Le point sur le lymphome digestif de bas grade chez le chat

Transcription

Le point sur le lymphome digestif de bas grade chez le chat
> STDI Pdf Couleur
EXPERT
Article
de synthèse
Canin
GASTRO-ENTÉROLOGIE ET ONCOLOGIE
Benoît Vanbrugghe,
Guillaume Derré
Clinique vétérinaire de la Plage
1, promenade de la Plage
13008 Marseille
0,05 CFC
par article lu
Le point sur le lymphome
digestif de bas
grade chez le chat :
pronostic et traitements
au chlorambucil
Les plus récentes études sur le lymphome digestif de bas grade chez le chat ont évalué
les effets conjugués du chlorambucil et de glucocorticoïdes.
Résumé
fLe traitement du
lymphome digestif
de bas grade chez
le chat associant
des corticostéroïdes
aux doses usuelles
et du chlorambucil
permet d’améliorer
l’état de santé des
animaux dans la
majorité des cas. Il
leur assure aussi
un allongement
de durée de vie de
2 ans en moyenne.
Différents protocoles
ont été utilisés
jusqu’à présent.
Cependant, une
étude récente
utilisant le
chlorambucil tous
les 15 jours apporte
des résultats très
satisfaisants. Un
suivi clinique et
thérapeutique est
recommandé afin
de contrôler les
possibles effets
secondaires, peu
fréquents et souvent
réversibles.
D
ifférents signes d’appel permettent de suspecter un lymphome digestif chez le chat âgé et
divers moyens sont disponibles pour aboutir
à un diagnostic histopathologique. Plusieurs
protocoles sont utilisés depuis quelques
années associant du chlorambucil et de la prednisolone
par voie orale. Les médianes de survie ainsi que la qualité
de vie sont considérablement augmentées chez ces animaux, et peu d’effets secondaires sont observés.
PRONOSTIC
ET TRAITEMENT
DU LYMPHOME
DE BAS GRADE
1. Résultats d’études
Différentes études sur le lymphome de bas grade chez
le chat ont été menées ces dernières années [1, 3, 5].
Les trois plus récentes regroupent des individus soumis à
différents protocoles, avec en majorité du chlorambucil
associé à des glucocorticoïdes (prednisolone ou prednisone) (tableau 1). Les effets secondaires sont assez peu spécifiques et semblent rétrocéder à l’arrêt des traitements.
52
Étude de Stein
La dernière étude à ce jour, réalisée en 2010 par Stein,
est menée sur 28 animaux. Elle montre une rémission clinique dans 96 % des cas (27 sur 28), avec une médiane
de survie de 786 jours [6].
Ces chats reçoivent initialement du chlorambucil tous les
15 jours et de la prednisolone. 60 % d’entre eux reçoivent
une dose immunosuppressive de glucocorticoïdes qui
est progressivement réduite, jusqu’à 1 à 2 mg/kg par voie
orale (tableau 2). Quatre individus (14 %) développent,
durant les protocoles, un second processus néoplasique
indépendant comme des carcinomes mammaires, des
mastocytomes gastriques, des carcinomatoses intestinales
ou des épithéliomas avec des métastases situées sur les
nœuds lymphatiques régionaux [5]. Les complications
et les effets secondaires associés au traitement chimiothérapique ont été notés après 45 jours de protocole :
1 animal atteint d’une thrombocytopénie et 2 présentant
une neutropénie.
Étude de Lingard
L’étude de Lingard menée en 2009 concerne 17 chats [3].
76 % d’entre eux entrent en rémission complète avec une
médiane de survie de 18,9 mois (de 3,5 à 73 mois). Le
principal paramètre qui permet d’objectiver une rémission
clinique chez un animal est l’absence de léthargie relevée
par les propriétaires (caractère subjectif). En effet, sur 13
qui ne montrent plus de léthargie, 12 sont en rémission
clinique (déterminée par une absence de signe clinique,
une prise de poids, une résolution de l’épaisseur des
parois intestinales ou des masses abdominales, et ce pour
une période supérieure ou égale à 30 jours). Les 12 individus qui sont en rémission complète ont une médiane
de survie bien supérieure à celle des animaux qui ne le
sont pas, de 19,3 mois versus 4,1 (figure). Plusieurs effets
secondaires ont été notés, tels des signes gastro-intestinaux non spécifiques, une myélosuppression, une neutropénie transitoire et une sévère thrombocytopénie sans les
signes cliniques apparents de cette maladie, après 10 mois
Le Point Vétérinaire / Décembre 2011 / N° 321
39B3BB9DQEUXJJKHWUDLWWLQGG
> STDI Pdf Couleur
Canin
EXPERT
Le point sur le lymphome digestif de bas grade
chez le chat : pronostic et traitements au chlorambucil
TABLEAU 1
Traitements des différentes études
ÉTUDE DE STEIN ET COLL.
