Estimation du nombre et de la nature des interactions
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Estimation du nombre et de la nature des interactions
ARTICLE ORIGINAL ORIGINAL ARTICLE J Pharm Clin 2006 ; 25 (3) : 153-9 Estimation du nombre et de la nature des interactions médicamenteuses concernant les médicaments antirétroviraux Number and nature of drug interactions concerning antiretroviral drugs V. JURUS, S. BOSSAERT, B. CHARPIAT* Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Service pharmaceutique, Hôpital de la Croix-Rousse, 93, grande rue de la Croix-Rousse, 69317 Lyon Cedex 04 <[email protected]> Résumé. Les antirétroviraux présentent de nombreuses interactions médicamenteuses. À ce jour, aucun document ne permet de connaître de façon exhaustive leur nombre et leur nature. L’objectif de ce travail est de recenser le nombre de ces interactions et de répertorier, si elles existent, les conduites à tenir. Nous avons effectué une recherche documentaire « en cascade » à partir du dictionnaire Vidal® 2005, puis du thésaurus de l’Afssaps et du dossier du CNHIM 2002. Les publications issues d’une veille documentaire pratiquée à partir de revues scientifiques ont également été intégrées. Les interactions figurant dans plusieurs sources n’ont été comptabilisées qu’une fois, la source délivrant l’information la plus précise quant à la conduite à tenir et/ou le degré de gravité le plus élevé étant retenue. Pour les 20 antirétroviraux actuellement commercialisés en France, nous avons répertorié 910 interactions ; 282 interactions proviennent du Vidal®, mais 628 interactions supplémentaires ont été identifiées à partir d’autres sources : 481 ne figurent pas dans le Vidal® et 147 y sont décrites de manière moins précise ; 328 interactions ont des conséquences significatives sur le plan clinique ; 193 interactions sont issues d’études sur des modèles animaux ou d’études in vitro et 389 interactions sont avérées uniquement sur le plan pharmacocinétique. Les antirétroviraux les plus fréquemment impliqués sont : ritonavir, saquinavir et indinavir, et pour les molécules associées : anticancéreux, anticonvulsivants et immunosuppresseurs. Cent vingt-sept contre-indications et 39 associations déconseillées ont été répertoriées. Une conduite à tenir est indiquée pour la moitié des interactions, ce qui signifie que pour l’autre moitié, les données disponibles sont actuellement insuffisantes pour en définir une. Il est nécessaire de consulter plusieurs sources documentaires pour détecter ces interactions. Médecins et pharmaciens devraient néanmoins être informés que le dictionnaire Vidal® ne renseigne que pour un tiers des interactions concernant les médicaments antirétroviraux. Mots clés : interactions médicamenteuses, antirétroviraux Abstract. Antiretroviral medications are particularly prone to drug-drug interactions. No document has been elaborated so far to provide descriptions of their number and nature. The aim of this study was to assess the number of these drug-drug interactions and to find out and collect recommendations for each of them. We conducted a bibliographic search from the 2005 Vidal® dictionary, and then from the “thésaurus de l’Afssaps” and the “dossier du CNHIM 2002”. A literature search of scientific journals have also been performed in parallel. Interactions mentioned in several information sources were registred once. We took into account the higher interaction severity degree and/or the most accurate management recommendation. For the 20 antiretroviral drugs marketed in France, 910 drug-drug interactions were identified. 282 from the Vidal® dictionary; 628 from other sources. Among those latter, 481 were not reported in the Vidal® dictionary and 147 were less precisely described and comprehensive. 328 interactions were presented as clinically relevant; 193 interactions were extrapolated from in vitro or animal studies and for 389 potential consequences in humans were unknown. The most frequently involved antiretroviral agents were ritonavir, saquinavir and indinavir, most often interacting with antineoplastic drugs, anticonvulsants, and immunosuppressants. 