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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
CULTURE
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AUTREFOIS
(Archives La Vendée Agricole / B. Landais)
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“Des tempêtes de cette ampleur, il y en avait déjà eu : en 1924, en 1937, en 1940, notamment.”
Xynthia : une mémoire oubliée ?
Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia a fait
35 morts sur la côte vendéenne. Et si cette catastrophe avait
pu être évitée, en se souvenant des événements passés ?
Thierry Sauzeau, co-auteur du
livre Xynthia, ou la mémoire réveillée (1) , professeur d’histoire moderne, président de l’Université
populaire du littoral charentais et
témoin-expert du procès en cours,
revient sur les faits.
Au lendemain de l’annonce du
découpage des communes sinistrées en
zones, vous débutez votre travail de collectes de témoignages, pourquoi ?
À l’annonce des zonages par l’État, les
langues se sont déliées. Le grand public a
découvert que les habitants avaient des
choses pertinentes à dire sur des choses qui
auraient dû être faites… Ces gens savaient
et pouvaient constater. Ces réflexions d’habitants étaient en lien parfait avec ce que
je savais déjà. Tout à coup, la mémoire et
l’Histoire se rejoignaient. Et il m’a alors
semblé utile de récolter la parole de ceux
qui avaient vécu ces événements passés.
Puis, je ne pouvais pas admettre qu’on
utilise une règle unique pour le découpage
des zones. Cela n’a aucun sens de ne pas
prendre en compte la géographie particulière de chaque territoire ! J’essaie de
démontrer l’importance de la science historique. Peut-être suis-je moins précis dans
la description des phénomènes mais, moi
au moins, je ne parle pas au conditionnel !
En introduction du livre, vous écrivez : “La submersion de Xynthia résulte
donc d ’une accumulat ion et d ’une
conjonction de conditions particulières”.
Est-ce à dire que tout cela était inévitable ?
L’événement en lui-même était inévitable. Des tempêtes de cette ampleur,
il y en avait déjà eu : en 1924, en 1937,
en 1940, notamment. C’est un phénomène naturel dont la fréquence et la
périodicité sont imprévisibles. L’ampleur
n’était donc pas inédite mais ce qui était
inédit, c’est l’intervalle entre Xynthia et
le dernier événement (en 1957) : cinquante-trois ans, c’est-à-dire une géné-
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ration. Cette période d’accalmie prolongée a mené à l’oubli et aux événements qu’on connaît.
En lisant les témoignages que vous
avez récoltés, on a pourtant l’impression
d’un énorme gâchis… A-t-on trop
négligé la mémoire des anciens ?
Effectivement, il aurait fallu tenir
compte de la parole des habitants. En
1957, par exemple, l’île d’Oléron a connu
une submersion aussi importante que
Xynthia mais avec des conséquences
moindres car, à cette époque-là, les habitants avaient encore en tête les expériences passées. Les habitations n’étaient
pas conçues avec de savants calculs mais,
pour autant, avec de la réflexion, de l’observation et du bon sens !
Quand on fait construire sous le niveau
de la mer, on construit une maison avec
un étage. Les anciens étaient observateurs
de leur environnement, bien avant l’arsenal de réglementations mis en place
dans les années 1990.
On peut lire dans votre ouvrage que
tout bascule à partir de 1970 où s’installe
une période de confiance…
C’est entre 1970 et 1995 que tout se
noue car rien n’est organisé pour le passage de témoins. À partir de 1970 se pose
la question de la mobilité des habitants
du littoral : l’agriculture devient plus
intensive, on a besoin de moins de bras
à la campagne, les gens migrent et partent
s’installer ailleurs. Tandis qu’une nouvelle
population investit le littoral, qui ne
connaît pas bien les particularités de ce
territoire-là.
On assiste donc à une fuite des détenteurs de la connaissance. Dans le même
temps, on est à l’abri d’une période climatique calme. Ce qui aurait pu tirer la
sonnette d’alarme ne se produit pas. Je
pense que si nous avions eu, dans les
années 1980, un événement fort, cela
aurait hâté la prise de conscience. Mais il
n’a pas eu lieu…
CULTURE
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“
C’est l’action de l’homme
qui tranforme l’aléa naturel
en désastre” Salvano Briceno
À La Faute-sur-Mer, les chiffres
parlent d’eux-mêmes : après 1950,
260 logements neufs tous les dix ans ;
des maisons sur le même modèle sans
étage, que les maisons hors zone inondable ; les 29 personnes décédées résidaient dans des constructions post
1950.
Pour l’historien que je suis, La Faute
reste un mystère ! Le mot est fort mais
j’ai l’impression que dans cette commune
c’est une affaire d’ “omerta” autour du
risque… Des gens savaient, forcément,
mais ça n’arrangeait personne de se rendre
à l’évidence. Par exemple, au Port des
Barques (dans l’estuaire de la Charente),
on est presque sur un territoire similaire,
mais les conséquences n’ont pas été si dramatiques. À histoire égale, des méthodes
différentes ont été employées et cela a
fait la différence.
