France, comme
Lyon, ou de l’étranger, de rechercher au-delà des frontières des débouchés
pour leurs éditions.
Il faut rappeler enfin que, dans le même temps, le contrôle exercé sur
les professionnels qui favorise la transmission familiale et la fermeture
du métier aux nouveaux venus aboutit à l’exclusion presque totale des
étrangers des communautés de libraires des grandes villes françaises. À
Paris par exemple, au cours du siècle qui précède la Révolution française,
si l’on excepte quelques ressortissants d’Avignon, à peine une demidouzaine de libraires d’origine étrangère ont été reçus maîtres libraires
ou imprimeurs10 et cette situation contraste fortement avec celle que l’on
observe à la même époque dans d’autres pays européens beaucoup plus
accueillants, notamment les Provinces-Unies ou l’Angleterre.
La conjonction de ces différents facteurs explique que les échanges
des libraires parisiens avec l’étranger n’aient concerné qu’une fraction
réduite de leur activité et que cette part ait même peut-être eu tendance à
diminuer encore au cours du XVIIIe siècle. À la fin du siècle précédent,
l’inventaire établi après le décès du libraire Daniel Horthemels en 1691
mentionnait en effet cent quarante-trois lettres à des confrères hollandais11.
Trois ans plus tard, lorsque le libraire Jean Boudot, acculé à la faillite
par les difficultés liées à la guerre de la Ligue d’Augsbourg, est obligé
de conclure un arrangement avec ses créanciers, il leur présente un état
détaillé de ses débiteurs, dans lequel apparaissent les noms de quarante
libraires étrangers dont les dettes représentent plus du tiers du montant total
de ses actifs12. Parmi ses correspondants on remarque toutefois plusieurs
10
Parmi lesquels Gian Claudio Molini, originaire de Livourne, reçu maître en 1765
à Paris, où il exerce en étroite collaboration avec trois de ses frères installés à Londres et à
Florence ; son activité illustre l’étendue des débouchés internationaux dont s’est en partie
privée la librairie de la capitale française par le choix d’une attitude protectionniste et de
repli sur elle-même. Voir GRECO, Luigi, « Un libraire italien à Paris, Gian Claudio Molini
(1724–1812) », Mélanges de la bibliothèque de la Sorbonne, 1990, t. 10, p. 103-121.
11
AN, MC : XLIX, 397 (11 décembre 1691). Je remercie Otto Lankhorst de m’avoir
aimablement communiqué cette information.
12
« Estat en detail des effets que Madame Martin et moi avons a retirer des pays
étrangers dont il m’apartient 3/8 mes », inclus dans son « Estat des effets actifs et dettes
passives de moy Jean Boudot libraire à Paris» annexé à l’acte d’attermoiement conclu
entre Marie Thérèse Martin, épouse et procuratrice de Boudot, et les créanciers de son
mari (AN, MC : et/XLIX/402, 24 février 1694).
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
249
huguenots français réfugiés à la suite de la Révocation de l’édit de Nantes et
la situation observée en cette fin de siècle est donc en partie conjoncturelle,
comme le confirment les données disponibles pour la seconde moitié du
XVIIIe siècle. En 1765, les créances avec l’étranger ne compte en effet
que pour environ 20 % des « bonnes dettes » de Duchesne et les envois
hors du royaume ne concernent que 37 % des expéditions de Desaint la
même année13. Le poids des échanges entre Paris et les pays étrangers est
donc limité à cette époque, toujours moindre que celui des débouchés sur le
marché intérieur, et il est sans commune mesure avec ce qu’il représente au
même moment dans d’autres grandes places de librairie, comme Amsterdam
et les villes des Provinces-Unies, mais aussi comme Liège, Genève ou
Neuchâtel, cités presque entièrement vouées au commerce d’exportation et
qui concurrencent sérieusement les éditeurs parisiens dans le domaine des
éditions en langue française.
Distances, obstacles matériels et concurrences commerciales
représentaient de réels handicaps pour les libraires français qui tentaient de
prendre position sur les marchés d’Europe centrale et orientale. L’existence
largement attestée d’ouvrages francophones dans les collections publiques
ou privées de ces régions apporte pourtant la preuve que ceux-ci circulaient,
soit par l’intermédiaire des réseaux commerciaux du livre et de leurs relais
traditionnels, soit par des canaux qui ne relevaient pas tous du monde de
la librairie stricto sensu car, on distinguait, dans la pratique, différents
niveaux d’implication des acteurs de ces échanges.
Des circulations hiérarchisées
Les sources parisiennes disponibles apportent quelques indications sur
le commerce international et sur les principaux interlocuteurs des libraires,
et permettent ainsi de déterminer des flux dominants ou secondaires. Elles
font aussi émerger certaines spécificités liées aux orientations privilégiées
par chacun de nos trois libraires de référence au XVIIIe siècle : l’édition
scientifique pour Briasson, les nouveautés littéraires ou philosophiques
pour Duchesne, une production plus traditionnelle faisant large place à
l’histoire, au droit et à la religion chez Desaint.
Un retour à la fin du siècle précédent permettra de mieux situer dans
une évolution chronologique les particularités des relations commerciales
établies par ces trois professionnels actifs après 1750. Les comptes rendus
en 1694 par Jean Boudot révèlent en effet que les quarante débiteurs
étrangers du libraire sont concentrés au Nord de l’Europe : la moitié dans
13
BHVP ms. NA 490 (1).
250 SABINE JURATIC
des villes des Provinces-Unies (neuf à Amsterdam et onze autres répartis
entre La Haye, Leyde, Utrecht et Rotterdam), huit dans les Iles britanniques
(sept à Londres et un à Dublin), six dans des villes d’« Allemagne »
(Francfort, Nuremberg, Leipsig, mais aussi Genève, Bâle et Strasbourg),
cinq en Flandre (Bruxelles, Anvers et Louvain). Au Sud, n’apparaît qu’un
seul client – un religieux – dans la ville de Parme. Le montant des créances
les plus élevées de Boudot se répartit presque également entre ProvincesUnies et Allemagne, en raison du montant dû par le correspondant de
Francfort, Schönwetter, redevable de 4 500 l., une créance élevée qu’il faut
mettre probablement en relation avec la célèbre foire du livre de la ville
allemande14. L’état des débiteurs de Boudot met donc en valeur le maintien
de l’influence de ce rendez-vous ancien des libraires européens, mais il est,
plus encore, révélateur du rôle de premier plan que tiennent les ProvincesUnies, et secondairement l’ensemble des pays du refuge huguenot, dans les
échanges de librairie en ces temps encore très proches de la Révocation.
En 1765, le classement par ordre d’importance des correspondants
de Duchesne et Desaint15 (voir tableau 1 en annexe) livre une leçon
différente, car si Amsterdam conserve une place en tête de liste, elle est
désormais devancée de peu par Londres. Un autre changement significatif,
et qui intéresse directement notre sujet, concerne le troisième rang occupé
par Vienne avec des envois d’une valeur supérieure à 10 000 l. presque
exclusivement adressés à un seul client : Johann Thomas von Trattner,
célèbre libraire privilégié et anobli par l’impératrice Marie Thérèse16. Le
classement met aussi en évidence la place conquise par certaines villes
du Sud : l’enclave papale d’Avignon, qui bénéficie d’un régime d’édition
privilégié au sein même du royaume de France, et plusieurs cités des
péninsules italiennes et ibérique, Lisbonne et Turin surtout, mais aussi
Madrid, Parme, Naples, toutes villes dans lesquelles bon nombre de
libraires sont d’origine française, souvent issus des réseaux de colporteurs
du Dauphiné17. La distribution géographique des correspondants étrangers
14
AN, MC : et/XLIX/402, « Estat des effets actifs et dettes passives… », ms. cité.
37 pour Desaint et 12 pour Duchesne, mais certains débiteurs apparaissent dans
les deux états.
16
Sur ce personnage, voir la notice qui lui est consacrée dans : FRANK, Peter
R. und FRIMMEL, Johannes, Buchwesen in Wien, Buchwesen in Wien 1750–1850.
Kommentiertes Verzeichnis der Buchdrucker, Buchhändler und Verleger, Wiesbaden,
Harrassowitz, 2008.
17
Sur ces marchands voir FONTAINE, Laurence, « Les vendeurs de livre : réseaux de
libraires et colporteurs dans l’Europe du Sud (XVIIe–XIXe siècles) », in CAVACIOCCHI,
S. (éd.) Produzione e commercio della carta e del libro, sec. XIII–XVIII, Prato, Istituto
15
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
251
de la veuve de Nicolas Desaint en 1774, est proche de celle des destinataires
de 1765, et, comme son défunt mari, la veuve continue à fournir Trattner à
Vienne, auquel sont adressés en 1774 des envois pour un montant de plus
de 5 000 l.
Si l’on restreint maintenant le champ d’observation aux seuls débiteurs
de Duchesne (tableau 2), on constate que le réseau commercial de ce
spécialiste des nouveautés littéraires est plus limité, puisqu’il ne fait pas
apparaître de correspondants à Londres ni à Vienne et qu’il reste surtout
ancré dans l’espace plus proche des Pays-Bas et des Provinces-Unies au
Nord, de Nuremberg, Genève et Lausanne à l’Est. La nature des textes
vendus a donc une incidence sur la configuration et l’étendue de leur
diffusion, car, comme le souligne Briasson en 1754, tous les secteurs
de l’édition ne sont pas également menacés par la concurrence et la
contrefaçon, ce qui l’a conduit à se limiter, dans le commerce étranger,
aux seuls livres de sciences : « J’en débite beaucoup moins, mais je suis
souvent seul » écrit-il à Formey18. Ces logiques économiques se combinent
en outre avec les modes spécifiques d’organisation en usage dans le
commerce dans la librairie, notamment le principe de l’échange feuille à
feuille, qui suppose une compatibilité linguistique entre publications. Les
différents facteurs en jeu contribuent donc à structurer de façon complexe
des réseaux commerciaux hiérarchisés dans lesquels coexistent différents
modes de relation entre libraires. La variété des situations enregistrée dans
les journaux comptables de Desaint donne une illustration de cet état de
choses.
Intermédiaires et relais
Les registres de compte du libraire parisien font en effet apparaître
différents types d’interlocuteurs dans son commerce vers l’étranger. Trattner
incarne ainsi un premier archétype, celui du grand libraire importateur,
dont Nourse en Angleterre et Balfour en Ecosse ou Bertrand à Lisbonne
sont, à la même époque, d’autres représentants. Ces marchands en relation
directe avec Desaint concentrent leurs achats en quelques commandes et
se chargent vraisemblablement de redistribuer les livres achetés à Paris
à d’autres libraires dans leur pays, ou, dans le cas de Trattner, dans les
Internazionale di Storia Economica F. Datini, Serie II, 23, Firenze, Le Monnier, 1992,
p. 631-676.
18
Lettre à P.H. S. Formey du 2 janvier 1754, voir JURATIC, S. « Publier les sciences
au 18e siècle : la libraire parisienne et la diffusion des savoirs scientifiques », Dix-huitième
siècle, n° 40, 2008, p. 301.
252 SABINE JURATIC
succursales qu’il établit progressivement un peu partout, notamment à
Prague en 1764 et à Zagreb en 177619. En 1765, le Viennois donne d’ailleurs
l’ordre à Desaint d’expédier directement, par l’intermédiaire des frères
Franck à Strasbourg, une balle « par la voie de Nuremberg à sa maison de
Prague »20. Les libraires des Provinces-Unies et des Pays-Bas entretiennent
eux aussi avec la maison parisienne des liens étroits, mais leurs relations
sont plus fréquentes et plus régulières, et concernent souvent des envois
moins volumineux. Enfin, d’autres libraires étrangers, par exemple Guibert
et Orgeat à Turin, qui commandent des ouvrages en nombre, ne les font
pas envoyer directement par Desaint, mais passent par l’entremise d’autres
professionnels parisiens, dont certains se positionnent ouvertement comme
des spécialistes du commerce international. L’un d’entre eux, le libraire
Guillyn, signalait par exemple, dans un catalogue imprimé en 1754, qu’il
faisait venir des livres de l’étranger, qu’il tenait un magasin de livres
français à Francfort et qu’il vendait à Paris des livres achetés à la foire de
cette ville21.
À l’intérieur même du royaume un certain nombre de localités font
manifestement office de villes relais pour le commerce international des
Desaint. Ce sont surtout les ports, Marseille et Toulon pour les échanges
méditerranéens, La Rochelle et Bordeaux, plus souvent mentionnés que
Rouen, sur la façade atlantique, tandis qu’à l’intérieur Lyon est une étape
vers l’Italie et Strasbourg la porte d’entrée vers les territoires germaniques
et autrichiens. Dans tous ces espaces, les circulations commerciales sont
favorisées par certains réseaux francophones préexistants, particulièrement
celui des marchands huguenots dans le nord de l’Europe, et celui des
colporteurs et marchands d’origine dauphinoise dans le sud.
À la fin du XVIIIe siècle, l’implantation de libraires français gagne
cependant de nouveaux horizons. En Russie, à Saint-Pétersbourg, le
commerce est monopolisé par des marchands strasbourgeois22, tandis qu’à
Moscou, l’épouse d’un libraire parisien, Marie Claudine Germain femme
de Benoît Rozet, venue dans le pays comme gouvernante, se charge de
vendre des livres à une clientèle choisie23. Des libraires français s’installent
FRANK, P. R. und FRIMMEL, J., Buchwesen in Wien, op. cit.
BHVP Ms. NA 490 (1), f° 161.
21
Catalogues de libraires, 1473–1810, Bibliothèque nationale de France, 2006.
22
RJÉOUTSKI, Vladislav, « Librairie française en émigration : cas de la Russie
(dernier tiers du XVIIIe – première moitié du XIXe siècles) », in : BARBIER, F. et
VARRY, D. (éd.), La prosopographie des hommes du livres, actes du colloque organisé
les 22-23 avril 2005 à l’ENSSIB, Lyon : Bibliothèque numérique de l’ENSSIB : http://
www.enssib.fr/notice-1459, 2005.
23
SOMOV, Vladmir, « La librairie française en Russie au XVIIIe siècle », in :
19
20
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
253
aussi en Pologne à l’image de Pierre Dufour, fils d’un limonadier devenu
libraire en 1761 grâce à son mariage avec la fille d’un maître parisien, et
qui, après avoir exercé dans la capitale française jusqu’en 1773, prend un
établissement à Varsovie en 1775. Dans la même ville exercent aussi à
cette époque des membres de la famille Gay de Strasbourg, famille que
l’on retrouve à Moscou et à Vienne et finalement à Paris à l’époque de la
Révolution24. Grâce à ces nouveaux acteurs, des relations commerciales
inédites se nouent entre l’Europe centrale et la France et ces liens contribuent
à renforcer les positions de Vienne et de Strasbourg comme centres actifs
du commerce des éditions francophones vers des régions dans lesquelles
les libraires hollandais détenaient jusqu’alors un certain monopole.
À quelques rares exceptions près, notamment celle de Guillyn
précédemment évoqué, les libraires français ont en effet cessé depuis
longtemps au XVIIIe siècle de fréquenter les foires allemandes du livre
et aucun Parisien ne semble participer à celle de Leipzig25. Pourtant, les
catalogues de cette foire mentionnent de nombreux livres français provenant
de Paris, en particulier des titres publiés chez les Desaint. Ceci s’explique
en partie par le fait que les Français étaient représentés dans la capitale de
la Saxe, par des libraires hollandais, notamment Arkstée et Merkus qui
disposaient depuis 1736 d’une succursale à Leipzig26. Les Desaint font
régulièrement parvenir des envois à leur librairie d’Amsterdam (quatorze
au cours de la seule année 1765), sans que l’on puisse déterminer si une
partie de ces livres pouvait être ensuite acheminée vers Leipzig. Lorsqu’ils
sont privés des contacts commerciaux directs que procurent les foires, les
libraires font connaître leurs publications par le truchement de catalogues
et de périodiques. D’imposants catalogues de livres en français circulent
alors en Europe, par exemple, en 1776, celui des frères Faure de Parme
qui, pour 126 p. consacrées aux livres italiens, en comporte 324 pour les
livres français27. À Paris, le libraire Despilly a créé en 1762 le Catalogue
BARBIER, F. (éd.), Est-Ouest : Transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe
(XVIIe–XXe siècles), Leipzig : Leipziger Universitätsverlag, 2005, p. 89-107.
24
GRANASZTOI, O., art. cit.
25
BARBIER, F., « Das französische Buchhandel und Leipzig zwischen 1700 und.
ca. 1830 », in : ESPAGNE, M. und MIDDELL, M. (Hrsg), Von der Elbe bis an die Seine,
Kulturtransfer zwischen Sachsen und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert, Leipzig :
Leipziguniversitätsverlag, 1993, p. 257-275.
26
SAADA, Anne, « Das französische Buch in den Messkatalogen », in : ZWAHR,
H., TOPSTEDT, T. und BENTELE G. (Hg.), Leipzigs Messen, 1497–1997, vol. I., p. 271285.
27
Catalogue des livres françois, italiens etc. qui se trouvent chez les frères Faure,
Parma, 1776 (Bibliotheca Palatina Parma, FF. X. 3229), cité avec plusieurs autres
254 SABINE JURATIC
hebdomadaire de la librairie, un périodique destiné à recenser chaque
semaine les publications nouvelles parues en France et dans les pays
étrangers.
Un autre groupe d’intermédiaires apparaît de façon éparse dans
les registres des Desaint, il rassemble un petit nombre de clients qui,
quoiqu’extérieurs au monde de la librairie, servent aussi de relais entre
la maison parisienne et son lectorat étranger. Les registres comptables
mentionnent en effet, les noms de plusieurs ecclésiastiques et de quelques
savants, acheteurs à titre individuel ou au nom de l’institution à laquelle ils
appartiennent. Les membres des ordres religieux font d’ailleurs partie de la
clientèle très convoitée auprès de laquelle Briasson cherche à s’introduire
par l’intermédiaire de Formey
il y a beaucoup de bonnes abbayes en Silésie et en Pologne où je ne
puis pénétrer, il y a des amateurs aussi dans ces pays et en Bohême,
des universités, des savants et des riches à livres ; ce sont eux qui sont
favorables aux souscriptions et je vous serai très obligé si vous voulez
bien y faire passer mes avis28
Grâce à son correspondant, le libraire parisien est aussi en relation
suivie avec l’Académie des sciences de Prusse et il entretient aussi, depuis
1747, des liens étroits avec l’Académie des sciences de Saint Pétersbourg,
dont il est le correspondant et le fournisseur attitré pour les livres français29.
Une dernière catégorie d’agents de la diffusion du livre francophone est
constituée des individus que leurs fonctions, ou les circonstances, placent,
de façon temporaire ou plus durable, en position d’intermédiaires. Parmi
eux, les diplomates jouent un rôle de premier plan. Le comte de Choiseul
est par exemple le promoteur de l’établissement d’une imprimerie à
l’ambassade de France à Constantinople, atelier où l’on imprime en arabe,
français, latin et italien30. Mais le phénomène touche aussi des membres
du personnel diplomatique de moins haut rang, par exemple le chargé
d’affaires français à Dubrovnik, Lemaire. En 1763, il est dénoncé à
Versailles par le gouvernement de Raguse pour avoir prêté des livres aux
sujets scandaleux comme La Pucelle d’Orléans de Voltaire et L’Esprit des
catalogues de livres français, par TAVONI, Maria Gioia, « I cataloghi di Giuseppe
Remondini (1778–1785) e la circolazione del libro in lingua francese nella seconda metà
del Settecento », in : INFELISE, M. e MARINI, P., L’editoria del’700 e i Remondini,
Bassano del Grappa : Ghedina & Tassoti editori, 1992, p. 261-288.
28
Correspondance passive de Formey, op. cit., p. 48-49.
29
SOMOV, V., « La librairie française en Russie … », art. cit.
30
BARBIER, F., Le rêve grec de Monsieur de Choiseul, Paris : A. Colin, 2010.
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
255
Lois de Montesquieu31. À Paris, Petr Petrovitch Doubrovski, employé de
l’ambassade russe durant quinze ans, de 1777 à juin 179232, se charge de
l’achat de livres pour des collectionneurs de la plus haute aristocratie de son
pays. Enfin, l’attraction qu’exerce Paris au XVIIIe siècle sur les voyageurs
étrangers fait d’eux des intermédiaires privilégiés pour la transmission
des publications françaises. Le médecin grec Adamantios Koraïs ou le
savant jésuite originaire de Dubrovnik, Rudzer Bochkovitch, qui se fixent
l’un et l’autre durablement à cette époque dans la capitale française, en
sont deux exemples parmi bien d’autres33. Si, en définitive, de nombreux
canaux étaient donc susceptibles de favoriser la diffusion d’ouvrages en
langue française, y compris dans l’Est et le Sud-Est de l’Europe, il resterait
à déterminer quels textes étaient ainsi rendus accessibles et quelles étaient
les populations auxquelles ils étaient destinés.
Livres, textes, publics
L’étude – évidemment centrale – de la nature des textes français
disponibles dans ces régions et de leur diffusion dans la société demeure
encore à faire pour l’essentiel. On se contentera ici de quelques observations,
fondées d’une part sur les enseignements livrés par les envois de livres
des Desaint au libraire Trattner à Vienne34, et, d’autre part, sur l’analyse
très suggestive développée par Maria Gioia Tavoni à partir des catalogues
d’assortiment de livres français du libraire vénitien Giuseppe Remondini35,
Comme éditeurs, les Desaint de Paris publient des livres appartenant
à des domaines variés, à l’exclusion des nouveautés littéraires ou
philosophiques, peu représentées dans leur fonds. Ils ont par exemple à
31
DEANOVIC, M., op. cit., p. 31.
SOMOV, V., « Les aristocrates russes acheteurs de livres en France pendant la
Révolution », in: BOUGE-GRANDON, D., ed., Le livre voyageur, Paris : Klincksieck,
2000, p. 227-249.
33
A. Koraïs (1748–1833), originaire de Smyrne, se fixe à Paris après des études de
médecine à Montpellier voir KITROMILIDES, Paschalis M., Adamantios Korais and
the European Enlightenment, Oxford : Voltaire fondation, 2010 (SVEC 2010:10). R.
Boskovitch après deux séjours temporaires en 1759-1760 à Paris et un de dix ans de 1773
à 1782 au cours duquel il obtient la nationalité française se rend en Italie pour faire éditer
ses œuvres complètes chez Remondini. C’est chez cet éditeur vénitien que sont publiés sa
Theoria philosophicae rationalis (1763) et son Giornale di viaggio di Costantinopoli in
Polonia (1784) dont une traduction française était déjà parue à Lausanne en 1772 (Tavoni,
M.G., op. cit, p. 262.)
34
BARBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris zur Zeit
der Aufklärung », in : FRIMMEL, J. und WÖGERBAUER, M., (Hrsg.), op. cit., p. 31-44.
35
TAVONI, M.G. , « I cataloghi di Giuseppe Remondini (1778–1785) », art. cit.
32
256 SABINE JURATIC
leur actif, outre la publication des œuvres de théologiens et professeurs
jansénistes, l’édition des Œuvres du jurisconsulte Denisart, de l’Astronomie
de Jérôme de La Lande, ou du Cours d’architecture de Blondel, ainsi que
celle des volumes de la Description des Arts et métiers de l’Académie royale
des sciences. On retrouve certains de ces titres dans les ballots adressés à
Trattner à Vienne, mais ils y côtoient de nombreux ouvrages publiés par
d’autres libraires36. Ainsi un envoi du 29 janvier 1768, rassemble, à côté
de plusieurs éditions appartenant au fonds Desaint comme l’Explication du
livre de la Genèse de l’abbé Duguet, l’Histoire de France de Velly, ou l’Art
du perruquier paru en 1767, et des publications relevant de registres aussi
divers que la médecine (Avis au peuple sur sa santé de Tissot), la littérature
(les Malheurs de l’amour de Mme de Tencin ou La Bergère des Alpes),
les sciences morales (Causes de la dépopulation de l’abbé Jaubert) ou la
philosophie (Pensées philosophiques de Hume). L’activité de distributeur
des Desaint est donc loin de se cantonner aux seuls livres de leur fonds
et le journal de leurs expéditions enregistre, à travers les commandes de
Trattner, des intérêts plus ouverts que le champ d’activité en apparence
traditionnel de cette maison d’édition parisienne.
Le libraire vénitien Giuseppe Remondini est, quant à lui, l’un des
personnages clé d’une ville qui est elle-même un centre stratégique pour
l’édition et le commerce du livre en Europe du Sud-Est37. Quoi qu’il
n’apparaisse pas parmi les clients de Duchesne ou de Desaint, – ce qui
constitue en soi une indication sur les limites du rayonnement de la
librairie parisienne –, il est leur contemporain et il est très impliqué dans
le commerce du livre français. On connaît de lui au moins deux catalogues
spécifiquement consacrés aux ouvrages en langue française, datés
de 1778 et 1785 et comportant respectivement 327 et 682 titres. M. G.
Tavoni en a donné une analyse très fine, de laquelle trois aspects semblent
particulièrement à retenir.
Il apparaît en premier lieu que la distribution par grandes catégories
bibliographiques des titres proposés par Remondini se différencie assez
nettement de la répartition thématique de la production imprimée en
France à la même époque. Les catalogues du libraire vénitien ménagent
en effet une part importante aux ouvrages religieux qui représentent 28 %
(94 titres) en 1778, proportion qui tend à se réduire mais est encore de
20 % (136 titres) en 1785. Ils font apparaître une augmentation sensible des
titres d’histoire et géographie – 13 à 22 % (41 à 151 titres) – alors que les
36
BARBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris », art. cit.
INFELISE, Mario, L’editoria venziana nel Settecento, Milan, Franco Angeli,
1989, p. 262-274.
37
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
257
belles-lettres et surtout les sciences et arts voient leur proportion diminuer,
suivant une évolution inverse de celle qu’on observe en France38. Cette
particularité s’éclaire en partie lorsque l’on s’intéresse aux lieux d’édition
dont la répartition est, elle aussi, riche d’enseignements.
En effet, en 1778, 44 % des titres portent l’adresse de Paris, 18 % celle
de Lyon et 9 % celle d’Amsterdam. La Haye (4 %) et Venise (2 %) suivent,
tandis qu’un grand nombre de villes italiennes et étrangères se partagent
le quart restant des titres. En 1785, les adresses parisiennes déclarées ne
concernent plus que 30 % des titres, Amsterdam (17 %) devance désormais
Lyon (10 %) et La Haye (7 %), tandis que Londres (3 %) et Lausanne (2 %)
accèdent au groupe des lieux les plus fréquemment cités et que près d’un
tiers des publications portent l’adresse d’autres villes d’Italie, des Pays Bas
autrichiens, de Suisse ou des pays germaniques. Même s’il est vraisemblable
qu’une partie de ces indications de lieux reflète l’usage courant à cette
époque des fausses adresses d’édition, ces données témoignent d’un
affaiblissement – au moins symbolique – de la présence française dans
l’édition francophone et d’une dissémination des lieux de production en
Europe, dissémination qui contribue à son tour à la démultiplication des
circulations des titres en français.
Un troisième aspect mis en lumière par l’étude de Maria Gioia Tavoni
est l’évolution des formats des ouvrages proposés en vente par Remondini.
Entre 1778 et 1785, l’augmentation significative des in-folio atteste de
l’importance des pratiques bibliophiliques dans le commerce international
et de la vogue que rencontrent les grandes séries richement illustrées
destinées à une clientèle fortunée publiées dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle. Ainsi, parmi les ouvrages envoyés par la veuve Desaint à Vienne en
1774 figure l’un des fleurons de son catalogue, un exemplaire en grand
papier de la luxueuse édition en quatre volumes des Fables de La Fontaine
illustrée par Oudry39.
Au total l’offre de livres français proposée par Remondini couvre
donc un large éventail de textes, mais aussi d’objets, depuis les livrets
de dévotion encore très présents en 1778, jusqu’aux ouvrages les plus
prestigieux en faveur auprès des riches collectionneurs. Cette diversité
suggère que différents publics étaient visés par le libraire. Confronter de
façon plus précise les titres qu’il propose en vente à ceux que les Desaint
38
La littérature qui occupait le tiers du premier catalogue vénitien, ne représente
plus qu’un peu plus du quart, 27 % (184 titres), en 1785 ; les sciences et arts passent de 17
à 14 % (de 55 à 95 titres).
39
BARBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris », art. cit.
258 SABINE JURATIC
envoient chez leurs principaux correspondants étrangers pourrait constituer
une étape pour éclaircir les relations complexes entre réseaux du livre et
diffusion des textes en français.
En guise de conclusion provisoire, on observera que la question
initialement soulevée – dans quelle mesure la francophonie est-elle
diffusée en Europe du Sud-Est par le biais du livre imprimé ? – s’est vite
révélée insoluble depuis Paris, mais que la démarche n’a pas été totalement
infructueuse. Elle a eu pour premier mérite de rappeler le fait que l’étude de
la diffusion du livre exige de prendre en considération un réseau organisé
de relais commerciaux et que, dans cette aire géographique particulière,
l’approche ne peut se faire à partir des seules sources professionnelles. Dans
ces territoires, les initiatives et les financements institutionnels et privés sont
fondamentaux dans la circulation des livres comme dans leur fabrication40
et les individus placés en position d’intermédiaires culturels, à l’instar de
la haute aristocratie hongroise ou tchèque41, jouent un rôle primordial. Par
ailleurs, si, comme a pu le souligner Mario Infelise42, la circulation des
livres à l’époque moderne est souvent de dimension européenne, l’étude de
la diffusion des ouvrages en langue française montre que, dans ce négoce
international, les positions sont hiérarchisées et induisent des pratiques
commerciales et des cheminements complexes. De l’analyse esquissée
ici, on retiendra surtout, le rôle de redistribution assurée par Venise et par
Vienne, la faible interactivité entre les systèmes de librairie allemande et
française et le maintien du rôle de relais des Provinces-Unies, en dépit d’un
certain affaiblissement de leur position et de l’intervention croissante des
Pays-Bas méridionaux sous tutelle autrichienne.
L’angle du commerce et des flux qui a été privilégié est cependant loin
d’épuiser le questionnaire sur la diffusion de la francophonie et il reste
nécessaire de mieux prendre en compte les types de textes, leurs usages
différenciés et les caractères formels des livres qui les véhiculent. Une voie
possible pour prolonger les investigations pourrait consister à comparer
40
Voir BLINDA, Virginia, « Typographies privées dans les principautés roumaines –
première moitié du XIXe siècle », in : Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel
des Pays Roumains, Bucarest, Institut des études Sud-Est européennes, 2009, p. 73-82.
41
GRANASZTOI, O., « La librairie viennoise et l’approvisionnement de la
Hongrie », art. cit. ; MADL, Claire, « L’aristocrate client, complice et concurrent des
libraires. Quelques traits de l’approvisionnement des bibliothèques nobiliaires de Bohême
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », in : FRIMMEL, J., WÖGERBAUER, M.
(Hrsg.), op. cit., p. 173-187.
42
INFELISE, Mario, L’editoria veneziana nel Settecento, Milano, Franco Angeli,
1989, p. 217.
Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est
259
de ces trois points de vue, pour une période donnée, les catalogues de
quelques grands libraires importateurs et diffuseurs d’ouvrages en langue
française dans différents pays. Dans ce vaste magasin européen de livres,
il serait peut-être possible de discerner quels étaient les imprimés qui
circulaient effectivement dans chaque région. Une image plus contrastée
et moins idéalisée de la francophonie des Lumières – ou peut-être serait-il
d’ailleurs plus juste de dire des francophonies – pourrait émerger de cette
confrontation.
Tableau 1
Villes d’implantation des clients étrangers des libraires parisiens
Desaint et Duchesne par montant décroissant des créances en 1765
Nombre de
correspondants
Rang Ville
Montant des créances
1 Londres
2
14937
2 Amsterdam
6
14764
3 Vienne
2
11565
4 Avignon
4
7217
5 Lisbonne
4
6444
6 Turin
3
4472
7 Edimbourg
1
4074
8 Leyde
1
2987
9 Bruxelles
3
2398
10 Mastrick
1
1493
11 Madrid
1
1010
12 Naples
1
1002
(Sources : BHVP ms. NA 490 [1] ; AN, MC : LXIV/388, 9.7.1765)
260 SABINE JURATIC
Tableau 2
Ville d’implantation des débiteurs étrangers du libraire Duchesne,
éditeur de théâtre et de nouveautés littéraires, en 1765
Rang Ville
Nombre de
correspondants
Montant des créances
1 Amsterdam
2
2484
2 Turin
2
686
3 Bruxelles
2
585
4 Mastrick
1
423
5 Nuremberg
1
394
6 Lisbonne
1
294
7 Genève
1
107
8 Lausanne
1
49
(Source : AN, MC : LXIV/388, 9.7.1765)
La Francophonie dans la librairie hollandaise
au 17e et 18e siècle
OTTO LANKHORST
Le président de notre section, notre cher professeur Frédéric Barbier,
est un grand amateur du chemin de fer et des trains. Pour cette raison je me
permets comme introduction un souvenir d’enfance.
J’ai grandi à Deventer aux Pays-Bas, ville du moyen âge, ville de
Hanse, ville important pour l’impression d’un grand nombre des incunables.
Comme enfant je voyageais avec ma famille en train. Pour aller à Amsterdam
nous prîmes parfois le train international en provenance de Berlin. Dans
ce train j’étais chaque fois fasciné par le petit panneau au dessous de la
fenêtre avec le texte : « E pericoloso sporgersi – Nicht hinauslehnen – Ne
pas se pencher au dehors – Do not lean out of the window ». Ce fut ma
première confrontation avec d’autres langues, en tous cas avec le français
et l’italien.
Ce souvenir est surgi en moi, en préparant ma communication
d’aujourd’hui sur la francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e
siècle. Je me demandais comment au 17e siècle un enfant hollandais aurait
été confronté avec d’autres langues. En tous cas pas par des indications
dans des trains. Au 17e et 18e siècle le transport publique entre les villes
hollandais était organisé par des barques (‘trekschuiten’). Le réseau des
canaux et des voies d’eau offrait un système de transport unique en Europe.
Tous les voyageurs étrangers s’accordent à reconnaître la régularité et
la commodité de ces barques publiques, qui, dans chaque grande ville,
partaient ponctuellement d’heure en heure.
Un enfant grandissant en Hollande au 17e siècle a été sans doute
confronté avec d’autres langues en entendant parler ces autres langues à
vive voix, dans la rue, dans des boutiques et sur des marchés. Au 17e siècle
la Hollande était un pays beaucoup plus international que les Pays-Bas
262 OTTO LANKHORST
pendant les années cinquante du 20e siècle quand moi je prenais ce train
international entre Deventer et Amsterdam.
La société néerlandaise au 17e siècle était ouverte aux étrangers – il
est difficile à comparer, mais peut-être elle était plus ouvert qu’à l’heure
actuelle – et ces étrangers ont considérablement contribué au haut degré de
notre Siècle d’Or et au miracle hollandais. Le premier flot des immigrés
consistait des réfugiés venant des Pays-Bas du Sud à la fin du 16e siècle.
Cette partie des Pays-Bas, autour des villes d’Anvers, de Malines et de
Bruxelles, dépendait du roi d’Espagne. A cause d’une politique religieuse
rigoureusement appliquée par les Espagnols et ne permettant aucun écart
de doctrine, nombreuses personnes ont quitté leurs villes pour aller au nord
et s’installer en Hollande.
On estime le volume total de cette première immigration partant
des Pays-Bas méridionaux à 150 000 personnes. Ce premier refuge des
immigrations flamandes et wallonnes a apporté pour les Pays-Bas un
changement de l’orientation culturelle de la société. On est même allé à
postuler que les immigrés du Sud auraient apporté vers le Nord un style
de vie plus fin et des goûts de luxe qui auraient puissamment stimulé une
économie déjà en expansion et imposé à la société hollandaise un modèle
de comportement qui mêlait les bonnes manières et l’étiquette française à
une certaine austérité doctrinale d’origine réformée
Parmi ces immigrants réfugiés des Pays-Bas méridionaux il y avait de
nombreux typographes, imprimeurs, libraires. La censure sévère dans les
provinces du Sud leur rendait la vie professionnelle souvent trop dangereux.
L’arrivée de ces nombreux immigrants réfugiés joua un rôle important
dans le développement de la librairie hollandaise. Anvers, qui au seizième
siècle, avait pris la relève de Venise dans le monde du livre, perdit peu à peu
cette place dès le début du dix-septième siècle. La province de Hollande et
particulièrement les villes de Leyde et d’Amsterdam lui succèdent.
Les réfugiés des Pays-Bas du Sud ouvrent le chemin à d’autres
immigrants, séduits par le climat libéral de la République. Parmi eux
sont des juifs venant de l’Europe Centrale, des sociniens, et autour de
1685 nombreux huguenots, obligés de quitter leur pays, la France, après
la Révocation de l’Édit de Nantes. L’abbé Raynal écrit plus tard dans
l’Histoire philosophique et politique des Établissements & du Commerce
des Européens dans les deux Indes :
C’est aux dépens de l’Europe entière, que la Hollande a sans cesse
augmenté le nombre de ses sujets. La liberté de conscience dont on y
La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle
263
jouit, & la douceur des loix, y ont attiré tous les hommes qu’opprimoient
en cent endroits l’intolérance & la dureté du gouvernement.1
Les réfugiés s’installaient surtout dans les villes en Hollande. La
République des Sept Provinces consiste – le nom le dit bien – de sept
provinces. La province d’Hollande était la plus riche et par conséquence
la plus importante. La République était un pays décentralisé. Il manque un
vrai centre comparable avec Paris ou Londres. Bien sûr, Amsterdam était
le centre économique et La Haye le centre diplomatique (encore toujours).
D’autres villes jouaient cependant aussi un rôle important : Dordrecht
(la plus ancienne ville d’Hollande, où à l’origine les États Généraux se
réunissaient), Rotterdam (important centre commercial), Middelburg
(le centre économique manqué), Haarlem (la ville de Laurens Janszoon
Coster, considérée par les Hollandais comme l’inventeur de l’imprimerie).
Et hors de la province d’Hollande : Utrecht (traditionnellement le centre
religieux du pays, le siège de l’evêque), les villes de Hanse : Deventer,
Zwolle, Zutphen, Kampen (ces villes avaient perdu leur gloire médiévale),
Groningen et Leeuwarden dans le nord du pays et tout au nord : la ville
universitaire de Franeker ou des centaines d’étudiants de Transylvanie ont
fait leurs études. Un de mes collègues néerlandais, Ferenc Postma, a trouvé
beaucoup des livres, emportés par eux lors de leur retour, dans des anciens
bibliothèques de leurs collèges à Sibiu, Alba-Iulia, Aiud, Tirgu Mures et
Cluj-Napoca.2 Tous et toutes parmi vous qui ont le plaisir de consulter
régulièrement des livres anciens, reconnaissent sans doute les noms de ces
villes comme lieux d’édition sur des pages du titre, parce que les libraires
s’étaient dispersés dans toutes ces villes.
La Hollande était ouvert aux étrangers. Cette ouverture règnait aussi
dans le domaine de la librairie. Les différents métiers étaient en principe
protégés par les corporations ; les étrangers pouvaient y entrer sur certaines
conditions. Le monde de la librairie était comme tout le pays organisé
d’une manière décentralisée. Chaque ville avait sa propre corporation
des libraires. Avant d’avoir leur propre corporation les libraires avaient
fait partie de la communauté des peintres (la corporation de Saint Lucas),
[RAYNAL, Guillaume Thomas François], Histoire philosophique et politique des
Établissements & du Commerce des Européens dans les deux Indes (La Haye : P. Gosse
Fils, 1774), tome premier, pp. 316-317.
2
POSTMA, Ferenc, “Op zoek naar Franeker academisch drukwerk. Impressies
van een drietal studiereizen naar Roemenië (1991–1993), Jaarboek van het Nederlands
Genootschap van Bibliofielen, 1 (1993), 27-47 ; Idem, “Op zoek naar Franeker academisch
drukwerk. Enkele impressies van een vierde studiereis naar Roemenië (1994)”, in : Idem,
2 (1994), 125-147.
1
264 OTTO LANKHORST
notamment à cause des activités des relieurs, qui étaient cru d’utiliser parfois
des brosses. Le moment que les libraires et imprimeurs se sont associés
dans une propre communauté diffère pour chaque ville. La communauté
de libraires la plus ancienne est celui de Middelburg : 1590. Ensuite, les
libraires d’Utrecht s’organisaient en 1599, de Haarlem en 1616, de Leyde
en 1651, d’Amsterdam en 1662, de Rotterdam en 1669 et ceux de La Haye
seulement en 1702. La corporation des libraires à Amsterdam comptait en
1688 186 membres ; en 1740 un peu plus de 200 ; en 1785, 326.
Chaque corporation avait son propre règlement ou ordonnance (en
néerlandais : ‘ordonnantie’ ou ‘keur’). Je cite quelques articles du règlement
d’Amsterdam :
–– chaque élève doit subir un temps d’apprentissage de quatre ans ; il doit
avoir l’âge d’au moins doux ans ;
–– après la mort d’un membre de la communauté sa veuve ou son fils/fille
peut continuer l’entreprise sans avoir suivi la formation comme élève
pendant quatre ans ;
–– des juifs et des catholiques peuvent être membre sans difficulté ;
–– chacun qui a été élève pendant quatre ans (à Amsterdam ou ailleurs)
peut s’inscrire dans la communauté. Une dispensation pour les années
d’apprentissage est possible. Il y a une dispensation générale pour les
réfugiés huguenots ;
–– le taxe d’admission était quatre et demi florins pour les fils des citoyens ;
sept et demi florins pour d’autres personnes. En comparaison avec
d’autres villes c’était bon marché. A La Haye le taxe était 12 florins
pour le fils d’un membre de la communauté, 18 pour le fils d’un citoyen,
21 pour un habitant de la province d’Hollande, 25 pour un habitant de la
République et 30 pour un étranger. Donc, un libraire venant d’ailleurs
pouvait entrer dans la corporation sur condition qu’il payait une somme
d’entrée plus grande qu’un libraire originaire de la République.
L’immigré, le plus important pour le développement de l’imprimerie
dans la République des Provinces-Unies a été, sans aucun doute, Louis
Elzevier. Lui, venant d’Anvers, et ses descendants sont devenu des phares
pour la librairie internationale des Pays-Bas au 17e siècle. Écoutons Adrien
Baillet dans son Jugement des imprimeurs d’Hollande :
Il n’y a point de boutique [donc, il s’agit des Elzeviers] d’òu il soit sorti
de plus beaux livres ny en plus grand nombre. Il faut avoüer qu’ils ont
esté au dessous des Estiennes tant pour l’erudition que pour les editions
Grecques & Hebraïques : mais ils ne leur ont cedé ny dans le choix des
La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle
265
bons livres, ny dans l’intelligence de la Librairie : & ils ont eu mesme
le dessus pour l’agrément & la delicatesse des petits caracteres. Ainsi ce
n’est point sans raison qu’on les considere encore comme la Perle des
Imprimeurs, non seulement d’Hollande, mais encore de toute l’Europe.3
Un autre libraire réfugie était Willem Silvius ; en Anvers imprimeur
du roi d’Espagne ; à Leyde imprimeur des Etats d’Hollande et de la toute
jeune Université de Leyde.
Dans les années avant et après 1685, la Révocation de l’Edict de
Nantes, un nouveau flot des huguenots, des protestants français, fuient leur
pays pour s’installer en Angleterre, au Brandenbourg, les pays scandinaves,
la Suisse et en grand nombre dans la République des Sept Provinces.
Ces masses importantes, – centaines de milliers – accueillies dans toute
l’Europe protestante et ses colonies, allaient former à long terme une sorte
d’internationale huguenote de la francophonie, fournissant non seulement
les cadres intellectuel du français hors de France, mais aussi les maîtres et
gouvernantes nécessaires à sa dissémination quotidienne parmi les élites et
les bourgeois étrangères. Parmi les huguenots s’installant en Hollande, il y
a des libraires qui ont eu une entreprise en France : Henri Desbordes venant
de Saumur, les frères Huguetan venant de Lyon, Pierre Brunel venant
de Montpellier. D’autres commencent en Hollande une carrière comme
libraire. A Amsterdam, une centaine des libraires sont membre de l’Église
Wallone, l’église francophone. Quatre-vingt sont des vrais réfugiés venant
de la France. Bien sûr, chaque libraire avait son personnel : typographes,
correcteurs, traducteurs, élèves. Dans l’entreprise des frères Huguetans (12
presses et 6 presses pour des tailles-douces) il y avait au total 55 ouvriers.
Parmi ces ouvriers travaillant dans les imprimeries il y avait également
beaucoup des huguenots.
Cette grande présence des français au monde de la librairie hollandaise
n’est pas par hasard. Les libraires hollandais imprimaient des livres – bien
sûr tout d’abord en néerlandais –, mais ensuite dans beaucoup d’autres
langues. Les chiffres fournies par notre bibliographie nationale pour la
période de l’Ancien Régime, le STCN, Short-Title Catalogue Netherlands
(une base de données à consulter par Internet4) montre bien que le lingua
franca utilisé dans la production livresque des libraires hollandais était le
latin pendant toute la période de l’Ancien Régime. Cette prédominance
du latin est surtout due aux nombreux publications académiques, plutôt
3
BAILLET, Adrien, Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs,
tome II-1 (Paris : A. Dezallier, 1685) « Jugement des principaux imprimeurs », p. 81.
4
Voir : www.stcn.nl
266 OTTO LANKHORST
éphémères : les disputationes et dissertationes, produites en milliers aux
universités de chaque province de la République des Sept Provinces : de
Leyde, d’Utrecht, de Franeker, de Groningen, de Harderwijk.
Le vrai lingua franca des libraires hollandais, en tout cas à partir des
années 1660–1670 est le français. Des libraires hollandais publient en
français des livres philosophiques (les plus connus parmi eux sont sans
doute Descartes et Pierre Bayle), des livres religieux (notamment des livres
des huguenots et des jansénistes), des livres d’histoire et tout la gamme des
livres littéraires (romans, pièces de théâtre, poésie), souvent en forme des
contrefaçons des publications faites en France. Il faut dire que les libraires
français de leur côté étaient responsable des nombreuses contrefaçons faites
en Hollande.5 Ensuite, les libraires hollandais avaient une grand rôle dans
la production des fameux gazettes de Hollande (Gazette d’Amsterdam,
Gazette de Leyde, Gazette de la Haye) et des journaux littéraires (Nouvelles
de la Républiques des Lettres, Histoire des ouvrages des savants et tant
d’autres). Ces gazettes et journaux avaient une grande importance pour la
distribution des nouvelles politiques et littéraires pendant l’Ancien Régime.
Le français comme lingua franca parmi des libraires en Europe se
montre égelement dans les nombreuses lettres qui étaient échangées
entre eux. Pierre Gosse, un des grands libraires de La Haye, appelait la
correspondance même « l’âme du commerce ».6 Malheureusement, il nous
reste très peu des ces lettres. Les libraires d’Hollande rédigent, à partir de
la deuxième moitié du 17e siècle, leurs catalogues, catalogues de libraires et
catalogues de ventes – une autre source si importante en histoire du livre –
presque toujours en français.
Il est évident que les libraires françaises et leur personnel francophone
(compositeurs, correcteurs), réfugiés en Hollande, ont beaucoup facilité et
soutenu toute cette production des livres et périodiques en langue française.
Il figure aussi des beaux exemples des libraires d’origine hollandais qui
ont construit un fonds important en langue française. Je vous présente
notamment le libraire rotterodamois Reinier Leers qui pouvait faire appel
à Pierre Bayle qui avait cherché comme huguenot exil à Rotterdam en
1682. Leers assure une protection et soutien financier à Bayle et il lui est
5
Cf. LANKHORST, Otto S., « Stratégies des libraires hollandais pour protéger
leurs éditions françaises de la concurrence », in : Le siècle des Lumières, vol. 2 : Censure
et statut de l’imprimé en France et en Russie au Siècle des Lumières, tome 1 (Moscou
2008), pp. 367-378.
6
Cf. LANKHORST, Otto S., « “La correspondance est l’âme du commerce” : les
échanges épistolaires entre les libraires hollandais et la Russie au XVIIIe siècle », dans : G.
Dulac (éd.), La Culture française et les archives russes. Une image de l'Europe au XVIIIe
siècle (Ferney-Voltaire : Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2004), pp. 15-25.
La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle
267
indispensable dans les contacts avec la France pour fournir des livres dont
Bayle a besoin et pour l’envoi de lettres et de paquets. Bayle de son côté,
a été pour Leers d’une très grande importance pour la qualité de son fonds,
par ses propres chef-d’œuvres et comme intermédiaire aux ouvrages d’autres
huguenots venus de France. Bayle était un lecteur attentif de manuscrits.
Outre des livres en français et latin, les libraires hollandais publiaient
en anglais, allemand, grec, hébreu, espagnol, italien et il ne faut pas oublier
que Pierre le Grand donnait ordre à l’impression des livres en langue slave
lors de son séjour à Amsterdam en 1697.
Toute cette production livresque en français et d’autres langues était
destiné au marché international. La Hollande servait pendant le 17e et
18e siècle comme pays d’entrepôt et de transfert, pays au carrefour des
routes de transport, entre la Grande-Bretagne et les pays allemands, entre
la France et les pays scandinaves. Les libraires pouvaient se servir d’un
réseau de communication très étendu et bien organisé avec des collègueslibraires en toute l’Europe.