ÉTUDE DE LINGARD ET COLL.
ÉTUDE DE KISELOW ET COLL.
Protocole de
chimiothérapie
• Chlorambucil : 20 mg/m² tous les
15 jours, PO
• Prednisolone : entre 1
et 2 mg/kg/j, PO
• Protocole 1 :
- chlorambucil 15 mg/m²/j pendant 4 jours, puis
15 mg/m² toutes les 3 semaines
- prednisolone, 3 mg/kg/j, PO, puis
1 à 2 mg/kg, PO, une fois la rémission complète
• Protocole 2 : protocole Madison-Wisconsin
modifié (encadré)
• Protocole 3 : combinaison des protocoles 1
et 2
• 76 % des chats : prednisone, 5 mg,
1 ou 2 fois par jour, PO
• 24 % des chats : 10 mg/j de prednisone
• 85 % des chats : chlorambucil, 2 mg,
1 jour sur 2, PO
• 15 % des chats : chlorambucil, 2 mg,
tous les 3 jours
Médiane de survie
786 jours
567 jours (18,9 mois)
• 897 jours pour les RCC
• 428 jours pour les RCP
Rémission clinique
96 %
76 %
• 56 % de RCC
• 39 % de RCP
Principaux effets
secondaires
• Neutropénie : 1 cas, entre 1 000
et 1 499 neutrophiles/µl, 1 cas,
entre 500 et 999 neutrophiles/µl
• Thrombocytopénie : 1 cas, entre
50 000 et 99 999 plaquettes/µl
• Digestif : 2 cas (diarrhée, vomissement,
inappétence)
• Myélosuppression : 2 cas
• Neutropénie : 1 cas, 2,57 × 106 neutrophiles/l
• Thrombocytopénie : 1 cas, 7 × 109 plaquettes/l
(valeurs usuelles comprises entre 300
et 700 × 109 plaquettes/l)
Tous ces protocoles sont administrés jusqu’à rémission. PO : par voie orale ; RCC : rémission clinique complète ; RCP : rémission clinique partielle. D’après [1, 3, 5].
ENCADRÉ
de traitement avec le protocole 1. La thrombocytopénie
s’est résolue 6 mois après l’interruption du chlorambucil.
2. Étude de Kiselow
L’étude de Kiselow menée en 2008 porte sur 41 chats
(11 recevant de la prednisone et du chlorambucil à des
posologies différentes) [1]. Les individus concernés
présentent une médiane de survie qui atteint 897 jours
lorsqu’ils entrent en rémission clinique complète (100 %
des signes cliniques disparus sur une période supérieure
ou égale à 30 jours) et de 428 jours pour ceux à rémission
partielle (rémission de 50 à 100 % et supérieure ou égale
à 30 jours). 95 % des animaux répondent à la chimiothérapie. Cinq pour cent ne réagissent pas au traitement (dont
1 chat avec un lymphome hépatique de bas grade et un
lymphome de l’intestin grêle).
Dans ces études, les médianes de survie oscillent entre 567
et 897 jours, et peu d’effets secondaires ont été observés.
Le protocole utilisé par Stein semble obtenir les meilleurs
résultats avec 96 % de rémissions cliniques, associées à
une médiane de survie de 786 jours.
DISCUSSION
1. Efficacité des traitements
Les études exposées, ainsi que notre expérience nous
autorisent à conclure que les lymphomes digestifs félins
de bas grade traités avec une combinaison de glucocorticoïdes et de chlorambucil peuvent entraîner des rémissions cliniques et améliorer la qualité de vie des animaux.
Différents protocoles associant ces deux molécules sont
utilisés en pratique courante depuis plusieurs années. Le
chlorambucil était administré en cures régulières de 3 à
4 jours ou en jour alterné, un jour sur deux. Les posologies
étaient adaptées à la réponse clinique et thérapeutique
Protocole Madison-Wisconsin
utilisé en Amérique du Nord, et
demeure souvent employé dans
les traitements des lymphomes
canins et félins. D’autres molécules
peuvent être ajoutées à ces
protocoles, nommés alors MadisonWisconsin modifié.
