Theo van Doesburg

Transcription

Theo van Doesburg
centre for fine arts
brussels
Theo van
Doesburg
expo
Une nouvelle
expression de la
vie, de l’art et de la
technologie
26 FEV. —
29 maI ’16
GUIDE VISITEUR
FR
Paleis voor Schone Kunsten
Brussel
01
Palais des Beaux-Arts
Bruxelles
Plan de salle
Vers Rue Ravenstein
EXPO
Theo van Doesburg
1
2
3
4
7
6
8
1. De Stijl 1917-1922
2. De Stijl 1917-1922, architecture et mobilier
3. Dada
4. Cinéma abstrait
5. De Stijl et les « ismes » dans l’art
6. De Stijl 1923-1931
7. De Stijl et les « ismes » dans l’art
8. Art Concret
5
EXPO
Theo
van Doesburg
Une nouvelle expression de la vie,
de l’art et de la technologie
01
Theo van Doesburg, Contre-composition XIII, 1925-1926
Peggy Guggenheim Collection (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York
02
EXPO
Introduction
À la fin de la Première Guerre mondiale, les avant-gardes européennes
sont porteuses d’une volonté de changement et d’un espoir d’avenir
meilleur, voire « radieux ». Plus que tout autre, l’artiste néerlandais Theo
van Doesburg (1883-1931) participe à cet effort de reconstruction en
élargissant l’esthétique néoplastique qui avait été conçue par Mondrian
à toutes les disciplines : peinture, sculpture, architecture et arts appliqués.
Cette exposition, qui commence en 1917 avec la fondation du
mouvement De Stijl, met donc l’accent sur un principe de création
particulièrement dynamique, propre à Van Doesburg. Ce dernier,
qui a multiplié tout au long de sa vie les rencontres et les voyages,
conjuguera des mouvances a priori incompatibles comme le dadaïsme
et le néoplasticisme. La démarche de Van Doesburg vise à réaliser une
synthèse, en phase avec son projet initial, à savoir créer une nouvelle
expression de l’art, en interaction avec la complexité de la vie et avec
l’évolution des sciences et des techniques. Le but étant de construire pour
chacun un monde nouveau.
Toutefois, pour « transformer le monde », la révolution proposée
par Theo van Doesburg, Mondrian ou Kurt Schwitters est celle de l’art
lui-même. Leur principe se distingue en cela de celui, très répandu à
l’époque, d’un « art au service de la Révolution » que défendront par
ailleurs bon nombre d’artistes charismatiques, tels qu’El Lissitzky ou André
Breton.
Outre la présentation d’œuvres répondant à ce programme
esthétique, Theo van Doesburg. Une nouvelle expression de la vie, de
l’art et de la technologie rend compte du caractère activiste de Van
Doesburg. Car pour défendre son projet à un niveau international, l’artiste
forme d’abord un mouvement autour de Piet Mondrian, avec Bart van der
Leck, Vilmos Huszar, Georges Vantongerloo, Jan Wils, Antony Kok, J.J.P.
Oud et Gerrit Rietveld. Il le renouvelle ensuite avec, entre autres, Cornelis
Van Eesteren, Vordemberge-Gildewart et César Domela. Au fil des
années, Van Doesburg n’aura de cesse de mettre en œuvre une pensée et
une création en constante évolution, fédérant de nombreux artistes.
Par ailleurs, ses multiples déplacements à l’étranger à l’occasion
de congrès, d’expositions et de conférences, son installation à Weimar
(où est installée la première école du Bauhaus, sur laquelle il exercera
une certaine influence) puis à Paris renforcent son aura et celle de son
mouvement. Van Doesburg trouve par ailleurs le moyen de diffuser sa
« propagande » d’un art censé changer le monde par le biais de revues
qu’il dirige et édite inlassablement. Parmi elles, la revue De Stijl (19171927) jouira de la plus grande longévité et étendra son influence sur toute
l’Europe, la Russie, le Japon et les États-Unis.
03
EXPO
Theo van Doesburg au ciné-dancing de l’Aubette à Strasbourg, 1927.
RKD – Netherlands Institute for Art History
04
EXPO
L’exposition Theo van Doesburg. Une nouvelle expression de la vie,
de l’art et de la technologie – qui emprunte son sous-titre à un article de
Van Doesburg paru dans De Stijl en 1922 – invite à la reconnaissance de
cet artiste, qui se distingue tant par ses réalisations plastiques que par une
forme de militantisme, une autre façon d’accomplir un idéal philosophique,
artistique et collectif. La notoriété internationale de nombreux artistes, dont
celle de Mondrian, en bénéficiera largement.
Le néoplasticisme et le développement de l’abstraction
avant la Seconde Guerre mondiale
Le terme d’abstraction prête souvent à confusion, car sa signification évolue,
parallèlement à diverses pratiques artistiques et aux bases théoriques qui
les sous-tendent au cours des années 1910-1920.
1. Au départ, avec le cubisme, le futurisme et les travaux de Mondrian de
1912 à 1915, l’abstraction doit être entendue comme processus : « s’abstraire
de » suppose non seulement de s’abstraire d’un support (la nature ou toute
autre réalité extérieure) mais aussi de s’en distancier par l’esprit (par le
recours à la raison, ou à une vision religieuse ou philosophique). Le réel n’est
donc qu’un prétexte pour faire valoir l’esprit. C’est cette voie qu’empruntera
le néoplasticisme des années 1917-1920.
2. Par ailleurs, l’expressionnisme abstrait (ou « abstraction lyrique ») de
Wassily Kandinsky (auteur de l’ouvrage Du spirituel dans l’art en 1912) et le
suprématisme de Malevitch (1915) s’affranchissent de ce support extérieur
qui n’est plus invoqué que comme source d’émotion. En retour, le caractère
immatériel de l’expression lyrique ou métaphysique, valorise plus encore sa
formulation non objective.
3. À partir de cette étape surgit une troisième conception de l’abstraction
qui bascule logiquement dans l’autonomie absolue de l’art, sans référence
au monde extérieur, ni aux sentiments ni à une quelconque spiritualité.
La création se veut purement conceptuelle et autosuffisante : le tableau
devient « un objet qui ne se réfère à rien d’autre qu’à lui-même ». Ce
retournement radical est effectué à la fin des années 1920, par le Polonais
Strzeminski puis par Van Doesburg en 1930.
Ainsi, en vingt ans, l’abstraction passe du stade de l’épure (1) à l’expression
d’une émotion (2), d’un ordre harmonique universel (3), jusqu’à la
concrétisation d’un concept, tel le continuum espace-temps cher à
Van Doesburg. Ce parcours évolutif sera simultanément marqué par
l’interactivité avec d’autres disciplines, notamment les arts appliqués,
rompus eux-mêmes à l’usage de lignes, points et formes élémentaires.
