Racines260_oct2014_Mise en page 1
Transcription
Racines260_oct2014_Mise en page 1
Racines260_oct2014_Mise en page 1 23/09/14 16:05 Page46 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire CULTURE | AUTREFOIS (Archives La Vendée Agricole / B. Landais) | “Des tempêtes de cette ampleur, il y en avait déjà eu : en 1924, en 1937, en 1940, notamment.” Xynthia : une mémoire oubliée ? Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia a fait 35 morts sur la côte vendéenne. Et si cette catastrophe avait pu être évitée, en se souvenant des événements passés ? Thierry Sauzeau, co-auteur du livre Xynthia, ou la mémoire réveillée (1) , professeur d’histoire moderne, président de l’Université populaire du littoral charentais et témoin-expert du procès en cours, revient sur les faits. Au lendemain de l’annonce du découpage des communes sinistrées en zones, vous débutez votre travail de collectes de témoignages, pourquoi ? À l’annonce des zonages par l’État, les langues se sont déliées. Le grand public a découvert que les habitants avaient des choses pertinentes à dire sur des choses qui auraient dû être faites… Ces gens savaient et pouvaient constater. Ces réflexions d’habitants étaient en lien parfait avec ce que je savais déjà. Tout à coup, la mémoire et l’Histoire se rejoignaient. Et il m’a alors semblé utile de récolter la parole de ceux qui avaient vécu ces événements passés. Puis, je ne pouvais pas admettre qu’on utilise une règle unique pour le découpage des zones. Cela n’a aucun sens de ne pas prendre en compte la géographie particulière de chaque territoire ! J’essaie de démontrer l’importance de la science historique. Peut-être suis-je moins précis dans la description des phénomènes mais, moi au moins, je ne parle pas au conditionnel ! En introduction du livre, vous écrivez : “La submersion de Xynthia résulte donc d ’une accumulat ion et d ’une conjonction de conditions particulières”. Est-ce à dire que tout cela était inévitable ? L’événement en lui-même était inévitable. Des tempêtes de cette ampleur, il y en avait déjà eu : en 1924, en 1937, en 1940, notamment. C’est un phénomène naturel dont la fréquence et la périodicité sont imprévisibles. L’ampleur n’était donc pas inédite mais ce qui était inédit, c’est l’intervalle entre Xynthia et le dernier événement (en 1957) : cinquante-trois ans, c’est-à-dire une géné- La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 46 | RACINES | Octobre 2014 | Racines260_oct2014_Mise en page 1 23/09/14 16:05 Page47 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | ration. Cette période d’accalmie prolongée a mené à l’oubli et aux événements qu’on connaît. En lisant les témoignages que vous avez récoltés, on a pourtant l’impression d’un énorme gâchis… A-t-on trop négligé la mémoire des anciens ? Effectivement, il aurait fallu tenir compte de la parole des habitants. En 1957, par exemple, l’île d’Oléron a connu une submersion aussi importante que Xynthia mais avec des conséquences moindres car, à cette époque-là, les habitants avaient encore en tête les expériences passées. Les habitations n’étaient pas conçues avec de savants calculs mais, pour autant, avec de la réflexion, de l’observation et du bon sens ! Quand on fait construire sous le niveau de la mer, on construit une maison avec un étage. Les anciens étaient observateurs de leur environnement, bien avant l’arsenal de réglementations mis en place dans les années 1990. On peut lire dans votre ouvrage que tout bascule à partir de 1970 où s’installe une période de confiance… C’est entre 1970 et 1995 que tout se noue car rien n’est organisé pour le passage de témoins. À partir de 1970 se pose la question de la mobilité des habitants du littoral : l’agriculture devient plus intensive, on a besoin de moins de bras à la campagne, les gens migrent et partent s’installer ailleurs. Tandis qu’une nouvelle population investit le littoral, qui ne connaît pas bien les particularités de ce territoire-là. On assiste donc à une fuite des détenteurs de la connaissance. Dans le même temps, on est à l’abri d’une période climatique calme. Ce qui aurait pu tirer la sonnette d’alarme ne se produit pas. Je pense que si nous avions eu, dans les années 1980, un événement fort, cela aurait hâté la prise de conscience. Mais il n’a pas eu lieu… CULTURE | “ C’est l’action de l’homme qui tranforme l’aléa naturel en désastre” Salvano Briceno À La Faute-sur-Mer, les chiffres parlent d’eux-mêmes : après 1950, 260 logements neufs tous les dix ans ; des maisons sur le même modèle sans étage, que les maisons hors zone inondable ; les 29 personnes décédées résidaient dans des constructions post 1950. Pour l’historien que je suis, La Faute reste