127 contraindications and 39 unadvised associations were held. Management recommendations were mentioned for 455 drug interactions. For the 455 other interactions, data were insufficient to specify management recommendations. Healthcare professionals must consult several information sources to get full information related to antiretroviral drug-drug interactions. Physicians and pharmacists should be aware that the Vidal® dictionary gave the most precise information for only one third of identified interactions. Key words: drug interactions, antiretroviral drugs * Correspondance et tirés à part : B. Charpiat J Pharm Clin, vol. 25, n° 3, septembre 2006 153 V. Jurus, et al. A Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. u cours des dix dernières années, nous avons mis en place la sécurisation de la dispensation des traitements antirétroviraux aux patients ambulatoires. L’ensemble du personnel a été formé. La formation théorique porte sur les différentes molécules, leur posologie et leurs schémas d’administration, leurs effets indésirables potentiels, les interactions médicamenteuses et les conseils hygiéno-diététiques. Le personnel est ensuite validé par un questionnaire. Les ordonnances sont analysées à chaque dispensation (contrôle des posologies, recherche des interactions entre les différents traitements antirétroviraux). Des consultations pharmaceutiques sont proposées aux patients avec la rédaction d’un plan de prise qui tient compte des différents médicaments prescrits, des habitudes alimentaires et du mode de vie du patient. Une information sur les éventuels effets indésirables et une sensibilisation à l’observance médicamenteuse sont également réalisées [1]. L’avis des patients a été consulté et pris en compte [2]. Nous avons observé que les patients infectés par le VIH avaient souvent plusieurs ordonnances, traitement antirétroviral et traitements de ville, rédigées par des médecins différents. Nous avons donc jugé nécessaire de mettre en place l’analyse pharmaceutique de l’ensemble de leurs prescriptions. En effet, les médicaments antirétroviraux présentent de très nombreuses interactions médicamenteuses. Celles identifiées au cours des dernières années sont rassemblées dans le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’Afssaps [3]. Cependant, l’examen régulier des sommaires de 17 revues scientifiques montre que les interactions de cette classe médicamenteuse font l’objet d’une recherche active et que de nouvelles publications sortent régulièrement. Nous avons donc cherché à déterminer le nombre de ces interactions médicamenteuses, leur nature et s’il existait pour chacune d’entre elles une conduite à tenir. Matériel et méthode Une recherche bibliographique a été réalisée successivement à partir des sources d’information suivantes : le dictionnaire Vidal® 2005 [4], le « thésaurus des interactions médicamenteuses – mise à jour no 2 » édité par l’Afssaps [3] et le dossier du CNHIM 2002 no 5-6 « Principales associations d’antirétroviraux dans le traitement des infections à VIH » [5]. Les données issues de la base de données Thériaque [6] reprennent celles du Thésaurus de l’Afssaps, nous les avons donc considérées comme identiques et nous ne parlerons désormais que du thésaurus de l’Afssaps. Les sources d’information ont été consultées dans l’ordre suivant : d’abord le dictionnaire Vidal® 2005 (puisque c’est l’outil utilisé en première intention par les professionnels de santé), puis le thésaurus de l’Afssaps et enfin le dossier du CNHIM. Par ailleurs, nous procédons régulièrement à une veille documentaire portant sur 17 revues scientifiques : The Annals of Pharmacotherapy, Antimicrobial Agents and Chemotherapy, British Journal of Clinical Pharmacology, Clinical Chemistry, Clinical Drug Investigation, Clinical Pharmacokinetics, Clinical Pharmacology and Therapeutics, Drugs, European Journal of Clinical Pharmacolology, International Journal of Clinical Pharmacology and Therapeutics, Journal de Pharmacie Clinique, The Lancet, New England Journal of Medicine, Pharmacotherapy, Pres- 154 crire, Therapeutic Drug Monitoring et Thérapie. Les articles sélectionnés à partir des sommaires