05
EXPO
Theo van Doesburg, Le corps causal de l’adepte, 1915
Courtesy Galerie Gmurzynska AG
06
EXPO
De Stijl
1917-1922
Lorsque le mouvement De Stijl naît aux
Pays-Bas en 1917, l’Europe est encore
déchirée par la Première Guerre mondiale.
Depuis le début de la décennie, de
nombreux artistes, souvent regroupés
au sein de mouvements d’avant-garde,
développent une batterie de concepts
visant à bâtir un monde nouveau : c’est
la révolution par l’art. De Stijl n’y fait pas
exception. Dans le néoplasticisme (ou
nieuwe beelding, nouvelle formulation) que
défendent en premier lieu Piet Mondrian
et Theo van Doesburg, la transformation
d’un monde alors en déliquescence
s’accomplira par le développement d’un art
abstrait géométrique, basé sur la verticale
et l’horizontale se coupant à angle droit, et
sur les trois couleurs primaires auxquelles
s’ajoutent les couleurs neutres : noir, gris
et blanc. Cet art élémentaire, présenté
comme accessible à tous et pouvant
s’étendre à toutes les disciplines, aura été
conçu progressivement, tant par Mondrian
(son père spirituel) que par Van Doesburg,
les fondateurs du mouvement De Stijl.
Le développement de cette abstraction
procède par l’abandon de la perspective au
profit de l’aplat, l’épurement des formes,
l’accentuation des lignes de force ou des
volumes par la géométrie, l’importance de
l’asymétrie et la dynamique des couleurs
libres, sans rapport avec la réalité. Aux
côtés de Van Doesburg et de Mondrian,
d’autres artistes exploiteront cette
démarche : Vilmos Huszár, Bart van der
Leck et Georges Vantongerloo. À leur
façon, certains dérogeront cependant
aux règles strictes qu’édicte Mondrian
dans sa définition du néoplasticisme. Van
Doesburg utilise souvent une palette qui
privilégie aussi les demi-teintes, tandis
que Vantongerloo introduit des couleurs
secondaires (vert, orange et violet)
et utilise les mathématiques dans ses
compositions.
07
Parallèlement, Van Doesburg collabore
très tôt avec des architectes et défend
l’idée d’un art qui envahit progressivement
tous les domaines. La revue De Stijl en
témoignera, tout comme ses nombreux
projets de vitraux, dont certains sont
exposés dans cette salle.
1. Theo van Doesburg,
Le corps causal de l’adepte, 1915
Au début du xxe siècle, de nombreux
artistes sont influencés par la théosophie
moderne, un courant spirituel qui tend
à synthétiser les différentes religions
occidentales et orientales. À cette époque
se développe la croyance en un corps astral
et une quatrième dimension, constituée
d’un hyperespace ésotérique, intermédiaire
entre la matière et le divin. Cette toile que
Van Doesburg peint en 1915 témoigne
de la quête spirituelle de l’artiste dans
les années qui précèdent la fondation
de De Stijl. Le Corps causal de l’adepte
est la copie d’une illustration issue de la
publication du théosophe Charles Webster
Leadbeater, L’Homme visible et invisible
(1902). Révélateur, le titre du tableau
évoque « l’homme qui a atteint l’objectif de
l’humanité : devenir quelque chose de plus
qu’un homme ». Un idéal qui sera aussi
invoqué par Mondrian dans Dialogue sur la
Nouvelle Plastique (1919) : « C’est l’esprit
qui fait l’homme homme. Mais le devoir de
l’art est d’exprimer le super humain. »
EXPO
Theo van Doesburg, Couverture de Klassiek-Barok-Modern, 1920
Collection Gilles Gheerbrant, France © Philippe De Gobert
Theo van Doesburg (dir.), De Stijl, nr. 1, 1917
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
08
EXPO
2. Typographie pour la revue De Stijl
(1917) et l’ouvrage Klassiek-BarokModern (1920)
Pour les avant-gardes, la revue constitue
le vecteur d’information, libre, rapide et
le plus adapté pour diffuser à la fois leur
théorie et le fruit de leurs recherches
plastiques. De Stijl paraît pour la première
fois en octobre 1917 et connaîtra une
diffusion pendant plus de dix ans. La
composition typographique de Van
Doesburg pour Klassiek-Barok-Modern,
qui reprend les textes des conférences
que l’artiste prononce en Belgique en
1920, atteste de sa volonté de calibrer
l’alphabet dans le rectangle, conformément
aux principes de De Stijl qui s’attache à
reformuler l’environnement. Toutefois,
la typographie déroge quelque peu
au principe d’orthogonalité cher au
néoplasticisme puisque le terme « Barok »
se présente en diagonale. Pour Van
Doesburg, cet écart fait sens, et illustre
l’esthétique baroque déconstructive,
avide de mouvement. Ailleurs, dans une
affiche pour l’exposition de La Section
d’Or en 1920, Van Doesburg poursuit son
expérimentation typographique, jouant
sur les effets de superposition et de
simultanéité de lecture : l’artiste tente par
cette voie d’introduire le facteur « temps »
dans ses compositions. Une réflexion sur la
notion d’espace-temps est en marche.
09
EXPO
Gerrit Rietveld, Chaise rouge et bleue, Projet 1918,
date d’exécution inconnue, Centraal Museum, Utrecht
Theo van Doesburg, Projet de sol dallé pour le hall et l’entrée de la
maison de vacances De Vonk à Noordwijkerhout, ca. 1918
Prêt Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed
au Museum De Lakenhal, Leyde
010
EXPO
De Stijl 1917-1922,
architecture
et mobilier
L’ambition d’investir par leur art tous
les domaines artistiques et tous les
aspects de la vie moderne va très vite
encourager les membres du mouvement
De Stijl à collaborer avec des architectes,
ébénistes et artisans. Dans ce registre, si
son imaginaire architectural est riche et
novateur, Van Doesburg n’a cependant pas
la maîtrise du métier, ce qui nécessite une
création en binôme, laquelle ne s’effectue
pas sans heurts, que ce soit avec J.J.P. Oud
ou plus tard avec Cornelis Van Eesteren.
Les premières interventions de Van
Doesburg dans le domaine architectural
attestent d’une volonté de détruire l’aspect
statique du bâtiment, la pesanteur et
l’enfermement des murs au profit d’une
animation rythmique et colorée.