un mystère ! Le mot est fort mais j’ai l’impression que dans cette commune c’est une affaire d’ “omerta” autour du risque… Des gens savaient, forcément, mais ça n’arrangeait personne de se rendre à l’évidence. Par exemple, au Port des Barques (dans l’estuaire de la Charente), on est presque sur un territoire similaire, mais les conséquences n’ont pas été si dramatiques. À histoire égale, des méthodes différentes ont été employées et cela a fait la différence. L’argument premier de certains élus a été de mettre en avant des changements climatiques auxquels on ne pourrait rien. Cela me semble un peu trop simpliste, il est utile de déconstruire ce discours et surtout de le nuancer. Et maintenant, allez-vous continuer la collecte de témoignages ? Déjà, il y a le procès pour lequel je témoigne en tant qu’expert. Cela va aussi être le procès d’un mode de développement d’urbanisation littorale. Puis, avec l’Université populaire du littoral charentais(2) que je préside, nous allons travailler sur de nouvelles communes : La Tranche-sur-Mer, Noirmoutier, Nieulsur-Mer, Esnandes… L’idée est toujours la même : aller à la rencontre des habi- tants qui ont vécu les tempêtes successives et recueillir leurs témoignages. Nous ne pouvons rien prévoir des événements climatiques donc nous en sommes réduits à observer ce qui s’est passé dans les temps anciens afin de ne pas oublier et surtout d’éviter que de telles catastrophes ne se reproduisent… Propos recueillis par Delphine Blanchard (1) Xynthia, ou la mémoire réveillée. Des villages charentais et vendéens face à l’océan (XVIIe-XXIe siècle) de Thierry Sauzeau et Jacques Péret, Geste éditions, 29 €. (2) L’association organise régulièrement des conférences ouvertes au public mais également des séances de formation pour les élus. Dates et informations diverses sur www.uplc17.org. En quelques chiffres… 35 morts dénombrés dans le seul département de la Vendée (dont 29 à La Faute-sur-Mer), 12 morts en Charente-Maritime. 2 mars 2010 : un arrêté de catastrophe naturelle est publié au Journal officiel. Avril 2010 : le tracé des zones est publié. La résistance s’organise… 15 septembre 2014 : début du procès qui se tient aux Sablesd’Olonne pour cinq semaines. Thierry Sauzeau y intervient comme témoin-expert. La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 47 | RACINES | Octobre 2014 | Racines260_oct2014_Mise en page 1 23/09/14 16:05 Page48 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | CULTURE | AUTREFOIS TÉMOIGNAGES (Extraits du livre La tempête du 16 novembre 1940 U mer avait crevé sur une dizaine de mètres la digue de la Pointe et envahi les champs jusqu’à l’île de la Dive, mais elle avait gonflé les eaux du Lay à tel point que L’Aiguillon lui-même semblait menacé. (…) La route en bordure des relais de mer s’était effondrée. (…) Les Allemands, de leur côté, n’en menaient pas large. Bloqués dans l’hôtel du Port dont la rivière avait envahi le rez-dechaussée, coupés de toutes communications, privés de lumières et morts de peur quand venait la nuit, ils apercevaient de loin le port et leurs installations noyées par les eaux qu’un vent infernal semblait rendre furieuses. Déjà le gros des troupes, cantonné à La Faute-surMer où se trouvait la Kommandantur avait fui. Quand la mer avait attaqué les dunes, détruit la route de La Tranche, donné l’impression qu’elle allait rejoindre la rivière et rétablir le littoral du Moyen Âge, ils avaient plié bagage, vidé en grande hâte les villas qu’il occupaient, sauté sur leurs motos, empli leurs camions, déferlé sur le pont avant qu’il ne s’écroule. Une fuite éperdue qu’observaient les marins venus vérifier en barque si les amarres de leurs bateaux tenaient le coup. Et de dire: “Ils ne sont pas près de débarquer en Angleterre ! Ils ont l’air épouvantés.” Épouvantés, ils l’étaient. D’autant que les Aiguillonnais n’étaient pas très rassurés eux-mêmes et que leur inquiétude visible ajoutait encore au désarroi des Allemands. Et lorsque ces derniers leur demandaient si on avait déjà vu ça, si ça allait durer longtemps, jusqu’où la mer risquait d’aller, ils n’avaient pas à ruser ou à se forcer pour répondre qu’ils n’en savaient rien et qu’avec la mer tout était possible. Louis Chevalier “Vers 2 heures du matin, on voit passer devant la fenêtre un container de 500 litres qui glissait littéralement sur dix centimètres d’eau.” Xynthia au camping d’Aytré J e m’appelle Julien Charpentier et suis né le 25 septembre 1986. Lors de la tempête Xynthia, je résidais depuis six mois dans un mobil-home du camping Richelieu à Aytré-Plage. À cette époque, le camping comptait 260 résidents environ. (…) Je me souviens parfaitement de la nuit du 27 au 28 février 