le moyen age en mediterranee

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le moyen age en mediterranee
Histoire-géographie :
Histoire médiévale
Fiche de synthèse
LE MOYEN AGE EN MEDITERRANEE
Introduction et rappel historique
Cette partie du programme est quelque floue du point de vue chronologique (le Moyen
Âge, est une période de plusieurs siècles).
Elle en revanche parfaitement explicite au plan géographique – l’espace méditerranéen.
Or, si la Méditerranée fut le centre de nombreuses civilisations antiques (Égyptiens, Hébreux,
Grecs, Romains), elle est aussi le témoin de l’évolution des rapports entre trois grandes
civilisations médiévales : les chrétiens d’Occident, les chrétiens d’Orient et le monde
musulman. Il convient dès lors de localiser et de présenter ces espaces.
L’Occident chrétien s’étend de l’Atlantique à l’Europe centrale. L’univers occidental ne
connaît pas d’unité politique : il est morcelé en différents États (royaume des Francs,
d’Angleterre, Castille,…) construits sur les ruines de l’Empire romain puis de l’Empire
carolingien. En conséquence, son homogénéité tient davantage à des facteurs religieux, en
l’occurrence le christianisme romain c'est-à-dire soumis à l’autorité du pape. Dès lors, nous
voyons bien qu’il existe une ligne de fracture au sein de la chrétienté (ici matérialisée par la
ligne rouge) : l’est de l’Europe est soumis à l’influence d’une autre forme de christianisme,
l’orthodoxie. Or, cette religion est indissociable d’un État : l’empire byzantin. Aussi doit-on
tenter de comprendre l’origine de cette division. L’ensemble de cet espace était dans
l’Antiquité soumis à l’influence de l’empire romain. Mais son immensité géographique rendait
problématique les efforts nécessaires à la protection du territoire face à de multiples tentatives
d’invasions (lenteur des communications et des troupes). C’est ainsi que l’empereur
Théodose décida en 395 de diviser l’empire romain en deux entités distinctes : à l’ouest
l’Empire romain d’Occident (Rome est sa capitale), à l’est l’empire romain d’Orient
(Constantinople 1 capitale). Les deux Etats, bien que frères, vivent ainsi des existences
distinctes, et se développent en leur sein des modes de vie, des croyances et des pratiques
qui tendent à s’individualiser : c’est notamment le cas dans le domaine religieux. Or, en 476,
le chef barbare Odoacre triomphe du dernier empereur romain d’Occident, Romulus
Augustule : c’est ainsi la fin du monde romain en Europe occidentale, auquel succèdent des
royaumes barbares (Francs, Goths, Wisigoths,…). Ne subsiste plus alors que l’empire romain
d’Orient, que l’on appelle à partir de ce moment « byzantin ». Résumons : le christianisme
orthodoxe est en grande partie lié au destin et au rayonnement d’un Etat – l’empire byzantin –
et il se distingue par de multiples aspects spirituels, rituels et politiques du christianisme
d’Occident ; nous y reviendrons. Enfin, l’espace méditerranéen médiéval comprend en ses
parties sud, sud-ouest et est une troisième civilisation, l’Islam, qui est une entité politique,
culturelle et religieuse fondamentalement distincte (voir fiche sur l’Islam) des deux
1
: Constantinople est érigée en 330 par l’empereur romain Constantin sur les ruines de Byzance. Elle prend enfin
le nom d’Istanbul après l’invasion turque de 1453.
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1
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précédentes. La Méditerranée présente le double intérêt d’être un espace de dimension
modeste et quasiment clos ; il favorise par ces deux aspects les échanges entre les diverses
civilisations qui l’entourent. Nous examinerons donc les rapports qu’entretiennent chrétiens
d’Occident, chrétiens orthodoxes et musulmans au Moyen Age, et plus particulièrement
autour du XIIè siècle, période riche en événements. Nous évoquerons au préalable la situation
de chaque entité au cœur de ce moment.
I. La Méditerranée, carrefour de trois mondes.
L’expansion de l’Occident chrétien
L’ « expansion » ne désigne pas encore ici une réalité territoriale, mais l’ensemble des
progrès accomplis en Occident :
Le climat :
Il est a priori favorable entre environ 900 et 1300 favorise l’abondance des récoltes et le recul
des famines. L’on estime ainsi que la population européenne aurait doublé entre 1050 et
1250.