1. Gerrit Rietveld, Chaise rouge et
bleue, 1918
Bien plus qu’une pièce de mobilier au
confort parfois déprécié, la Chaise rougebleue de Gerrit Rietveld est un véritable
manifeste. La compénétration des plans
du dossier et de l’assise avec les barres
verticales et horizontales des accoudoirs,
composent une création « abstraiteréelle dans un nouvel intérieur », une
construction spatiale qui semble en
apesanteur. Dans sa conception d’un art
accessible à tous, Rietveld destinait cette
chaise à une production industrialisée de
masse plutôt qu’à une fabrication de type
artisanale ; cette volonté contribua aussi
à la simplicité de sa réalisation. Conçue en
hêtre naturel en 1918, présentée l’année
suivante dans la revue De Stijl, la chaise
adoptera les couleurs primaires et le noir
dans sa version de 1923, adoptant ainsi la
palette chère à Mondrian.
011
2. Theo van Doesburg, Projet de
sol dallé pour l’entrée et le hall de
la maison de vacances De Vonk,
Noordwijkerhout, ca. 1918
Construite par l’architecte J.J.P. Oud,
la maison De Vonk (L’Étincelle) à
Noordwijkerhout en Hollande était
destinée à accueillir des filles d’ouvriers en
colonie de vacances. La réalisation de cet
édifice constitue l’une des premières mises
en pratique des idéaux de Van Doesburg
en matière d’art monumental : détruire
la pesanteur et le caractère statique du
bâtiment par une recomposition de la
façade au moyen de la couleur.
Dans ce projet de pavement intérieur,
Van Doesburg s’empare des matériaux
traditionnels et crée, par un jeu de
carreaux blancs, jaunes, ocres et noirs,
une composition présentée dès l’entrée et
fonctionnant tel un module permutable,
retourné et renversé sur toute la surface
centrale, afin d’obtenir un « désordre
organisé », une dynamique procurant la
sensation d’ouverture au-delà des murs
et brisant l’impression d’enfermement
procurée par les murs.
EXPO
Theo van Doesburg, Je suis contre tout et tous, 1921
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris
012
EXPO
Dada
En 1920, parcourant l’Europe afin de
promouvoir le néoplasticisme, Theo van
Doesburg découvre le mouvement Dada.
Fondé à Zurich en 1916 autour des poètes
Tristan Tzara et Hugo Ball, Dada réalise
alors un travail de sape, et brise toutes les
frontières qui avaient pu jusque-là séparer
les différentes disciplines artistiques. Dans
des spectacles mêlant tous les genres en
une bruyante improvisation, les artistes
dada récusaient toute intervention de
la logique, de l’ordre et du rationalisme.
Influencé par ce mouvement dynamique
et iconoclaste, Van Doesburg compose
des poèmes sonores et graphiques dada,
et adopte le pseudonyme de I.K. Bonset
(l’anagramme de la phrase « Ik ben sot » ;
je suis sot) pour faire croire à l’existence de
ce poète dadaïste. Ses poèmes paraissent
d’abord dans la revue De Stijl, puis dans
un autre périodique qu’il fonde et dirige
de 1922 à 1923 : Mécano. Avec sa nouvelle
compagne Nelly, Van Doesburg participe
également à la tournée dada effectuée aux
Pays-Bas en 1923 en compagnie de Kurt
Schwitters.
Il est cependant étonnant qu’un artiste, au
départ gagné aux préceptes orthogonaux
et stricts du néoplasticisme, se montre
séduit par l’anarchisme et la liberté de
Dada. Cette évolution témoigne de
l’ouverture d’esprit de Van Doesburg.
En 1921, celui-ci écrivit à Tzara : « Ik vind
meer en meer plezier in de geest van
Dada. Ik voel daar een verlangen naar iets
nieuws, dat lijkt op wat wij als het grote
modernistische ideaal verkondigden.
Alleen de middelen zijn anders… Ik geloof
dat er echt betekenisvolle contacten
kunnen zijn, en ook een synthese, tussen
dada en ontwikkelingen in de ‘ernstige’
moderne kunst. » [Je trouve de plus
en plus de plaisir dans l’esprit Dada. Je
sens là un désir pour quelque chose de
nouveau, qui ressemble à ce que nous
avons reconnu comme étant le grand
idéal moderniste. Je crois qu’il peut y
avoir là des contacts qui font pleinement
013
sens, et aussi une synthèse entre Dada
et les développements de l’art moderne
« sérieux ».]
Par la suite, Dada continuera à s’opposer
à d’autres formes d’art académique ou
des formes jugées trop figées par une
esthétique dogmatique, rejetant par
exemple le surréalisme naissant (1924) ;
Francis Picabia « crucifiera » ce dernier
à travers un dessin sans équivoque qui
brocarde « la nouvelle église » surréaliste,
qui inaugure à cette date son engagement
en faveur du communisme.
1. I.K. Bonset, Je suis contre tout et
tous, 1921
Le dessin Je suis contre tout et tous
illustre bien le caractère contestataire du
mouvement Dada. Ce petit dessin tracé
sur un courrier de Van Doesburg est un
autoportrait de la « face cachée » dadaïste
de Van Doesburg, son double I.K. Bonset.
Ce personnage auréolé d’un nihilisme
destructeur tourne le dos au passé afin
de tout reconstruire sur de nouvelles
bases. Ainsi cette image témoigne à la
fois d’un crédo philosophique et d’un
besoin de mystification. Ce subterfuge
et les nombreuses allusions émanant
de Van Doesburg et de son entourage
contribueront à ce que de nombreuses
personnes croient en l’existence réelle
de son double imaginaire. La supercherie
dura assez longtemps : en 1924 par
exemple, le manifeste de Marinetti cite
encore de façon distincte Van Doesburg et
Bonset avec Mondrian et Huszár, comme
représentants hollandais du futurisme
mondial.
EXPO
Kurt Schwitters, Sans titre (I.K. Bonset), 1921
Collection privée © Philippe de Gobert
014
EXPO
2. Kurt Schwitters, Sans titre
(I.K. Bonset)
Van Doesburg fait la connaissance du
dadaïste allemand Kurt Schwitters en mai
1921 à Weimar et participe au Congrès
Dada-Constructiviste de septembre 1922,
auquel succèdent une tournée dada aux
Pays-Bas (1923) et des manifestations
à Hanovre (1925). Le présent collage
comporte l’inscription « I.K. Bonset », le
pseudonyme de Van Doesburg désignant
un prétendu poète dadaïste, rédacteur
littéraire de la revue Mécano, dont Van
Doesburg est en réalité lui-même l’éditeur.
