Qu`évalue-t-on quand on évalue un établissement scolaire

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Qu`évalue-t-on quand on évalue un établissement scolaire
Texte de l’intervenant
L'évaluation et l'auto-évaluation des EPLE : qu'évalue-t-on quand on évalue ?
Jean VOGLER
Inspecteur général de l'éducation nationale
ESEN - 10 mars 2010
Après avoir brossé un bref historique de l'évaluation des établissements et souligné les réticences qu'elle suscite encore, Jean Vogler
analyse l'expérience d'auto-évaluation des EPLE conduite dans l'académie de Strasbourg et indique les dispositifs à mettre en place pour
compléter cette démarche.
Un rappel du contexte
Un exemple concret
En préambule : nous sommes dans un processus de transformation historique inachevé
Dans son livre, La crise de l’intelligence (Inter Editions, 1995), Michel Crozier rapporte les réactions suscitées par
la première étude qu’il a dirigée sur le fonctionnement des collèges (Dominique Paty, Douze collèges en France,
La Documentation française, 1980). « Le rapport que nous avions rédigé produisit une levée de boucliers au
ministère. Les directeurs s’opposaient à sa publication. Ils refusaient d’admettre que le fonctionnement de ces
cellules de base ne correspondait pas à la doctrine élaborée au sommet et qu’il puisse y avoir des différences
aussi grandes entre établissements ».
Ces réactions sont significatives : elles correspondent à une mentalité, à une culture de l’institution scolaire,
ancrée dans l’histoire de l’école en France, dominante à l’époque et encore très présente aujourd’hui. Au nom de
l’égalité (républicaine) de tous les citoyens devant le service public d’éducation, tous les établissements doivent
fonctionner de la même façon sur la totalité du territoire. Leur éventuelle diversité est, par principe républicain,
inacceptable ; on ne saurait donc concevoir une quelconque « politique » singularisant un établissement par
rapport aux autres.
A partir des années 80, cette idéologie de l’unicité du service public républicain va être progressivement mise en
cause par trois séries de facteurs convergents.
- La recherche universitaire, à la suite de travaux américains (« l’école efficace »), étudie l’effet contextuel propre
de l’établissement et met en valeur un « effet-maître » et un « effet-école », montrant ainsi que l’établissement
pouvait jouer un rôle dans la réussite des élèves, indépendamment de leurs déterminants sociaux.
- Les lois de décentralisation ont été accompagnées par des mesures de déconcentration qui ont constitué
l’établissement en entité administrative, avec une marge d’autonomie. La politique du projet d’établissement
s’inscrit dans cette perspective. Cette évolution (inspirée par le modèle des entreprises) conduit à considérer les
chefs d’établissement non plus comme de simples exécutants, mais comme des « managers » capables de
mobiliser des équipes pour élaborer des stratégies locales susceptibles d’optimiser la mise en œuvre des
orientations nationales.
- Dans l’opinion publique, s’est progressivement développée l’idée qu’il faut choisir le « bon » établissement, à la
mesure des caractéristiques et des projets des élèves (ou des parents). Les parents conçoivent des « stratégies
scolaires » dans lesquelles le choix de l’établissement est un élément déterminant. Ces comportements de
« consommateurs d’école » sont étudiés – et indirectement valorisés – par des sociologues. Ils sont aussi diffusés
et renforcés par la presse. Rappelons que, à l’origine, les IPES ont été conçus en réponse aux « palmarès » des
établissements publiés dans la presse.
Depuis plus de vingt ans, diverses actions successives ont été entreprises pour promouvoir l’évaluation des
établissements (indicateurs IPES et LOLF, évaluations de l’inspection générale, initiatives de certains recteurs…).
Mais la France semble rester le mauvais élève sur le plan international (voir notamment : L’évaluation des collèges
et des lycées en France, bilan critique et perspectives en 2004, Rapport IGAENR/IGEN, juillet 2004 ; L’évaluation
des établissements scolaires sous la loupe, Eurydice, réseau d’information sur l’éducation en Europe) et le groupe
de l’inspection générale constitué l’année scolaire dernière a rendu ses travaux sans effets notables pour l’instant.
