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Nous vous proposons un plan très détaillé dans lequel vous devez rajouter
des exemples en fonction de votre expérience personnelle et à partir duquel
vous pouvez vous exercer à rédiger quelques parties du devoir.
Introduction
Amorce : Il est difficile de définir la poésie, son rôle et ses fonctions : les
définitions en sont disparates et souvent contradictoires, notamment quant
au rapport de la poésie avec le réel.
Pour certains, la poésie doit se rapprocher de la réalité ; pour d’autres, elle
doit plutôt faire rêver, grâce au pouvoir de l’imagination. Deux attitudes
apparemment inconciliables et pourtant complémentaires.
Problématique : Quelle est la fonction de la poésie ?
Annonce du plan : La poésie permet, à l’auteur comme au lecteur,
d’échapper à la réalité par l’intermédiaire d’étonnantes prouesses du
langage et de l’imagination, mais elle ne s’en écarte pas forcément. Au
contraire, elle la dévoile et en perce les mystères.
I. Intérêt de la poésie qui se rapproche du réel
La poésie nous aide à nous rapprocher du monde réel, à le redécouvrir, à
l’aimer. Un poète latin, Horace, disait que la poésie est une « peinture ».
1. Intérêt de la poésie qui est attentive à la réalité qui l’entoure
• Parfois réaliste : la vie dans toute dans sa crudité.
Exemples :
– Villon, « La Ballade des pendus » : « plus becquetés d’oiseaux que dés à
coudre », « la pluie nous a débués et lavés ».
– Ronsard, « Quand vous serez bien vieille… » : réalisme macabre de ses
Derniers vers.
– Poésie de jeunesse de Rimbaud, « Vénus Anadyomène » ; Baudelaire,
« Une charogne ».
• Parfois plus poétique.
Exemple : poésie de la vie quotidienne dans sa simplicité : Hugo, « Fenêtres
ouvertes ».
• Et que le poète s’efforce de rendre dans toute sa plénitude.
Poésie des objets, des choses mêmes de la vie. Après le surréalisme qui
dédaigne le réel dans sa forme immédiate, retour aux choses de la vie et
peut-être tout particulièrement chez des poètes qui ont précisément été
marqués par le surréalisme.
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Exemples :
– Francis Ponge, le Parti pris des choses.
– René-Guy Cadou, « La maison du poète… ».
– Pierre Reverdy : « Considérer toutes choses comme inconnues et […] se
promener ou […] s’étendre sous bois ou sur l’herbe, et […] reprendre tout
au début. »
2. Intérêt de la poésie qui est attentive aux difficultés
de la réalité sociale et politique du monde
Intérêt d’une poésie qui cherche à agir sur le réel, à l’améliorer : la poésie
engagée.
• Le poète veut nous faire prendre conscience de la réalité sociopolitique
du monde, dont il veut nous rapprocher par ses textes. Son but est alors de
faire que les lendemains soient meilleurs, car la poésie est une « arme
chargée de futur » ( Gabriel Celaya).
Exemples :
– Les difficultés de la vie : Eugène Guillevic, « La vie augmente ».
– La poésie de la liberté de Hugo : « Melancholia », sur le travail des enfants
au XIXe siècle.
– Les Châtiments de Hugo, qui fustigent Napoléon III et dénoncent son
« crime » contre la République.
– L’Année terrible, du même Hugo, contre l’analphabétisme.
– Les poètes résistants : Robert Desnos, « L’honneur des poètes » ; Paul
Eluard : « Liberté » ; etc.
3. Intérêt de la poésie qui permet de « mieux percevoir le réel,
qui « dévoile », fait voir les choses pour la première fois
• Le poète fait comprendre et voir comme pour la première fois une réalité
habituelle.
La poésie montre « nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses
surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient
machinalement » (Cocteau, Le Secret professionnel). Comment ? En les
mettant dans un autre contexte.
• La poésie fait découvrir les liens secrets qui existent entre tous les éléments du réel.
Réalité des comparants dans les comparaisons. Ici, rapprocher des réalités
pour en créer une autre : Apollinaire, « Bergère ô Tour Eiffel/Le troupeau des
ponts bêle ».
• Le poète, créateur, ne crée pas à partir de rien, mais il combine, transfigure, transforme les éléments du réel par « une violence faite au langage ».
– Exemple : Francis Ponge, dans Le Parti pris des choses, tisse des liens
étranges entre les petites choses du quotidien (« L’Huître », « le Pain »…) et
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les vastes univers de l’espace et de la nature par l’intermédiaire de comparaisons et de métaphores surprenantes.
• Le poète « voyant », « traducteur, déchiffreur », montre la réalité
profonde.
La poésie, parce que le poète est « voyant », permet au lecteur de se rapprocher de la réalité en lui faisant deviner le monde insoupçonné qui se
cache derrière le mur de la rationalité. Un mode de connaissance plus
approfondie du monde.