La pratique du collage constitue l’essence
même de la création artistique de
Schwitters. Lorsqu’au cours des années
1912-1913, Picasso et Braque insèrent dans
leurs compositions cubistes étiquettes de
vin, boîtes d’allumettes ou morceaux de
journal, le but était d’introduire le fairevaloir de la réalité, par contraste avec la
peinture. Partisan d’un art élémentaire
abstrait, Schwitters renverse à son tour
tous les procédés de création, traditionnels
ou modernes. Sa démarche artistique ne
consiste pas à transposer ou à s’abstraire
de la nature, ni à construire à partir de
formes géométriques. Il s’agit d’une
nouvelle manière de détourner la matière
du réel. « Comme le pays était ruiné, écritil, par économie je pris ce que j’avais sous la
main. On peut aussi créer avec des ordures
et c’est ce que je fis en les collant et en les
clouant ensemble. » L’art de Schwitters
réussit ce tour de force qui consiste à créer
une abstraction matiériste établissant
un parallèle avec ses poèmes sonoreslettristes, au point que l’on hésite toujours
à les qualifier de « poésie abstraite » ou de
« poésie concrète ».
015
EXPO
Werner Graeff, Filmkomposition II/22, 1922/1977
© Centre Pompidou, MNAM–CCI, Dist. RMN–Grand Palais,
photo Hervé Véronèse
László Moholy-Nagy, Sans titre, 1925
Museum Folkwang, Essen
016
EXPO
Cinéma
abstrait
Lors d’un séjour en Allemagne en 1921,
Theo van Doesburg fait la connaissance de
plusieurs personnalités qui contribueront
à faire évoluer ses intérêts et son art en
l’ouvrant à une nouvelle dimension. À
Berlin, il rencontre Hans Richter et Viking
Eggeling, qui élaborent des partitions
graphiques abstraites, qu’ils font courir
sur de longs rouleaux. C’est Van Doesburg
qui incite Richter à utiliser les nouvelles
possibilités du cinématographe et à
exploiter le carré comme élément de base,
celui-ci « étant à la nouvelle humanité ce
que la croix représentait pour les premiers
chrétiens », expliquera Van Doesburg
à Richter. Tout le potentiel dynamique
de la composition est exploité, une fois
déployé dans un mouvement cinétique.
Avec le médium cinéma qui introduit la
temporalité, Van Doesburg, Richter et
Viking Eggeling traduisent l’espace-temps
sur une surface plane, dans laquelle la
lumière joue un rôle prépondérant.
La répétition et la progression d’une
forme ou d’un mot, inspirées par les
images qui se déroulent sur la pellicule
cinématographique, deviendront un
leitmotiv de la typographie moderniste,
comme en témoigne plus loin la couverture
de 400 Anlangen par César Domela et le
carton publicitaire pour la Vickers House
par Piet Zwart.
le temps. Suivant la pratique de Viking
Eggeling et de Hans Richter, Wermer Graeff
réalise au départ une partition graphique
sur rouleau (reproduit dans la revue De
Stijl de mai 1922) destinée à servir de base
à un film. La technique du cinéma anime
l’ensemble. Un rythme trépidant et un
scintillement lumineux accompagnent le
déplacement du carré et sa métamorphose
dans l’espace, allant de l’infiniment petit à
l’infiniment grand.
2. László Moholy-Nagy,
sans titre, 1925
Parallèlement aux travaux expérimentaux
de Graeff et de Richter, le film et ses
caractéristiques physiques (pellicule et
papier photosensibles…) engagent les
artistes sur la voie d’une nouvelle réflexion
plastique. Les rayographies de Man Ray
et de László Moholy-Nagy consistent à
réaliser une photographie sans le recours
à un appareil photographique. En plaçant
un objet soumis à la lumière en contact
direct avec le papier photosensible, le
support enregistre la forme de celui-là
selon le mouvement que le créateur aura
insufflé à la lumière furtive. Le résultat
évoque la trace ou l’empreinte d’un objet,
temporairement présent mais désormais
absent. Le flou lumineux confère à l’objet
une sorte d’aura impalpable telle que la
définira Walter Benjamin en 1931 : « Qu’estce au juste que l’aura ? Un tissage étrange
d’espace et de temps : l’unique apparition
d’un lointain, si proche soit-elle. » La
1. Werner Graeff,
rayographie est la plaque sensible qui a vu
Filmkomposition I/22 & II/22, 1922/1977 ce qui s’est passé. L’œuvre photographique
ne se limite pas ici à la représentation d’un
À l’inverse du travail d’un cinéaste qui tend objet bien délimité dans le temps et dans
à reproduire l’illusion d’une certaine réalité, l’espace, mais est désormais considérée
les « partitions filmiques » de Werner
comme une apparition évanescente, un
Graeff – un élève du Bauhaus qui suivait en passage dans le continuum espace-temps.
privé les cours que Van Doesburg donnait
à Weimar (avril 1921-1922) – trahissent une
réflexion, propre à des peintres abstraits,
portant sur le médium cinéma, en vue
d’intégrer le mouvement, la lumière et
017
EXPO
Peter Röhl, Composition De Stijl, 1922
Galerie Berinson, Berlin
018
EXPO
De Stijl
et les « ismes »
dans l’art
Au début des années 1920, l’Europe
connaît une période d’émulation
créative sans précédent, dont Berlin
constitue l’épicentre. Fin mai 1922,
Düsseldorf accueille le Congrès des
artistes progressistes qui ambitionne de
rassembler les différentes branches de
l’art d’avant-garde – tous les « ismes »
de l’époque, en somme. À la suite des
violents débats où tous se sont opposés,
El Lissitzky, Van Doesburg et Hans Richter,
pour s’imposer, décident de faire front
commun en signant La Déclaration du
Groupe international des Constructivistes
du Congrès des artistes progressistes.
Dès le mois de juin, la revue De Stijl
publie cette annonce accompagnée du
manifeste « PROUN. Not world vision, butworld reality, 1920 ». El Lissitzky y définit
sa création intitulée Proun (acronyme
russe de « Projet pour l’affirmation du
nouveau »), inaugurée a Vitebsk deux
ans plus tôt. « Proun is the creation of
form (control of space) by means of the
economic construction of material to
which a new value is assigned. » [Proun
est la création de la forme (contrôle de
l’espace) au moyen de la construction
économique, d’un matériau auquel une
nouvelle valeur est assignée.] Cet art
expérimental au service de la société se
veut anonyme dans son exécution et pure
énergie exprimée par la couleur, limitée
le plus souvent au rouge, jaune, noir et
gris. La construction joue sur les tensions
entre le vide et les formes géométriques
qui explosent ou tournoient dans l’espace
infini. Ici, la sphère axée sur une diagonale
peut s’interpréter en gravitation, comme
un axe où interagissent diverses forces de
l’Univers.