L’argument premier de certains élus a
été de mettre en avant des changements
climatiques auxquels on ne pourrait rien.
Cela me semble un peu trop simpliste, il
est utile de déconstruire ce discours et
surtout de le nuancer.
Et maintenant, allez-vous continuer
la collecte de témoignages ?
Déjà, il y a le procès pour lequel je
témoigne en tant qu’expert. Cela va aussi
être le procès d’un mode de développement d’urbanisation littorale. Puis, avec
l’Université populaire du littoral charentais(2) que je préside, nous allons travailler
sur de nouvelles communes : La
Tranche-sur-Mer, Noirmoutier, Nieulsur-Mer, Esnandes… L’idée est toujours
la même : aller à la rencontre des habi-
tants qui ont vécu les tempêtes successives et recueillir leurs témoignages. Nous
ne pouvons rien prévoir des événements
climatiques donc nous en sommes réduits
à observer ce qui s’est passé dans les
temps anciens afin de ne pas oublier et
surtout d’éviter que de telles catastrophes
ne se reproduisent…
Propos recueillis
par Delphine Blanchard
(1) Xynthia, ou la mémoire réveillée. Des villages charentais
et vendéens face à l’océan
(XVIIe-XXIe siècle) de Thierry
Sauzeau et Jacques Péret,
Geste éditions, 29 €.
(2) L’association organise régulièrement des conférences
ouvertes au public mais également des séances de formation pour les élus. Dates et
informations diverses sur www.uplc17.org.
En quelques
chiffres…
35 morts dénombrés dans le seul
département de la Vendée (dont
29 à La Faute-sur-Mer), 12 morts
en Charente-Maritime.
2 mars 2010 : un arrêté de catastrophe naturelle est publié au Journal officiel.
Avril 2010 : le tracé des zones est
publié. La résistance s’organise…
15 septembre 2014 : début du procès qui se tient aux Sablesd’Olonne pour cinq semaines.
Thierry Sauzeau y intervient
comme témoin-expert.
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CULTURE
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AUTREFOIS
TÉMOIGNAGES
(Extraits du livre
La tempête du
16 novembre 1940
U
mer avait crevé sur une dizaine
de mètres la digue de la Pointe et
envahi les champs jusqu’à l’île
de la Dive, mais elle avait gonflé
les eaux du Lay à tel point que
L’Aiguillon lui-même semblait
menacé. (…) La route en bordure des
relais de mer s’était effondrée. (…) Les
Allemands, de leur côté, n’en menaient
pas large. Bloqués dans l’hôtel du Port
dont la rivière avait envahi le rez-dechaussée, coupés de toutes communications, privés de lumières et morts de
peur quand venait la nuit, ils apercevaient de loin le port et leurs installations
noyées par les eaux qu’un vent infernal
semblait rendre furieuses. Déjà le gros
des troupes, cantonné à La Faute-surMer où se trouvait la Kommandantur
avait fui. Quand la mer avait attaqué les
dunes, détruit la route de La Tranche,
donné l’impression qu’elle allait rejoindre
la rivière et rétablir le littoral du Moyen
Âge, ils avaient plié bagage, vidé en
grande hâte les villas qu’il occupaient,
sauté sur leurs motos, empli leurs camions, déferlé sur le pont avant qu’il ne
s’écroule. Une fuite éperdue qu’observaient les marins venus vérifier en barque
si les amarres de leurs bateaux tenaient
le coup. Et de dire: “Ils ne sont pas près
de débarquer en Angleterre ! Ils ont l’air
épouvantés.” Épouvantés, ils l’étaient.
D’autant que les Aiguillonnais n’étaient
pas très rassurés eux-mêmes et que leur
inquiétude visible ajoutait encore au désarroi des Allemands. Et lorsque ces derniers leur demandaient si on avait déjà
vu ça, si ça allait durer longtemps,
jusqu’où la mer risquait d’aller, ils
n’avaient pas à ruser ou à se forcer pour
répondre qu’ils n’en savaient rien et
qu’avec la mer tout était possible.
Louis Chevalier
“Vers 2 heures du matin, on voit passer devant la fenêtre un container
de 500 litres qui glissait littéralement sur dix centimètres d’eau.”
Xynthia au camping d’Aytré
J
e m’appelle Julien Charpentier et suis
né le 25 septembre 1986. Lors de la
tempête Xynthia, je résidais depuis
six mois dans un mobil-home du camping Richelieu à Aytré-Plage. À cette
époque, le camping comptait 260 résidents environ. (…) Je me souviens parfaitement de la nuit du 27 au 28 février
2010. C’était un samedi et, dans l’aprèsmidi, les médias avaient alerté qu’une
tempête allait avoir lieu sur nos côtes charentaises. La plupart des voisins du camping avaient reçu cette information et,
par précaution, avaient rentré à l’intérieur
de leur logement leurs meubles de jardin.