L’évaluation des établissements s’inscrit donc encore dans un contexte difficile, « résistant ».
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L’expérience de l'académie de Strasbourg
A la rentrée 2004, le Recteur demande que soit mise en place une démarche d’évaluation des EPLE sous une
double forme :
une autoévaluation annuelle de chaque établissement par ses acteurs,
complétée par une évaluation externe tous les quatre ans (durée de mise en œuvre du projet
d’établissement).
Il justifie cette exigence par les raisons suivantes :
la Loi organique des lois de finances (LOLF) induit l’obligation de pouvoir mesurer les résultats de l’action
éducative ;
l’évaluation est un corollaire de l’autonomie croissante de l’EPLE ;
elle est l’instrument privilégié du pilotage de l’établissement.
Il confie la mise en œuvre de cette évaluation à un groupe de travail, présidé par l’IA-DSDEN du Bas-Rhin. Il
rassemble les principaux acteurs concernés : IA-DSDEN du Haut-Rhin, IA adjoint du Bas-Rhin, Chef du Service
académique d’information et d’orientation, Chef du Service statistique académique, IPR Vie scolaire, Doyen des
IPR, Doyen des IEN-ET, Proviseur Vie scolaire, Proviseurs, Principaux, (mais pas d’enseignants).
Une démarche prudente
Le groupe de travail prend en compte des travaux existants, notamment :
l’évaluation des collèges et des lycées en France, bilan critique et perspectives en 2004, Rapport
IGAENR/IGEN, juillet 2004 ;
l’évaluation des établissements scolaires sous la loupe, Eurydice, réseau d’information sur l’éducation en
Europe ;
la fonction conseil aux établissements publics locaux d’enseignement, Rapport IGAENR/IGEN, avril 2001.
Il se réfère également aux expériences faites dans d’autres académies, notamment celles de Lille et de
Besançon.
Il prend également acte d’un certain nombre d’obstacles connus :
l’évaluation implique toujours un jugement et personne n’aime être jugé ;
l’EPLE est principalement composé d’enseignants qui sont pour la plupart rétifs à une culture « managériale »
de l’établissement ;
il y a une interrogation inquiète sur les conséquences que pourrait produire l’évaluation…
C’est pourquoi le groupe de travail fait le choix de privilégier l’autoévaluation, réservant l’évaluation externe à un
second temps de ses travaux. Et, dans cette perspective, il décide de commencer par ce qui est le plus
immédiatement utile aux chefs d’établissement : l’élaboration en commun d’un guide méthodologique de
l’autoévaluation de l’EPLE, outil qui aura l’avantage d’être reconnu, validé par les autorités de tutelle.
De plus, cet outil pourra servir de base à d’autres documents que doit produire le chef d’établissement :
diagnostic d’entrée en fonction, rapport annuel, projet d’établissement, contractualisation. Au sein du groupe la
discussion reste toutefois ouverte sur la question de savoir si tous ces documents peuvent se réduire à un
document unique.
Le choix d’une démarche économique
Pour ménager la charge de travail de l’équipe d’établissement, le groupe de travail a cherché d’abord à identifier
les indicateurs utiles qui sont déjà disponibles dans les services académiques et qui pourraient ainsi être mis à la
disposition de l’établissement sous forme d’une fiche d’indicateurs « préremplie ».
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De la sorte, il resterait à élaborer par l’établissement :
des indicateurs de ce qui est propre à l’établissement : évaluer les résultats des actions du projet
d’établissement ;
des indicateurs qui ne sont pas dans les bases académiques ou nationales, tels que les suivis de cohortes, le
devenir des élèves un an après le bac, l’évolution de résultats scolaires autres que les résultats aux examens
ou des évaluations nationales…
Par ailleurs, est conseillée une démarche relativement brève, de préférence en septembre octobre.