Les progrès techniques
L’usage d’un certain nombre d’entre eux, tels que le moulin hydraulique, se généralise entre
les XIè et XIIè siècles. Or, si ces améliorations concernent d’abord le monde rural, la
croissance agricole nourrit à son tour l’activité urbaine. C’est ainsi que les foires (citons
Beaucaire, mais surtout les foires de Champagne) mettent en relations marchands et produits
de l’ensemble de l’Europe.
La vitalité religieuse
Le pape Grégoire VII (1073-1085) réforme la vie des ecclésiastiques : le mariage des prêtres
est interdit. Cette mesure vise à rendre le clergé exemplaire, et par là même à accroître son
autorité. Du reste, la particularité de l’institution consiste bien à faire valoir une morale qui
s’impose à tous, laïcs et clercs. C’est cette même logique qui prévalait encore à travers les
mouvements de paix de Dieu et de trêve de Dieu au début du XIè siècle. Par ces serments en
effet, les gens d’armes – chevaliers essentiellement – s’engagent devant des clercs à faire un
usage modéré de la violence : par la paix de Dieu, il s’agit de ne pas s’attaquer à des
individus vulnérables (femmes, paysans, prêtres), alors que la trêve de Dieu impose un
rythme de combats. Prenons cet exemple de décision prise vers 1063 par l’évêque de
Thérouanne : « Que ni homme, ni femme n’en attaque un autre, ni n’attaque un château ou
un village, du mercredi au coucher du soleil au lundi à l’aurore » 2. Ces mesures témoignent
de la volonté de l’Eglise de s’imposer comme une institution régulatrice des rapports sociaux
dans un univers où la force publique manque encore d’autorité. Elle valorise pour cela l’idéal
2
: Décision de l’évêque de Thérouanne en accord avec le comte de Flandre, vers 1063 ; in Histoire Géographie
5ème, Paris, Hatier, 1998.
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2
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chevaleresque en le substituant à la violence gratuite. Pour y parvenir, l’Eglise dispose d’une
arme redoutable : la promesse du paradis, et son corollaire, la menace de l’enfer. C’est le
sens explicite de cette mise en garde de l’évêque de Thérouanne : « Que si quelqu’un venait
à enfreindre cette trêve, qu’il soit excommunié et exclu de la chrétienté » 3. Les manifestations
du renouveau chrétien ne s’arrêtent pas là : construction d’églises dans les moindres villages,
d’imposantes cathédrales dans les villes (architecture romane au XIIè siècle), vitalité du
monachisme sous l’influence des ordres de Cluny et de Cîteaux, popularité des grands
pèlerinages 4, sont autant de signes qui témoignent de l’efficacité renouvelée du clergé et de
l’intensité de la foi.
Les difficultés de l’empire byzantin
L’empire byzantin, continuité de l’empire romain (voir introduction), est une théocratie 5 dans
laquelle l’empereur (basileus) détient tous les pouvoirs. Se voulant le représentant de Dieu
parmi les hommes, il est investi d’une immense autorité. Ainsi, lorsqu’un ambassadeur
étranger lui rend visite, il doit se prosterner à plusieurs reprises devant le basileus et ne peut
s’adresser à lui que par un intermédiaire. Une atmosphère de mystère (son trône s’élève sous
l’effet d’une machinerie !) et un luxe impressionnant l’entourent. Si nous avons déjà identifié
l’origine de l’Etat byzantin, il nous reste à évoquer ses spécificités religieuses – le
christianisme orthodoxe. Attachée à son prestige, indissociable de la figure impériale, et à ses
traditions, l’Église byzantine considère en effet avec méfiance l’évolution de l’Eglise
occidentale et répugne à se soumettre à l’autorité du pape. Par ailleurs, son évolution
autonome lui a permis de se structurer autour de pratiques et de fondements propres :
Christianisme
occidental :
catholicisme romain
Christianisme
orthodoxie
Langue liturgique
Les cérémonies se déroulent
en latin.
Les cérémonies se déroulent
en grec.
Lieu de culte
Église en croix latine :
longueur inégale des bras de
la croix.
Église en croix grecque :
quatre
bras
de
même
longueur.
Clergé
Le
pape,
c'est-à-dire
l’évêque de Rome, dirige
l’Église. Tous les clercs sont
célibataires
Le
patriarche
de
Constantinople dirige l’Église
orthodoxe.
Les
prêtres
peuvent se marier.
Le pape cherche à affirmer
sa primauté sur le pouvoir
politique : voir paix de Dieu
L’Empire byzantin est une
théocratie : la suprématie de
l’empereur (qui nomme le
patriarche
de
Lien
avec
politique
l’autorité
oriental :
3
: Idem.
