Cendrillon de Joël Pommerat Séquence proposée - Aix

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Cendrillon de Joël Pommerat Séquence proposée - Aix
Cendrillon de Joël Pommerat
Séquence proposée par Mme Alran pour ses élèves de 1ère L du lycée Victor
Hugo de Carpentras.
Les objectifs sont liés à deux objets d’étude : Le texte théâtral et sa représentation ; les
réécritures
Pour le premier objet d’étude Cendrillon s’avère d’emblée intéressant car Joël Pommerat
tient à préciser qu’il conçoit des « spectacles » et non des pièces qui seraient ensuite mises
en scène. Dans un « work in progress » selon ses termes il écrit le texte à partir d’un canevas,
de notes, durant le temps de travail des acteurs sur le plateau, ici de plusieurs mois au lieu
du traditionnel temps d’un mois de répétition une fois le texte appris. Scénographie et texte
sont pour lui indissociables.
Pour le second objet d’étude, revisiter les contes éponymes en changeant de genre tout en
gardant des traces de narration constitue une véritable re-création.
L’étude de cette pièce constitue une première séquence sur le théâtre et fournira une
matière riche à la dissertation qui sera donnée. Un second temps sera réservé
ultérieurement à un groupement de textes sur la violence au théâtre.
Problématique de la séquence : Quelle réécriture des contes éponymes nous proposent le
texte et la mise en scène de Cendrillon de Joël Pommerat ?
Préambule : Les élèves ont eu à lire en lecture cursive les versions de Perrault (1697) et des
frères Grimm (1812) et à en relever les différences.
A l’occasion de la mise en commun de ce travail on a souligné l’aspect universel de ce conte
présent en de nombreux pays avec des variantes, l’apport de Perrault notamment son
invention des métamorphoses burlesques (les lézards en laquais, les souris en chevaux, la
citrouille en carrosse…) et ses ajustements destinés à un public de cour. Les élèves ont
remarqué que le dessin animé de Walt Disney (1950) reste assez proche de cette version. En
revanche chez les frères Grimm on entend les paroles de la mère à son lit de mort, un
rameau de noisetier et des oiseaux et non la fée produisent des prodiges, il y a des scènes
cruelles : la mère fait se couper un orteil à l’une de ses filles, le talon à l’autre, les méchantes
sœurs sont énucléées par les oiseaux.
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AP Dans une séance commune sur la prise de notes Français-Histoire avec M Hurard,
professeur d’histoire de la classe, on revient sur les origines grecques du théâtre qui seront
nécessaire à toute mise en perspective de la séquence, sa signification civique, les conditions
du jeu de l’acteur : costume, masque porte-voix, acoustique des lieux…. On s’appuie sur des
documents dessinés par André Degaine dans son Histoire du théâtre dessinée.
Visionnement d’une captation quasi-totale de la représentation avec les acteurs belges
choisis par Pommerat qui déroge ici par gratitude à l’égard du Théâtre National de Bruxelles
à son lien indissoluble aux comédiens de la compagnie Louis Brouillard qu’il a fondée et
façonnée après sa propre expérience d’acteur. On explique le fonctionnement égalitaire de
cette compagnie, proche de celui du Théâtre du soleil.
Échange de premières impressions sur l’interprétation remarquable des acteurs
minutieusement choisis à partir de 1000 candidatures après de nombreux stages et ateliers
et dont certains jouent deux rôles, sur la scénographie, le rapport aux hypotextes : une
Cendrillon jouée par une jeune actrice adulte mais comme une enfant, la modernisation du
contexte…. On apporte aux élèves des informations sur l’usage des micros qui rompt avec la
tradition. Pour Pommerat « Les traits les plus importants d’une personne sont situés dans la
voix », volontairement il éclaire peu les visages.
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Lecture analytique : la didascalie initiale, les scènes 1 et 2 de la première partie jusqu’à
« un endroit secret invisible tenu par les oiseaux »
Pour cette entrée dans l’œuvre le travail se fait au fil du texte, nous n’organiserons les
remarques qu’à la fin
La didascalie initiale est comparée aux didascalies classiques par ex celle de Tartuffe de
Molière pour faire remarquer l’absence de noms, de fonctions hormis celles de roi et prince
au profit de l’insistance sur l’âge pour les enfants et du rôle dans la famille pour les parents.
I, 1
La voix de la narratrice : les élèves s’interrogent sur le choix de cet accent italien
(réminiscence de Basile dont s’est inspiré Perrault ? manière de distinguer cette part
narrative marquée de formules d’oralité du conte (« Alors je commence ») des répliques des
personnages ?). La pièce réactive le plaisir d’entendre une histoire contée et renvoie chacun
à son enfance. Au théâtre selon Pommerat on se rassemble pour écouter une histoire.