El Lissitzky conforte Van Doesburg dans ses
recherches sur l’espace-temps. La vision
axonométrique des Proun se retrouvera
019
notamment dans les Contre-constructions
et les maquettes d’architectures de Van
Doesburg et Cornelis van Eesteren en 1923.
Cette salle présente donc les échanges
théoriques que Van Doesburg et sa revue
De Stijl ont menés avec le constructivisme
russe mais aussi avec le futurisme italien,
l’avant-garde belge et les élèves du premier
Bauhaus. C’est sur ces derniers que
l’influence du néoplasticisme fut le plus
notable.
1. Peter Röhl,
Composition De Stijl, 1922
En 1921-1922, à Weimar, Peter Röhl accueille
dans son atelier Theo van Doesburg
qui y prononce cours et conférences,
en parallèle au cursus du Bauhaus. Le
discours du Néerlandais va à l’encontre des
principes alors prônés au sein du Bauhaus,
encore dominé par la personnalité de
Johannes Itten. À l’expressionnisme
abstrait favorisé par le Bauhaus,
Van Doesburg oppose les principes
d’objectivité, de dépersonnalisation,
d’ordre géométrique et d’un art social
adapté aux temps modernes. Son influence
sur de nombreux élèves du Bauhaus, qui
suivent ses cours en marge, se manifestera
rapidement dans les œuvres de ces
derniers. Röhl, par exemple, utilisera à son
tour couleurs primaires et constructions
orthogonales dans ses nouveaux tableaux.
2. Karel Maes, Peinture no. 2
En Belgique, où il prononce quelques
conférences, notamment à Anvers et à
Bruxelles, Van Doesburg noue plusieurs
contacts et lie certaines amitiés avec des
artistes locaux, comme les frères Bourgeois
et Karel Maes. Mis à part Georges
Vantongerloo, Huib Hoste et Paul Joosten
parfois en sculpture, les œuvres de l’avantgarde belge s’affirment comme étant
singulières et demeurent peu marquées
par le néoplasticisme ; elles n’en retiennent
EXPO
Karel Maes, Peinture nr. 2,1921, Collection de la Communauté française,
mise en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Charleroi © Sylvain Jennebauffe
Enrico Prampolini, Portrait de F. T. Marinetti, Synthèse plastique,
1924-1925. GAM - Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea, Turin © Fondazione Torino Musei, Turin / Rampazzi 1993
020
EXPO
que l’idée d’abstraction et d’autonomie.
Elles semblent avoir avant tout recherché
une synthèse non figurative de tous les
« ismes ». Karel Maes et Josef Peeters
allient ainsi le dynamisme des futuristes
à une structuration post-cubiste, tandis
que Victor Servranckx s’adonne à une
abstraction mécaniste.
Peinture nr. 2 atteste de cette très grande
liberté de Karel Maes face aux diverses
diktats théoriques des « ismes » étrangers
et particulièrement envers ceux de De Stijl,
alors même qu’il a signé le manifeste du
constructivisme international (1922) avec
Van Doesburg, El Lissitzky, Hans Richter
et Max Burchartz. Cette composition
entremêle cercles et triangles aux carrés,
couleurs primaires et secondaires au sein
d’une construction remarquablement
hétéroclite, ce qui lui confère son originalité
et sa séduction. Par ailleurs, datée de 1921,
cette abstraction géométrique s’avère très
novatrice, si l’on considère la lenteur de
son apparition en France, dont seul à cette
époque Albert Gleizes défend la cause,
tant bien que mal.
3. Enrico Prampolini, Portrait de
F.T. Marinetti, synthèse plastique,
1924-1925
Les rapports de Van Doesburg avec
le futurisme ont été constants et non
dépourvus de critiques, exprimées sur un
mode amical. Dès 1912, il y consacre un
article dans la revue Eenheid puis en 1917,
il invite Severini à écrire dans la revue De
Stijl. Severini y défend l’ère de la machine
mais d’une manière totalement différente
du second futurisme des années 1920.
« Le procédé de construction, écrit-il,
d’une machine est analogue au procédé
de construction d’une œuvre d’art » ;
ce propos encouragera l’usage de la
géométrie et des mathématiques en art,
ce que retiendra particulièrement Georges
Vantongerloo.
Enrico Prampolini avait connu Van
Doesburg par le biais du groupe parisien
021
de la Section d’or (1920) : Van Doesburg
endossera plus tard le rôle de commissaire
d’exposition pour la Hollande et la
Belgique et Prampolini pour l’Italie. Tous
deux se retrouvent aussi au Congrès des
artistes progressistes de Düsseldorf en
1922. La peinture futuriste de Prampolini
se focalise davantage sur l’iconographie
mécaniste, l’expression de son rythme
et de sa puissance. Ce portrait peu
complaisant de Marinetti, le chef de file
du mouvement futuriste, exprime par la
violence des couleurs, la dureté des aplats,
l’entrechoc des lignes et une synthèse
constructive brutale, le caractère guerrier
du personnage, qui était par ailleurs lié au
régime fasciste italien.
EXPO
Theo van Doesburg, Contre-composition V, 1924
Collection Stedelijk Museum Amsterdam
Piet Zwart, Carte publicitaire pour Vickers House, 1922-23
Collection Gilles Gheerbrant, France © Philippe de Gobert
022
EXPO
De Stijl
1923-1931
En 1924-1925, Van Doesburg introduit
dans sa peinture la diagonale et fait subir
à ses tableaux une rotation à 45 degrés
de la grille de composition : ainsi naît
une nouvelle tendance picturale que
l’artiste baptise « élémentarisme ». Là où
le néoplasticisme de Mondrian – que Van
Doesburg accuse de statisme – constituait
un monde en soi, rythmé, dont la grille
orthogonale est rigoureusement inscrite
dans le champ du tableau, l’élémentarisme
propose un prolongement au-delà des
bords du tableau et s’affranchit à plusieurs
reprises de la règle des couleurs primaires.
D’autres peintres emboîtent le pas de Van
Doesburg et intégrent le nouveau groupe
De Stijl, adoptant même par moment
les deux tendances, néoplasticienne et
élémentariste. Parmi eux figurent César
Domela (qui rencontre Van Doesburg à
Paris en 1924), Friedrich VordembergeGildewart (présent à Hanovre en 1925) et
Jean Gorin.
