La ville est un trou

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La ville est un trou
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Charles Pennequin
La ville est un trou
suivi de
Un jour
P.O.L
33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e
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La ville est un trou.
La ville est un trou et ses habitants respirent. La ville
est un trou et ça respire dedans. Ses voisins ils sont
dedans, sont dans un trou. Ses voisins, ses habitantes
et habitants, tous y respirent, tous les gens dedans,
dans le trou. La ville est un trou et les gens qui lisent,
ils lisent tous. Tout le monde voudrait lire. Tout le
monde le veut, tout le monde à un moment donné
désire. Tout le monde désirerait parler. La ville est un
trou, tous à l’intérieur. Tous les voisins avec le journal.
Le journal est un trou, car le trou c’est tous les jours
qu’il est là. Il est dans la ville. La ville est un trou, la
ville respire, ses voisins ont des paroles, ils voudraient
bien parler. Les voisins parlent, ont envie d’avoir des
conversations, ont envie de créer des liens. Toute ville
est un trou à liens. Toute ville est un trou. Le lien
forme le monde. Le monde est liant, est une sauce. Le
trou fonctionne. Les journaux sont imprimés la veille.
Les journaux sont pour le lendemain, ou pour le jour
même. Le jour même est un trou. La veille au lende7
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main. Tout est un trou. Mais la ville est un trou. Et ses
voisins dorment dedans. Ses voisins font des rêves. Ils
rêvent qu’ils chutent. Ils rêvent qu’ils tombent, mais ils
se font pas trop mal. Ça rebondit. La ville est un trou.
Les gens rebondissent. Ils se réveillent. Ils sont dans
un trou, mais tout va bien, le journal est imprimé la
veille pour le lendemain. Entre les deux, c’est le quotidien. Entre les deux, les voisins ont le choix, ils peuvent dormir ou tomber. Et quand ils dorment, ils tombent aussi. La ville est un trou où tomber.
La ville est avec ses habitants et ça respire. C’est tout
dedans. C’est respirant. C’est un trou, c’est un trou
qu’il y a dans tous les habitants. Ils veulent tous parler. Ils veulent tous avoir du langage. Ils viennent
acheter le journal. Le journal est un trou pour les
habitants des villes. La ville est un trou. Le trou fonctionne. Les voisins continuent de dormir. Les voisins
ont acheté une voiture. Ou c’est une mobylette. Ou
c’est un camping-car. Ils vont sur leur petit terrain.
Leur petit trou hors de la ville. Mais la ville est un
trou. Ils y vont avec le camping-car, ils ont acheté
aussi une moto. Ils détruisent les arbres. Ils n’aiment
pas les arbres avec des fruits dedans. Les arbres avec
des fleurs. Ils n’aiment pas ça. Ils aiment le gazon. Ils
ont un beau gazon propre et font des sourires en mettant les mains sur les hanches.
La ville est un trou. Les voisins ont mis les mains sur
les hanches. Les voisins ont mis du pvc. Les voisins
ont mis des dalles. Les voisins ont mis le double
vitrage. Et puis ont fait des trous. Ont mis des trous
partout. Et puis un jour le voisin se casse la margoulette. En ville on sait bien ce que ça veut dire, on lit ça
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dans les journaux. On lit qu’un voisin s’est cassé la
margoulette. Ça veut dire qu’il était à moto dans la
ville, il s’est pointé au centre. La ville est un trou et il
a glissé. On lit ça dans les journaux. Ou ailleurs. On
le lit dans la ville, ou dans les journaux d’ailleurs. Ou
alors, on lit ça ailleurs. Pas dans les journaux, mais
ailleurs. Les journaux sont un trou, et les habitants
avec, et leur pensée avec. Et ailleurs aussi. Ailleurs est
un trou. Ils n’ont qu’une seule pensée. C’est la pensée des habitants du trou, de n’importe quel trou. Le
trou d’ailleurs ou le trou d’ici. Ils n’ont qu’une seule
pensée, et ils se torchent dedans. Un jour, le voisin a
glissé avec sa moto, ou alors c’est sa fille. Il met sa fille
sur la moto. C’est un tout petit bébé. Et pour rigoler
il la met sur la moto, et il démarre, pour rigoler. Et la
moto l’écrabouille. C’est comme ça en ville. Car la
ville est un trou, et ses habitants sont dedans. Et ça
rigole. Et c’est comme ça.