Le protocole Madison-Wisconsin
félin utilise initialement
une combinaison d’agents
chimiothérapiques : L-asparaginase,
vincristine, cyclophasphamide
doxorubicine et prednisone. Ce
protocole est très largement
TABLEAU 2
Protocole de l’étude de Stein(1)
GLUCOCORTICOÏDES
17 chats sur 28
2 mg/kg/j, pendant 1 semaine
2 chats sur 28
1,5 mg/kg/j, pendant 1 semaine
5 chats sur 28
1 mg/kg/j, pendant 1 semaine
1 chat sur 28
1,5 mg/kg, tous les 2 jours
1 chat sur 28
1 mg/kg, tous les 2 jours
CHLORAMBUCIL
26/28 chats reçoivent
20 mg/m² une fois tous
les 15 jours (2 chats,
toutes les 3 semaines sur
demande du propriétaire)
Puis tous les chats reçoivent 1 mg/kg tous les 2 jours
(1) Cette étude porte sur 28 chats atteints de lymphome digestif de bas grade.
de chaque individu. Ces nouvelles études permettent
une standardisation des doses et des protocoles de cette
chimiothérapie.
2. Conduite à tenir
L’étude de Stein obtient des rémissions complètes dans
96 % des cas, avec des médianes de survie de 786 jours et
Le Point Vétérinaire / Décembre 2011 / N° 321
39B3BB9DQEUXJJKHWUDLWWLQGG
53
> STDI Pdf Couleur
EXPERT
Canin
Le point sur le lymphome digestif de bas grade
chez le chat : pronostic et traitements au chlorambucil
1
2
1. Échographie montrant un lymphome à petites cellules de l’intestin. Épaississement marqué de la paroi (entre les curseurs).
2. Échographie montrant une atteinte marquée des ganglions abdominaux. Un suivi échographique des lésions permettra d’objectiver la réponse
au traitement.
PHOTOS : CLINIQUE VÉTÉRINAIRE DE LA PLAGE
une utilisation bimensuelle du chlorambucil (à la dose de
2 mg par chat, tous les 15 jours) et quotidienne de la prednisolone (1 à 2 mg/kg en une seule prise) [5]. C’est désormais le protocole que nous utilisons dans notre pratique.
En cas d’atteinte sévère de l’état général de l’animal lors
du diagnostic, augmenter la fréquence d’administration
FIGURE
Étude de Lingard portant
sur 17 chats(1)
Léthargie notée par les propriétaires
Non
Oui
12/13 sont
en rémission clinique
4/13 ne sont pas
en rémission clinique
Médiane de survie :
19,3 mois
Médiane de survie :
4,1 mois
(1) Ces chats sont soumis aux protocoles décrits dans le tableau 1.
Points forts
€Le traitement chimiothérapique du lymphome
digestif de bas grade à l’aide de glucocorticoïdes
et de chlorambucil est d’usage facile et peut
augmenter significativement l’espérance de vie
des animaux.
€Plusieurs protocoles, qui diffèrent en termes
de fréquence et de durée d’administration, sont
disponibles.
€Un traitement associant des glucocorticoïdes et
du chlorambucil, administré tous les 15 jours, offre
une médiane de survie de 2 ans.
54
jusqu’à obtenir une stabilisation est possible. De plus, la
qualité de vie de ces individus est significativement améliorée avec une disparition des signes cliniques (diarrhée,
vomissement, anorexie, perte de poids, léthargie).
3. Effets secondaires
Les effets secondaires apparaissent comme mineurs, assez
peu fréquents, et rétrocèdent généralement à l’interruption du traitement. Les modifications de la moelle osseuse
peuvent mettre plusieurs mois avant de se normaliser.
Les modifications hématologiques et de la moelle osseuse
sont les effets secondaires les plus fréquents, en plus de
ceux qui sont non spécifiques et qui indiquent une dépression du système immunitaire. Des suivis des numération et
formule sanguines réguliers sont donc recommandés afin
de détecter rapidement l’apparition d’anémie, de neutropénie ou de thrombocytopénie.
Un suivi clinique et thérapeutique est préconisé selon la
réponse au protocole et l’évolution des signes cliniques
de chaque animal. Si des lésions digestives ont été notées
lors de l’échographie initiale, un suivi échographique de
la cavité abdominale doit être réalisé afin d’objectiver la
rémission clinique (photos 1 et 2).
4. Localisation initiale et pronostic
Les différentes études ne mettent pas en évidence le fait
que la localisation anatomique initiale du lymphome
digestif influence significativement le pronostic. Cependant, une atteinte organique diffuse ou concomitante
assombrit ce dernier.
5. Dosage de la vitamine B12
Dans l’étude de Kiselow, 78 % des chats testés présentaient une hypocobalaminémie concomitante [1]. La
cobalamine (vitamine B12) est absorbée à la hauteur de
l’iléon, comme un complexe de cobalamine et de facteur intrinsèque. Son dosage est un élément à prendre en
compte dans le suivi thérapeutique. Une supplémentation
par voie sous-cutanée à la dose de 250 à 500 µg par animal
une fois par semaine, puis une fois par mois peut être
réalisée selon les résultats sanguins [2].