des revues sont ensuite lus et analysés. Les interactions qui ne figurent pas dans les trois références précédemment citées, sont indexées dans un classeur de veille documentaire. Les articles sources ainsi indexés sont tous conservés à la pharmacie, ce qui permet leur consultation en cas de nécessité. Les interactions relevées à partir d’une première source ne sont pas reprises si elles apparaissent de façon identique dans d’autre(s) source(s). Une interaction n’est donc comptabilisée qu’une seule fois, même si elle apparaît dans plusieurs sources documentaires. La référence retenue est celle qui attribue le degré de gravité le plus élevé et/ou la conduite à tenir la plus précise. Par exemple, l’association entre l’indinavir et la simvastatine est « non recommandée » dans le dictionnaire Vidal® [4], alors qu’il s’agit d’une « contre-indication » dans le thésaurus de l’Afssaps [3]. La référence retenue est donc le thésaurus de l’Afssaps. De même, le dictionnaire Vidal® [4] précise qu’en cas d’association de nelfinavir et de sildénafil, les concentrations de sildénafil « peuvent être augmentées, (...), il faut donc vérifier que les patients ne présentent pas de toxicités liées à ces médicaments » alors que le thésaurus de l’Afssaps [3] recommande de « débuter le traitement (...) à la dose minimale ». La conduite à tenir étant plus précise dans le thésaurus de l’Afssaps, c’est la référence retenue. L’ensemble de ces données a été rassemblé sous forme d’un classeur à simple entrée qui comporte les rubriques suivantes : DCI de la molécule antirétrovirale, DCI de la(les) spécialité(s) associée(s), effet de l’interaction, conduite à tenir et référence bibliographique. Un extrait du contenu de ce classeur est présenté dans le tableau 1. Les 20 molécules antirétrovirales actuellement commercialisées en France ont été étudiées. Pour aider à la définition des conduites à tenir, le type d’étude a été intégré à l’outil : étude de pharmacocinétique, étude sur des modèles animaux, études in vitro. Trois catégories distinctes d’interactions sont donc répertoriées : 1) les interactions cliniquement significatives, pour lesquelles les conséquences cliniques sont connues. Par exemple, l’interaction entre le ritonavir et la dihydroergotamine se traduit par des manifestations d’ergotisme avec possibilité de nécrose des extrémités [3] ; 2) les interactions issues d’études in vitro ou d’études réalisées sur des modèles animaux mais pour lesquelles les conséquences chez l’homme demeurent inconnues. Par exemple, l’association de l’efavirenz à l’alprazolam diminue les concentrations d’alprazolam par induction du cytochrome 3A4 par l’efavirenz. Par prudence, cette association est non recommandée [7] ; 3) les interactions pour lesquelles les conséquences cliniques restent à établir, car issues d’études dont les critères d’évaluation ne portaient pas sur les conséquences cliniques (études de pharmacocinétique par exemple). L’interaction entre l’indinavir et le fluconazole se traduit par une inhibition de l’absorption de l’indinavir par le fluconazole mais les conséquences cliniques restent à établir [7]. Résultats Les résultats présentés ci-dessous tiennent compte de la dernière consultation des sources d’information et des J Pharm Clin, vol. 25, n° 3, septembre 2006 Interactions médicamenteuses des antirétroviraux Tableau 1. Extrait du classeur « Interactions médicamenteuses des médicaments antirétroviraux ». Molécule Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. DCI Spécialités Molécule associée DCI Conduite à tenir Effets de l’interaction Référence bibliographique Spécialités Ritonavir Norvir® Acénocoumarol Kaletra® Mini-Sintrom® Sintrom® Ritonavir Norvir® Kaletra® Acide fusidique Fucidine® Ritonavir Norvir® Kaletra® Acide valproïque Depakine® Depakote® Micropakine® Ritonavir Norvir® Kaletra® Albendazole Eskazol® Zentel® Ritonavir Norvir® Kaletra® Alimémazine Théraléne® Ritonavir Norvir® Kaletra® Altrétamine Hexastat® Ritonavir Norvir® Aminophylline Kaletra® Ritonavir Norvir® Kaletra® Amiodarone Corbionax® Cordarone® Ritonavir Norvir® Kaletra® Amprénavir Agenerase® Demander au patient si son INR est