Et les voisins respirent. Ils s’imaginent que tous les
matins il faut se regarder. Moi monsieur je me
regarde. Moi monsieur j’ose encore me regarder dans
la glace. Moi monsieur dans la ville dans mon cabinet. Moi monsieur mon cabinet ma ville ma toilette
monsieur. Moi dans les toilettes monsieur dans les
cabinets. Moi faire ma toilette et après moi monsieur,
après m’être toiletté, moi monsieur faire le visage
dans le miroir et regarder par le trou. Le trou du
visage moi monsieur. Moi monsieur j’ai deux trous
pour regarder. Et moi monsieur je dévisage les trous.
Et les habitants sont tous comme ça. Ils sont tous voisins et tout le monde s’ignore. Ils ignorent leur voisin.
Puisqu’ils le dévisagent. Et qu’ils sont dans un trou.
Et dans un trou on ignore tous les voisins du monde.
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Moi monsieur dans mon trou je m’a regardé et je
m’a vu. Et moi monsieur je n’aime pas les tulipes qui
poussent et je va au boulot. Et moi monsieur quand je
va au boulot je n’aime pas les tulipes qui poussent. Moi
monsieur je pars à mobylette. Et moi je pars à scooter.
Et moi monsieur je vais en voiture. Et moi je pétarade.
Et moi je démarre au feu vert. Et moi je m’arrête au feu
rouge. Et moi je m’en fous. C’est un feu orange. Ou
alors il est rouge. Ou alors je m’en fous.
Et moi monsieur la ville est un trou. Et il faut faire
attention. Il y a une vieille publicité qui le dit. Il n’y
a que les voisins de plus de quarante ans qui la
connaissent. Peut-être aussi certains ont quarante ans
tout juste, peut-être même moins. Trente-neuf ans.
Trente-neuf ans dans cette merde, comme ils disent.
Trente-neuf ans à vivre dans ce trou. Trente-neuf ans
dans un trou à attendre qu’on meure. Ils disent tous ça
les voisins. Ils disent qu’est-ce qu’on attend pour s’endormir. Il y a une vieille publicité qui dit ça. Qui dit
quoi. Qui dit faut s’endormir. Ou peut-être pas. Peutêtre elle dit : Et si tous les jours on est dans la même
ville, et que la même ville est un trou, et qu’on a
trente-neuf ans, et qu’on est dans la merde, et qu’on
prend le même trajet pour aller du trou au trou, et que
même si le trou change pas en cours de route, il faut
pas s’endormir. Car on aura un accident. Moi monsieur j’ai eu des accidents. Je me suis cassé la margoulette. J’ai planté la bobine. Et j’ai planté des clous
aussi. J’ai pratiqué des trous. Et astiqué du mou. Et
rebranlé du chef. Et remonté la pente. Puis repété les
plombs. Moi monsieur maintenant je va beaucoup
mieux, je fais des barbecues pour les voisins de la ville,
de la ville est un trou. Ce sont de jolies demoiselles. Et
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je vais les baiser dans le jardin moi monsieur. Et ce
sont des lesbiennes, et elles viennent toutes les deux
des beaux-arts, et elles baisent, et elles me regardent
avec mes saucisses, et ça leur fait du bien.
Sauf qu’il fait chaud tout là-haut, tout là-haut dans le
ciel il fait très chaud. Plus on se rapproche du soleil et
plus il fait chaud. Et plus ça va et moins ça nous vient.
Voilà. Plus ça va et plus le voisin se souvient de rien.
Il se souvient qu’il était juste à terre, quand il a marié
sa fille. Ou alors c’était sa communion. Il était tellement bourré moi monsieur qu’il a dormi sur le gazon.
Et ils ont coupé l’arbre. Pourtant sa fille aimait
l’arbre, et aurait aimé qu’il reste là. Mais les voisins
ont voulu le couper quand même. Le jour de sa communion. Ou bien le lendemain. Le lendemain du
mariage. Car tous les voisins sont des cochons.
Les voisins sont tous des cochons. Ils lisent tous la
même chose. Moi monsieur il n’y a qu’avec la voisine
que je lis Kafka. Et Kafka dit bien que nous sommes
tous des cochons. Ce sont des porcs tout nus qui gambadent, dit-il. Ils sont nus sur la terre. Les cochons ont
l’impression d’habiter des cabanes, et de monter des
huttes. Mais les cabanes sont dans leurs têtes. Les
huttes c’est de la fiction. Moi monsieur, les huttes c’est
pour nous faire croire qu’on est au chaud à deux dans
la cabane en train de lire. Mais qu’est-ce qu’on peut
lire tous les deux avec nos robes de chambres et avec
Kafka. Tous les deux avec nos coussins sous la tête.