La soirée était calme et j’ai dîné chez
un voisin, où nous avons joué aux cartes.
(…) Le vent a commencé à souffler assez
fortement vers 1 h 30, nous avons vu au
travers de la fenêtre des tivolis appartenant au camping s’envoler. Vers 2 heures
du matin, on voit passer devant la fenêtre
un container de 500 litres qui glissait littéralement sur 10 centimètres d’ eau. La
submersion commençait. Le temps de
sortir et d’essayer de comprendre ce qui
se passait, le niveau de l’eau était monté
de 50 centimètres. Nous avons alors envisagé de quitter le parking en voiture, mais
ce n’était déjà plus possible. Je me suis
alors précipité dans mon mobil-home
distant d’une vingtaine de mètres, j’ai
attrapé mon chien et suis monté avec lui
sur le toit. L’eau continuait de monter à
une vitesse incroyable pour atteindre 2
ou 2,50 m. Tous les mobil-homes se sont
mis à flotter et à se déplacer vers le fond
du camping, tels des bouchons. Comme
moi, la plupart des résidents qui
n’avaient pas fui et qui s’étaient
retrouvés piégés étaient sur le toit
de leur habitation. Mais trois jeunes
filles qui avaient dû se réveiller trop tardivement se trouvaient bloquées à l’intérieur du leur et appelaient au secours. Me
déplaçant de toit en toit, j’ai pu atteindre
leur mobil-home, casser leur fenêtre et les
aider à s’extraire par cet endroit pour monter sur le toit dans l’attente des secours.
Dans mon cas, les pompiers sont intervenus vers les 7 heures du matin.
Le camping étant situé à 80 centimètres en dessous du trait de côte, l’eau de
la submersion est restée dans la cuvette
et les pompiers ont évacué les sinistrés
réfugiés sur les toits en plongeant à partir
d’une plate-forme improvisée au milieu
du camping. (…)
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(Archives La Vendée Agricole)
ne tempête éclata en novembre
comme on n’en avait jamais vu de
mémoire d’Aiguillonnais. Pourtant la
marée n’était pas une des plus fortes de
l’année. (…) Mais non seulement la
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Xynthia, ou la mémoire réveillée,
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Ges t e édit io n s )
Charron, un drame qui aurait pu être évité ?
S
ur le littoral, la baie de l’Aiguillon,
dont l’envasement est permanent,
est le faible vestige de l’ancien golfe
et ses eaux abritées peuvent faire oublier le
danger d’une submersion car dans les
grandes marées par beau temps, la mer n’atteint pas le pied des digues. (…) C’est bien
pour cela qu’en décembre 1999, quinze
jours avant la tempête, nous étions
quelques-uns dans la salle basse de la mairie de Charron lors d’une réunion de commission du littoral, à évoquer la
restructuration complète des ouvrages de
défense à la mer et leur mise à niveau à la
cote cinq mètres ! Soit 1,50 m au-dessus
des niveaux de l’époque. Ces propos firent
sourire et furent considérés comme uto-
piques et trop ambitieux. Il s’agissait pourtant dans notre esprit de rebâtir des digues
et contre-digues pour le siècle à venir afin
de garantir les biens et les personnes de
notre littoral. Quinze jours après cette réunion, notre projet était adopté par tous.
La tempête Martin qui avait inondé
quelques maisons sur la commune et submergé 12 000 hectares de terre allait, je
l’espérais, être le catalyseur d’un projet
qui sans cela n’aurait eu aucune audience.
À la fin de l’année 2000, le bureau d’étude
avait dressé le plan des quelque quinze
kilomètres de digues qui entourent Charron et avait également travaillé sur la réhabilitation de la contredigue qui se trouve
environ huit cents mètres en arrière. (...)
Cependant, malgré les évidences,
je m’inquiétais d’avoir confié ce
projet à des gens qui n’avaient pas
le regard tourné vers l’océan. En effet,
le cahier des charges des syndicats de marais
dans une région où la mer se retire n’est plus
orienté vers la défense à la mer mais se
préoccupe principalement de l’écoulement
de l’eau des crues, de la gestion de l’eau en
général et des actions diverses, comme la
lutte contre les ragondins ou herbes parasites.
L’avenir a malheureusement confirmé mes
craintes, notre plan “digues” élaboré au tout
début de l’année 2000 n’a jamais été considéré comme une priorité par ceux qui en
avaient repris la maîtrise d’ouvrage ! (…)
Bernard Bouyé, ancien maire de Charron
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