stable Variation de l’effet de l’AVK, le plus Thésaurus des interactions souvent dans le sens médicamenteuses Afssaps. d’une diminution Mise à jour no 2 - Avril 2005 Vidal 2005 La co-administration de ritonavir et d’acide fusidique est susceptible d’entraîner une augmentation significative des concentrations plasmatiques d’acide fusidique et de ritonavir Surveillance des taux plasmatiques Diminution des concentrations The management oh HIV-1 protease d’acide valproïque et de ritonavir plasmatiques d’acide valproïque inhibitor pharmacokinetics interactions J Antimicrob Chemother 2005 ; 58 : 1-5 Drug interactions between Surveillance de l’efficacité de Les concentrations d’aldendazole antiretroviral drugs and l’albendazole, surveillance des leucocytes peuvent augmenter ou diminuer comedicated agents. Clin Interaction théorique par induction ou inhibition Pharmacokinet 2003 ; 42 : 223-82 du CYP3A Drug interaction between Surveillance de la sédation et diminution Augmentation des concentrations antiretroviral drugs and de ritonavir et d’alimémazine de la posologie de ritonavir et comedicated agents. Clin par inhibition du CYP2D6 d’alimémazine Pharmacokinet 2003 ; 42 : 223-82 par le ritonavir Interaction théorique Inhibition du CYP Inhibition du CYP pouvant diminuer Interactions between antiretrovirals l’efficacité de l’altrétamine and antineoplastic drug therapy. Clin Pharmacokinet 2005 ; 44 : 111-45 Diminution de la théophyllinémie Thésaurus des interactions Surveillance clinique et éventuellement par augmentation du métabolisme médicamenteuses Afssaps. de la théophyllinémie ; s’il y a lieu, hépatique de la théophylline Mise à jour no 2 - Avril 2005 adaptation de la posologie de la théophylline pendant le traitement par ritonavir et après son arrêt Vidal 2005 Contre-indication Le ritonavir induit une forte Contacter le prescripteur augmentation de la concentration plasmatique de l’amiodarone avec risque d’arythmie Vidal 2005 Vérifier que les posologies soient : Les concentrations d’amprénavir Agenerase® 600 mg 2 fois/jour sont augmentées en cas ® Norvir 100 mg 2 fois/jour d’administration concomitante de ritonavir sommaires de revues en date du 15 novembre 2005. Pour les 20 molécules antirétrovirales étudiées, 910 interactions médicamenteuses ont été répertoriées. Parmi elles, 282 interactions ont été retenues à partir du Vidal® [4] ; 628 autres interactions ont été retenues à partir d’autres sources : 233 à partir du thésaurus de l’Afssaps [3] ; 391 ont été identifiées à partir de 13 publications issues de la veille documentaire [7-19] dont deux articles ayant fait une revue de la littérature [7, 8] et 4 du dossier du CNHIM [5]. Parmi ces 628 interactions, 147 figurent dans le Vidal® mais elles y sont soit moins précises, soit avec un degré de gravité moindre. En revanche, 481 interactions (77 %) ne figurent pas dans le Vidal®, soit 53 % de la totalité des interactions relevées. On constate donc que le Vidal® ne donne les renseignements les plus précis que dans 31 % des cas. Parmi ces 910 interactions, 328 ont des conséquences cliniques établies, 193 sont des interactions mises en évidence in vitro ou chez l’animal mais sans étude chez l’homme et 389 interactions pour lesquelles les conséquences cliniques restent à établir. Les trois molécules antirétrovirales les plus fréquemment impliquées sont : ritonavir (149 interactions), saquinavir J Pharm Clin, vol. 25, n° 3, septembre 2006 (90 interactions) et indinavir (82 interactions) (tableau 2). Les classes médicamenteuses les plus fréquemment rencontrées sont : les molécules cytotoxiques (252 interactions), les anticonvulsivants (50 interactions) et les immunosuppresseurs (28 interactions). La classe des cytotoxiques est quasiment absente des ouvrages officiels puisqu’on ne retrouve que 4 interactions entre les antirétroviraux et les cytotoxiques dans le dictionnaire Vidal® et 4 dans le thésaurus de l’Afssaps. Pourtant, la probabilité d’interaction entre ces deux classes médicamenteuses est très élevée et les conséquences potentiellement dangereuses [8]. Au total, nous avons relevé 127 contre-indications et 39 associations déconseillées. Une