Tous les deux avec notre pyjama et nos pantoufles.
Alors qu’il n’en est rien. On est tout seul. Et on lit pas.
Et on est nus sur la terre. Et on a froid. Et on est des
cochons. Et on va crever.
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Kafka dit ça. Il dit moi monsieur j’ai décidé de crever.
Moi monsieur j’ai pris la décision, tout le monde
devrait en faire autant.Tous les voisins décident de crever. De toute façon ils vont mourir, qu’ils la prennent
ou non cette décision, ils meurent. Mais là au moins ils
auront réalisé quelque chose dans leur vie. Moi monsieur sinon avec les autres j’ai réalisé ma vie. C’est-àdire j’étouffais. Je réalisais l’étouffement du vivant, et ce
en compagnie des autres. Je n’étais pas seul à étouffer
du vivant. Chacun étouffait dans son coin. Chacun
avait son chacun à étouffer tranquillement. Moi monsieur tranquillement je me suis étouffé comme ça. Ou
plutôt je me ratatinais. J’étais dans mes talons. Et me
montais dessus. C’était des talonnettes. Moi monsieur
je mettais des talonnettes pour me ratatiner.
Allez savoir pourquoi. Pourquoi on fait dans le ratatiné. Chacun fait son ratatiné à lui. Chacun n’a pas le
désir de crever pourtant. Chacun voudrait bien vivre.
C’est pour ça que chacun regarde la télé. Car dans la
télé ils disent que chacun habite dans un trou. Mais la
télé est un trou aussi. Et c’est la vie même, c’est-à-dire
que chacun tourne en rond. C’est là qu’on a des
bords, et qu’on peut transporter.Tout au moins on dit
ça. On dit dans la télé qu’ils disent : vous aurez des
poignées. On dit dans la télé qu’ils disent : vous vous
transporterez. On dit dans la télé qu’ils disent : faites
un gros tas avec tous vos problèmes. On dit dans la
télé qu’ils disent : faites un gros trou et jetez tout. On
dit dans la télé qu’ils disent : mourez sans engagement de votre part. On dit dans la télé qu’ils disent :
sans obligation d’être vivant. On dit dans la télé qu’ils
disent : mourez à prix coûtant.
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Le voisin meurt sans engagement de sa part. Il
regarde la télé avec son chien. C’est un gros chien. Ou
alors c’est un petit. C’est un tout petit chien. Une
petite boule qui le suit. Depuis qu’il est tout petit la
petite boule le suit. Depuis tout petit qu’il est. Et qu’il
est son voisin. Et qu’il est dans un trou. Il est suivi
d’une boule. Allez savoir pourquoi.
Le mal-être ça n’attend pas.
Un jour il s’est cassé la margoulette. Il avait un journal avec lui. Un journal où c’était marqué en tout
petit que la ville est un trou. Et ses habitants dedans.
Ses habitants qui respirent. Ses habitants qui ont des
sentiments. Ses habitants qui s’imaginent quoi. Ses
habitants qui s’imaginent qu’ils pourront faire quoi.
Ses habitants qui ont des idées de comment élever
quoi. Avec des coups de pied au cul par exemple. À
coup de taloches. Comment élever quoi avec des
baignes, par exemple. Comment élever quoi sous la
torture. Et comment martyriser quoi. Et comment
passer de quoi à quoi. On passe de quoi à l’enfance,
par exemple. Et comment se passer d’exemple. En
passant mieux l’enfance à quoi. On passe l’enfance au
père. Le père est un martyrisé. Comment le père du
voisin rentre comme ça du boulot. Le père du voisin
rentre comme ça du boulot : à coup de taloches. Le
père du voisin ramène que son pinard des courses. Un
jour le père du voisin revient tous les jours cuit.
La ville est un trou : qu’on les foute tous dedans, et
on sera bien débarrassé !
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Moi monsieur j’ai des sentiments, et j’ai des enfants
dedans, et mes enfants je leur donne la priorité. C’està-dire je veux pas qu’ils crèvent moi monsieur. Moi
monsieur mes enfants sont déjà crevés. Car je les ai
faits nés. Et c’est pour ça moi monsieur que je veux
les voir, mais pas qu’ils crèvent. En fait le voisin ne
sait pas ce qu’il veut, il veut des naissants mais il veut
rien dedans. Je veux dire moi monsieur quand on veut
du naissant, on veut que ça nous crève dedans.