Le Point Vétérinaire / Décembre 2011 / N° 321
39B3BB9DQEUXJJKHWUDLWWLQGG
> STDI Pdf Couleur
EXPERT
Le point sur le lymphome digestif de bas grade
chez le chat : pronostic et traitements au chlorambucil
6.
Réglementation
concernant le chlorambucil
Si le chlorambucil n’est pas directement cité dans la liste
des molécules de chimiothérapie mentionnées par l’arrêté du 18 juin 2009 du Guide réglementaire de bonnes
pratiques d’emploi des médicaments anticancéreux en
médecine vétérinaire, il s’agit néanmoins d’une substance
cytotoxique. Cet agent devrait répondre aux mêmes règles
d’usage que les molécules anticancéreuses : administration par un vétérinaire, port de gants de latex ou de vinyle,
ne pas ouvrir ou fractionner la gélule sortie de son emballage, utilisation d’une pièce réservée à cet effet durant
la procédure et hospitalisation pendant 24 heures avec
ramassage des déchets organiques (vomissures, diarrhée).
Dans le cas d’une administration directe par le propriétaire (si aucune autre solution alternative n’est possible),
plusieurs règles doivent respectées. Il convient de stocker
ce médicament hors de portée des enfants, de mettre des
gants, d’éviter tout contact avec des immunodéprimés et
des femmes enceintes, de faire avaler la gélule sans l’ouvrir, de vérifier sa bonne absorption et de surveiller les
déchets de l’animal. Il est donc important de ne pas prescrire du chlorambucil de manière abusive pour son côté
pratique et de se limiter aux situations dans lesquelles
d’autres traitements ne sont pas envisageables, l’efficacité
étant un bon critère de choix.
Canin
Conclusion
Le lymphome digestif de bas grade chez le chat est un
processus néoplasique fréquent répondant bien à un protocole associant des glucocorticoïdes et du chlorambucil.
Ces médicaments ont l’avantage d’être administrés par
voie orale par les propriétaires et présentent peu d’effets
secondaires. D’autres molécules peuvent être ajoutées en
cas d’échec (telles la cyclophosphamide ou la vincristine)
ou lors de récidives. Le suivi implique une surveillance clinique, échographique, des hémogrammes et des dosages
de vitamine B12. Des rémissions complètes sont fréquemment obtenues et permettent d’objectiver la réponse aux
traitements. Enfin, l’approche des autres lymphomes
digestifs doit être différente sur les plans pronostique et
thérapeutique. De nombreux autres protocoles (associant
vincristine/prednisolone, adriblastine, L-asparginase, etc.)
et molécules sont utilisés actuellement. S’il n’existe pas de
réelle justification à adopter une autre méthode pour traiter le lymphome digestif de bas grade (protocoles utilisant
la vincristine, le cyclophosphamide et la L-asparginase),
ces dernières études autorisent à proposer la corticothérapie et le chlorambucil comme l’association thérapeutique
de choix de ce type particulier de lymphome félin.
L’observance du traitement ainsi que la réponse clinique
de chaque animal sont des éléments importants dans le
suivi des protocoles. ]
Références
1. Kiselow MA, Rassnick KM,
McDonough SP et coll. Outcome of
cats with low-grade lymphocytic
lymphoma: 41 cases (19952005). J. Am. Vet. Med. Assoc.
2008;232(3):405-410.
2. Lecoindre P, Gaschen F, Monnet E
et coll. Gastroentérologie du chien et
du chat. Éditions du Point Vétérinaire,
Rueil-Malmaison. 2010;574p.
3. Lingard AE, Briscoe K, Beatty JA
et coll. Low grade alimentary
lymphoma: clinicopathological
findings and response to treatment
in 17 cases. J. Feline Med. Surg.
2009;11:692-700.
4. Milner RJ, Peyton J, Cooke K et coll.
Response rates and survival times
for cats with lymphoma treated with
the University of Wisconsin-Madison
chemotherapy protocol: 38 cases
(1996-2003). J. Am. Vet. Med. Assoc.
2005;227(7):1118-1122.
5. Stein TJ, Steinberg H, Chun R.
Treatment of feline gastrointestinal
small-cell lymphoma with
chlorambucil and glucocorticoids.
J. Am. Anim. Hosp. Assoc.
2010;46:413-417.
6. Vail D. Feline lymphoma and
leukemia. In: Small animal clinical
oncology. 4th ed. Ed. Withrow SJ and
Vail DM. 2007:733-756.
Le Point Vétérinaire / Décembre 2011 / N° 321
39B3BB9DQEUXJJKHWUDLWWLQGG
55