conduite à tenir est précisée pour 455 interactions : – pour 240 interactions médicamenteuses, des dosages de médicaments, des suivis biologiques ou des recherches et surveillances d’effets indésirables sont recommandés. Par exemple, il faut contrôler les taux plasmatiques de ciclosporine lorsque celle-ci est associée à l’atazanavir [4]. En cas d’association de ténofovir et de tacrolimus, la conduite à tenir est de surveiller la fonction biologique rénale de manière hebdomadaire [3]. L’association de la 155 V. Jurus, et al. Tableau 2. Nombre et classement selon leur degré de gravité des interactions médicamenteuses (IAM) concernant les médicaments antirétroviraux. IAM contre-indiquées IAM déconseillées Autres Total 25 24 13 15 15 10 13 9 3 5 4 3 3 4 4 4 119 62 66 57 53 56 48 45 40 33 32 31 31 23 19 17 6 4 2 149 90 82 75 72 70 65 54 45 36 35 32 31 23 21 17 6 5 2 0 910 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Ritonavir Saquinavir Indinavir Amprénavir Atazanavir Nelfinavir Fosamprénavir Efavirenz Névirapine Didanosine Zalcitabine Zidovudine Ténofovir Tipranavir Stavudine Delavirdine Abacavir Lamivudine Emtricitabine Enfuvirtide Total 2 3 3 1 2 1 127 39 744 stavudine et de la phénytoïne nécessite la recherche d’une éventuelle neuropathie [7] ; – 104 substitutions médicamenteuses de la molécule associée sont proposées afin d’éviter une interaction médicamenteuse. Par exemple, il est conseillé de remplacer l’oméprazole par de la ranitidine si le traitement du patient comporte de l’indinavir [9] ; – 70 interactions médicamenteuses nécessitent une adaptation de la posologie d’un des deux médicaments (antirétroviral ou molécule associée), comme par exemple l’association de tadalafil à l’amprénavir avec une posologie maximale de tadalafil de 10 mg/j [3] ; – dans 41 cas, la conduite à tenir consiste à délivrer un conseil supplémentaire au patient au moment de la dispensation : optimisation du plan de prise, rappel des effets indésirables, conseils d’hydratation pour éviter la survenue de lithiases urinaires. Si un patient reçoit de la didanosine en comprimé ou en solution buvable ainsi que de l’itraconazole, il faut lui conseiller de prendre ces deux médicaments à 12 heures d’intervalle [7]. Pour 455 interactions, les données sont insuffisantes pour définir une conduite à tenir. Vingt-huit interactions relevées concernent des interactions entre les antirétroviraux et des traitements immunosuppresseurs. Les molécules immunosuppressives sont métabolisées par le cytochrome P450. Les cas de patients infectés par le VIH et nécessitant un traitement immunosuppresseur sont complexes car les molécules antirétrovirales et immunosuppressives sont métabolisées par le même cytochrome. Le risque d’interactions pharmacologiques est donc important et les variations de concentration des immunosuppresseurs imprévisibles [20]. Nous pouvons illustrer l’utilité de ce classeur à partir des trois exemples suivants. 156 Le traitement antirétroviral de Monsieur M, 52 ans, vient d’être modifié et comprend Rétrovir®, Epivir®, Reyataz® et Norvir®. Ce patient a une autre prescription émanant de son médecin traitant comprenant Stagid®, Crestor®, Seloken®, Kardégic®, Xanax®, Paroxétine®, Ikorel®, Voltarène®, Sérétide® et Imodium®. Nous avons effectué l’analyse pharmaceutique de ces deux ordonnances à l’aide de notre classeur. L’association de Rétrovir® et de Kardégic® peut entraîner une augmentation des concentrations de zidovudine par inhibition de la glucuronidation par l’acide acétylsalicylique. Une surveillance de la numération globulaire est conseillée [7]. Cette interaction médicamenteuse apparaît dans le dictionnaire Vidal® mais aucune conduite à tenir n’est proposée. L’association de Norvir® et de Seloken® peut entraîner une augmentation des concentrations de métoprolol par inhibition du CYP 2D6 par le ritonavir. La posologie de métoprolol doit donc être diminuée d’au moins 50 % [7]. Cette interaction n’apparaît dans aucune des deux monographies du dictionnaire Vidal® et n’est pas mentionnée dans le thésaurus de l’Afssaps. L’association du Sérétide® au Norvir® augmente les concentrations plasmatiques de fluticasone