1. Theo van Doesburg,
Contre-composition V, 1924
Comparée à une composition
contemporaine de Piet Mondrian, cette
Contre-composition illustre combien –
même au départ d’un même vocabulaire
plastique – la rupture entre néoplasticisme
et élémentarisme est complète. La grille
noire et rigide a ici disparu au profit d’une
composition qui suit un axe diagonal, et
les formes géométriques ainsi libérées
d’un hypothétique carcan débordent
littéralement du champ pictural. Cette
composition élémentariste est cependant
née du hasard : au départ, le tableau
était bien une composition néoplastique
disposée en diamant, c’est-à-dire en
carré sur pointe. C’est donc le fait d’avoir
renversé le tableau, selon une rotation à
45 degrés, qui lui apporte une nouvelle
023
dynamique. Ce tâtonnement quant à
l’orientation du tableau au cours des
années 1924-1925 est également attesté
dans la Contre-Composition XII du musée
de Grenoble qui a été exposée tantôt à la
verticale, tantôt à l’horizontale.
2. Piet Zwart, Page du folder
publicitaire de l’imprimerie Trio, 1931 et
Carte publicitaire pour Vickers House,
1922-1923
Abonné à la revue De Stijl depuis ses
débuts, Piet Zwart, architecte d’intérieur et
graphiste, entreprend dès les années 1920
de concevoir de nouvelles typographies
qu’il destine très souvent à l’usage
publicitaire comme l’illustre son projet
pour la firme Vickers House, un industriel
britannique actif dans l’aéronautique.
Avec l’influence de l’élémentarisme de
Van Doesburg, mais aussi de l’esthétique
dadaïste, Zwart compose des publicités
dont le texte devient le pivot dynamique,
marqué par la répétition et la progression
des formes influencées par le cinéma, par
des jeux de taille, de superposition, de
contrastes de couleurs et de diagonales.
L’artiste collabore également avec les
imprimeries Trio pour la publication d’un
livret publicitaire : « La publicité requiert
une lisibilité brutale », écrira Zwart. Son
audace typographique s’exprime ici par les
couleurs primaires, la composition en « X »
et la confrontation rythmique des lettres
et des chiffres, de polices et de tailles
différentes.
EXPO
César Domela, Composition nr. 5K, 1926
Collection privée © François Doury photographe, Paris
024
EXPO
3. César Domela,
Composition nr. 5K, 1926
Le jeune César Domela fait la connaissance
de Mondrian et de Van Doesburg à Paris
en 1924 où il est invité à prendre part au
mouvement De Stijl. Ses tableaux datés
de 1924-1925 trahissent l’influence du
néoplasticisme mais à la différence de
ceux de Mondrian, carrés et rectangles
de couleurs primaires ne sont pas séparés
par des lignes noires. Peinte en 1926,
Composition no 5K illustre l’évolution
de l’artiste vers une composition de
diagonales se coupant à angles droits,
innovation qu’il annonce à Van Doesburg
dans une lettre du 25 septembre 1925.
Cette peinture, conforme à l’adoption
des couleurs primaires, diffère, malgré
sa ressemblance, de l’élémentarisme de
Van Doesburg car l’orientation oblique est
intuitive et non calculée à 45 degrés. De
plus, la barre rouge présente en haut du
tableau n’est toujours pas délimitée par
une ligne noire. Cette liberté prise vis-à-vis
de ses deux mentors Mondrian et Van
Doesburg se confirmera en 1929, lorsque
Domela réalisera ses premiers reliefs.
025
EXPO
Theo van Doesburg, Projet de mise en couleur pour un mur
de la galerie du Ciné-dancing de l’Aubette, Strasbourg, 1927,
Collection Het Nieuwe Instituut, Rotterdam, donation Van Moorsel
Aubette, ciné-dancing, s.d.
RKD – Netherlands Institute for Art History
026
EXPO
De Stijl 1923-1931,
architecture
et mobilier
Au cours des années 1923-1925, Theo
van Doesburg collabore avec Cornelis
Van Eesteren à la création de maquettes
architecturales qui contiennent tout
l’imaginaire de l’architecture De Stijl. Le
principal élément de cette architecture
réside dans l’asymétrie des volumes,
présentée par des vues axonométriques
(influencées par les Proun d’El Lissitzky).
Cette disposition asymétrique accroît la
sensation de légèreté et de flottement des
parois, renforcée par le dynamisme des
couleurs.
Cette réflexion trouve son plus bel
aboutissement dans la maison SchräderSchröder que Gerrit Rietveld construit
à Utrecht en 1924. Extérieur et intérieur
s’y interpénètrent grâce aux larges baies
vitrées, tandis que l’organisation des plans
blancs, gris ou de non-couleur et ceux
de couleurs primaires rythme l’ensemble
du bâtiment. À la différence des projets
de Van Doesburg qui intègre largement
la couleur à l’extérieur, Rievelt s’en sert
davantage pour faire ressortir des éléments
architecturaux (encadrement de fenêtres,
par exemple) ou souligner les lignes de
force d’une poutre. Le fait que les murs
porteurs soient évacués sur l’extérieur
permet la mobilité des cloisons intérieures
et favorise un aménagement à la fois
fonctionnel et évolutif, qui remodèle les
espaces selon les besoins, les usages et les
rituels de vie.
1. L’Aubette à Strasbourg, 1926-1928
La commande de l’aménagement
intérieur du café-restaurant et dancing de
L’Aubette, qu’il obtient par l’intermédiaire
de Hans Arp et de Sophie Taeuber-Arp,
permet à Van Doesburg d’appliquer sa
conception plastique à l’aménagement
027
intérieur et à l’usage quotidien. Si Van
Doesburg applique encore une esthétique
néoplasticienne dans la première salle du
café-restaurant, il introduit dans la salle du
ciné-dancing ses principes élémentaristes :
les compositions colorées, disposées
en diagonale, sont ici transposées sur
une échelle monumentale. L’ensemble
crée ainsi un « contre-mouvement »,
déconstruisant la perception visuelle de
l’espace et donnant une impression de
mobilité. « La peinture spatio-temporelle
du xxe siècle, écrit Van Doesburg, avec ses
possibilités plastiques, de structuration,
permet à l’artiste de réaliser le rêve de
placer l’homme non devant la peinture
mais dans la peinture elle-même. » Hélas,
la réalisation de Van Doesburg au cafédancing L’Aubette recueillera un succès
mitigé, ce qui provoquera chez l’artiste une
cuisante déception.
EXPO
Theo van Doesburg, Maquette de la Maison-atelier (reconstruction), Meudon, 1982
Collection Het Nieuwe Instituut, Rotterdam
028
EXPO
2. La maison-atelier Van Doesburg
à Meudon
La maison personnelle que Van Doesburg
conçoit et fait bâtir à Meudon entre 1929
et 1931 constitue la dernière contribution
de l’artiste au domaine architectural.
