Prescription du recours en garantie entre

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Prescription du recours en garantie entre
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Prescription du recours en garantie entre
constructeurs
le 21 février 2012
IMMOBILIER | Construction | Marchés de travaux
Le recours d’un constructeur contre un autre ou son assureur n’est pas fondé sur la garantie
décennale, mais est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés, et de
nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action
n’est pas la date de réception des ouvrages.
Civ. 3e, 8 févr. 2012, FS-P+B, n° 11-11.417
La Cour de cassation se prononce une nouvelle fois sur la question du fondement du recours entre
constructeurs. Cet arrêt soulève des questions importantes quant au point de départ de la
prescription de l’action.
En l’espèce, la conception et la réalisation d’un bâtiment avaient été confiées à des architectes et
un bureau d’étude, lesquels avaient constitué un groupement de maîtrise d’œuvre. À la suite de
l’apparition d’infiltrations, les architectes avaient été condamnés à indemniser le maître de
l’ouvrage sur le fondement de la garantie décennale. Ils avaient alors exercé une action en garantie
contre le bureau d’étude et son assureur. La cour d’appel avait déclaré cette action prescrite en
retenant que l’action avait été introduite plus de dix ans après la réception de l’ouvrage. Elle est
censurée par la Cour de cassation aux motifs que le recours d’un constructeur contre un autre
constructeur ou son assureur n’est pas fondé sur la garantie décennale mais est de nature
contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s’ils ne
le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n’est pas la date de réception
des ouvrages.
S’agissant du fondement de l’action en garantie, la solution est classique (V. Charbonneau, La
contribution à la dette dans les obligations nées de l’édification d’un ouvrage immobilier,
Constr-Urb. 2007. Étude 24). La haute juridiction estime, en effet, que le constructeur qui a
indemnisé le maître de l’ouvrage n’est pas subrogé dans les droits de ce dernier (V. Civ. 3e, 8 juin
2011, D. 2011. 1682 ; RDI 2011. 574, obs. P. Malinvaud ; Dalloz actualité, 28 juin 2011, obs. C.
Dreveau ; Constr.-Urb. 2011, no 131, obs. Pagès-de Varenne ; RCA 2011, no 361, obs. Groutel). Dès
lors, le locateur d’ouvrage exerce une action personnelle qui sera soit contractuelle, si les
constructeurs sont liés par une convention – c’est l’hypothèse d’un recours contre un sous-traitant
ou un fournisseur –, soit délictuelle, dans le cas contraire (V. Civ. 3e, 17 nov. 1993, RDI 1994. 256,
o
obs. P. Malinvaud ; 12 mars 1997, RDI 1997. 453, obs. P. Malinvaud ; 15 déc. 2010, RCA 2011, n
154).
L’intérêt de cet arrêt porte sur les conséquences de ce principe quant à la prescription applicable
aux recours entre constructeurs.
La cour d’appel estimait que le point de départ de l’action en garantie était nécessairement la
réception de l’ouvrage dès lors que l’action procédait de désordres et non des rapports contractuels
nés de la convention de maîtrise d’œuvre entre l’architecte et le bureau d’étude appelé en
garantie. Elle appliquait ainsi la jurisprudence selon laquelle la prescription décennale des actions
en responsabilité des constructeurs du fait de désordres à l’ouvrage a pour point de départ la
réception ; le droit commun de la responsabilité ne subsitant que lorsque la responsabilité est
engagée pour des dommages ne résultant pas de désordres de l’ouvrage (V. J.-P. Karila, Extension
du domaine de la prescription abrégée de dix ans aux manquements contractuels non directement
liés à des désordres de l’ouvrage, note sous Civ. 3e 16 mars 2005, D. 2005. 2198 ). S’agissant des
recours entre constructeurs, la Cour de cassation avait semblé adopter ce principe s’agissant d’une
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action en garantie d’un vendeur de maison individuelle contre un maître d’œuvre dans un arrêt
cependant difficile à interpréter (V. Civ. 3e, 16 oct. 2002, D. 2003. 300, obs. P. Malinvaud ).
Le raisonnement de la cour d’appel est censuré par la Cour de cassation qui estime que l’action
étant fondée sur le droit commun de la responsabilité civile, le délai de prescription ne peut avoir
pour point de départ la date de réception de l’ouvrage.