: Les principales destinations sont Jérusalem, Rome et Saint-Jacques de Compostelle.
5
: Du grec theos (Dieu) et kratos (souveraineté) : dans une théocratie, le pouvoir est exercé soit par des religieux,
soit par un souverain considéré comme le représentant de Dieu sur terre. La loi religieuse et la loi civile ont ainsi
tendance à se confondre.
4
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3
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Images saintes
et trêve de Dieu.
Constantinople) ne peut donc
être discutée.
Les images sont présentes,
mais elles n’ont qu’un
caractère illustratif et ne font
pas
l’objet
d’un
culte
quelconque.
Vénération des icônes.
Ces caractéristiques sont, pour les deux dernières d’entre elles surtout, révélatrices de
profondes différences. C’est particulièrement vrai pour le culte des icônes, qui revêt une
dimension majeure dans le christianisme orthodoxe, comme l’indique le concile de Nicée II en
787 : « Il faut réserver aux icônes, en les embrassant, une vénération respectueuse et
accomplir la prosternation. Il faut leur apporter de l’encens et des lumières car l’honneur que
l’on rend à l’image est destiné à son modèle original ». Le culte est ainsi justifié : la valeur de
l’image équivaut à celle du modèle. La rupture entre les deux christianismes prend un
caractère officiel par le Grand Schisme de 1054. Néanmoins, il conviendrait de voir dans cet
événement un divorce plus qu’un schisme pour deux raisons principales :- d’une part parce
que les crises antérieures sont nombreuses et intenses (précisément sur la question des
icônes),- d’autre part parce que les relations entre la papauté et le patriarcat de
Constantinople ne s’interrompent pas après 1054.
En somme, le Grand Schisme s’apparente davantage à la confirmation des divergences entre
chrétiens qu’à leur point de départ. N’oublions pas enfin la dimension éminemment politique
du divorce : puisque le basileus – souverain absolu – et le patriarche de Constantinople ne
sauraient être subordonnés à Rome, le Grand Schisme est une manifestation supplémentaire
de leur émancipation. Pour autant, la quête de puissance de l’empire byzantin est loin d’être
satisfaite au seuil du XIIè siècle. En dépit de l’éclat des monuments de Constantinople et de
l’autorité de l’empereur, le monde byzantin connaît en effet de grandes difficultés : la
population décroît (grande peste de 1053-1054, faibles rendements agricoles) et les revers
militaires se multiplient. Incapable de faire face à un nouvel assaut turc, l’empereur Alexis
Comnène doit renoncer à son prestige en demandant le secours des chevaliers occidentaux :
nous sommes alors en 1095, et sa requête précipite le déclenchement des croisades.
L’Islam : un monde morcelé
Le monde musulman est la troisième civilisation qui borde les rives de la Méditerranée au
Moyen Age. Après une expansion territoriale fulgurante 6 qui l’a vu s’extraire de son foyer
arabe pour se développer de l’Atlantique à l’Indus, l’Islam traverse une crise profonde. Le
différend porte sur l’attribution du califat, charge essentielle puisqu’elle est l’autorité suprême
dans les domaines politiques et religieux 7. Deux conceptions s’opposent :- le chiisme, pour
lequel le califat revient aux descendants d’Ali, gendre du Prophète Mohammed,- le sunnisme,
qui estime que cette même autorité califale doit être exercée par un descendant direct de
Mohammed.
6
7
: Voir fiche sur l’Islam.
: Le califat est donc aussi une structure théocratique.
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À cela s’ajoutent des différences d’ordre théologique puisque les chiites limitent leurs sources
religieuses au seul Coran, alors que les sunnites s’appuient à la fois sur le Coran et la Sunna
(la tradition, d’où leur nom). Trois principaux califats se partagent ainsi le monde musulman à
partir du Xè siècle : le califat sunnite de Bagdad, le califat chiite du Caire, et le califat sunnite
de Cordoue. Il faut voir dans ce morcellement un incontestable facteur d’appauvrissement
politique. L’espace méditerranéen est donc au Moyen Age partagé en trois entités distinctes
aux plans politiques et religieux. L’Occident chrétien est dans cet ensemble l’univers le plus
dynamique au XIIè siècle, alors que l’empire byzantin peine à maintenir son prestige face à la
fréquence des invasions turques. Enfin, le monde musulman est affecté par sa fragmentation.
Il apporte alors d’examiner la nature des relations qu’entretiennent ces trois univers si proches
géographiquement.
II La Méditerranée, lieu d’affrontements et d’échanges.