Le choix d’une démarche progressive
Il a d’abord été procédé, au printemps 2005, à une expérimentation de la démarche dans une vingtaine
d’établissements volontaires. Les documents retournés par ces établissements, ainsi que leurs réponses à un
questionnaire ont permis d’améliorer le contenu du guide.
A la rentrée 2006, est mis en place un plan sur trois ans : il est demandé à un tiers des établissements (dont tous
les collèges « Ambition Réussite ») d’entrer dans la démarche d’autoévaluation, les deux autres tiers devant
suivre dans les deux années à venir.
Le partage de la démarche est également progressif : à part le Conseil d’Administration, qui doit être informé, la
composition de l’équipe d’évaluation de l’établissement est laissée au choix du chef d’établissement.
Les indicateurs choisis (extraits du guide académique)
A) Indicateurs fournis par IPES et la base académique (pour chacun d’entre eux, prendre les données
sur trois ans, et donner un point de comparaison départemental et académique, éventuellement national)
COLLÈGES
LYCÉES
L. P.
Indicateurs d'entrée
1.1.
1.2.
1.3.
2.4
3.5.
3.6.
3.7.
4 .8.
4.9.
4.10.
4.11.
CSP favorisées
CSP défavorisées
Nombre de boursiers
Retards d’un an ou plus à
ème
l’entrée en 6
Moyenne des évaluations
ème 1
6
% d’élèves réalisant moins
de 40% en français et math
% d’élèves réalisation plus
de 80% en français et math
Existence d’un adjoint, d’un
(ou plusieurs) CPE
CSP favorisées
CSP défavorisées
Nombre de boursiers
nde
Retards à l’entrée en 2 GT
CSP favorisées
CSP défavorisées
Nombre de boursiers
Résultats à l’écrit du brevet
pour les élèves entrant en
nde
2 GT
Résultats à l’écrit du brevet
pour les élèves entrant en
nde
ère
2 pro et 1 année de CAP
Existence d’un (de plusieurs)
adjoint(s), d’un (de plusieurs)
CPE
Ancienneté moyenne des
enseignants dans leur poste
Existence d’un (de plusieurs)
adjoint(s), d’un (de plusieurs)
CPE
Ancienneté moyenne des
enseignants dans leur poste
Ancienneté moyenne des
enseignants dans leur
poste
Âge moyen des enseignants Âge moyen des enseignants
Taux de surveillance
Taux de surveillance
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Âge moyen des enseignants
Taux de surveillance
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Indicateurs de résultats
5.12.
5.16.
6.17.
6.18.
6.19.
Résultats au brevet : % de
réussite
Résultats au brevet : taux
attendus
Résultats au brevet :
moyenne écrit
Résultats au brevet :
moyenne contrôle continu
Résultats au C.F.G.
ème
ème
Taux d’accès 6
–3
nde
Taux de passage en 2 GT
nde
Taux de passage en 2 pro
6.20.
Sorties sans qualification
Taux d’accès 2 – bac GT Taux de réussite CAP / BEP
nde
Taux d’accès 2 – bac GT :
nde
taux attendu
Taux d’accès 2 pro – bac
ère
pro + 1 d’adaptation
Taux de redoublement en
nde
2
Taux de réorientation fin de
nde
2
Sorties sans qualification
Sorties sans qualification
6.21.
Devenir des élèves admis en
nde
2 GT
nde
Devenir des élèves de 2
pro
Taux d’absentéisme
Nombre d’actes de violence
pour 100 élèves
Taux d’absentéisme
Nombre d’actes de violence
pour 100 élèves
5.13.
5.14.
5.15.
6.22.
6.23.
6.24.