– Exemples : la poésie symboliste ; Baudelaire qui, à son tour, dans
« Élévation » :
– dit clairement qu’il faut parvenir à comprendre « Le langage des fleurs et
des choses muettes » ;
– met en pratique ce principe dans « Correspondances » où un dialogue de
regards et de sons adoucis s’instaure entre l’homme et la nature. Le lecteur
peut ainsi se rapprocher de la réalité de manière peu habituelle et dialoguer
avec les éléments qui la composent.
4. Intérêt de la poésie qui fait sortir la réalité profonde de celui…
• … qui écrit.
Elle permet de saisir la réalité des émotions. En effet, en poésie le « je » :
– transparaît, surtout dans la poésie lyrique (grâce aux images choisies, par
exemple) ;
– et se trahit : rapport entre poésie et inconscient.
Exemple du surréalisme : réalité des forces du rêve, de celles de l’inconscient qui se libèrent.
• … qui lit.
La peinture intime du poète permet au lecteur de s’identifier aux paroles
prononcées et de comprendre ses plus grands soucis ou ses plus fortes
émotions. Le poète nous révèle à nous-mêmes.
– Exemples : « Insensé qui crois que je ne suis pas toi », Hugo ; « Hypocrite
lecteur, mon semblable, mon frère », Baudelaire.
Le poète et donc la poésie ont le pouvoir merveilleux de révéler des émotions et des sentiments nouveaux qui permettent au lecteur de se
rapprocher de leur réalité propre, c’est-à-dire de soi-même.
Intérêt de faire comprendre l’amour, l’angoisse de la mort, de la fuite du
temps…
5. Intérêt de la poésie qui redonne leur réalité aux mots
et par là se rapproche du réel
• Le poète redonne aux mots leur réalité d’origine (cf. leur « vrai sens ») ou
exploite la multiplicité de leurs sens. En poésie le mot ne recouvre pas une
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réalité, mais toutes ses réalités, tous ses possibles. Sartre, à propos de la
poésie :
« [La poésie] ne se sert pas des mots comme la prose ; et même elle ne
s’en sert pas du tout ; je dirais plutôt qu’elle les sert. […] Et comme le poète
n’utilise pas le mot, il ne choisit pas entre des acceptions diverses et
chacune d’elles […] se fond sous ses yeux avec les autres acceptions […].
Florence est ville et fleur et femme, elle est ville-fleur et ville-femme et fillefleur tout à la fois. » (Qu’est-ce que la littérature ?)
II. Intérêt de la poésie qui nous éloigne du réel,
qui nous fait rêver et imaginer
1. Parce que le poète et la poésie ont par nature à voir avec le
rêve
• L’image du poète elle-même va dans ce sens.
Dire de quelqu’un : c’est un « poète », le désigne d’emblée comme un
rêveur, qui n’a pas les pieds sur terre, pas de sens pratique. Charles Cros
dans « Sonnet » fait son autoportrait, celui d’un individu décalé : « Moi, je vis
la vie à côté ».
Image qu’on retrouve à des degrés divers dans des jugements plus
littéraires :
– « Le poète est chose légère, ailée », Platon.
– Hugo, vision plus noble ; cependant il décrit le poète comme un « rêveur
sacré », « homme des utopies », entre rêve et réalité, « les pieds ici, les yeux
ailleurs » (Les Rayons et les Ombres).
• La poésie parle du monde du rêve, des émotions, de l’indicible, de ce qui
nous touche obscurément, dont nous n’avons pas de connaissance claire.
La réalité semble étrangère aux thèmes traités par la poésie : mysticisme,
rêve, idéal, grandeur, beauté, désir d’évasion vers des destinations exotiques ou vers un monde de beauté idéale.
2. Parce qu’elle permet d’oublier le réel : l’évasion
La poésie permet de se « purifier », de « s’élancer vers les champs lumineux et sereins », de fuir loin de la réalité (« Élévation », Baudelaire).
• Elle permet de s’éloigner d’un lieu bien réel qui n’apporte que tristesse :
poésie de l’exil, de la nostalgie. Exemples :
– « Heureux qui comme Ulysse » : Du Bellay se sent comme un étranger
dans la Rome de la Renaissance et regrette sa Touraine natale ;
– « Jardins de France » de Léopold Sédar Senghor : tristesse d’un Africain
qui, en France, se souvient de la véhémence de son pays ;
– « Images à Crusoé », où Saint John Perse prête à Robinson Crusoé,
revenu en Angleterre, le regret que lui-même éprouve des rivages tropicaux.
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• Elle permet de s’éloigner d’une situation personnelle douloureuse, en la
disant et en la sublimant. Exemples :
– amour malheureux : « Poèmes à Lou » (Apollinaire) ;
– perte d’un être cher : « Demain dès l’aube » (Hugo), « Notre vie » (Eluard) ;
– perte de l’inspiration, doute sur ses talents créateurs : « La cloche fêlée »
(Baudelaire).