inhalée de plusieurs centaines de fois par diminution de son métabolisme hépatique par l’inhibiteur enzymatique. Cette interaction peut se traduire par l’apparition d’un syndrome cushingoïde [3]. Dans le dictionnaire Vidal®, cette interaction n’a pas de niveau de contrainte alors que le thésaurus de l’Afssaps précise qu’il s’agit d’une interaction à prendre en compte. Après accord du patient, nous avons contacté son médecin traitant pour lui faire part de ces interactions. Nous lui avons également signalé la contre-indication du Voltarène® et du Seloken® en cas d’antécédents d’asthme, l’antagonisme d’action entre le Seloken® et le Sérétide®, la majoration des effets indésirables à type de saignements entre le Kardégic® et le Voltarène® et le risque de bradycardie par inhibition du métabolisme du métoprolol par la paroxétine [4]. Le médecin traitant du patient a stoppé le traitement par Sérétide®. De plus, nous avons conseillé au patient de toujours signaler au personnel soignant son traitement antirétroviral. En effet, le médecin traitant pourrait prescrire un inhibiteur de la pompe à protons si des effets indésirables ulcérogènes du Voltarène® se manifestaient. Le traitement par Reyataz® contre-indique la prescription d’inhibiteur de la pompe à protons [3]. Enfin, nous sensibilisons le patient sur l’effet du millepertuis sur les concentrations plasmatiques des inhibiteurs de protéase. Monsieur C, 43 ans, se présente à la pharmacie avec une ordonnance d’antirétroviraux comportant : Epivir®, Viread®, Telzir® et Norvir®. Ce patient a comme traitement habituel : Effexor®, Lexomil®, Zyprexa®, Parkinane® Praxinor®, Tercian®, Zopiclone® et Seglor®. L’association du fosamprénavir et de la dihydroergotamine est une contre-indication exposant à des effets indésirables graves (vasoconstriction périphérique, ischémie) [4]. De la même manière, l’association de la dihydroergotamine et du ritonavir est contre-indiquée [3]. Après accord du patient, le psychiatre de ce patient a été contacté et celui-ci a stoppé la prescription de Seglor®. Monsieur G se présente avec une ordonnance comportant comme traitement antirétroviral : Telzir®, Norvir®, Emtriva®, et Viread®. Ce patient est atteint d’un lymphome non hodgkinien. Une chimiothérapie anticancéreuse est envisagée avec Méthotrexate®, Oncovin®, Adriblastine® J Pharm Clin, vol. 25, n° 3, septembre 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Interactions médicamenteuses des antirétroviraux et Endoxan®. Enfin, le traitement habituel du patient comporte : Augmentin®, Atarax®, Imovane®, Inexium®, Lysanxia® et Wellvone®. À la demande des médecins infectiologue et oncologue, nous avons analysé les ordonnances de ce patient. L’association d’inhibiteurs de protéases et d’Oncovin® augmente le risque et la sévérité de la neurotoxicité et de la toxicité hématologique. Une surveillance étroite du patient est conseillée. Si possible, la suspension du traitement antirétroviral le temps de la chimiothérapie doit être envisagée ou la prescription d’un traitement antirétroviral ne comportant pas d’inhibiteur enzymatique [8]. Si l’effet inducteur enzymatique du Norvir® s’exerce, l’efficacité ou la tolérance de la chimiothérapie anticancéreuse risquent de se trouver altérées [8]. De la même manière, les inhibiteurs de protéase vont entraîner une augmentation des concentrations d’Adriblastine® avec augmentation du risque de cardiotoxicité et de neutropénie [7, 17]. L’efficacité de l’Endoxan® peut être réduite par induction enzymatique par le Norvir® en diminuant la part de substrat disponible pour la N-déchloéthylation qui produit un métabolite inactif et toxique [8]. Les effets indésirables de l’Endoxan® peuvent augmenter en association avec les inhibiteurs enzymatiques [7, 8, 17]. Enfin, le Viread® est principalement éliminé par voie rénale à la fois par filtration et par un système de transport tubulaire actif [4]. Le Méthotrexate® est excrété lui aussi principalement dans les urines par filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire active [21]. Nous pouvons donc nous interroger sur la survenue éventuelle d’un phénomène de compétition au niveau de la