Sinon : on laisse faire. On laisse dame nature. Et
dame nature c’est elle qui décide si tes enfants doivent crever avant toi ou pas. S’ils crèvent après le voisin tant mieux. S’ils crèvent avant lui tant pis.
D’ailleurs je pense que je crèverai après lui. Car lui il
est plus vieux. C’est mon voisin qui m’a dit ça. Il m’a
dit : laisse-le crever. Ou plutôt il a dit : laisse-le, il crèvera bien. Et ça crèvera d’avant nous. Et nous on sera
tranquille à ce moment-là. Ça fait quarante ans de ça.
Quarante ans et le voisin n’est toujours pas crevé. Et
on n’est pas tranquille. On a toujours peur de se casser la margoulette. De se rompre le cou. De se casser
la vertèbre. De se fendre d’un truc. De se briser en
quelque chose. Moi monsieur je me suis brisé en tout
seul. Je suis un brisé de naissance. Et moi monsieur je
n’ai rien à vous dire. Je n’ai pas de parole. Et moi
monsieur je n’ai pas la possibilité d’échanger le
moindre avis. Car je n’en ai pas. Voilà.
La ville est un trou, et les habitants n’ont pas d’avis.
Mais ça respire toujours. Et les habitants pensent
quoi. Et tout le monde pense aussi quoi. Quoi pense
dans tout le monde. Tout le monde s’agite. Tout le
monde s’éparpille. Et pourquoi je m’éparpille. Et
pourquoi je ne dis pas popo toute la sainte journée. Si
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je disais popo toute la sainte journée à mon voisin estce que ça le fatiguerait. Si je le croise dans la rue je lui
dis popo. Si je croise ses rejetons popo. Si je croise sa
femme. J’aime toutes les femmes. Le voisin aussi. Il
aime bien regarder la voisine. Il aimerait la sauter. Il
sauterait toutes les femmes. Il dit ça à sa voisine. Je
veux te sauter toute. Tu seras la toute sautée. La sautée totale. Celle qu’on saute avant de sauter. Qu’on a
toujours en saut, dans la tête. Qu’on pense en tête.
C’est-à-dire qu’on saute. Avant d’être. Qu’on voit en
soi. C’est-à-dire en saut. En son propre sauté d’être.
Qu’on se voit avant, quand on y était. Quand on était
dans le saut. C’est le saut du popo. Celui qui fait
qu’on tente toujours de sortir. De se sortir en sautant
l’autre de soi.
La ville est un trou, et ses pensées avec. Ses petites
pensées de mirliton. Ses petites pensées qui vont
dedans et avec un couvercle. Il faut toujours être
démoli. Toujours sembler être le démoli terrien. Le
démoli de toute terre. Tous les jours il semble qu’on a
son équivalent de terreau dans la main, ou dans l’os.
C’est dans l’os de la main qu’on a son équivalent en
mort, en mort terrien de terreau, et de tais-toi donc.
Va donc te taire en toi. Tu es terrien et tu te terres
dans un trou.
La ville est un trou et le voisin s’est fabriqué une voix.
Il dit : c’est la première des machines sans doute. Il
dit : une machine de merde sans doute. C’est parce
qu’il a pas sa place le voisin. Il dit : j’ai pas ma place
de voisin dans la nature. Alors j’habite dans la ville. Et
alors la ville est un trou. Il dit : je vois pas pourquoi
j’ai inventé la parole, si c’est pas pour foutre au trou
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le langage. Hier déjà le voisin détruisait tout. C’est
pas nouveau je dis. Moi monsieur j’ai tout détruit. J’ai
détruit la nature depuis que vous êtes nés. Et depuis
que je suis né moi aussi je détruis tout. Moi monsieur
il n’y a rien de nouveau là-dedans. Car moi monsieur
la machinerie est en marche. Le développement des
voisins est une sorte de tumeur. C’est ce qu’il dit le
voisin. Mais la tumeur est une bulle qui m’entoure, et
le reste je le passe à la moulinette moi monsieur. Car
j’ai toujours programmé ça. Avec ma moulinette. Et je
peux pas faire machine arrière. Car je me souviens de
rien. Et c’est pour ça qu’il brode. Il faut bien broder
sa vie quand on se souvient de rien.
Moi monsieur je me souviens je naissais. Et moi monsieur je me suis mis à naître. Et après. Après j’a mouru.
Et après. Car après vivre on nous a pas dit de vivre. Et
avant non plus. Avant la nuit du vivant, il y a la nuit
d’avant vivre. La grande nuit. Et puis après, y a la
grande nuit d’après. Et on nous a dit de vivre en plein
milieu. Et le voisin a dit : allez vous faire foutre. Oui
monsieur. Mon existence est un squat. Oui monsieur.