Des terrains d’affrontements.
L’Espagne
Chronologiquement, le premier de ces théâtres militaires est l’Espagne où, à partir du XIè
siècle, les royaumes chrétiens du nord se lancent à la Reconquista des terres musulmanes.
Alors que la péninsule ibérique était entièrement musulmane depuis le VIIIè siècle, elle est
divisée en deux parties au XIIè siècle : - au nord, les royaumes chrétiens,- au sud, al-Andalus,
c'est-à-dire les terres soumises à la domination musulmane, où vivent en outre des
communautés juives et chrétiennes – les Mozarabes.
Si la Reconquista est une entreprise longue et délicate, elle connaît un tournant décisif en
1212 : par leur victoire à Las Navas de Tolosa, les chrétiens s’emparent d’une grande partie
de la péninsule et confinent les musulmans en Andalousie8. Ce conflit est d’autant plus
intéressant pour nous que l’Espagne du Moyen Age est dépourvue d’unité politique ; en
conséquence, le moteur de son combat est d’essence religieuse : le christianisme est le
principal vecteur de l’identité ibérique médiévale par opposition à l’Islam. Enfin, le destin de
l’Espagne confirme la présentation que nous avons faite en ce qu’il confirme la supériorité de
l’Occident chrétien sur ses voisins.
Les croisades
Elles constituent bien sûr le conflit le plus marquant de la période. Leur point de départ est
l’appel lancé par le pape Urbain II depuis Clermont en 1095, dans lequel il exhorte les
chrétiens d’Occident à « apporter en hâte à [leurs] frères d’Orient l’aide si souvent promise et
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: Où ils resteront jusqu’en 1492.
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d’une nécessité si pressante ». Cet appel, par son existence même et son contenu, doit
appeler quelques remarques. Il est d’abord nouveau qu’un souverain pontife en appelle à la
guerre, et en particulier à un combat fondé sur des notions spirituelles. Urbain II promet en
effet aux combattants une récompense divine : « Si ceux qui iront là- bas perdent leur vie (…),
leurs péchés seront remis en cette heure ». En d’autres termes, la croisade est la première
guerre sainte chrétienne. Cette promesse est un gage incontestable de la popularité de
l’entreprise, en un temps où l’ensemble de la chrétienté s’inquiète de son salut.
L’argumentation d’Urbain mérite d’être précisée : le pape n’invite pas en effet les chrétiens à
une guerre de conquête, mais à une entreprise de solidarité à l’égard des « frères d’Orient »,
c'est-à-dire des orthodoxes byzantins. En fait, Urbain II ne fait ici que répondre à l’appel de
l’empereur byzantin Alexis Comnène, submergé par l’invasion turque. Il reste à se demander
si le pape a agi pour ce seul motif de solidarité chrétienne. Or, deux motifs au moins laissent
entendre que l’appel à la croisade répond aussi à des intérêts propres au christianisme
occidental :
- par son appel, le pape s’érige d’abord en souverain rassembleur au sein d’un continent
divisé ; il devient alors un acteur temporel efficace,- en outre, la croisade est d’autant plus
utile qu’elle est susceptible de vider l’Occident des gens d’armes qui y sèment le désordre. Or,
nous avons vu que l’Église – en particulier à travers les mouvements de paix de Dieu et de
trêve de Dieu – était en quête d’une moralisation publique d’essence religieuse.
Le détail des opérations militaires nous importe peu ici. Il s'agit de repérer les épisodes les
plus significatifs. La première croisade rencontre un vif succès pour les motifs que nous avons
énoncés. Elle est prêchée par les évêques et un certain nombre de prédicateurs populaires,
comme Pierre l’Ermite. Des milliers de croisés affluent, en quête du paradis, d’aventures,
poussés par le désir de libérer Jérusalem tombée entre les mains des musulmans. La ville
sainte est d’ailleurs prise par les chrétiens en 1099. Les croisés fondent alors quatre « Etats
chrétiens d’Orient » : Jérusalem, Antioche, Edesse et Tripoli. Cette enclave chrétienne en
terre musulmane forme une véritable barrière au sein de l’espace méditerranéen. Symbole
théorique de la puissance chrétienne occidentale, elle est néanmoins fragilisée par sa
faiblesse démographique, ce qui en fait une proie constante d’assauts musulmans : les
croisades se poursuivent donc. Toutefois, les musulmans reprennent l’initiative, en particulier
sous l’impulsion de Saladin (1147-1193) ; Jérusalem est ainsi reconquise en 1187. Il faut
retenir cette date comme l’amorce irrémédiable du recul des chrétiens.
