PRESELECTION CONCOURS CAMPER

Transcription

PRESELECTION CONCOURS CAMPER
PRESELECTION CONCOURS CAMPER
Le centre
Cath
Le marché, une femme enceinte, c’est courant, le lot commun et pourtant, et pourtant… Elle
marche dans la rue, le monde est habité. Elle arrive au marché, le monde est vivifié. Elle
choisit des fruits, abricots, cerises, lumière. Elle avance entre les étals, elle balance son panier.
Elle touche des pêches, soupèse les melons et choisit du fromage frais, du basilic, des tomates,
des olives. Donner à l’enfant le goût précis du soleil. Autour d’elle, des fleurs juste coupées,
des poissons sortis de l’eau, des foulards, des fontaines, des voix, des oiseaux et le
mouvement des robes autour des tréteaux. Elle avance entre les bonimenteurs, la joie
l’occupe. Le monde, que peut-il contenir de plus ? Elle s’assoit sur un banc. Elle prend une
place tellement exacte qu’il n’y a aucun autre point où se trouver. C’est le centre. Fraîcheur
profonde et bleue si pure que l’âme se pose.
1
Le dit du gabian
Mdedo
chaque nuit ma blancheur adossée à la ténèbre
adossée à elle à chaque nuit et moi qui ne le sais pas et qui plane dans l’ignorance d’elle
la ville toute entière entre mes ailes immenses
tous les toits de la ville
et ses hommes endormis apaisés finalement de leurs guerres incessantes saisis dans la douceur
d’un rêve au-dessous de mon ventre éclatant de blancheur sous le voile symétrique de mes
ailes immobiles tous ces corps nus et lisses et doux
dans la caresse nocturne et le vent
qui me porte
ventre offert à la nuit
2
Descendre Broadway
MMC
Broadway. Vers Lower Manhattan. Je voulais voir l’Ambrose, amarré devant le Woolworth.
C’était tout droit. Juste suivre les gens. Toutes les couleurs de peau, ils avaient, sauf bleu et
vert. J’avais dépassé Soho, longeais les brownstones, leurs escaliers métalliques. Envie de les
descendre en courant, comme les cops dans les films de gangsters. Mais j’avais les pieds
rissolés, des rats déchaînés sous les lombaires. Un grand type en baggy, tatoué de partout, me
dépassa, fit volte face, sortit une lame qu’il me pointa sur le plexus. Ses yeux brillaient jaunes,
une canine manquait. Il aboya quelque chose. « Dernier billet, marche salope.» Sens incertain
mais explication inopportune. Je lui filai mes dollars, pressai le pas. Je voulais voir
l’Ambrose.
3
Rimes phocéennes
Pierreju
Y a des rimes qui claquent et des rimes qui rament. Le soleil s’en tape, il se fait la malle.
Comme tous les jours, il part en balade, là-bas de l’autre côté, où la nuit périt.
Y a des canaux qui fuient et des ports qui se bouchent. Ce soir encore, la sardine a fait
mouche. À Marseille, dans les rues, les abeilles bien foutues ont beau s'emmieler les
pinceaux, quand l'OM est champion, l'homme ne pense que ballon. La liesse est partout, les
chiens n'ont plus de colliers. La Joliette s'amourache de la Belle de mai.
Y a le Vieux-Port qui couine, Notre Dame qui tinte. Y a Elvis le King écrit sur une goélette.
Y a le jour qui se barre, le réverbère qui attend, y a le banc là pour voir le soleil foutre le
camp.
Y a la délectation du début de la nuit, le goût profond pour la fin de l’ennui.
Y a la liberté plus loin, regarde bien.
4
La fille immobile dans la ville
Overtherainbow
Je suis la fille immobile.
Je m'éparpille. Je suis la fille immobile qui s'éparpille. Je suis la fille qui s'écarpille. Je suis
immobile et je m'écarquille. Je suis la fille immobile prise dans ses fils.
Trop de fils.
Fatiguée de tirer.
Trop tiré.
En rêve je m'évadille.
Je suis la fille immobile éparpillée écarpillée écarquillée évadillée emmêlée.
Une fille qui file dans la ville.
Un pas deux pas trois pas. Je claque des dents. Mes genoux vacillent. A chaque pas une vrille.
A chaque pas la fille affranchir. A chaque pas un désir assouvir.
Un pas deux pas trois pas je marche et je vrille.
Un pas deux pas trois pas je traverse la ville.
Un pas deux pas trois pas je ramasse les fossiles.
Des pas de géant.
A chaque pas une autre ville.
A chaque pas une autre vrille.
A chaque pas un nouveau désir.
La ville s’éveille. La fille a filé.
5
Un soleil dans la pluie
Vern
Pluie battante dans la nuit, Paris sent le pavé. Métro qui ferme, taxis qui filent… Le faisceau
jaune et froid des phares éclaire les gouttes drues. Les boutiques ont baissé le rideau depuis
longtemps, quelques talons résonnent sur le trottoir. De ton appartement à mon appartement,
après l’amour, j’inspire les rues faussement vides, parcourues d’ombres grises et
frissonnantes. Corps vagues, courses giclant dans l’averse, l’eau envahit tous les sens. Une
rigole se forme entre le rebord du chapeau et le col bien relevé du manteau. Dans la douceur
de cette larme, visage levé vers une lune invisible, je m’offre à l’ondée qui s’épuise. Un
klaxon jaillit tout près, les yeux se rouvrent, lavés de tout. Un Noctambus passe, rectangle
lumineux qui éclabousse. A l’intérieur, un vieil homme dessine sur la buée de la vitre ; sa face
souriante apparaît dans le cercle d’un soleil enfantin.