Défense d’entrer veut dire : je m’enterre. Oui monsieur.
Je suis entré veut dire : j’enterre. C’est tout. Je m’enterre
dans tout. Et c’est pas une vie. C’est pas une vie de
s’enterrer dans tout. Une vie à entériner l’existence.
C’est ça que tout voisin devrait dire. Il dit : je m’entérine ici. J’existe. Je suis propriétaire. Propriété égale je
prie pour exister. Propriété j’enterre. Je prie pour y être.
Propriété égale la ville est un trou et ses habitants foncent dedans. Propriété égale ils foncent dans le trou. Et
c’est celui qui ira le plus vite. C’est celui qui rejoindra
son trou au plus vite. Son petit trou de vite. C’est ça
qu’il voit rejoindre. Il se rejoint en vitesse. Car la vie est
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un trou. C’est sa propriété. Propriété égale on n’a plus
de nouvelles de nous depuis qu’on est né. De notre propriété à nous. Et ça nous est égal. On est tellement égal
qu’on regarde les émissions. Le millionnaire est un jeu
de la française des trous du cul qui se regardent, qui
regardent leur trou du cul. Car qui veut gagner des millions à part des propriétaires. C’est-à-dire des trous du
cul désinsérés qu’on réinsère. On les refout au trou. Car
il leur faut gagner la vie. Et gagner le cœur de la voisine.
Gagner son trou du cul aussi. C’est pour ça que les voisins se regardent. Ils se regardent en trou télé. Car la télé
est un trou, et ses habitants avec. Prions pour eux.
Prions pour que la religion et que l’état, et prions pour
que le patronat et que le flicanat. Prions pour que l’industrie et que le cul et que le dow jones, et pour que
l’industrie du cul et que le dow jones. Prions pour que
les télés et les commentateurs sportifs et les bons analystes avec les bonnes analyses. Prions pour que les
moralistes et prions pour que les présentateurs avec les
moralistes et les commentaires sportifs qui vont bien.
Prions pour que la communication et que la culture
avec la consommation et la communion des esprits.
Prions pour que tout ça leur prête vie.
Nous avons les moyens de vous faire exister.
La vie est un trou du cul et vous mourrez à prix coûtant. Et le voisin lit Cioran à sa voisine. Et Cioran dit
quoi. Il dit je suis un tas avec du rien dedans. Ou : je
suis en carton-pâte et on a mis des trous pour voir.
Ou : je suis mon isolement en fosse commune. Il a
bien dû dire ça. Ou il aurait pu le dire. Comment on
fait pour ne plus être né. On naît dans l’isolé. Comme
une insolation. On est tout insolé de soi. Dans une
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fosse où on croit être. Mon être qui pend au bout de
ma vie. Mais ma vie est un trou et je n’ai pas l’impression d’y être. Je n’ai pas l’impression d’être vivant. Je
n’ai pas l’impression mais je peux me tromper. On
peut se tromper d’impression. On peut qu’interpréter.
Là j’interprète que je suis pas vivant. C’est qu’une
interprétation au vu du cadavre. C’est en voyant le
cadavre que je me suis dit que je devais pas être vivant
dedans. C’est en me voyant là, comme un cadavre.
Mais je peux me tromper. Ce n’est peut-être pas un
cadavre. Ou pas encore. C’est peut-être pas demain la
veille qu’on se verra vraiment cadavre. Mais en tout
cas je me suis pas vu vivre dedans. Dedans le demain
du cadavre. Car demain le dedans du cadavre c’est
aujourd’hui que je le sens, et ça fait tout bizarre. Ça
fait tout bizarre de se sentir dans un cadavre.
Faites un gros trou dans les problèmes.
Ça y est j’ai besoin de tes clefs la poitrine va arriver Carter j’ai eu une femme qui s’est fait mordre par un chien
les femmes adorent consoler les hommes tristes homme
en état de choc attention prêt à le soulever sortie d’une
balle au-dessus de l’omoplate laissez-le mourir je suis sa
mère laissez-le mourir c’est le diable ça charge on
dégage il fibrille toujours laissez-le mourir je suis sa
mère c’est le diable parfait drain thoracique poussezvous non inutile il a tué deux garçons aujourd’hui un
autre le mois dernier vous auriez dû le laisser mourir.
La vie est un trou et nous avons les moyens de vous
faire exister.

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