Pour ce faire, il emploie un jeune étudiant
en architecture, Abraham Elzas, qui
explique ainsi sa participation : « Tous
les plans étaient faits. Je n’ai eu qu’à
les mettre au propre et à exécuter des
dessins techniques pour les entreprises
de bâtiment. » À l’inverse des réalisations
précédentes, notamment L’Aubette, la
maison-atelier se compose de volumes
simples et stricts (deux cubes juxtaposés)
et la couleur n’intervient que de manière
très ponctuelle. Certes, la porte du garage
(actuellement en jaune) n’est pas visible
sur les photos de l’époque, mais il faut
tenir compte du fait que Van Doesburg est
mort avant d’avoir pu apporter la touche
finale à sa maison. Ce retour à davantage
de simplicité dans les volumes et dans
l’usage des couleurs fait sans doute suite
chez Theo van Doesburg à sa déception
face au peu d’enthousiasme suscité par le
café-dancing de L’Aubette. Ce nouveau
revirement correspond également à sa
proclamation publiée dans le manifeste
de l’Art Concret Vers la peinture
blanche : « Blanc est la couleur de la
nouvelle époque, la couleur qui signifie
dans toute époque celle de la perfection,
de la pureté, et de la certitude. »
029
EXPO
Otto Gustaf Carlsund, Manifeste pour l’Art Concret
(quatrième peinture programme), 1930
Eskilstuna Museum of Art, Suède
Theo van Doesburg, Composition arithmétique, 1929-1930
Kunstmuseum Winterthur
030
EXPO
L’Art Concret
Le groupe Art Concret est fondé par Theo
van Doesburg en 1930, parallèlement
à la création à Paris de Cercle et Carré
sous l’impulsion de Michel Seuphor
et Joaquín Torres García. Ami de Piet
Mondrian, Seuphor avait l’ambition de
rassembler toute l’avant-garde parisienne,
en opposition au mouvement surréaliste
mené par André Breton. Cercle et Carré
rassemblait en son sein des tendances
aussi disparates que les post-cubistes, les
puristes, les futuristes, les constructivistes,
Mondrian et divers membres de De Stijl.
La majorité d’entre eux défendaient une
esthétique non figurative, mais ce n’était
certes pas le cas de tous, à commencer par
le cofondateur du groupe, Joaquín Torres
García.
Afin de contrecarrer cette vaste association
de peintres et d’architectes, Van Doesburg
– rejoint par Otto Carlsund, Jean Hélion,
Léon Tutundjian, Marcel Wantz (artiste
éphémère qui arrêtera peu après de
peindre) et Walmar Schwab (présent
dans le groupe bien qu’il ne signa pas le
manifeste) – radicalise ses conceptions
plastiques, qu’il résume dans un manifeste
intitulé Base de la peinture concrète,
publié dans l’unique numéro de la revue
Art Concret. « L’œuvre d’art doit être
entièrement conçue et formée par l’esprit
avant son exécution […] et le tableau […]
entièrement construit avec des éléments
purement plastiques et n’a pas d’autre
signification que lui-même. »
1. Otto Carlsund, Manifeste pour l’Art
Concret, 1930
Otto Gustav Carlsund organise l’exposition
Art postcubiste à Stockholm pour
défendre sur un plan international le
groupe Art Concret et l’avant-garde
scandinave. Ce tableau de Carlsund
fait partie d’une série de six œuvres
qui retracent chronologiquement son
évolution picturale, partant de l’Académie
031
moderne où il est élève de Fernand Léger
et d’Amédée Ozenfant, pour aboutir à
l’Art Concret. Quatrième de cette suite,
cette œuvre atteste de l’influence du film
Symphonie diagonale de Viking Eggeling,
notamment par la compénétration des
cercles striés. Le film abstrait constituait
un modèle idéal pour inclure dans l’art
visuel la dimension temporelle. À leur tour,
El Lissitzky, Moholy-Nagy, Van Doesburg,
Carlsund, Hélion, etc. tentèrent d’insuffler
cette quatrième dimension à leurs œuvres,
un effet renforcé ici par la présentation
en série. Notons que les cadres de ces
tableaux ont été conçus par Van Doesburg.
2. Théo van Doesburg, Composition
arithmétique, 1929-1930
Apothéose de l’Art Concret, la
Composition arithmétique de Van
Doesburg, par la répétition de carrés noirs,
blancs et gris, dont les dimensions et les
intervalles varient selon une progression
géométrique, réunit l’espace et le temps en
une même entité irréversible. Ce tableau
reprenait en le parachevant un croquis
de 1926 intitulé Six moments dans le
développement d’un plan dans l’espace.
Van Doesburg l’avait par ailleurs publié
dans la revue Die Form en 1929, dans
son article « Le film comme pure mise
en forme ». Ainsi, l’origine de ce tableau
démontre une fois de plus l’influence
du cinéma abstrait sur une expression
artistique cherchant des fondements,
non plus spirituels mais en adéquation
avec l’évolution des sciences, telle que la
théorie de la relativité d’Albert Einstein
développée entre 1905 et 1915, dans deux
traités distincts. Le tableau est composé
de manière très précise, arithmétique et
impersonnelle : aucun coup de pinceau n’y
est décelable. Dans le manifeste de l’Art
Concret, Van Doesburg avait écrit : « La
peinture est un moyen pour rendre visible
la pensée. »
EXPO
EPILOgue
L’héritage de l’avant-garde
En 2016, BOZAR explore la signification
et le retentissement de l’avant-garde à
travers une série d’expositions.
Theo van Doesburg. Une nouvelle
expression de la vie, de l’art et de la
technologie (26.02 – 29.05.2016) et Daniel
Buren. Une Fresque (19.02 – 22.05.2016)
donnent le coup d’envoi d’une série
d’expositions qui explorent la signification
et la résonnance de l’avant-garde. En plus
de susciter une révolution stylistique,
les artistes avant-gardistes assument
également un certain rôle au sein de la
société. Au xxe siècle, deux lignes de
fracture sont apparues : la première autour
de la Première Guerre mondiale, et la
seconde durant la période allant de 1945 à
1968. La question se pose de savoir si nous
nous trouvons aujourd’hui sur une nouvelle
ligne de faille.