Les départs ultérieurs n’y changent rien, d’autant que les chrétiens accumulent les malheurs.
C’est ainsi que, lors de la huitième et dernière croisade, le roi de France Louis IX 9 succombe
à une maladie avant même l’arrivée en Terre sainte, le 25 août 1270. Les chrétiens sont
définitivement chassés des terres d’Orient en 1291. Alors, quel est le bilan des croisades ? Si
elles ont contribué à enrichir quelques villes italiennes (Venise en particulier), les croisades
ont surtout contribué à établir un fossé durable entre catholiques et orthodoxes (surtout après
que les premiers saccagent Constantinople en 1204), et au-delà entre chrétiens et
musulmans. L’on peut alors penser avec le médiéviste Jacques Le Goff qu’elles ont même
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: Le futur Saint Louis.
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entravé des échanges fructueux qui se faisaient par ailleurs : « Je ne vois guère que l’abricot
comme fruit possible ramené des croisades par les chrétiens » 10.
La Méditerranée, un espace d’échanges pacifiques.
En dépit de l’intensité des conflits, nous aurions tort de ne pas considérer les échanges
pacifiques qui se nouent au sein de l’espace méditerranéen. Nous les évoquerons ici à travers
trois exemples :
Le commerce
Dans l'ensemble méditerranéen les marins et caravaniers arabes occupent une place de
choix, grâce à leur situation géographique et à leur maîtrise des instruments de circulation
(boussoles). La célèbre « route de la soie » symbolise ce dynamisme qui s’établit à partir des
comptoirs musulmans établis en Inde et en Chine. Mais l’activité profite aussi à l’Occident et à
Byzance : à la fin du XIè siècle, les empereurs byzantins accordent en effet des avantages
commerciaux à des villes italiennes. Venise, Gênes et Pise reçoivent ainsi l’autorisation
d’installer des comptoirs dans les villes byzantines, en échange de leur aide militaire.
L’architecture de ces cités reflète d’ailleurs leur puissance financière et leur rayonnement,
comme le célèbre ensemble de Pise (place des Miracles, cathédrale et campanile11). Citons
encore les multiples exemples de l’influence byzantine dans l’architecture vénitienne : la
basilique Saint-Marc12 suit un plan en forme de croix grecque, couverte par cinq coupoles.
La Sicile
Ce royaume chrétien incarne parfaitement la synthèse des échanges culturels, en particulier
sous le règne de Roger II (1130-1154). Ce dernier, qui se fait représenter en empereur grec
couronné par le Christ, accorde aux musulmans la liberté d’utiliser des mosquées et les
autorise à faire l’appel à la prière cinq fois par jour. La chapelle palatine de Palerme est
d’ailleurs l’expression du syncrétisme culturel qui règne sur l’île puisqu’elle est bâtie selon le
plan basilical romain, recouverte d’une coupole selon la tradition byzantine et décorée en
partie par des ébénistes arabes. C’est dans cette même ville que le grand géographe arabe
Al-Idrissi élabore pour Roger II un planisphère du monde connu.
L’Espagne
Certes, cette terre est marquée par une violente et longue Reconquista. Néanmoins, elle est
aussi un lieu où se mêlent diverses influences. A Tolède, où cohabitent synagogues, églises
et mosquées, la science antique est redécouverte sous l’influence des musulmans. Les textes
10
: Jacques LE GOFF, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Flammarion, Champs, 1982.
: Il s’agit ici de la célèbre « tour de Pise ».
12
: Edifiée au Xè siècle.
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d’Aristote y sont ainsi traduits, alors que se propagent dans le même temps les écrits du
grand médecin musulman Avicenne.
Conclusion
Les échanges entre les trois civilisations méditerranéennes médiévales présentent donc un
visage contrasté.
Les croisades ont indiscutablement éloigné les cultures en nourrissant les mémoires
collectives d’épisodes belliqueux, mais dans le même temps, des échanges commerciaux et
culturels fructueux donnent lieu à un véritable syncrétisme.
Enfin, le contact entre le monde occidental et le monde musulman oppose initialement un
univers clos, replié sur les écrits bibliques, à une civilisation qui doit sa vitalité à son ouverture.
L’on peut donc penser que ces contacts, ici entendus indépendamment des croisades, ont
stimulé la grande aventure scientifique et philosophique européenne des siècles ultérieurs. En
somme, c’est bien l’Europe qui a le plus bénéficié des échanges entre les trois cultures.
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