sécrétion tubulaire active de ces deux médicaments [22]. L’exemple de ce patient illustre toute la complexité de la prise en charge du patient atteint du sida nécessitant une chimiothérapie anticancéreuse. Les différentes molécules prescrites ne doivent nuire ni à l’efficacité du traitement antirétroviral, ni à l’efficacité de la chimiothérapie et ce en majorant le moins possible leurs effets indésirables. Discussion L’objectif de ce travail était de quantifier et de recenser les interactions médicamenteuses impliquant les médicaments antirétroviraux et les autres classes médicamenteuses. Le dictionnaire Vidal® est sans aucun doute l’ouvrage consulté en première intention par les professionnels de santé. Or, sur les 910 interactions que nous avons répertoriées, le Vidal® donne l’information la plus précise quant à la conduite à tenir pour 31 % d’entre elles. Pour les 628 autres interactions, les autres sources sont plus précises dans 147 cas (23 %) et dans 481 cas (77 %) l’interaction est tout simplement absente du dictionnaire Vidal®. Par ailleurs, le degré de gravité des interactions des médicaments antirétroviraux n’est souvent pas indiqué dans le Vidal® (interaction déconseillée, nécessitant des précautions d’emploi ou à prendre en compte) ; seules les interactions contre-indiquées apparaissent clairement. Notre travail met donc en lumière les insuffisances des résumés des caractéristiques des produits tels qu’ils sont présentés dans le dictionnaire Vidal®. Du fait de l’augmentation de leur espérance de vie, le nombre de patients infectés par le VIH et présentant un cancer est en augmentation [23, 24]. Il est surprenant de constater que les interactions entre les cytotoxiques et les antirétroviraux sont quasiment absentes des Résumés des caractéristiques J Pharm Clin, vol. 25, n° 3, septembre 2006 du produit (RCP) du Vidal®. Ce constat est en contraste avec l’émergence de publications faisant état d’accidents graves [25, 26], voire mortels [27, 28] imputables à une interaction entre médicaments antirétroviraux et médicaments cytotoxiques. D’autres travaux font état de divergences ou de différences entre les données des RCP et les données de la littérature, mais ces articles ne s’intéressent pas exclusivement aux antirétroviraux. Ainsi, Bergk [29] a comparé les données officielles de 579 interactions avec celles de 3 bases de données d’interactions médicamenteuses. Il a constaté qu’environ 16 % des interactions cliniquement significatives dans les bases de données sont absentes des RCP. Pour 3 interactions sur 4, l’interaction est présente dans le RCP d’un des médicaments mais pas dans l’autre. Le prescripteur doit donc consulter les RCP des 2 médicaments s’il veut vérifier l’absence d’interaction. Environ deux tiers de ces interactions sont moins précises ou moins compréhensibles dans le RCP que dans les bases de données. Un constat similaire a été fait au Japon concernant les différences relatives aux interactions médicamenteuses recensées dans la littérature et celles mentionnées sur les fiches d’information disponibles dans les conditionnements des médicaments japonais [30]. Dans un autre domaine, celui des posologies habituelles des médicaments, Cohen [31] a comparé les données du Physicians’ desk reference (PDR) avec les données de la littérature. Il a mis en évidence que des études récentes non intégrées dans le PDR recommandent des posologies médicamenteuses plus faibles qui permettraient, si elles étaient plus largement diffusées, de réduire l’incidence des effets indésirables médicamenteux. Ce type de discordance est aussi retrouvé dans le domaine de l’adaptation de posologie chez le patient insuffisant rénal. Vidal® et al. [32] ont comparé 4 sources d’information (British National Formulary, Martindale, American Hospital Formulary System et Drug Prescribing in Renal Failure) quant à l’adaptation de posologie de 100 médicaments en cas d’insuffisance rénale. Le nombre de médicaments nécessitant une adaptation de posologie varie de 36 à 62 selon la source consultée. Les différences entre les sources sont telles qu’un médicament peut n’avoir aucune adaptation de posologie dans