Un exemple de ce réseau de libraires tissé à travers toute l’Europe
est une simple annonce dans la Gazette d’Amsterdam de Pieter de Hondt,
fameux libraire de La Haye. De Hondt faisait savoir dans la Gazette du
24 avril 1750 qu’il allait vendre aux enchères la collection du comte de
Wassenaar Obdam. Le catalogue de la vente venait d’être publié et les
intéressés pouvaient le trouver :
à Londres, Edimbourg, Paris, Vienne, Hambourg, Francfort, Leipzig,
Dresden, Berlin, Zürich, Berne, Bâle, Lausanne, Genève, Hanover,
Copenhague, Wolfenbuttel, Breslau, Gotha, Gottingue, Manheim,
Munich, Bayreuth, Augsbourg, Nuremberg, Ratisbonne, Wetzlar,
Mayence, Lisbonne, Rome, Florence, Venise, Milan, Turin, Parme,
Gênes, et dans les autres principales villes de l’Europe chez les Libraires.7
Les livres français imprimés en Hollande ne servaient pas uniquement
à l’envoi aux collègues et clients à l’étranger. Il y avait aussi une
vente importante à l’intérieur du pays. Comme déjà dit, le nombre des
francophones, huguenots et d’autres, était grand aux Pays-Bas. Ils fréquentait
les boutiques des libraires. En plus, une partie considérable des autochtones
des Pays-Bas maîtrisaient plus ou moins la langue française. La langue
française a été pour les néerlandais toujours la langue des diplomates ;
elle se développait au cours du 17e siècle aussi comme langue des savants
et des lettrés, et des commerçants. Le français était enseigné entre autre
aux écoles français, destinées à ceux qui se préparaient au commerce. Par
Gazette d’Amsterdam, 1750, no. 32 (24 avril).
7
268 OTTO LANKHORST
l’immigration des huguenots il ne manquait pas des professeurs français,
prêts à enseigner dans les écoles et au sein des familles comme gouverneurs
et gouvernantes. Il est bien de se souvenir que le niveau d’alphabétisation
était élevé en Hollande dès le 17e siècle, en raison de l’important réseau
scolaire et préprofessionel. Je cite le voyageur italien Guicciardini qui écrit
en 1567 : « la plupart des gens ont quelque commencement de Grammaire,
& presque tous, voire iusques aux villageois sçavent lire & escrire ».8 Peutêtre il a un peu exageré, mais les chiffres tirés des archives prouvent qu’à
Amsterdam le pourcentage des hommes qui parviennent à signer monte de
57 % en 1630 jusqu’à 85 % en 1780 ; pour les femmes ces chiffres vont de
32 % en 1630 jusqu’à 64 % en 1780. Petit détail : l’analphabétisme est plus
élevé parmi les catholiques que parmi les calvinistes et les luthériens.9
Dans un tel climat intellectuel, favorable à la langue française, les
immigrés et les voyageurs francophones pouvaient se bien débrouiller dans
les villes d’Hollande sans parler néerlandais. Écoutons Pierre Bayle dans
une lettre à son frère Joseph, écrite en 1684, deux ans après son arrivée à
Rotterdam :
La langue francoise est si connuë en ce pais ci que les livres francois y
ont plus de debit qu’aulcune autre. Il n’y a guere de gens de lettres qui
n’entendent un livre francois, quoi qu’ils ne puissent pas parler tous
francois.10
Bayle a tant des amis et des connaissances francophone qu’il oublie
parfois d’être à l’étranger.11
Un siècle plus tard, le voyageur Louis-Charles Desjobert souligne
en 1778 : « les Hollandais ont l’habitude de bien parler plusieurs langues
à la fois, plus qu’aucune autre nation d’Europe ; le français et l’anglais
surtout sont familiers (…). Il faut convenir qu’il y en a qui prononcent le
français d’une manière très barbare, mais, enfin, ils entendent et se font
. GUICCIARDINI, Lodovico, Description de tout le Païs-Bas (Anvers : Guillaume
Silvius, 1567), p. 34 : « la plupart des gens ont quelque commencement de Grammaire, &
presque tous, voire iusques aux villageois sçavent lire & escrire ».
9
LANKHORST, Otto S., « Bilan sur l’histoire de la lecture en Hollande pendant
l’Ancien Régime », dans : Histoire de la lecture, un bilan des recherches. Actes du colloque
des 29 et 30 janvier 1993 Paris. Ed. par Roger Chartier (Paris : IMEC Éditions, 1995), pp.
125-139.
10
BAYLE, Pierre, Correspondance, tome 4 (Oxford : Voltaire Foundation, 2005),
p. 86.
11
Cf. BOTS, Hans, “Pierre Bayle en de Rotterdamse Illustre School”, dans :
Rotterdams jaarboekje, 8e série, 10(1982), p. 187.
8
La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle
269
entendre ».12 Cette critique sur la manière barbare à prononcer et à écrire le
français, l’écrivain néerlandais Justus van Effen l’a du encaisser par DenisFrançois Camusat au début du 18e siècle :
vous écrivez passablement pour un étranger, mais le goût du terroir ne
se perd jamais à vos transpositions forcées, à vos constructions louches,
à vos termes impropres et bas, nous reconnaîtrons toujours que notre
langue ne vous est pas naturelle.13
Dans la deuxième moitié du 18e siècle, la francophonie dans la librairie
hollandaise réduit considérablement. Cela est un élément du déclin
général de la librairie internationale en Hollande. Ce déclin définitif a déjà
commencé vers 1730–1740 et s’intensifie dans les décennies suivantes.
Les causes du déclin sont d’ordre divers : politique, économique et culturel.
Du point de vue politique, les autorités changent d’attitude quant à la
censure. En France, la censure des livres devient moins sévère après 1750 ;
en Hollande les autorités religieuses et politiques tentent au contraire de
juguler le climat libéral.
Economiquement, la librairie hollandaise se heurte maintenant à une
concurrence de plus en plus forte, et pas uniquement en France. Bouillon,
Neuchâtel, Kehl, Liège, Maastricht, Dresden exigent leur place dans
l’édition de livres français. Cette concurrence est difficile à parer, surtout à
cause du coût élevé de la main d’oeuvre dans la République des ProvincesUnies.
En 1769, le libraire haguenois Pierre Gosse jr. déclare dans une lettre à
son confrère parisien Panckouke que les libraires hollandais sont devenus
« les colporteurs des libraires étrangers ». Ils publient de moins en moins
de livres pour le marché international. On lit sous la plume du libraire
Gosse : « la Librairie d’Hollande est maitrisé aujourd’hui par la Librairie
étrangère, et sur tout par celle de Paris, au point que des qu’un libraire
d’Hollande entreprend le moindre ouvrage, il est d’abord contrefait à Paris
et ailleurs ».14
Mais les changements culturels à l’intérieur de la Hollande sont aussi
pour beaucoup dans le déclin de l’édition des livres français. Comme déjà dit,
12
Cf. VAN STRIEN-CHARDONNEAU, Madeleine, Le voyage de Hollande :
récits de voyageurs français dans les Provinces-Unies, 1748–1795 (Oxford, Voltaire
Foundation, 1994), p. 265.
13
FRIJHOFF, Willem, “Verfransing? Franse taal en Nederlandse cultuur tot in
de revolutietijd”, dans : Bijdragen en mededelingen betreffende de geschiedenis der
Nederlanden, 104(1989), p. 600.
14
Lettre P. GOSSE jr. à Ch.-J. PANCKOUCKE, 5 mai 1769, dans : Bibliothèque
Publique et Universitaire, Genève, Ms Suppl. 148, f. 48.
270 OTTO LANKHORST
la production des livres français en Hollande n’avait jamais été uniquement
destinée à l’étranger. Il existait également au sein de la République des
Provinces-Unies elle-même, un large public pour les livres, périodiques
et gazettes en langue française. Mais au cours de la deuxième moitié du
dix-huitième siècle, le français commence à perdre son importance pour
les lecteurs hollandais. La production en langue néerlandaise augmente
et des voix d’un courant nationaliste se lèvent contre une ‘verfransing’
(franciscation).
A l’heure actuelle nous sommes aux Pays-Bas, comme dans beaucoup
d’autres pays, plutôt victime d’une autre domination, celle de l’anglais. Un
enfant d’aujourd’hui qui grandit dans une des villes d’Hollande est bien
confronté avec beaucoup des nationalités différentes. La ville de Rotterdam
y compte même 173. Comme langue étrangère ce même enfant est surtout
confronté avec l’anglais : à la télévision, dans la musique pop, dans les jeux
pour ordinateur – et sur des panneaux dans les trains où les indications sont
en néerlandais et en anglais. En tous cas, se pencher au dehors, sporgersi di
finestra, lean out the window, oder hinauslehnen, n’est plus possible, parce
qu’il est désormais complètement impossible à ouvrir les fenêtres dans les
trains climatisés d’aujourd’hui.
Nouvelles technologies et question de la langue :
les blogs littéraires et les langues dominées.
L’exemple du Québec
CATHERINE BERTHO LAVENIR
Introduction
Quel rôle peut-on assigner au medium, entendu ici au sens du support
de l’écriture, dans le processus qui donne aux langues vernaculaires le statut
de langue littéraire ? Dans le Québec contemporain les langues autochtones
sont en train de se transformer en vecteur de la création littéraire. Le
processus mobilise les institutions liées à la culture de l’écrit (universités,
maisons d’édition) et s’appuie sur des formes textuelles classiques : roman,
nouvelles, autobiographies, récits. On peut considérer que les communautés
autochtones du Québec suivent ce faisant un chemin à la fois original et
commun à de nombreuses communautés dominées. Au XIXe et au XXe
siècle, en effet, en Europe, de nombreux groupes ethniques et linguistiques
ont été confrontés à la nécessité d’appuyer leur revendication identitaire
en obtenant la reconnaissance de leur langue comme langue littéraire. Ce
processus de maîtrise de l’écrit passe en général par deux étapes : en premier
lieu la fixation de la langue puis la diffusion d’œuvres par l’intermédiaire
de l’imprimé.
On peut se demander ce que l’apparition du web modifie dans ces
processus d’affirmation identitaire, auparavant appuyés sur l’écrit.
Internet offre en effet des possibilités d’intervention dans l’espace public
jusqu’ici inédites. Il est possible de tenir un blog littéraire, de créer un
site pédagogique pour favoriser la diffusion de la langue, de construire
une sociabilité en s’appuyant sur les réseaux sociaux. Autant de modalités
nouvelles d’affirmation de la langue dans l’espace public. Ces modalités
nouvelles s’articulent cependant sur des formes de diffusion de la langue
272
CATHERINE BERTHO LAVENIR
plus anciennes qu’elles ne supplantent pas entièrement : la rédaction
d’œuvres littéraires, la création de collections éditoriales, la reconnaissances
d’écrivains comme auteurs, par exemple.
Pour disposer d’un cadre de saisie global, on comparera ce que l’on
peut observer aujourd’hui de l’usage d’internet dans la reconnaissance des
langues autochtones au Québec avec les schémas traditionnels d’affirmation
des langues vernaculaires tels que les ont décrits les historiens pour
l’Europe du XIXe siècle. Pour comprendre par quelles procédures pratiques
fondées sur Internet les communautés au Québec donnent à leur langue
un statut littéraire, on s’intéressera particulièrement à un blog littéraire
particulièrement connu : celui de Naomi Fontaine, jeune auteure innue.
La trajectoire des langues dominées : constantes
Si l’on considère dans une perspective médiologue le processus
de défense et illustration d’une langue comme mode d’affirmation dans
l’espace public d’une communauté, on voit comment un modèle centré sur
l’imprimé s’est mis en place au sein des espaces nationaux européens au
XIXe siècle au moment où l’affirmation des Etats-Nations, organisés sur
une communauté de langue et de références historiques, a coïncidé avec
l’effacement des civilisations paysannes traditionnelles1. L’affirmation des
langues nationales a obligé les acteurs sociaux à réinventer un statut pour
des langues devenues dominées. Cette réinvention s’est faite au XIXe siècle
à travers l’usage de technologies précises : l’imprimé, le livre, le journal,
et dans une moindre mesure, au XXe siècle, les procédés d’enregistrement
du son, utilisés en particulier par les ethno musicologues et ethnologues.
Le processus a été analysé par les historiens de la culture. Leurs
travaux permettent de reconnaître des constantes au delà de la diversité des
situations et des contextes.
La première remarque est que cette affirmation d’une langue vernaculaire
comme langue littéraire se fait dans un contexte de domination. En premier
lieu, ces langues passent d’un contexte culturel qui était celui de la tradition
(usage vernaculaire) au statut de langue savante, susceptible de donner
naissance à une littérature, à un moment où leur situation est fragilisée
comme langues véhiculaires. La pression économique, scolaire, renforcées
parfois par des décisions législatives, conduisent les communautés à
adopter la langue dominante dans l’espace politique et économique auquel
elles appartiennent. En conséquence, la conscience de cette fragilité incite
Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales. Europe XVIIIe–XXe
siècle, Seuil, 1999, 302 p.
1
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 273
un certain nombre d’écrivains, hommes de lettres, intermédiaires culturels,
à adopter une position militante. L’écriture sera alors un acte d’affirmation,
une contribution à la stratégie de sauvetage de la langue.
Par ailleurs, la défense d’une langue minoritaire est fréquemment
associée à l’affirmation des communautés correspondantes dans l’espace
public. Cette affirmation prend des formes très différentes selon le contexte
politique, le moment et le lieu. Une constante est sans doute la concurrence
pour le contrôle de l’école et des programmes scolaires.
Les intermédiaires culturels jouent aussi un rôle essentiel dans
l’affirmation de la langue. Une figure traditionnelle dans l’Europe du
XIXe siècle est celle de l’écrivain qui cherche à obtenir ou obtient une
reconnaissance dans l’espace culturel national avec des œuvres évoquant
la langue d’origine. Mais une typologie précise permet de repérer d’autres
figures : celles de l’enseignant, fondateur d’une école, créateur d’une
méthode d’enseignement de la langue ; le rédacteur de dictionnaire et
de grammaire qui permet de fixer la langue ; le pédagogue qui crée une
méthode d’enseignement, des institutions pérennes ; dans le monde du livre
l’éditeur qui crée une maison d’édition spécialisée, prend des risques. La
langue s’appuie aussi sur d’autres formes de diffusion : la chanson par
exemple, dans ses formes savantes ou populaires.
Les formes de la langue sont importantes. Les auteurs sont partagés
entre deux nécessités. Celle de demeurer fidèles à leur origine ce qui
renvoie à la question de l’authenticité, et celle de trouver un public. La
première question est donc celle du choix de la langue dans laquelle sera
rédigée l’œuvre. Si il s’agit de la langue que défend l’auteur la question
se posera de la variante adoptée : formes populaires, formes dialectales,
localisées, propres à une communauté, archaïque ou récente ? Ces choix
peuvent diviser profondément les petits groupes militants pour une langue,
entraîner le rejet d’un auteur, sa disqualification comme représentant
« véritable » de sa communauté. Pour s’insérer dans une culture plus large
et trouver un public, certains auteurs publient une traduction dans la langue
dominante2 ou même écrivent directement dans la langue dominante. Ils
doivent alors développer des stratégies pour évoquer les sonorités et les
tournures de leur langue maternelle.
Les défenseurs des langues vernaculaires optent par ailleurs pour des
genres qui ne sont pas forcément les genres dominant dans la littérature de
leur époque. Par exemple dans les années 1850 la poésie est un grand genre
qui donne du prestige à une langue orale. Les grandes épopées lyriques
Frederic MISTRAL, Mirèio: pouèmo prouvençau de Frederi Mistral ; emé la
traducioun literalo en regard, Paris, Charpentier, Avignon, Roumanille, 1861, VIII-511 p.
2
274
CATHERINE BERTHO LAVENIR
occupent un statut intermédiaire : elles sont au cœur des travaux de collecte
de type ethnographique et donnent alors à la langue un cachet d’ancienneté
(Kalevala3, Barzaz Breiz4) ; cela peut pousser des poètes à adopter cette
forme pourtant désuète (Mistral, Le Poème du Rhône). Le roman est un
genre qui assure éventuellement un accès au grand public mais aussi
l’intégration dans la communauté des auteurs.
Il faut faire ici un sort particulier à la place de l’université dans le
dispositif. Les recherches ethnographiques et anthropologiques collectent
traditionnellement les textes de la littérature orale, aux premiers rangs
desquels les contes mais aussi les récits légendaires, proverbes, chants.
Leur édition demande une pratique savante particulière mais il existe toute
une gamme de collections dans lesquelles les contes par exemple peuvent
prendre place, des plus savantes aux plus populaires, y compris les ouvrages
destinés aux enfants. Des produits de la collecte ethnographique par ailleurs
ne prendront jamais une forme écrite. Ils sont recueillis sous forme orale
(enregistrés) et conservés dans des bibliothèques spécialisées. Des films,
servent aussi de base à des études phonologiques, à l’enregistrement de
récits et de paroles associés à des actions particulières : religieuses, de
pêche, de chasse, de cuisine, de soin des enfants.
Par ailleurs la transmission savante de la langue s’appuie sur une
sociabilité spécifique. On se souviendra des Félibriges : la société amicale
de joutes poétiques créée sur un modèle ancien par Frédéric Mistral a
pendant plus de cent ans transmis et conservé une forme littéraire et savante
du Provençal à travers des réunions, concours impliquant le rencontre
concrète des poètes. Lectures publiques, cours universitaires, réunions
d’association, société savantes, cercles d’influence autour d’une personne
prestigieuse sont des formes de sociabilité qu’il ne faut pas ignorer.
Écrire dans une langue minoritaire c’est aussi pour un individu
l’occasion d’évoluer dans le champ académique ou culturel d’accéder
au statut d’expert, ou à celui d’auteur. Cela l’amène à réfléchir sur leur
appartenance à la communauté. Accéder au statut d’auteur implique en
général une appartenance à deux entités sociales, parfois antagonistes : la
communauté d’origine et celle dans laquelle les écrits ont être publiés et
diffusés.
Enfin, des institutions se créent qui ont pour fonction de servir de milieu
3
K. COLLAN, Kalevala. Efter andra original-upplagan ofversatt af K. Collan,
Helsingfors, Th. Sederholm, 1864–1868, 2 vol. in-8°.
4
Théodore Hersart DE LA VILLEMARQUE, Barzaz Breiz. Chants populaires
de la Bretagne recueillis, traduits et annotés par le vicomte Hersart de La Villemarqué,
édition définitive, Paris, Charpentier, 1839, 2 vol. In 8.
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 275
de propagation pour la langue : bibliothèques, départements spécialisées,
musées, maisons de la culture sont autant de mediums qui conservent et
transmettent les œuvres, des données collectées, qui assurent la production
et la reproduction du savoir sur la langue et sa pratique.
Ces remarques nous invitent donc à considérer le processus d’affirmation
d’une langue vernaculaire à travers des interrogations sur la forme des textes
en premier lieu, la forme de la langue ou les genres privilégiés. Par ailleurs
la personne des écrivains demande à être examinée : comment devient-on
auteur ? Comment les individus engagés dans cette transformation culturelle
et personnelle négocient-ils l’évolution de leur statut. En quoi ce travail sur
soi est-il présent dans leurs œuvres ? Y a-t-il une dimension de genre ?
Ceci renvoie au contenu des textes mais aussi à la négociation de frontières
nouvelles entre les genres : du conte au récit, de la nouvelle au roman, de
la poésie à la chanson. Enfin vient la question des institutions : quels sont
les instituts, universités, maisons d’édition, centres communautaires qui
portent ces textes, les diffusent, assurent leur sauvegarde dans le temps ?
A chacune de ces étapes, le web occupe aujourd’hui une place spécifique.
La présence écrite autochtone dans le Québec contemporain
L’affirmation des langues autochtones comme langues littéraires dans
le Québec contemporain a été étudié, pour le domaine amérindien, par
Maurizio Gatti, auteur de Être écrivain amérindien au Québec5. Selon un
processus connu des historiens de la culture, son ouvrage sur la littérature
amérindienne a joué un rôle décisif dans la reconnaissance de cette
dernière, en contribuant à conforter les écrivains dans leur statut d’auteur,
à constituer un corpus de textes, à donner à ces textes un statut d’œuvres
et enfin à leur offrir des possibilités de diffusion et de conservation via
les institutions académiques. Les maisons d’édition spécialisées, parfois
très petites ou d’une courte durée de vie jouent un rôle complémentaire en
mettant en circulation dans l’espace public des objets qui ont le statut de
livres et qui seront lus, diffusés et conservés comme tels.
Maurizio Gatti analyse par ailleurs les dimensions esthétiques des
œuvres qu’il recense dont il souligne la parenté avec les œuvres majeures de
la littérature autochtone des Etats-Unis. Il identifie des thèmes dominants,
comme par exemple celui de la déréliction de la réserve, lieu où la vie
collective et individuelle se délite et s’éteint, forçant l’écrivain à s’en
Maurizio GATTI, Etre écrivain amérindien au Québec. Indianité et création
littéraire, Cahiers du Québec, Collection littéraire, 2006, 215 p. ; Coll. Littératures
autochtones, Mémoires d’encrier, 2010, 282 p.
5
276
CATHERINE BERTHO LAVENIR
éloigner alors même qu’il cherche à écrire sur et pour sa communauté. Deux
autres thèmes majeurs de cette littérature sont la célébration de la nature et
la revendication politique. Maurizio Gatti relève qu’il y a là comme une
assignation à certains objets, qui sont ceux qui sont attendus de la part de
l’écrivain autochtone, assignation dont ce dernier a du mal à se dégager6.
Maurizio Gatti montre aussi comment sont mises en jeu les questions de la
langue, de l’identité individuelle, de l’engagement, de la sociabilité.
Le blog littéraire de Naomi Fontaine
Qu’est-ce que cela devient sur le net ? Comment le web se positionnet-il dans ce jeu entre mediums, formes littéraires, institutions et auteurs ?
En premier on notera que le web.1 partage avec le monde de l’édition
traditionnel le fat d’être principalement un univers de l’écrit. L’affirmation
d’une identité, le traitement de la langue, la défense de la communauté s’y
diront d’une façon en partie semblable à celle du monde du livre. D’autres
dimensions en revanche se développent : un nouveau rapport à l’oral, une
organisation plus libre de la sociabilité. En revanche, les auteurs vont y
courir le risque de perdre en légitimité ce qu’ils gagnent en visibilité.
Si l’on considère les blogs et sites des auteurs autochtones de langue
innue, on constate qu’ils s’articulent à l’économie de l’imprimé qui les
précède. En effet, une innovation technique entraîne rarement une rupture
totale; la nouvelle technologie trouve place aux côtés de l’ancienne.
Le blog littéraire de Naomi Fontaine, « Innushkuess- Fille Innu »7,
illustre bien la façon dont l’écriture numérique s’articule sur l’édition
imprimée. L’affirmation de cette jeune femme innue comme auteure
bénéficie de sa présence sur le web et débouche sur une publication dans
les formes classiques de l’édition. L’auteure de ce blog, Naomi F. est issue
de la communauté innue de Uashat. La publication en 2011 de son premier
livre imprimé témoigne du fait que son entrée dans la vie littéraire s’est
faite en suivant un chemin qu’ont parcouru avant elle d’autres auteurs
représentants d’une communauté et d’une langue, en s’appuyant sur des
intermédiaires relativement traditionnels que sont l’université, l’édition,
la presse, la critique littéraire spécialisée. Étudiante à l’université Laval
à Québec se destinant à l’enseignement, Naomi Fontaine a, au cours de
sa formation universitaire, suivi l’atelier d’écriture de l’écrivain français
6
On fera un parallèle avec les thèmes choisis par les écrivains en langue provençale
dans la France du XIXe siècle : célébration de la nature, description d’un monde paysan
idéalisé, sous-texte politique sont des points communs aux auteurs du Félibrige et il leur
est difficile d’y échapper.
7
http://innutime.blogspot.com/
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 277
François Bon8. Ce dernier, séduit par ses courts textes, l’a encouragée. Par
ailleurs, l’écrivain québécois Jean Desy l’a aidée à structurer son texte
et à trouver un éditeur, la petite maison d’édition québécoise Mémoire
d’encrier, qui publie son premier livre Kuessipan9, en 2011. Ce dernier
reçoit un accueil favorable dans les journaux de référence de Montréal :
« Encensé par Louis Hamelin dans Le Devoir et par Chantal Guy dans La
Presse, Kuessipan a obtenu une couverture de presse à faire pâlir d’envie
bien des écrivains québécois » écrit Julie Bouchard10.
En fait Louis Hamelin, dans sa critique, définit les conditions d’entrée
de la jeune écrivaine dans l’écriture savante. Soulignant qu’il ne s’agit
pas là d’un roman à proprement parler mais de courts textes, il signale
la maladresse de certains passages et conclut qu’elle doit prendre modèle
sur d’autres écrivains autochtones afin d’acquérir un style, la renvoyant
curieusement à un modèle préétabli qui serait celui de l’écrivaine
autochtone : « Car elle est devant une oeuvre. On lui souhaite de lire bien
vite Tomson Highway, Thomas King et, pourquoi pas, Louise Erdrich. En
attendant, «pas de passé trop lourd qui fait suffoquer ce qui vit ». … Lorsque
Naomi Fontaine aura appris les ficelles de l’art de la fiction, attention.11 »
Chantal Guy dans La Presse, titre plus populaire, s’intéresse pour sa part
à la position d’intermédiaire culturel de l’auteure en soulignant les formes
de son engagement : « C’est à son peuple que Naomi Fontaine destine son
livre, plein de respect et de dignité, sans pour autant masquer les difficiles
réalités de la réserve.12 »
Voilà pour la forme imprimée. Qu’apporte le blog tenu par la jeune
écrivaine à ce processus de légitimation ? François bon dans une page
de son propre blog (Le Tiers Livre) intitulée « Naomi Fontaine/iame
unepessish13 » revient sur le parcours de celle qui a été son élève. Il souligne
à la fois l’importance dans son parcours des médiations institutionnelles
traditionnelles et la suprématie symbolique de l’écrit – la publication
initiale du texte de Naomi Fontaine a eu lieu sur publie.net.
Julie BOUCHARD, « Un premier roman réussi », Au fil des évènements,
Université Laval, juin 2011.
9
Naomi FONTAINE, Kuessipan : à Toi, Mémoire d’encrier, Montréal, 2011, 111
p.
10
Julie BOUCHARD, op. cit., juin 2011.
11
Louis HAMELIN, « Naomi Fontaine ou le regard neuf », Le Devoir, 23 avril
2011.
12
Chantal GUY, « Naomi Fontaine : bons baisers de la réserve » La Presse, 13 mai
2011.
13
http://tierslivre.net/spip/spip.php?article2581
8
278 CATHERINE BERTHO LAVENIR
Cependant le blog en tant que tel joue un rôle à la fois dans l’affirmation
de l’auteure et dans le développement de formes d’écriture qui lui sont
propres. Il permet, par exemple, à son auteure d’affirmer sa présence dans
le champ littéraire en occupant une place visible dans le champ intellectuel :
ainsi il nous a été signalé par le documentaliste du centre de recherche sur
l’histoire culturelle de l’université de Montréal, le CRILQ.
Par ailleurs, nourri de courts textes à l’écriture très soignée, ce blog
peut apparaître comme une sorte de banc d’essai. Cependant il est aussi
le support autonome d’un travail d’écriture aux formes sans doute plus
multiples que le livre. On y trouve en effet des courts textes littéraires
construits autour d’une situation ou d’une émotion, mais aussi des textes
plus engagés, des réflexions sur le devenir des communautés. Il y a donc là
sur un même support des textes qui se trouvaient auparavant distribués entre
le livre et la presse. Les écrivains du XIXe siècle par exemple publiaient des
articles dans lesquels ils prenaient des positions esthétiques ou politiques
qui n’avaient pas leur place dans le livre. Ou bien ils publiaient dans la
presse des articles ou de courts textes destinés à être ensuite rassemblés en
volumes. Le blog joue ici ce rôle de banc d’essai.
Ces textes témoignent de la recherche d’une esthétique autonome
et d’une forte conscience de soi. On repère dans les thèmes des figures
analogues à ceux repérés par Maurizio Gatti dans Être écrivain amérindien
au Québec : la déréliction de la réserve, la célébration de la nature, la
revendication politique ; le désir, aussi, de la part de l’auteure, de n’être
pas assignée à certains thèmes
Le blog contribue par ailleurs à la construction du personnage de
l’auteur dans la mesure où l’économie même de ces petits sites prévoit des
espaces où l’auteur se présente. Dans le cas général, c’est à la critique de
donner à un écrivain un statut d’auteur et de cristalliser la notion d’œuvre.
C’est ensuite aux médias de faire connaître sa personnalité. La forme du
blog modifie un peu cette procédure. C’est d’une certaine façon l’auteur
lui-même qui assure la fonction critique en présentant en même temps son
œuvre et sa personne. A cet égard on peut risquer une analyse sémantique
des pages du blog, au même titre que l’on analyse une quatrième de
couverture, ou un entretien dans une publication imprimée.
Des détails de la présentation du blog « Innushkuess- Fille Innu »,
illustrent d’une façon propre à ce média des aspects classiques de la situation
de passeur qu’assurent les écrivains dans une langue dominée. On y repère
par exemple l’incertitude sur les frontières de la personnalité par exemple :
en quoi l’écrivain est-il unique et dans quelle mesure veut-il/doit/il peut/il
ou elle, représenter sa communauté ? Dans le blog de Naomi Fontaine, à la
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 279
place où est normalement prévue la photographie de l’auteure (du blog), se
trouve un paysage. Il s’agit d’un bord de fleuve – ou d’un bord de mer. Au
premier plan un rideau d’arbres. L’horizon est au tiers inférieur de l’image.
Un soleil orange se reflète dans l’eau. Le ciel est entièrement rouge et noir.
Les arbres au premier plan sont légèrement flous. Le choix de la couleur
rouge, un paysage nocturne, dramatique sont des choix esthétiques et
symboliques. L’espace vierge du grand nord se substitue ici à la figure de
l’auteure, comme ci cette dernière s’effaçait devant un lieu, un territoire,
dont elle n’était que le porte parole, ou comme si elle n’avait pas d’identité
propre en dehors de ce territoire.
La présentation de l’auteure se coule par ailleurs dans la grille formelle
prévue par la société qui offre l’espace du site internet (Google). Naomi
Fontaine joue à un jeu de cache-cache avec le lecteur sur son identité : elle
ne donne que son prénom, Naomi, mais précise qu’elle est de sexe féminin.
Significatif est le fait qu’elle accepte dans la rubrique « pays territoire » la
classification proposée par la machine : ici « Québec ». Par ailleurs un petit
drapeau bleu-blanc-rouge ( !) signale à l’internaute la langue du blog –
apparemment la machine n’a pas prévu qu’un blog puisse se réclamer de
plusieurs aires linguistiques. Le choix de la langue ici assumé (français
et par moments seulement innu) représente le dilemme traditionnel des
écrivains d’une langue dominée : écrire dans sa langue – mais n’être
compris que de sa communauté ou écrire dans la langue dominante, en lui
donnant une couleur originale.
La sociabilité littéraire, on l’a vu, fait aussi partie des vecteurs
d’affirmation d’une langue dominée. Sur le web, les réseaux sociaux sont
disponibles pour cette fonction. Le blog « Innushkuess- Fille Innu », en
utilise avec parcimonie les possibilités. Le système des renvois à d’autres
blogs associés construit un embryon de réseau de sociabilité. Sa teneur
est plutôt littéraire – renvoi sur d’autres blogs d’écrivains ou militante –
renvoi sur des blogs d’associations innu. « Blogs dont je suis membre »
renvoie à « La mangeuse d’allumette14 », sur lequel de courts textes,
intimistes, et sans doute rédigés dans le nord du Québec, ont été postés
en 2010. Elle y a laissé de courts messages appréciatifs. L’autre s’appelle
« Le persifleur ». Très soigné, il est d’une tonalité critique et académique.
Son auteur habite probablement Montréal ou les environs… Il s’agit de
liens fragiles, distendus pour le premier, qui n’ont rien de commun avec
l’efficacité d’un engagement académique et communautaire. Les autres
traces de la présence de Naomi Fontaine sur le web témoignent du fait que
14
http://belangergabriel.blogspot.com/2010/06/le-petit-trou-justin-est-le-nomde_16.html
280 CATHERINE BERTHO LAVENIR
le réseau conforte des actions qui ont lieu en dehors de l’espace du web en
leur assurant une certaine publicité et en assurant leur conservation dans le
temps. Ainsi une recherche à partir du nom de l’auteure conduit-elle à une
video disponible sur You tube qui donne à voir Naomi Fontaine lisant en
public l’un de ses textes dans un cadre semi-académique15.
Internet, par ailleurs, donne une visibilité plus grande au processus
classique de construction d’un auteur par la critique. Les articles critiques
cités plus haut sont disponibles sur le blog, ainsi que le récit fait par
l’écrivain François Bon de sa rencontre avec Naomi Fontaine, publié sur
son propre blog, « Le Tiers livre16 ».
Jean Sioui, l’écriture et les institutions
D’autres écrivains autochtones utilisent internet comme véhicule
d’affirmation personnelle et identitaire et centre d’un réseau de sociabilité
tout en réservant une place privilégiée à l’écrit imprimé dans leur œuvre.
C’est par exemple le cas de Jean Sioui. Ce dernier appartient à une
génération antérieur à celle de Naomi Fontaine. Il est né en 1948 à Wendake,
« réserve » située près de la ville de Québec, où vit une communauté de
Hurons entretenant depuis des siècles des rapports très étroits avec la ville
voisine. Informaticien de profession, Jean Sioui17 qui obtenu des certificats
en études autochtones et en création littéraire à l’Université Laval a en
quittant sa profession, choisi l’écriture. Il affiche clairement l’idée que son
écriture est au service d’une reconquête identitaire individuelle et collective
et écrit sur le site internet officiel de la nation huronne18 :
Wendat du clan de l’Ours, je suis né à Wendake en 1948. La peau retient
la lumière qui garde trace du passé. La littérature est depuis toujours, la
personnification privilégiée de l’homme pour véhiculer les idées et les
15
http://www.youtube.com/watch?v=6LmShv7ut8I
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2581
17
Sa biographie précise : « Il est co-fondateur du Cercle d’écriture de Wendake,
animateur d’ateliers de poésie au CDFM (Centre de développement de la formation et
de la main-d’œuvre huron-wendat), formateur au Banff Center pour le Conseil des Arts
du Canada dans le cadre du programme Écrivains autochtones en début de carrière,
consultant et rédacteur du manuel de formation pour intervenants en milieu autochtone
au Conseil de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du
Labrador. Ses textes ont été récemment publiés dans la revue Ici-é-là de la Maison de
la poésie de Saint-Quentin en Yvelines (France) et dans la revue Ellipse à Frédéricton
(Nouveau-Brunswick). »
18
http://www.wendake.ca/wendake_service.php?service=10&page=65
16
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 281
sentiments d’un peuple, d’une époque, d’une civilisation. Rouges sont
mes origines…
Ses publications s’inscrivent dans des genres différents : conte, poésie19,
livres pour la jeunesse20. Le pas de l’Indien, publié en 1997 et réédité en
2005 est un recueil de pensées, de souvenirs assemblés en une suite de
courts textes. Ces livres sont disponibles dans la boutique de la réserve
de Wendake, à forte fréquentation touristique, dans un contexte qui est
explicitement lié à la défense de l’identité d’une communauté. Mais Jean
Sioui est aussi lu et publié hors du cercle immédiat de la communauté : ses
poésies ont été lues en France et au Nouveau-Brunswick par exemple.
Par ailleurs il est aussi inséré dans les différentes institutions qui
donnent visibilité et légitimité à la littérature autochtone : il dirige une
collection littéraire pour la jeunesse, anime un cercle d’écriture, des ateliers
de poésie, œuvre dans le cadre d’un programme fédéral destiné à soutenir
les écrivains autochtones en début de carrière et participe à des programmes
pour la formation des intervenants en milieu autochtone.
Le web sert ici d’appoint dans la construction d’une personnalité
littéraire. D’une part il donne une visibilité aux ouvrages imprimés. C’est
en suivant une piste littéraire qu’on retrouve la trace sur le net, de son
recueil Le pas de l’Indien. Ce livre fait en mai 2011 l’objet d’une critique
amateur favorable21 sur le blog littéraire d’une visiteuse qui l’a achetée dans
la réserve22 ; ailleurs on trouve trace d’une lecture et de la traduction en
croate de l’un de ses poèmes23. Par ailleurs, les divers sites institutionnels
de la nation huronne renvoient à lui, de même que les sites liés aux grandes
manifestations culturelles autochtones. Mais le web ne semble pas être
pour Jean Sioui autre chose qu’un vecteur de diffusion de ses œuvres et le
support d’un réseau de relations axées sur le renforcement symbolique des
communautés autochtones.
Jean SIOUI, Poèmes rouges, 2004.
Jean SIOUI, Hannenorak, 2004.
21
http://www.babelio.com/livres/Sioui-Le-pas-de-lindien--Pensees-Wendates/
264875
22
Ibid. « Ce court recueil que j’ai acheté dans une caserne indienne au Canada est
un vrai régal. Il témoigne de toute le sagesse et la philosophie présente chez le peuple
huron. La caserne dans laquelle j’ai acheté cet ouvrage est aujourd’hui devenue un lieu
touristique mais avant tout un lieu de mémoire. Le peuple huron avait une pensée pure
et ce livre en témoigne. On y retrouve des textes inédits, des récits traditionnels et des
réflexions sur la nature et sur le monde. »
23
http://thomasdretart.over-blog.com/article-tomislav-dretar-huronski-pjesnik-izquebeca---jean-sioui-54983865.html
19
20
282 CATHERINE BERTHO LAVENIR
Aux frontières de l’oralité : les sites des communautés
Si l’on considère le travail fait par les communautés dans le domaine
de l’apprentissage de la langue, on retrouve des éléments appartenant
traditionnellement à la culture de l’écrit : la mise en place de dictionnaires,
de manuels de lecture, l’édition ou la vent d’ouvrages dans la langue
vernaculaire (ouvrage de fiction ou utilitaires), ainsi que des programmes
de collecte auprès d’anciens de poèmes, contes, récits légendaires ou
récits de vie. Ces opérations demandaient traditionnellement le détour par
l’écrit pour fixer et conserver les récits. Cependant on précocement fait
appel à des systèmes d’enregistrement de la parole. Le recours à internet
tend à court-circuiter d’une certaine façon l’écrit en rendant à l’oralité une
primauté qu’elle avait perdue. On a déjà vu chez les auteurs cités ci-dessus
qu’Internet offrait la possibilité d’entendre leurs œuvres lues en public.
Dans la nébuleuse des sites associés à des centres culturels autochtones, la
voix des conteurs comme celle des professeurs est enregistrée, conservée
et transmise sans la médiation de l’écrit.
L’Institut éducatif et culturel montagnais24 se donne comme
première fonction l’apprentissage de la langue, la rédaction de manuels
d’apprentissage imprimés mais son site s’ouvre sur une série d’ouvrages
dont certains se situent aux frontières de la poésie et de la fiction. L’Institut
focalise son attention sur des éléments liés à la fixation d’une forme écrite
de la langue et offre en ligne des lexiques. Par ailleurs l’Institut entreprend
un travail de collecte et d’édition de récits auprès des anciens25 qui semble
prendre la forme classique d’enregistrements et de transcriptions. On notera
ici un programme de création de cassettes qui indique que pour l’accession
à la langue le détour par l’écrit n’est pas indispensable.
On peut rapprocher ce programme de celui d’une autre communauté du
nord dépendant de Terre Neuve avec le soutien de l’université du Labrador26.
Ce projet est dédié à la connaissance et au développement de la langue
innue. Ce qui nous intéressera ici est la forte place prise par l’oralité dans
le projet. Par exemple, sous la rubrique « Mythe et récits traditionnels » on
peut accéder d’une part à des transcriptions de récits (PDF) mais aussi pour
certains d’entre eux à de petites capsules permettant d’écouter directement le
conteur dans sa langue. L’écrit et l’oral sont ici présentés ensemble, chacun
avec une légitimité égale, proposant une nouvelle forme d’intermédialité.
24
http://www.icem.ca/icem/langue.asp?titre=20
« Constitution d’une collection d’œuvres écrites par des aînés innus. Édition de
livres destinés aux enfants. Participation financière à la publication d’ouvrages divers. »
26
http://www.innu-aimun.ca/modules.php?name=cura&lang=french
25
Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 283
On notera par ailleurs que la traduction de ces textes (en français ou en
anglais) est ici délibérément absente. Par ailleurs la liste des ressources
du centre de recherche associé compte « Des archives de livres, cassettes
et enregistrements numérique reliées à plusieurs langues autochtones, y
compris les langues algonquiennes (innu-aimun, cri, mi’kmaq et pied-noir)
ainsi que l’inuktitut et le mohawk.27 »
Au delà de l’écrit : les jeunes autochtones et le mélange des genres
Le fait que les formes associant librement l’oral, l’écrit, l’image la
video sont aisées à créer maintenir et diffuser sur internet change semble-t-il
beaucoup plus profondément le rapport à la création des jeunes autochtones
présents dans les formations universitaires et actifs dans les associations
culturelles des grandes villes. La musique s’associe alors selon des formes
nouvelles à la poésie, au récit, au texte revendicatif. Ces derniers ne sont
pas seulement oralisés, ils sont mis en musique et diffusés comme tels.
L’écrit occupe alors une place seconde dans ce secteur de la création.
Ainsi le site « Jeunes autochtones » faisait-il preuve en 2010 d’une
créativité débridée en utilisant tout naturellement le net (adresse de courriel)
pour demander des informations sur des groupes ou des sites, en français et
en langue innue. Leur inscription dans le cybersespace se traduisait par la
diffusion de liens vers une nébuleuse de sites : tels que « Terres en vue »,
Echo nations, CKIA FM 88 3 (indiquant le glissement vers la radio comme
support), ou Wapikoni mobile… Un autre site internet indique plutôt la
façon dont l’écrit de création peut s’affirmer dans un champ artistique autre
que la littérature. Le Cercle des premières nations de l’UQAM programme
ainsi en 2009 « Paroles et pratiques artistiques autochtones au Québec
aujourd’hui ». Ici il n’est pas question d’édition et d’impression mais de
création collective au nombre desquelles des lectures de textes et de poésies
mais aussi de la chanson, de vidéo, du cinéma... le programme affirme :
En contestant l’héritage d’une histoire faussée par le discours colonial,
ils puisent dans les sources de leur culture et l’actualisent. L’oralité des
passeurs de récits, de mythes et de légendes, les rythmes sacrés et les
rituels, par exemple, qui sont des pratiques symboliques ayant survécu
depuis l’époque d’avant la colonisation, investissent les interventions
artistiques contemporaines. C’est donc à travers une territorialité
imaginaire que les artistes travaillent la mémoire persistante des
blessures de la colonisation et participent à un renouvellement créateur
des cultures autochtones.
Ibid.
27
284 CATHERINE BERTHO LAVENIR
La langue, dans cette perspective n’a plus un rapport privilégié avec
l’écrit. La création mobilise la langue par le truchement du cinéma ou de la
vidéo, de la musique ou même de la danse. Le web.2 en permet l’archivage
et la diffusion à moindre coût. Et l’université, en associant recherche,
enseignement et création assure la solidité et la légitimité de l’inscription
des œuvres dans le champ culturel. Il s’agit là d’un modèle nouveau de
promotion d’une culture et d’une langue qui contourne l’écrit et la tradition
imprimée, sans les menacer directement, mais sans non plus laisser à
l’imprimé la place exclusive qui était la sienne dans l’affirmation culturelle
de la langue.
Brancusi : la tentation de l’illustration
DOINA LEMNY
C. Brancusi, Autoportrait, sans date
Paris, Musée National d’Art Moderne1
Brancusi est connu d’abord comme l’un des fondateurs de la sculpture
moderne, dont la création, profondément novatrice semble ne pas avoir
laissé de place aux autres activités artistiques qu’il a cependant pratiquées
avec talent et passion. Qu’il s’agit de la musique pour laquelle il avait un
don inné et qu’il pratiquait avec la plus grande légèreté et joie, de la photo
dont il se passionna après avoir bénéficié des conseils techniques de son
ami Man Ray ou du dessin, Brancusi prenait autant de plaisir à réaliser des
œuvres sur des supports différents, avec des méthodes différentes. Il laisse
l’impression d’être en permanente quête de nouveauté, d’un moyen orignal
d’expression.
1
Les illustrations proviennent du fonds documentaire de la Bibliothèque Kandinsky,
Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris.
286 DOINA LEMNY
Le dessin est pour lui un exercice qui lui permet de rêver et d’inscrire
à côté des notes écrites des impressions, des pensées, des images que
son appareil photo ne peut pas surprendre malgré ses nombreux essais
de superposition de pellicules, de recadrage, ou de développement forcé.
Le nombre restreint de dessins indépendants et des dessins d’archives
confirment ce constat que Brancusi ne pensait pas à une technique
particulière pour l’œuvre graphique, mais au contraire, il profitait de la
singularité du dessin de laisser toutes les libertés possibles, sans aucune
contrainte. Il lui permet l’expression immédiate et spontanée et lui sert
parfois de rappel d’une de ses sculptures, d’étude d’un mouvement qu’il
avait déjà surpris en pierre. Car Brancusi ne fait pas de dessin préparatoire
aux sculptures, elles sortent de son dialogue avec le matériau dur. Il dessine
comme il écrit, avec des hésitations, des retouches, des reprises sur un
support qu’il ne choisit pas à l’avance : des bouts de papiers ou des feuilles
qu’il retrouve dans son atelier sur lesquelles il lui arrive d’écrire des notes,
des comptines, des lettres. Le dessin l’a toujours accompagné et est entré
en dialogue avec sa sculpture, car souvent il en est un écho visible : aussi
épuré et simplifié, il rend pertinente sa démarche dans la sculpture.
Malgré cet apparent désintérêt du sculpteur pour l’œuvre graphique, il
ne pense pas moins à illustrer des textes littéraires ou à faire publier quelques
uns de ses dessins. Ces admirateurs et amis l’incitent à publier ses dessins.
La sculptrice Irina Codreanu (qui a été aussi son élève) prend l’initiative et
propose dès 1925 aux rédacteurs Ernest Walsh et Ethel Moorhead de This
Quarter d’illustrer son premier numéro du printemps 1925 avec quarante
photos des œuvres du sculpteur et cinq dessins choisis par elle. [fig. 1, 2]
À cette époque, Brancusi était très connu aux Etats-Unis : sa participation
à l’exposition d’art international de l’Armory Show, où sa sculpture Mlle
Pogany ainsi que Nu descendant un escalier de Duchamp et des peintures
de Matisse ont fait sensation, les mettant sur le devant de la scène artistique
internationale. Une première exposition personnelle suivra en mars 1914 à
la galerie Photo Secession d’Alfred Stieglitz et une deuxième, en octobre –
novembre 1916, organisée par Marius de Zayas à la Modern Gallery de
New York. Lorsque en 1926, Joseph Brummer lui propose d’organiser
une exposition personnelle dans sa propre galerie new-yorkaise, Brancusi
accepte sans réticences et compte sur l’expérience et surtout sur l’amitié de
Duchamp qui en sera l’organisateur. Ce sera encore une fois pour l’artiste
roumain l’occasion de rencontrer le public américain qui commençait à
acheter des œuvres de lui. Pour lui cette exposition devient le symbole de sa
maturité d’artiste, lorsqu’il devient une célébrité et lorsque les personnalités
artistiques et littéraires les plus en vue veulent le rencontrer. Il s’y rend en
Brancusi : la tentation de l’illustration
287
janvier – mars pour préparer sa troisième exposition personnelle, qui aura
lieu aux Wildenstein Galleries (du 18 février au 3 mars). Le 27 février le
Penguin Club organise son bal annuel « Fireman’s Ball » dont Brancusi est
l’invité d’honneur. Il y retrouve Alfred Stieglitz et Beatrice Wood qui lui
présente le couple de collectionneurs américains Louise et Walter Arensberg
et l’architecte William Lescaze, avec qui il envisage l’installation d’une
Colonne sans fin à New York. A cette occasion, il découvre aussi des cafés
littéraires et artistiques tels que celui tenu par une compatriote Romany
Mary (Romany Mary’s Tavern) qui est connue par ses activités divinatoires
et qui le fait rencontrer des éditeurs et d’autres artistes de la bohème new
yorkaise. L’éditeur Boni & Liveright avait inscrit dans son programme
éditorial un ouvrage intitulé All in your coffe. Lorsqu’il l’apprit, Brancusi
se montra très intéressé, peut-être en raison de son habitude de préparer le
café turc dans des récipients traditionnels et d’en conserver le marc pour
s’amuser à y lire l’avenir. L’auteur et sa collaboratrice, Romany Mary,
ainsi que l’éditeur lui proposèrent d’exécuter des dessins qui, avec les
cinquante photographies déjà réalisées, pourraient mieux illustrer le texte.
Enthousiaste, l’artiste le lit attentivement et regarde avec beaucoup d’intérêt
les photos des tasses soigneusement commentés par les auteurs. [fig. 3].