6
Recalé
Polo
Près du Grand Palais, l'impression de ne rien savoir se réveillait. Il avait passé là les épreuves
de l'agrégation, échoué à l'oral, et les avenues Winston Churchill et Franklin Roosevelt, qui
jouxtaient l'édifice, gardaient depuis ce temps l'aspect réprobateur d'un jury suffisant, bien
dans ses baskets et le mettant à mal. Il serait à jamais, sous les marronniers somptueux, le
candidat défait. L'ampleur de l'échec n'avait d'égale que l'emphase du Pont Alexandre III, des
coupoles, et des chevaux piaffant sur le toit. Mais un jour il avait changé de regard.
Contemplé dans le demi-jour des salles, au Petit Palais, des estampes japonaises. L'une d'elle
montrait un ermite joueur de flûte voguant sur une jonque au pied de falaises, et dehors, les
avenues avaient aussitôt changé de ton. Elles étaient devenues le lit d'une eau invisible où
dériver sans but se concevait.
7
Dis-moi où tu vas je te dirai qui tu es
Zab
Où tu vas ?
Elle est jeune et erre, perdue, dans une ville étrangère. N’importe quelle ville de n’importe
quelle île, de n’importe quel pays, sur n’importe quel continent.
Peut-être même s’agit-il d’un pays intime, intérieur, secret.
Des passants passent sans la voir. Et elle ne voit pas les passants.
A cause des questions muettes qui voilent son regard, peut-être.
Pourtant un vieillard s’approche :
- Que cherches-tu, jeune étrangère ?
- Rien, murmure-t-elle en détournant son regard.
Et la jeune fille reprend le rythme lent des pas qui la portent, flottant dans la foule.
Le vieillard insiste :
- Mais si, chuchote-t-il, je vois dans tes yeux que tu es perdue. Tu cherches ton chemin ?
- Précisément, répondit-elle.
- Et où veux-tu aller ? Je connais bien la ville, je peux peut-être t’aider ?
- Non, c'est inutile, ce que je cherche, c’est mon chemin. Qui d’autre que moi peut le trouver?
8
Vélib
Julion
Quand elle filait en Vélib, elle ne pouvait s’empêcher de penser à l’odeur d’Emmanuel place
d’Italie. Elle imaginait Martin près de la Bastille. En longeant la Seine, elle se souvenait de
Georges, qui avait été son premier amant. Près du musée Carnavalet, elle se sentait embrassée
par William.
Près du Panthéon, elle retrouvait Claude, sa bête velue. A Montparnasse, c’était tout mélangé
de visages d’amis. Près de l’étoile, elle avait abandonné son cœur, un jour.
Elle aurait ainsi pu planter sur une carte de Paris une multitude de petits drapeaux marqués
chacun d’un prénom. Souvent, elle reconnaissait une rue, souriait, seule sur son vélo, en
pédalant joyeusement. Emilie n’était plus toute jeune, mais encore vaillante, et elle se
demandait parfois si elle aurait encore l’occasion de planter un joli drapeau sur sa carte de
Paris.
9
Istanbul à ses pieds
Gaïa
Escale à Istanbul. Cervicales bloquées, dos cassé, nuque courbée, le commandant R. est cloué
au sol. Le torticolis le tient. Privé de nuages, les ailes coupées, il chausse ses baskets et s’en
va errer dans la capitale des trois empires. Plié en deux, les minarets, les visages, la couleur du
ciel lui échappent. Sa vision s’arrête au bout de ses pieds. La ville n’est que trottoirs et pavés,
jambes bronzées et forêt de lampadaires coupés à mi-hauteur. Il ne voit du soleil que des
flaques de lumière entrecoupées de l’ombre des arbres. Il grimpe une colline, le regard sur ses
lacets, se réfugie dans la fraîcheur d’une voûte. Soudain, il s’arrête. Ses pieds viennent de
marcher dans du rouge. Puis du bleu, un vert tendre, un jaune d’or. Le vitrail de l’ancienne
église dessine ses volutes sur le cuir de ses chaussures. La magie de la ville s’est mise à sa
hauteur.
10
Ce que pèse l’ennui
Isabeau
Dans les rues d’Istanbul, on rencontre des vendeurs de poids: il s’agit d’hommes assis par
terre, avec un pèse personne posé devant eux. On paye, et puis on se pèse, comme ça, dans la
rue. Je me suis demandé d’où venait cette pratique. Je n’avais personne à qui poser la
question. Tous ces gens pesaient-ils le poids de leurs péchés quotidiens ? Je me suis dit
qu’une personne un peu folle ou qui s’ennuierait pourrait décider de traverser la ville en allant
de pesée en pesée. Peut-être qu’on pourrait même traverser ainsi toute la Turquie ? On saurait
alors ce que pèsent l’ennui et la folie.
11
Rue Sainte-Catherine
Fanny
Du haut de la rue Sainte-Catherine, le regard file tout droit sur plus d’un kilomètre, on
comprend ce qu’est une rue noire de monde. On y plonge, on se mélange, c’est un défilé de
prêt à porter, on se sape, on se montre rue Sainte Catherine le samedi après midi comme on se
montrait naguère au théâtre. On se croise, on se heurte, on attrape peu de regards, on n’a pas
le temps, il faut choisir : regarder ou être regardé, Les yeux volent au-dessus de la foule.
Quelquefois on s’aperçoit, on se plaît, on s’arrête, on s’est reconnu, on se parle, on est
bousculé, on dit pardon ou merde, on est pris, on ne peut plus sortir du flot, seule échappatoire
à droite ou à gauche entrer dans une boutique. Voilà le piège, le couloir qui mène aux arènes :
il faut entrer faire un tour dans les magasins comme le remous de l’eau autour de la pile du
pont, acheter et repartir dans le courant.
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