une des sources et être contre-indiqué dans une autre. D’autres sources documentaires sur les interactions médicamenteuses des antirétroviraux auraient pu être intégrées dans notre recherche bibliographique. Nous pouvons citer par exemple le site internet http://www.hivdruginteractions.org. Nous n’avons pas retenu ce site dans notre recherche car les molécules associées au traitement antirétroviral doivent être sélectionnées en choisissant d’abord une classe thérapeutique puis une molécule. Cette liste de molécules n’est pas exhaustive. Le « Mémento thérapeutique 2005 » [33] est un ouvrage très complet sur les interactions médicamenteuses des médicaments antirétroviraux. Cependant, sa richesse rend son maniement délicat par de jeunes internes ou des étudiants en pharmacie. De plus, les sources documentaires ne figurent pas dans l’ouvrage. Il n’y a donc aucun moyen de se reporter à la publication originale ayant recensée l’interaction médicamenteuse. Dans notre classeur, chaque interaction comporte la référence bibliographique. Notre expérience avec les cliniciens montre qu’il 157 V. Jurus, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. est utile d’entamer la discussion avec la publication source. Celle-ci permet de mesurer et d’estimer les risques en précisant, par exemple, les valeurs de l’intervalle de variation des paramètres pharmacocinétiques. Notre travail met en lumière la difficulté d’accéder à l’ensemble des interactions médicamenteuses. Pour les professionnels de la santé, l’idéal serait de disposer d’un outil d’aide à la détection des interactions médicamenteuses qui soit à la fois complet, facilement accessible, d’utilisation aisée et continuellement mis à jour. Notre travail montre aussi qu’il existe un grand nombre d’interactions mises en évidence à partir d’études in vitro ou d’études sur des modèles animaux. Bien que les conséquences cliniques chez l’homme restent à déterminer, le signalement de ces interactions aux médecins permet d’attirer leur attention et de renforcer éventuellement la surveillance du patient. Il peut encore aider à identifier la cause d’un effet indésirable inattendu. Face à un tel foisonnement d’interactions, le plus difficile n’est pas de procéder à leur recensement et à la mise à jour d’une base de données, mais le principal challenge consiste à définir comment médecins et pharmaciens vont utiliser au mieux un tel outil. Il s’agit en effet d’éviter des signalements multiples et injustifiés qui peuvent déconcerter les cliniciens et les conduire à ne plus tenir compte des mises en garde [34-36]. Conclusion L’attention des médecins et des pharmaciens doit être attirée sur le fait que le dictionnaire Vidal® ne donne l’information la plus précise que dans 31 % des interactions que nous avons identifiées. L’existence de plusieurs sources d’informations pour la détection des interactions médicamenteuses rend difficile l’analyse des prescriptions. Le professionnel de santé ne devrait pas se contenter du Vidal® mais en revanche, la consultation de toutes les sources existantes est inenvisageable. La création d’un outil bénéficiant d’une mise à jour en continu apparaît nécessaire. Celui-ci permet d’estimer les risques d’interactions médicamenteuses et d’en préciser leur gravité potentielle. ■ Références 1. Auray G, Charpiat B. Programme de formation des étudiants en stage hospitalier à la consultation pharmaceutique : application à la dispensation des antirétroviraux. J Pharm Clin 2000 ; 19 : 231-6. 2. Macchi-Andanson M, Ariagno L, Charpiat B, Leboucher G. Consultation de pharmacie et observance des traitements antirétroviraux : enquête auprès des patients. J Pharm Belg 2001 ; 56 : 69-74. 3. Thésaurus des interactions médicamenteuses – mise à jour no 2 http ://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/iam/triam.pdf. Consulté le 20 juillet 2005. 4. Le dictionnaire Vidal®. 81e édition. Paris : Édition Vidal, 2005. 5. Dossier du CNHIM. Principales associations d’antirétroviraux dans le traitement des infections à VIH. 2002, no 5-6. 6. http ://www.theriaque.org. Consulté le 20 juillet 2005. 7. 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