Malgré l’intérêt de l’ouvrage et malgré les insistances répétées des auteurs
et éditeurs, Brancusi répondra qu’il ne trouva pas la place des dessins qu’il
aurait conçus. Sa réponse et claire et définitive : « Le livre m’intéresse mais
je trouve pas le sens de ma collaboration, car il est complet tel qu’il est. [Je]
Renvoie manuscrit ; [je] regret[te] sincèrement Brancusi. »
L’analyse d’un dossier confidentiel de la Dation 2001 conservé dans
le Fonds Brancusi à la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou,
m’a donné l’occasion d’identifier un personnage mystérieux de la vie de
l’artiste et de découvrir un projet de livre illustré qu’il n’a plus réalisé.
Ce dossier contient toute la correspondance amoureuse du sculpteur avec
Marthe Lebherz, connue et évoquée par les amis de l’atelier que par son
prénom, Marthe.
Les nombreuses lettres de Marthe et de Brancusi conservées à l’atelier
ne précisent pas par qui ni quand ils ont été présentés, mais on apprend à
la lecture de ce volumineux dossier que Marthe est la fille d’un médecin
suisse, venue à Paris pour prendre des cours de danse. Grâce à sa sœur
Juliette, proche de Joella, la sœur de la poétesse américaine Mina Loy,
elle fréquente les milieux artistiques et littéraires cosmopolites de la
capitale. Au début 1926, en prévision de ses voyages aux Etats-Unis et de
ses contacts avec les collectionneurs américains, de plus en plus fréquents,
l’artiste prend des leçons d’anglais avec une certaine Miss Kelly. Mais il
288 DOINA LEMNY
abandonne très vite et décide d’engager plutôt une secrétaire. Il trouve en
Marthe une jeune fille sérieuse, capable de ranger sa correspondance et ses
affaires. Elle est subjuguée par l’aura du sculpteur, dont la notoriété est
croissante. L’ambiance de l’atelier ne manque pas de présences féminines,
mais Brancusi tombe sous le charme de Marthe, de sa jeunesse et de sa
simplicité ; bientôt, il est fou amoureux de cette jeune fille modeste, qu’il
surnomme dans l’intimité « Tonton ». Leur passion grandit pendant son
séjour à New York, qu’il vit comme une douloureuse séparation je cite d’une
lettre du 22 septembre 1926 : « Je t’ecriv un mot, cher Tonton du pays des
contes des fées. C’est si beau et imprevu qu’on ne peu pas s’imaginer sans
le voire […] et cependant je suis comme un roc en exil… ». Ils s’écrivent
tous les jours des lettres d’amour qui sont de la part de Brancusi toutes
illustrées du même motif du Baiser. [fig. 4, 5] Toutes les lettres de Brancusi
comportent en effet un dessin représentant Le Baiser, sous forme de frise,
de vignette ou de composition. (Ce motif deviendra sa deuxième signature,
sa marque d’amoureux. Il l’utilisera également dans sa correspondance
avec la dernière femme qu’il a aimé, Vera Moore, après 1931 et qui lui a
donné un fils qu’il n’a jamais reconnu.)
Cette liaison secrète, camouflée en relation de travail, sans doute à
cause de la famille de Marthe, est donc née dans le cadre de l’atelier, où
l’artiste a conservé l’ensemble de ces lettres, qu’il a classées et numérotées
chronologiquement, car il compte les publier sous la forme d’un roman
d’amour, comme il lui écrit le 31 novembre 1926 : « J’ai fait des tes lettres
une livre O ! grand livre il a 57 page déjà – je le tien fermé a clef dans ma
valise… » . On est étonné de voir cet homme mûr, détaché « des choses
de la vie », s’enflammer comme un adolescent : s’inspirant des contes
populaires, il imagine un crocodile aux pouvoirs surnaturels qui amènera
Marthe auprès de lui… [fig. 6] Il découpe d’un journal deux images colorées
représentant un crocodile et un lézard et les colle sur le papier à en-tête de
l’hôtel où il est hébergé à New York, entre des frises du Baiser positionnées
sur la page de sa lettre selon la logique de l’histoire qu’il imagine. Le côté
ludique de cet assemblage témoigne de son application pour composer et
maquetter seul ce livre. Dans le même élan, il invoque la protection des
« Muses » : « Jouissons avec candeure et moderation de toute la plainitude
de notre beaunheure et prions les muse qu’elles nous protege et qu’elle
favorise mon retour le plus tôt » (lettre du 17 octobre 1926). Les signatures
codées, « Ton ton » et « Tan tan », qui accentuent l’atmosphère de secret,
rythment cette ode à l’amour dans laquelle Brancusi appelle Marthe « la
blonde Iseult ». Il glisse dans les enveloppes des bandeaux décorés du même
motif du Baiser, qu’il a repris et retravaillé pendant quarante ans. [fig. 7]
Brancusi : la tentation de l’illustration
289
Ce motif lui donne l’occasion de se diriger vers « la chose vraie » par la
simplification des silhouettes, comme il l’exprime dans l’autobiographie
« dictée » à l’un de ses amis plus jeune, Marcel Mihalovici. Ce dessin,
ainsi que les inscriptions « Tonton à Tantan / Tantan à Tonton ; de Paris à
New York ; de New York à Paris » deviennent des leit-motifs de ce livre
qu’il prépare en hommage à cet amour sublimé. Non sans humour, il fait
des commentaires sur les rapports des deux amoureux déguisés en « patron
grincheux » et en « secrétaire impeccable » qui est cette Iseult la blonde de
nos temps. [fig. 8]
Déclinant sous diverses formes ce motif, il ennoblit son illustration en
choisissant un papier cartonné doré, sur lequel le travail est plus appliqué,
comme s’il le préparait pour une reliure. Il choisit le même papier doré pour
des manchettes qu’il décore des deux côtés de la frise du Baiser et dans
lesquelles les lettres sont glissées. Aurait-il eu l’intention de les utiliser
d’une manière particulière dans ce projet de livre ? Nu ne le sait. Ce qu’on
observe c’est que les frises sont finement dessinées à l’encre noire sans
hésitation, comme une calligraphie déjà étudiée. Il semble que par souci
de varier l’illustration, il lui arrive d’utiliser comme support l’intérieur des
enveloppes qui est déjà décoré par une impression de fabrique.
Dans une lettre du 10 décembre 1926, il lui annonce une bonne
nouvelle : « J’ai fait enstaler dans ma cabine une table pour ecrir l’Histoire
d’amour de Tonton et Tantan […] En revanche, chere cherie je ne vien pas
avec les maine tout a fait vides car les muses m’onts favorisé a faire une
belle couverture pour ton livre des lettres de Tantan et peut être voudrié tu
metre avec aussi les lettres de Tonton il sera si beau cet livre et si vrais –
mon livre que je gard pretiosement a deja 92 pages et j’esper que le tien
ne sera pas plus petit. » Il a d’ailleurs réuni les lettres de Marthe et les a
numérotées en vue de la pagination du livre. L’on peut supposer que cette
double feuille [fig. 9, 10] aurait pu être envisagée comme couverture, car
c’est l’unique endroit où il introduit le motif de la Colonne : le couple du
Baiser se trouve au centre d’une composition à l’allure monumentale, où
les profils angulaires des deux Colonnes sans fin soutiennent les frises du
Baiser. Au recto à gauche – ce qui serait la quatrième de couverture – Le
Baiser est encadré de quatre petites stèles du même motif. Une fois ouverte,
la double page révèle au verso quatre couples du Baiser, qui couvrent deux
à deux la surface du papier de leur graphisme à l’extrême simplicité :
quelques ondulations pou les cheveux, deux petits cercles pour les yeux et
la bouche, placés sr la ligne médiane séparant les personnages, et, de part et
d’autre de cette ligne, un trait et une petite courbe pour les jambes repliées.
290 DOINA LEMNY
Ce beau projet de livre illustré ne sera jamais réalisé parce que la
flamme de cet amour intense s’éteigna vers 1928 à cause probablement
de l’éloignement des deux amoureux : Marthe a dû rentrer à Genève et
attendre l’accord de principe de ses parents pour le mariage avec Brancusi.
En 1929, deux jeunes éditrices américaines, Harry et Polly « Caress »
Crosby publient un volume de textes extraits de Finnegans Wake2, intitulé
Tales Told of Shem and Shaun, pour lequel elles demandent un portrait de
l’écrivain, destiné à figurer au début de l’ouvrage, à Picasso. Celui-ci ayant
refusé, au motif qu’il ne fait pas de « portraits sur commande », Pound leur
suggère de s’adresser à Brancusi. Il est très étonnant de la part de ce dernier
d’avoir accepté ce genre de demande. On ne sait précisément ce qui l’a
décidé : le refus de Picasso, la personnalité de l’écrivain, l’intervention de
Pound, ou d’autres amis anglais ou américains ? Nul doute que Brancusi ait
été au fait des publications de Joyce, mais quant à le lire ? Dans l’inventaire
de sa bibliothèque, on ne trouve nulle trace d’un ouvrage de lui, ce qui
ne prouve pas de manière certaine qu’il méconnaissait son oeuvre ; il
pouvait aussi en avoir parcouru au moins quelques extraits dans des revues
littéraires.
Six portraits de Joyce ont été réalisés (trois de profil et trois de face)3.
[fig. 11] Les traits y ont été simplifiés, la ressemblance est indéniable, mais
ils ne sont pas représentatifs du personnage : Brancusi n’est pas parvenu
à exprimer ce que Joyce transmet dans sa littérature. C’est en tout cas ce
que pense Mlle Crosby, qui souhaite de la part du sculpteur un portrait
« plus abstrait ». Il dessine alors une spirale, accompagnée de trois lignes
verticales asymétriques et de deux inscriptions mystérieuses à droite du
dessin, en haut et en bas, et appose sa signature en bas à gauche. [fig. 12]
Claude Jacquet, auteur d’un essai sur « les portraits de Joyce par
Brancusi4 », affirme que l’écrivain aurait commenté son portrait en ces
termes : « Le dessin qu’il a fait de moi attirera certains acheteurs. Mais
j’aurais aimé qu’il puisse, ou veuille être aussi explicite que j’essaie de
l’être quand les gens me demandent : « Et qu’est-ce que c’est que ce truclà, mon vieux ?». Il rapporte également l’exclamation du père de Joyce
découvrant le portrait dans un exemplaire du livre : « Jim a plus changé que
je ne l’aurais pensé5 ».
2
Œuvre écrite entre 1909 et 1939 par James Joyce.
Trois se trouvent au Musée National d’Art Moderne, un autre, qui fut donné par
Joyce à Sylvia Beach (actuellement “The Poetry Collection of the Lockwood Memorial
Library”, State University of New York, Buffalo), un cinquième, à l’encre, est un profil
droit et appartient à Alexina Duchamp ; le sixième, dans une collection privée.
4
Brancusi : 25 dessins, MNAM, 10 décembre 1975 – 8 février 1976 (dépliant).
5
Aussi lettre de Joyce à Mlle Weaver du 17 janvier 1932, cf. Sidney Geist,
3
Brancusi : la tentation de l’illustration
291
Plusieurs interprétations ont été données à propos de la spirale et des
verticales. Dans une communication présentée au Ve Colloque international
« James Joyce » du 16 au 20 juin 1975 à Paris Sidney Geist voit dans
ce dessin abstrait des signes renvoyant au portrait figuratif, une sorte de
stylisation des portraits précédents : la plus longue verticale correspondrait
au nez, une autre à la bouche ou aux contours du visage, et la spirale aux
lunette.
Ne peut-on admettre l’hypothèse que Brancusi se soit simplement
amusé à laisser sa plume esquisser une spirale, sans qu’elle renvoie
nécessairement à la « philosophie de Giambattista Vico » ou à une
interprétation philosophique de Finnegans Wake ? Ou qu’il ait récupéré
un motif en vogue : dans les années vingt, la spirale semble être devenue
l’emblème du modernisme. En 1925, la couverture de The Little Review,
par exemple, avait pour illustration un roto-relief de Duchamp. Avant
même cette date, Picabia avait créé ses « Machines », constituées de cercles
et de spirales.
Comme on ne sait pas si le sculpteur avait lu quelque chose de l’écrivain
à l’époque, on peut imaginer que Joyce, aussi peu bavard que son ami Ezra
Pound, lui apparaissait comme une figure énigmatique et complexe, de
même nature qu’une abstraction géométrique. Pour épaissir le mystère, il
aurait inscrit des signes indéchiffrables, qui ne sont peut-être même pas
un code. D’ailleurs, son dessin est intitulé Symbole de Joyce, et non pas
Portrait de James Joyce, comme les six esquisses précédentes.
« Brancusi/Joyce », texte présenté au Ve Colloque international « James Joyce » du 16 au
20 juin 1975.
292 DOINA LEMNY
Fig. 1
Fig. 2
Fig. 3
Brancusi : la tentation de l’illustration
Fig. 4
293
294 DOINA LEMNY
Fig. 5
Brancusi : la tentation de l’illustration
Fig. 6
295
296 DOINA LEMNY
Fig. 7
Brancusi : la tentation de l’illustration
Fig. 8
Fig. 9
297
298 DOINA LEMNY
Fig. 10
Fig. 11
Brancusi : la tentation de l’illustration
Fig. 12
299
Contraintes des gens du livre
et du marché lecteur espagnols :
le français comme affaire
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
La investigación presentada al Congreso debe considerarse como los
primeros resultados de un trabajo en curso sobre el problema de uso del
francés en España a lo largo del siglo xviii, con una particular atención al
periodo considerado de plena Ilustración.
El profesor Frédéric Barbier había puesto de manifiesto la importancia
de este campo como una vía nueva de aproximación a la historia del escrito
y de la imprenta en el siglo xviii, en un seminario celebrado en París, el
año anterior : « Langues, livres, lecteurs : le Français et les Lumières »
[IHMC (CNRS-ENS). 11/12 2009]. Me ofrecí entonces, a iniciar este
acercamiento en los impresos españoles dieciochescos.
El análisis es el resultado de una primera encuesta sobre unos cien
libros impresos en lengua francesa, con pie de imprenta español, impresos
durante el periódo de 1701–1808, y cuya materia no tuviese un vínculo
directo con el uso del francés como vehículo de la cultura ilustrada. El
francés debía haber sido elegido como lengua que servía para otro tipo de
usos y que estaba destinada a cubrir otras necesidades comunicativas si no
ajenas, al menos no directamente vinculadas con la presencia del francés
como lengua de homologación cultural.
Para trabajar, construí una base de datos y a partir de una parametrización
de los resultados, estudié los problemas de circulación de estos impresos
en el espacio nacional, prestando una particular atención al movimiento
de estos impresos en el ámbito de la corte. Los datos me sirvieron también
para establecer las posibles lógicas de la producción ; este estudio lo
hice estableciendo cortes cronológicos coincidentes con cada uno de los
reinados (Felipe V, 1701–1724 ; Fernando VI, 1746–1759 ; Carlos III,
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
301
1760–1789 ; Carlos IV, 1789–1808) porque cada uno de estos periodos
señalan de manera evidente la evolución de estos dos aspectos – circulación
y producción – a medida que las reformas administrativas, económicas, las
aplicadas a la organización del Ejército y las dirigidas a desarrollar las
políticas artísticas y culturales van alcanzando su consolidación.
Los actores y agentes, la utilización de falsos pies de imprenta,
ensanchan el marco nacional español y obligan a considerar la estrecha
relación de las políticas europeas en las que todo lo relativo al impreso y al
escrito está inmerso y a considerar que los problemas de la imprenta y del
comercio librero surgidos en este estudio obedecían también a las mismas
leyes que inflingían problemas en la industria del libro internacional.
Para establecer una base más sólida de análisis, diversifiqué la naturaleza
de las fuentes de información de las que quería obtener datos : catálogos
colectivos de bibliotecas, bibliografías especializadas, solicitudes para
obtener permisos de impresión de libros en francés presentadas al Consejo
de Castilla que se encuentran en la sección de Consejos del Archivo
Histórico Nacional, localización de ejemplares en la Real Biblioteca de
Madrid para el estudio de las marcas de propiedad y de lectura que me
permitiesen estudiar la circulación y el uso concreto, y, por último los
anuncios de venta de los libros que se publicaron en La Gazeta de Madrid.
Esta última fuente de información, que refleja de forma parcial las
novedades editoriales que se producían preferentemente en la imprenta
madrileña, es la que había servido de base de análisis a los estudios sobre
la edición de las traducciones de textos franceses en España durante el
siglo xviii. La reducción a una fuente de información tan parcial había
dado una imagen parcial y bastante distorsionada del panorama de la
recepción de la literatura francesa en español ya que los anuncios estaban
pagados y redactados por los propios impresores y libreros y, por lo tanto
lo que se publicitaba no reflejaba más que un porcentaje relativo de lo que
se producía1.
Si se exceptúan los instrumentos de aculturación dieciochesca
indiscutibles : lingüísitocos [diccionarios, gramáticas, vocabularios]
ideológicos – l’Encyclopédie y todos los derivados que origina – el campo
de trabajo resultante es reducido y este hecho es ya el primer dato que
debemos manejar para abordar el tema de investigación: el francés como
lengua de salida y de llegada tuvo una escasa presencia en la imprenta
nacional y lo extendido de su uso en la sociedad española, atestiguado en las
colecciones bibliográficas, se resolvió a través del mercado de importación.
A pesar de que el tamaño del punto de partida no es alentador, el
1
Par exemple : Pageaux, Daniel-Henri. Aragón Fernández, Aurora.
302
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
análisis de los resultados en una base de datos diseñada a la medida de
esta investigación, permite establecer los rasgos de un perfil complejo y
configura esta propuesta como una vía de investigación sobre la que es
necesario seguir avanzando porque los resultados aportan nuevos aspectos
en la fisionomía de la cultura escrita de la España de las Luces. Los
resultados de estos primeros resultados se manifiestan significativos para
el estudio del fenómeno de los usos de la imprenta y del comercio librero
dieciochesco españoles.
Quizá, para contextualizar el campo de estudio en el que se encuadran
los resultados de este análisis, puede servir tener como referencia unos datos
relativos a la difusión de traducciones francesas en un momento político
crucial para el mercado del libro en los dos países. La comparación del
número de ediciones de traducciones de textos franceses en España durante
el periodo de la Revolución francesa es, sin duda, un dato indispensable
para trazar el mapa de un decenio marcado por el cordón sanitario con el
que el gobierno español trató de contener la propaganda y la propagación
de las ideas políticas antimonárquicas. A pesar de la parcialidad de la
fuente – el estudio está realizado sobre los anuncios de La Gaceta de
Madrid – el reparto de los trescientos diecinueve títulos que aparecen
entre 1790 y 1799, es evidente el perfil de diente de sierra que muestra la
curva de unas publicaciones que se limitan a obras antiguas en el mercado,
sin excesivo interés intelectual y principalmente de carácter religioso2. A
pesar de la limitación con que se planteó la recogida de datos, los datos
cuantitativos y de contenido relativos a la publicación de traducciones, un
sector bibliográfico más potente que el de la edición en lengua original, y
de la evidencia de que los textos revolucionarios circulaban en francés y
clandestinamente, el perfil que trazan los datos de la producción en francés
a lo largo del siglo es diferente.
1790
41
1791
28
1792
27
1793
37
1794
29
1795
23
1796
39
1797
33
1798
35
1799
29
Aragón Fernández, M. Aurora. Traducciones de obras francesas en La Gaceta de
Madrid en la década revolucionaria (1790–1799). Oviedo, Universidad de Oviedo, 1992.
2
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
303
TENSIONS FÉCONDES POUR L’ÉDITION EN FRANÇAIS
Diapo
1. Nationalisme/Modernisation : Espagne – puissance secondaire de
l’Europe
2. Politique internationale : Guerre de Succession.– Pactes de Famille
(Mahon, Minorque).– Le cordon sanitaire
3. Nationalisation de l’industrie du livre
4. Société composite : armée et ordres religieuses
5. Développements économiques
6. Les libraires français
7. Les fausses adresses
Fausses Adresses
L’apparition de villes espagnoles dans les fausses adresses, tellement
utilisées au dix-huitième siècle par, est un fait différentiel et significatif
dans une pratique habituelle d’éditeurs, imprimeurs et auteurs du XVIIIème.
Au long du parcours chronologique, on trouve des textes en français sous
faux lieu espagnol ; par des raisons politiques ou commerciales et fiscales
l’utilisation de l’Espagne est plus fréquente qu’aux siècles précédents.
Madrid, Pampelune, Cadix, Minorque, apparaissent dessinant un
tableau particulier des raisons qui on put diriger le choix de chaque une
d’elles dans un moment précis.
Un contenu de l’ouvrage pas conforme aux bonnes mœurs et qui aurait
condamné auteur et imprimeur ne se trouve pas entre les causes principales.
On verra l’exception au règne de Charles III. Ce sont des raisons politiques
ou religieuses ou des raisons commerciales ou fiscales qui semblent avoir
empêché l’imprimeur d’apposer son nom sur la page de garde et choisir
comme adresse une ville espagnole. Une autre raison, pendant le règne
de Charles IV pourrait aussi être invoquée : le snobisme qui conférait à
un ouvrage édité sous fausse adresse un certain exotisme ou un clin d’œil
moqueur et pouvait donc constituer un argument de vente.
304 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Périodisation par règne.
Répartition de la production par lieu.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
Madrid (lieu d’impréssion) par règne.
Fausse adresse/Règne.
305
306 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Philippe V
Politique internationale : Fausses et véritables adresses
• La Guerre de Succession
• La bulle Unigenitus
Pierre Marteau imprimant à Madrid en 1709 (dans les catalogues
on trouve aussi une édition de 1704) est une curieuse fausse adresse qui
trouve son explication dans la Grande Alliance et la Guerre de Succession
de l’Espagne. Les matériels typographiques et le fait que les réclames
apparaissent à la dernière page de chaque feuillet le situent, malgré les
attributions de Weller aux presses hollandaises, en France. La Guerre
d’Espagne est un moment doré de la production de la branche germanique
de la fausse adresse qui se présente comme l’imprimeur de l’Europe
moderne combattant le pouvoir hégémonique français.
L’archiduc Charles réclamait la couronne d’Espagne, et l’Europe,
inquiétée par la puissance de Louis XIV, forma, pour soutenir les droits
de ce prétendant, une grande ligue dans laquelle entrèrent l’Autriche,
l’Angleterre, la Hollande, la Prusse et le Portugal. La guerre qui s’engagea
alors est connue sous le nom de guerre de la Succession d’Espagne. La provenance de l’exemplaire de la Real Biblioteca est un remarquable
trait de collectionnisme, car le livre a appartenu à l’Infante don Antonio, le
frère du roi Charles IV qui forma une collection singulière hors des marges
habituelles de formation de bibliothèque de cours.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
307
308 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Courtilz de Sandras. Trois lettres sur la succession d’Espagne :
La première adressée à Mylord ****. La seconde à un ministre d’État
espagnol. La troisième à un gentilhomme anglois, membre des Communes.
Le tout traduit de l’anglois & du portugais. A Londres, chez Phileutere, à
l’enseigne de la Vérité́ . M. DCCI, [1701]
Les imprimés de la Guerre de Succession qui semblent venir de la
bibliothèque privés de Philippe V sont ceux de ceux qui soutiennent sa
cause.
Après l’avènement de son compétiteur au trône impérial (sous le nom
de Charles VI), la paix d’Utrecht, signée en 1713, reconnut Philippe V, mais
toutefois en le forçant à renoncer à ses droits sur la couronne de France et à
céder à l’Angleterre Gibraltar et Minorque ; au duc de Savoie, la Sicile ; à
l’Autriche, le royaume de Naples, le Milanais, la Sardaigne et les Pays-Bas. Une politique extérieure mouvementée (1715–1746)
• La reconquête de l’Italie
• Les rivalités avec la Grande-Bretagne
• Les Pactes de famille
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
309
Les propositions de Quesnel : Un conflit politique et universitaire
La Constitution Unigenitus du Pape Clément XI, 1713, déferle la
polémique entre La Sorbonne et l’Université de Salamanque. Accusée de
ne pas accepter la condamnation des propositions de Quesnel, Salamanque
édite en 1716 les Lettres en deux issues, latin et français, pour répondre au
bruit répandu par les jansénistes.
Universidad de Salamanca. Lettres de l’université de Salamanque, sur
le bruit répandu par tout avec la plus grande malignité : scąvoir, que cette
université avoit rejetté la constitution Unigenitus de notre très-saint père
Clément XI qui gouverne aujourd’hui le vaisseau de l’église catholique
avec autant de fermeté que de prudence ; dans lesquelles lettres on montre
à tout l’univers que c’est l’effet de la plus noire, de la plus envenimée, & de
la plus impudente calomnie. Salamanque : impr. A.E. Garcia, 1716.****
pp. 1-16 et 19-26 ; 4to.
Les plans gigantesques d’Alberoni, qui rêvait la restauration de
la domination universelle de l’Espagne et voulait enlever la régence de
France au duc d’Orléans pour la donner à Philippe V, auraient pu engager
ce prince dans une guerre contre la France et l’Angleterre, mais il la prévint
en sacrifiant son ambitieux ministre (1720) : Réponse au manifeste publié
par le duc d’Orléans pour justifier sa conduite…, Madrid, 1710
Les problèmes d’Angleterre
Le règne de Philippe V est également marqué par la rivalité maritime
avec la Grande-Bretagne. L’Espagne se bat contre les avantages acquis
par les Anglais au traité d’Utrecht, et le règne de Philippe V est émaillé
d’incidents maritimes, comme en 1739–1748, lors de la guerre de l’oreille
de Jenkins. Au cours du règne, l’Espagne redevient une grande puissance
maritime. La marine tient la Méditerranée occidentale, bien que les Anglais
occupent toujours Gibraltar et Minorque.
La guerre de l’oreille de Jenkins (appelée par les Espagnols Guerra
del Asiento) dura de 1739 à 1748, eut lieu principalement dans les Caraïbes
et vit s’affronter les flottes et troupes coloniales du Royaume de GrandeBretagne et de l’Espagne. A partir de 1742 débuta la Guerre de Succession
d’Autriche, avec laquelle la guerre de « l’oreille de Jenkins » se confondit.
Cette guerre peu connue vit mobiliser des forces immenses pour l’époque,
se solda par des pertes humaines et matérielles énormes, fut un désastre
pour la Grande-Bretagne, et n’aboutit qu’au retour au statu quo ante bellum.
Le siège de Cartagena de Indias fut d’une importance extrême car Carthagène
était avec Veracruz et La Havane l’un des trois grands ports d’où étaient
310
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
exportés les métaux précieux vers l’Espagne. La Grande-Bretagne décida
de frapper un grand coup en mars 1741, en prenant la ville et en faisant un
port britannique. Des moyens techniques et humains énormes furent mis en
œuvre à partir de La Jamaïque : Le journal de ce qui s’est passe a la prise
des forts de Bocachicha…, Madrid, 1741, eut aussi une édition en espagnol.
Campagne d’Italie :
Victoire de l’Armee commandée par le comte de Gages a Camposanto.
Madrid, 1743
Douteuse, par contre, est l’édition de l’Oraison funèbre de monseigneur
Visdelou prononcé par Norbert de Bar. On ne retrouve plus à Cadix cet
Antoine Pereira qui figure à l’adresse de 1742. On trouve une édition sans
adresse, de la même année, attribuée aux presses d’Avignon qui présente
les mêmes caractéristiques et qui pourrait indiquer que l’adresse de Cadix
est, peut être, une fausse adresse espagnole. Mais c’est vrai que cette
oraison funèbre joue en ce moment là un rôle important dans la querelle
des rites chinois. Visdelou, un des six mathématiciens du roi, fut le seul à
s’opposer à l’utilisation et appuya leur prohibition. L’auteur, un capucin
aussi en conflit avec l’ordre des jésuites sur le sujet des rites, passa trois ans
à Pondichéry (Inde) à la même maison ou Visdelou fut exilé.
Bar Le Duc, Norbert de (O.F.M.Cap.). Oraison funèbre de monseigneur
de Visdelou iesuîte euêque de Claudiopolis ... prononcée ... avec des notes
... par le R.P. Norbert de Bar le Duc Capucin ... A Cadix : chez Antoine
Pereira ..., 1742. [11], 201, XVI p. ; 8º
FERDINAND VI
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
311
Politique internationale :
Minorque-Avignon : Les tensions politiques, les liens universitaires
L’été de 1755, le conflit d’intérêts entre France et l’Angleterre à propos
des possessions nord américaines déclenche une guerre ou la France joue,
au niveau de la propagande politique, le rôle de victime d’une agression
britannique. La France procure placer dans les presse européennes
documents, pamphlets, qui renforce cette approche. L’Observatoir
hollandois, une série de 46 pamphlets publiés entre septembre 1755 et
février 1759, fut la pièce centrale de cette campagne de propagande qui
cherchait la sympathie ou la neutralité diplomatique des pays. Maintenir
les Pays Bas hors du band anti-français devint une priorité et sous la
traditionnelle forme de lettres envoyées de Paris par un hollandais à un ami,
l’Observateur était une source périodique de propagande. Les publicistes
tentèrent de capturer l’intérêt de lecteurs politiquement influents3.
1756–1763
Deux imprimés de la même année, 1757, montrent la complexité de la
situation.
L’essai politique sur les avantages que la France peut tirer de la
conquête de Minorque nous introduit dans les stratégies du gouvernement
français pour disposer d’une plateforme de propagande et acculturisation
dans l’ile. Joseph Payen quitte Avignon et s’installe à Mahon dans les
premières années de la domination française. Sous invitation du gouverneur
de l’île, Antoine de Causan. La petite imprimerie locale de Juan Frabregues
y Sora, ouverte en 1750, était trop modeste pour produire des livres. En
1757, Joseph Payen serait déjà installé à Minorque. Les éditions localisées
montrent deux aspects auxquels il fallait servir : la propagande politique
qui justifié la conquête et la présence dans l’île et la nouvelle sociabilité
d’une ville. L’Essai politique sur les avantages que la France peut retirer
de la Conquête de l’isle Minorque, dédié au prince Louis de Wirtemberg
d’Ignace Hugary de la Marche Courmont, écrit en 1756, sort des presses
minorquines en 1757 à Mahon et un petit nombre d’exemplaires à Citadella.
En 1761 il imprime une comédie de Philippe Néricault Destouches et son
nom et son adresse figurent à la page de titre, Carrer del Pont Castell.
3
John Shovlin. “Selling American Empire on the Eve of the Seven Years
War: The French Propaganda Campaign of 1755–1756”. Past & Present, v. 206, n-1,
pp. 121-149.
312 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Les relations des insulaires avec Avignon se remontent à la domination
anglaise. Le prestige des études juridiques de l’Université d’Avignon,
un centre international de formation en Droit s’ajoutait à la préférence
britannique pour un siège qui, étant un état papal, n’était ni l’Espagne ni la
France. Les rapports universitaires Minorque-Avignon sont fondamentaux
pour expliquer l’activité de l’imprimerie et du commerce libraires dans ces
décennies4.
Par contre, le Preservatif contre l’anglomanie de Fougeret de Monbron,
1757, qui porte l’adresse Minorque (Année Littéraire 1760, II) est une fausse
adresse. Cette œuvre popularise un terme de grande fortune qui renferme
l’interaction politique, sociale, culturelle et littéraire entre les pays. Les
circonstances politiques rendent tout à fait croyable la fausse adresse : mais
les matériels typographiques et le papier d’Auvergne ne laissent pas de
doute sur son origine français.
Maria Paredes i Baulida. Antoni Febrer i Cardona: un humanista il·lustrat
a Menorca (1761–1841). L’Abadia de Montserrat, 1996, pp. 49-50.
4
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
313
L’autre fausse adresse, Les lettres sur le voyage en Espagne de Coste
d’Arnobat est un imprimé parisien sur un sujet de grand parcours : les
philies et les phobies hispano-françaises.
314
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Une stratégie de vente : Le Marquis de San Gil
Une œuvre un trois volumes. Sur la base d’un ouvrage classique pour
la matière, le traité de Wiquecfort, auquel on ajoute les Empresas políticas
de Saavedra, et les additions d’Amelot de la Housaye et d’Ablancourt pour
aboutir à former le plus accompli des ministres.
Au troisième volume, un texte de Bruzen de la Martinière. On a
conservé le français au troisième volume parce que les traductions sont
toujours des pertes de sens.
Trois index, une table de matières
Juan-Carlos Bazán, Fajardo y Villalobos, Regente de la audiencia
de Sevilla, Embajador en Venecia, Turín y Génova, Gobernador
Consejo de Hacienda
Miscelánea política, hecha por su nieto. La Haya, Antonio Van
Dole, 1753
Oeuvres politiques. Madrid, Gabriel Ramírez, 17535.
Une édition pensait pour servir deux marchés lecteurs différents et
doubler le profit. Les réflexions du Marquis de Saint-Gil, Gouverneur
du Conseil Royal des Finances (mort en 1703) et ses observations sur
l’exercice du pouvoir et ses différents acteurs (souverains, ministres,
sujets, ambassadeurs, ministres d’État, courtisans, généraux) en français
intéressait un marché lecteur européen (Pays Bas, France, Angleterre)
auquel un premier volume avec des textes espagnols, dépassés en ce
moment pour le marche lecteur européen. Le volume contient, à la fin, un
mémoire du petit-fils de l’auteur qui était ambassadeur du roi d’Espagne
aux Etats-Généraux des Provinces Unies des Pays Bas, avec une lettre du
monarque espagnol. Cette traduction française est de la plus grande rareté,
et ne fut probablement tirée qu’à un petit nombre d’exemplaires.
À Madrid, avec les permissions ordinaires, chez D. Gabriel Ramirez,
1753. Cette deuxième édition, répète la stratégie commerciale de la
précédente, faite à Madrid para la Veuve Péralta en 1750. Elle réutilise
les préliminaires légaux et ajoute, uniquement, une nouvelle licence du
Conseil (14 mai 1753) et une liste d’errata.
5
La demande pour obtenir le droit d’imprimer : Expediente de licencia de impresión
AHN Consejos, 50646.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
315
316
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
charles iii
Complexité des problèmes
Politique internationale : Les jésuites
1767–1770 Suite des pièces concernant le banissement des jésuites. À
Madrid et se trouve à Paris chez Antoine Boudet
Antoine-Chrétien Boudet, Libraire-imprimeur lyonnais (1715–1787)
apprentissage chez Jean-Baptiste III coignard, second mari de sa mère. Reçu
libraire 16 février 1734. Imprimeur ordinaire du roi (1750), imprimeur du
Châtelet. Associé 1734–1740 à son beau-père, dont il rachète une partie du
fonds.
Voyages au Portugal et en Espagne. En 1757 séjourne à Madrid
pour tenter d’obtenir un dérogation en faveur de son édition espagnole du
Dictionnaire de Moreri (1753, il avait racheté le privilège aux Tournes)
touchée par la nouvelle réglementation qui interdit de faire entrer dans le
pays des ouvrages étrangers. En mars 1761, il est à Lisbonne et en février
1763 à Cadix d’ou il adresse une lettre à M. de bombarde sur « l’imprimerie
et librairie d’Espagne et de Portugal ». Il met l’accent sur la dépendance
de ces deux pays vis-à-vis de la libraire étrangère, mais déplore la fiable
part tenue dans leur approvisionnement par les libraires français et encore
plus par ceux de Paris, car c’est Lyon qui monopolise ce marché. Selon lui,
les français y sont surtout concurrencés par les libraires d’Anvers pour les
livres de théologie et de droit et par ceux de Venise, de Suisse et d’Avignon
pour les autres ouvrages.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
317
Tandems libraires :
1. Les reseaux de Cadix
Les éditions de Cadix ont en commun la présence des libraires
français établis dans cette ville. Elles sont un exemple accompli des traits
qui caractérisent leur activité – la bibliographie de François López sur la
matière est obligatoire- jouant toujours dans les marges et tirant le bénéfice
que laissaient des œuvres que, par des raisons diverses, restaient anonymes
et pouvaient circuler dans les marché nationale et internationale facilement.
Jean Ravet vend à Cadix Les réflexions politiques sur les finances et le
commerce, imprimé par Van Dole à La Haye en 1760.
Lui et Claude Bertrand Bellier sont les deux libraires français plus
importants, avec des solides relations européennes. Le consul suédois,
Gahn, se servait d’eux pour en acheter les livres que Celestino Mutis
devait utiliser pour son travail lorsque les libraires de Madrid et son agent
Scheidenburg (prêtre de la Légation suédoise à Madrid) n’y pouvaient pas
y réussir.
Cette nouvelle édition de l’oeuvre de Charles Dutot, parait encore,
anonyme. Dutot avait arrangé l’apparition de la première à La Haye, avec
les protestants Vaillant et Prévost, et sa distribution avec Rolin fils en 1738.
La seconde édition, toujours à La Haye en 1740 sortait des presses de Van
Dole. Le Journal de Trevoux, Le Journal des Sçavans, s’en firent écho.
Voltaire faisait le commentaire au Le Pour et Contre.
Les relations de Dutot avec Cadix furent étroites : à Saint-Malo la
communauté de commerçants, marchands, banquiers, propriétaires de
navires entretenait des liens avec celle de Cadiz ou la puissante banque de
Magon Frères et Le Fer était fondamentale pour leur entreprises.
S’en chargé de commercialiser cette œuvre en langue originelle à cette
ville portuaire, semble une décision sensée, justifiée à tous les égards6.
Les frères Hermil, établis aussi à Cadix, étaient les agents de la Société
Typographique de Neuchâtel. Pour la période des années 80 leur activité
6
François R. Velde. The Life and Times of Nicolas Dutot. Federal Reserve Bank
of Chicago. March 4, 2009. Guyot-Desfontaines (1738, 12:241-264,13:49-72) reviewed
it in two letters dated March 13 and April 19 (and approvingly remarked on the native
pride of his fellow Norman). The Journal de Trévoux announced reviewed it at length
and with much praise (May 1738, p. 895-932; June 1738, p. 1029). Voltaire published his
commentary in Le Pour et Contre (15:296-317). The Journal des Sçavans summarized the
book in its August 1738 issue (471-481). José Antonio Amaya. “El aporte del diplomático
sueco Hans Jacob Gahn (1748–1800) a la formación de la biblioteca de historia natural de
José Celestino Mutis (1732–1808)”. Revista No 10, Enero-Junio 1995, pp. 39-72.
318 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
dans la diffusion de la littérature éclairée interdite et les auteurs de haut risque
est fondamentale. Ils sont présents au grand livre des Cramers. Le siège de
Gibraltar dans cette mémoire anonyme de 1783, sous la responsabilité de
l’auteur des Batteries flottantes, était une défense d’un échec que, quelques
années plus tard, Michaud d’Arçon expliquerait au Conseil de guerre privé
sur l’événement de Gibraltar. C’est un plaidoirie contre la guerre ancienne
qui soutient les mêmes principes de l’ingénieur éclairé et qui lui été attribué.
La même année, Les Hermil éditent l’Histoire du siège de Gibraltar, fait
pendant l’été de 1782, sous les ordres du capitaine général duc de Crillon
... Par un officier de l’Armée françoise.
2. Les classiques espagnols
Le libraire Jean Pierre Costard édite en 1776 les œuvres de Cervantes,
publiées à Madrid. Les nouvelles espagnoles, un titre fait pour un public
français sont illustrées avec des gravures en taille douce d’un artiste
français.
Activités professionnelles 1769–vers 1776. Débute comme auteur
en publiant quelques opuscules. Apprentissage comme libraire chez
Jean Thomas II Costard Hérissant 4 octobre 1768. Reçu 21 janvier 1769.
Commerce orienté vers les Provinces-Unies, l’Allemagne, les Pays-Bas
autrichiennes, Suède, Russie, Suisse, Italie. En 1770 il est un des premiers
éditeurs de Paris pour les nouveautés de littérature, histoire et sciences.
Il édite plus de 84 tires entre 1769–1776 et fait travailler parallèlement
plusieurs imprimeurs : en 1769, Lottin l’aîné, Couturier Valleyre fils,
Grange et Simon. Le 13 août, son fonds de librairie est valué à 453 886
livres.7
Fausses adresses : La fiction satirique devient plus piquante
La fatalité ou le voyageur espagnol. Madrid (i.e. Paris), les associes,
1778
Fleuriot 1786
Voyage de Figaro en Espagne (Saint-Malo, 1784). Bien que n’ayant
jamais mis les pieds en Espagne, Fleuriot y dresse, de manière piquante, un
tableau noir de l’Espagne et des espagnols, critiquant leur gouvernement,
7
Barbier, Frédéric, Sabine Juaratic, Annick Mellerio. Dictionnaire
des imprimeurs, libraires, et gens du livre à Paris 1701–1789. Genève, Droz, 2007, pp.
534-540.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
319
leur religion et leurs mœurs. Ce récit fit un tel scandale que le roi Charles
III s’en plaignit au gouvernement français et menaça d’interdire l’entrée de
son royaume à tous les Français. L’ouvrage fut alors condamné à être brûlé
par arrêt du Parlement de Paris du 26 février 1786, après un long et virulent
réquisitoire de l’avocat général Séguier. Cette condamnation spectaculaire
valut à l’auteur l’engouement du public : l’ouvrage connut six éditions, et
fut traduit en anglais, en allemand, en danois et en italien.
Duchesne : Démocrite à Pampelune
Aussi une fausse adresse espagnole peut servir pour critiquer la France :
L’Âne promeneur ou Critès promené par son âne ; chef d’œuvre pour
servir d’Apologie au Goût, aux Mœurs, à l’Esprit, et aux Découvertes
du siècle. Première édition, Revue, corrigée, et précédée d’une Préface à
la Mosaïque, dans le plus nouveau goût. A Pampelune, chez Démocrite,
Imprimeur-Libraire de son Allégresse Sérénissime Falot Momus, au Grelot
de la Folie. Et se trouve à Paris, Vve Duchesne, Hardouin et Gatey, Voland,
Royez, 1786. 1 vol. in-8°. 1 portrait gravé au burin dans le texte.
L’Âne promeneur, ou Critès promené par son Âne est une édition très
rare aujourd’hui. Il s’agit d’un pamphlet très satirique, principalement dirigé
contre Beaumarchais et le Mariage de Figaro, et qui comporte une foule
d’allusions et de traits contre les personnages et les modes de l’époque. Ce
livre sera à nouveau imprimé en 1788, sous le titre Le Rabelais moderne.8
Le Roux 1786
Le Dictionnaire de Le Roux est saisi par les autorités en 1736, en 1750
et en 1789 […] Le Dictionnaire est une nouvelle édition du Dictionnaire
des proverbes publié en 1710 par G. Backer mais avec des addition qui
annonçaient le goût de l’auteur pour les obscénités. Le Roux, suite d’un
pamphlet contre le père La Chaize, fut oblige à se réfugier a Bruxelles au
service de M. Elizabeth d’Autriche, ou il mourut en 1735.
L’édition de 1786 puise son matériel dans d’autres sources qui ne
seront pas utilisées par la lexicographie successive et qui n’ont rien à voir
avec les « proverbes » dont il est ici question. Il est toutefois intéressant de
signaler que le lexicographe de 1786 ajoute un certain nombre de proverbes
espagnols – avec la traduction en français – tirés du dictionnaire d’Antoine
Oudin et de proverbes en ancien français tirés d’un cahier manuscrit
d’Etienne Barbazan. La paternité de l’édition de 1786 peut être attribuée à
8
Babier I, 178 ; Cioranescu, 31448 ; Quérard III, 411.
320
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
François Lacombe, un collaborateur de La Curne de Sainte-Palaye.9 Cette
compilation est la plus complète d’un texte que l’abbé Goujet caractérisait
comme ouvrage scandaleux et don ton ne saurait tirer aucun fruit.
Une société composite
L’armée du roi d’Espagne présente un caractère cosmopolite ; les
unités étaient constituées d’après leur langue usuelle. L’armée du souverain
espagnol comptait des soldats de quatre « nationalités » différentes : des
Espagnols, des Italiens, des Wallons, des Allemands. Les régiments wallons
étaient formés de soldats recrutés dans les régions de langue française
comprises dans les Pays-Bas – savoir : l’Artois, le Hainaut, le comté de
Namur, les quartiers wallons du Brabant, d’Outre-Meuse, du Luxembourg,
à Lille, Douai et Orchies, Tournai et le Tournaisis. Les Gardes wallonnes
au service du roi d’Espagne, créées en 1702 sur le modèle des gardes
françaises et qui devaient subsister jusqu’en 1822. La langue française y
restait usuelle et le faible niveau d’intégration linguistique exigeait toujours
imprimer dans leur langue des documents importants, mais élémentaires
comme les indults généraux, les pardons, ou les instruments de piété et
prière comme le catéchisme pour les gardes wallonnes.
9
Barsi, 2003.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
321
Les développements économiques :
• Olavide et Les Alpujarras
• Les suscriptions des projets économiques et industrielles
• La banque de San Carlos
Ses trois facteurs de développement international obligent à imprimer
en français pour animer les inversions de capital étranger, les déplacements
de colons pour repeupler les Alpujarras et porter à terme les idées de
Pablo Olavide, un des hommes des Lumières espagnoles plus proche aux
philosophes.
Aussi, faut-il tenir en compte la littérature en français imprimé
en Espagne déferlée par la question de Masson de Morviliers Que doit
on à l’Espagne. Réponse de Denina a l’Académie de Berlin le jour de
l’anniversaire du Roi. Imprimerie Royale, 1776.
CHARLES IV
Les libraires et imprimeurs :
C’est le cas du libraire Philippe Denné qui entretient une librairie à
Madrid avec un fleurissant commerce d’importation.
Son catalogue s’imprime en français à Madrid. Deux sections spéciales
du catalogue : Livres stéréotypes imprimé par Didot l’aine et ’Art militaire,
montrent, plus que la pénétration de la langue et de la culture française dans
la société espagnole, le fait incontournable de l’occupation napoléonienne.
322
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Catalogue des livres de M. Denné le jeune, libraire de S.M.C. le Roi
d’Espagne. Madrid : de l’imprimerie de l’Armée, rue de las Carretas nº 31,
[1808 ?]
Aux archives du palais royal de Madrid, se trouve la demande de
Denné, en 1827, à Ferdinand VII d’un poste de Libraire du roi. Il appui
sa demande dans son intégrité professionnelle – qu’il qualifie « activité
mercantile » – et qu’il remonte à 1823 malgré que son parcours en Espagne
soit beaucoup plus long et son travail d’importation et vente se remonte aux
temps de son père, Charles IV.10
Affirmation nationale
Confirmation de Madrid comme puissance industrielle du livre et
présence des grands ateliers espagnols.
Benito Cano, qui pour éditer Le voyage du jeune Anacharsis en 1796,
traduit son nom à l’adresse déclare au Prospectus en espagnol les deux
raisons pour éditer à présent le livre de Barthélemy en français : servir
les intérêts de personnes cultivées et, plus importante encore, le désir
d’impulser l’industrie nationale. Pour atteindre la qualité typographique et
littéraire des meilleures éditions parisiennes, il n’a pas épargné aucun effort
ni dépense.
Aussi, l’imprimeur Sancha édite le Testament de Kang-Hy, empereur
de Chine. Son nom ne figure pas à la page de titre : rien que Madrid et
1799 mais les matériels typographiques et la gravure de Jose Rico, un
artiste qui travaille pour son atelier (La flora Peruviana) et avec Ibarra,
le rendent reconnaissable comme édition sortie de ses presses. Aussi, un
Chant funèbre pour le duc d’Alba, les Fables du Marquis de Fulvi et Le
catéchisme historique de Fleury.
Le Télémaque, de l’Imprimerie Royale, le texte de Fénelon, un des plus
imprimés en Espagne et le catéchisme de Fleury auront d’autres éditions
dans le cours de ces années à Madrid.
Société composite
• L’Armée
• Les ordres religieux
La société espagnole est évidement une société composite de
nationalités diverses. L’Armée et les ordres religieux se montrent comme
10
AGP PERSONAL, CAJA 2616 EXP. 4.
Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols...
323
deux des pôles ou la concentration d’étrangers exige et justifie les imprimés
en français. Les exemples sont nombreux.
L’Alphabet français espagnol a l’usage de M.M. les militaires français.
Vitoria : Fermin Larumbe, Imprimeur-Libraire, 1807, porte à la fin un
petit vocabulaire galant pour aider à une intégration charmante des jeunes
militaires entre la société de ce qui fut le point fort de l’Espagne occupée,
Vitoria.
Politique internationale
• La révolution française
• Le cordon sanitaire
Les Prières durant la Sainte Messe, pour la Confession et la
Communion, avec des pratiques de dévotion pour tous le jours de la
semaine et l’oraison du saint dont on porte le nom. À Madrid : [s.n.], 1791
est un possible exemple des imprimés fait en Espagne au service de la
France monarchique, tenant compte les circonstances révolutionnaires.
324
MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO
Cependant, la fausse adresse madrilène de l’Imprimerie d’Infantino est
un des multiples cas de propagande monarchique française. Les Adresses au
roi d’un réfugié politique à Madrid, victime de la Révolution, se multiplient
à partir de 1790.
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle
(1770–1790) : intégration ou marginalité
CLAIRE MADL
Cette recherche a été effectuée dans le cadre d’un projet financé par
l’Agence pour la recherche de l’Académie des sciences de la République
tchèque – GAAV IAA801010903.