• Elle permet de s’éloigner d’un monde hostile, de la nature et de la condition humaine qui provoque la crainte, le rejet du poète. S’éloigner du monde
et de sa réalité malsaine, des vices des hommes, des siens propres et aspiration à le quitter.
Exemples : Baudelaire, déchiré entre le spleen et l’aspiration à l’idéal dans
« Élévation » : « Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides », « Cette vie
est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit »
(« Anywhere out of the world », Le Spleen de Paris).
Face à la dureté de la réalité, la poésie introduit le rêve et permet à la
pensée de fuir.
Exemples : chez Baudelaire, essai d’évasion hors du monde :
– sur le mode serein : « Invitation au voyage » ;
– sur le mode sensuel : « Parfum exotique » ;
– sur le mode philosophique, mystique : « Élévation ».
3. Parce qu’elle fait voyager et crée des univers nouveaux
• Par l’évocation, la résurrection poétique d’autres mondes, d’autres
époques pour fuir une réalité qui dégoûte, que le poète méprise.
Exemples : celle de la ville moderne au XIXe siècle, par exemple pour les
poètes parnassiens (Leconte de Lisle, « Le Cœur d’Hialmar », « Le Rêve du
jaguar », Poèmes barbares ; Heredia, « Les Conquérants », Les Trophées).
Évocation des civilisations antiques, des civilisations barbares. En somme,
remplacer une réalité triste et morne par une autre selon son cœur.
• Par la recréation du monde ou la création d’un monde nouveau pour fuir
la logique de la réalité. La poésie a le pouvoir de s’échapper de la réalité
parce qu’elle peut recréer le monde ou créer un monde nouveau : le mot
grec poiein signifie « créer », et tous les poètes répondent à cette étymologie du mot.
– L’invention d’un autre monde, parfois féerique.
Exemples : les auteurs baroques du XVIIe siècle : Théophile de Viau, « Un
corbeau croasse » ; les poètes symbolistes comme Rimbaud : « J’ai
marché, réveillant les haleines vives et tièdes » (« Aube », Les Illuminations) ;
les surréalistes du XXe siècle. Ces derniers substituent à notre vision logique
ou routinière une nouvelle optique par des images insolites, des ellipses qui
disloquent le réel : « Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical » ( « L’Union
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libre », André Breton) ; « Bergère, ô Tour Eiffel / Le troupeau des ponts
bêle » (« Zone », Apollinaire) ; « La terre est bleue comme une orange »
(L’Amour, la poésie, Paul Eluard).
– Par l’humour et la fantaisie.
Exemples : Prévert dans « Pour faire le portrait d’un oiseau » (Paroles)
invente un monde de tous les possibles, un monde où un oiseau peut venir
s’installer – et chanter – dans une cage dessinée sur une feuille de papier.
Bizarrerie des énumérations qui établissent des rapprochements
inattendus comme dans « Inventaire » (Ibid.) où la présence saugrenue de
« raton[s] laveur[s] » finit par paraître l’élément le plus logique et le plus prévisible dans un bric-à-brac généré par une suite de coq-à-l’âne et de
calembours.
Finalement, la seule réalité, ce sont le poème et le poète.
4. Parce que la poésie crée un nouveau langage :
fuir la « réalité » des mots, le sens habituel donné au langage
• « Poète est celui-là qui rompt avec l’accoutumance », Saint John Perse ;
« La création poétique est d’abord une violence faite au langage. Son
premier acte est de déraciner les mots », Octavio Paz.
• Refus des règles ordinaires de l’expression quotidienne, détournement
des lois du langage quotidien.
Exemples : étrangeté des métaphores symbolistes, de la langue inventée
par Rimbaud.
• Caractère ludique de la poésie et invention verbale.
Exemple des surréalistes : Max Jacob, Desnos, Obaldia.
• Des mots nouveaux : un « petit poème » passe et voici Queneau qui, par
des néologismes équivoques, l’« enpapouète », l’« enrime », l’« enrythme »,
l’« enlyre », l’« enpégase » ( « L’Instant fatal », Pour un art poétique).
Conclusion
Mais peut-on choisir ? Ne peut-on pas dépasser cette alternative (poésie liée
au réel / poésie ouvrant sur l’imaginaire) ? En effet, l’imaginaire et surtout le
rêve relèvent du quotidien du lecteur et le plus souvent s’en inspirent (cf.
Queneau : « En cas d’arrêt même prolongé »). En même temps, à travers
l’imaginaire ou le rêve, la poésie peut exprimer des pulsions inconscientes,
sous-jacentes dans la vie réelle. L’imaginaire permet même de dévoiler le réel.
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