2010. C’était un samedi et, dans l’aprèsmidi, les médias avaient alerté qu’une tempête allait avoir lieu sur nos côtes charentaises. La plupart des voisins du camping avaient reçu cette information et, par précaution, avaient rentré à l’intérieur de leur logement leurs meubles de jardin. La soirée était calme et j’ai dîné chez un voisin, où nous avons joué aux cartes. (…) Le vent a commencé à souffler assez fortement vers 1 h 30, nous avons vu au travers de la fenêtre des tivolis appartenant au camping s’envoler. Vers 2 heures du matin, on voit passer devant la fenêtre un container de 500 litres qui glissait littéralement sur 10 centimètres d’ eau. La submersion commençait. Le temps de sortir et d’essayer de comprendre ce qui se passait, le niveau de l’eau était monté de 50 centimètres. Nous avons alors envisagé de quitter le parking en voiture, mais ce n’était déjà plus possible. Je me suis alors précipité dans mon mobil-home distant d’une vingtaine de mètres, j’ai attrapé mon chien et suis monté avec lui sur le toit. L’eau continuait de monter à une vitesse incroyable pour atteindre 2 ou 2,50 m. Tous les mobil-homes se sont mis à flotter et à se déplacer vers le fond du camping, tels des bouchons. Comme moi, la plupart des résidents qui n’avaient pas fui et qui s’étaient retrouvés piégés étaient sur le toit de leur habitation. Mais trois jeunes filles qui avaient dû se réveiller trop tardivement se trouvaient bloquées à l’intérieur du leur et appelaient au secours. Me déplaçant de toit en toit, j’ai pu atteindre leur mobil-home, casser leur fenêtre et les aider à s’extraire par cet endroit pour monter sur le toit dans l’attente des secours. Dans mon cas, les pompiers sont intervenus vers les 7 heures du matin. Le camping étant situé à 80 centimètres en dessous du trait de côte, l’eau de la submersion est restée dans la cuvette et les pompiers ont évacué les sinistrés réfugiés sur les toits en plongeant à partir d’une plate-forme improvisée au milieu du camping. (…) La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 48 | RACINES | Octobre 2014 | (Archives La Vendée Agricole) ne tempête éclata en novembre comme on n’en avait jamais vu de mémoire d’Aiguillonnais. Pourtant la marée n’était pas une des plus fortes de l’année. (…) Mais non seulement la Racines260_oct2014_Mise en page 1 23/09/14 16:05 Page49 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | Xynthia, ou la mémoire réveillée, CULTURE | Ges t e édit io n s ) Charron, un drame qui aurait pu être évité ? S ur le littoral, la baie de l’Aiguillon, dont l’envasement est permanent, est le faible vestige de l’ancien golfe et ses eaux abritées peuvent faire oublier le danger d’une submersion car dans les grandes marées par beau temps, la mer n’atteint pas le pied des digues. (…) C’est bien pour cela qu’en décembre 1999, quinze jours avant la tempête, nous étions quelques-uns dans la salle basse de la mairie de Charron lors d’une réunion de commission du littoral, à évoquer la restructuration complète des ouvrages de défense à la mer et leur mise à niveau à la cote cinq mètres ! Soit 1,50 m au-dessus des niveaux de l’époque. Ces propos firent sourire et furent considérés comme uto- piques et trop ambitieux. Il s’agissait pourtant dans notre esprit de rebâtir des digues et contre-digues pour le siècle à venir afin de garantir les biens et les personnes de notre littoral. Quinze jours après cette réunion, notre projet était adopté par tous. La tempête Martin qui avait inondé quelques maisons sur la commune et submergé 12 000 hectares de terre allait, je l’espérais, être le catalyseur d’un projet qui sans cela n’aurait eu aucune audience. À la fin de l’année 2000, le bureau d’étude avait dressé le plan des quelque quinze kilomètres de digues qui entourent Charron et avait également travaillé sur la réhabilitation de la contredigue qui se trouve environ huit cents mètres en arrière. (...) Cependant, malgré les évidences, je m’inquiétais d’avoir confié ce projet à des gens qui n’avaient pas le regard tourné vers l’océan. En effet, le cahier des charges des syndicats de marais dans une région où la mer se retire n’est plus orienté vers la défense à la mer mais se préoccupe principalement de l’écoulement de l’eau des crues, de la gestion de l’eau en général et des actions diverses, comme la lutte contre les ragondins ou herbes parasites. L’avenir a malheureusement confirmé mes craintes, notre plan “digues” élaboré au tout début de l’année 2000 n’a jamais été considéré comme une priorité par ceux qui en avaient repris la maîtrise d’ouvrage ! (…) Bernard Bouyé, ancien maire de Charron La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 49 | RACINES | Octobre 2014 |