À la fin du XVIIIe siècle, le livre français occupe en Europe centrale,
une place inégalée quoique minoritaire. Alors que cet espace connaît
une ouverture maximale aux importations, certains libraires estiment
opportun de se spécialiser dans l’acquisition, la vente, voire l’impression
de livres français. L’on connaît bien la place occupée dans la monarchie
des Habsbourg par l’affaire Trattner qui essaima dans de nombreuses
provinces1. À Prague, certains libraires proposent chaque année 13 à 36 %
de livres français parmi leurs nouveautés2. Le français étant particulièrement
employé par l’aristocratie, ce sont les libraires des villes de cour qui se
distinguent dans ce domaine. Les données statistiques tirées des catalogues
de nouveautés permettent une estimation de la part absolue et relative
de livres français chez ces libraires. Nous prenons ici comme exemples
deux entreprises, l’une dont la maison mère est à Dresde, mais qui est très
présente sur le marché de Prague où elle possède une succursale, la maison
Walther, l’autre installé à Prague, Wolfgang Gerle.
Ursula Giese, „Johann Thomas Edler von Trattner. Seine Bedeutung als
Buchdrucker, Buchhändler und Herausgeber“, in : Archiv für Geschichte des Buchwesens,
3 (1961), p. 1013-1454.
2
Claire Madl, « Les importations de livres français en Bohême à la fin du XVIIIe
siècle », in : Frédéric Barbier (dir.) Est-Ouest : transferts et réceptions dans le monde
du livre en Europe, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2005, p. 61-75.
1
326
Allemand
Français
Latin
Anglais
Italien
Total
CLAIRE MADL
Walther 1775
339 51 %
240 36 %
79 12 %
7
1 %
6
1 %
671 100 %
Gerle 1775
Gerle 1786 Walther 1797
619 76 % 650 72 %
555 78 %
104 13 % 221 24 %
108 15 %
86 10,5 %
36
4 %
9
1 %
8
1 %
0
0
27
4 %
0
0
0
0
10
1 %
817 100 % 907 100 %
709 100 %
Tableau 1. Répartition selon la langue de l’offre en nouveautés
de deux libraires spécialisés en livres français3
La plupart des libraires, en revanche, en particulier à partir des années
1790, ne proposent quasiment pas de livres français et leurs affaires n’en
sont pas moins florissantes.
En ce qui concerne la réception des livres en français, nous disposons
de certaines informations sur les bibliothèques constituées au XVIIIe siècle.
La part du français augmente chez les bourgeois de la Ville de Prague tout au
long du siècle. Néanmoins, les moyennes décennales réalisées à partir des
inventaires après décès ne comptent jamais plus de 8 % de livres français et
leur présence a tendance à s’estomper à la fin du siècle4. Chez la noblesse,
il semble y avoir autant de cas que de collections. Si à partir du milieu du
XVIIIe siècle, le français est souvent la seconde langue des bibliothèques,
avant le latin et après l’allemand, la proportion de livres français ne semble
néanmoins que rarement dépasser un tiers du fonds5.
3
L’on ne peut déduire de ces seules données la part du livre français dans l’ensemble
de l’assortiment de ces libraires car certains (parmi lesquels Gerle) ne publient pas de
catalogues de livres français aussi souvent que de livres allemands. Sources ici analysées :
Catalogus deutsch- und lateinischer Bücher, welche… in jetzigen Lichtmess-Markt,
1775…, Prag, Walther, 1775 ; Catalogue de livres françois, italiens et anglois, pour la
foire de la purification de la S. Vierge, 1775, Prague, Walther, 1775 ; IV. Verzeichniss
neuer deutsch- und lateinischer Büchern, Prag, Gerle, 1775 ; Catalogue des livres françois
qui se trouvent chez Wolfgang Gerle, Prague [1775ca] ; Verzeichniss neuer deutsch- und
lateinischer Bücher, Prag, Gerle, 1786 ; Catalogue de livres françois nouveaux, Prague,
Gerle, 1786. Pour localiser les exemplaires de ces catalogues, nous nous permettons de
renvoyer à : Claire MADL, Booksellers’ Catalogues in Czech Libraries. A First Inventory:
http://www.cefres.cz/histoire.php#cm, publ. en fév. 2010.
4
Jiří Pokorný, „Die Lektüre von Prager Burgern im 18. Jahrhundert
(1700–1784)“, in : Hannes Stekl, Peter Urbanitsch (dir.) Bürgertum in der
Habsburgermonarchie, Wien/Köln, Böhlau Verl., 1990, p. 149-161.
5
Bernhard Fabian (dir.), Handbuch deutscher historischer Buchbestände in
Europa. Tschechische Republik, Bd. 2. Tschechische Republik Schlossbibliotheken unter
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
327
En Bohême, comme dans la plupart des pays de la monarchie des
Habsbourg, la diffusion du français prend de l’ampleur dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle. C’est à partir de 1750 que l’on imprime en français
à Vienne et le commerce du livre français prend un véritable essor dans ces
pays vers cette date6. Ce phénomène bénéficie de plusieurs facteurs qui ne
sont pas directement liés à ce que l’on considère comme le « rayonnement
de la pensée française des Lumières ».
Tout d’abord, la diffusion du livre français bénéficie du fait que c’est
le groupe social le plus privilégié aussi bien du point de vue économique
que culturel, l’aristocratie, qui emploie la langue française. Avec les ordres
religieux, les nobles sont des clients recherchés des libraires, même si la
clientèle de ces derniers s’élargit à d’autres groupes sociaux. Le français
se diffuse ensuite presqu’exclusivement auprès des populations qui sont le
plus liées à la noblesse, comme par exemple chez les bourgeois en fonction
dans les offices royaux7.
La deuxième moitié ou plus précisément le dernier tiers du XVIIIe
siècle est d’autre part la période où le commerce de librairie en général
connaît un plein essor8. La monarchie des Habsbourg est perçue comme un
lieu d’opportunités. À Prague, à partir des années 1750–1760, s’installent
tantôt des marchands libraires qui, jusque là, ne venaient que pour les foires,
tantôt de nouvelles entreprises originaires le plus souvent de l’Allemagne
catholique. Une des premières filiales ouvertes à la fin des années 1750
par le libraire viennois Trattner se situe à Prague et son premier catalogue
portant l’adresse de Prague date des années 17609.
Pour étudier les mouvements commerciaux et les modes de diffusion des
livres français, l’outil conceptuel du réseau semble particulièrement adapté.
der Verwaltung des Nationalmuseum, Hildesheim, Olms-Weidman, 1997 et disponible en
ligne : http://134.76.163.162/fabian?Home
6
Cf. Vera Oravetz, Les impressions françaises de Vienne, Szeged, 1930 (Etudes
françaises de l’Université de Szeged). Cf. les contributions rassemblées dans : Frédéric
Barbier (dir.) Est-Ouest, op. cit.
7
J. Pokorný, „Die Lektüre von Prager Burgern...“, op. cit.
8
Norbert Bachleitner, Franz M. Eybl, Ernst Fischer, Geschichte des
Buchhandels in Österreich, Wiesbaden, Harrassowitz, 2000 (Geschichte des Buchhandels
6), p. 112 et suiv. ; Zdeněk Šimeček, Geschichte des Buchhandels in Tschechien und
in der Slowakei, Wiesbaden, Harrassowitz, 2002, (Geschichte des Buchhandels 7) p. 2542 et 61-86. Plus précisément : Michael Wögerbauer, „Die Genese der Ordnung für
die Buchhändler In den Kaiserl. Königl. Erblanden’ von 1772”, Brücken. Neue Folge 12,
Emil Skála zu Ehren, 2005, p. 135-162.
9
Catalogus universalis librorum omnigenae facultatis = Allgemeines Verzeichniss
der Bücher... Wien u. Prag, Johann Thomas Trattner, 1765.
328
CLAIRE MADL
Utilisé le plus souvent en sociologie pour remettre en question certaines
catégories déjà tracées, il permet de saisir des formations complexes de
relations particulières10. Or, en effet, à l’époque qui nous intéresse, les
flux de livres se laissent difficilement synthétiser. L’approvisionnement
est nettement diversifié quant à ses intermédiaires. Les ordres religieux
et les aristocrates disposent de divers moyens pour acquérir des livres. Ils
bénéficient de liens personnels ou institutionnels étendus, effectuent de
nombreux voyages dans le cadre de leurs fonctions ; ils entretiennent des
agents dont la mission principale est de fournir de l’information et aussi
des imprimés. Il s’agit-là de relations éminemment « particulières » et
difficiles à saisir – ces flux représentent en outre un manque à gagner pour
les libraires locaux.
En outre, la géographie commerciale des pays de la monarchie des
Habsbourg n’est pas nettement organisée ni hiérarchisée à partir de Vienne.
Le cas de la Bohême est éclairant en la matière. Les liens avec la librairie
d’Empire, c’est-à-dire avec l’Allemagne catholique, sont étroits et anciens.
C’est de Bamberg qu’a pénétré la technique de l’imprimerie en Bohême, ce
sont les libraires de Nuremberg qui font le voyage pour la foire de Prague
et comme nous l’avons dit, c’est de cette Allemagne du sud que viennent
les libraires qui s’installent vers 1750.
Néanmoins, les liens sont aussi très anciens et étroits avec la Saxe.
La frontière qui sépare désormais la Bohême de la Lusace, perdue par les
Habsbourg pendant la Guerre de trente ans, ne ralentit pas les relations
des libraires ou des collectionneurs avec Leipzig qui devient à la même
époque le lieu central des échanges des libraires allemands. C’est à Leipzig
que les éditeurs pragois essaient de vendre la production dont l’intérêt
dépasse le cadre régional11. C’est en Saxe que certains auteurs de Bohême
désirent se faire éditer et imprimer12. Le grand libraire de la cour de Saxe,
à Dresde, Walther, imprime régulièrement, dès 1769, des catalogues à
10
Cf. Maurizio Gribaudi, « Échelle, pertinence, configuration », in : Jacques
Revel (dir.), Jeux d’échelles : la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Le
Seuil, 1996, p 113-139.
11
Reinhard Wittmann, „Die frühen Buchhändlerzeitschriften als Spiegel des
literarischen Lebens“, Archiv für Geschichte des Buchwesens 13, 1973, col. 814 et suiv. ;
id., „Der deutsche Buchmarkt in Osteuropa im 18. Jahrhundert“, in : (id.) Lektüre im
18. und 19. Jahrhundert: Beiträge zum literarischen Leben 1750–1880, Tübingen, 1982,
p. 93-110.
12
Claire Madl, « Réseaux savants, réseaux de livres en Bohême autour de 1800 »,
in : Frédéric Barbier, István Monok (dir.) Contribution à l’histoire intellectuelle
de l’Europe : réseaux du livre, réseaux des lecteurs, Budapest, Országos Széchényi
Könyvtár / Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2008, p. 165-189.
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
329
l’intention des foires pragoises afin d’établir un lien permanent avec ses
clients de Prague où il ouvre une succursale – le catalogue de 1769 est
d’ailleurs un catalogue de livres français. Les catalogues des libraires de
Leipzig, comme Gleditsch ou Heinsius, ainsi que les catalogues des foires,
se trouvent dans les bibliothèques de Bohême qui ont conservé ce type de
documents. Leipzig est de fait une source d’approvisionnement efficace et
facile d’accès.
Troisième « centre » de la production et du commerce du livre, Vienne
est une capitale en plein essor pour ce qui est de la librairie13. Elle s’impose
rapidement comme capitale au sein du marché du livre allemand.
La problématique du réseau est enfin appropriée à l’étude du commerce
du livre français à la fin de l’Ancien Régime parce que, à l’opposé du
commerce du livre allemand, il s’agit d’un ensemble de flux qui ne sont
pas structurés autour d’un centre. Il ne dispose pas de relais hiérarchisés
facilement repérables. Les livres imprimés à Paris sont minoritaires sur
le marché, comme nous allons le voir, et ne représenteraient même que
la moitié des livres français imprimés en Europe au XVIIIe siècle14. Ainsi
ce commerce fonctionne-t-il sans doute plutôt selon un réseau aux flux
variables, aux nœuds en permanent rééquilibrage et mettant en jeu des
acteurs dont les rôles ne sont pas encore strictement différenciés.
Le cas de la Bohême à la fin du XVIIIe siècle permet d’observer un
espace ouvert, éminemment récepteur, qui oscille entre intégration et
marginalité envers le grand marché des produits culturels européens – ici
le livre français. Nous aborderons la question à travers l’étude de l’activité
d’un éditeur et marchand libraire installé à Prague à partir de 1770, qui fit
de l’importation de livres français sa spécialité et dont nous possédons un
fragment de la correspondance et un certain nombre de catalogues.
Un libraire au cœur d’un réseau d’information européen
Éditeur des érudits
Originaire de Francfort, semble-t-il, Wolfgang Gerle obtient les droits
de bourgeoisie pour la Vieille ville de Prague en 177015. Dès son premier
Cf. N. Bachleitner, F.M. Eybl, E. Fischer, Geschichte des Buchhandels…,
op. cit.
14
Avant-propos aux chapitres sur le livre français hors de France Roger Chartier,
Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l'édition française. 2, Le livre triomphant 1660–
1830, Paris, Fayar/Promodis, 1990 (1e éd. 1984), p. 302.
15
Josef Volf, Geschichte des Buchdrucks in Böhmen und Mähren bis 1848,
Weimar, Straubing&Müller, 1928 ; id. Dějiny veřejných půjčoven knih v Čechách do roku
1848 [Histoire des bibliothèques publiques de prêt en Bohême jusqu’en 1848], Prague
13
330
CLAIRE MADL
catalogue, daté lui aussi de 177016, Gerle s’applique à se construire la
réputation d’un libraire aux riches connexions avec l’étranger. Il annonce
reprendre l’assortiment d’un libraire originaire de Nuremberg, installé à
Prague en 1745 : Johann Friedrich Rüdiger17. Cela faisait néanmoins vingt
ans que Rüdiger avait cessé toute activité18.
Le programme éditorial de Gerle montre qu’il s’est rapidement lié
aux érudits de Prague et c’est lui qui fait imprimer les travaux aujourd’hui
considérés comme les témoins les plus significatifs de l’activité scientifique
et intellectuelle du pays. Il publie par exemple les auteurs qui fondent la
société savante de Bohême. Ses activités maçonniques ainsi que l’ouverture
d’un cercle nommé le « Learned Club » le font passer pour un éditeur
« éclairé » à qui l’on doit une part essentielle de ce que nous appellerions la
« bibliothèque des Lumières en Bohême ».
Dans son premier catalogue, Gerle annonce son intention de se
fournir régulièrement en nouveautés à la foire de Leipzig. Il se propose de
constituer ainsi progressivement « un fonds complet et choisi » (vollständig
und ausgesucht) et de commander à la demande ce qui pourrait manquer
au lecteur. Le tout aussi rapidement que possible et toujours au prix de
l’éditeur19. Il souligne la qualité de son réseau d’approvisionnement
appuyé par une correspondance fournie. Or nous disposons d’un fragment
de cette correspondance commerciale conservé aux archives de la Société
typographique de Neuchâtel (S.T.N.)20. Elle permet de reconstituer les
1931 (Spisy Knihovny Hlavního Města Prahy, 12), p. 7. Pour une analyse critique récente
des données biographiques concernant Wolfgang Gerle : Michael Wögerbauer, Die
Ausdifferenzierung des Sozialsystems Literatur in Prag von 1760 bis 1820. Thèse de
doctorat, Université de Vienne, 2006, p. 286-287.
16
Verzeichniss deutsch- und lateinischer Bücher, welche um beygesetzte billige
Preisse zu haben sind bey Wolfgang Gerle, Buchhändlern zu Prag in der Altsädter
Jesuiter-Gassen beym goldenen Stroh, 1770.
17
Pravoslav Kneidl, “Pražský knihkupec Johann Friedrich Rüdiger a jeho
nabídka knih v roce 1748” [Le libraire pragois J.F. Rüdiger et son catalogue de 1748],
Knihy a dějiny, 1-2, 1995, p. 1-8. Comparer avec David L. Paisey, Deutsche Buchdrucker,
Buchhändler und Verleger 1701–1750, Wiesbaden, Harrassowitz, 1788, qui indique que
Johann Rüdiger était actif à Nuremberg de 1710 à 1743.
18
D’après le répertoire des imprimeurs de Karel Chyba, Slovník knihtiskařů v
Československu od nejstarších dob do roku 1860 paru progressivement dans : Příloha
Sborníku Památku národního pismnictví Strahovská knihovna 1-14/15 de 1968 à 1979 et
accompagné d'un inventaire chronologique des libraires, éditeurs, imprimeurs et relieurs.
Désormais disponible en ligne : http://www.clavmon.cz/chyyba/
19
Verzeichniss deutsch- und lateinischer Bücher…, Prag, Gerle, 1770, op. cit.,
Introduction non paginée.
20
Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, fonds de la S.T.N. (ainsi
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
331
pratiques et les réseaux du libraire pragois. En effet, en une vingtaine de
lettres, de 1777 à 1789, Gerle dévoile son réseau, ses projets, ses soucis et
les goûts de sa clientèle.
Un libraire bien informé
Au fil de ses commandes, notre libraire apparaît tout d’abord en
professionnel bien informé. En effet, dans ses lettres, Gerle se révèle en
possession d’informations très précises concernant les éditions, les prix, les
commissionnaires, les intermédiaires financiers et enfin les itinéraires pour
l’acheminement des livres. Il figure à ce titre au cœur du grand marché
commun du livre de l’Europe des Lumières. C’est d’ailleurs la S.T.N. qui
a contacté Gerle la première, comme elle l’avait fait avec de nombreux
libraires d’Allemagne, tôt après son apparition21. Peut-être Gerle a-t-il reçu
sa circulaire de juillet 1777 annonçant la publication de l’Encyclopédie in422 ? Dès cette date en effet, Gerle a gagné une position qui dépasse le cadre
de la Bohême et de la monarchie des Habsbourg ; il figure par exemple
dans l’Almanach de la librairie édité à Paris23.
S’il joint la S.T.N. en 1777, c’est avec une demande précise : il
souhaite acquérir son édition de l’Encyclopédie. Gerle nous apprend qu’il
avait cherché à l’obtenir du libraire Plomteux de Liège ; celui-ci l’avait
renvoyé à Joseph Duplain de Lyon – l’un des associés dans cette édition
de l’Encyclopédie24. Gerle préfère néanmoins s’adresser à la S.T.N. Dans
noté : BPU Neuchâtel STN). Nous disposons de 18 lettres de Gerle à la STN (outre
au moins cinq de perdues), de 19 copies de lettres de la STN à Gerle (outre au moins
11 de perdues) et de 13 consignations d’envois de livres. Il est ainsi possible, de façon
malheureusement lacunaire, de nous faire une idée des relations de Gerle avec la librairie
francophone de 1777 à 1789. Cette correspondance est mentionnée par, entre autres : Éric
Berthoud, « Un commerce de librairie entre Neuchâtel et Prague de 1777 à 1789 »,
Musée neuchâtelois, 1969, p. 134-139 ; et aussi Jeffrey Freedman : The Process of
Cultural Exchange. Publishing between France and Germany (1769–1789), Mémoire,
Université de Princeton, 1991, p. 235 et suiv.
21
BPU Neuchâtel STN, MS 1226, lettre de Trattner à la STN, le 15 février 1772
(f°3) et ibid. MS 1229, lettre de Walther à la STN du 23 mars 1772 f°54.
22
Robert Darnton, The Business of Enlightenment. A Publishing History of the
Encyclopédie, Cambridge, Belknap Press/Harvard University Press, 1979 (1e éd. française
Perrin 1982) édition utilisée : Paris, Seuil (point Histoire) 1992.
23
Almanach du libraire : contenant les noms des ministres et des magistrats qui
sont à la tête de la librairie (Antoine Perrin éd.), Paris, Moutard, 1777–1784 (Une édition
parut en 1777 à Paris, chez la Veuve Duchesne sous le titre : Almanach de l’auteur et du
libraire.)
24
R. Darnton (1992) op. cit., p. 86 et suiv.
332
CLAIRE MADL
sa commande, il joint à l’Encyclopédie deux titres, un édité par la Société25
puis un livre d’assortiment. Il s’agit d’une traduction de Shakespeare en
français, datant de 1778. Or Gerle est justement en train d’éditer Richard
II que l’on joue à Prague cette saison-là. C’est pour ainsi dire un auteur
d’actualité pour ses clients qui se trouvent ainsi en phase avec le regain
d’intérêt pour Shakespeare propre à leur époque. Cette précision des
commandes de Gerle est un trait qui se maintient sur toute la période. Il
spécifie parfois le format et l’édition qu’il recherche, comme pour cette
Histoire romaine, « 16 vol. in-12, de 1782 : Si c’est l’éd. 1782 ; sans quoi
pas.26 » L’on sait qu’au XVIIIe siècle se repérer dans les multiples éditions
des ouvrages est une aptitude qui demande une grande vigilance. Or, en
général, Gerle connaît avec précision les livres qui sont publiés par la
Société ou par elle revendus. Il critique les initiatives des Neuchâtelois.
lorsqu’ils lui envoient des ouvrages de son propre gré. S’il souhaite être
« informé » des ouvrages mis sous presse, il refuse catégoriquement de les
recevoir d’office :
Je vous prie aujourd’huy une fois pour toutes de ne jamais m’envoyer de
nouvelles éditions ou Reimpressions de Livres deja connus ou imprimés
ailleurs à moins que je ne vous les demande expressement. & puis de me
donner toujours seulement 3 à 6 exemplaires de vos [articles] nouveaux,
en attendant, que je les demande moi-même. Et comme je vois à
l’ordinaire d’avance par vos catalogues les articles que vous mettez sous
presse, Vous n’auriez qu’à prendre note de ce que je vous demande de
chacun, & ne point m’envoyer de ceux dont je ne vous ai rien demandé,
parce que ce sera la marque qu’ils ne me conviennent point27.
Il faut attendre 1785 et le relâchement effectif de la censure pour que
Wolfgang Gerle ose des commandes plus ouvertes. Disposant de sources
d’information variées, notre libraire pragois est capable en outre de mettre la
S.T.N. en concurrence avec d’autres fournisseurs. Il y commande seulement
ce qu’il ne trouve pas ailleurs ou bien ce qu’il y trouve à meilleur marché.
Il indique ouvertement les prix pratiqués par les autres libraires et connaît
les tarifs des éditeurs qui fournissent la Société pour son commerce de
gros. Il négocie donc les prix finaux et marchande fermement, catalogues
en main, ainsi le 7 juin 1780 :
Élémens d’histoire générale de Millot, 1775.
BPU Neuchâtel, STN Ms 1156 Gerle, Prague le 9 avril 1783. Il s’agit d’une
des rééditions de l’Histoire romaine de Charles Rollin continuée par Jean-Baptiste Louis
Crevier, rééditée en 1782 à Paris par les frères Estienne et en contrefaçon à Liège par
Bassompierre, en 16 volumes in-12.
27 BPU Neuchâtel, STN Ms 1156, Gerle, Prague, le 20 juil. 1782, f° 134.
25
26
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
333
Pour ce qui regarde les nouveaux Exemplaires que je vous avois
demandé[s] de votre Encyclopédie, je dois Vous avouer franchement,
que l’on m’en a offert & que je les ai demandé[s] depuis peu d’autre part
à 240# & un an de credit28.
Lorsqu’il est pris en défaut, il accuse la S.T.N. de l’avoir mal informé
et cherche à lui faire supporter les frais.
Dans ses relations avec les Neuchâtelois, Gerle fait preuve, en outre,
d’une grande habitude des pratiques de la librairie allemande à laquelle il
apparaît totalement intégré. Ainsi, l’année de crédit ou les facilités offertes
par le commerce de condition29, souvent pratiquées en Allemagne, sont
des avantages dont il a du mal à se défaire lorsqu’il traite avec l’entreprise
suisse. La S.T.N. cède parfois, notamment sur les délais de paiement,
témoignant ainsi de sa confiance envers l’entreprise Gerle.
De son officine pragoise, rue des Jésuites, Gerle embrasse donc une
bonne partie de l’offre européenne. Il parvient à se maintenir au courant des
contrefaçons éditées aussi bien aux Pays-Bas qu’en Suisse et possède une
vision à la fois précise et large des tarifs et des pratiques commerciales de
ses confrères grossistes.
Des contraintes pesantes
Éloignement
Le premier facteur de marginalité de Gerle est l’éloignement
géographique de Prague par rapport à ses fournisseurs et le caractère
« inédit » des routes empruntées par les ballots de livres qui lui sont destinés.
Cet éloignement est ressenti de façon d’autant plus aiguë que Gerle se
considère comme appartenant entièrement aux réseaux d’information de
cette Europe francophone. Comme ses lecteurs, il ne peut supporter aucun
retard ni accepter de payer en sus des frais de port trop importants. Il est
sans doute inutile d’insister sur ce facteur qui emplit sa correspondance,
comme elle emplit celle de nombreux contemporains.
Ce n’est que l’onze de ce mois-ci [de mars], que j’ai enfin reçu l’envoy
que vous avez eu la bonté de me faire en Date du 9 [décem]bre de l’année
passée et je ne sais à qui m’en prendre de ce retardement inconcevable car
il paroit que la Balle a été arrêté[e] et resté[e] en chemin plus longtems
28
BPU Neuchâtel, STN MS 1156 Gerle, Prague, le 7 juin 1780, f° 123.
Konditionsbuchhandel. Ce système permettait à un libraire de prendre un certain
nombre d’ouvrages, à la date convenue, il réglait ceux qu’il avait vendus et renvoyait les
invendus.
29
334
CLAIRE MADL
qu’il ne falloit d’un expediteur à l’autre (…) Vous voyez donc la lenteur
incroyable de ces Expéditions de vos contrées30.
Aux yeux de Gerle, c’est Neuchâtel qui est proprement excentrée. Il
s’écoule en principe deux à trois mois entre l’envoi de la commande et la
réception des ballots. Mais si la S.T.N. n’a pas les ouvrages en stock ou si
elle attend les envois d’autres fournisseurs, il arrive que Gerle attendent six
mois ses livres.
À l’éloignement physique s’ajoute l’appartenance à un système
monétaire différent. Les frais de change, les cours pratiqués par les
banquiers, sont un sujet permanent de négociation de la part de Gerle.
Une clientèle réduite
Au détour de certaines lettres, le libraire de Prague nous révèle
l’étroitesse de sa clientèle. Tandis qu’il vient de commander cinq
exemplaires de l’Encyclopédie in-4°, éclate la guerre de succession de
Bavière (1778–1779) qui semble provoquer le départ de certains de ses
souscripteurs :
Je n’ai pu répondre plutôt à votre dernière lettre & vous demander les
Volumes sortis de l’Encyclopedie, ne voyant pas de sureté à pouvoir
ramasser les fonds quoique petit[s], pour Vous en faire le payement ;
ayant d’ailleurs perdu par cette même guerre deux de mes souscriptions
militaires qui, pour avoir été transplantés, se sont dedit[s] de leur
engagement, je me trouve dans un nouvel embar[r]as, à moins que Vous
ne veuillez ou puissiez me decharger de ces deux Exemplaires & les
placer ailleurs31.
Gerle n’avait donc commandé un ouvrage aussi considérable qu’en étant
sûr de le placer. Le désistement de deux acheteurs pose problème. Nous
gagnons ainsi l’impression que Gerle connaît tous ses clients par leur nom.
Par prudence, il ne commande jamais que un à trois exemplaires d’un même
ouvrage dans une même commande. Ses « espoirs » de pouvoir commander
« un ou deux exemplaires nouveaux » sont toujours incertains et modestes.
Peu nombreux, ces clients ont aussi des moyens réduits. En juin
1780, Gerle découvre que l’édition de l’Encyclopédie de la S.T.N. a
sept volumes de plus que celle de Pellet qu’il avait prise pour base pour
attirer les souscriptions de ses clients, n’ayant reçu aucun prospectus de
30
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 25 mars 1780, f° 121. La
commande avait été envoyée le 20 novembre 1779.
31
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 20 janvier 1779, f° 115.
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
335
la part de la S.T.N. Il refuse de payer les volumes supplémentaires car ses
clients le menacent de lui ramener tout ce qu’ils ont déjà et d’exiger un
remboursement. Les prix sont de fait son unique souci et l’objet principal
de ses négociations.
Pour écouler son assortiment, Gerle oscille entre deux clientèles : celle
de la noblesse « qui entend le français » mais ne souhaite pas d’ouvrages
sérieux et celle des érudits antithétique à la première.
Quant à la Description des Arts et metiers, dont je Vous prie pour un
Exemplaire, afin de pouvoir mieux le faire connoitre, je suis faché, de
ne pouvoir pas Vous en prome[t]tre grand debit dans ce pays ici, parce
que les grands Seigneurs, qui entendent le françois ne se soucient guerres
[sic] de ces sortes d’ouvrages, & ceux qui en pour[r]oient faire leur profit
n’entendent pas la langue, ou bien en ont deja la traduction allemande32.
Or les ouvrages sérieux forment la plus large part de l’assortiment
de Gerle et en ce sens, il gagne bien sa réputation de libraire éclairé. Il
caractérise en effet ses besoins par ces mots : « quelque bon ouvrage latin de
médecine, d’histoire ou de sciences solides. » 33 Il semble ainsi concentrer
son attention sur un lectorat, de son propre aveu, particulièrement réduit.
Néanmoins, Gerle achète de façon répétitive des ouvrages licites, connus
et disposant d’un large lectorat (Louis Sébastien Mercier, des ouvrages
didactiques comme le manuel de géographie de Büsching en français, les
voyages de Cook). Ce n’est qu’après 1785 que l’on trouve mention, dans
les papiers de la S.T.N., d’envois de livres « philosophiques » (prohibés)
pour Gerle.
Un régime de censure contraignant
Les contraintes du régime de censure maintenu jusqu’au début des
années 1780 s’exercent de plusieurs façons différentes. Non seulement le
contenu des ouvrages peut être contrôlé à tout moment et doit être soumis
à l’approbation du bureau de censure avant d’être mis en vente, mais cette
procédure retarde la livraison effective des livres.
La censure est une des raisons pour laquelle de nombreux
collectionneurs, parmi lesquels en tout premier lieu les aristocrates, évitent
les libraires locaux, préférant se fournir à la source, sachant que les envois
qui leur sont destinés ne seront pas contrôlés, leur nom les sosustrayant de
facto aux interdictions.
32
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 7 mars 1778, f° 113.
BPU Neuchâtel, STN MS 1156 Gerle, Prague, le 7 juin 1780, f° 123v.
33
336
CLAIRE MADL
Une concurrence ardue
Au fil des lettres de Wolfgang Gerle, se lit la pression de la concurrence
et la nécessité d’obtenir les livres le plus rapidement possible. Gerle
mentionne explicitement deux de ses concurrents : il s’agit des « libraires
de Vienne et de Dresde »34. Face aux deux « géants » Trattner et Walther,
tout deux installés à Prague, et qui éditent eux-mêmes des contrefaçons de
livres français, Gerle dispose d’une marge de manœuvre réduite car son
offre et sa clientèle sont en tout identiques à celles de ses concurrents. Sa
correspondance directe avec l’étranger fait partie de la stratégie qu’il met
en place afin de les affronter en offrant aux lecteurs pragois un lien plus
direct avec les éditeurs.
La pratique du réseau comme palliatif
Dispersion
En suivant le détail des informations livrées par Gerle, nous pouvons
reconstituer son réseau d’approvisionnement en livres français. Dès sa
première commande, il prévient que ses sources d’approvisionnement
favorites sont Paris et les Pays-Bas :
Car je dois vous prevenir que ce n’est que la moderation des prix qui
pourra m’encourager à des affaires plus importantes, parce que sans cela,
je trouve mieux mon Compte de m’assortir de Paris & des Pays Bas35.
Parmi les libraires qui fournissent des livres français sur le marché de
Prague, Gerle est en effet un des rares chez qui les adresses parisiennes
constituent une bonne part de son offre en livres français (40 % en 1775
puis 32 % en 1786). Quant aux Pays-Bas, Gerle a sans doute en tête l’affaire
de Plomteux à Liège chez qui il avait tout d’abord cherché à obtenir
l’Encylopédie. Plomteux reste un contact privilégié et meilleur marché que
la S.T.N. ; ainsi en novembre 1779 :
Je ne m’attendois pas que vous me mettriez en compte 10s de port par
volume et comme Mr Plomteux de Liege vient de m’offrir encore les
volumes de la même ou d’une nouvelle Edition de l’Encyclopédie in-4°
à 7L 10s sans aucun port…36
Néanmoins, Gerle a bien dû trouver son compte chez les libraires suisses,
puisqu’à la baisse du nombre d’éditions françaises dans ses catalogues, que
34
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 12. janvier 1782, f° 132.
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 26 novembre 1777, f° 111.
36
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 20 novembre 1779, f°119.
35
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
337
nous avons constatée ci-dessus, correspond une hausse de la fréquence des
adresses suisses (les Suisses fournissent en outre des impressions venues
d’ailleurs). Les réseaux suisses de Gerle sont en effet impressionnants.
À Neuchâtel, Gerle ne traite pas seulement avec la Société typographique.
Il passe de temps en temps des commandes à l’éditeur Fauche (1780, 1782,
1783).
Gerle s’adresse aussi à Yverdon et passe régulièrement commande à
Felice (1779, 1781, 1783). Il est en lien avec Genève, où il s’approvisionne
chez Nouffer & Bassompierre qui lui procurent en 1781 l’Histoire
philosophique des deux Indes de Raynal dès avant qu’il ne les commande
à la S.T.N. À Genève encore, Boin, d’Ivernois & Cie lui fournissent les
œuvres posthumes de Rousseau avant la S.T.N. (1782). Il commande aussi
à Chirol et Barthelemny de Genève (1779), mais ceux-ci le servent mal et
semblent même l’avoir « entièrement oublié » en 1783. Il obtient de plus
de Cramer un dictionnaire en 1777.
Gerle commande enfin à la Société typographique de Berne dont les
tarifs sont souvent jugés meilleur marché que ceux de la S.T.N., fait qu’il
ne manque jamais de porter à la connaissance des Neuchâtelois.
Multiplication des intermédiaires
Gerle dispose ensuite de contacts – souvent les mêmes que la S.T.N. –
pour assurer l’envoi de ses ballots. En 1777, lors de sa première commande,
qui est modeste, il se fait envoyer les livres de la S.T.N. chez Serini à Bâle,
avec lequel il est déjà en relation.
À Bâle, Gerle est en contact avec les banquiers Faesch, Stikelberguer
& Christ qui lui servent de relais avant qu’il ne préfère le commissionnaire
de la S.T.N., Preiswerck. On trouve enfin la mention des maisons utilisées
par la S.T.N., comme Pfister de Schaffhouse et Kindervatter à Ulm. À
Nuremberg en revanche, c’est Gerle qui propose un contact parmi les
patriciens de la ville : Hörmann de Goutemberg (1779) qui ne figure pas
parmi les commissionnaires de la S.T.N.
Gerle utilise en outre certains de ces contacts viennois pour faire
transiter des livres. Ainsi, en 1787 et 1788, le représentant de la S.T.N.,
Durand l’aîné, passe commande de deux exemplaires du Dictionnaire des
grands hommes à envoyer au libraire Stahl de Vienne, pour Gerle37. Un peu
plus tard38, c’est à Hartmann à Vienne toujours, qu’il fait adresser les livres
37
BPU Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de lettre du 8 sept. 1787,
p. 239 et le 19 janvier 1788, p. 367.
38
BPU Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de la lettre du 13 décembre
1788, p. 641.
338
CLAIRE MADL
philosophiques pour Gerle, sans qu’il soit très clair en quoi le passage par
Vienne facilitait le trafic des livres interdits.
Cette multiplicité des correspondants recouvre, sans lui correspondre
exactement, la diversité de l’offre de Gerle. Elle semble surprenante au vu
du nombre relativement restreint d’articles qu’elle concerne. Même utilisée
comme un argument de vente, cette correspondance semble fastidieuse
à Gerle qui se dit dans « l’embarras d’une multitude d’affaires ». En
contrepoint, le modèle des circuits du livre allemand de l’Allemagne –
que quelqu’un comme Gerle pratique aussi – avec leur rythme établi, leur
lieu de rencontre unique et leurs intermédiaires permanents, semble d’une
efficacité redoutable. Signe de cet excessif éparpillement, durant les dix
années de ses relations commerciales avec la S.T.N., Gerle a fait plusieurs
tentatives pour rationnaliser son approvisionnement.
Tentatives de regroupement
Entre la nécessité de constituer des ballots suffisamment importants
pour réduire les coûts de port et celle d’obtenir les livres au plus vite pour
ne pas manquer de vente, un équilibre devait être atteint à chaque envoi. Il
se traduit dans la pratique par le regroupement des envois.
Lorsque Gerle entame sa correspondance avec la S.T.N., c’est vers
Serini de Bâle qu’il dirige les livres où, peut-être, le ballot a été complété
et élargi. Bâle pourrait paraître a priori le lieu idéal de jonction entre les
libraires allemands et les libraires suisses francophones. Mais cette voie
est vite abandonnée. Par la suite, les commandes à la S.T.N. prenant de
l’importance, c’est cette dernière qui sert de point de regroupement pour
Gerle. Elle est chargée d’attendre les envois venant de Genève, d’Yverdon,
de Berne ou de chez Fauche à Neuchâtel même, pour envoyer ses propres
livres. Ce système amène une foule de petits problèmes, de retards et peutêtre la S.T.N. ne voit-elle pas d’un très bon œil ces arrivages de la part de
collègues que Gerle présente en permanence comme des concurrents. Outre
ces regroupements de marchandises, Gerle est très tenté par la proposition
de la S.T.N. de lui servir de grossiste, au moins pour tous les livres qu’il
fait venir de Suisse :
Si vous voulez, que je m’addresse de preference à Vous, pour les articles
mêmes de vos confreres en Suisse : Proposition que j’accepte d’autant
plus volontiers, si vous voulez me fournir & aux même prix, ce que je
trouve chez les autres, parce que j’épargne par là beaucoup d’ecriture,
de frais & de retard39.
39
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 14 novembre 1781, f° 131.
Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)...
339
Gerle profite effectivement de l’assortiment de la S.T.N. qui joue pour
lui le rôle de grossiste. Néanmoins, cette pratique se heurte à l’incapacité
apparente de la S.T.N. à entretenir son stock de façon régulière. Ainsi,
il arrive que les ouvrages annoncés par son catalogue ne soient pas en
stock lorsque les commandes de Gerle parviennent à Neuchâtel. Gerle ne
découvre qu’à la réception des ballots ou des avis d’envoi que certains
ouvrages manquent. Ces délais lui semblent intolérables et il s’en plaint
amèrement. En décembre 1788, il va jusqu’à soupçonner la S.T.N. de servir
de préférence d’autres libraires à ses dépens.40
La S.T.N. en outre semble ne pas pratiquer régulièrement les prix des
éditeurs. Or Gerle les connaît et n’accepte pas de régler les frais de port
supplémentaires que la S.T.N. chercherait à répercuter sur sa note41 – il
obtient d’ailleurs gain de cause. Ainsi, la S.T.N. a bien des difficultés à
jouer le rôle de grossiste et ne sera jamais le diffuseur exclusif des livres
suisses auprès du libraire pragois.
Gerle, en retour, conçut le projet de servir de grossiste à la S.T.N.42
sur la foire de Leipzig. Il sonde en 1780 la Société à ce sujet et propose de
prendre 100 à 200 exemplaires des ouvrages nouveaux avec l’exclusivité
pour la foire de Leipzig qui, en effet, est aussi un lieu de diffusion du livre
français43. Gerle avoue vouloir par ce moyen alimenter « [son] commerce
d’échange » avec les libraires allemands. La précarité de sa position sur le
marché du livre allemand se lit dans ce projet : petit éditeur de province
à l’offre réduite, il ne peut proposer pour le troc autant d’ouvrages qu’il
le souhaiterait afin d’augmenter le volume de son offre sans débourser de
trop rares liquidités. Mais l’affaire ne se conclut pas car la S.T.N. a des
diffuseurs qui lui prennent, dit-elle, de bien plus grandes quantités d’articles
sans exiger l’exclusivité.
Ces tentatives de concentration des échanges demeurent ponctuelles et
inachevées. Elles se heurtent à d’autres logiques, en particulier celle de la
40
C’est ce qui ressort de la réponse de la STN à Gerle dont la lettre est perdue : BPU
Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de la lettre du 20 décembre 1788, p. 643.
41
BPU Neuchâtel, STN MS 1108, STN à Gerle, copies de la lettre du 20 mars 1780,
p. 598.
42
BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague le 25 mars 1780, f° 122.
43
Frédéric Barbier, „Der französische Buchhandel und Leipzig zwischen 1700
und ca. 1830”, in : Michel Espagne, Matthias Middel (dir.), Von der Elbe bis an
die Seine. Kulturtransfer zwischen Sachsen und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert,
Leipzig, Universitätsverlag, 1993, p. 257-275. Mark Lehmstedt, „Die Herausbildung
des Kommissionsbuchhandels in Deutschland im 18. Jahrhundert”, in : Frédéric
Barbier, Sabine Juratic (dir.), L’Europe et le livre: réseaux et pratiques du négoce
de librairie XVIe–XIXe siècles. Paris, Klincksieck, 1996, p. 451-483.
340 CLAIRE MADL
concurrence que se livrent les éditeurs en vendant de multiples contrefaçons
d’un même ouvrage.
Conclusion
La dissémination des sources d’approvisionnement en livres français
ici constatée a de lourdes conséquences pour un commerce de la taille de
celui de Gerle. Elle est tout d’abord financièrement lourde et notre libraire
est toujours à la recherche d’un report de paiement. Il est particulièrement
exposé aux revers de la conjoncture, qu’elle touche un de ses multiples
fournisseurs ou un de ses trop rares clients. Dès 1785, son affaire est
durement atteinte par de nouveaux concurrents locaux qui profitent
des opportunités ouvertes par la libéralisation du métier de libraire44.
Les révolutions française, liégeoise et brabançonne auront encore des
conséquences catastrophiques pour ses échanges. Finalement, en 1791, son
fonds doit être vendu aux enchères et sa boutique est fermée.
Gerle avait sans doute trop misé sur ce grand marché du livre français
qui lui semblait mériter un soin si particulier qu’il ne se fournissait pas
seulement chez les revendeurs de Leipzig. Il n’était cependant pas
financièrement de taille à concurrencer les gros libraires à la clientèle large.
Dans les années 1790, les libraires de Prague qui s’installent semblent avoir
de tout autres stratégies et c’est désormais un autre modèle de libraires
qui vient concurrencer celui du libraire éclairé : ils ne s’adressent plus
seulement aux élites mais au plus grand nombre.
Michael Wögerbauer, „‘Folglich ich keines Weges einem meiner MitKollegen nachtheilig bin‘: die Deregulierung des habsburgischen Buchhandels unter
Joseph II. am Beispiel des Prager Buchdruckers J.N.F. von Schönfeld“, Internazionales
Archiv für Sozialgeschichte der deutschen Literatur, 33/2, 2009, p. 46-72.
44
Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes
en Bucovine (XVIIème–XVIIIème siècles)
OLIMPIA MITRIC
Comme on le sait, la Moldavie a été la plus réceptive des trois provinces
roumaines à la culture française. Dans cette province-ci, les contacts avec
le mouvement d’idées européenes sont plus puissants, soit par la filière
polonaise et russe, soit par celle grecque de Vienne.
La lutte d’affirmation nationale1 a mené à l’augmentation de la
conscience politique de la société moldave et à une participation plus
accentuée à la vie politique. Le goût pour la lecture évolue, aussi, pendant
que la mentalité commence se transformer ; on sollicite les œuvres dans
lesquelles apparaissent les idées sociales politiques, la géographie et
l’histoire universelle ou les conquêtes de la technique.
Ce qui est spécifique pour les Lumières en Moldavie est le fait que
celles-ci se sont imposées dans la culture roumaine, surtout, par traductions
et moins par des œuvres originales2. De cette manière, les transformations
sur le plan culturel sont exprimées, aussi, dans les œuvres traduites dues à
ce mouvement d’orientation française.
On ne connaît pas aujourd’hui avec précision quelle a été la première
œuvre française traduite chez nous, car la plus grande partie nous est arrivée
1
Le long du XVIIIème siècle, la Moldavie et la Valachie sont restées sous la
suzeraineté de la Porte ottomane, qui a nommé des princes régnants phanariotes, dans
les deux principautés, déjà depuis le début du siècle. Leur situation s’est aggravée, aussi,
à cause des opérations militaires des trois empires – ottoman, habsbourgeois et tsariste –
déployées, pour la plupart, sur des territoires roumains. Le gouvernement habsbourgeois,
du désir de comprendre de nouvelles contrées, avec l’accord de la Porte ottomane, en
1775, a occupé le nord de la Bucovine, le territoire qui portera ultérieurement le nom de
Bucovine.
2
Al. Duţu, Coordonate ale culturii româneşti în secolul XVIII, Bucureşti : Ed.
Minerva, 1968, p. 229.
342
OLIMPIA MITRIC
dans des copies manuscrites (ou des éditions plus tardives), des copies, qui,
souvent, mentionnent seulement le nom du copiste et la date de l’exécution
de la copie, sans englober, aussi, des données sur l’original.
Les plus anciennes copies en roumain des œuvres traduites du français
qui se trouvent dans les bibliothèques de Roumanie datent de la fin du
XVIIIème siècle, plus exactement après l’année 1770. Si on fait référence
à la présence de ces traductions en Bucovine, on peut affirmer les choses
suivantes : en 1939, l’historien Ion I. Nistor faisait connue la présence,
au monastère Putna, de la traduction de Voltaire : Istoria craiului Sfeziei
Carol al XII-lea/Histoire de Charles XII roi de Suède3. Aujourd’hui, dans
la bibliothèque de ce monastère, on garde, en deux volumes, la traduction
de la littérature française, réalisée par Constantin Andrieş, assez récemment
identifiée par N.A. Ursu, du roman de Jean-François Marmontel Les
Incas ou la destruction de l’empire du Pérou, paru à Paris en 17774 .
Ion. I. Nistor, O traducere din Voltaire în Arhiva mănăstirii Putna, en « Junimea
literară », 1939, nr. 1-12, p. 1-5.
4
N.A. Ursu, O traducere românească necunoscută din Marmontel, în biblioteca
mănăstirii Putna, en « Cronica », 1992, no. 24 (1298), p. 7.
3
Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine...
343
C’est une traduction unique, pas seulement pour nous, les Roumains, mais
aussi pour d’autres pays du sud-est européen, selon l’opinion du chercheur
de Iassy.
Pendant cette période, on remarque aussi l’activité prolifique de copiste
du diacre Isaia de l’Évêché de Rădăuţi. Pendant deux années 1779–1780,
il a copié Theatron politicon, tome I-II, par Ambrosius Marlianus, Zăbava
fandasiei/Degli scherzi geniali, par Francesco Loredano, Întâmplările lui
Telemah/Les aventures de Télémaque, par Fénélon, l’ouvrage du comte
suédois Johan Thuresson Oxenstiern, en deux tomes, Cugetări de multe
feluri/Pensées sur divers sujets. Il est à remarquer que toutes les oeuvres
copiées par Isaia font partie de la littérature philosophique – moralisatrice,
de grandes dimensions, certaines d’entre elles en deux volumes. Isaia était
un moine d’un important centre monastique, un copiste spécialisé, qui
copiait à commande les œuvres demandées5.
Dans la même période, le long des années 1789–1796, au monastère
Slatina, dans la zone Fălticeni, dans l’espace adjacent à la Bucovine,
l’archimandrite Gherasim, l’hégoumène du monastère, s’est fait remarqué
comme traducteur de la langue française. Après avoir traduit vers 1770,
les premiers neuf livres de Întâmplările lui Telemac/Les aventures de
Télémaque, et en 1787, Taina francmasonilor/Le secret des francmaçons,
l’ouvrage de Gabriel Pérau, il a continué à traduire de Voltaire (Istoria
craiului Sfeziei, Carol al XII-lea/Histoire de Charles XII roi de Suède), le
roman picaresque de Lesage, Alain Réné (Bacalaureatul din Salamanca/
Le Bachelier de Salamanque) sous le titre de Viaţa domnului Heruvim de
la Ronda, ainsi que Istoria Americei/L’histoire de l’Amerique, en deux
volumes, selon l’ouvrage d’André Guillaume Constant d’Orville, Histoire
des différents peuples du monde, en 6 volumes6.
En ces conditions, les livres français ne peuvent pas manquer de nos
collections ; ils sont de véritables raretés bibliographiques et, pour la
première fois, ils constituent le sujet d’une communication scientifique.
Ils sont gardés dans les Collections spéciales et les Fonds documentaires
de quelques bibliothèques de Suceava : la Bibliothèque de la Bucovine
« I.G. Sbiera », la Bibliothèque de l’Université « Ştefan cel Mare », la
Bibliothèque du Monastère « Sf. Ioan cel Nou de la Suceava (Saint Jean
le Nouveau de Suceava) », la Bibliothèque du Musée Départemental
d’Histoire de Suceava.
Adriana Mitu, Din vechile cărţi de înţelepciune la români. Cugetările lui
Oxenstiern (sec. XVIII), Bucureşti : Ed. Atos, 1996, p. 76.
6
N.A. Ursu, Cine este Gherasim, traducătorul lui Voltaire la 1792?, en
« Cronica », XXI, Iaşi, 1986, no. 1, p. 6.