La solution est logique. À chaque action, il faut appliquer le délai et le point de départ qui lui sont
propres. Pour les actions délictuelles, le point de départ de la prescription est soit la manifestation
du dommage ou son aggravation si l’action relève de l’article 2270-1 ancien du code civil, soit le
jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer si
l’action relève de l’article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17
juin 2008. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation refuse de considérer des actions en
garantie comme étant prescrites au seul motif qu’elles ont été exercées après l’expiration du délai
décennal à compter de la réception (V. Civ. 3e, 12 mars 1997, RDI 1997. 453, obs. P. Malinvaud ).
Mais, cet arrêt laisse en suspens certaines questions.
D’un point de vue pratique, la Cour de cassation ne précise pas quel est l’événement qui doit être
retenu pour déterminer ce point de départ. Dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt commenté, la
cour d’appel sous-entendait que le dommage est le désordre. Or le désordre est le préjudice subi
par le maître de l’ouvrage et non par le locateur d’ouvrage condamné à l’indemniser (V. toutefois
Civ. 3e, 13 sept. 2006, RCA 2006, n° 375, obs. crit. H. Groutel). S’agissant d’une action personnelle
au constructeur et non subrogatoire, c’est pourtant le préjudice de ce dernier qu’il convient de
prendre en compte. S’inspirant de la jurisprudence antérieure, (V. Civ. 3e, 25 nov. 1998, n°
97-10.147, Dalloz jurisprudence ; Paris, 22 juin 2000, AJDI 2000. 844 ), le pourvoi invoquait que le
délai de recours d’un locateur d’ouvrage contre un autre ne court qu’à compter de l’assignation en
justice dirigée contre lui, seule cette assignation étant susceptible de constituer un dommage pour
ce locateur d’ouvrage qui ne dispose d’aucun intérêt à agir avant cette date. Peu contestable sur le
plan juridique, cette dernière solution paraît heureuse en ce qu’elle laisse aux locateurs d’ouvrage
assignés à la veille de l’expiration du délai décennal, le temps d’exercer un recours contre leurs
co-traitants ou leurs assureurs. Il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas répondu à ce
moyen.
Ensuite, la formulation de l’arrêt indique que la réception de l’ouvrage ne peut être le point de
départ de l’action en garantie, que cette action soit de nature délictuelle ou contractuelle.
S’agissant de la responsabilité délictuelle, le principe a déjà été énoncé (V. Civ. 3e, 12 mars 1997,
préc.). S’agissant de la responsabilité contractuelle, en revanche, la haute juridiction va à
contre-courant de sa jurisprudence d’harmonisation du régime des actions dirigées contre les
constructeurs et abandonnerait implicitement la solution retenue dans l’arrêt du 16 octobre 2002
(V. Civ. 3e, 16 oct. 2002, préc.). Il faudrait en déduire que le délai de prescription de dix ans à
compter de la réception s’appliquerait pour les actions entre maîtres de l’ouvrage et constructeurs
mais que le droit commun prévaudrait pour les recours en garantie entre constructeurs.
Surtout, l’arrêt a été pris sur le fondement de l’ancien article 2270 du code civil applicable à la
cause. La solution pourrait être différente depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008
portant réforme de la prescription. L’article 1792-4-3 du code civil issu de cette loi prévoit qu’en
dehors des actions fondées sur les garanties biennales et décennales « les actions en responsabilité
dirigées contre les constructeurs désignés aux article 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se
prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ». La doctrine relève que cet article,
qui vise de manière générale « toutes les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs
» devrait s’appliquer aux actions récursoires contre les locateurs d’ouvrages, même délictuelles (P.
Malinvaud, Prescription et responsabilité des constructeurs après la réforme du 17 juin 2008, RDI
2008. 368 ; P. Malinvaud, P. Jestz, P. Jourdain, O. Tournafond, Droit de la promotion immobilière, 8e
éd. Dalloz, 2009, spéc. n° 153 ; J.-B. Auby, H. Périnet-Marquet, R. Noguellou, Droit de l’urbanisme et
de la construction, Montchrestien, 8e éd. spéc. n° 1374). En raison du délai de la prescription, il
faudra attendre encore quelques années avant que les juridctions ne soient amenées à interpréter
cette disposition.
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par C. Dreveau
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