Reprise de la tradition du prologue des tragédies (« Ne prévois tu pas l’affreuse fin qui nous
guette si nous enfreignons la loi » dit Ismène dans l’Antigone de Sophocle) mais au contraire
ici il annonce que la fin évitera la tragédie qu’elle a frôlée : « les mots ont failli avoir des
conséquences catastrophiques ». On reste bien ici dans l’optimisme qui différencie les
contes de fées des mythes selon Mircea Eliade. Dans une langue à la simplicité travaillée qui
rappelle Le petit prince la morale et la clé de l’histoire sur l’utilité des mots et le danger de
les confondre sont formulées d’emblée.
On note l’inscription dans le présent par un langage qui supprime les négations ; en même
temps les archétypes des contes sont là à travers les intensifs (« très, tellement »)
I, 2
La très jeune fille parle à sa mère mourante d’une manière désinvolte, agacée, propre à lui
susciter des remords ultérieurs. L’égoïsme de certains adolescents se retrouve ici. A plusieurs
reprises Sandra entend ce qui l’arrange (« dormir » et non « mourir », « le jour » et non
« toujours », « fatiguée » et non « m’en aller »). Avec la « pensée magique » propre aux
enfants elle se persuade que sa mère restera en vie « dans un endroit secret invisible tenu
par des oiseaux ».
Ici les élèves repèrent la réécriture du début du conte des frères Grimm : « Il était une fois
un homme très riche dont la femme était tombée malade ; lorsqu’elle sentit que sa fin était
proche elle appela sa petite fille et lui dit : « Mon enfant chérie, reste toujours pieuse et
bonne et tu pourras compter sur l’aide du Bon Dieu ; et moi, du haut du ciel, je te protègerai
toujours ». Et la pauvre femme ferma les yeux et mourut (…) Tous les jours elle [Cendrillon]se
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rendait sur sa tombe et pleurait ». Ensuite le père donne à la petite fille un rameau qu’elle
plante sur la tombe, celui-ci germe, devient un arbre, un oiseau blanc vient s’y poser et
exauce les vœux de Cendrillon, des pigeons et tourterelles l’aideront aussi à trier les
lentilles versées dans la cendre par la marâtre et donneront à la jeune fille sa robe de bal.
On peut alors organiser collectivement les remarques autour de la question :
Que réécrit ce début de pièce ?
Plusieurs propositions de plans émergent, nous nous arrêtons sur cette synthèse :
I) Réécriture de formes théâtrales
1) La didascalie initiale
2) Le prologue
3) La scène d’exposition (elle viendra plus tard scène 4)
II) Réécriture des contes
1) La part de la narration : une narratrice, les formules du merveilleux et de
l’oralité créent une forme hybride « transgenre » : théâtre + narration
2) La reprise d’une scène de Grimm (NB les oiseaux s’écrasent ensuite sur les
vitres de la maison de verre)
3) L’apport personnel de Pommerat sur l’aspect psychologique : la difficulté du
deuil, le transfert de l’angoisse d’abandon en peur d’oublier, la mise en avant
de la souffrance (« très émue »)
Conclusion : la pièce à la fin fait entendre les vraies paroles de la mère dans la
scénographie grâce à la video. Le thème de l’interprétation des paroles est richement
représenté dans le théâtre baroque : Calderon : La vie est un songe, Shakespeare :
Macbeth
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Lecture analytique deuxième partie scène 4 depuis « J’ai rien à me mettre » jusqu’à
« retrouver la sortie »
On revisionne le passage extrêmement drôle de la scène de magie chez Pommerat qui
développe le bref passage où chez Perrault la fée crée la robe de Cendrillon :
« …est-ce que j’irai comme cela avec mes vilains habits ? »
Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent
changés en des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna
ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée,
elle monta en carrosse ; mais sa marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas
passer minuit …»
On cherche en quoi ce texte est une expansion comique parodique du texte de Perrault.
Des élèves volontaires ont préparé un passage à l’oral sur cette question, on complète
ensuite.
Les outils de parodie et de burlesque étant redéfinis on trouve la parodie dans le langage et
les gestes de la fée, le comique de répétition de sa manœuvre qui renvoie au monde du
cirque, les tenues grotesques qui sortent de la boîte, le renouvellement des relations entre la
supposée bénéficiaire et la fée.
On s’attelle aussi aux enjeux de cette parodie, ce que Pommerat appelle « le conte du
conte » : la fée choisit de ne pas utiliser sa magie retrouvant ainsi le plaisir d’essayer, de se
tromper. Pour ce thème du poids de l’immortalité on renvoie à L’Odyssée (Calypso), à La
vouivre de M.Aymé ou La machine infernale de Cocteau. Les élèves verront moins facilement
que cette boîte magique est une mise en abyme du théâtre lui-même que l’auteur manie
avec humour et auto dérision (« C’est pas du tout pour les enfants votre machin »)
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Démarche en pratique pour le commentaire comparé par la confrontation d’un montage
des scènes du bal chez Perrault et du deuxième bal chez Pommerat : deuxième partie
scène 12 depuis « Je ne sais pas » jusqu’à « la regarde partir »
La possibilité d’un commentaire comparé à l’examen demeurant, l’objet d’étude des
réécritures est une bonne occasion de s’y préparer. On travaille au tableau partagé en
deux après relecture du texte de Perrault et revisionnement de la scène chez Pommerat à
la recherche de ce qui au-delà de la référence explicite à l’hypotexte renouvelle le sens de
la scène de bal.