5
344 OLIMPIA MITRIC
Ils sont imprimés dans des ateliers typographiques de Paris, Londres,
Genève, Regensburg, Basel, Berlin, et représentent des domaines variés,
de l’histoire, la politique, la théologie, la littérature, le théâtre et jusqu’à
l’architecture et la diplomatie.
Le plus ancien exemplaire, Le tableau de L’Europe, est imprimé à
Paris, en 1651, et il se trouve dans la Bibliothèque du Monastère « Saint
Jean le Nouveau de Suceava ».
Les pages avec le nom de celui qui a écrit la dédicace /Puget de Laserrei/
et avec la description de la Valachie et de la Moldavie sont intéressantes
pour nous.
En général, les livres, soit ils proviennent des bibliothèques des
intellectuels, soit ils sont achetés des boutiques des antiquaires. Par
exemple, les livres des collections de la Bibliothèque de la Bucovine
« I.G. Sbiera » proviennent, par transfert, de la Bibliothèque du Musée de
Fălticeni (ou de Suceava, comme elle a été nommée autrefois) ; ils ont été
donnés à cette institution, comme on observe selon le tampon ex-libris, en
bas, par Artur Gorovei (folkloriste, ethnographe, membre correspondant
de l’Académie Roumaine). Les autres livres proviennent de la bibliothèque
encyclopédique, renommée jadis, comptant environ 1 000 volumes
Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine...
345
(L’Inventaire de la bibliothèque, de 100 p., date de l’année 1889) de la
famille Stino de Fălticeni, les bases de laquelle ont été mises par George
Stino, professeur de français, passionné de la musique et de la peinture.
Les livres des Fonds du Musée Départemental d’Histoire sont gardés
dans : le Fond « Diverse donaţii (Diverses donations) » (le volume M.
Belidor, Architecture hydraulique…, Paris, 1737, étant donné par les
familles Hermannsdorf de Suceava et Stancovici de Arad), le Fond « Leca
Morariu » (ancien professeur à l’Université de Tchernovtsy) ; comme on
peut apercevoir, avec la signature autographe du professeur, le volume
Tableau des guerres de Frédéric le Grand…, Berlin, 1786, possède
encore l’ex-libris autographe : « Prince Georges Cantacuzino » (on croit
qu’il s’agit de l’architecte roumain et professeur universitaire à Bucarest :
George M. Cantacuzino – 1899/1960) et le Fond « Petru Comarnescu »
(le grand critique d’art et essayiste roumain) ; sur un des livres (La
Religion chretienne…, Paris, 1754), on a l’ex-libris autographe de Petru
Comarnescu. Les autres lui ont été offerts probablement par des amis
ou des collaborateurs, comme : D.D. Panaitescu (essayiste, traducteur et
éditeur), Ioan Dimitrie Suciu (historien littéraire) ; d’autres volumes de
Voltaire (Œuvres complètes) portent la dédicace « Lui Petru Comarnescu,
cu simpatie, G.C. (À Petru Comarnescu, avec sympathie, G.C.) » ou,
plus simplement, « À Petru Comarnescu, G.C. ». À remarquer, la reliure
originale, en peau sur carton, de ces volumes.
Pour ceux qui s’y intéressent, nous avons organisé la liste des valeurs
bibliophiles dans la langue française, sur catégories de détenteurs.
La liste des valeurs bibliophiles dans la langue française,
sur catégories de détenteurs :
Le Monastère « Saint Jean le Nouveau de Suceava» :
1. Le tableau de L’Europe… Dedié à Monseigneur le Mareschal de
Ville-Roy. Seconde édition augmenté. À Paris, chez I. Baptiste
Loyson au Palais, en la Salle Dauphine, à la Croix d’Or. 1651.
La Bibliothèque de la Bucovine « I.G. Sbiera » de Suceava :
1. La Théorie et la pratique du jardinage… et un Traité d’hydraulique
convenable aux jardins. Par M. *** de l’Académie Royale des
Sciences de Montpellier. Quatrième Édition revûe… À Paris, chez
Pierre-Jean Mariette… 1747.
2. MONTESQUIEU (Charles de Secondat, baron de), De L’esprit des
Loix… Nouvelle édition… Tome premier. À Genève, chez Barrillot
& Fils, 1751.
346
OLIMPIA MITRIC
3. Essai général de tactique précédé d’un discours… avec le Plan‚
d’un ouvrage intitulé : La France politique et militaire. Tome
premier. À Londres, chez les Libraires associés, 1772.
4. Le Cabinet des Fées ou Collection choisie des contes des fées
et autres contes merveilleux. Tome quinzième. À Genève, chez
Barde, Manget & Compagnie Imprimeurs-Libraires, 1786.
5. REGNARD (Jean-François), Œuvres… Avec des avertissements et
des remarques sur chaque pièce. Par M. G. *** Nouvelle édition.
Tome second. À Paris, de L’imprimerie de monsieur, 1790.
L’Université « Etienne le Grand » Suceava :
1. VOLTAIRE. Ouvrages dramatiques précédés et suivis de toutes
les pièces qui leur sont relatifs. Tome premier, f. l., f. e., 1775.
2. Essai sur la tradition théâtrale suivi de notices pour servir a
l’histoire des théâtres lues à la troisième classe de l’Institut.
Par Cailhava de l’Institut. Paris, Charles Pougens, imprimeurlibraire…, 1798.
Le Musée Départemental d’Histoire de Suceava :
1. BELIDOR M. Architecture hydraulique… Première partie, Tome
premier… À Paris… chez Charles-Antoine Jombert, Libraire de
l’Artillerie & du Génie à l’Image Notre Dame, 1737.
2. Lettre d’un ministre de Pologne a un seigneur de L’empire sur
les affaires présentés de la Hongrie. À Ratisbone, chez Erasme
Kinkius, 1711.
3. La Religion chrétienne démontrée par la conversio et l’apostolat
de Saint Paul… À Paris, chez N. Tilliard, Libraire…, 1754.
4. Madame RICCOBONI. Lettres de My-lord Rivers à sir Charles
Cardigan entremêlées d’une partie de ses correspondances à
Londres pendant son séjour en France. … Première partie …
Seconde partie … À Paris. Chez Humblot, Libraire…, 1777.
5. Fabliaux ou contes du XIIe et du XIIIe siècle. Fables et Roman du
XIIIe, traduits ou extraits d’après plusieurs manuscrits du tems…
Tome cinquième. À Paris, chez Eugene Onfray, Libraire…, 1781.
6. Tableau des guerres de Frédéric le Grand… Avec une explication
précise de chaque bataille. Traduit de l’Allemand de Louis Müller,
lieutenant du genie… par M. Le Professeur de Laveaux, 1786.
Imprimé à Berlin aux dépens de l’Auteur chez J.F. Unger et se
vend à Potsdam chez l’Auteur.
Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine...
347
7. VOLTAIRE. Œuvres complètes. À Basle. De l’Imprimerie de
Jean-Jacques Tourneisen avec des caractères de G. Haas.
Tome trente-deuxième : Histoire de Charles XII, 1792.
Tome quarante-deuxième : Dictionnaire philosophique, 1786.
Tome quarante-troisième : Dictionnaire philosophique, 1786.
Tome cinquante-deuxième : Lettres du prince royal de Prusse et de
M. de Voltaire, 1788.
Tome cinquante-cinquième : Lettres de l’impératrice de Russie et
de M. de Voltaire, 1788.
Tome cinquante-sixième : Recueil des Lettres de M. de Voltaire.
1715–1737. Corresp. Générale. Tome I. A., 1788.
Boldizsár (Balthasar) Batthyány,
un homme de culture française
MONOK ISTVÁN
Le portrait qu’Ötvös Péter a peint sur Balthasar Batthyány met en
relief – en accord avec les résultats de la recherche précédente – que les
expériences françaises de jeunesse (1559–1561) de ce grand-seigneur
furent déterminantes de plusieurs points de vue. Sa longue visite à la cour
royale1 a non seulement transformé ses goûts et sa culture, mais l’a rendu
protestant engagé. Ötvös a même risqué l’affirmation que les origines de
son crypto-calvinisme étaient à chercher en France.2 Puisqu’à l’avis de tous
les spécialistes le goût français est un phénomène très rare dans la Hongrie
du 16e siècle3, nous nous sommes proposé d’examiner si la reconstruction
de sa bibliothèque atteste l’orientation francophile et francophone de
Balthasar Batthyány.
1
Vö. ECKHARDT Sándor, « Batthyány Boldizsár a francia udvarnál [BB à la cour
royale française] » Magyarságtudomány, 9 (1943) : 36–44.
2
Bibliotheken in Güssing im 16. und 17. Jahrhundert. Hrsg. von István MONOK,
Péter ÖTVÖS. Band II : István MONOK, Péter ÖTVÖS et Edina ZVARA : Balthasar
Batthyány und seine Bibliothek. Eisenstadt : Burgenländische Landesbibliothek, 2004
(Burgenländische Forschungen. Sonderband XXVI.) (dans la suite : MONOK–ÖTVÖS–
ZVARA 2004) 8.
3
IVANYI Béla : « Batthyány Boldizsár a könyvbarát. [BB bibliophile] » In : A
magyar könyvkultúra múltjából. Iványi Béla cikkei és anyaggyűjtése. Sajtó alá rend. és a
függeléket összeáll. HERNER János et MONOK István. Szeged : JATE, 1983 (Adattár
XVI–XVIII. századi szellemi mozgalmaink történetéhez. 11.) (dans la suite : ADATTÁR
11.) 389–410 ; pour l’histoire de la cour des Batthyány et la bibliographie portant sur
Balthasar, voir : MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. 236–243. Plus tard : MONOK,
István, « Die kulturvermittelnde Rolle des Batthyány-Hofes an der Wende vom 16. zum
17. Jahrhundert ». In : Deutsche Sprache und Kultur, Literatur und Presse in Westungarn/
Burgenland. Hrsg. von Wynfrid KRIEGLEDER, Andrea SEIDLER. Bremen : Edition
Lumière, 2004. 75–90.
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
349
Dans l’histoire de la réception en Hongrie des idées françaises le
16 siècle ne figure pas parmi les plus importants.4 On sait certes que
les intellectuels huguenots réfugiés à la fin du siècle à l’université de
Heidelberg, ainsi que les réformés vivant dans les centres aujourd’hui
franco-helvétiques avaient des rapport parfois très étroits avec certains
cercles hongrois. Balthasar Batthyány, mort en 1590, ne pouvait bénéficier
de l’influence salutaire de ce « fourneau de Heidelberg » (qui déterminait
de manière incontestable le développement intellectuel de son fils). Si
l’on considère l’âge moderne dans sa totalité, on verra qu’en outre des
grands centres de commerce du livre, les territoires vallons (appartenant à
la monarchie espagnole), Genève, ainsi que les émigrés huguenots établis
après la Saint-Barthélémy soit dans les principautés allemands, soit dans
la septentrionale des Pays-Bas ont également joué un rôle important dans
e
Vö. MONOK István, « Francia szerzők a magyar nemesség olvasmányaiban
1526–1671 [Auteurs français lus par la noblesse hongroise, 1526–1671] » Csongrád
megyei Könyvtáros, 37(1994) : 49–60.; MONOK István : « A francia könyv jelenléte a
magyarországi olvasmányanyagban a 16–18. században [La présence du livre français
dans le corpus des lectures hongroises, 16e–18e siècles] » In : Tanulmányok Szakály Ferenc
emlékére. Szerk. : FODOR Pál, PALFFY Géza et TOTH István György. Budapest : MTA
TTI, 2002 (Gazdaság- és társadalomtörténeti kötetek. 2.) 279–290.
4
350 MONOK ISTVÁN
la transmission de la culture et du goût français. Dans notre étude, nous
examinerons la présence des gallica territoriaux, linguistiques, auctoriaux
et thématiques dans la collection du château de Németújvár (aujourd’hui
Güssing in Burgenland, Austriche), c’est-à-dire nous nous efforcerons de
recenser toutes les publications parues en France, en langue française, sur
un sujet français ou composé par un auteur français. De tous le livres parus
en Alsace nous ne nous intéresserons qu’à ceux écrits en français, par un
auteur français ou sur un sujet français.5
Outre les livres et les factures conservés, le réseau des connaissances
personnelles de Balthasar mérite également notre attention6. Sa
correspondance et la liste de ses invités prouvent qu’il avait utilisé la langue
française non seulement pour la lecture, mais aussi pour la conversation.
L’invité le plus illustre ayant séjourné au château de Németújvár fut
Charles de l’Ecluse de Leiden, lequel, par ses publications et par ses
contacts personnels avait joué un rôle très important dans la formation des
intellectuels hongrois. 7
5
Pour la récapitulation du corpus de la bibliothèque et une revue des études, voir :
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Dans ce volume Dóra BOBORY a publié les lettres
de Balthasar Batthyány portant sur ses livres. Voir aussi : TABERNIGG, Theodor OFM,
Standort Katalog der Bibliothek in Güssing. Güssing, 1972. Manuskript; MAGYAR,
Arnold, 340 Jahre Franziskaner in Güssing (1638–1978). Graz : Selbstverlag des
Franziskanerklosters, 1980. 236–269; PUMM, Liesbeth, Die Klosterbibliothek Güssing.
Ein Zeitzeuge der Reformation und Gegenreformation im burgenländischen Raum.
Diplomarbeit an der Univ. Wien. 1992. Manuskript.
6
BARLAY Ö. Szabolcs, « Boldizsár Batthyány und sein Humanisten-Kreis »
Magyar Könyvszemle, 95(1979) 231–251.; BARLAY Ö. Szabolcs, « Elias Corvinus és
magyar barátai [EC et ses amis hongrois] » Magyar Könyvszemle, 93(1977) 345–353.;
BOBORY Dóra, « Batthyány Boldizsár és humanista köre. Erudíció, természettudomány
és mecenatúra egy 16. századi főúr életében [BB et son cercle humaniste. Erudition,
sciences naturelles et mécénat dans la vie d’un grand-seigneur du 16e siècle] » Századok,
139(2005) 923–944. Voir aussi : MONOK István, « Württenbergi exulánsok Batthyány
Ferenc udvarában [Exulants de Wittenberg dans la cour de Ferenc Batthyány] » Magyar
Könyvszemle, 119(2003) 205–211.; MONOK István, « Die Bibliothek des Johann Jacob
Knaus. Die Reste einer württenbergischen protestantischen Bibliothek in Güssing ». In :
Jahrbuch des Ungarischen Kulturinstitutes in Stuttgart. Hrsg. von Gyula KURUCZ.
Stuttgart : Ungarisches Kulturinstitut, 2003. 138–146.; MONOK István, « Exulanten
aus Bayern, Oberpfalz und Pfalz am Batthyány-Hof an der Wende des 16. und 17.
Jahrhunderts » Ungarn Jahrbuch 2004. München : Ungarisches Institut, 2005. 225–234.
7
Une synthèse, avec bibliographie : Führer durch die Clusius-Gedächtnisstätten
in Güssing. Bearb. von Stephan AUMÜLLER. Mit zwei Beiträgen von Otto GUGLIA.
Eisenstadt : Burgenländisches Landesmuseum, 1973; Festschrift anlässlich der
400jährigen Wiederkehr der wissenschaftlichen Tätigkeit von Carolus Clusius (Charles
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
351
Balthasar Batthyány a séjourné à Paris à partir de l’automne de 1559. Il
y a passé un peu plus d’un an. Il va donc de soi que notre premier réflexe de
chercheur a été de déterminer en quelle mesure les livres édités à Paris dans
ces années (ou quelques années auparavant) figurent dans sa collection.
Il convient aussi d’examiner les notes manuscrites et les documents
d’archives pour déterminer la date exacte de leur acquisition. Ayant effectué
les analyses qui s’imposaient, nous avons constaté n’avoir trouvé aucun
livre dont on pourrait affirmer avec certitude que Boldizsàr l’ait emporté
personnellement de Paris à Németújvár. Il y a un seul volume qui nous
incite à soupconner que Balthasar ait dû connaître personnellement André
Wechel, éditeur huguenot parisien.8 La publication en question renferme
deux ouvrages par Franciscus Duaraenus : l’un traite de l’Église en général,
tandis que l’autre expose la nécessité absolue de l’indépendance de l’église
gallicane à l’égard du pape. Le volume vit le jour en 1557.9
Dans les deux premiers tiers du 16e siècle le domaine de l’édition
critique de qualité des auteurs antiques et de l’édition des auteurs
humanistes récents fut dominé par la concurrence des éditeurs bâlois et
parisiens. Parmi les 670 livres subsistant (ou connus) dans la collection de
Balthasar Batthyány, on trouve plusieurs ouvrages appartent à ce groupe
thématique particulier. Or, 80 % environ de ces publications est bâloise
(Amerbach, Frobenius, Oporinus et surtout Petrus Perna) ou vénétienne. Les
publications françaises et les ouvrages d’auteurs français sont néanmoins
importants. On sait de quatre ouvrages que Carolus Clusius avait donnés à
Balthasar : le Térence (1555), publié à Zürich et commenté par les lyonnais
Petrus Menenius et Marc-Antoine Muret, avait été acheté par Clusius en
1559, à Anvers : quant au manuel de langue latine préparée par Thomas
Linacer, et publié à Paris en 1550, Clusius l’obtint en 156110 ; le manuel
de l'Escluse) im pannonischen Raum. Eisenstadt : Burgenländische Landesbibliothek,
1973 (Burgenländische Forschungen. Sonderheft V.)
8
EVANS, Robert, The Wechel Presses. Humanism and Calvinism in Central
Europe 1572–1627. Oxford : University Press, 1975 (Past and Present. Supplement,
2.) ; récemment : MONOK István, « A Batthyány-család németújvári udvara és könyves
műveltsége [La cour de Németújvár et la culture livresque de la famille Batthyány] ». In :
Kék vér, fekete tinta. Arisztokrata könyvgyűjtemények 1500–1700. [Sang bleu – encre
noir : collections de grand-seigneur]. Szerk. : MONOK István. Budapest : OSZK, 2005,
87–104.
9
Afin de ne pas surcharger de notes notre étude, nous ne citons les éditions en
question qu’en renvoyant aux numéros sous lesquels ils figurent en MONOK–ÖTVÖS–
ZVARA 2004. L’ouvrage de Duaraenus y est Nr. 405.
10
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 480.
352
MONOK ISTVÁN
de rhétorique de Hadrianus Cardinalis, édité également à Paris (1534)11,
ainsi que les Quintiliens parus à Paris en 1542 (publiés par Robert Estienne
et Simon Colines) furent achetés par lui en 1562 à Paris.12 Il les fit relier
ensemble avant d’en faire cadeau au seigneur de Németújvár.
En 1584–1585 Erhardt Widmar, libraire de Graz, vendit à Balthasar
deux commentaires de Cicéron (ceux de Paolo Manutio et de Simon Du
Bois, ainsi que de Hubert Susanneau), dans une édition francfortoise (1580,
André Wechel) et strasbourgeoise (1576, Josias Rihel).13 Balthasar acheta
également la grammatique grecque de Nicolaus Clenardus commentée par
René Guillon (Cologne, 1560)14, ainsi qu’un Plaute parisien, édité par Jean
Macé en 1576 et préparé à l’édition par Juste Lipse.15 On peut légitimement
supposer que Balthasar a choisi cette édition à cause de l’éditeur et non pas
sur la base du lieu de l’édition.
Réfugié huguenot en Allemagne, André Wechel fonda son atelier à
Francfort. Lui-même, ses gendres (Jean Aubry, Jean Marne), ainsi que
ses descendants entretenaient des relations très étroites avec la famille des
Batthyány.16 Jean Aubry, chargé de l’acquisition des livres, correspondait
régulièrement avec le grand-seigneur. C’est lui qui envoya en 1586 et
en 1587 à Németújvár une édition lyonnaise de 1584 du dictionnaire de
Calepinus17, l’édition de Denys Halicarnasse préparée en 1555 à Lyon par
Sebastian Gryphius18, un ouvrage par Végèce annoté par Guillaume Budé
(De re militari, Cologne, 1580)19, ainsi que la chrestomathie grecque de
Marc-Antoine Muret, avec notes et commentaires (Paris, 1586).20
Il convient de mentionner un autre ouvrage relevant de la philologie
classique : Batthyány connaissait l’édition de Berosus Babilonicus par
Geoffroy Tory (Paris, 1511)21, mais cet ouvrage traitant de l’histoire de
11
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 435.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 557.
13
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 89, 95.
14
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 101.
15
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 118.
16
Voir note 8 et aussi V. ECSEDY Judit, A könyvnyomtatás Magyarországon a
kézisajtó korában 1473–1800 [L’imprimerie en Hongrie au temps de la presse manuelle,
1473–1800]. Budapest : Balassi Kiadó, 1999, 105–109. (Wechel sur Jean Sigismond) ;
voir aussi : RMNy 1308 (Hanau, 1624, David Aubry) Le père de David Aubry, Jean, fut
gendre d’André Wechel.
17
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 124.
18
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 125, 136.
19
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 132.
20
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 149.
21
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 385.
12
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
353
Babylone subsista dans un recueil factice composé de textes provenant
des deux premières décennies du 16e siècle, surtout d’auteurs antiques.
Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, on peut soupçonner que le recueil
appartenait à la maison conventuelle des Augustins de Németújvár (ce n’est
donc pas la francophilie de Balthasar qui est à l’origine de son acquisition).
A l’édition lyonnaise (1539) de Salluste par Sébastien Gryphius, l’ancien
possesseur du livre – un certain M.S. – relia une édition leipzickoise
datée de la même année.22 Ce n’est qu’à cause la nationalité française de
son éditeur – l’huguenot réfugié – que nous devons mentionner l’édition
génévoise d’Hérodote, préparée par Valla23. L’avant-dernier des ouvrages
appartenant à ce groupe thématique est l’étude archéologique de François
Pollet, intitulée Historia Fori Romani (Douai, 1572).24 Signalons enfin
l’ouvrage archéologique et historique de Guillaume Du Choul au sujet de
la religion greco-romaine et de l’éducation militaire – ce livre en français
fut acheté par Batthyány chez Aubry dans les années 1580.25
On peut constater qu’aucune trace de francophilie ne se manifeste
pas dans le choix que Balthasar fait entre les diverses éditions disponibles
des textes antiques, ni d’ailleurs dans l’acquisition des ouvrages des
personnages les plus illustres de l’humanisme et de la philologie classique
français. Les éditions bâloises et vénétiennes surpassent en nombre les
livres français. Les publications parisiennes ou lyonnaises (que nous avons
rapidement présentées) arrivèrent à Németújvár soit par voie de donation,
soit sélectionnés sur des critères autre que la francophilie. On ne doit
néanmoins pas dissimuler l’importance du fait qu’il connaissait les auteurs,
ouvrages et éditeurs en question et que par conséquent il pouvait avoir une
vue assez large sur l’histoire et la culture françaises. En dehors de cela, la
présence des deux ouvrages archéologiques français signale que dans le
domaine de l’étude historique de l’Antiquité, il était très attentif (peut être
influencé par Aubry) aux auteurs français.
Les ouvrages de médecine constituent un groupe à part dans la
bibliothèque de Németújvár. Une partie prépondérante de ces ouvrages
a un rapport avec la France, on y trouve même des éditions françaises
que la recherche considère aujourd’hui comme raretés. Le plus ancien
de ses ouvrages dut arriver à Németújvár avant même la naissance de
Balthasar – le livre en question provient de la maison conventuelle des
Augustins, déjá évoquée. Le Speculum medicinae, paru en 1504 à Lyon,
22
24
25
23
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 571.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 441.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 555.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 208.
354
MONOK ISTVÁN
chez François Fradin, est l’oeuvre d’Arnaldus de Villanova. Il fait partie
d’un recueil factice dont l’autre composante est un incunable vénétien,
intitulé De conservatione sanitatis. Au début du receuil, on peut lire
une prescription médicale manuscrite, composée en langue hongroise et
provenant du début du 16e siècle.26 En 1577, Balthasar acheta un recueil très
intéressant à Jean Aubry. Il s’agit du débat entre Jacques Aubert, Joseph Du
Chesne (Quercetanus) et Jean-Antoine Fenot au sujet de l’utilité de certains
minéraux et métaux dans le traitement curatif des plaies et des maladies
les plus diverses. Les trois composantes du receuil factice virent le jour en
1575, soit à Lyon, soit à Bâle.27 Joseph Du Chesne fut un auteur très connu
en Hongrie : plusieurs de ses ouvrages subsistent dans nos collections,
par contre, les oeuvres de ses adversaires n’arrivèrent dans le bassin des
Carpates que très rarement. La thématique du receuil composé de textes
grecs, hébreux, arabes et romains, édité par le parisien Guillaume Guillard
en 1559 et envoyé à Balthasar en 1571 (De transfiguratione metallorum,
et occulta, summaque antiquorum philosophorum medicina)28 n’est pas
éloignée de celle du précédent.
Erhardt Widmar, libraire de Graz, envoya en 1585 à Németújvár le
recueil composé d’ouvrages pharmacologiques (traitant surtout de la question
du dosage des médicaments) parmi lesquels figurent des traités de médicins
arabes et italiens, ainsi que de Guillaume Rondelet et Pierre de Gorris. Cette
édition rarissime vit le jour chez Jean Mareschall, à Lyon, en 1584.29 C’est
également à Lyon, chez Barthélemy Honorat que parut en 1587 le livre de
Gabriel de Minut, intitulé De morbo Gallico : cet ouvrage (et cette édition)30
furent assez fréquents dans la Hongrie de l’époque en question.
Les ouvrages de Theophraste Paracelse, ainsi que les textes de ses
partisans et de ses adversaires furent extrêmement populaires à l’époque en
question. André Wechel leur a consacré plusieurs éditions dont plusieurs
se retrouvent dans la collection du grand-seigneur, accompagnées de celles
dont l’achat avait été conseillé à Balthasar par le libraire.31 Wechel et ses
gendres avaient peut-être des raisons autres que simplement mercantiles de
former le goût de Batthyány. Par exemple en 1588, Jean Aubry lui envoya
un livre de paléontologie exposant les fossiles retrouvés en France dans
26
28
29
30
1588.
31
27
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 332.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 48.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 12.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 91.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 148. Boldizsár l’acheta à Jean Aubry en
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 531, 589.
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
355
le deuxième tiers du 16e siècle (il s’agit notamment de l’ouvrage de Jean
Chassanion).32
De la présence des ouvrages relevant de la science de la vie – dont
la plupart peuvent être qualifiés de gallica d’un point de vue strictement
bibliothécaire – on ne peut point inférer un intérêt particulier de Batthyány
pour les éditions françaises. Dans les collections des grands-seigneurs – et
celle de Németújvár ne fait pas exception – les ouvrages consacrés à tels
sujets ne représentent qu’une partie infime. On peut supposer que Balthasar
faisait confiance entière à Wechel et à Aubry pour leur acquisition, or les
deux libraires lui proposaient sans doute des ouvrages français.
L’intérêt historique est quasi naturel chez un homme d’Etat actif
dans la vie publique de son pays. La plupart des livres conservés dans les
collections de la noblesse petite et moyenne hongroise33 et de l’aristocratie34
sont à sujet historique. On y retrouve les chroniques hongroises ainsi que
les histoires des Etats voisins et des Turcs. Les ouvrages relevant de la
philosophie de l’histoire et de la théorie politique sont plus rares dans
les inventaires du livre contemporains.35 Si l’on examine ces collections
d’un point de vue linguistique, on constate la dominance des livres latins
et allemands et la présence de quelques ouvrages italiens et hongrois.
Les ouvrages historiques écrits en français sont donc très rares dans les
collections nobiliaires du 16e siècle.
Parmi les nombreux livres consacrés à l’histoire européenne
contemporaine qui figurent dans la collection de Balthasar, plusieurs sont
écrits en langue française ou par d’auteurs français ou édités en territoires
32
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 144.
MONOK István, « A 16. századi köznemesség műveltségéről [Sur la culture de la
noblesse petite et moyenne au 16e siècle] ». In : Nádasdy Tamás (1498–1562). Tudományos
emlékülés : 1998. szeptember 10–11. Szerk. : SÖPTEI István. Sárvár : Nádasdy Ferenc
Múzeum, 1999. 105–115.
34
MONOK István, « A magyarországi főnemesség könyvgyűjtési szokásai a
XVI–XVII. században [Les collections de l’aristocratie hongroise au 16e–17e siècles] »
CaféBábel, 14(1994) Nr. 4. 59–68. ; Kék vér, fekete tinta. Arisztokrata könyvgyűjtemények
1500–1700 [Sang bleu – encre noir : collections de grand-seigneur]. Szerk. : MONOK
István. Budapest : OSZK, 2005.
35
Vö. KLANICZAY Tibor, « Korszerű politikai gondolkodás és nemzetközi látókör
Zrínyi műveiben [Actualité et horizon international dans l’oeuvre et la pensée politique de
Zrínyi] ». In : Irodalom és ideológia a 16–17. században. Szerk. : VARJAS Béla. Budapest :
Akadémiai Kiadó, 1987 (Memoria saeculorum Hungariae. 5.) 337–400. ; ÖTVÖS Péter,
« Pázmány Miklós gróf könyvei [Les livres du comte Miklós Pázmány] ». In : Klaniczayemlékkönyv. Tanulmányok Klaniczay Tibor emlékezetére. Szerk. : JANKOVICS József.
Budapest : Balassi Kiadó, 1994. 344–364.
33
356
MONOK ISTVÁN
francophones. Le grand-seigneur hongrois nourrissait un intérêt particulier
pour l’histoire des guerres de religion.
Le Milanais Gieronimo Benzoni publia son livre sur le nouveau
monde, sur les découvertes récentes et l’expédition française en Floride en
italien. L’ouvrage fut traduit en latin par Urbano Calveto. Balthasar acheta
l’édition génévoise (1578, Eustache Vignon) de cette traduction latine.36
En 1575 Elias Corvinus informa Batthyány que son libraire praguois
lui avait envoyé un ouvrage cosmographique français en deux tomes
qu’il allait immédiatement transférer à Németújvár. Les deux premiers
volumes renferment la traduction de Sebastian Münster et l’adaptation et
les suppléments préparés par François de Belleforest (édition de Michel
Sonnius à Paris), quant aux deux autres, il s’agit de La cosmographie
universelle d’André Thevet, édité à Paris par Pierre Huillier.37 Cette
acquisition atteste que Balthasar Batthyány lisait volontiers en français,
puisque ces deux ouvrages auraient été accessibles en langue latine
également. Dans les collections aristocratiques en Hongrie on trouve
assez fréquemment des ouvrages renfermant le portrait ainsi que la rapide
présentation biographique des personnages illustres contemporains. C’est
en 1585 qu’Erhardt Widmar envoya à Balthasar l’oeuvre de Tobias Fendt
(éditées avec les gravures de Jost Amman) intitulée Monumenta Illustrium
per Italiam, Galliam, Germaniam, Hispanias, totum denique Terrarum
Orbem eruditione praecipue, et doctrina Virorum, figuris artificiosissimis
expressa.38 Dans ce livre figurent plusieurs personnages français.
Réfléchir sur les moyens de chasser les Turcs de l’espace européen fut
une activité quotidienne pour Balthasar Batthyány. Ses charges publiques
l’y ont obligé, mais en tant que grand-seigneur, il était personnellement
intéressé par la libération des territoires appartenant à sa famille. Il est donc
normal que l’histoire de l’Empire Turc et des guerres menées contre lui
était un sujet récurrent dans ses lectures. Puisque c’est seulement à la fin
du 16e et au début du 17e siècle que les projets antiturcs de la couronne
française se multiplient et prennent une forme de nature à éveiller l’intérêt
des Hongrois, il n’est pas étonnant que notre grand-seigneur ait lu surtout
des publications allemandes et italiennes sur la question.39 On lui connaît
néanmoins deux livres français écrits sur la question : en 1573, il acheta
36
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 343.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 656, 657.
38
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 117. Frankfurt am Main, 1585, Sigmund
Feyerabend.
39
KLANICZAY Tibor fait une présentation rapide dans son étude cité dans la note
35, voir aussi l’article de ÖTVÖS Péter cité dans la note 35.
37
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
357
à Jean Aubry un livre récent, consacré à la présentation des guerres de
la Méditerrannée, écrit par Pietro Bizaro, traduit en français par François
de Belleforest et publié à Paris, par Nicolas Chesneau.40 Le même
Belleforest a traduit de l’italien l’ouvrage de Matteo Bandello exposant
en trois volumes des événements politiques contemporains (liés seulement
en partie aux Turcs (Anvers, 1567–1569, Jean Waesberghe). Ce livre fut
vendu à Balthasar par Jean Aubry, libraire que nous avons déjá plusieurs
fois évoqué.41
On peut donc affirmer que, en ce qui concerne l’histoire contemporaine,
la francophilie de Batthyány ne se manifeste qu’accessoirement : puisqu’il
lisait en français plus volontiers et plus facilement qu’en italien ou en
allemand, il s’est procuré les oeuvres de synthèse en français (à condition,
bien sûr, de trouver des traductions convenables). Par contre, la présence
de livres relevant du domaine de l’histoire française prouve que pour ce
grand-seigneur il ne s’agissait pas seulement d’un exercice dans une langue
qu’il maîtrisait bien, mais d’un véritable intérêt pour tout ce qui se passait
en France.
Batthyány lisait les grands classiques de l’histoire française – Philippe
de Commines, Jean Froissart et Claude de Seyssel – dans une excellente
édition (Andreas Wechelius, Francfort sur le Main, 1578) de la traduction
latine par Johannes Sleidanus. Il l’avait acheté à Erhardt Hiller, libraire
40
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 32.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 210.
41
358 MONOK ISTVÁN
viennois, au début des années 1580.42 La synthèse, très répandue au
16e siècle, de (Gallica, Francica) a subsisté dans l’édition anversoise
(1580) de Christophe Plantin, avec des notes manuscrites de Balthasar.
Le livre fut relié à Németújvár : il s’agissait sans doute d’une acquisition
récente, arrivée en feuilles.43
L’analyse contemporaine par Jean de Serres de la situation religieuse et
ecclésiastique en France (Commentariorum de statu religionis reipublicae
in regno Galliae) se retrouve en plusieurs éditions et au sein de quelques
receuils factices intéressants dans la collection de Németújvár. Le livre
étudie les événements qui s’étaient déroulés sous les règnes de Henri II,
François II et Charles IX. C’est en 1571 que Jean Aubry envoya la première
partie de l’ouvrage à Batthyány (Genève, 1570, Jean Crespin).44 La seconde
partie (Genève, 1571, Jean Crespin) n’arriva que beaucoup plus tard, en
1577.45 Or, l’ouvrage parut entretemps à Leiden (dans l’atelier de Johannes
Jucundus, 1571–75), en XII livres et quatre parties. Balthasar s’acheta tous
les tomes46, voire, il fit venir séparément la dernière partie, à laquelle il
fit relier trois textes polémiques de grand intérêt.47 Dans le premier, Henri
II. Estienne narre « l’histoire vraie » de Catherine de Médicis, tandis que
dans les deux autres un certain Matagonis de Matagonibus (pseudo-nom,
sans doute) réfute les accusations que deux jésuites italiens (Antonio
Matharelli et Papirio Massoni) portent contre les huguenots (pour les trois
textes : Genève, 1575, Eustache Vignon). On retrouve dans la collection
de Batthyány un autre ouvrage conçu dans un esprit violemment antijésuite : le texte, dont la paternité est aujourd’hui établie avec certitude, vit
le jour à Genève, dans l’atelier de François Perrin (1567). Le colophone :
« Luce Nouvelle, par Brifand Chassediables ».48 Derrière le pseudo-nom
(Frangidelphe Escorsche-Messes) de l’auteur de ce pamphlet intitulé
42
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 174.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 425. Pour la reliure, l’atelier de Johannes
Manlius se servit des codex médiévaux augustiens. Voir BORSA Gedeon, « Johannes
Manlius könyvkötői tevékenysége [JM relieur] » Az Országos Széchényi Könyvtár
Évkönyve 1970–1971. Budapest : OSZK, 1972, 301–321 ; le même article In : BORSA
Gedeon, Könyvtörténeti írások III. Az OSZK Évkönyveiben megjelent tanulmányok.
Budapest : OSZK, 2000, 99–113; SZENDREI Janka : A magyar középkor hangjegyes
forrásai [Les sources mélographiques du Moyen-Age hongrois]. Budapest : MTA
Zenetudományi Intézet, 1981. F 531
44
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 16.
45
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 68.
46
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 582, 583.
47
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 581.
48
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 636.
43
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
359
La Mappe-Monde Papistique, les catalogues allemands soupçonnent
Théodore de Bèze. Ceci est sans doute faux : en 1966, les érudits génévois
ont déjá identifié l’auteur véritable (Jean-Baptiste Trento).49 En 1998,
l’édition critique du texte a même vu le jour.50 Quant à la synthèse de
l’histoire française d’entre 1513 et 1568, préparée par les frères Du Bellay
(Martin et Guillaume), Balthasar l’a reçu en 1572 de Sigfried Rybisch,
conseiller à la chambre royale de Presbourg.51
La nouvelle du massacre de la Saint-Barthélémy est rapidement arrivée
à Németújvár : déjá en 1573, Jean Aubry envoya plusieurs imprimés (en
latin et en français) consacrés à ce sujet. Énumérons la correspondance
entre Guy Dufaur de Pibrac et Stanislaus Elvidius (Paris, 1573, Frédéric
Morel)52, le petit traité narrant les faits par François Hotman avec les
lettres explicatives du roi de France (s. l. 1573),53 la réponse de Wolfgang
Prisbach aux affirmations de la propagande française officielle (Heidelberg,
1573, Michel Schirat)54 et enfin l’anthologie éditée par Petrus Perna à
Bâle, dans laquelle les contemporains les plus illustres avaient protesté
contre les événements tragiques.55 Les deux dernières publication virent
le jour avec un fausse-adress. Le rôle que les jésuites avaient joué dans
les massacres de la Saint-Barthélémy fit l’objet de critiques très amères
à la fin du 16e siècle. L’epître que Paulus Albutius composa contre eux
fut imprimé par Gotthard Vilarmus à Paris, en 1573. Aubry envoya cette
même année l’épître en question à Balthasar.56 La rapidité avec laquelle
Balthasar Batthyány s’informa des événements français se manifeste aussi
dans le fait qu’en 1573 il avait déjá reçu d’Aubry l’édition latine de la
correspondance entre Pierre Carpentier et François Du Port57 (au sujet du
massacre des huguenots), sans attendre donc la traduction française sortie
des presses un an plus tard.58 Dans la suite, il s’efforcait d’être à jour quant
CHAIX, Paul, DUFOUR, Alain et MOECKLI, Gustave, Les livres imprimés à
Genève de 1550 à 1600. Genève : Droz, 1966 (réed. 1998) (Travaux d’Humanisme et
Renaissance) 65–67.
50
TRENTO, Jean-Baptiste, ESKRICH, Pierre, La Mappe-Monde Papistique (1566).
Edition critique par Frank LESTRINGANT et Alessandra PREDA. Genève : Droz, 1998
(Travaux d’Humanisme et Renaissance).
51
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 404.
52
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 18.
53
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 19.
54
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 21.
55
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 22.
56
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 55.
57
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 20.
58
Response de François Portus Candiot, aux lettres diffamatoires de Pierre
Carpentier,... pour l’innocence des fidèles serviteurs de Dieu... massacrez le 24 jour
49
360 MONOK ISTVÁN
aux événements récents et il faut également souligner qu’il nourrissait un
intérêt particulier à l’égard du Saint-Barthélémy. Au début des années 1580,
il acheta à Hiller la traduction allemande de l’ouvrage Nicole Gilles (cette
traduction fut préparée par Nicolas Falckner et elle parut à Bâle, en 1572).
On peut supposer que l’original français n’était plus disponible.59 Aubry lui
envoya l’ouvrage (le qualifierons-nous de texte théorique ?) de Jean Berger
consacré au contexte politique européen des guerres de religion en France
(Discours modernes et facecieux des faicts advenus en divers pays pendant
les guerres Civiles en France. Lyon, 1572, Pierre Michel).60
L’événement politique marquant de l’année 1573 fut sans doute
l’élection du roi de Pologne : il n’est donc point surprenant que Balthasar
avait plusieurs livres traitant de ces sujet. C’est par le transport de 1573
qu’Aubry envoya à Batthyány le discours – assorti des commentaires de
Jean Monluc – que Henri avait prononcé en français le 10 avril 1573 devant
les Etats polonais.61 Il disposait aussi d’un livre écrit par Innocent Gentillet
relatant tout ce qui s’est passé avec le roi Henri en l’année 1574.62
Malheureusement il ne subsiste aucune facture envoyée à Batthyány
provenant des années 1574–76, or, il est peu probable que le grand-seigneur
aurait tout simplement perdu son intérêt pour l’histoire française. Sur la
facture de 1577, établie par Jean Aubry, on trouve la trace de plusieurs
ouvrages historiques français. La plupart sont consacrées à la guerre de
religion et au règne éphémère de Henri III en Pologne (il s’agit des ouvrages
de François de l’Isle, François Rasle, Louis Regnier de la Planche, Louis
Villebois et de Jean Bodin).63 Balthasar disposait également d’un pamphlet
composé par Andreas Dudith (et publié sous le pseudo-nom Georgius
Ebouff) traitant de l’année 1576 de la guerre en France. Le livre a paru
avec fausse-adresse (Carthurii, 1577, Amadaeus Menalca).64
Dans la suite, le recul historique a permis aux auteurs d’écrire non
seulement de pamphlets politiques, mais aussi des analyses perspicaces
d’aoust 1572, appellez factieux par ce plaidereau, traduite nouvellement de latin en
françois. Sine loco, 1574, sine typographo.
59
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 211.
60
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 237.
61
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 31.
62
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 390. Genf, 1574, Jean Lertout.
63
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 35, 43, 44, 69.
64
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 69. Coll. 2. Strasbourg, 1577, Bernard
Jobin ? – VD 16 E 194; Vö. : COSTIL, Pierre, André Dudith humaniste hongrois
1533–1589. Paris : Les Belles Lettres, 1935. 435. ; András Dudith’s Library. A partial
reconstruction. Compiled and with an introduction by József JANKOVICS and István
MONOK. Szeged : Scriptum, 1993. p. 60. Nr. 92.
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
361
sur les événements récents. C’est à Paris, en 1584 que parut la synthèse
tres répandue (et toujours augmentée par son auteur) de Henri Lancelot
Voisin de Lapopelinière sur les événements d’après 1560. Le livre fut
vendu à Balthasar par Jean Aubry.65 L’anthologie historique en langue
latine de Théophile de Banos, intitulée De postremis motibus Galliae se
retrouvait en deux exemplaires dans la collection de Németújvár. L’un
de ses exemplaires fut sans doute un cadeau de Johannes Zebenitz, qui
pouvait être fier de la dédicace que le recteur de l’Académie de Strasbourg,
Melchior Junius lui avait adressée.66
Énumérons enfin deux livres rarissimes présents dans la collection
de Balthasar Batthyány. L’un est le Discours sur la mort de la Royne de
Nauarr.67 Ce recueil de poèmes vit le jour en 1572, à l’occasion de la mort
de la reine, survenue le 9 juin 1572. Le livre fut envoyé à Batthyány par
Aubry. L’autre, intitulé Figure du meurtre de L’Amiral68 est peut-être
identique au petit livre paru en 1570 à Francfort sur le Main, exposant
l’assassinat du capitaine B. Corbelly (qui n’est donc pas un amiral) et de son
serviteur. Le crime avait eu lieu en 1569, près de Sainct Martin d’Estraulx,
dans le Bourbonnais.69
On peut donc dire que la francophilie de Balthasar Batthyány se
manifeste surtout dans la composition de contenu et dans la composition
linguistique des ouvrages historiques présents dans sa bibliothèque.
Ce domaine est complété par la philosophie de l’histoire, ainsi que par
l’histoire du droit. On peut risquer l’affirmation générale que la noblesse
hongroise du 16e siècle ne lisait pratiquement pas d’ouvrages théoriques.
Balthasar Batthyány s’élève donc au-dessus de ses contemporains de ce
point de vue aussi. Dans le domaine de la philosophie de l’histoire, il lisait,
surtout en latin, des auteurs italiens et allemands. Par contre, ils disposait
de l’Histoire de Florence de Machiavel dans la traduction française d’Yves
Brinon (Paris, 1577, Jean Borel).70 Aubry lui envoya ce livre en 1588. Quant
au traité anti-machiavélien d’Innocent Gentillet (Discours sur les moyens
de bien gouuerner)71, il l’avait depuis 1577. Ce livre parut en 1576 (et aussi
en 1577) à Genève. Balthasar acheta également le livre fondamental de
65
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 235.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 339, 340. Frankfurt am Main, 1586,
Johann Wechel.
67
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 198.
68
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 201.
69
Le Meurtre du seigneur Corbinelly. Francfort, 1570, in 4.
70
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 141.
71
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 47.
66
362
MONOK ISTVÁN
Jean Bodin, intitulé Les six livres de la republique.72 Parmi les acquisitions
de 1588, on trouve un Discours de la Gloire, difficile à identifier avec
précision73.
Les débats du dernier tiers du 16e siècle au sujet des vertus requises
au Prince, du bon gouvernement, des droits et des obligations des sujets
a trouvé un grand écho en Hongrie également. Les ouvrages majeurs du
débat (ceux d’Antonio Guevara et de Juste Lipse) ont paru après la mort
de Balthasar et leur présence dans la bibliothèque de Németújvár n’est pas
documentée (sinon dans la bibliothèque privée de la famille).
D’entre les ouvrages relevant de la philosophie de l’histoire et traitant
de l’histoire romaine, Batthyány possédait celui de Jean Le Preux, intitulé
De magistratibus Reipublicae Romanae74 ; parmi les ouvrages théoriques
publiés en France notons la présence dans sa collection des écrits – relevant
de la philosophie morale et de la théorie du droit – de l’italien Francesco
Patrizi (De Institutione Reipublicae; De regno et regis institutione).75
Les ouvrages traitant cette problématique dans ses rapports politicothéologiques ne sont pas absents non plus dans la bibliothèque de Balthasar.
Il ne put se procurer l’ouvrage très débattu de Théodore de Bèze, De iure
Magistratuum in subditos ; et officio subditorum erga Magistratus, qu’en
traduction latine. Il fit relier ce texte avec l’ouvrage publié sous le nom
de Philippe de Mornay, avec des indications fausses concernant la date
et le lieu (Edinburgi, 1579), intitulé Vindiciae, contra Tyrannos : sive de
Principis in Populum, Populique in Principem, legitima potestate.76
Gargantua et Pantagruel se range indiscutablement parmi les oeuvres
de belles-lettres, mais Balthasar l’avait très certainement lu comme une
critique de la société française contemporaine. Une édition allemande
de l’oeuvre lui a été envoyée par Elias Corvinus en 1575, mais il s’est
également procuré, via Jean Aubry, une édition française, en 1577.77
Pour continuer avec la littérature française, ajoutons qu’il possédait
aussi, en allemand et en français, un roman Amadis. La version allemande
lui avait été envoyée par Elias Corvinus en 157278, tandis que l’édition
72
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 80.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 139.
74
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 476. Lausanne, 1578, Franciscus Le Preux.
75
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 533, 534. Parisiis, Egidius Gorbinus,
1575, 1576.
76
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 346. Lyon, 1576, Jean Mareschall.
77
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 65. Montluel, 1573, Charles Pesnot.
78
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 647. Francfurt am Main, 1570–1572,
Johann Schmidt.
73
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
363
française n’est arrivée à Németújvár que beaucoup plus tard, dans les années
80, grâce à l’intervention d’Erhard Hiller.79 Déjà le fait d’avoir lu Rabelais
et l’Amadis est assez intéressant, puisqu’on ne connaît personne d’autre
en Hongrie à cette époque qui l’ait fait. Si l’on y ajoute que, ne s’étant
pas contenté de la version allemande des deux textes, il s’est également
procuré les originaux français, ceci montre très clairement le caractère
francophile de sa pensée et de sa culture. Lire ces ouvrages (très liés à leurs
contextes linguistiques) en français lui donnait très certainement plus de
plaisir que la consultation des traductions allemandes. Notons que l’histoire
romanesque composé par Nicolas de Herberay sur le fils de l’empereur de
Constantinople, le Chevalier des Cignes ne se trouvait dans sa bibliothèque
qu’en version française.80
Le traité composé par Gabriel de Minut est un ouvrage à la fois
rhétorique, littéraire, mais surtout philosophique. L’auteur illustre du
texte intitulé De la Beauté, discours divers pris sur deux fort belles façons
de parler81 s’efforce de prouver, prenant son point de départ dans les
vertus d’une dame vivant aux environs de Toulouse, que la beauté et la
bonté naturelles sont des vertus pratiquement indissociables. Soulignons
d’ailleurs que la présence de la littérature philosophique française est très
faible dans la collection de Balthasar Batthyány : la philosophie est surtout
représentée par les ouvrages des auteurs antiques et par des textes relevant
de la philosophie morale ou de la philosophie de l’histoire. Son intérêt dans
ce dernier domaine dut l’amener à acheter chez Aubry (en 1588) l’ouvrage
de Nicolaus Contarenus, De Perfectione Rerum.82
Les ouvrages juridiques français s’attachaient avec des liens très étroits
au droit coutumier, par conséquent ils ne furent diffusés et lus à l’extérieur
de la France que lorsqu’ils posaient – à l’occasion de tel ou tel événement
scandaleux – des questions relevant de la philosophie morale. Batthyány
possédait tels livres dont l’acquisition n’était possible qu’á l’intermédiaire
de se excellents rapports avec l’atelier Wechel. C’est par cette voie qu’arriva
à Németújvár la description d’un litige matrimonial toulousain (par Jean
de Corras)83, ainsi que quatre autres ouvrages édités à Lyon (relevant de
la philosophie de droit : diverses interprétations des Digestes et procès
français ou napolitains).84
79
81
82
83
84
80
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 177. Antwerpen, 1561, Jan Waesberge.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 238. Paris, 1573, Jean Ruelle.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 147. Lyon, 1587, Barthélemy Honorat.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 150. Lugduni, 1587, Franciscus Feuraeus.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 386.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 610, 638 (recueil factice).