Les expositions Theo van Doesburg et
Daniel Buren, ainsi que le projet Imagine
Europe. In Search for New Narratives
(26.02 – 29.05.2016) se penchent sur cette
question. Imagine Europe ne consiste pas
en une exposition au format habituel, qui
reconduirait quelques idées préétablies,
mais relève du principe d’agora, de
laboratoire et d’atelier d’artiste. À côté de
personnalités incontournables comme
Rem Koolhaas, Michelangelo Pistoletto
et Chantal Akerman, une série d’artistes
plus jeunes en font leur terrain de jeu et
d’expérimentation.
Theo van Doesburg pourrait passer pour
l’archétype de l’avant-gardiste. Durant sa
carrière courte mais néanmoins intense,
il fonde deux revues et plusieurs groupes
d’artistes, écumant l’Europe occidentale
pour promouvoir ses idées. Le nom de
Van Doesburg est indissolublement
lié à De Stijl. Jusqu’à sa mort, il resta le
seul rédacteur permanent de la revue
homonyme. Le mouvement De Stijl ne
s’exerce pas seulement sur la surface plane
032
du tableau : il envahit façades et vitraux,
vaisselle, mobilier, aménagement intérieur
et architecture elle-même. Dans son
essai « The Will to Style : The New Form
Expression of Life, Art and Technology »
(1922), Van Doesburg voyait dans « les
ponts de fer, les locomotives, les voitures,
les télescopes, les cottages, les hangars
d’avions, les téléphériques, les gratte-ciel
et les jouets » la volonté d’imposer un
nouveau style de vie.
Au même titre que De Stijl avait déclenché
une lutte pour l’universalisme, Daniel Buren
engage à partir de 1967 un combat contre
la peinture et les institutions artistiques
chargées de la légitimation des œuvres
d’art. Buren est en quête de « la peinture
à son degré zéro ». Une aspiration qu’il
parvient à satisfaire par l’observation
attentive de son environnement. Il a opté
pour un modèle de rayures verticales
blanches et colorées, comme sur les
marquises des boutiques et des bistrots
parisiens. Buren se méfie de la recherche
fiévreuse de formes nouvelles : « De
tout cela, l’avant-garde, qui est par
définition risque, doute, recommencement
et multiples points d’interrogation,
n’aurait-elle retenu que le formalisme, la
présentation extérieure? Le refus de tout
compromis aurait-il insensiblement cédé la
place à un commerce subtil ? »
Plus tard dans la saison, deux grandes
expositions de groupe approfondiront le
thème de l’avant-garde. Dans The Power of
the Avant-garde (29.09 – 22.01.2017), des
artistes phares d’aujourd’hui, comme Luc
Tuymans ou Marlène Dumas, entreront en
dialogue avec l’avant-garde « historique »
qui a précédé et suivi la Première Guerre
mondiale : de ses précurseurs comme
James Ensor et Edward Munch, au Bauhaus
de Weimar, en passant par les futuristes
russes, les expressionnistes allemands et
les constructivistes internationaux. L’art
en Europe 1945-1968. Affronter le futur
(24.06 – 25.09.2016) montrera comment,
de part et d’autre du rideau de fer, des
EXPO
Donas et Van Doesburg
Dans le cadre de l’exposition Theo van
Doesburg, BOZAR s’associe au MSK Gent,
dont l’exposition Donas s’ouvre le 5 mars.
Sur présentation de leur billet, les visiteurs
de l’exposition à Bruxelles reçoivent une
réduction pour l’exposition à Gand, et vice
versa. Le lien entre ces deux expositions
va de soi : Donas et Van Doesburg se sont
connus et ont échangé de nombreuses
idées autour de l’art abstrait de leur temps.
L’avant-garde est aussi
au rendez-vous à Gand!
Donas
L’avant-gardiste belge
05.03 - 05.06.2016
Musée des Beaux-Arts, Gand
À la fin de la Première Guerre mondiale, le
mystérieux « Tour Donas » fait une brillante
carrière en Europe. Ce pseudonyme est
celui de la jeune Anversoise Marthe Donas
(1885-1967), la seule artiste belge de
l’avant-garde internationale. Le Musée des
Beaux-Arts de Gand organise la première
grande rétrospective jamais consacrée
à l’œuvre de cette femme remarquable.
L’exposition s’articulera autour la période
la plus prolifique de Donas, de la fin 1916,
date de son arrivée à Paris, jusqu’à 1927,
année où elle cessera de peindre pendant
une longue période.
www.mskgent.be
www.facebook.com/mskgent
033
Marthe Donas in her studio in Montparnasse
in Paris, 1919-20 © Letterenhuis, Antwerp
artistes en sont arrivés à des innovations
artistiques similaires. L’avant-garde ne
se limite d’ailleurs pas à l’Europe. C’est
ainsi que le mouvement Gutaï, qui a vu
le jour à Kyoto en 1954, a noué des liens
étroits avec le groupe Zéro. Il s’agit de l’un
des principaux courants abordés dans A
Feverish Era in Japanese Art, portant sur
l’expressionnisme abstrait dans les années
1950 et 1960 (10.10.2016 – 08.01.2017).
COLOPHON
THEO VAN DOESBURG: A NEW EXPRESSION OF LIFE, ART AND TECHNOLOGY
Under the High Patronage of:
Their Majesties the King and the Queen
His Majesty the King of the Netherlands
Head of Exhibitions: Sophie Lauwers
Curator: Gladys Fabre
Head of Production: Evelyne Hinque
Exhibition Coordinator: Ann Geeraerts
assisted by Carlos González Íscar
Technical Coordinator: Nicolas Bernus
Scenography: Jurgen Persijn & Asli Ciçek
Catalogue coordinator: Vera Kotaji
With dedicated support by Axelle Ancion, Hélène Bussers, Leen Daems, Laurence
Ejzyn, Hanne Lapierre, Marianne Van Boxelaere, Sylvie Verbeke, Tom Van de Voorde,
Frederik Vandewiele and our BOZAR hosts.
Support: Europe by People
Within the context of: The Netherlands Presidency of the Council of the European
Union
Management BOZAR
Chief Executive Officer – Artistic Director: Paul Dujardin
Head of Exhibitions: Sophie Lauwers
Director of Finances: Jérémie Leroy
Director of Operations: Albert Wastiaux
Head of Cinema: Juliette Duret
Head of Music: Ulrich Hauschild
Head of Artistic Transversal Policy: Marie Noble
Director of Human Resources: Marleen Spileers
Director of Technics, IT, Investment, Safety & Security: Stéphane Vanreppelen
Secretary General: Didier Verboomen
This is a publication by BOZAR
Editors: Sandra Darbé, Ann Geeraerts, Vera Kotaji
Lay-out: Koenraad Impens
Texts: Gladys Fabre, Fabrice Biasino
Translations: Michael Lomax, Dirk Vandemeulebroecke
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