Résultats au bac : taux bruts Résultats bac pro : taux bruts
Résultats au bac : taux
attendus
Résultats au bac pro : taux
attendus
nde
Taux d’absentéisme
Nombre d’actes de violence
pour 100 élèves
B) Domaines dans lesquels une évaluation de la politique de l’EPLE est nécessaire
Politiques mises en œuvre
A
B
C
D
E
F
G
H
Politique mise en place pour favoriser l’acquisition des savoirs, savoir-faire, compétences (y
compris modalités d’évaluation des élèves )
Politique mise en place pour
Politique mise en place pour Politique mise en place pour
aider les élèves en difficulté (y aider les élèves en difficulté aider les élèves en difficulté
compris alternance ou
dispositifs équivalents et MGI)
Politique mise en place pour
Politique mise en place pour Politique mise en place pour
construire le projet personnel construire le projet
construire le projet personnel
de l’élève (politique
personnel de l’élève
de l’élève (politique
d’éducation à l’orientation)
(politique d’éducation à
d’éducation à l’orientation)
l’orientation)
Politique mise en place pour l’éducation à la santé
Politique mise en place pour l’éducation à la citoyenneté
Politique d’ouverture culturelle, économique, européenne
Politique mise en place pour la scolarisation des élèves handicapés
Nombre de journées de formation continue suivies par les enseignants, dont nombre de
journées FIL.
Une remarque concernant les lycées : il serait évidemment très intéressant de savoir ce que deviennent les
élèves après leur entrée dans l’enseignement supérieur, quel est leur degré de réussite en première année à
l’université. Malheureusement, en sortant du lycée, ils sortent de la base élèves. Cette information n’est donc pas
disponible. Il est recommandé aux lycées de se doter des moyens de se la procurer en interrogeant leurs
anciens élèves à la fin de l’année bac + 1.
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Pour tous les établissements, il peut être utile de construire des outils de suivi des élèves en difficulté et des
mesures prises pour leur venir en aide, ainsi que des outils d’évaluation des résultats produits par ces mesures.
Le suivi de cohorte est évidemment un outil privilégié. On cherchera en particulier à répondre à la question
suivante : où en sont les élèves repérés en difficulté à leur entrée dans l’établissement au moment où ils en
sortent ?
Pour être disponibles lors des auto-évaluations périodiques, ces deux dispositifs doivent être construits en
amont ».
L’interprétation des indicateurs : points forts et faibles de l’établissement
Les indicateurs d’entrée et de sortie sont disponibles dans les bases d’information académiques. Ils peuvent
donc servir de base à des acteurs externes à l’établissement pour effectuer une évaluation externe.
L’autoévaluation réside évidemment non dans la recension des indicateurs mais dans l’interprétation de la valeur
de ces indicateurs par et pour les acteurs de l’établissement. Dans cette perspective, le guide académique
préconise une démarche participative, associant autant que possible tous les acteurs de l’établissement et
éventuellement des partenaires, pour, à partir de l’examen critique de ces indicateurs, déterminer :
quels sont les points forts et les points faibles de l’établissement ;
quelles hypothèses explicatives peuvent être formulées ;
quelles actions correctives on peut envisager.
Mais la partie B) du tableau montre bien que les auteurs du guide ont bien conscience que ces indicateurs
d’entrée et de sortie sont insuffisants, notamment pour la phase explicative, et qu’il faut bien tenter d’ouvrir la
« boîte noire » de l’établissement, celles de ses actions propres, ici appelées « politiques ». Les observations qui
suivent le tableau montrent aussi qu’ils ont conscience de la nécessité de prendre en compte l’évaluation des
élèves au sein de l’établissement, notamment par le suivi de cohorte.
Les compléments nécessaires
Le dispositif décrit demanderait à être complété, de l’opinion même de ses auteurs, au moins par :
une évaluation régulière des élèves tout au long de leur cursus (devoirs communs ou, mieux, tests
standardisés) ;
une évaluation de la qualité des enseignements.
Par ailleurs, l’évaluation doit être répétée de manière à donner une vision de l’évolution dans le temps.
Elle doit pouvoir intégrer (tout en les distinguant) des évaluations partielles, comme celles du projet et du contrat
d’objectifs, par exemple.
Elle gagne aussi à se confronter à des visions externes (évaluation externe).
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