364
MONOK ISTVÁN
Les ouvrages théologiques de la collection de Németújvár étaient
de fraîche date : Batthyány les acquit presqu’immédiatement après
leurs publications. Un certain nombre des livres théologiques provient
de la maison des Augustiniens déjá évoquée, mais certainement pas la
majorité des livres. Notons la présence dans la bibliothèque de Batthyány
les éditions incunables des commentaires de Guilielmus Parisiensis au
Nouveau Testament85, ainsi que l’édition des Psaumes et du Cantique des
Cantiques sortie de l’atelier de Jean Cambray (Lyon, 1517). Cette édition
fut préparée par Jacques Perez et Josse Bade. On peut regarder la présence
de ces ouvrages comme l’illustration de l’intérêt humaniste de Balthasar,
puisqu’il s’agit des monuments marquants de la philologie biblique
humaniste du début du 16e siècle.86
Dans le portrait déjá évoqué que Péter Ötvös a peint de Balthasar
Batthyány87, l’historien hongrois se demande à quel moment le fils du grandseigneur luthérien connut les doctrines théologiques helvétiques. Quant à
moi, je suis convaincu que l’attention que Balthasar accorde à la pensée
génévoise ne se comprend que si l’on prend en compte sa francophilie.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de clore notre étude par
la présentation rapide des ouvrages liés à la pensée théologique suisse ou
huguenote. Précisons d’emblée que malgré sa connaissance très approfondie
de la langue française, Balthasar se procura les livres théologiques presque
toujours en latin (même dans les cas ou l’original avait été écrit en français).
Il ne possédait qu’un seul livre théologique suisse en français, et un autre
en allemand (il est vrai que parmi ses livre luthériens on trouve plusieurs
composés en allemand).
L’autre phénomène digne d’attention est la présence dans la collection
de Németújvár de 20 ouvrages différents composés par Théodore de Bèze
(un véritable auteur de prédilection de Batthyány), tandis qu’on n’y trouve
que deux petits ouvrages de Jean Calvin : l’édition allemande de son
opuscule sur la Cène88 et un autre volume de petite taille. Dans ce dernier
on trouve un traité sur l’immortalité de l’âme et des écrits polémiques
contre les anabaptistes et des pseudo-nicodémites, ainsi que les avis de
Martin Bucer et de Philipp Melanchthon sur les sujets en question.89
Ce volume fut envoyé à Batthyány par Elias Corvinus, en 1572. Parmi les
auteurs helvétiques, c’est Benedictus Aretius qui mérite notre attention,
85
87
88
89
86
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 433, 434.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 538.
Voir note 2.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 195.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 645.
Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française
365
parce qu’il figure avec 12 volumes dans la collection. Le grand-seigneur
a visiblement apprécié les ouvrages de Casparus Olivetanus également.
La plupart des ouvrages huguenots et helvétiques ont vu le jour soit à
Genève, soit à Lausanne, mais les éditions heidelbergoises, francfortoises
et anversoises ne sont pas absentes non plus.
Balthasar possédait au total 11 traités helvétiques sur la foi chrétienne
(de fidei christiana) et sur l’éthique chrétienne (de ethica christiana) : il
s’agit des ouvrages de Bèze, Benedictus Aretius, Lambertus Danaeus,
Pierre Boquin et enfin Jean-François Salvart.90 Il convient d’accorder
une attention particulière à l’ouvrage intitulé De religione christiana de
Petrus Ramus, dans l’édition francfortoise d’André Wechel. Ce volume
renferme aussi la biographie de Ramus par Theophilus Banosius. Wechel
y fit relier en supplément (c’est un receuil factice éditorial) l’Expositio
symboli apostolici de Casparus Olivetanus.91
La critique et le commentaire bibliques helvétiques sont représentés
par 16 volumes, dont 12 composés par Benedictus Aretius, 3 par Bèze et un
seul par Casparus Olivetanus.92 Quoique les éditions humanistes bâloises
et vénétiennes ainsi que les interprétations luthériennes se retrouvent en
plus grand nombre dans la collection de Németújvár, je suis convaincu
que les publications helvétiques exerçaient une très grande influence
sur la formation intellectuelle de Batthyány et aussi de son milieu (je
pense surtout aux professeurs de l’école protestante, par exemple à István
Beythe).
Nous avons trouvé 6 livres conçus dans un esprit helvétique concernant
l’église (de ecclesia) et l’alliance entre Dieu et les fidèles (de foedere)
parmi les livres de Balthasar. Il s’agit des ouvrages de Johannes Palmerius,
Philippe Du Plessis-Mornay, Urbanus Rhegius, Franciscus Duaraenus,
Andreas Gorrotius et enfin Caspar Olivetan.93 Les deux ouvrages étudiant
la Cène (de coena) sont celui de Petrus Martyr Vermigli en français94 et
un autre par Jean Calvin en allemand.95 Quant au problème des sacrements
(de sacramentis), Batthyány l’étudiait dans l’ouvrage archiconnu composé
par Théodore de Bèze96. Ce fut également Bèze dont Balthasar acheta les
traités sur les hérétiques (de haereticis) et sur le mariage (de matrimonio).97
90
92
93
94
95
96
97
91
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 51, 52, 60, 62, 197, 347, 348, 572.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 559.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 322–328, 347, 60, 110, 349, 525.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 258, 274, 276, 296, 405, 426.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 29.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 195.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 62.
MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 207, 217.
366
MONOK ISTVÁN
Après ce rapide parcours des ouvrages et des éditions de la collection
Batthyány qu’on peut qualifier de gallica, nous pouvons affirmer que
Balthasar Batthyány est bel et bien un homme de culture française. Non
que la plupart de ses livres soient écrits en langue française, mais parce
qu’il nourrissait un intérêt très particulier à l’égard de l’histoire française,
des guerres de religions et au sujet des persécutions religieuses. Grâce à
ses compétences linguistiques, il pouvait également aborder les belleslettres françaises. A part Venise, Bâle, Wittenberg, Francfort et Strasbourg,
Paris et Lyon et Genève sont les villes d’ou sortaient la plupart des éditions
figurant dans sa bibliothèque. André Wechel et son gendre, Jean Aubry
n’ont pas ménagé leurs efforts pour maintenir la francophilie du grandseigneur. Quoiqu’il en soit, on ne connaît aucune autre bibliothèque à tel
point « francisée » du 16e–17e siècle – la suivante sera celle de Pál Esterházy
et de François Rákóczi…
Choix de langue et stratégies éditoriales
au milieu du seizième siècle
Raphaële Mouren
Au seizième siècle, les imprimeurs-libraires mettent en place des
stratégies commerciales et éditoriales. Il serait hasardeux de ramener
l’ensemble de leur activité à des motifs commerciaux ou financiers ; nous
voyons pourtant que ceux-ci sont très présents. Le temps n’est plus, en
général, aux flamboyantes et ruineuses entreprises de la fin du XVe siècle,
même si de généreux donateurs continuent à soutenir les projets qui
demandent d’importants moyens financiers.
Au nombre des stratégies des imprimeurs, celle du choix des
langues utilisées demande à être étudié avec attention. Généralement,
les imprimeurs se spécialisent dans une ou plusieurs langues, avec des
exceptions qu’il convient d’étudier : le lecteur d’aujourd’hui peut parfois
être surpris de la présence de plusieurs langues vernaculaires dans certains
catalogues. Nous nous attacherons particulièrement aux parties du livre
où se fait le plus sentir l’intervention de l’imprimeur libraire : la page de
titre, les pièces liminaires. L’éditeur s’adapte-t-il à la langue du texte qu’il
imprime ou fait imprimer, par exemple à l’adresse bibliographique (nom
de la ville et nom de l’imprimeur-libraire) ? Dans quel cas l’imprimeur
modifie-t-il la langue de son nom ? Nous étudierons quelques cas, en
laissant de côté cependant les questions religieuses qui ont fait choisir le
vernaculaire aux dépens du latin.
Pietro Perna
Un des facteurs de l’utilisation de langues vernaculaires est bien
entendu la maîtrise de celles-ci. Nous pouvons en voir un premier exemple
en étudiant le cas de Pietro Perna. Cet imprimeur toscan, originaire de
368
Raphaële Mouren
la région de Lucques, part à Bâle pour des raisons religieuses et y ouvre
une imprimerie en 1549–15501. Il publie d’abord des livres en latin et en
italien, commençant par l’œuvre de Bernardino Ochino, ce qui ne pouvait
laisser aucun doute sur ses choix religieux2. Il publie son premier livre
en allemand dix ans plus tard, en 1560, la traduction des œuvres de son
compatriote Paolo Giovio :
XLV Buecher. Ein warhafftige beschreybung aller nammhafftigen
Geschichten, bey Peter Perna durch verlegng Heinrich Petri, 15603.
Désormais, il imprime, tout seul ou avec d’autres éditeurs (en particulier
Johannes Oporinus) dans les trois langues, italien, latin et allemand, ainsi
que des textes en grec ancien, toujours accompagnés d’une traduction
latine. Pietro Perna, devenu réformé, avait des liens avec la France. Il
a en particulier préparé l’édition des évangiles traduits en toscan par le
florentin Massimo Teofilo, sortie à Lyon en 1551. Cette édition contient
une « apologia » écrite par l’auteur mais aussi une préface « il libraro al
pio lettore », qu’il faudrait étudier pour voir si elle peut être attribuée à
Perna4.
1
Sur Pietro Perna voir Perini, Leandro, La vita e i tempi di Pietro Perna (Roma :
Ed. di storia e letteratura, 2002), qui a établi aussi le catalogue de ses éditions.
2
Les deux premiers ouvrages signalés par Leandro Perini sont en effet : Prediche
di Bernardino Ochino di Siena. Novellamente ristampate e con grande diligentia rivedute
et corrette, [Basilea : P. – Perna-M. Isingrinius, 1549c.], 8° (Perini 1). La seconda parte
delle prediche, di Mess. Bernardino Ochino Senese, accuratamente castigate. Con la sua
Tavola in fine [Basilea : P. Perna – M. Isingrinius, 1549c.], 8° (Perini 2).
3
Pauli Jouii xlv B#[ue]cher Ein warhafftige beschreybung aller nãmhafftigen
Geschichten so sich ... von dem tausent vierhundert vier vnd neüntzigesten Jar/ biß zů
diser zeyt ... zůgetragen ... Zů erst von dem Hochwürdigen Herrẽ Paulo Jouio ... in Latein
... zůsamen gebracht ... verteütschet vñ in Truck gefertiget/ durch Heinrych Pantaleon
der Natürlichen Philosophey in der ... hohen Schůl zů Basel Ordinarium (bey Peter Perna
durch verlegng Heinrich Petri, 1560), 3 vol., 2° (VD16 G 2074, Perini 42).
4
Il nuovo ed eterno testamento di Giesu Christo. Nuovamente da l’original fonte
greca, con ogni diligenza in Toscano tradotto (in Lione, 1551), 16° (Edit16 CNCE 5953).
Emilie Droz pensait que le Nouveau Testament avait été imprimé par Philibert Rollet ;
Edoardo Barbieri, dans son étude, conclut que l’imprimeur en est Jean Frellon. Un second
livre de Teofilo est imprimé la même année à Lyon, toujours sans nom d’imprimeur : Le
semenze e l’intelligenza del Nouvo Testamento, per Massimo Theofilo Fiorentino composte
e adunate… (in Lione, 1551), 16° (Edit16 CNCE 46334). Voir Perini, Leandro, op. cit.
p. 82-87, BARBIERI, Edoardo, Le bibbie italiane del Quattrocento e del Cinquecento :
storia e bibliografia ragionata delle edizioni in lingua italiana dal 1471 al 1600, vol. 1
(Milano : Editrice bibliografica, 1992), n. 60 et p. 327-329 ; DEL COL (A.), « Il Nuovo
Testamento tradotto da Massimo Teofilo e altre opere stampate a Lione nel 1551 », in
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle
369
Il imprime un livre en français, en 1565 : Les ruzes de Satan, A Basle,
De l’imprimerie de Pierre Perne, 4° (Perini n° 96).
La langue allemande est de plus en plus présente dans son catalogue
à partir de 1562, seul ou en collaboration : « bey Samuel Apirario, in
kosten und verlegung es Ehrsammen Peter Perna ». Toutefois, il semble
bien que de toutes les dédicaces et préfaces signées de Perna qui sont
imprimées dans ses livres, une seule soit en allemand, et qui plus est elle
est très tardive. Elle se trouve sur une traduction de Paracelse et est datée
du 1er septembre 1577 : … schreiben von der Frantzosen in IX buecher
verfasset : Inn Welchen… der Ursprung, Zeichen…5. C’est la seule dédicace
allemande signée de Perna qui soit signalée, sur un ensemble de cinquante
livres environ publiés en allemand (éditions et rééditions comprises). Les
autres livres qu’il publie dans cette langue portent la plupart du temps des
dédicaces signées de l’auteur6.
L’apparition des langues est liée à celle de nouveaux textes : un
imprimeur comme Perna commence sa carrière en imprimant en latin et en
italien. D’autres langues apparaissent ensuite dans son catalogue, l’une de
manière exceptionnelle, le français, l’autre certainement par choix et par
nécessité. Il faut relever aussi que l’apparence des livres de Perna connaît
une grande diversité, suivant la langue dans laquelle ils sont imprimés.
Cette diversité prolonge celle que l’on connaissait au temps du livre
manuscrit pour les écritures, et l’amplifie même sur la page de titre. Non
seulement son adresse bibliographique apparaît dans la même langue que
Critica storica, 15 (1978), p. 642-675. DROZ, Eugénie (éd.), Chemins de l’hérésie : textes
et documents, vol. 2 (Genève : Statkine, 1971), p. 241-243. Voir aussi la bibliographie
proposée par Trovato, Paolo, L’ordine dei tipografi : lettori, stampatori, correttori tra
Quattro e Cinquecento (Roma : Bulzoni, 1998), p. 153.
5
Theophrasti Paracelsi von Hohenheim des fürtrefflichsten Doctors der Medicin
schreiben von den Frantzosen in IX B#[ue]cher verfasset: Jnn welchen nicht allein der
Vrsprung Zeichen sampt anderer Artzten bisher begangne jrthummen erkant sondern
auch die rechte wahre Cur tractirt wirt. Jetzt erstmals von einem Liebhaber der Artzney
an tag geben. Theophrasti Paracelsi von Hohenheim des fürtrefflichsten Doctors der
Medicin schreiben von den Frantzosen in IX Buecher verfasset: Jnn welchen nicht allein
der Vrsprung Zeichen sampt anderer Artzten bisher begangne jrthummen erkant sondern
auch die rechte wahre Cur tractirt wirt. Jetzt erstmals von einem Liebhaber der Artzney
an tag geben (Getruckt zu Basel bey Peter Perna. 1577) (VD16 P 470, Perini 303) : épître
de Perna au lecteur datée de Bâle, 1er septembre 1577.
6
Signalons que l’épître de la Frantzösische Historii allerlaii Religion und
Wälthändlen, so sich under Konig Henrico II, Francisco II unnd Carolo IX… zugetragen,
de 1574, adressée « An den Christlihen und der Warheit liebeden Leser », est anonyme
(Perini n° 228).
370 Raphaële Mouren
le texte principal, mais le type de caractères utilisés, l’organisation de la
page de titre diffèrent selon la langue du livre.
Sébastien Gryphe
Les choix de Pietro Perna ne sont pas ceux de tous ses confrères.
On peut le constater en étudiant un autre exemple, celui de l’imprimeur
lyonnais Sébastien Gryphe. Gryphe, dont le nom d’origine était Greiff,
était né à Reutligen en Würtemberg en 1493. Il parlait donc certainement
allemand. On peut alors se demander s’il a choisi d’utiliser cette langue
dans sa production lyonnaise, qui s’étale de 1524 à sa mort en 1556. Par
ailleurs, il existe des liens commerciaux forts entre Lyon et Bâle, et les
imprimeurs lyonnais sont présents à la foire de Francfort : on peut donc
imaginer que le choix de l’allemand pourrait être une option commerciale
plausible, quoiqu’un peu risquée puisqu’il s’agirait de parier sur la vente
du tirage exclusivement à l’étranger. On comprend aussi qu’il faudrait des
auteurs, des correcteurs, des collaborateurs lisant l’allemand pour préparer
les livres. Il n’est donc pas étonnant que, malgré sa probable maîtrise de la
langue, Sébastien Gryphe n’ait rien publié en allemand. En 1524, Sébastien
Gryphe commence sa carrière en se spécialisant dans les livres de droit,
qui sont donc naturellement en latin ; il y ajoute plus tard une importate
production de textes antiques.
Il faut attendre dix ans pour voir apparaître dans sa production le
premier livre en langue vernaculaire : en 1533, il publie les Opere toscane
de Luigi Alamanni7. L’ouvrage est préparé par Jean de Tournes, qui n’est
pas encore libraire à son compte, et dédicacé par Alamanni à François Ier. Il
est intéressant de noter que la page de titre est écrite en deux langues : le titre
et la mention de privilège sont en italien, mais l’adresse bibliographique est
la même que sur les autres livres de Gryphe, en latin.
Opere toscane di Luigi Alamanni al christianissimo re Francesco
primo, Sebast. Gryphius excudebat Lugd. 1531.
La marque typographique utilisée ici par Gryphe est accompagnée de
deux devises, en deux langues, latin et italien. Il ne s’agit pas du gryphon
habituel, mais de la salamandre couronnée (symbole du roi François Ier
à qui l’ouvrage est dédié), surmontée de : « Nutrisco. Estinguo » ; au
dessous, avant l’adresse bibliographique : « sovr’ogni uso mortal m’è dato
albergo ». Cet ouvrage reste une exception dans le catalogue Gryphe :
Opere toscane di Luigi Alamanni al Chistianissimo [sic] re Francesco primo
(Sebast. Gryphius excudebat Lugd. 1533. Con privilegi).
7
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle
371
non pas seulement pour l’usage d’une marque typographique qui ne
représente pas le griffon caractéristique de cet imprimeur, mais aussi parce
que ce dernier, dans les années qui suivent, continue à imprimer de très
nombreux livres en latin. En 1539 apparaît le premier livre en français de
son répertoire :
Chant natal, contenant sept noelz, ung chant pastoural, et un chant
royal… Lugduni, apud Seb. Gryphium.
La page de titre est à nouveau bilingue, le titre français étant accompagné
d’une adresse bibliographique latine. L’ouvrage est enrichi d’une dédicace
de Barthelemy Aneau à ses disciples. La même année sortent deux autres
petits livres en français, de 63 et 52 pages, souvent reliés ensemble :
La police de l’aumosne de Lyon, Imprimé chez Seb. Gryphius, 1539
avec privilège pour deux ans.
De la cure, et nourrissement des pauvres sermon du benoist sainct
Gregoire Nazanzene, imprimé à Lyon, chez Sébastien Gryphe.
On constate une évolution de l’adresse bibliographique pendant l’année
1539 : pour la première fois Lyon se substitue à Lugduni, et la page de titre
n’est écrite qu’en une seule langue, celle du texte ; en revanche, la forme
sous laquelle apparaît le nom de l’imprimeur-libraire fluctue entre le latin
(Seb. Gryphius) et le français (Sébastien Gryphe). L’année suivante sort la
traduction française des psaumes de l’Arétin : pour la seconde fois, le titre
est entièrement en français.
Sept psaumes de la pénitence de David, par Pierre Aretin, traduit
de l’Italien en langue Francoise, d’un vrai zele, À Lyon chez Seb.
Gryphius, 1540.
La production de Sébastien Gryphe reste massivement en latin : en
effet, en 1540, il publie en tout soixante livres, tous en latin sauf un ! La
proportion reste sensiblement la même dans les années suivantes : un livre
en français en 1541, deux en 1542 (la traduction française de la Genèse
de l’Aretin et des Stratagèmes de Rabelais). Toutefois, il n’a toujours pas
fixé, à cette date, une adresse bibliographique spécifique pour les livres
en vernaculaire : en 1541 en effet, L’histoire de Leander et de Hero, mis
de latin en françois par Clement Marot, est publiée « Lugduni, apud Seb.
Gryphium ».
Il ne faut pourtant pas étudier seulement du point de vue statistique
les choix éditoriaux de Sébastien Gryphe. S’il n’édite que des livres latins
372
Raphaële Mouren
entre 1543 et 1549, il recommence à publier en langue vernaculaire en
1550 : non plus en français, ni même en italien – ce qui se comprendrait,
car, à Lyon, il est en contact avec la communauté italienne, et a déjà publié
dans cette langue – mais dans une nouvelle langue : l’espagnol. Il publie
cette année là en espagnol :
Exemplo de la paciencia de Job, en Leon, en la casa de Sebastian
Grypho (60 f.).
El psalterio de David traduzido en lengua castellana conforme à la
verdad hebraica, en Leon, en casa de Sebastian Grypho (178 f.).
Los proverbios de Salomon declarados en lengua castellana conforme
à la verdad hebraica, en Leon, en casa de Sebastian Grypho (99 f.).
Libro de Iesus hiio de Syrach, qu’est llamado, el Ecclesiastico,
traduzido de Griego en lengua Castellana, en Leon, en casa de
Sebastian Grypho, ano de MDL (109 f.).
Ces livres ont déjà été étudiés, il s’agit ici simplement de mettre en
lumière l’évolution des choix linguistiques de Sébastien Gryphe. Il apparaît
qu’il n’a pas de politique dans ce domaine, et s’adapte aux circonstances. Ces
quatre livres espagnols sont les derniers imprimés en langue vernaculaire
par Gryphe, qui meurt en septembre 1556.
A une production essentiellement latine, Gryphe ajoute donc quelques
publications en vernaculaire : français, italien, espagnol. Le choix de ces
langues s’explique par les liens de Lyon avec l’Italie et la France : il y a en
effet à Lyon une importante présence italienne pendant les années d’activité
de Gryphe, et par ailleurs, les imprimeurs-libraires lyonnais fournissent la
péninsule ibérique en livres. Certaines familles, comme les Portonariis et
les Giunti, sont installées dans les trois pays. Le choix de ces langues par
Gryphe n’est donc pas exotique, mais lié aux marchés auxquels il a accès.
Jean de Tournes
Un autre exemple particulièrement intéressant est celui de l’imprimeur
lyonnais Jean de Tournes. Il a déjà été bien étudié, y compris pour ce
qui concerne les langues utilisées dans ses éditions8, et son cas est plus
8
On s’appuie ici sur Jourde, Michel, « Jean de Tournes et les langues »,
présentation proposée le 18 décembre 2007 à l’École normale supérieure Lettres et
Sciences humaines dans le cadre du projet Les écrits de Jean de Tournes, à paraître.
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle
373
exceptionnel que représentatif. Après avoir travaillé dans l’atelier de
Sébastien Gryphe, où il a été chargé en particulier de préparer les Opere
toscane d’Alamanni, Jean de Tournes ouvre sa propre imprimerie. Mais,
à la différence de Gryphe, éditeur prioritairement de livres latins, Tournes
est plutôt considéré comme un spécialiste de l’édition de textes en langue
vernaculaire, en français essentiellement, en particulier la poésie, mais aussi
des récits de voyage, comme André Thevet qu’il édite en 15569. En réalité,
sa production est loin d’être uniquement en français. Quelques chiffres : en
1545, il édite dix-sept livres, tous en vernaculaire ; mais en 1550 sortent
douze livres en latin sur un ensemble de dix-neuf, y compris des traductions
du grec (le Platon traduit par Marcile Ficin), Cicéron, Lactance et des livres
de médecine. En 1555, sur trente-deux livres on trouve douze livres latins,
et en 1560, neuf des vingt-et-un livres publiés sont en latin.
Ce qui est exceptionnel dans ce cas, c’est que de Tournes publie dans
plusieurs langues modernes. Bien sûr, nous sommes à Lyon : on imagine
aisément qu’il publie en italien, tant la communauté italienne de Lyon
est active dans le domaine de l’impression. Publier en espagnol, on l’a
vu, n’est pas si original pour les imprimeurs lyonnais qui fournissent la
péninsule ibérique. Jean de Tournes en effet, outre le latin, le français et le
grec, imprime en italien et en espagnol. Son projet le plus extraordinaire,
du point de vue du choix des langues, de l’illustration, mais aussi de la
réflexion sur les publics et les marchés, est un véritable programme
d’édition, celui de l’édition des Quadrins historiques de la Bible. En effet,
ce livre est publié dans sept langues différentes, et l’entreprise dure près
de dix ans. Il s’agit tout d’abord d’une bible illustrée. Cette particularité
peut être une explication à la publication en plusieurs langues : les bois
gravés, en effet, coûtent très cher, et cela permet sans doute de mieux les
rentabiliser. Ce projet permet en outre à Jean de Tournes de se placer sur
le marché européen du livre, en concurrence directe, par exemple, avec les
allemands. Pour cela, il s’adjoint les services d’un des meilleurs graveurs
du moment, Bernard Salomon, qui est mis en concurrence avec Holbein.
Les versions française, espagnole, italienne et anglaise se présentent
comme suit :
Quadrins historiques de la Bible, À Lyon par Ian de Tournes, 1553.
Quadernos ystoricos de la Biblia, En Leon de Francia, en casa de
Juan de Tournes, 1553.
Cosmographie de Levant, par F. André Theuet d’Angoulesme, revue & augmentée
de plusieurs figures (À Lion : Par Ian de Tournes et Hvil. Gazeav, 1556).
9
374
Raphaële Mouren
Figure del nuovo testamento, illustrate da versi vulgari italiani, in
Lione per Gio. Di Tournes, 1559.
The True and lyvely historyke purtreatures of the vvoll Bible, At
Lyons, by Jean of Tournes, 155310.
Jean de Tournes n’a pas mené à bien un réel projet polyglotte, qui
consisterait à proposer plusieurs langues dans un seul livre. Mais les langues
sont présentes de plusieurs façons dans sa production. Non seulement,
comme beaucoup, il publie des livres bilingues, en particulier des textes
grecs accompagnés de leur traduction (Esope par exemple), mais il publie
aussi les emblèmes d’Alciat en latin puis en français. Plus original, Jean de
Tournes imprime les œuvres de Sebastiano Serlio en donnant un volume
en italien et un volume en français. L’étude précise des publications, et
surtout, leur étude globale, en évitant le piège de séparer, par exemple, les
livres français des livres italiens, met en valeur les influences, comme par
exemple dans le cas des œuvres de Pernette du Guillet, poèmes français
publiés la même année que Pétrarque, qui sont fortement marqués par
l’influence italienne11.
Quels sont les publics d’un livre illustré, proposé dans plusieurs
langues vernaculaires ?12 En premier lieu, certainement, les croyants
souhaitant se former, lire et connaître la bible de façon amusante ; ensuite,
les amateurs de livres illustrés, à qui l’on s’adresse en faisant appel à un
grand illustrateur. Un autre public est peut-être celui des amateurs d’art, et
surtout des artistes. En effet, Jean de Tournes fait appel aux meilleurs : il
travaille non seulement avec Bernard Salomon, mais aussi avec les frères
Guillaume et Claude Paradin, Charles Fontaine…
Chaque version des Quatrains de la Bible est précédée d’une préface,
dans la même langue que le texte, signée de Tournes. La question se pose
10
Pour la description des livres de Jean de Tournes voir CARTIER, Alfred,
Bibliographie des éditions des de Tournes, imprimeurs lyonnais, mise en ordre avec
introduction et des appendices par Marius Audin et une notice biographique par E. Vial,
2 vol. (Lyon : impr. Audin ; Paris : Éditions des Bibliothèques nationales, 1937).
11
voir Rajchenbach, Elise, « “Tu le pourras clerement icy veoir” : Les Rymes
de Pernette Du Guillet, publication vertueuse ou stratégie éditoriale », in Clément
Michèle, Incardona, Janine (eds.), L’émergence littéraire des femmes à Lyon à la
Renaissance, 1520–1560 (Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne,
2008), p. 123-164.
12
On s’appuie ici sur les recherches présentées par Agnès Rees et Elsa Kammerer
sur les publics de Jean de Tournes dans la journée d’études organisée par Michel Jourde,
Les écrits de Jean de Tournes imprimeur et libraire, Lyon, 1542–1564, Cerphi, ENS-LSh,
23 mai 2008.
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle
375
alors des langues que maîtrisait l’imprimeur-libraire. Peut-être a t’il appris
lui-même l’italien, après avoir travaillé pour éditer le livre d’Alamanni.
Mais peut-on penser qu’il a écrit lui-même les préfaces qu’il signe dans les
quatrains, non seulement en français et en italien, mais aussi en anglais et
en espagnol ? C’est peu probable, d’autant plus qu’il arrivait fréquemment
qu’une préface signée par l’imprimeur-libraire soit l’œuvre de quelqu’un
d’autre13. Dans chacun de ces livres, il traduit son nom dans la langue du
livre : il est Jean de Tournes en français, Giovan di Tournes et Giovanni
de Tornes en italien, Juan de Tournes en espagnol… Dès la page de titre
s’affiche clairement la langue utilisée dans l’ouvrage.
Livres italiens en France
L’étude de l’ensemble des livres imprimés en France en italien apporte
des informations complémentaires. Sébastien Gryphe, lorsqu’il édite Luigi
Alamanni en 1538, mélange l’italien et le latin sur sa page de titre. Mais
les autres éditions françaises en italien des œuvres d’Alamanni portent
généralement une adresse bibliographique italianisée : c’est le cas quatre
ans plus tard, en 1542, lorsque Robert Estienne réédite le livre à Paris
(colophon), ainsi qu’à Lyon, en 1548, en 1587…14
Il semble donc qu’en 1538 la pratique de l’usage d’une même langue
pour le titre et l’adresse n’est pas encore fixée, alors qu’elle l’est quelques
années plus tard. Mais sans doute pouvons-nous avancer, pour expliquer
l’évolution des titres de Gryphe, quelques explications : en 1540, Sébastien
Gryphe est en contact avec la communauté florentine de Lyon, en particulier
avec les Dei, qui servent d’intermédiaire entre lui-même et l’humaniste
Piero Vettori, ainsi qu’avec Lucantonio Ridolfi, commerçant mais aussi
poète15.
13
L’ouvrage collectif en cours de préparation sous la direction de Michel Jourde
étudie précisément cette question.
14
La coltiuatione (In Parigi : stampato da Ruberto Stephano, 1548) (EDIT16 n°
CNCE 604) ; Gl’epigrammi con alcuni epitafi del s. Luigi Alamanni et alcune compositioni
del s. Batista suo f. (In Parigi : appresso Marco Orry, 1587) (EDIT16 n° CNCE 610) ;
Gyrone il cortese di Luigi Alamanni (Stampato in Parigi : da Rinaldo Calderio & Claudio
suo figliuolo, 1548) (EDIT16 n° CNCE 605).
15
Voir Mouren, Raphaële, « Sébastien Gryphe et Piero Vettori : de la querelle
des Lettres familières aux agronomes latins », in Mouren, Raphaële (ed.), Quid novi ?
Sébastien Gryphe à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, actes du colloque des
23–25 novembre 2006 (Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2008), p. 287-339, 491498 ; Cooper, Richard, « Le cercle de Lucantonio Ridolfi », in Clément Michèle,
Incardona, Janine (eds.), L’émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance,
376
Raphaële Mouren
Toujours à Lyon, Guillaume Rouillé, entre 1540 et 1575, italianise son
adresse sur ses éditions d’André Alciat et de Dante ; Mathieu Bonhomme
fait de même, ainsi que Jean de Tournes, pour son édition de Dante de 1547
ou les Quadrins historiques de la bible16.
À Paris, dès 1535 Simon de Colines italianise son nom :
Rime toscane d’Amoro per madama Charlotta d’Hisca, Parigi : per
Simone Colineo, 1535.
Nous venons de voir que Robert Estienne fait de même en 1542 ; mais
en 1547, Gilles Corrozet, lui, imprimant la Deiphira, laisse son nom en
français :
La Deiphira, Paris : en la boutique de Gilles Corrozet, 1547.
Toutefois, pour approfondir ces recherches sur l’usage des langues
vernaculaires étrangères en France, il faudra étudier particulièrement,
je pense, la deuxième quart du seizième siècle. Peut-on observer une
évolution chronologique qui irait vers une utilisation de plus en plus large
de l’italien ? On voit qu’en 1585 Jérôme Marnef, publiant à Paris l’Arioste,
laisse son nom comme à l’habitude, en français, il est vrai dans une édition
bilingue latin-français : exactement comme on le fait depuis l’invention
de l’imprimerie pour les éditions bilingues de textes grecs17. Chevillot fait
de même pour un texte italien, presque en même temps et toujours à Paris,
en 158718. En 1588, la traduction italienne des psaumes porte : « À Paris
chez Iamet Mettayet imprimeur du roy »19. Voilà donc une autre période,
la fin des années 1580, où à nouveau, les pratiques semblent hésiter : nous
1520–1560 (Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008), p. 29-50
(spéc. p. 43-44).
16
Dante con nuove, et utili ispositioni, Aggiuntovi di più una tavola di tutti i
vocaboli più degni d’osservatione, che a i luoghi loro sono dichiarati (in Lione : appresso
Guglielmo Rouillio, 1552) (réédition 1575 avec une page de titre stricement identique). Il
Dante, con argomenti, & dechiaratione de molti luoghi, nouamente reuisto, & stampato
(in Lione : per Giovan di Tournes, 1547).
17
Comedie des Supposez de m. Louys Arioste, italien & francois. Pour l’vtilite
de ceux qui desirent scauoir la langue italienne (À Paris : pour Hierosme de Marnef,
& la vefue de Guillume Cauellat, demourant au mont sainct Hilaaire, 1585). Voir aussi
L’histoire d’Aurelio et Isabelle en italien et francoys : en laquelle est dispute qui baille
plus d’occasion d’aymer, l’homme a la femme, ou la femme a l’homme. Plus la Deiphire
de m. Leon Baptiste (À Lyon : par Guillaume Rouille, 1555).
18
[Asinari, Federico], La Gismonda, tragedia del signor Torquato Tasso
nuovamente composta et posta in luce (À Paris : chez P. Chevillot, 1587).
19
I Salmi di Dauid tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque parti.
Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : chez Iamet Mettayer imprimeur du roy, 1588.
Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle
377
voyons déjà la même alternance italien/français pour deux édition des
mêmes textes, les psaumes italianisés, en 1571 et 1573, alors qu’en 1583
une autre édition porte uniquement des indications en italien20.
Bien entendu, nous pourrions citer d’autres exemples, sans pouvoir
toujours en tirer des conclusions, soit parce qu’elles concernent une
autre période, soit parce qu’elles concernent un imprimeur ayant
plusieurs pratiques dans le domaine. Nous aurions aussi à relever des cas
intermédiaires, dans lesquels seul le nom de la ville, ou seul le nom de
l’imprimeur-libraire, est italianisé : nous en trouvons des cas même chez
des imprimeurs comme Guillaume Rouillé, qui imprime de très nombreux
livres en italien mais qui, de manière exceptionnelle, choisit d’indiquer son
adresse en français pour l’édition d’un livre italien. Quoiqu’il en soit, il
est manifeste que nous ne sommes certainement pas devant une pratique
homogène d’usage des langues vernaculaires sur les pages de titres par
les imprimeurs français du XVIe siècle. Cette enquête préliminaire montre
aussi que les usages n’évoluent pas d’une manière linéaire, que chaque
imprimeur peut choisir des solutions différentes, et que chacun d’entre
eux mène sa propre réflexion sur le sujet à plusieurs dizaines d’années
différentes.
I Salmi di Dauid, tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque
parti. Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : par Iean Charron, demeurant en la rue
des Carmes à l'image S. Iean, 1571 ; I Salmi di Dauid tradotti dalla lingua hebrea nella
italiana. Diuisi in cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : chez Pierre
l’Huilier, 1573 ; I Salmi di Dauid, tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in
cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, [Parigi] : per commandamento de la Reina
madre del Re, 1583.
20
Livres et propriétaires – un binôme symbolique –
ou sur le statut du donateur
IOAN MARIA OROS
Par sa valeur d’« héritage éternel » et par sa fonction latreutique (de
culte/d’adoration) dans la communauté, le livre se situe, au fond, par-dessus
des toutes évaluations économiques, ainsi que nous avons y confirmé
quand, sous malédiction, le prêtre Petru Diruţan de Românaşi, à propos
d’un exemplaire de Cazanii de Râmnic (1781), note : « être damné qui
sauront apprécier dans le prix de l’argent [...]. L’année 1804, le 4 mars » ;
étant placé de telle sorte sous l’incidence de ce tabou de l’explicitation
d’économie des échanges symboliques, c’est-à-dire de « l’économie de
l’offre », comme l’appelle le sociologue français Pierre Bourdieu: « le type
de transaction qui est établi entre l’Église et les chrétiens »1, où le don
(l’aumône/la charité) n’a pas de prix.
Á partir de ce postulat énoncé (consciemment ou non, reste à voir) par
le père Petru, en termes d’une rhétorique imprécatoire, sur la casuistique
des notes de main du vieux livre roumain de Pays de Silvania, nous voulons
développer ci-dessous quelques considérations sur le statut du donateur en
cadre de la relation livre – propriétaire, un binôme symbolique, finalement,
si on se réfère strictement à la donation de livres reflétées dans ces notes,
c’est-à-dire celle dont le donataire2 est l’Église.
Nous soulignons le fait que, dans les conditions de la globalisation
économique et de l’échec du système économique communiste, sur les
traces d’un Emile Durkheim, Marcel Mauss, Max Weber et d’autres, les
théoriciens redécouvrent l’économie du don, qui ils essayent de conscientiser
BOURDIEU, Pierre, Raţiuni practice. O teorie a acţiunii (Raisons pratiques. Sur
la théorie de l’action), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1999) : 131 sqq.
2
BERTHOUD, Gerald, L’univers du don. Reconnaissance d’autrui, estime de soi
et gratitude, http://www.contrepointphilosophique.ch/, 20.06.2008.
1
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
379
au niveau macro social, dans ce sens se profilant des nombreuses lignes
directrices/écoles sociologiques ou économiques, le plus célèbre étant le
groupement français autour de la publication interdisciplinaire Revue du
Mauss (M.A.U.S.S. – acronyme pour le Mouvement anti-utilitariste dans
les sciences sociales).
Et dans la littérature roumaine de spécialité, dans les dernières années,
ont imposé certains ouvrages qui abordent la théorie du don, en particulier,
dans la littérature ethnologique et anthropologique ; nous nous référons à des
travaux signés par Ofelia Văduva (Magia darului)3, mais surtout, l’ouvrage
du Barbu Ştefănescu, Sociabilitate rurală, violenţă şi ritual. Cartea în
practicile oblative de răscumpărare a păcii comunitare, Transilvania, sec.
XVII–XIX4, particulièrement précieux pour l’analyse, pour la première fois,
de la dimension cathartique du « don-livre » d’après les notes marginales5,
l’auteur utilisant pour cela certaines notes qui se trouvent sur le livre ancien
roumain de Pays de Silvania.
Dans le même ordre des idées, Doru Radosav traite la question de la
participation à l’acte de donation des livres sur les niveaux parentales6
et d’autres niveaux d’agrégation des individus dans une communauté,
détectables dans la rhétorique de nuncupation (ou testamentaire).
La casuistique des notes de main existantes sur le livre ancien roumain
de Pays de Silvania permet une autre approche du « don-livre », l’une plutôt
de perspective de la sociologie de Pierre Bourdieu7, conforme à qui dans
VĂDUVA, Ofelia, Magia darului (La magie du don), (Bucureşti : Editura
Enciclopedică, 1997) : 21-140.
4
ŞTEFĂNESCU, Barbu, Sociabilitate rurală, violenţă şi ritual. Cartea în
practicile oblative de răscumpărare a păcii comunitare, Transilvania, sec. XVII–XIX
(Sociabilité rurale, violence et rituel. Le livre dans les pratiques oblatives de rachat de la
paix communautaire, Transylvanie, XVIIe et XIXe siècles), (Oradea : Editura Universităţii
din Oradea, 2004) : 321-548.
5
Cf. ŞTEFĂNESCU, Barbu, Lumea rurală din vestul României între medieval şi
modern (Le monde rural d’ouest de la Roumanie entre médiéval et modern), 2-e édition
(Oradea : Editura Universităţii din Oradea, 2006) : 199-272.
6
RADOSAV, Doru, Carte şi societate în nord-vestul Transilvaniei (sec. XVII–XIX)
(Livre et société dans le nord-ouest de la Transylvanie, XVIIe et XIXe siècles), (Oradea :
Fundaţia Culturală « Cele Trei Crişuri », 1995) : 164-187.
7
BOURDIEU, Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement (Paris : Les
Éditions de Minuit, 1979) : 7-461 ; idem, Economia bunurilor simbolice (L’économie
des biens symboliques), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1986) : 31-153 ; idem, Meditaţii
pascaliene (Méditations pascaliennes), (Bucureşti : Editura Meridiane, 2001) : 144-279 ;
idem, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps (Paris : Les Éditions de
Minuit, 1989) : 7-81 ; idem, Raţiuni practice. O teorie a acţiunii (Raisons pratiques. Sur
3
380 IOAN MARIA OROS
l’économie des biens symboliques fonctionne ce tabou de l’explicitation,
mentionné précédemment et de l’épistémologie historique de Paul Ricœur8,
où le concept de don est appliqué à la question du pardon ; visions théoriques
que nous allons essayer de nous appuyer, ci-dessous, concernant à clarifier
le status et le rôle du donateur dans le rapport livre-société de point de vue
de la propriété.
L’investigation des notes manuscrites du don comme paratextes
olographes, autant au niveau rhétorique (la formularistique), que leur
dimension rituelle (symbolique), révèle que « la foire du livre » , comme la
séquence cérémonielle de la vie du livre, situé entre « la fête de l’écriture »
et la « fête de la lecture », implique l’existence de deux types de tracés du
livre : l’un économique (la part judiciaire) et un autre en plan symbolique
(la part rituelle), des tracés sur lesquels nous pouvons représenter par le
schéma suivant (Figure 1) :
la théorie de l’action), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1999) : 110-161 ; idem, Simţul
practic (Le sens pratique), (Iaşi : Editura Institutului European, 2001) : 37-233.
8
RICOEUR, Paul, Memoria, istoria, uitarea (La mémoire, l’histoire, l’oubli),
(Timişoara : Editura Amarcord, 2001) : 165-612.
381
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
La foire du livre
(Târgul cărţii)
I. L’échange économique
(Schimbul economic)
conclure du marché
(bătutul palmei)
L’acheteur /=
=/ donateur
le contrat d’acheté-vende (donation)
(dreptatea cărţii/zapisul)
offrir la tournée
(aldămaşul)
les argents
(banii)
II. L’échange symbolique
(Schimbul simbolic)
la bonne marchandage
(târguirea)
le contre-don
(contra-darul)
le don
(darul)
le livre
(cartea)
l’église
(biserica) l’absolution
(iertarea divină)
le donner
(dăruirea)
l’obituaire
(pomenirea)
l’investiture symbolique
(aşezarea simbolică)
la lecture liturgique
(lectura liturgică)
Figure 1. La phénoménologie de la « foire du livre ».
382
IOAN MARIA OROS
Il doit souligner le fait que la note de main est – par excellence – un
marquer de la propriété, étant l’expression écrite de cela, en particulier dans
le cas de ceux notes olographes que, dans une certaine forme, expresse ou
implicite, consigne la « foire du livre » .
[Ici, non intéresse pas les livres privés, ni l’ex-libris privé !]
Le statut du donateur en tant que propriétaire symbolique du
livre. Même si l’identité sociale du donneur de livre est le plus difficile
à surprendre, un possible portrait de lui, inclusif l’ensemble des relations
qui se coagulent autour du « marchandage du livre »9, nous pouvons
reconstruire en utilisant la mention suivante, écrite vers l’an 181710,
sur les files de l’exemplaire de Unimăt de la Bible de Blaj (1795), note
particulièrement riche de point de vue d’ornementation rhétorique, qui,
pour la démonstration, vers faciliter la poursuite de la démarche analytique
sur le texte, nous la reproduisons intégralement :
Ce livre, la Bible appelée, a acheté par le bon croyant et avec de la
permission de son épouse, qui portant le bon renom et chrétien orné
avec de bonnes faites, sur nome Chiş Alexa et sa femme, Péterfi Sofie,
qui sont des personnes stériles, mais bons chrétiens, honnêtes peureux
du Dieu et après mon exhortation, c’est-à-dire du prêtre Ioan Popdan,
ils ont pris pitié d’ouvrir le trésor de l’amour de leurs cœurs à prêter le
Dieu, comme disent les Ecritures, que celui qui fait l’aumône donne
de prêt au Dieu et que qui lira et écoutera les lecteurs se combleront de
l’amour de Dieu auditeurs, mais les calomniateurs et les parleurs mal de
ceux ci-dessus à envoyer don de Haute leurs et bienveillance, aussi de
qui que médisent de nous à parler de bon d’après l’ordre du Seigneur,
qu’ainsi Juda eut rudoyé à cette femme-là qui est allé au Christ de verser
le saint Chrême sur ses pieds, d’il a le dit au Christ pourquoi-t-il fit ce
dommage d’ont renversé le saint Chrême qui aurait été mieux s’il est
vendu et donné aux pauvres11. Que l’ayant-il l’amour d’argent, toujours
ainsi vers ce croyant pourrait dire pour qu’il dégoûte, pourtant il n’y a
pensé pas, mais il a été soumis avec le cœur et avec l’amour il a payé 70
florins celui qui ont amené le livre et pour que lui soit l’aumône infinie
et du pardon des péchés.
9
Voir supra Fig. 1 La phénoménologie de la « foire du livre » .
Ici, nous comptons sur le fait que, dans l’année 1817, un Evangile (Blaj, 1776),
propriété de l’église de Giorocuta, non loin de là, le même prêtre enregistrai les catastrophes
causées par la faim au cours de ces années.
11
Dans l’édition du Blaj (1795) de la Bible, qui fait l’objet d’un don, ici, cette
histoire il y a narrée, sous diverses formes, à tous les quatre évangélistes : Mathieu, chap.
26, 7-13 ; Marque, chap. 14, 3-9 ; Luc, chap. 7, 37-50 et Jean, chap. 12, 1-8.
10
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
383
Ce livre sacré, avant les honnêtes curateurs : Carabă Grigorie, Racolţă
Filimon, Supuran Irimie, Baran Gheorghe et Borhidi Simon, a été donné
dans le village, au soin de la sainte église de Unimăt, ainsi que l’aucun
âme de l’homme, ni lui-même le donateur n’avoir pas vers lui aucun
attouchement.12
Comme il ressort, même du début de la narration13 de la note de main il
est précisé, en plus d’accord au niveau conjugal (« avec de la permission de
son épouse ») concernant l’achat du livre, aussi bien le rapport du donateur
avec l’église, en insistant sur sa moralité (« bon croyant » , « chrétien
orné avec de bonnes faits ») que celui avec la communauté à laquelle il
appartient, c’est-à-dire provenant d’une famille honorable, avec bonne
réputation en lui (« portant le bon renom ») ; situation éclipsé, toutefois
par le fait que, ce couple, nommé Chiş Alexa et Péterfi Sofie, est sous
la malédiction du « ventre stérile » (Dan Horea Mazilu), c’est-à-dire, ces
gens « sont personnes stériles », qui, en perspective des mentalités de la
communauté, on leur limite la possibilité « d’accéder à l’accomplissement
des rôles sociaux »14 en raison du manque d’enfants non ayant obtenu le
statut de « couple adulte » nécessaire15. La qualité de « bons chrétiens,
honnêtes peureux du Dieu » compense seulement partiellement ce
handicap, mais il est invité à écouter sans condition l’exhortation du prêtre
Ioan Popdan, accompagnés de ses exemples bibliques très persuasifs afin
de convaincre les deux de faire don d’un livre à l’église de Unimăt, pour
doter avec celui le trésor symbolique de la communauté, mais aussi en
espérant que, par l’offrande apportée (« prêt au Dieu ») et en augmentant
continu leur dévouement (« que lui soit l’aumône infinie et du pardon des
péchés »), ceux-ci peuvent recevoir la bénédiction divine et même annuler
les effets de la malédiction laquelle il se trouve16.
BĂRNUŢIU, Elena, Carte românească veche în colecţii sătmărene (Ancien
livre roumain dans les collections du district Satu Mare), (Satu Mare : Editura Muzeului
Sătmărean, 1998) : 234.
13
Ici, avec la signification d’une partie de la formularistique des actes de la
chancellerie médiévale.
14
ŞTEFĂNESCU, Barbu, op. cit. : 437.
15
Ibidem.