Voilà le plan du commentaire comparé auquel nous aboutissons :
I) Le rapport aux parents et au reste du monde dans la scène de bal
1) « rois et reines » : rôle de la vue chez P, reine en retrait ; père actif, mère absente mais
omniprésente chez Po
2) Le prince et Cendrillon : lui, actif, elle comparée à la « biche »(les stéréotypes se
mettent en place) puis regagnant l’écart social de l’époque avec ses « méchants habits »
chez Pe ; lui en attente de sa mère « depuis dix ans », en phase générationnelle avec C chez
Po
II) L’enjeu de la scène : les questions philosophiques
1) La question du temps : il presse chez Pe, il s’étire chez Po
2) La question de la vérité : la vérité de l’être et celle du costume chez Pe ; dire la vérité
pour faire son deuil chez Po
III) La chaussure ou la pantoufle : quelles significations leur accorder ?
1) Le chassé-croisé entre elle et lui : effet comique
2) Le renouvellement des images du masculin et du féminin : rôle actif de C, pleurs du
prince chez P
3) La modernité de la relation d’égalité, de réciprocité : C y gagne son nom chez P, aider
l’aide
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Études transversales
* Une séance sur le vocabulaire propre au théâtre sous forme d’abécédaire (par ex Castigat
ridendo mores, Comédie, Catharsis) prend ses exemples chez Pommerat ; elle sera
complétée lors du groupement de textes.
A partir de préparations des élèves :
* La structure de la pièce : schéma actantiel, grandes étapes, lien au modèle de Perrault
* La réécriture : l’inscription dans la réalité de notre temps : les familles recomposées, la
chirurgie esthétique …etc, les meilleures trouvailles par ex Sandra appelée Cendrier par les
méchantes sœurs parce que son père fume en cachette dans sa chambre-cave et qui ne
prendra le nom célèbre que par une erreur d’interprétation du prince, le renouvellement des
figures de Cendrillon non plus « aussi bonne que belle » mais trouvant une réponse
masochiste à la douleur du deuil en devançant les corvées, de la belle-mère hystérique,
déçue de sa vie malgré ses déclarations triomphantes et insatisfaite ( cf la scène du
mannequin)…
On visionne une interview de Pommerat, on en évoque d’autres : il y dit ce qui l’intéresse
dans les contes auxquels il revient pour la troisième fois, son intérêt personnel (orphelin de
père à l’adolescence, lui-même père de deux filles qu’il a voulu amener au théâtre) pour les
questions soulevées.
* La scénographie
Comme la disposition des lieux le permet, la classe est divisée en deux groupes pour un
travail au CDI avec l’aide de la documentaliste, Madame Jullian.
Alternativement les élèves cherchent quelques informations sur Artaud dont une citation
constitue la base du sujet de dissertation donné en DM « le théâtre est fait pour vider
collectivement les abcès » car il « pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont » et « tous les
conflits qui dorment en nous il nous les restitue… » et vérifient dans les rayons du CDI les
références des pièces qu’ils connaissent puis travaillent sur la scénographie de Cendrillon et
inversement.
Pommerat dans la lignée d’Artaud refuse le primat du texte au profit d’un théâtre sensible,
sensoriel.
- Le travail du son (voix et instruments), de la lumière ( le lien avec la tradition
expressionniste depuis Max Reinhardt), décor, inclusion de la video…la création d’un espace
mental
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- Le travail des acteurs : visionnement de leurs interviews, réflexion à partir d’un extrait du
Paradoxe sur le comédien de Diderot et de conseils de Louis Jouvet aux comédiens.
Dans le dernier tiers du temps en guise de remerciement les élèves présentent la pièce à la
documentaliste qui ne la connaît pas, un tandem a préparé la scène de la boîte magique et
l’interprète.
Nous synthétisons les acquis de la séquence par une conclusion sur la problématique : le
spectacle de Pommerat transpose les contes dans un autre genre lui-même revisité : le
théâtre qui fait réapparaître le merveilleux dans une scénographie faisant appel à
l’imagination du spectateur. Tout en gardant des traces de narration il parodie les contes par
des inversions burlesques. Il en revisite les personnages, donne à chacun épaisseur
psychologique et justifications. Si, comme dans le conte, le sens profond reste positif pour
l’enfant avec fin heureuse, la pièce traite pour tous publics de sujets graves : l’oppression
familiale, le deuil et porte la marque de la psychanalyse.
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