16
Ibidem, p. 438. Le cas n’il y a pas singulier, enrégistré dans la littérature. Ainsi,
dans les notes olographes recueillies par le prêtre I. Bârlea, Sebastian Stanca nous fait
connu que : « Dascălul Nicolai din Ţara Muntenească scrie în Dragomireşti o Evanghelie
românească pe seama lui Popa Samuilă Gârbo, “sterp de copii” » (STANCA, Sebastian,
Colportajul vechilor cărţi bisericeşti/Le colportage des anciens livres religieux). Revista
Teologică, XXXII, 11-12 (1942) : 494.
12
384 IOAN MARIA OROS
De cette note de main, si fructueusement exploités de point de vu de
l’anthropologie historique par Barbu Ştefănescu, attire l’attention un autre
syntagme, à savoir : « celui qui a amené » le livre, le colporteur, anonyme
ici, qui, « le donateur » Chiş Alexa « ont été soumis avec le cœur et avec
l’amour il a payé 70 florins », une quantité assez importante (même en
temps de famine et de l’inflation étant !), mais payés avec désintérêt,
comme la montre, tels que la valeur du livre donné et du contre don attendu.
L’attribution elle-même de la qualité de « donateur » envoie sémantiquement
au fait que, dans le monde rural, jusqu’à tout récemment, l’institution du
don fonctionna avec tous ses prérogatives ; sur le « don-livre », en présence
de témoins de premier plan de la paroisse, étant informée la communauté
entière (« a été donné dans le village »).
J’ai essayé d’expliquer jusqu’ici, en quelque sorte, le statut social du
donateur, par la grille des repères moraux et sociaux utilisés par le prêtre
dans le recrutement celui de masse communautaire qui constitue une certaine
paroisse. Malgré le handicap du couple mentionné, le surnomme « jupân »
que le prêtre parle de la femme du donneur avec les mots « jupâneasa
domniei sale » indique explicitement une place élevée dans la hiérarchie
sociale sous rapport économique, avec un statut de personnes aisées dont
l’accumulation de bons ne se divise pas, le manque d’enfants doublement
le temps de travail dans la famille et, par conséquent, accroît des ressources
économiques, qui l’excédent serait utilisé pour l’échange, dans le but d’une
donation.
Une fois que, d’une posture d’acheteur, le propriétaire devient donateur
et le livre est investi rituel sous la sanction (l’interdiction), comme dans ce
cas : « ainsi qu’aucune âme de l’homme, ni lui-même le donateur n’avoir
pas vers lui aucun attouchement », dans le rapport livre – propriété fait
le passage du stade juridique au stade symbolique ; le donateur devient
seulement un propriétaire symbolique du livre, avec toute la communauté.
Y compris, en termes de l’acte de la lecture, le rapport livre – propriétaire
est l’un symbolique ; en général, dans ce livre lisent seulement les officiants
de la messe et les donateurs étrangers de la communauté respective sont
beaucoup moins physiquement liés du livre donnée.
Si le lien physique avec le livre est l’une spécifique de la propriété privée,
son manque suppose seulement un lien symbolique et l’investissement par
l’institution du don est l’une créatrice du capital symbolique.
Typologies sociales : possesseurs et donateurs des livres. Comme
je l’ai souligné ailleurs17, dans les conditions qu’une évidence nominale
Voir OROS, Ioan Maria, Dimensiuni ale culturii moderne în Ţara Silvaniei
17
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
385
des élites rurales (prêtres, enseignants et employés) non sera pas réalisée
qu’à partir des premiers schématismes d’église (grecque catholique)
après de 1820 à 1830 ou avec l’introduction de ces « protocoale de
visitaţiune » (protocoles de visite) dans les écoles de confession grecque
catholique d’après 187018, les notes de main, couchées sur les vieux livres
sont des sources irremplaçables pour la reconstruction de séquences
prosopographiques de l’histoire locale.
En comparaison avec les annexes présentées dans le document
mentionné ci-dessus (voir la note 18), qui, en général, comprenant la
note olographe entière ou des fragments significatifs de celles ; ici, pour
la construction de l’annexe relativement à l’objet19, nous avons opéré une
sélection par l’extraction de contexte des notes de main, rien que les noms
de personnes, accompagnées d’appositions (la profession, les dignités, le
surnomme ou le titre de noblesse, etc.). Ainsi, le tableau contient la structure
suivante : « Book ID » (c’est-à-dire, le numéro de série de la note de main
de laquelle proviennent l’extrait de la base de données), « les scripteurs »
(sous cette dénomination sont « découpés » les auteurs des notes de main),
« les donateurs » (ceux qui font l’aumône de ce livre à l’église), « les
témoins » (les noms des personnes impliquées dans « foire du livre », en
cette qualité de témoin), « les colporteurs » et « des identités sociales »,
après qu’ils suivent les dates d’identification du livre qui eut fait la note de
main (le titre, le lieu de l’impression, l’année, la provenance), la date de la
rédaction de la note de main et le numéro de ligne courant/position. Notez
que l’annexe contient seulement les notes de main de donation, datées
précisément (au moins l’année de la rédaction de la note de main).
Par sa structure même, dès le début est configurée une première
stratification sociale des agents participants « foire du livre », inscrits à
ce titre et dont le groupement nous avons spécifié ci-dessus. Parmi ces
catégories, ceux qui contiennent les scripteurs, les donateurs, les témoins et
(secolele XVII–XIX). Cărţi şi proprietari (Dimensions de la culture moderne en Pays de
Silvania, XVIIe et XIXe siècles. Livres et propriétaires), (Cluj-Napoca : Editura Mega,
Zalău : Editura Porolissum, 2010) : 103.
18
Voir, dans ce sens, OROS, Ioan, Un document şcolar de la 1874 – „Protocolul
de visitaţiune a Şcolii confesionale greco-catolice din Şeredeiu, jud. Sălaj“ (Un document
scolaire de 1874 – « Protocole de visite de l’École confessionnelle uniate de Şeredeiu,
le district Sălaj »). Acta Mvsei Porolissum, IX (1985) : 667-671 ; idem, Un document
şcolar de la 1874 – „Protocolul visitaţiunei Şcoalei confesionale greco-catolice de
Crasna“, judeţul Sălaj (Un document scolaire de 1874 – « Protocole de visite de l’École
confessionelle uniate de Crasna, le district Sălaj »). Acta Mvsei Porolissum, XII (1988) :
763-767.
19
Voir l’ annexe no 1.
386
IOAN MARIA OROS
colporteurs ont clairement défini le rôle joué dans le contexte de la « foire du
livre », alors que la catégorie appelée (peut-être improprement) « identités
sociales » ont intégré d’autres personnes mentionnées dans les notes des
autres contextes de la structure de notes de main, mais, en grande partie,
sans fonction ou un rôle directement (mais les titulaires ou les bénéficiaires
des livres).
Parmi les plus de 620 entrées, en comptant les personnes des cinq
catégories mentionnées les données préliminaires, nous avons obtenu les
suivantes dates préliminaires : scripteurs – 356, 191 donateurs (y compris le
donateur collectif), témoins – 57 (y compris le témoin collectif), colporteurs
ou libraires – 48 et soi-disant « identités sociales » – 125, au tout plus de 770
agents sociaux. C’est dans les circonstances où il existe en plus un tableau
de données retirées à partir des notes de main, non datées précisément20,
avec plus de 150 « cassettes » composées de personnes provenant des cinq
catégories sociales ci-dessus.
Cette sélection opérée sur le corpus des notes de main, écrites sur
l’ancien livre de Pays de Silvania, qui visent les « champs » mentionnés,
surprend un tableau de la stratigraphie socioculturelle qui comprend, enfin,
ceux qui avec « préoccupations dont le livre et la lecture ont une place
prédominante »21, plus une partie des donateurs de livres, qui est difficile à
apprécier le niveau de l’alphabétisation.
La création et le maintien des identités sociales en fonction du rapport
livre – société peut- être expliqué plus profondément en termes de sociologie
des pratiques culturelles22 et d’histoire culturelle de point de vue social23,
c’est, en définitive, de point de vue de la sociologie de Pierre Bourdieu
appliquée à l’information historique donnée de corpus des notes de main
écrites sur le vieux livre roumain de Pays de Silvania.
Comme la montre Philippe Coulangeon, l’auteur d’une Sociologie
des pratiques culturelles, selon la théorie de Pierre Bourdieu, qui exploite
la dimension symbolique des rapports sociaux, caractéristique pour les
sociétés modernes est le fait que, aux rituels de la vie sociale, à côté de
la propriété et de la consommation des biens matériels participent en plus
« les préférences esthétiques et pratiques culturelles »24.
20
Voir l’annexe no 37 à OROS, Ioan Maria, op. cit. : 458-467.
RADOSAV, Doru, op. cit. : 97.
22
COULANGEON, Philippe, Sociologie des pratiques culturelles (Paris : Éditions
La Découverte, 2005) : 3-11; 35-56.
23
« La lecture : une pratique culturelle. Débat entre Pierre Bourdieu et Roger
Chartier ». CHARTIER, Roger (sous la direction de), Pratiques de la lecture (Paris :
Éditions Rivages, 2003) : 277-306.
24
COULANGEON, Philippe, op. cit. : 5.
21
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
387
Comme le résume le même auteur, les pratiques culturelles constituent
« l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la
vie intellectuelle et artistique, qui engagent des dispositions esthétiques et
participent à la définition des styles de vie »25, comme est considéré la
lecture, la plus légitime de point de vue culturel.
Les pratiques culturelles sont considérées comme des « marqueurs
symboliques de l’identité sociale » – faite parfaitement observable même
dans le champ social historique reflètent des notes de main, dans les relations
sociales établies entre les individus par rapport avec la représentation au
niveau de la mentalité rurale de paysan en Pays de Silvania aux siècles
XVIIIe et XIXe.26
Comme remarque l’écrivain et l’essayiste espagnol Alberto Manguel :
« La seule possession d’un livre implique une situation sociale et une
certaine richesse intellectuelle »27. À partir de ce postulat, on comprend
comment, selon le niveau d’appropriation et de « consommation » des
biens symboliques (c’est-à-dire, le livre, par lecture), quelle que soit le type
de lecture, il crée les inégalités et hiérarchies sociales, des identités sociales
distinctes28, qui, comme nous l’avons noté tout d’abord, dans le contexte de
la géographie de la circulation de l’ ancien livre roumain dans le Pays de
Silvania et sa structure thématique, peut-être délimités leur horizon culturel
et leur objet de la lecture.
L’appréciation du livre. Les attitudes individuelles et collectives.
De l’importance des notes de main existantes sur l’ancien livre roumain
comme source documentaire pour l’histoire économique et sociale a été
écrit non pas une fois29, pertinentes à cet égard, étant inclusive l’essai
de les structurer selon ce critère de valeur, dans quelques corpus d’entre
Ibidem : 3-4.
Ici, l’analyse peut être approfondie dans le cadre de la création des tableaux
progressives des données des annexes de notre travaux (voir le note 21), mais qui, après
nous, pourrait faire l’objet d’autre œuvre.
27
MANGUEL, Alberto, Une histoire de la lecture (Montréal : Lernéac, 1998) :
253 ; apud ROBERT, Mario, Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670–
1764. Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 1 (2002) : 3-27.
28
Principe surpris admirable de dicton roumain : « Ai carte, ai parte » . Voir
également Ph. Coulangeon, Classes sociales, pratiques culturelles et styles de
vie : Le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète ?, en Sociologie et sociétés,
XXXVI, 1/2004, volume 36, numéro 1, Printemps 2004 [« Goûts, pratiques culturelles et
inégalités sociales : branchés et exclus »]. http://www.erudit.org/revue/socsoc/2004/v36/
n1, 20.04.2007.
29
ADAM CHIPER, Marieta, Valoarea vechilor însemnări româneşti ca izvor
pentru istoria economică şi socială (La valeur de vieilles notes de main roumaines en tant
que source pour l’histoire économique et social). Revista istorică, VI, 3-4 (1995) : 279-294.
25
26
388 IOAN MARIA OROS
eux imprimés chez nous30, en vue de faciliter leurs examen. Un segment
particulier de la recherche des notes de main de ce type, il est évidemment
ce consacré au prix et l’appréciation du livre, dans le contexte du rapport
livre-société, au niveau paroissial, à l’église et à la famille31.
De la casuistique même des notes de main, au niveau sémantique sont
détectés deux sens du terme « appréciation » : d’abord, ici avec un sens qui
s’inscrit dans une « axiologie symbolique », visant plutôt l’attitude morale
de respect au livre, parfois conduit jusqu’à fétiche et, d’autre part, nous
avons l’attitude « économique » concernant la valeur d’un objet, c’est le
livre, dans notre cas, exprimées en monnaie et, par conséquent, répercutées
dans un prix, selon l’endroit où il peut être apprécié et vendu/acheté comme
une marchandise (produit).
Recherche jusqu’à présent, mentionné ci-dessus, a montré que
l’analyse économique des prix d’achat/vente de vieux livres roumains, y
compris ceux de Pays de Silvania, analyse déroulée comparativement à
la situation de la période donnée autour de la Transylvanie et même dans
les autres provinces roumaines, concernant la circulation de l’argent et les
pratiques de paiement (argent, nourriture, animaux, cire, etc.) permet la
quantification plus précise des solidarités sociales et religieux, ainsi étant
possible une estimation plus appropriée de l’effort humain (personnel ou
collective) impliqués dans l’acte de donation en général32.
Par exemple, CORFUS, Ilie, Însemnări de demult (Notes des temps anciens),
(Iaşi : Junimea, 1975) : 112-114 ; BASARAB, Maria, Cuvinte mărturisitoare. Însemnări
de pe cărţi româneşti vechi din judeţul Hunedoara (Les mots qui témoignent. Des notes
qui se trouvent dans les vieux livres roumains gardés dans le département de Hunedoara),
(Deva : Editura Acta Mvsei Devensis, 2001) : 39-93.
31
POPTĂMAŞ, Dimitrie, Preţul de achiziţie al „Cărţii româneşti de învăţătură“ –
pe baza unor însemnări din secolul al XVIII-lea (Le prix d’acquisition de la « Livre
roumain d’enseignement » – conformément aux notes de main de XVIIIe siècle). Valori
bibliofile din patrimoniul cultural naţional, II (1983) : 363-368 ; MUREŞIANU, I.B.
Cartea veche bisericească din Banat (Timişoara : Editura Mitropoliei Banatului, 1985) :
64-68 ; DUDAŞ, Florian, Vechi cărţi româneşti călătoare (Anciens livres roumains
voyageurs), (Bucureşti : Editura Sport-Turism, 1987) : 39-68 ; TURC, Corina, Cartea şi
preţuirea ei. Atitudini individuale şi colective în Transilvania în secolul al XVII-lea (Le
livre et son appréciation. Attitudes individuelles et collectives dans la Transylvanie du
XVIIe siècle). Marisia, XXIII–XXIV (1994) : 203- 212 ; CHIABURU, Elena, Carte şi
tipar în Ţara Moldovei până la 1829 (Livre et imprimerie en Moldavie jusqu’en 1829),
(Iaşi : Editura Universităţii « Alexandru Ioan Cuza », 2005) : 88-110. Combien vaut un
livre vieux a écrit et Eugen PAVEL, dans son ouvrage Între filologie şi bibliologie (Entre
philologie et bibliologie), (Cluj-Napoca : Editura « Biblioteca Apostrof », 2007) : 65-83.
32
Voir, en particulier : DUDAŞ, Florian, op. cit. : 66-68 ; BASARAB, Maria,
op. cit. : 39-37.
30
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
389
Étant donné l’existence de la même circulation monétaire que le reste de
Transylvanie, en cas du Pays de Silvania, l’évolution des prix pour l’achat
de livres anciens33, enregistrés à travers l’intervalle 1648–1869, il n’existe
pas aucune différence significative, les différences étant dues uniquement
au hasard sur le marché, aux fluctuations monétaires et au colportage.
Pour cette raison, nous n’insisterons pas sur ces questions, mais nous nous
tournons notre attention sur les dimensions du problème moins traitées,
les aspects concernant la valeur éthique d’investissement de l’argent dans
l’acte de donation, pour cette utilisant la casuistique des notes de main sur
l’ancien livre roumain des terres de Sălaj.
Se référant aux caractéristiques économiques des biens culturels, Pierre
Bourdieu soutient que :
Dans une économie qui se défini comme refusant de reconnaître la vérité
« objective » des pratiques « économiques », c’est à dire la loi de « l’intérêt
pur » et « du calcul égoïste », le capital « économique » lui-même
ne peut agir que s’il parvient à se faire reconnaître au prix d’une
reconversion propre à rendre méconnaissable, le véritable principe de
son efficacité : le capital symbolique est ce capital dénié, reconnu comme
légitime, c’est à dire méconnu comme capital (la reconnaissance au sens
de gratitude suscitée par les bienfaits pouvant être un des fondements de
cette reconnaissance) qui constitue sans doute, avec le capital religieux,
la seule forme possible de l’accumulation lorsque le capital économique
n’est reconnu.34
À ce titre, dans une « économie des biens symboliques » , la « peine »
est au travail ce que le don est au commerce35.
La variété des expressions du texte des notes de main qui définissent
l’attribut « désintéressé » de la « peine » d’une économie d’offre (par
rapport à « travail » intéressé) est possible d’observer sur les livres en
circulation dans le Pays de Silvania, dans les exemples suivants : « am
dorit de la inimă, cu osârdie mare, de am dat dintru dreaptă averea mea
de am cumpărat această sfântă carte, pe nume Psaltire, drept 6 florinţi,
din Ţara Moldovei » [« J’ai désiré cordialement, avec grand ardeur, et j’ai
donné de ma bonne richesse d’ai acheté ce saint livre, appelé la Psautier,
comme paiement, 6 florins, du pays de la Moldavie »] (Psaltire slavonă,
sec. XVI–XVII, Câmpia SJ)36 ; « Şi o au luat-o în treisprezece florinţi şi
33
Voir l’annexe no 28 à OROS, Ioan Maria, op. cit. : 311-321.
BOURDIEU, Pierre, Simţul practic (Le sens pratique), (Iaşi : Editura Institutului
European, 2001) : 191.
35
Ibidem : 190.
36
Ms. 28 Bibliothèque de l’Academie Roumaine, Cluj-Napoca.
34
390 IOAN MARIA OROS
s-au dat munca lor ca să le ierte H<risto>s păcatele lor [...]. Iar cine şi-a
dat munca cea dreaptă, H<risto>s să le dăruiască odihnă sufletelor sale în
veci de veci, cu adevăr. Luna avgust, 23 zile, leat 1648 » [« et l’a pris avec
treize florins et ont donné leur travail pour que Hristos leurs pardonner les
péchés [...]. Et qui s’est donné leur travail le juste, Hristos leurs donner le
repos à ses âmes pour l’étérnité, avec la vérité. Le mois August, 23 jours,
l’année 1648 » ] (Varlaam, Carte românească de învăţătură, Iaşi, 1643,
Baica SJ)37 ; « [...] Evanghelie care am cumpărat pă sudo<a>re me, io Sava
Grigorie nemeş de la Rohia, să rămâie pă sama băsericii, unde oi muri io
[...]. Anno Domnului 1725 » [« l’Évangile qui j’ai acheté sur ma peine, je,
Sava Grigorie, nobliau de Rohia, afin de confier à l’église où je mourrai
[...]. Anno Domino1725 »] (Evanghelie, Bucureşti, 1723, Corund)38.
Comme il s’est avéré, à côté du dévoilement du caractère désintéressé
de « le bon travail » comme « peine » , une autre façon de communiquer
l’investissement moral dans le don est celle relative à la nature du paiement,
de façon juste d’obtenir l’équivalent en argent et de la valeur éthique de
la transaction effectuée : « pre bani buni şi drepţi » [« de l’argent bon
et juste prix »] (1782 – Cazanii, Râmnic, 1781, Chichişa)39; « cu plată
dreaptă preţ de 16 florinţi » [« avec le paiement bon, prix de 16 florins »]
(1808 – Evanghelie, Bucureşti, 1742, Lazuri SJ)40 ; « drept 18 florinţi pe
bani buni şi drepţi » [« juste 18 florins, sur l’argent bon et juste » (1782 ?) –
Euhologhion, Blaj, 1784, Bodia), (1782 ?) – Euhologhion, Blaj 1784,
Bodia)41, parce que l’achat est effectué « à la gloire de Dieu et le pardon
des péchés » (Evanghelie, Blaj 1817, Silvaş)42.
Parmi les 620 notes holographes écrites sur les vieux livres roumains
de Pays de Silvania, jusqu’à 1876, cca 40 % la majorité enregistrent, d’une
manière ou d’une autre, le prix d’achat (voir l’annexe 28). Le traitement
informatique des données des notes olographes entrées dans la base de
données permet de commander l’ordre des prix selon le type de livre,
période, l’officine d’impression ou la dernière localité de provenance ;
ainsi, d’après ce dernier paramètre on peut-être reconstruire et estimer la
capital symbolique d’une paroisse, le trésor du livre d’une communauté,
Bibliothèque Centrale Universitaire « E. Todoran» Timişoara, no d’inv. 107.
BĂRNUŢIU, Elena, op. cit. : 32.
39
CÂNDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (III) (Le livre ancien
roumain en département Sălaj, III). Acta Mvsei Porolissensis, VII (1983) : 560.
40
CÂNDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (IV) (Le livre ancien
roumain en département Sălaj, IV). Acta Mvsei Porolissensis, IX (1985) : 598.
41
CÂNDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (II) (Le livre ancien
roumain en département Sălaj, II). Acta Mvsei Porolissensis, VI (1982) : 386.
42
BĂRNUȚIU, Elena, op. cit. : 298.
37
38
Livres et propriétaires – un binôme symbolique...
391
qui, avec les autres ornements religieux (vêtements, objets de culte), forme
le dot rituelle de la communauté respective.
À cette fin, pour comparaison, à partir des informations fournies par
l’annexe. 11, concernant la dynamique de la croissance des collections des
bibliothèques paroissiales (1776 à 1876)43, nous avons sélectionné les deux
dernières localités, de Sudurău et Zalnoc, car ils fournissent des données
sur le trésor public des livres, tant la première visite canonique (juin 1776),
et de la fin de la période étudiée de nous, à la fois l’enregistrement, au fil
du temps, atteint un maximum de 15 livres dans le domaine de la lecture
liturgique.
Nous notons que, en plus de localités mentionnées, il y en a quelques
autres qui sont dotées avec des 10–12 principaux livres de service et de
culte44, mais, sauf l’une (Stremţ), nous avons précisé des prix plus de deux
à trois eux45.
Et c’est la preuve du fonctionnement de celle « vérité du prix »
présent dans l’économie des biens symboliques, qui parle le sociologue
français Pierre Bourdieu. D’autant plus, dans notre calcul on a dû s’appeler
comparativement aux prix de même livres achetés au même moment, en
particulier dans le nord-ouest la Transylvanie46.
En outre, si nous n’avons pas enregistré le prix réel de l’achat/vente
pour les livres des deux villes, et pour quelques-uns des livres n’a pas
suivi, sans aucuns frais, dans la fixation d’un environnement de prix, aussi
sincère que j’ai gardé de l’effet de colportage le plus petit et de la fréquence
maxime des prix « comparatifs » sélectionnés, le plus possible, dans les
zones les plus proches de Sudurău et Zalnoc.
Un autre obstacle à évaluer le niveau de précision à sa valeur comptable
de la trésorerie paroisse est la différence entre les prix de l’impression et
colportage ou de l’« église » – pour les appeler ainsi – dans leur évolution,
43
OROS, Ioan Maria, op. cit. : 198-203.
Voir OROS, Ioan, Protocoale şi contracte de lectură liturgică în Ţara Silvaniei
(sec. XVII–XIX) (Protocoles et contrats de la lecture liturgique dans le Pays de Silvania,
XVIIe et XIXe siècles). Caiete Silvane, 4, 51(2009) : 17.
45
Voir l’annexe No 28 à OROS, Ioan Maria, Dimensiuni ale culturii moderne în Ţara
Silvaniei (secolele XVII–XIX). Cărţi şi proprietari (Dimensions de la culture moderne en
Pays de Silvania, XVIIe et XIXe siècles. Livres et propriétaires), (Cluj-Napoca : Editura
Mega, Zalău: Editura Porolissum, 2010) : 320-331.
46
Voir l’annexe no 44a, à OROS, Ioan Maria, Idem : 468-470. La table a été
élaborée sur la base des travaux consacrés au mouvement de l’ancien livre roumaine de
la Transylvanie du Nord et de l’Ouest et du Banat, avec des prix trouvés pour des livres
dans les éditions semblables à celles possédés par l’une des deux paroisses prises comme
exemple.
44
392
IOAN MARIA OROS
car il semble que, après la casuistique des notes olographes, il y avait,
ultérieure, une revente de l’ouvrage et, du même façon, des années, des
lancers « formels » de vente, occasion de renouveler le contrat, mais
en même temps, et une source importante de « l’autofinancement » de
cette église, questions « matérialiste » d’un phénomène pratiquement
« économique » et qui, finalement, n’appartient pas à la dimension de
cérémonie de la « foire du livre ».
Ainsi, en tenant compte de tous ces conditionnements du calcul,
précisés ci-dessus, il en résulte que la valeur totale du trésor du livre de la
paroisse de Sudurău, par exemple, à partir d’environ 42 à 86 florins, qui se
trouve dans la visitation canonique de 1776, dans 1857, s’élève à quelque
part entre 145–220 florins. Si dans la conscription de 1760–1762, le village
Sudurău figure avec un prêtre orthodoxe, suivi de 60 familles orthodoxes,
une église orthodoxe et trois « domus parochiale », après le recensement de
1857, même localité avait déjà une population de 562 habitants, depuis de
la confession uniate 293, 226 réformés, 28 catholique romaine et juive 18.
Dans le prochain recensement de 1880, avaient une population de 549
habitants dont : par la confession, 261 grecs catholiques, 244 réformés et
18 catholiques et 26 juives ; par nationalité : 248 roumains, 285 hongrois et
16 avec « langue maternelle inconnue ». Selon le schématisme de Gherla
(1867), la paroisse grecque-catholique d’ici, avait l’église en pierre, maison
de paroisse de bois, pas une « maison » d’école, avec un « chantre d’église
et maître d’école » à 24 élèves. Le recensement de 1880 c’est qui indique
que, en tout, la population il y avait 220 alphabétisés.
Malheureusement, toutes ces sources ne fournissent pas l’information
économique et sociale partagée sur les confessions, pour pouvoir
approfondir l’analyse sur l’effort matériel communautaire en retroussant
son trésor de livre liturgique, comme l’effet de la relation livre – propriété
dans un régime symbolique.
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Paradoxes des langues. Des usages du français
au premier XIXe siècle roumain
RADU G. PĂUN
L’idée que la langue française a joué un rôle de premier ordre dans ce
qu’on appelle la « modernisation » de la culture et de la société roumaine
est devenue depuis longtemps un topos historiographique, dont le contenu
n’est plus jamais sérieusement questionné, tant il tient à l’évidence. Cela
n’a pas été toujours le cas, toutefois, et certainement pas pour tout le
monde. Ce n’est que notre regard d’aujourd’hui, forcément rétrospectif et
fort redevable aux conséquences des processus historiques du XIXe siècle,
qui le voit ainsi, car pour les acteurs mêmes de la « modernisation » les
choses apparaissaient parfois dans une autre lumière.
C’est bien le cas qui nous occupe ici et dont le retentissement a été bien
considérable à son époque, alors que peu de livres d’histoire se donnent
encore la peine de lui consacrer quelque attention que ce soit.
Par une lettre du 16 août 1847, le consul français à Iaşi, Duclos informait
son ministre Guizot :
Jusqu’à présent, dit-il, l’instruction publique était nulle dans ce pays. Il
y avait bien à Iassy un établissement semblable à nos collèges de France,
où l’on devait enseigner, en outre, les hautes sciences et qu’on décorait
du nom pompeux d’Académie. Mais il n’existait que la charpente de
l’édifice, c’est-à-dire des administrateurs, des professeurs, salariés à
grands frais. Point d’élèves, parce qu’on avait oublié la base, ou création
d’écoles préparatoires pour former des sujets capables de suivre les
cours de cet enseignement.1
Documente privitoare la istoria românilor. Vol. 18. Corespondenţă diplomatică
şi rapoarte consulare franceze (1847–1851) (Documents concernant l’histoire des
Roumains. Vol. 18. Correspondance diplomatique et rapports consulaires français, 1847–
1851). Documents recueillis par Eudoxiu de Hurmuzaki et publiés par Nerva Hodoş,
Bucarest, 1916 (cité désormais Hurmuzaki 18), p. 25.
1
Paradoxes des langues. Des usages du français...
397
Le prince Mihail Sturdza avait identifié le problème et réagi en
conséquence, mais,
le gouvernement n’étant pas en mesure de satisfaire avec ses propres
ressources à la reconstruction de l’édifice, a proposé à un français, chef
d’institution, de transformer son pensionnat en collège national, et lui en
a abandonné la direction, presque sans contrôle. La langue française est
l’instrument par lequel toutes les connaissances sont communiquées aux
élèves. De la marche ascendante des études naîtra la nécessité de créer
des facultés pour lesquelles on fera venir des professeurs de France.
C’est ainsi que la Moldavie se met, chaque jour davantage, sous l’action
intellectuelle et civilisatrice de notre nation.2
Le français en question s’appelait Malgouverné et avait été « chef
d’études au collège de Lunéville », quelqu’un de « très capable, le seul
capable ici de faire réussir le nouveau plan d’éducation ». Le choix du
prince, n’était pas fait au hasard : Malgouverné venait d’une institution que
Sturdza connaissait fort bien pour y avoir fait lui-même ses études, vu que
la petite ville lorraine était suffisamment loin de Paris pour qu’elle garde
une rigueur des mœurs à même de plaire à sa famille de magnats et surtout
à ses protecteurs russes. Le choix ne fut manifestement pas apprécié par
tout le monde en Moldavie et Duclos s’en fait témoin : « il (Malgouverné) a
contre lui tous ceux qui profitaient des anciens abus. Ils ne négligent aucun
moyen de le renverser. Pourra-t-il leur résister longtemps ? »3.
La question n’était pas rhétorique. Guizot l’apprit lui-même d’une
lettre que le nouveau consul Guéroult lui adressait, le 14 février 1848.
L’enseignement secondaire – écrit le consul – destiné ici, comme en
France, aux enfants des familles aisées, a subi en Moldavie l’épreuve de
plusieurs systèmes. On avait d’abord essayé de lui donner, pour base, la
langue nationale, mais l’imperfection de cet idiome et le défaut de livres
élémentaires (c’est nous qui soulignons) a bientôt fait sentir la nécessité
d’entrer dans une autre voie. Depuis 1846 (sic !), la langue française
est devenue la langue de l’enseignement ; des professeurs français ont
été appelés et on s’est efforcé d’organiser les études à peu près sur le
même pied qu’en France, sauf l’étude de l’allemand, qui occupe ici une
place considérable. Des résultats décisifs ont donné gain de cause à ce
système, mais bientôt des difficultés d’un autre genre se sont fait sentir.
Il s’est manifesté parmi les professeurs de l’établissement une certaine
Ibidem, p. 26.
Ibidem.
2
3
398
RADU G. PĂUN
divergence de vues et d’opinions sur la direction à donner aux études,
sans que le gouvernement pût s’entourer de lumières suffisantes pour
<se> prononcer entre eux en connaissance de cause.4
C’est chez le consul de France que le gouvernement à cherché ces
lumières, une bonne occasion pour Guéroult d’assurer le pouvoir moldave
de sa complète disponibilité, car, écrit-il ensuite :
ce qu’il avait de mieux à faire état de venir de Paris une personne d’une
expérience et d’une aptitude prouvée par une suffisante pratique de
l’enseignement, qui pût prendre en main la direction de l’Académie
moldave ; absorber, par une compétence et des titres notoires, les rivalités
qui ont pu se produire, prêter au gouvernement du Prince le secours de
ses lumières, se mettre en qualité de recteur ou de proviseur, à la tête de
l’établissement et l’organiser sur des bases fortes et sérieuses.5
L’affaire n’était pas simple, car il fallait obtenir l’accord de la Russie,
puissance protectrice des Principautés. Au grand – et naïf – étonnement de
Guéroult, qui fit d’ailleurs l’intermédiaire, le consul de Russie, « loin d’y
apporter obstacle, proposa d’écrire à ce sujet au chargé d’affaires de S<a>
M<ajesté> l’Empereur à Paris ». Ce qui fut tout de suite fait, en sorte que
la légation russe de Paris se chargea d’engager « au nom du gouvernement
moldave » (Nota bene !) un fonctionnaire de l’Université de France. Le
prince, quant à lui, sollicita le consul pour qu’il intervienne auprès de
Guizot « pour faciliter les recherches du chargé d’affaires de Russie et
pour lui désigner, au besoin, la personne qui lui paraîtrait offrir la réunion
de qualités désirables pour un succès d’une mission aussi honorable que
délicate ». Les avantages en étaient sur mesure, et le consul lui-même en
fut séduit :
Pour moi, Monsieur le Ministre, en concourant au développement
d’une pensée bienfaisante, en rattachant directement à l’action de la
France le progrès de la civilisation toute française qui se développe ici
spontanément, en promettant à cette œuvre utile le bienveillant appui du
gouvernement du Roi, j’ai cru entrer dans ses intentions et j’ose espérer
que Votre Excellence ne me désavouera pas.6
Ibidem, p. 48.
Hurmuzaki 18, pp. 48-49.
6
L’offre n’était pas à négliger, car le prince s’engageait de faire à la personne « une
position tout à fait honorable » qui comptait, parmi d’autres avantages, « un traitement de
dix mille francs, avec une pension de retraite », en lui accordant, bien sûr, « la haute main
sur toutes les questions relatives à l’enseignement et la faculté de traiter directement avec
4
5
Paradoxes des langues. Des usages du français...
399
Presque en même temps, le prince de Valachie, Gheorghe Bibescu,
possédant lui-même un doctorat en droit à Paris, avait institué « à
Bucarest un Lycée, dont l’organisation et le plan d’études sont calqués,
aussi exactement que possible, sur le modèle de nos collèges Royaux »,
comme l’écrivait le consul de Nion à Guizot, le 9 octobre 1847. Là aussi, le
succès de l’entreprise dépendait – et largement – du choix des personnes,
et le prince s’était consacré depuis des mois à chercher en France « un
personnage universitaire qui possédât et qui voulut consacrer à la direction
du nouveau lycée valaque, les talents et l’aptitude spéciale qu’exige une
semblable mission »7. La première cible en fut Perrot, professeur d’histoire
au Collège Louis le Grand, tandis que deux autres, Varaigues et Huvard,
devaient venir du Collège Rollin.8 Le prince demandait à cette fin le
support de Guizot et du Ministère français de l’Instruction, tout en sachant
que la plupart des intéressés potentiels étaient bloqués par « la crainte de
perdre, en acceptant ces offres, la position et les droits qu’ils ont acquis
dans l’Université de France »9.
L’affaire des collèges français se déroulait dans un contexte fort tendu.
Le 1er mars 1847, Panayotis Codrika informait Guizot : « Plusieurs journaux
ont annoncé que le gouvernement moldave a proposé à l’Assemblée
générale une loi qui déclare déchu de ses droits civils et politiques tout sujet
moldave qui fera son éducation en France ». Pourtant, « aucune proposition
de ce genre n’a encore été portée à l’Assemblée », alors que celle-ci était en
train de délibérer sur l’organisation d’un
système d’instruction publique dont quelques dispositions, notamment
l’ouverture des cours d’un degré supérieur, pour lesquels on ferait venir
des professeurs de l’étranger, jointes à l’offre faite par le gouvernement
russe, de plusieurs places gratuites dans l’école de cadets en faveur des
jeunes moldaves, sont regardées comme le commencement d’exécution
d’un plan, ayant réellement pour but de détourner les familles aisées
d’envoyer leurs enfants compléter leur éducation dans nos écoles.10
Ce bruit répondait à une réalité bien précise, vu qu’en janvier 1847
la Russie avait effectivement proposé « que les jeunes gens natifs des
Principautés soient admis à suivre les cours de droit professés à la faculté
lui-même de toutes les affaires du service », Ibidem, p. 49.
7
Ibidem, p. 35.
8
Vasile A. URECHIA, Istoria şcoalelor de la 1800–1864 (Histoire des écoles de
1800 à 1864), II, Bucarest, 1893, pp. 332-333 ; Nicolae IORGA, Istoria învăţământului
românesc (Histoire de l’enseignement en Roumanie), Bucarest, 1928, p. 267-268.
9
Hurmuzaki 18, p. 35.
10
Ibidem, p. 5.
400 RADU G. PĂUN
Impériale de St. Pétersbourg », « pourvu qu’ils soient nobles, porteurs de
certificats de bonne conduite » et « en état d’acquitter les frais d’étude,
qui seront entièrement à leur charge »11. La réaction à Iaşi a été plutôt
modérée, assurait le consul, le gouvernement se bornant « à insérer cette
notification dans le journal officiel, en y joignant quelques expressions de
reconnaissance pour le nouveau bienfait de la Cour protectrice ». Mais le
prince Sturdza a su pourtant saisir l’occasion
pour inviter le Conseil de l’Instruction publique à désigner les pays où
conviendrait le mieux d’envoyer les jeunes gens élevés aux frais de
l’État. Le prince Sturdza avait indiqué d’avance l’Autriche, la Prusse
et la Russie et son choix a été sanctionné, non toutefois sans quelque
hésitations.12
Dans ces conditions, le consul croyait comprendre « le but réel de ces
mesures », à savoir une « manifestation indirecte mais significative » de la
part de la Russie
du déplaisir avec lequel cette puissance envisage le penchant qui entraîne
la jeunesse Moldo-Valaque vers la langue, la littérature et les idées
françaises. C’est un avertissement comminatoire, ajoute-t-il, pour les
familles qui osent encore, après tant d’insinuations officieuses, confier à
notre Université l’éducation de leurs enfants. C’est le présage de l’essai
d’une interdiction plus formelle, qui s’exercerait en fermant l’accès
des emplois publics aux fils des boyards élevés dans nos écoles, sous
prétexte qu’ils ne peuvent en rapporter que des tendances contraires au
maintien de l’ordre dans les Principautés.13
Des mesures s’imposaient, et vite, pour « contrebalancer des efforts
évidemment destinés à détruire un des rares moyens d’influence que nous
possédions dans ces contrées ».14
L’affaire était pourtant bien délicate et tout « retentissement » devait
être soigneusement évité. Et il a été évité complètement, comme le prouve
la suite donnée par le gouvernement du Roi à l’affaire de la Société des
étudiants roumains à Paris, dans laquelle les autorités françaises ont
répondu favorablement aux demandes que les deux princes leur avaient
11
Événement communiqué à Guizot par le consul de Nion, le 25 janvier 1847,
Ibidem, pp. 3-4.
12
Ibidem, p. 4.
13
Ibidem.
14
« Quelques marques de protection et d’intérêt accordées aux jeunes MoldoValaques qui fréquentent nos collèges et nos facultés seraient pour eux et surtout pour
leurs familles un encouragement utile, sinon nécessaire », croyait le consul, Ibidem, p. 4.
Paradoxes des langues. Des usages du français...
401
adressées à travers les consuls respectifs, et, malgré les efforts de Lamartine,
la Société n’a jamais obtenu un certificat officiel de fonctionnement.15 On
craignait, bien sûr, des buts politiques cachés derrière et surtout l’effet
qu’ils auraient pu avoir, non pas à Paris, « où l’action d’un Gouvernement
vigilant et fort suffira pour réprimer tout écart dangereux », mais dans les
deux Principautés, ce qui aurait servi à la Russie le prétexte d’interdire
formellement aux étudiants roumains d’aller à Paris, de mettre hors la loi
toute manifestation et association culturelle, et, en général, d’intensifier la
pression qu’elle exerçait sur le gouvernement, en ajoutant « un anneau de
plus à une chaîne déjà si lourde »16.
L’affaire des boursiers avait toujours posé problème, surtout dans le
contexte des années 1830–1840, marquées par un engouement visible de la
jeunesse roumaine pour la France et un afflux important d’étudiants désireux
d’étudier à Paris, où, comme le remarquait le gouvernement valaque, il y
a avait les meilleures écoles et les meilleurs professeurs, des bibliothèques
15
Sur l’histoire de cette société, voir surtout Vasile MACIU, « Un centre
révolutionnaire : la Société des étudiants roumains de Paris (1845–1848) », dans son
recueil, Mouvements nationaux et sociaux roumains au XIXe siècle, Bucarest, 1971, p. 4170 (Ière publication dans Nouvelles Études d’Histoire, III, 1965) ; Cornelia BODEA, Lupta
românilor pentru unitate naţională 1834–1849 (Le combat des Roumains pour l’unité
nationale, 1834–1849), Bucarest, 1967, p. 78-94. 16
Le consul de Nion reproduit ici les mots du prince Gheorghe Bibescu lui-même :
« Qu’arrivera-t-il alors ? Une mesure préméditée de longue main dans les conseils de la
Russie, l’injonction formelle d’interdire à la jeunesse Moldo-Valaque la fréquentation
des écoles françaises, pèsera sur notre faiblesse de tout son poids d’une expérience déjà
consommée. La résistance – ajoute le prince – nous deviendra de plus en plus difficile,
sinon impossible, et les travaux de l’association, ainsi que les sacrifices des associés de
bonne foi aboutiront en fin de compte à un résultat diamétralement contraire au but qu’ils
se proposent aujourd’hui », lettre à Guizot, le 16 septembre 1847, Hurmuzaki 18, pp.
31-32. Le prince craignait – et à juste titre – que des « clubs politiques » puissent voir
le jour à Bucarest et provoquer des désordres ou même des conspirations comme il était
déjà advenu auparavant, cf. Dan BERINDEI, « Préludes de la révolution roumaine de
1848. Les sociétés sécrètes », Revue Roumaine d’Histoire, XVII, 4, 1978, pp. 427-445 ;
IDEM, « Revoluţionarii de la 1848 şi mişcarea democratică şi socialistă din Europa » (Les
révolutionnaires de 1848 et le mouvement démocratique et socialiste européen), Revista de
Istorie, 28, 9, 1975, pp. 1387-1399 ; BODEA, Lupta românilor, passim. Le tout puissant
ministre du tzar, Nesselrode, avait d’ailleurs averti Bibescu le lendemain de son élection
de surveiller « les tendances libérales et subversives de cette jeunesse Valaque élevée dans
les Pays étrangers », rapport de Billecocq à Guizot, le 25 février 1843, Hurmuzaki 18, p.
937. Ce fut précisément dans le même sens que le prince présentait les choses à Kisseleff,
en août 1847, cf. Prince G. Bibesco, Roumanie 1829–1859. Le règne de Georges Bibesco,
I, Paris, 1893, pp. 310-314.
402 RADU G. PĂUN
et des musées de renommée qui donnaient le ton partout en Europe.17 En
revanche, la capitale de la France était aussi riche en tentations qui menaçaient
le caractère des jeunes laissés s’y débrouiller « sans guide ni boussole ».
Les pères fondateurs de l’enseignement national avaient exprimée, euxaussi, cette crainte, en saisissant la concurrence que les hautes écoles de
France faisaient à l’enseignement autochtone à peine naissant, d’un côté,
et l’attitude que les jeunes juste rentrés de Paris manifestaient à l’égard de
la génération de leurs parents18. Ils avertissaient donc les jeunes de se tenir
à l’écart de la contagion avec les idées qui « dès nos jours menacent les
âmes et le système politique »19. Le prince Mihail Sturdza en avait donné
son propre exemple, en envoyant ses fils, accompagné du sobre précepteur
Lincourt et du jeune Mihail Kogălniceanu, à Lunéville, chez son ancien
maître, l’abbé Lhommé, et ensuite, craignant l’« anarchie » qui, selon lui et
surtout selon ses protecteurs russes, menaçait la France, à Berlin. Pour sa
part, le gouvernement valaque avait nommé à Paris un « correspondant »
possédant « une instruction solide et un caractère honnête », qui devait
surveiller de près « tous les pas des jeunes qui sont envoyés là pour études »,
et aussi « acheter des livres et du matériel didactique pour les élèves et
trouver des professeurs capables pour les proposer en Valachie »20.
Ce rapide survol des événements met en évidence deux tendances
apparemment contradictoires : d’un côté, un intérêt et une attraction, réels,
des jeunes valaques et moldaves pour faire leurs études en France et pour
URECHIA, Istoria şcoalelor, II, pp. 236-237.
IORGA, Istoria învăţământului, pp. 232-236 et suiv.
19
L’auteur de cet avertissement, Petrache Poenaru avait fait lui même des études à
Paris, Ibidem, pp. 234 ; 270-271.
20
URECHIA, Istoria şcoalelor, II, pp. 236-237. Le personnage en question était
Nicolas S. Piccolos (1792–1865), ancien professeur à l’Académie grecque de Bucarest et
aux écoles supérieures de Chios et Corfou et diplômé en médicine en Italie. Piccolos avait
aussi fonctionné comme médecin du général Kisseleff et chef de la censure entre 1837–
1840, cf. E.G. PROTOPSALTIS, « Ho Nikolaos Piccolos kai to ergon tou » (Nicolas
Piccolos et son œuvre) », Athinā, 68, 1965, p. 80-115. Piccolos a aussi agi au nom du
gouvernement moldave, cf. Nicolae ISAR, « N. Piccolo – correspondant à Paris de la
Curatelle des écoles publiques de Moldavie (1840–1844) », Revue des Études Sud-Est
Européennes, XII, 2, 1974, pp. 235-244, et les études réunies dans le volume Dr. Nicolas
S. Piccolos : études et documents inédits publiés à l’occasion du centenaire de sa mort
(1865–1965)(en bulgare), Sofia, 1968. Le prince accepta la proposition et partagea le
souci manifesté par l’Épitropie « pour conseiller les jeunes gens », mais aussi pour tenir au
courant le pays avec les grandes découvertes qui se font chaque jour à Paris, sans oublier
de rappeler que les Moldaves, eux, l’avaient déjà fait, ce dont témoigne la qualité de la
bibliothèque de leur école et du cabinet des arts et métiers, URECHIA, Istoria şcoalelor,
II, p. 238.
17
18
Paradoxes des langues. Des usages du français...
403
la langue française en général, d’un autre côté, une réserve considérable
des deux gouvernements respectifs, et surtout de la Russie protectrice, par
rapport à ce phénomène, réserve qui était d’ailleurs partagée par une certaine
partie, qu’on qualifie d’habitude comme conservatrice, de l’élite politique
locale. A ces deux tendances en conflit, s’ajoutent les tentatives des mêmes
acteurs (les deux gouvernements, épaulés par la Russie) d’imposer la langue
française comme langue de l’enseignement supérieur dans les Principautés,
tentatives qui devaient répondre à une situation immédiate – l’intérêt pour
la culture française – mais dont la dimension politique était aussi évidente,
à savoir de former les jeunes moldaves en langue française, certes, mais
chez eux. Face à tout cela, l’attitude des autorités françaises s’est avérée
bien oscillante, rendant compte de la position que la monarchie de juillet
avait adoptée dans la « Question orientale »21.
L’affaire venait en fait de loin. Le système d’enseignement publique que
Duclos appréciait comme « nul » avait été organisé sur des bases nouvelles
et en langue nationale en 1834, par les Règlements dits « Organiques »,
élaborés et promulgués sous la directe tutelle de la Russie, Cour
protectrice, et avec la participation de la classe politique locale22. Ce fut
21
Preuve en est la lettre du consul de France à Bucarest, Billecocq (connu pour
ses sympathies pro-russes) par laquelle il proposait à Guizot de prendre des mesures
fermes contre certains étudiants roumains en France qui, apprécia-t-il, « sont loin de
protéger les droits de nos nationaux », surtout par le fait qu’ils avaient l’habitude de
contracter des dettes sans jamais les payer, ce qui d’ailleurs compliquait la vie du consul
lui-même, vu qu’il était chargé d’obtenir réparation de la part du gouvernement local.
Profondément contrarié, Billecocq y livre un portrait saisissant de ce « sujets de la Porte
ottomane » (appréciation légalement fausse), ces « rayas » qui « s’habillent à la manière
des occidentaux, ils en usurpent parfois les titres nobiliaires, en outrent toujours les
manières et l’élégance et quand, de retour en leur pays, il s’agit de faire honneur à leurs
engagements, ils se retranchent derrière l’esprit des capitulations ». La solution ne pouvait
être qu’une, à son sens, à savoir : « de ne leur délivrer leurs passe-ports que <si> par la
voie de journaux, ils ont annoncé l’intention de revenir dans leur pays ; c’est ainsi que dans
plusieurs capitales de l’Europe, et notamment à Pétersbourg, on agit à l’égard de tous les
étrangers ». Un bel exemple à suivre…, cf. Documente privitoare la istoria românilor. Vol.
17. Corespondenţă diplomatică şi rapoarte consulare franceze (1825–1846) (Documents
concernant l’histoire des Roumains. Vol. 17. Correspondance diplomatique et rapports
consulaires français, 1825–1846). Documents recueillis par Eudoxiu de Hurmuzaki et
publiés par Nerva Hodoş, Bucarest, 1913, pp. 1061-1062 (lettre du 19 juillet 1845).
22
Sur l’élaboration et la mise en vigueur du Règlement voir Ioan C. FILITTI,
Principatele Române de la 1828 la 1834 : Ocupaţia rusească şi Regulamentul Organic,
Bucarest, 1934 (version française : Les Principautés roumaines sous l’occupation russe,
1828–1834). Le Règlement organique (étude de droit public et d’histoire diplomatique),
thèse de doctorat, Paris, 1904.
404 RADU G. PĂUN
ce même acte qui permit la réorganisation des institutions d’enseignement
supérieur qui devaient remplacer les anciennes Académies grecques des
deux capitales : le Collège Sf. Sava à Bucarest et l’Académie qui allait
s’appeler « Mihăileană », selon le nom du prince Mihail Sturdza, à Iaşi.
Les responsables de ce grand projet furent trouvés dans les personnes de
Petrache Poenaru (1799–1875), en Valachie, et Gheorghe Asachi (1788–
1869), en Moldavie, tous les deux de la génération des boursiers à l’étranger
des premières décennies du XIXe siècle23. Poenaru avait fait ses études à
Paris, tandis qu’Asachi s’est illustré comme un fervent admirateur de la
culture italienne qu’il avait connue lors de ses séjours d’études à Rome
(1806–1812). Ils partageaient ce devoir et toutes les responsabilités qui en
découlaient – et il y en avait légion – avec plusieurs institutions, dont la
plupart des membres étaient nommés par le gouvernement, ce qui voulait
dire, surtout dans le cas moldave, par le prince en personne24.
L’enjeu restait considérable et l’entreprise fort délicate dans des pays
se trouvant sous la double tutelle politique de la Porte ottomane et de la
23
Des informations générales sur ces deux personnages sont à trouver dans
Dicţionarul literaturii române de la origini până la 1900 (Dictionnaire de la littérature
roumaine des origines à 1900), Bucarest, 1979, pp. 55-60, respectivement pp. 684-685
(avec une bibliographie pratiquement exhaustive mais qui s’arrête au niveau des années
1977–1978). Voir aussi George POTRA, Petrache Poenaru ctitor al învăţământului în
ţara noastră, 1799–1875 (Petrache Poenaru, fondateur de l’enseignement de notre pays,
1799–1875), Bucarest, 1963 ; Eugen LOVINESCU, Gheorghe Asachi. Viaţa şi opera
lui (Gheorghe Asachi. Sa vie et son œuvre), Bucarest, 1921 ; N.C. ENESCU, Gheorghe
Asachi – organizatorul şcolilor naţionale din Moldova (Gheorghe Asachi – l’organisateur
des écoles nationales en Moldavie), Bucarest, 1962 ; Marin AIFTINCĂI, Alexandru
HUSAR (coord.), Gheorghe Asachi. Studii (Gheorghe Asachi. Recueil d’articles),
Bucarest, 1992.
24
Sur l’organisation de l’enseignement en Valachie et en Moldavie, voir
surtout IORGA, Istoria învăţământului, p. 240 et suiv. ; Gheorghe PÎRNUŢĂ, Istoria
învaţământului şi gândirea pedagogică din Ţara Românească (sec. XVI–XIX) (L’histoire
de l’enseignement et la pensée pédagogique en Valachie, XVIe–XIXe siècles), Bucarest,
1971 ; Istoria învăţământului din România. Vol. II (1821–1918) (L’histoire de
l’enseignement en Roumanie. Vol. II. 1821–1918), Bucarest, 1993. Sur le Collège St. Sava,
voir Nicolae ISAR, Şcoala naţională de la Sf. Sava şi spiritul epocii (1818–1859) (L’École
nationale de Sf. Sava et l’esprit de l’époque, 1818–1859), Bucarest, 1994. Pour une image
d’ensemble de l’organisation de l’enseignement en Moldavie, voir Gabriel BĂDĂRĂU,
« Organizarea şi conţinutul învăţământului public în Moldova între anii 1832–1848 »
(L’organisation et le contenu de l’enseignement public en Moldavie entre 1832 et 1848),
Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie « A.D. Xenopol » Iaşi, XVII, 1980, pp. 345361 ; XVIII, 1981, pp. 211-231 ; XIX, 1982, pp. 375-393 ; IDEM, Academia Mihăileană
(1835–1848). Menirea patriotică a unei instituţii de învăţământ (L’Académie Mihăileană
(1835–1848). La mission patriotique d’une institution d’enseignement), Iaşi, 1987.
Paradoxes des langues. Des usages du français...
405
Russie, qui fit constamment ressentie sa présence à travers l’action parfois
brutale des consuls25. D’un autre côté, le système politique institué par
les Règlements entravait au développement d’un enseignement public au
sens moderne du terme. Il était bien évident, et théoriquement accepté par
tout le monde, que l’enseignement public devait préparer et produire les
cadres de l’administration, elle-même en pleine expansion après 1834. En
pratique pourtant, l’accès aux fonctions publiques n’était possible que pour
les détenteurs des titres de noblesse, et réciproquement, ces titres mêmes
pouvaient être obtenus grâce à l’instruction et, bien sûr, aux services rendus
à l’État, ce qui constituait en fait une des contradictions structurantes du
système et laissait une large marge de manœuvre au chef de l’État.
En Moldavie, Mihail Sturdza n’était pas l’homme à ne pas en profiter.
En 1835 déjà, il accorda le rectorat de « son » Académie à un français,
Maisonabe, qui détenait en outre les chaires de littérature française et de
droit privé et public universel, et tenait ses cours respectifs en français, car
la matière, argumentait l’Épitropie des Écoles sous l’inspiration du prince,
était encore nouvelle en Europe et toute la bibliographie était en français26.
Ce fut sur ces bases que deux anciens professeurs français ayant déjà
fonctionné en Valachie arrivèrent en Moldavie et, sous la haute protection
du prince, proposèrent un projet qui devait généraliser le français à tout le
cursus de l’Académie27. Cette décision suscita les protestations d’Asachi et
de certains autres partisans de la langue roumaine et entama une polémique
qui devait durer quelques 13 ans.
Si on regarde les arguments mobilisés dans cette polémique on
saisit les points centraux qui structurent l’entière affaire, mais on se rend
25
Sur le contexte politique et l’influence des consuls, surtout russes, voir Ioan
C. FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, 1834–1848 (Les règnes des
Principautés Roumaines sous le Règlement organique), Bucarest, 1915 ; Radu R.N.
FLORESCU, The struggle against Russia in the Romanian Principalities, 1821–1854,
Munich, 1962 ; Apostol STAN, Protectoratul Rusiei asupra Principatelor Române
1774–1856. Între dominaţie absolută şi anexiune (Le protectorat de la Russie sur les
Principautés Roumaines, 1774–1856. Entre domination absolue et annexion), Bucarest,
1999 ; et notre article « Les épreuves de la triple majesté. Discours et pratiques du pouvoir
au premier XIXe siècle roumain ». Dans : Tassos ANASTASSIADIS, Nathalie CLAYER,
Kostantinos KOSTIS (éds.), Society and Politics in Southeastern Europe during the 19th
century (Actes du colloque international, Corfou, les 2–3 octobre, 2009), Athènes, Alpha
Bank Historical Archives, 2011 (sous presse).
26
URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 379.
27
Ibidem, p. 247. Le consulat russe ne goûta pas le projet et arrivera finalement
à écarter Maisonabe. La réaction des parents (surtout de grands boyards), s’avère
intéressante, car la plupart s’empressèrent de retirer leurs enfants de l’école « roumaine »,
IORGA, Istoria învăţământului, p. 248.
406 RADU G. PĂUN
également compte dans quelle mesure les consuls français entraient dans et
s’assumaient le discours du pouvoir en place.
L’un des sujets de dispute en fut effectivement le caractère de la
langue roumaine et ses « aptitudes » comme langue d’enseignement. Les
Règlements organiques avaient précisé que le roumain parlé par la plupart
des gens qui entraient aux écoles était « erroné et manquait des règles stables
et cohérentes » ; il fallait donc développer un effort constant d’instruction
pour épurer la langue, l’améliorer et le fonder sur « ses bases naturelles »
qui doivent être d’abord trouvées, et ensuite codifiées. Les néologismes
devaient être éliminés, surtout ceux – et là le souvenir de l’époque dite
« phanariote » est saisissant – qui provenaient du grec, vu à cette époque
comme un facteur ayant gravement entravé au développement « naturel »
de la langue roumaine28. Par contre, des néologismes « nouveaux »
pouvaient être tirés des langues « bien structurés » et surtout du français,
« qui s’approche du latin, la mère naturelle du roumain »29.
Deux ans plus tard (1836), Sturdza reprit l’idée centrale des Règlements,
à savoir que la langue roumaine ne possédait pas encore les richesses des
langues cultivées, ni dans des œuvres originales ni dans des traductions de
bonne qualité, mais proposa une solution radicalement différente : selon
lui, il fallait faire appel au français, qui est répandu partout et possède le
plus grand nombre d’œuvres originales, ainsi que des traductions de haute
qualité des autres langues, ce qui facilitaient la traduction en roumain
par l’entremise du français30. Le niveau de compétence des professeurs
autochtones était aussi interrogé (ou, pour mieux dire, mis en question),
le prince ne cachant aucun moment sa préférence pour des enseignants
étrangers. Ce sont des arguments que Sturdza n’a cessé d’invoquer dans les
disputes qui l’opposèrent aux défenseurs de l’enseignement supérieur en
roumain en 1843, 1845 et surtout en 1847–1848.
Il faut bien dire que le manque d’une littérature roumaine digne de
ce nom était une évidence en 1836 et que la situation ne changea pas
fondamentalement au cours des années suivantes31. Lié à cela, le manque
Vlad GEORGESCU, Istoria ideilor politice româneşti (1369–1878) (Histoire des
idées politiques roumaines), Munich, 1987, p. 237. Les plaintes sans cesse répétées des
professeurs de grec – et de russe d’ailleurs – qui manquaient toujours d’élèves en disent
long sur cet aspect, cf. URECHIA, Istoria şcoalelor, II, Bucarest, 1893, pp. 113 et 161 ;
FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, p. 599.
29
FILITTI, Principatele Române, pp. 355, 358.
30
URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 326, adresse du 2 novembre 1836.
31
Pour l’histoire de la littérature roumaine à cette époque, on se rapportera au livre
essentiel de Paul CORNEA, Originile romantismului românesc. Spiritul public, mişcarea
28
Paradoxes des langues. Des usages du français...
407
de livres et surtout de livres didactiques était aussi une réalité, alors que
les institutions responsables s’efforçaient constamment d’améliorer la
situation32. Quant au livre scolaire, la situation s’avérait tout aussi précaire,
alors que les bonnes initiatives n’en manquaient pas. En 1837, par exemple,
l’Épitropie des Ecoles prevoyait l’obligation des boursiers de l’État ayant
absolvi leurs études de traduire et publier un livre dont le titre devait être
décidé par le Comité académique ; les professeurs de l’Académie furent
également incités dans cette direction33. En 1846, la décision a été prise,
toujours comme réponse aux pressions du gouvernement, d’instituer
une typographie des écoles pour imprimer des livres scolaires à des prix
décents, afin que tous les élèves puissent se les permettre34. Le problème
des professeurs bien formés en roumain était également accru. Aux doutes
et critiques que le prince Sturdza exprima à plusieurs reprises à ce sujet, le
comité académique et Asachi lui-même répondirent en mettant sur la table
les diplômes obtenus en Russie et en Autriche et les livres que le corps
enseignant de l’Académie avait publiés, ainsi que les bons résultats des
examens de fin d’année.35 La polémique ne pouvait pourtant pas s’arrêter
là, car l’enjeu en était beaucoup plus important que l’orgueil professionnel
des enseignants ou celui – encore plus grand – du prince régnant. On le
comprend bien en lisant la proposition faite en 1845 par les partisans du
français, le prince en tête : au lieu d’envoyer des jeunes à l’étranger pour
les former comme professeurs, mieux valait, considéraient-ils, de solliciter
à certains gouvernements étrangers (surtout ceux de France et de Prusse)
d’envoyer en Moldavie des bons professeurs pour former les jeunes
moldaves « sous les yeux du gouvernement »36. C’était donc toujours la
ideilor şi literatura între 1780–1840 (Les origines du Romantisme roumain. L’esprit
public, le mouvement des idées et la littérature entre 1780 et 1840), Bucarest, 1972.
32
Au niveau général, pendant la décennie 1831–1840 on compte 620 livres
imprimés en roumain, par rapport aux 473 titres publiés durant la décennie précédente.
L’intervalle 1841–1850 vit cette production augmenter et toucher à presque 800 titres, cf.
Mircea TOMESCU, Istoria cărţii româneşti de la începuturi până la 1918 (L’histoire du
livre roumain des origines à 1918), Bucarest, 1968.
33
URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 362. En mai 1837, un premier projet
d’envergure a été initié par la même institution, à savoir la traduction de L’abrégé du
dictionnaire de l’Académie française, par Petrache Poenaru, Simion Marcovici, I. Popp,
G. Ioanide et Florian Aaron, Ibidem, p. 390 et suiv.
34
Ibidem, II, p. 283.
35
Ibidem, pp. 327-328.
36
Ibidem, II, p. 282. Une tradition existait déjà : au XVIIIe siècle on rencontre
nombre de professeurs particuliers aux Cours princières et nobiliaires de Bucarest et de
Iaşi. L’intérêt en devint encore plus grand après 1821. Ce fut la recommandation auprès
du prince ou des puissants du jour qui y jouait le rôle décisif, comme le montre une lettre
408 RADU G. PĂUN
politique qui dictait le cours des choses et la question de la langue y était
clairement subordonnée.
Le cours que la polémique concernant le statut de la langue roumaine
dans l’enseignement supérieur devait prendre dans les années 1840 en
témoigne. Paradoxe de l’histoire, le défenseur principal de la langue
roumaine en fut Gheorghe Asachi lui-même, lui qui était connu par ailleurs
comme un conservateur et surtout comme un fidèle du régime institué
par les Règlements organiques d’inspiration russe. Rien d’étonnant donc
qu’il fasse des Règlements (chapitre IX, § 357) la base juridique de son
argumentation, y ajoutant l’autorité de l’histoire sainte : Dieu avait donné
l’Écriture au peuple élu, mais ensuite le Sauveur a envoyé les Apôtres pour
la répandre à chaque peuple dans sa langue. Aucune raison donc que les
Roumains y fassent exception37.
Aux arguments purement académiques, voire idéologiques, affirmant
le caractère inséparable de la nation et de la langue nationale en tant que
véhicule qui structure la nation elle-même, Asachi ajouta pourtant des
arguments d’ordre pratique.
L’un d’eux visait la pratique de la langue, à l’école, certes, par une
fréquentation constante des sciences littéraires et des traductions, afin de
contribuer à l’enrichissement du roumain. Là, il se fondait sur l’expérience
des écoles pour les Roumains existantes en Autriche, et surtout en Bucovine,
région d’où il provenait lui-même. L’autre aspect est bien différent et
déplace la discussion sur le terrain du pouvoir et de la responsabilité que
celui-ci devait assumer (et dont il se vantait tant, d’ailleurs) de former
des gens capables à servir l’État. L’enseignement supérieur, donc, devait
absolument se tenir en roumain, « non seulement pour faciliter l’instruction
des jeunes dans la langue et culture nationales, mais aussi parce que toutes
les affaires publiques se font dans cette langue, qui est – note importante –
également la langue de l’Église »38. L’exemple de l’Occident latin venait y
de Mihail Kogălniceanu à son père (personnage assez proche du prince Sturdza), auquel il
demandait d’intervenir auprès du prince pour qu’il invite en Moldavie un jeune Français
« très savant » qu’il connaissait lui-même et lui offrir un poste de professeur à l’Académie
ou bien dans la maison de quelque boyard. Plus tard, le même Kogălniceanu allait
recommander lui-même deux professeurs d’agronomie à Sturdza, cf. Nicolae IORGA,
« Voyageurs orientaux en France », Revue Historique du Sud-Est Européen, IV, 7-9,
1927, p. 171.
37
Nous faisons référence ici à la réponse que le Comité académique donna à
l’adresse du prince du 2 novembre 1836, texte signé par tous les membres du Comité,
mais clairement inspiré par Asachi (le 29 novembre 1836), URECHIA, Istoria şcoalelor,
I, pp. 327-331.
38
Ibidem, pp. 323-4, 328.
Paradoxes des langues. Des usages du français...
409
ajouter foi : ce fut, déclare Asachi, parce que l’Occident avait renoncé au
latin de bonne heure que les langues occidentales étaient devenues mieux
structurées et plus riches, car elles ont été pratiquées non seulement en
littérature, mais aussi en justice et en administration, et cela depuis des
siècles. Or, c’est exactement pour cette même raison que le roumain se
trouvait en décalage : parce qu’il n’avait pas été utilisé dans les affaires
publiques, d’abord à cause du slavon et ensuite – et surtout – du grec. Ce
fut le Règlement, continue Asachi, qui est venu résoudre ce problème, et il
l’avait fait « dans l’intérêt de la nation »39.
Or – paradoxe des paradoxes – ce fut précisément le prince, pilier du
système, qui vient soutenir le contraire par son arrêté du 18 avril 1847,
en affirmant formellement que le système en place ne répondait pas aux
besoins de la société, car il était en gros une œuvre d’imitation et donc
inadéquate à l’état du pays et aux besoins sociaux de la nation. L’exemple
de la Grèce, amené en discussion par les partisans du roumain ne tenait
pas debout, car le grec était une langue riche et cultivée depuis longtemps,
tandis que le roumain ne se trouvait qu’au début de ce processus40.
Bon connaisseur du système auquel il appartenait corps et âme, Asachi
avait vite saisi l’enjeu de l’affaire, et il le déclara (presque) ouvertement
dans son « Exposé sur l’état des écoles depuis leur création en 1828 et
jusqu’en 1843 et propositions pour améliorer leur état » (Expoziţie de
starea şcoalelor de la a lor înfiinţare 1828–1843 şi socotinţa despre a lor
îmbunătăţire) qu’il soumit au prince et à l’Assemblée générale du pays en
mars 1845. Sans pouvoir toucher à la politique russe dans les Principautés,
et au prince d’autant moins, il s’attaqua, et durement, à la jalousie avec
laquelle « certaines personnes », trop attachées à leurs privilèges et trop
préoccupées à en tirer des bénéfices, s’opposaient à l’institution d’un
système d’enseignement public ouvert à tout le monde. C’est en cela,
ajoute-t-il, que résident les graves problèmes auxquels l’enseignement
moldave se confrontait et c’est là la cause de tous les maux41.
Il n’était pas loin de la vérité : deux ans auparavant, le projet
de réorganisation de l’enseignement initié par le consul prussien
Neugebauer devait bloquer l’accès aux études supérieures des ceux qui
ne provenaient pas des milieux aisés42. L’idée fut reprise par l’Assemblée
Ibidem, p. 331.
Ibidem, p. 320 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului, pp. 262-263.
41
URECHIA, Istoria şcoalelor, II, p. 282.
42
Projet revu d’une manière fort critique par Asachi lui-même et qui resta finalement
sans lendemain, cf. Ibidem, pp. 249-252 ; 361 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului,
pp. 256 et suiv. Le texte disait : même si la langue roumaine a été acceptée comme
39
40
410 RADU G. PĂUN
générale, formée des boyards et dominée par les factions des magnats,
seulement deux ans plus tard : les offices/fonctions publiques ne peuvent
être confiés qu’à des personnes qui possèdent une certaine fortune, alors
que le reste des citoyens doivent s’adonner au négoce, aux artisanats et
métiers et à l’agriculture, car il est impossible et contre la nature qu’on
accorde la même instruction à tous ; ce serait comme si on donnait la même
nourriture à des espèces complètement différentes43. L’arrêté princier du
18 avril 1847 qui devait entériner la réforme de l’enseignement s’exprimait
dans les mêmes termes44.
Tel était en fait le but de la politique menée par Sturdza, avec le large
concours et à l’inspiration de la Russie, et partiellement de la France, dont les
représentants en Moldavie et en Valachie ne comprenaient pas la stratégie
du prince et se laissaient flattés par l’idée que « l’action intellectuelle et
civilisatrice » de la nation française n’allait que s’accroître, au bénéfice
de la politique française dans la région45. En fait, le français avait fourni à
Sturdza un instrument potentiellement efficace voué à conserver un système
politique qu’il contrôlait d’ailleurs presque complètement. Le premier
objectif de cette politique était de limiter l’accès aux hautes fonctions
publiques au niveau de l’aristocratie ou, mieux dit, d’une oligarchie de
privilèges, dont la dynamique était strictement contrôlée par le prince
lui-même. Cela devait aussi fournir une consolation aux familles de magnats
langue fondamentale de l’enseignement dans l’Académie, l’expérience a prouvé que
pour faciliter la tâche des élèves (spre a înlesni elevilor mijloace de îndeletnicire) il est
absolument nécessaire d’enseigner chaque jour le français ou l’allemand en sorte que
chaque étudiant parvienne à les maîtriser parfaitement. Lors des débats que le projet à
suscité dans l’Assemblée générale, la version Asachi, qui soutenait l’enseignement en
roumain et donc neutralisait le potentiel politique du projet, ne l’a emporté qu’à deux voix
près, car la plupart des grands boyards présents ont plaidé en faveur du français, FILITTI,
Domniile române sub Regulamentul organic, p. 607.
43
L’Assemblée a exprimé sa position par un arrêté rendu public sous forme de
brochure : « Projet pour la réorganisation de l’enseignement », URECHIA, Istoria
şcoalelor, II, p. 283 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului, p. 260.
44
La question de la réforme de l’enseignement, une des priorités du gouvernement,
a été rouverte par le prince Sturdza le 11 février 1847, lorsqu’il soumettait à l’Assemblée
générale un projet de loi qui n’était en fait qu’une version mise à jour du projet de
Neugebauer. A la sollicitation expresse du prince, le texte ne devait pas être débattu, mais
mis en pratique à titre provisoire et « expérimental », ce qui fut légalisé par l’arrêté du 18
avril 1847. Ce faisant, Sturdza évitait une nouvelle dispute et un éventuel nouvel échec,
FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, p. 613.
45
Malgouverné lui-même en étaient l’une des voix : en 1849, il cru bon de justifier
sa position dans l’article « Collèges ou évolution de l’instruction publique en Moldavie »,
publié dans la revue didactique L’Enseignement, Ibidem, p. 614.
Paradoxes des langues. Des usages du français...
411
qui se voyaient fortement concurrencées par une vraie masse d’hommes
nouveaux. Consolation purement théorique, toutefois, vu que le prince
n’a jamais hésité d’accorder ou même de vendre des rangs et des titres à
droite et à gauche et de promouvoir à sa guise des « créatures » contre les
représentants des familles de souche. Tout dévoué qu’il fût à la cause, pour
laquelle il risqua d’ailleurs sa position, Asachi restait lui-même trop séduit
par le mythe du bon souverain pour qu’il comprenne entièrement l’enjeu
de cette politique, et lorsqu’il s’attaqua aux grands boyards, il ne fit, en fait,
que de fournir au prince des nouveaux arguments dans son combat contre
l’opposition.
Le deuxième but en était de limiter drastiquement et même de décourager
l’afflux d’étudiants vers la France, « lieu de perdition de l’âme », non pas par
des mesures de main forte, qui risquaient de produire des effets contraires,
mais par la constitution d’un milieu francophone d’enseignement sur place,
ce qui était bien plus facile à contrôler. Le français devenait, dans ce cas,
exactement l’opposé de ce qu’on le croit si souvent : à savoir, la poudre
brillante avec laquelle on s’efforçait de dorer la cage46.
46
La jeunesse roumaine se trouvant en France a vivement réagi à ces mesures, cf.
BODEA, Lupta românilor, pp. 91-94.
Le livre grec dans les milieux balkaniques à la veille
de la Révolution nationale : le témoignage
des prospectus et des listes de souscripteurs
Popi Polemi
En Grèce, l’histoire du livre, comparée à d’autres branches historiques,
a eu un heureux destin1. Grâce aux pionniers, dont le premier fut le Français
Émile Legrand (1841–1903), suivi de Démétrios Ghinis et Valerios
Mexas, d’Athanassios Hatzidimos et Georgios Ladas, la bibliographie
retrospective nationale, depuis l’apparition de l’imprimerie jusqu’à 1863,
a fait partie des acquis de la communauté scientifique, et elle a également
bénéficié du riche apport de Constantin Dimaras et de son cercle, qui ont
insisté sur l’importance des manuels bibliographiques comme instruments
d’auto-connaissance nationale. Cela n’est pas peu, si l’on songe que les
ouvrages fondamentaux d’infrastructure ont été réalisés soit en dehors
des frontières grecques, soit, principalement, par des particuliers, et non
par les opérateurs officiels habituels dans d’autres pays, par exemple la
Bibliothèque nationale.
Héritier de cette tradition, Philippe Iliou (1931–2004) a conçu l’histoire
du livre comme histoire globale, dans le sillage de Lucien Febvre et de
son maître, Robert Mandrou. Ayant grandi en des temps difficiles, dans la
1
Voir DROULIA, Loukia, « I istoria tou ellinikou vivliou : Proseggiseis kai
sygchrones katefthinseis tis ellinikis erevnas » (L’histoire du livre grec : Approches et
orientations contemporaines de la recherche grecque). In : The Printed Greek Book. 15th–
19th century. Acts of the International Congress, Delphi, 16–20 May 2001, Athènes 2004,
p. 49-56, ainsi que le volume de titre analogue, du même auteur, qui illustre au mieux le
dynamisme en la matière : I istoria tou ellinikou vivliou : Proseggiseis kai sygchrones
katefthinseis tis erevnas. Vivliografia ton ellinikon ergasion (1965–2000) (L’histoire du
livre grec : Approches et orientations contemporaines de la recherche. Bibliographie des
travaux grecs (1965–2000), Athènes 2001.
Le livre grec dans les milieux balkaniques...
413
tourmente de la guerre civile grecque, ce qui lui barra l’accès aux universités
de son pays, il entreprit d’allier la vision critique marxiste de l’histoire avec
les conquêtes de la nouvelle histoire, telle qu’elle était cultivée en France
essentiellement. Il est donc compréhensible, dans ce cadre, qu’il se soit
penché sur « la participation différenciée des divers groupes sociaux aux
mouvements des idées et de la culture » ; compréhensible, son intérêt pour
la création de séries au troisième niveau, pour rappeler Pierre Chaunu ;
compréhensible, aussi, le fait qu’il se soit occupé des tirages et du monde
des souscripteurs, ce qui lui a valu son seul titre universitaire, à la VIe
section de l’École Pratique des Hautes Études, en 1965, avec son étude
intitulée La lecture en Grèce à l’époque des Lumières et de la révolution
(1749–1832). Étude des souscriptions aux éditions en langue grecque. La
première présentation publique de ses conclusions devait avoir lieu à Sofia,
en 19662.
Dès lors, le parcours de Philippe Iliou suivit des sentiers divers, et à
elle seule, la liste des titres de ses ouvrages3 témoigne, à tout le moins,
de l’ampleur des sujets qui l’ont préoccupé, dont l’histoire du livre n’est
qu’une partie seulement, mais une partie qui a animé et enrichi ce champ
de recherche, en Grèce et ailleurs.
Demeuré jusqu’à la fin en dehors des institutions, il créa en 1986
l’Atelier Bibliologique, organisme informel alors intégré aux Archives
littéraires et historiques helléniques (ELIA), pour encadrer ses nombreux
projets bibliologiques. J’ai eu le bonheur de travailler avec lui dès cette
époque. Nous avons œuvré ensemble, notamment, à la constitution de la
bibliographie grecque du XIXe siècle et à la création de la base de données
des souscripteurs des livres grecs à partir de la première liste connue,
en 1749, jusqu’en 1922. Cette base, il l’a traitée, littéralement, jusqu’au
dernier moment, et elle est arrivée au nombre impressionnant de 930
000 entrées, qui correspondent à environ 2 600 listes de souscripteurs. Il
ne fait aucun doute que cette base est une infrastructure indispensable à
l’approche historique du public lettré hellénophone, avec ses répartitions
dans l’espace géographique et social, sur un horizon chronologique de
deux siècles environ, et qu’elle offre de nombreux éléments utiles aux
recherches biographiques, onomasiologiques et autres.
Peut-être aurez-vous remarqué le terme « bibliologie » , que Philippe
2
ILIOU, Philippos, « Pour une étude quantitative du public des lecteurs à l’époque
des Lumières et de la Révolution ». In : Actes du Ier Congrès des Études Balkaniques et
Sud-Est Européennes, Sofia 1969, p. 475-480.
3
M[ATTHAIOU], A[nna] et P[OLEMI], P[opi], « [Philippos Iliou] Ergografia
1953–2004 » (Liste des œuvres 1953–1994), Archiotaxio, 6 (2004) : p. 11-33.
414 Popi Polemi
Iliou insistait à employer. Il traduit l’histoire du livre, qu’il a lui-même
servie avec dévouement : son souci de comprendre le livre comme véhicule
d’idées et comme marchandise, comme moyen de reproduction des
systèmes idéologiques et comme moyen de rupture des équilibres et de
renouvellement de la vie intellectuelle, au croisement de la création et de
la perception ; son souci de mettre en évidence les inerties et les longues
durées de pratiques et de comportements, mais aussi les ruptures et les
bouleversements, ainsi que son désir de passer de l’histoire du livre et de
la lecture à l’histoire des mentalités collectives et à l’histoire sociale de la
culture.
Tout cela est illustré dans le volumineux ouvrage dans lequel nous
avons rassemblé toutes ses études bibliologiques et que nous avons publié
après sa disparition, avec Anna Matthaiou et Stratis Bournazos4. Le fait
que pour lui, la bibliographie n’était absolument pas un but en soi apparaît
principalement dans le premier volume monumental de la Bibliographie
hellénique du XIXe siècle qu’il a publié en 1998 et qui couvre les années
1801 à 18185. Par les notices analytiques de tous les imprimés de cette
période, par le dépouillement des prospectus et des critiques de livres dans la
presse contemporaine et par l’incorporation de toute information pertinente
(prix, tirage, titres des originaux des livres traduits, etc.), il procure à son
utilisateur un cadre global pour l’étude de la production et de la perception
du livre, constituant ainsi un outil particulièrement efficace pour l’histoire
sociale de la culture grecque.
Préserver et mettre en valeur, du mieux possible, la richesse laissée
en héritage était le pari évident, la réponse au défi de la mort. La première
priorité a été de publier la bibliographie signaletique des livres grecs
des années 1864–1900, terra incognita et revendication ancienne de la
recherche historique et littéraire, publication qui fut accomplie en 20066
(le nombre de notices s’élève à 32 156, pour donner un ordre de grandeur).
ILIOU, Philippos, Istories tou ellinikou vivliou (Des Histoires du livre grec),
dir. : MATTHAIOU, Anna, POLEMI, Popi, BOURNAZOS, Stratis, Herakleio, Éditions
Universitaires de Crète, 2005. Voir aussi les contributions de Triantafyllos Sklavenitis et
de Marilisa Mitsou dans le numéro spécial de la revue Historica consacré à Philippos Iliou
(t. 21/41, 2004, p. 289-294 et 295-301).
5
ILIOU, Philippos, Elliniki Vivliografia tou 19ou aiona. Vivlia-Fylladia
(Bibliographie hellénique du XIXe siècle. Livres-Brochures), vol. 1 (1801–1818), Athènes,
Archives littéraires et historiques helléniques, 1997 [=1998].
6
ILIOU, Philippos et POLEMI, Popi, Elliniki Vivliografia 1864–1900. Synoptiki
anagrafi (Bibliographie hellénique 1864–1900. Notices signalétiques), 3 volumes, avec
un volume introductif (prologue-index) de Popi Polemi, Athènes, Atelier bibliologique –
Archives littéraires et historiques helléniques, 2006.
4
Le livre grec dans les milieux balkaniques...
415
La même année, l’Atelier bibliologique, rebaptisé Atelier bibliologique
« Philippos Iliou » , a trouvé un toit d’accueil au musée Benaki. Là, sous
ma responsabilité et avec la coopération d’Anastassia Milonopoulou et
d’Eirini Rizaki, nous avons commencé par compléter et améliorer la base
électronique de la bibliographie grecque du XIXe siècle. C’est ainsi que
depuis le printemps 2008, on peut désormais consulter sur le site web
du musée Benaki (www.benaki.gr/bibliology) le catalogue électronique
qui, de ce fait, est aussi un catalogue collectif des imprimés grecs du
XIXe siècle. Il contient toutes les brochures et tous les livres imprimés en
grec – sauf les placards d’une ou deux feuilles et les cartes – ou, autrement
dit, tous les imprimés autonomes imprimés en grec qui s’adressent
à des lecteurs hellénophones. Les 45 500 notices – jusqu’à présent –
sont accompagnées de l’indication des sources bibliographiques et de
l’ensemble des bibliothèques grecques ou étrangères dans lesquelles ont
été repérés des exemplaires de chaque imprimé (on parle ici de centaines de
milliers d’exemplaires dans des centaines de bibliothèques), mais aussi de
l’adresse électronique des exemplaires numérisés disponibles sur Internet,
qui ne cessent de se multiplier, permettant l’accès direct aux imprimés euxmêmes. L’utilisateur peut choisir soit la recherche libre dans l’ensemble
des informations enregistrées, soit la recherche combinée, à partir de
champs choisis (titre, auteur-traducteur-éditeur littéraire, lieu d’édition,
date de publication, imprimeur-éditeur-libraire, source bibliographique,
sujets-institutions). Elle est encadrée, entre autres, d’un index des auteurstraducteurs-éditeurs littéraires, où la communauté des lettrés hellénophones
ou connaissant le grec et s’étant adonnés à l’écriture au cours de l’ensemble
du XIXe siècle est présentée pour la première fois de manière centralisée.
À côté de cela, la base électronique des souscripteurs, que nous avons
également améliorée et que nous continuons à travailler, sera bientôt, nous
l’espérons, accessible sur Internet. Et en tout état de cause, la mise à jour
constante de ces deux ensembles documentaires est l’un des objectifs de
l’Atelier bibliologique « Philippos Iliou », qui ambitionne de devenir une
cellule de recherche sur la culture grecque du XIXe siècle.
Parallèlement, nous n’avons pas oublié le support imprimé. Ce qui est
logique et normal pour des historiens du livre qui connaissent ses limites
mais aussi les possibilités particulières qu’il offre à la communication et à
la pensée et, enfin, à la compréhension des réalités sociales qu’il reflète :
compréhension censée être l’objectif ultime de toute approche historique.
Nous en sommes donc à la phase finale – celle de la rédaction des index – du
deuxième volume de la Bibliographie hellénique du XIXe siècle, qui couvre
en fait les années de la Guerre d’Indépendance (1819–1832). Il a suivi le
416 Popi Polemi
modèle du premier volume, et les notices laissées à demi inachevées par
Philippe Iliou ont été complétées autant que possible.
La documentation qu’il a léguée a aussi généré le volume des prospectus
qui a été publié en 20087 et qui va maintenant nous donner l’occasion de
dresser un panorama du livre grec au seuil de la Révolution nationale. J’ai
considéré pourtant opportun, devant un public européen de spécialistes
qui, en raison du barrage de la langue, a difficilement accès aux acquis
d’un paradigme particulier, de faire la brève introduction rétrospective qui
précède.
***
Venons-en donc aux prospectus. Je rappelle qu’il y a une dizaine
d’années, Nadja Danova, Lidija Dragolova, Mitko Lachev et Roumjana
Radkova avaient présenté les prospectus des livres bulgares jusqu’à 18738.
Le volume dont j’ai assumé la responsabilité éditoriale, avec la coopération
d’Anna Matthaiou et d’Eirini Rizaki, contient 337 textes qui ont pu être
localisés, sous-ensemble seulement des prospectus ayant réellement circulé
entre 1734 et 1821, année où éclate la Guerre d’Indépendance grecque
et où le paysage, pour la culture livresque, et pas seulement, change
radicalement. Il est à noter que nous avons l’intention de veiller à ce qu’il
y ait une suite, au moins par la publication des prospectus des années de la
Guerre d’Indépendance et du règne du roi Othon jusqu’en 1863, puisque la
masse de matériel des décennies suivantes, qui se calcule en milliers, fait
douter de la possibilité d’une publication intégrale.
Il s’agit d’annonces en vue, principalement, de réunir des souscripteurs
pour des publications autonomes, ainsi que de nouvelles concernant leur
distribution ; d’annonces aussi concernant la circulation de journaux et de
revues, en vue, à nouveau, de trouver des souscripteurs ou de renouveler les
souscriptions et la distribution, ainsi que de communications concernant
les quelques libraires vendant des imprimés grecs.
On parle ici de livres et de revues en langue grecque, à quelques
rares exceptions près d’imprimés traitant de sujets grecs dans des
langues européennes, ou d’éditions de textes classiques de la littérature
Dia tou genous ton fotismon. Aggelies proepanastatikon entypon 1734–1821.
Apo ta kataloipa tou Philippou Iliou (Pour éclairer la nation. Annonces des livres avant
la Révolution grecque, 1734–1821, du fonds bibliographique Philippos Iliou), dir. :
POLEMI, Popi, avec la coopération de MATTHAIOU, Anna et RIZAKI, Eirini, Athènes,
Atelier Bibliologique « Philippos Iliou » – Musée Benaki, 2008.
8
Obiavleniia za balgarski vazrozhdenski izdaniia (Annonces des éditions bulgares
au XIXe siècle). Dir. : DANOVA, Nadia, DRAGOLOVA, Lidiia, LACHEV, Mitko,
RADKOVA, Rumiana, Sofia 1999.
7
Le livre grec dans les milieux balkaniques...
417
ancienne et médiévo-byzantine visant aussi les lecteurs grecs, ainsi que
de quelques publications en italien provenant des îles Ioniennes. Tous
les textes sont nés de l’intention d’individus ou de collectivités soucieux
de soutenir l’édition et la circulation d’imprimés modernes s’adressant à
des populations hellénophones ou connaissant le grec. Car, en tout état
de cause, les prospectus, dans leur quasi-totalité, concernent l’imprimé
savant et moderne, l’imprimé des Lumières, instrument d’émancipation
et de liberté. Et cela, naturellement, n’a rien à voir avec l’utilisation
sélective des sources, que de toute façon nous avons essayé d’utiliser aussi
exhaustivement que possible, mais avec le fait que le livre traditionnel,
religieux ou profane, a ses propres réseaux de diffusion et d’autres voies
établies et éprouvées de promotion.
Tous les textes émanent de l’un des collaborateurs des éditions projetées
ou réalisées : auteur, traducteur ou éditeur, qui s’identifient également au
noyau dur de l’intelligentsia des Lumières grecques : le monde de Rigas et
le cercle de Coray, mais aussi ceux qui suivirent des parcours plus solitaires
ou divergents : Lambanitziotis, Kommitas, Stageiritis, Pyrros, Lesvios,
Kodrikas, Rousiadis, Perdikaris, Gouzelis, Phoivapollon, Philippidis, avec
des divergences idéologiques latentes mais non pas imperceptibles.
Enfin, tous les textes ont une fonction publicitaire, inhérente à
l’imprimé, bien culturel, véhicule d’idées mais aussi marchandise. Cette
fonction publicitaire se matérialise en combinaison avec tous les éléments
paratextuels de l’imprimé : page de titre, préfaces et postfaces, présentations
de livres et critiques de livres dans la presse, etc. De ce point de vue, ce
corpus devra être examiné en commun avec tout ce contexte.
Bien que, pour la plupart des prospectus, nous puissions imaginer
qu’ils circulèrent de manière autonome, comme placards ou brochures de
quelques pages, pour des raisons évidentes, très peu se sont conservés sous
cette forme et la plupart des textes sont édités à partir de leur réimpression
dans des journaux et des revues d’avant la Guerre d’Indépendance.
La structure du corpus est divisée en parts quasi égales : environ
un tiers des textes concernent la presse grecque elle-même, qui apparaît
de manière dynamique sur le devant de la scène au cours de la dernière
décennie du XVIIIe siècle et acquiert un rôle essentiel dans la présentation
et la promotion de tous les imprimés grecs. Pour le reste, la présence de
projets éditoriaux achevés et de projets inachevés est à peu près équivalente :
113 textes concernent des éditions ou séries qui circulèrent effectivement,
contre 114 se référant à des projets non réalisés. Les responsables de ces
projets avortés, c’est-à-dire des ouvrages qui n’arrivèrent pas jusqu’à
l’imprimerie ou qui restèrent à mi-parcours, sont parfois les auteurs ou
418 Popi Polemi
les traducteurs eux-mêmes, qui ne sont pas allés jusqu’au bout de leur
travail, parfois les souscripteurs peu empressés, souvent découragés par
les confrontations idéologiques très vives de la communauté des lettrés ou,
enfin, la conjoncture défavorable, dont le point culminant fut la Guerre
d’Indépendance qui, en toute logique, entraîna aussi ce genre de pertes
collatérales. D’ailleurs, le délai qui sépare le prospectus de l’édition dans
un assez grand nombre de cas témoigne des difficultés même pour ceux
qui allèrent finalement jusqu’au bout : par exemple, les péripéties du
dictionnaire d’Anthime Gazis débutèrent en 1800 et ne s’achevèrent que
seize ans plus tard.
L’écrasante majorité des prospectus (plus des deux tiers), comme
aussi, d’ailleurs, des livres et des publications périodiques annoncés, a pour
lieu d’origine, c’est-à-dire d’édition, Vienne, ville que Coray avait à juste
titre qualifiée d’« atelier de la littérature moderne des Grecs » . Coray luimême se demandera comment traduire en grec le mot français prospectus,
hésitera entre προθεωρία (pré-théorie) et προαγγελία (pré-annonce), mais
choisira finalement, pour sa Bibliothèque hellénique, le terme προκήρυξη.
Les prospectus d’éditions autonomes s’identifient en fait avec la
pratique de la souscription, qui chez nous connaît ses débuts en 1749 (la
traduction de l’Histoire de Rollin est le deuxième livre grec à avoir circulé
par souscription et le premier pour lequel nous disposons d’un prospectus
imprimé), se poursuit pendant tout le XIXe siècle pour disparaître peu à
peu au tournant du XXe, où les maisons d’édition modernes se consolident.
Il s’agit d’une pratique bien installée en Occident9. La préinscription
de souscripteurs et par conséquent les prospectus avaient fait leur première
apparition en Angleterre dès la deuxième décennie du XVIIe siècle, pour
gagner l’espace éditorial allemand et hollandais dans la seconde moitié du
siècle et s’imposer au XVIIIe siècle, époque à laquelle ils conquièrent aussi
9
Voir, à titre indicatif, CLAPP, Sarah L.C., « The beginnings of subscription
publication in the seventeenth century », Modern Philology, t. 29/2 (1931), p. 199-224 ;
KORSHIN, Paul J., « Types of Eighteenth-Century Literary Patronage », EighteenthCentury Studies, t. 7/4 (1974), p. 453-473 ; KIRSOP, Wallace, « Les mécanismes
éditoriaux » , In: MARTIN, Henri-Jean et CHARTIER, Roger (dir.), Histoire de l’édition
française, vol. II, Paris 1984, p. 31-33 ; idem, « Patronage across frontiers: subscription
publishing in French in enlightenment Europe », In: BELL, Bill, BENETT, Philip,
BEVAN, Jonquil (dir.), Across Boundaries. The Book in Culture and Commerce, Oak
Knoll Press, 2000, p. 57-72 ; LOCKWOOD, Thomas, « Subcription-hunters and their
prey », Studies in the Literary Imagination, t. 34, 2001, p. 122-135. Plus spécialement sur
les prospectus, FEATHER, John P., Book Prospectuses before 1801 in the John Johnson
Collection. A Catalogue with microfiches, Oxford, Bodleian Library, 1976 ; idem, English
Book Prospectuses. An illustrated History, Minneapolis 1984.
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la France : l’exemple le plus célèbre d’édition ayant circulé de cette manière
est l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751–1772). Quoi qu’il en
soit, cette forme de bienfaisance éditoriale, de mécénat collectif, marque
partout l’ascension des classes moyennes, le détachement de l’auteur par
rapport au patronage et la démocratisation de la lecture et de la culture en
général.
Dans l’Orient ottoman et dans les colonies grecques en Europe, la
pénurie ou l’inexistence de réseaux autonomes de circulation de livres
grecs au cours des années qui nous occupent ici, ajoutées à la dispersion
géographique du public potentiel et à sa distance par rapport aux centres
de production du livre, principalement Venise pour le livre religieux
traditionnel et Vienne pour le livre savant et moderne, font de la pratique
de la souscription une solution idéale pour ce dernier.
Enfants, donc, de la nécessité, les prospectus à une seule feuille ou
à quelques pages, qui sont souvent imprimés avec les mêmes caractères
typographiques et sur le même papier que l’édition projetée, circulent tous
azimuts et par tous les moyens possibles, ou bien sont reproduits, comme
nous l’avons vu, dans la presse. Ainsi cherche-t-on à susciter l’intérêt et
la curiosité des récepteurs-lecteurs, afin que, ou bien, le plus souvent,
ils promettent par écrit d’acheter le livre quand il sera édité, ou bien ils
payent à l’avance la totalité ou une partie de son prix. Ainsi contrôle-t-on
la réceptivité du public, on évite les entreprises hasardeuses, on estime de
manière plus réaliste le nombre d’exemplaires qu’il convient d’imprimer
et, naturellement, on s’assure autant que possible l’argent nécessaire à la
publication.
Les noms des souscripteurs (ils sont cités comme απποντιάτοι ou
ασοτζιάτοι avant que le terme de συνδρομητές ne soit consacré) seront
rassemblés dans chaque ville par les responsables mentionnés ou
commissaires de la souscription. C’est également eux qui réuniront l’argent
en cas de paiement à l’avance et d’habitude, le moment venu, ils sont aussi
chargés de la diffusion des imprimés.
Par ailleurs, les souscripteurs jouissent de certains privilèges : quoi
qu’il arrive, ils payeront leur exemplaire à un prix inférieur par rapport aux
autres acheteurs, ou ils acquerront un exemplaire dans un papier meilleur
ou avec une meilleure reliure, ou ils recevront un exemplaire en cadeau
s’ils s’inscrivent d’avance pour dix exemplaires (parfois vingt). Cette
dernière possibilité, outre le mécénat, peut naturellement dissimuler aussi
une intention commerciale. Contrepartie honorifique, la liste de leurs noms
est d’habitude publiée dans les livres édités, consacrant de cette manière
leur statut symbolique.
420 Popi Polemi
Ce procédé du prospectus-souscription, commun et inventorié en
Occident et en Orient, concerne principalement les livres. L’image est
différente pour ce qui est de la presse. Par les prospectus correspondants,
on cherche toujours à soutenir financièrement l’édition, mais la
souscription, semestrielle ou annuelle, impose des rappels successifs pour
son renouvellement. La circulation dépend davantage de la poste, plutôt
que des responsables locaux et, malheureusement pour les historiens, ici
les listes de souscripteurs font défaut.
La liste des titres des ouvrages annoncés par prospectus, comme je
l’ai déjà suggéré, est tout à fait caractéristique et reflète le schéma des
Lumières grecques et de sa culture livresque tel que nous le connaissons
depuis les travaux de Constantin Dimaras et que Philippe Iliou l’a ensuite
enrichi et diversifié. Que ce soit en vue d’une utilisation à des fins
d’enseignement ou pour les besoins d’une vulgarisation de haut niveau,
les nouvelles curiosités et les nouveaux besoins donnent le ton : histoire
et géographie, ancienne et moderne, grecque et mondiale, philosophie et
sciences – physique, chimie, mathématiques, médecine –, connaissance de
l’Antiquité dans tous les domaines, de la mythologie et de l’archéologie, des
éditions et des traductions des classiques anciens jusqu’à la reconstruction
littéraire du monde ancien (les quatre tentatives de traduction du Voyage
du jeune Anacharsis de l’abbé Barthélemy sont indicatives à cet égard),
aux dictionnaires de la langue grecque et aux questions linguistiques, mais
aussi les manuels et dictionnaires de langues européennes, les manuels de
commerce et de marine, les manuels de bienséance, la littérature originale
ou traduite. Et là où la religion domine, il s’agit principalement des pères de
l’Église classiques. En tout cas, un tiers des titres finalement publiés et la
moitié des projets inachevés sont des traductions, dans leur majorité depuis
le français, accessoirement depuis l’allemand.
Cet afflux de traductions, on essaie d’ailleurs de le rationaliser : on
annonce donc son intention de réaliser une traduction, afin d’éviter le
double emploi inutile et d’économiser les forces. On cherche à coordonner
ainsi les énergies dans toutes les activités de ce genre : le cas des œuvres
complètes de Jean Chrysostome est caractéristique, où les cercles savants
de Jassi et de Constantinople se regroupent pour mener à terme ce projet
de longue haleine, où Jassi recule (contraint et forcé) au profit de la Ville
reine et où, finalement, l’ouvrage n’aboutit pas. Il convient de noter que
même à l’aune européenne, les œuvres complètes de Jean Chrysostome
étaient une charge extrêmement lourde. L’édition d’Henry Savile (Eton,
1610–1612) fut imprimée à frais d’auteur au collège, parce que les éditeurs
commerciaux la refusèrent, et l’édition parisienne de Dom Bernard de
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Montfaucon (1718–1738) figure parmi les premières qui circulèrent en
France grâce au procédé de la souscription10.
Pour ce qui est des journaux et de la presse périodique, le plus
emblématique étant le Journal des frères Poulios et le Mercure Savant,
ils prônent l’information rapide et correcte en une époque de changements
cosmohistoriques. Des changements marqués par la Révolution française
et par les guerres napoléoniennes et pour lesquel